Chapitre V. L’alliance asymétrique (juin 1943-juin 1944)
p. 251-330
Texte intégral
1L’été 1943, avec les défaites allemandes à l’Est et en Sicile, marque un tournant décisif dans la guerre qui donne désormais pour horizon la défaite de l’Axe dont la probabilité ne cesse de croître au fur et à mesure que se confirme l’avancée des alliés. En conséquence, c’est l’échéance de la Libération qui s’impose de plus en plus aux Français avec l’impératif d’y jouer un rôle majeur afin de redevenir un acteur de poids dans le camp des alliés. Au vu de cet objectif, la formation du CFLN en juin est une étape importante, car la mise en place en Afrique du Nord d’une série d’institutions et la fusion des forces armées constituent les prémices de la reconstitution d’un État démocratique et permettent la renaissance d’une vie politique française, certes étriquée, mais néanmoins effective.
2Si le PCF est partie prenante de ce processus, il n’y joue qu’un rôle secondaire, même s’il est le parti politique qui dispose de la plus forte représentation à l’Assemblée consultative. Cette relégation résulte pour une bonne part de l’affrontement de Gaulle/Giraud qui polarise le jeu politique à Alger jusqu’au printemps 1944 et dans l’évolution duquel les représentants du PCF, même s’ils penchent pour de Gaulle, cherchent à jouer un rôle temporisateur. À l’inverse, les communistes sont perçus en métropole comme un acteur majeur au sein de la Résistance avec lequel les relations doivent se resserrer, mais qui en même temps pose de nouveaux problèmes. C’est une problématique assez voisine qui régit l’évolution des relations avec l’URSS qui deviennent plus complexes, avec un accroissement de leurs enjeux politiques, mais qui sont avant tout marquées, beaucoup plus qu’auparavant, par un considérable déséquilibre : alors que l’URSS accède au statut de grande puissance qui joue incontestablement un rôle directeur sur les terrains stratégique et opérationnel de la guerre, le CFLN reste enlisé dans ses divisions et surtout ses relations difficiles et de dépendance avec les Anglo-Saxons ; d’où un poids militaire et international qui reste contingent, ce qui se traduit par une grande difficulté à assumer les relations directes avec l’URSS. On constate en effet que l’importance jusque-là accordée au développement des relations directes passe au second plan parce qu’Alger ne parvient pas à accroître la présence militaire française en URSS, son effort de guerre étant absorbé par les combats d’Afrique du Nord, puis les préparatifs du débarquement en Italie. Mais sur le terrain politique, les Français restent demandeurs, alors que les Soviétiques privilégient les relations avec les Anglo-Saxons, n’accordant qu’un intérêt très secondaire aux Français. S’ils continuent néanmoins à leur apporter un soutien mesuré, cet appui n’est pas exempt de frictions et de critiques.
L’URSS, acteur central du conflit : grande puissance et nouveau problème
3Avec les victoires éclatantes de l’été 1943, l’URSS a définitivement assis son statut de grande puissance et d’acteur décisif dans le conflit en cours, peut-être capable de vaincre seule l’Allemagne. En outre, la dissolution récente du Komintern a confirmé que Staline jouait bien le jeu de la Grande Alliance et devait donc être considéré comme un partenaire stable et sûr dont la politique de guerre, centrée sur la mise en œuvre d’une stratégie concertée avec les Occidentaux, visait l’écrasement de l’ennemi. En l’absence de second front, l’affirmation de l’URSS comme futur grand vainqueur de la guerre n’est pas sans conséquence pour les Français de Londres et d’Alger qui doivent s’adapter à la nouvelle configuration du conflit et au reclassement des rapports de force qui en découle, en particulier parce qu’il semble possible qu’un effondrement de la Wehrmacht permette à l’Armée rouge d’avancer jusqu’en Europe occidentale.
4De leur côté, les Soviétiques saluent avec satisfaction la création du CFLN et ils encouragent les Français à parfaire l’unification de leurs forces. Lorsque les Trois Grands reconnaissent simultanément le CFLN le 26 août, c’est Moscou qui exprime la formulation la plus large en le désignant comme « représentant les intérêts d’État de la République française » et « seul organisme dirigeant et seul représentant qualifié de tous les patriotes français en lutte contre l’hitlérisme1 ». Toutefois, cette ouverture soviétique ne marque pas le point de départ d’un resserrement mécanique des liens avec le CFLN : non seulement Moscou reste sur la réserve, mais ses critiques, officielles ou officieuses, peuvent être sévères, d’autant plus que plusieurs points de friction avec Alger apparaissent. On assiste donc à des fluctuations dans les relations franco-soviétiques qui dépendent, pour une part, de la qualité variable des relations entre l’URSS et les Anglo-Saxons et, pour une autre part, de facteurs spécifiques aux rapports entre Français et Soviétiques.
Une nouvelle perception du communisme ?
5Sur un plan général, l’affirmation simultanée de l’URSS comme grande puissance en passe de vaincre l’Allemagne et comme État révolutionnaire en voie de normalisation à la suite de la dissolution du Komintern modifie la perception du communisme dans le monde, a un impact sur la politique soviétique vis-à-vis de ses alliés et, inversement, sur l’attitude des Occidentaux face à l’URSS. Ces trois tendances concernent particulièrement le CFLN, mais sans provoquer d’inflexions majeures ou de tensions spécifiques. En particulier, la question russe ne semble pas avoir été un des terrains de confrontation gaullistes/giraudistes, car les archives ou les témoignages n’en contiennent nulle trace et, comme par le passé, Giraud et ses partisans n’ont pas de politique soviétique. En conséquence, la quasi-totalité des sources exploitables durant cette période est produite par des services tenus par les gaullistes.
6La documentation disponible concerne peu la situation militaire à l’Est. Les quelques notes du renseignement militaire, qui décrivent le renforcement de l’appareil de guerre soviétique, montrent par leur imprécision ou leurs exagérations, que l’accès à l’information sur l’Armée rouge reste très limité2. Si le déroulement exact de la guerre à l’Est est mal connu, son issue est considérée comme scellée : lorsqu’en octobre 1943, Dejean juge que la défaite allemande est certaine, il exprime un avis qui fait consensus à Alger et à Londres3. Si début 1944, des renseignements recueillis en Finlande excluent un effondrement allemand pour les mois à venir, ils annoncent le déclenchement d’une grande offensive d’été des Soviétique fin mai-début juin, rapidement suivie d’un débarquement des Anglo-Saxons sur les côtes françaises de la Manche4.
7La documentation concernant l’évolution intérieure de l’URSS est plus abondante, à défaut d’être plus précise. D’une part, le moral de la population est jugé bon et la vie quotidienne moins difficile, tout au moins à Moscou, que durant les deux années passées5 et, au printemps 1944 au cours de son séjour en URSS, Pierre Cot estime que le pays se relèvera plus vite qu’on ne le croyait et que la reconstruction a d’ailleurs déjà commencé6. D’autre part, et c’est surtout cet aspect qui fixe l’attention, la guerre est considérée comme le moteur d’une profonde transformation du système soviétique7, marquée par la démocratisation et la décentralisation de l’État8. Cette appréciation positive de l’évolution de l’URSS a des conséquences sur la perception du communisme et sur l’évaluation des objectifs de guerre soviétiques.
8L’unique document conservé qui analyse la portée de la dissolution du Komintern a été rédigé par Étienne Manac’h, le représentant du CFLN en Turquie. L’intérêt de ce texte est de donner un aperçu de l’interprétation de cet événement dans la mouvance gaulliste9. Selon Manac’h, la décision de Staline n’affaiblit pas le communisme en Europe, mais au contraire découle du constat de son renforcement et de sa maturité politique qui permet désormais à chaque parti communiste de s’émanciper de toute « marque étrangère » et de devenir « plus apte à agir au sein de la nation ». Ainsi, « les éléments révolutionnaire […] nationalisés, […] la politique communiste ne se fera plus à main armée et par effraction, mais de façon ouverte. » Par-delà cette analyse qui voit dans la dissolution de l’Internationale un encouragement au resserrement des liens avec le communisme, il semble évident que, sur un plan plus général, l’évolution favorable des événements militaires et politiques va rendre l’URSS plus sûre d’elle-même, lui donner de nouvelles ambitions et accroître ses exigences envers les alliés. Il devient alors nécessaire d’évaluer plus précisément qu’auparavant les buts de guerre soviétiques, un enjeu qui prend des proportions considérables et qui ne peut qu’accroître des divergences déjà existantes au sein de la mouvance gaulliste.
9Les partisans d’une alliance forte et durable avec l’URSS voient dans l’évolution du pays la confirmation du réalisme qui anime la direction soviétique. Dejean fournit plusieurs notes approfondies et nuancées qui défendent cette thèse. En octobre, il estime que la politique soviétique poursuit deux objectifs10 : d’abord, détruire définitivement la puissance germanique, ensuite, ne pas retourner à l’isolement de l’entre-deux-guerres parce que l’URSS a besoin de l’aide économique américaine pour assurer sa reconstruction. Mais, en même temps, les dirigeants soviétiques restent très méfiants vis-à-vis des démocraties occidentales, en particulier ils craignent la formation d’une coalition dirigée contre l’URSS une fois l’Allemagne vaincue. Dans ces conditions, Dejean estime que deux lignes s’opposent au sein de la direction soviétique : les uns veulent poursuivre après la guerre l’alliance avec l’Occident et continuer de réformer le régime pour le rapprocher des systèmes démocratiques ; les autres s’attendent à une attitude hostile des Anglo-Saxons et prônent le retour à la ligne de la révolution mondiale. Selon Dejean, Staline est en accord avec la première position, mais il pourrait basculer vers la seconde si les conditions d’une collaboration avec les Occidentaux ne lui semblaient pas remplies. Il faudrait en effet que les Soviétiques soient convaincus que les puissances capitalistes acceptent définitivement l’existence de l’URSS, que les territoires perdus à l’issue du premier conflit mondial seront récupérés, qu’une « zone de sécurité politique » sera établie sur les zones frontières d’Europe et d’Asie et enfin que l’accès permanent aux mers libres sera garanti. Jusqu’à l’été 1944, Dejean maintient son appréciation des objectifs internationaux soviétiques11 en y intégrant la dimension panslave que Moscou revendique de plus en plus ostensiblement au fur et à mesure que ses troupes avancent vers l’Ouest. Considérant que les Soviétiques sont favorables à l’instauration d’États slaves indépendants et forts, Dejean écrit :
« La conception soviétique de la sécurité s’apparente à l’ancienne conception des “Marches”, sorte de glacis […] [qui implique] l’alignement de la politique extérieure des pays voisins sur la politique de l’URSS et éventuellement une adaptation de leur appareil militaire au système défensif des soviets12. »
10À Moscou, la MMF juge elle aussi essentielle la volonté des Soviétiques de transformer l’Est européen en glacis et elle estime qu’ils attachent une telle importance à cet objectif qu’il influe sur l’orientation stratégique donnée à la guerre. Selon la MMF, la direction soviétique estime que l’Italie sera rapidement conquise, qu’il s’ensuivra une percée des Anglo-Saxons dans les Balkans qui leur ouvrira, dès le printemps 1944, les portes de l’Autriche. C’est pour cette raison que l’Armée rouge se prépare à exercer une forte poussée en direction de la Roumanie « où les Russes espèrent arriver avant les alliés au cours de l’hiver. Cette opération est moins dictée par des mobiles d’ordre stratégiques que par des considérations politiques13. »
11De leurs côtés, les services spéciaux gaullistes jugent très favorablement l’évolution de la politique de puissance de l’URSS14, se montrant même plus confiants que Dejean : début 1944, ils estiment que l’URSS ne mène pas une guerre impérialiste, puisqu’elle n’a pas de projets d’annexion et qu’elle encourage l’émancipation des peuples qui pourront après la guerre instaurer le gouvernement de leur choix15 ; de même, ils affirment que Moscou veut définitivement anéantir la puissance de l’Allemagne, ce qui exclut d’y instaurer un État communiste16 ; ils considèrent que la libéralisation de l’URSS se poursuit17 et que l’aide des alliés à sa reconstruction doit être la garantie d’une politique modérée dans l’après-guerre18. Cet optimisme des services spéciaux est confirmé par son absence d’inquiétude face à l’activité diplomatique que les Soviétiques déploient à cette époque en Orient et en Tunisie19.
12À la fin de l’hiver 1943-1944, Christian de Vaux Saint-Cyr, rallié à la France Libre et délégué du CFLN en Suède, écrit à Massigli à propos de Staline :
« Son ambition serait […] d’établir des relations cordiales avec tous les autres États et de donner ainsi à son pays une position diplomatique de premier plan […] Pour toutes ces raisons, Staline n’aurait pas l’intention de lancer ses troupes à l’assaut de l’Europe. Une fois atteinte une ligne fixée d’avance et qui ne dépasserait vraisemblablement pas celle de la frontière, l’armée russe s’arrêterait, laissant alors aux alliés de soin d’achever l’Allemagne20. »
13À l’inverse, Massigli se distingue par sa conviction que l’URSS est un danger majeur, sans toutefois être alarmiste puisqu’il repousse la réalité de la menace à l’après-guerre, non parce que Moscou renouerait alors avec la ligne révolutionnaire, mais en raison de sa puissance militaire et de son potentiel économique qui lui donneraient les moyens de mener une politique expansionniste21. Massigli admet toutefois que la collaboration avec l’URSS sera inévitable pour régler le problème allemand, car « l’apparition sur la scène internationale d’une Russie véritablement cohérente, dynamique et “colossale” […] constitue pour la première fois dans l’histoire un contrepoids à la masse germanique22. »
14Si l’ouverture du CFLN en direction des Soviétiques reste constante, les Français doivent cependant compter sur la relative dégradation des relations entre l’URSS et les Anglo-Saxons, dont les effets influent inévitablement sur les relations franco-soviétiques. Cette dégradation est suivie de près par les représentants français à Moscou tout au long du mois d’août23, les militaires la jugeant « grave24 », alors que Garreau se montre moins alarmiste, puisqu’il estime que les Soviétiques veulent seulement donner un « avertissement » aux Anglo-Saxons pour qu’ils les associent davantage aux prises de décision concernant l’organisation du monde d’après-guerre. Cette analyse de Garreau, qui concorde avec celle de Dejean à Londres25, est relayée par la diplomatie du CFLN26 et par la direction des services de renseignements27. À l’automne, une détente des relations est constatée à l’approche de la conférence de Téhéran28, mais au premier trimestre 1944, une nouvelle dégradation est relevée depuis Londres29 et Alger30, et confirmée par les services spéciaux31.
15Alors que les multiples manifestations de mécontentement des Soviétiques s’accompagnent de rumeurs insistantes à Washington et en Europe sur la préparation d’un accord germano-soviétique mettant fin à la guerre à l’Est, Alger se montre très sceptique et estime probable que les Soviétiques font courir ces rumeurs pour amener les Anglo-Saxons à amplifier leur effort de guerre et à les associer davantage aux prises de décisions concernant les conditions politiques de la libération de l’Europe32. Si les difficultés des relations entre alliés ne remettent pas en cause les fondements de la Grande alliance, elles montrent que la politique internationale soviétique est devenue plus complexe et qu’elles ne sont pas sans conséquences sur les relations entre le CFLN et Moscou.
Une politique soviétique plus complexe
16C’est au cours de l’automne 1943 que le CFLN fixe son attitude vis-à-vis de l’URSS. La journée du 12 octobre concentre le temps fort des débats consacrés aux grandes orientations de la politique extérieure et aux perspectives de l’après-guerre33. Trois positions principales s’expriment qui cristallisent de profondes divergences :
Giraud veut faire de l’alliance avec les États-Unis la clé de voûte de la politique internationale française.
De Gaulle estime que l’URSS doit demeurer « la pierre de touche de notre politique », un point de vue qui s’inscrit dans la continuité d’une note rédigée par Dejean le 3 octobre et dans laquelle il estimait que « les intérêts essentiels de la France coïncident avec ceux des soviets, notamment en ce qui concerne le rétablissement de la souveraineté française. »
Massigli, s’il admet la nécessité de s’appuyer sur les États-Unis et l’URSS, prône la prudence face à cette dernière et défend le principe d’un futur axe Paris-Londres, parce qu’il estime que le Royaume-Uni demeure notre meilleur allié34.
17Si de Gaulle conclut la séance sur un compromis, c’est toutefois la priorité à l’alliance soviétique qui l’emporte, ainsi que le confirme une circulaire du 30 octobre 1943, qui fixe le cap d’une rupture avec la politique internationale de l’entre-deux-guerres. Ce document admet que la scène internationale d’après-guerre sera probablement dominée par les États-Unis et l’URSS, mais que la résurgence de la menace allemande n’est pas exclue. La sécurité de la France exige donc la signature d’un traité avec l’URSS qui réglerait le problème allemand, tout en prévoyant une clause qui garantirait l’absence d’ingérence soviétique dans les affaires intérieures françaises. Un tel accord impliquerait de faire de larges concessions aux Soviétiques en Europe orientale en échange de leur acceptation d’une « fédération de l’Europe occidentale », qui intégrerait la Ruhr et la Rhénanie. Cette fédération, dominée par la France, permettrait à la fois de contrôler l’Allemagne, tout en contrebalançant l’influence soviétique, ainsi que celle des Anglo-saxons.
18Quelques semaines plus tard, Dejean signe un long argumentaire en faveur d’un tel traité parce qu’entre la France et l’URSS existe une « solidarité d’intérêts plus ferme que celle qui peut exister avec l’Amérique, et même, dans une certaine mesure, avec la Grande-Bretagne » et que, face à l’Allemagne, la puissance militaire soviétique apportera dans l’après-guerre une garantie qu’aucune autre puissance ne peut apporter. Il estime toutefois que cette politique d’alliance avec l’URSS n’est « ni sans risque, ni sans danger » et que la France doit se garder de la moindre dépendance vis-à-vis de Moscou. Cet impératif exige de rester ferme sur la non-ingérence dans les affaires intérieures et à gagner en crédibilité auprès des Soviétiques en reconstituant l’armée française, en réalisant l’unité nationale et en jouant le jeu de l’alliance avec les Anglo-Saxons pour apparaître comme un facteur d’« harmonie » entre alliés35.
19Si Dejean défend une position argumentée et stable dans la durée, dans l’ensemble, au cours de cette période, les positions et arrière-pensées des uns et des autres sur les questions internationales sont difficiles à cerner avec précision36 et de Gaulle contourne à l’occasion le commissariat aux Affaires étrangères par défiance envers Massigli mais surtout parce qu’il veut garder la haute main sur la politique soviétique du CFLN37.
20Les tensions feutrées provoquées par la question russe sont perceptibles dans la phase préparatoire de la mission de Pierre Cot en URSS dont la gestation est particulièrement difficile. La définition de son cadre fluctue, puis elle est annulée, jusqu’à ce que, le 22 février, de Gaulle tranche en faveur de son départ. Mais les manœuvres continuent et finalement Massigli parvient à l’imposer comme une simple « mission d’information », sans caractère politique38. La vigueur de cette opposition résulte de la conjonction d’influences de différents milieux hostiles ou réticents à l’alliance russe qui perçoivent cette mission comme le signal d’un rapprochement en raison de la soviétophilie ancienne et notoire de Cot. À un degré moindre, il est probable que ses déclarations en faveur d’une alliance franco-américaine ont aussi joué contre lui, car cette perspective suscite alors de fortes oppositions39, surtout chez les gaullistes, qui doivent également avoir écho des propos de Cot qui, à cette époque, suspecte en privé de Gaulle de tendances fascistes. En définitive, la ligne de partage fondamentale dans les débats sur le monde d’après-guerre reste le problème allemand : ceux qui le considèrent comme la question-clé pour la sécurité nationale veulent l’alliance avec Moscou ; ceux qui lui accordent une importance moindre, le relativisent ou le rejettent comme enjeu diplomatique et stratégique primordial.
21Cette controverse est déjà revenue au premier plan au cours de l’été 1943 lorsque Moscou annonce en juillet la création du Comité Allemagne libre qui regroupe des émigrés communistes et des officiers antinazis prisonniers des Soviétiques. Le lancement de ce comité est surtout un leurre destiné à faire craindre dans le camp allié que l’URSS prépare un retour à une politique d’entente de type Rapallo avec un gouvernement national allemand qui succéderait à la chute du régime hitlérien40. À Moscou, la MMF estime que « ce comité ne semble pas devoir jouer un rôle important41 », mais quelques semaines plus tard, Schmittlein le prend plus au sérieux, l’interprétant comme les prémices d’un « AMGOT très perfectionné » qui intégrerait des prisonniers pour administrer une Allemagne sous le contrôle, partiel ou total, des Soviétiques42. En octobre, Dejean considère qu’avec cette initiative les Soviétiques veulent lancer un avertissement : si pour l’après-guerre, les Occidentaux se détournaient d’une politique de collaboration avec l’URSS, Moscou pourrait « embrigader » l’Allemagne43. Ce risque est d’autant plus pris en compte qu’il pourrait survenir rapidement, car, à la fin de l’année 1943 et au début de 1944, les alliés estiment que le régime nazi peut s’effondrer, et que, dans tous les cas, il est peu probable que l’Allemagne combatte jusqu’au bout. L’hypothèse d’un armistice entre les alliés et l’Allemagne vaincue fait alors partie des principales préoccupations du CFLN qui revendique le droit de participer aux négociations interalliées éventuelles44.
22Face à l’évolution de la conjoncture, Massigli suggère une solution au problème allemand qui, sans aller jusqu’à une alliance, reposerait sur l’intérêt convergent de la France et de l’URSS à une entente tacite sur la partition de l’Allemagne. Considérant que les Soviétiques ne veulent pas d’une Allemagne communiste unifiée qui risquerait de se retourner ultérieurement contre Moscou en devenant « l’instrument de revanche du germanisme contre le slavisme », il ouvre une perspective nouvelle :
« Le communisme stalinien peut être […] l’élément de dissociation [de l’Allemagne] […] Ce qui […] servirait nos projets, ce serait que l’Allemagne de l’Est s’orienta vers Moscou, tandis que la Rhénanie serait, par contrecoup, poussée à se rapprocher de l’Occident […] La tactique qui se recommande à l’URSS est donc de limiter son influence aux provinces orientales de l’Allemagne qui sont pour elle, du point de vue stratégique et économique, une zone de sécurité comparable à ce que représente pour nous la Rhénanie45. »
23Ce réalisme diplomatique, rétrospectivement perspicace, envisage un démantèlement de l’Allemagne sur une base idéologique, sa partie est étant sacrifiée à l’emprise communiste dans le but d’empêcher le renouveau de sa puissance. Ce calcul du commissaire aux Affaires étrangères confirme par ailleurs que dans les milieux dirigeants français faire barrage au communisme dans l’Est européen n’est pas une priorité, puisqu’une telle partition de l’Allemagne ne pourrait que faciliter la mainmise de Moscou sur la Tchécoslovaquie et la Pologne.
24Cette prédominance du problème allemand dans les perspectives à court, moyen et long termes du CFLN sur le terrain extérieur explique pour l’essentiel que la tendance dominante reste favorable à l’alliance avec l’URSS, même si d’autres facteurs continuent de jouer46. Il est vrai que les relations avec les Soviétiques sont devenues plus complexes avec des phases de tensions et la persistance d’une attitude réservée du Kremlin envers la France car il privilégie toujours les relations avec les Anglo-Saxons. Même si à Moscou Garreau juge toujours que les Soviétiques sont très favorables à la France47, les Français de Londres et d’Alger sont conscients que les relations avec Moscou sont devenues plus difficiles au fur et à mesure que l’importance des enjeux se précise48.
Les difficiles relations entre Moscou et le CFLN
25Si la direction soviétique salue la création du CFLN, elle adopte une attitude nuancée qui comprend une bonne part de critiques. La presse soviétique reflète cette posture ambivalente : ses journaux consacrent au cours de l’été de nombreux articles favorables à la France et au CFLN, mais en même temps ils insistent sur l’hétérogénéité des « organismes » qui, hors de métropole, prétendent représenter la résistance française et ils critiquent l’absence d’épuration en Afrique du Nord49. En outre, les Soviétiques jugent ouvertement que l’engagement militaire des Français reste insuffisant, mais simultanément, ils se montrent favorables au CFLN et s’engagent discrètement en faveur de de Gaulle.
26Dès juin, l’attitude nouvelle, plus chaleureuse, du gouvernement soviétique est signalée de sources diplomatique et militaire50, puis confirmée depuis Moscou par la MMF, qui l’évalue comme une reconnaissance implicite51. Dans les semaines qui suivent, le soutien au CFLN devient encore plus net52, mais les Soviétiques déplorent la poursuite de l’antagonisme de Gaulle-Giraud et s’inquiètent même de ses conséquences, puisqu’en septembre, Bogomolov estime que la situation à Alger s’améliore, mais qu’elle demeure « grave » et que, pour cette raison, il souhaite partir rapidement pour l’Afrique du Nord afin d’y jouer un rôle modérateur53. Il est vrai que dans le conflit entre les deux généraux, la direction soviétique marque indirectement sa préférence pour de Gaulle. Le 16 juin, Molotov transmet à Bogomolov une directive en deux points54 :
« Nous donnons la préférence à de Gaulle parce qu’il reste implacable envers le gouvernement de Vichy et l’Allemagne de Hitler. »
« Nous préférons soutenir de Gaulle parce qu’il défend fermement une politique de reconstitution de la France républicaine avec ses traditions démocratique », alors que Giraud s’y montre hostile.
27Cette consigne est également appliquée par la presse soviétique, qui se montre systématiquement plus élogieuse pour de Gaulle et insiste sur le soutien qu’il a reçu du CNR55. Mais par-delà les seuls motifs politiques invoqués, il est probable que la tournure prise par la question du second front joue également en faveur de de Gaulle.
28Début août, la MMF rapporte que, depuis environ un mois, les Soviétiques critiquent ouvertement la stratégie des Américains en Méditerranée, ainsi que leur politique en Afrique du Nord. Cette rupture avec la « neutralité absolue » affichée par Moscou dans les affaires d’Afrique du Nord est liée, selon les militaires français en URSS, au débarquement en Sicile que les Soviétiques considèrent comme une manœuvre dilatoire destinée à retarder encore l’ouverture du second front en Europe56. Vers la fin de l’été, il est clair que Moscou souhaite la marginalisation de Giraud, celui-ci défendant l’option britannique d’une opération d’envergure dans les Balkans, alors que les Soviétiques réclament un débarquement dans la moitié nord de la France, une stratégie de libération de l’Europe voulue par les Américains et approuvée par de Gaulle. Ce dernier ne s’y trompe pas, puisque le 27 septembre, il fait informer les Soviétiques de « sa conviction qu’il réussira rapidement à éliminer Giraud du CFLN ». Pourtant, cet épisode est loin de marquer un tournant décisif dans les relations franco-soviétiques puisque dans les mois suivants elles traversent une période de difficultés.
29Cette dégradation connaît deux phases, la première à l’automne, la seconde au printemps, qui relèvent pour une bonne part de causes différentes, mais, dans les deux cas, elles surviennent à l’initiative des Soviétiques, alors que les Français tendent à surestimer l’intérêt que leur porte Moscou57. À l’automne, les Soviétiques prennent leur distance avec les Français à l’approche de la Conférence de Téhéran, car ils privilégient alors le resserrement de leurs relations avec Washington. Les rapports qui demeurent tendus entre le CFLN et les Américains les incitent donc à devenir à nouveau plus réservés vis-à-vis d’Alger58, une attitude qui se maintiendra après la rencontre de Téhéran qui se déroule du 28 novembre au 1er décembre. Ainsi en octobre, lors de la conférence de Moscou entre ministres des Affaires étrangères, l’URSS propose la création de la future commission consultative européenne tripartite, mais sans y inclure la France. Il existe toutefois d’autres raisons que le seul enjeu américain dans l’inflexion de la politique soviétique vis-à-vis du CFLN. François Lévêque estime que pour Staline, « le bilan de l’effort de guerre des Français était […] désespérément médiocre au regard de ce qu’il avait espéré de la libération de l’Afrique du Nord59. » Un facteur plus politique joue-t-il également durant cette période ? Les dirigeants soviétiques prêtent-ils l’oreille aux accusations d’aspiration à la dictature ou à l’autoritarisme qui sont portées contre de Gaulle dans les milieux politiques d’Alger, communistes compris60 ? Il est possible que le renforcement de la position de de Gaulle et les tensions qui en découlent les inquiètent, mais les sources manquent pour corroborer cette hypothèse61. Il est en tout cas indéniable que la formation du CFLN et la consolidation de la position française en Afrique du Nord conduisent les dirigeants soviétiques à réfléchir au rôle de la France dans l’après-guerre.
30En octobre, Alexandre Lozovski, commissaire adjoint aux Affaires étrangères, rédige une note qui fournit un bon aperçu de l’ambivalence des Soviétiques face au renouveau de la puissance française voulue par de Gaulle et le CFLN. Il écrit :
« Étant donné la défaite de l’Allemagne, il nous faut sur le continent de l’Europe un contrepoids à l’Angleterre et aux États-Unis. L’unique pays qui peut jouer ce rôle est la France qui a toujours eu une puissante armée continentale et une flotte assez bonne […] Si l’on n’a pas besoin d’une France faible, nous n’avons pas non plus besoin d’une France trop forte, parce qu’une puissante France bourgeoise deviendrait à nouveau un organisateur de toutes les forces antisoviétiques et, dans un bloc avec l’Angleterre ou les États-Unis, elle pourrait porter un sérieux préjudice à l’Union Soviétique […] C’est pourquoi il nous faut décider a) jusqu’à quel niveau élever la France et b) de quelle façon manœuvrer pour que la France après la guerre ne puisse faire bloc ni avec l’Angleterre, ni avec les États-Unis contre nous62. »
31Dans un contexte qui rend les relations franco-soviétiques plus complexes et qui voit l’affirmation de nouveaux enjeux, plusieurs motifs de frictions contribuent à dégrader les rapports entre Moscou et Alger : l’Italie, la Pologne, la Fédération d’Europe occidentale, la question des prisonniers de guerre alsaciens-lorrains et les défaillances d’Alger dans le suivi des relations avec l’URSS.
32Si les Français, très hostiles au gouvernement Badoglio, reprochent aux Soviétiques d’approuver la politique des Anglo-Saxons en Italie63, cette question, qui ne touche pas directement aux intérêts de l’URSS, a des effets moins sensibles que le problème polonais. Il est pourtant manifeste que les Français ne veulent pas susciter de tensions avec Moscou au sujet de la Pologne, et ce choix est clairement exprimé par de Gaulle. Tant chez les diplomates que chez les militaires, la politique internationale de Varsovie et les relations franco-polonaises au cours de l’entre-deux-guerres ont généralement laissé de mauvais souvenirs et donné lieu à des jugements convergents sur la « mégalomanie » de ses dirigeants64. Ainsi, dans les premiers mois de la guerre, Léon Noël, dernier ambassadeur de France en Pologne, estimait que « quand viendrait le temps de reconstruire l’Europe », la perte des territoires de l’Est polonais serait inévitable et que Varsovie devrait accepter son statut de puissance secondaire et passer des accords étroits et solides avec les États voisins de puissance comparable65. De Gaulle a probablement un point de vue semblable, lui qui, avant la guerre, estimait que « la Pologne n’est rien » dans le jeu des puissances européennes66.
33Dès le printemps 1943, quand les Soviétiques commencent à poser la question du redécoupage de la frontière orientale de la Pologne, de Gaulle laisse entendre à Bogomolov qu’il n’est pas hostile à la sécurisation des frontières occidentales de l’URSS. Cette ouverture est confirmée par Dejean qui en octobre en défend le principe auprès de Massigli, considérant que les pertes territoriales de la Pologne à l’Est doivent être compensées par des gains à l’Ouest au détriment de l’Allemagne. Dejean, qui redoute qu’une crise éclate entre Anglo-Saxons et Soviétiques à cause de la Pologne, pense que la solution française constituerait un compromis acceptable par les trois Grands67. Jusqu’au printemps 1944, Alger se montre optimiste sur l’évolution de la question polonaise : en octobre, les services spéciaux estiment que les Soviétiques ne sont pas hostiles aux Polonais et qu’un accord sur l’après-guerre est possible68 ; en janvier, Dejean juge probable que les Américains refusent de s’engager à propos de la Pologne, ce qui contraindrait les Britanniques à accepter de la voir glisser « de quelques centimètres vers l’Ouest69 ». Si les Français perçoivent bien l’évolution des négociations entre les Trois Grands sur la Pologne70, ils n’ont pas la capacité de l’influencer et elle n’intervient d’ailleurs que marginalement dans les relations franco-soviétiques. Il faut attendre les premiers mois de 1944 pour qu’elle provoque deux incidents : en février et mars, la décision du CFLN de nommer Gaston Palewski chef de la délégation diplomatique en URSS en remplacement de Garreau se heurte au refus d’accréditation des Soviétiques71 ; le 28 avril, lors d’une entrevue entre de Gaulle et Bogomolov, l’ambassadeur proteste vivement à propos de la publication par L’Écho d’Alger d’une carte sur laquelle la Pologne avait été représentée dans ses frontières de 1939. De Gaulle se limitant à une réponse évasive, Bogomolov accuse alors le CFLN d’ingratitude, puisque le gouvernement soviétique a fait preuve de bienveillance à son égard72. Mais la Pologne n’est qu’un motif de friction au cours de cette rencontre qui se déroule dans une ambiance tendue. Si la dégradation assez générale des relations entre Soviétiques et Occidentaux au cours du printemps 1944 influe sur cette atmosphère médiocre73, deux autres facteurs particuliers jouent également.
34Début 1944, le projet de Fédération européenne occidentale, jusque-là réduit à l’état d’ébauche, se précise et, le 18 mars, de Gaulle, qui l’envisage surtout comme une alliance antiallemande, lui consacre un discours devant l’Assemblée consultative. Douze jours plus tard, Bogomolov, au nom du gouvernement soviétique, condamne ce projet, ce qui entraîne rapidement son abandon74. Cette crise momentanée a laissé des traces, les Soviétiques ayant perçu cette fédération comme une tentative de regroupement d’États occidentaux tourné contre le communisme et l’URSS. Quant aux Français, l’épisode leur confirme qu’ils n’occupent qu’une place contingente dans la politique mondiale de l’URSS, cette attitude réduisant encore la marge de manœuvre du CFLN pour s’affirmer comme acteur à part entière de la Grande Alliance. Toutefois, ce n’est pas seulement les tensions avec les Anglo-Saxons et la dure réalité des rapports de force qui expliquent le durcissement de Moscou.
35La demande du CFLN de faire transférer en Afrique du Nord les Français incorporés dans la Wehrmacht et faits prisonniers par l’Armée rouge a fortement irrité les dirigeants soviétiques qui l’ont perçu comme un geste inamical75. Cet épisode participe d’un problème plus général, car les Soviétiques sont insatisfaits de la qualité de leurs relations avec Alger. Alors que Garreau et, à un degré moindre, Petit jugent que Moscou reste bien disposé vis-à-vis des Français, Pierre Cot découvre ce problème lors de son arrivée en URSS :
« J’ai […] été frappé de trouver ici un climat beaucoup moins favorable qu’on ne pourrait le croire. Dans le passé récent, certaines questions ont peut-être été traitées à Alger sous un angle principalement technique ou juridique, alors qu’à Moscou on leur attribuait une portée essentiellement politique76. »
36Selon Cot, les relations franco-soviétiques ont eu tendance à se distendre avant tout parce que les Soviétiques ne trouvent pas d’interlocuteurs stables et représentatifs parmi les diplomates d’Alger. Même si d’autres facteurs ont joué, ce constat paraît justifié, puisque les Soviétiques se plaignent de l’absence de suivi des questions russes au commissariat aux Affaires étrangères77. Il ne s’agit pas d’une attitude délibérée, mais des conséquences de l’inexistence d’un véritable outil diplomatique du CFLN en raison de la désorganisation des services d’Alger et du manque de personnel compétent78. Ainsi, le 30 mai 1944, les Soviétiques annoncent à Garreau qu’ils sont prêts à envoyer un consul à Damas, ce qui revient à reconnaître la France comme puissance mandataire en Syrie, une démarche d’une grande portée compte tenu de l’attitude hégémonique des Britanniques au Moyen-Orient. Pourtant, Alger ayant été rapidement informée, deux semaines plus tard, Garreau n’a encore reçu aucune réponse de sa hiérarchie79.
37Du côté militaire, le suivi des questions soviétiques est lui aussi défaillant. Le 3 janvier, Petit écrit dans son Carnet que les télégrammes reçus d’Alger « frisent l’incohérence et dénotent l’absence de toute centralisation et même de toute discipline dans le travail ». Le 28 avril, il note que le Comité de la Défense nationale est défaillant dans la transmission des renseignements aux Soviétiques80 et, rappelant la qualité des relations militaires franco-soviétiques, il prévient Alger que « la plus grande franchise est nécessaire » pour conserver « cette situation privilégiée81 ». Dans la même période, les longues négociations pour créer un deuxième régiment d’aviation échouent et le lieutenant Lefèvre estime que le prestige du régiment Normandie a baissé chez les Soviétiques parce que la qualité moyenne des pilotes envoyés en renfort par Alger est devenue insuffisante82. Aussi, les retards et contretemps, les engagements non tenus et les changements qui interviennent après que des décisions aient pourtant été prises sont perçus par les Soviétiques comme la reproduction des pratiques dilatoires ou des tergiversations des années 1930, et les précautions prises pour ménager leur susceptibilité n’y changent rien83.
38La question de l’installation d’un poste de radio à la MMF fournit un exemple caricatural de cette inconséquence qui mêle désorganisation, amateurisme politique et absence de gouvernance stratégique. À la fin de l’année 1943, Petit écrit au général Béthouart, chef d’état-major de la Défense nationale qui vient d’être créé, pour demander une amélioration des liaisons entre la MMF et Alger afin d’éviter les lenteurs auxquelles, selon lui, les Soviétiques attribuent une signification politique84. Le 4 janvier 1944, l’EMDN informe Petit qu’il est favorable à la mise en place d’une liaison radio entre la MMF et Alger, puisque la MM britannique a été autorisée à en créer une avec Londres ; le 8 février, Petit transmet une demande officielle aux autorités soviétiques qui le 16 mai donne leur accord pour un poste d’une puissance limitée et sous condition de réciprocité. Mais, le 22 mai, l’EMDN annonce à Petit que l’ouverture de la liaison radio est inutile et que la proposition soviétique doit rester sans suite ; trois jours après, Petit demande à l’EMDN de réviser sa position mais, le 31 mai, la réponse reçue d’Alger confirme la décision prise au motif que la réciprocité créerait un précédent trop dangereux. Mais, la question rebondit quand, le 6 juin, Petit apprend à l’occasion d’une conversation avec des Soviétiques qu’une liaison radio a été récemment établie entre la MM de l’Armée rouge à Alger et Moscou85 ! Petit en conclut que la condition de réciprocité ne se pose plus et il réclame à nouveau l’installation d’une radio à la MMF ; le 21 juin, l’EMDN répond que cette demande ne peut être satisfaite faute de poste disponible ; enfin, le 24 novembre, Petit relance le projet en proposant de se procurer un poste en Russie. La réponse à cette proposition n’est pas connue et, qu’elle qu’en soit la raison, elle ne peut se concrétiser puisqu’en mars 1945, Petit demande à Beyrouth un poste de radio. La réponse positive reçue le 4 avril précise toutefois que le poste sera envoyé sans le personnel nécessaire pour le faire fonctionner.
39Après les difficultés des premiers mois de 1944, Moscou donne dans les semaines qui précèdent le débarquement quelques signes d’inflexion vers une attitude plus favorable au CFLN : Dekanozov, vice-commissaire aux Affaires étrangères, exprime ses vives félicitations suite aux succès des troupes françaises en Italie86 ; le 19 mai, Ilya Ehrenbourg prononce une conférence très favorable pour la France qui remporte un succès d’affluence dont la presse soviétique rend compte en insistant sur la nécessité de restaurer la grandeur française et en critiquant la politique anglo-saxonne vis-à-vis d’Alger87 ; enfin la délégation française confirme dans la même période que les Soviétiques ne sont pas favorables à l’instauration de l’AMGOT en cas de débarquement allié en France88 ; Pierre Cot rapporte le traitement exceptionnel qui lui est réservé, en particulier l’autorisation qui lui a été accordée de se rendre sur le front89. Tous ces indices convergents corroborent un télégramme de Garreau, reçu le 13 mai, qui annonce un tournant de la politique soviétique en faveur de la France : il estime qu’au sein de la direction soviétique partagée entre les « sceptiques », qui considèrent les Français comme hors jeu pour longtemps, et ceux qui défendent l’alliance franco-soviétique comme le fondement de la paix en Europe, Staline a tranché en faveur de ces derniers90. En juin, à la suite de la création du GPRF, puis du débarquement en Normandie, le cours francophile de la politique soviétique se confirme : si la création du gouvernement provisoire n’entraîne pas sa reconnaissance officielle immédiate par l’URSS, La Pravda cite le CFLN comme le gouvernement provisoire de la république française91 ; les dépêches de l’agence Tass évoquent de plus en plus souvent la France92 ; au cours d’une conversation entre l’ambassadeur des États-Unis et Ehrenbourg, celui-ci défend avec vigueur de Gaulle que le diplomate critiquait sévèrement93. Dans la nouvelle période décisive qui commence, la politique soviétique de de Gaulle paraît enfin couronnée de succès, permettant ainsi de sortir d’une longue phase de fluctuations diplomatiques qui maintenaient la France dans une position contingente au sein du camp allié. Parallèlement, les relations militaires franco-soviétiques étaient elle aussi fluctuantes, sans toutefois qu’une étroite corrélation soit repérable entre péripéties diplomatiques et difficultés sur le terrain militaire, celles-ci relevant surtout des aléas ou des faiblesses matériels, mais également des divergences ou luttes d’influence entre Français d’Alger, de Londres et de Moscou.
La présence militaire française en Russie : fragilité, incertitudes et luttes d’influence
40L’affermissement des structures militaire et de commandement d’Alger n’entraîne pas un resserrement des liens avec les forces armées soviétiques et l’arrivée en décembre 1943 d’une importante mission militaire de l’armée et de la marine rouges en Afrique de Nord ne semble pas avoir eu d’impact particulier sur les relations entre les forces armées françaises et soviétiques94. Pour l’essentiel, l’évolution de ses relations consiste à renforcer les acquis hérités de la période précédente, c’est-à-dire augmenter les effectifs du groupe Normandie et de la MMF, ainsi que clarifier le statut de cette dernière, et maintenir l’échange de renseignements. Ces modestes progrès s’effectuent avec lenteur au prix de beaucoup de difficultés et, très probablement, de pas mal de déceptions chez ceux qui militaient le plus ardemment en faveur du développement de l’engagement militaire français en URSS. En outre, la question des prisonniers de guerre français sous uniforme allemand, en grande majorité Alsaciens-Lorrains, sera source de tension entre Alger et Moscou, ce hiatus illustrant l’incapacité des Français à assurer cohérence et continuité dans la gestion de la présence militaire française en URSS. Toutefois, la MMF gagne en efficacité au cours du second semestre 1943.
La MMF entre rayonnement, conflits et problème statutaire
41Les conditions de vie à la mission restent très difficiles, mais quelques améliorations s’échelonnent au fil des mois. Ainsi, le général Petit se félicite au cours de l’automne d’avoir réussi à faire livrer trois tonnes de pommes de terre et une tonne et demie de choux pour passer l’hiver ! Les problèmes de santé du personnel restent récurrents en raison des problèmes alimentaires et d’un chauffage souvent défaillant. Par exemple, en avril 1944, la chaudière tombe en panne et les réunions doivent se tenir dans la chambre de la fille de Petit, équipée d’un radiateur électrique. Mais, pour les grandes occasions, l’accès à des produits de luxe redevient parfois possible. Ainsi, les réceptions organisées par la MMF sont quelquefois arrosées de porto et, le 12 octobre 1943 à l’occasion d’un « excellent repas » avec des officiers supérieurs soviétiques qui l’ont invité, Petit amène six bouteilles de champagne, probablement russes toutefois. Mais, sur la route du retour, il profite d’une opportunité pour acheter cinq poules et un coq qu’il rapporte à la mission ! Nouvelle étape significative du relèvement soviétique et de ses retombées pour les militaires français, le 20 juin 1944, Petit peut enfin acheter une bicyclette.
42En dépit des pénuries, l’amélioration des ressources accroît les capacités d’accueil de la mission qui devient un lieu de retrouvailles, de repos et de conversation pour les Français résidents ou de passage à Moscou. Le témoignage de Jean Mens, aviateur qui assure à partir de mai 1943 les liaisons aériennes de la France libre avec Moscou, donne un bon aperçu de l’ambiance d’alors à la MMF :
« Le général Petit […] m’invite plusieurs fois à déjeuner à la mission. Je vais faire là de très bons copains que je reverrai pratiquement à chaque voyage, d’autant plus que l’atmosphère parmi eux est bien plus sympathique qu’à l’ambassade95. »
43Les visiteurs les plus nombreux et les plus présents sont les aviateurs du groupe Normandie, soit ceux qui arrivent en renfort depuis le Moyen-Orient, soit ceux en permission, en mission ou en transit dans la capitale. Quelques personnalités dominent parmi les habitués : d’abord le commandant Pouyade, en séjours fréquents à Moscou ; ensuite des pilotes qui appartiennent surtout au noyau originel de Normandie. Marcel Lefèvre sort du lot en raison des relations étroites qu’il a noué avec le général Petit et sa famille, et d’un rayonnement qui lui vaut la confiance et l’estime des autorités militaires soviétiques. Les dirigeants communistes français sont aussi des familiers de la mission : après le départ pour Alger de Marty, qui « se considérait comme ami de la maison96 », le député Arthur Ramette assure la liaison entre le PCF et la MMF. Il est manifestement apprécié par Petit avec lequel il a de longues conversations et partage de nombreux repas. Maurice Thorez, dont la présence en URSS est officialisée en juin 1943, devient l’un des visiteurs réguliers, de même que l’écrivain communiste Jean-Richard Bloch qui entretient des relations étroites avec des militaires97.
44Les occasions de rencontre dans les locaux de la mission entre communistes et officiers en poste ou de passage deviennent plus nombreuses que dans la période précédente : le 1er janvier1944, lors du cocktail offert aux 15 aviateurs arrivés en renfort pour Normandie, Ramette figure parmi les invités et, le 16 juillet suivant, lors de la réception organisée par Pierre Cot, Thorez est invité et chante en fin de soirée le Petit Quinquin ; le 25 juillet, lors d’un repas organisé par la MMF, Pouyade a une longue conversation avec Thorez et l’interroge sur le pacte germano-soviétique et sa désertion98. Aucun indice de friction n’est repérable dans les sources ou les témoignages, tandis qu’ils rapportent des exemples de relations cordiales, voire amicales. Ainsi, dans ses Mémoires, Christian Fouchet, affecté à la MMF au printemps 1944, écrira : « J’ai fort bien connu Maurice Thorez et je garde du grand leader communiste un souvenir frappant et, dans l’ensemble, très sympathique99. » En août 1944, le capitaine Cuffaut, du régiment Normandie adresse une lettre chaleureuse à Jean-Richard Bloch dans laquelle il évoque l’amitié qui liait l’écrivain à Marcel Lefèvre, décédé deux mois plus tôt. Nul doute que l’isolement des Français en URSS, leurs dures conditions de vie, leur attachement à l’URSS en guerre et leur patriotisme les soudent d’autant plus fortement que l’évolution des événements incite à l’optimisme au fur et à mesure que la victoire des alliés devient de plus en plus certaine.
45Mais, ce sont les annonces de la mort des pilotes de Normandie qui s’égrènent au fil des mois et plus encore leurs obsèques, lorsqu’ils sont ensevelis à Moscou, qui entretient le lien émotionnel le plus fort entre les militaires de la MMF et ceux qui en sont devenus des habitués ou des visiteurs plus épisodiques. Le facteur humain compte en effet beaucoup dans la vie quotidienne de la mission. En particulier, ses officiers, tout particulièrement Petit, consacrent beaucoup de temps à la visite des blessés de Normandie hospitalisés à Moscou. Ainsi, dans ces Carnets, sa fille, Annette, fait une description précise et émouvante de la longue agonie de Marcel Lefèvre, puis de ses obsèques religieuses.
46Dans un autre registre, le facteur passionnel joue également son rôle dans les rebondissements du conflit avec la délégation. C’est au cours de l’été 1943, en l’absence de Petit encore à Londres, qu’elle atteint son paroxysme et excède le cadre du seul conflit entre la MMF et Garreau. En juillet, ce dernier se plaint à Londres de l’attitude de Mirlesse qui, en tant que chef par intérim de la MMF, a assisté sans en référer au délégué à la cérémonie marquant la création en URSS de la 1re division polonaise. Le 10 août, Schmittlein, pourtant adjoint de Garreau, prend la défense de Mirlesse en télégraphiant à Londres qu’il s’agit d’un « officier d’une haute valeur intellectuelle et morale qui a su donner à la mission militaire une dignité que ne possède pas la délégation100. » Il adresse également une lettre à Mirlesse lui rapportant les propos de Garreau qui l’a qualifié d’« infâme petit maquereau juif », de « misérable traître » et d’« agent américain101 ». Le 21 août, de retour de Londres, le général Petit rencontre Schmittlein et, trois jours plus tard, ils s’entendent pour travailler désormais en étroite collaboration. On assiste donc à un rapprochement des militaires dirigé contre Garreau102. Mais cette grave crise va tourner court au début de l’automne à la suite du changement d’affectation de Schmittlein et de Mirlesse, le premier ayant demandé depuis plusieurs mois son affectation dans une unité combattante, le second ayant réclamé son départ de Russie si Garreau était maintenu à son poste. Si ce dernier a été couvert par le CFLN, il n’en demeure pas moins que le conflit entre la MMF et la délégation s’achève à l’avantage de Petit. En effet, ce dernier rentre de Londres sensiblement conforté, à la fois sur le plan statutaire, puisqu’il est revenu à Moscou avec un ordre de mission qui le désigne comme chef de la MMF, non subordonné à Garreau, mais plus encore sur le plan moral et politique puisqu’il a été chargé par de Gaulle de remettre une lettre à Staline qu’il rencontre le 15 septembre103.
47Cette clarification permet enfin d’engager les négociations avec les Soviétiques pour régler la question de la reconnaissance officielle de la MMF. Le 20 août, Schmittlein envoyait un télégramme pressant à l’EMP, rappelant que le commissariat à la Défense avait réitéré plusieurs fois sa demande de clarification et que, s’il était favorable à la formation d’une MMF, il manifestait « une certaine impatience » face à l’immobilisme des autorités françaises de Londres et d’Alger104. Dès son retour, Petit demande à engager des démarches auprès du Commissariat aux Affaires étrangères105, mais le Comité de Défense nationale ne comprend pas qu’il est nécessaire de passer par la voie diplomatique. Le 5 septembre, il se limite à confirmer que la désignation de Petit comme chef de la MMF est définitive, qu’il est chargé de négocier sa mise en place avec le haut commandement soviétique, que l’effectif de la mission sera porté à 10 officiers des trois armes et qu’une MM soviétique d’un effectif équivalent sera accueillie à Alger106. Deux jours plus tard, Petit envoie un nouveau télégramme pour demander que la question de la MMF soit réglée rapidement par la voie diplomatique, qu’il s’agit d’une simple formalité, mais que si les Français traînent encore, ce retard sera interprété par les Soviétiques comme un indice de doute, voire de suspicion, à leur égard107. Le 11 septembre, Schmittlein fait connaître son plein accord avec Petit et rappelle au comité de la Défense nationale que toute négociation doit passer par le Commissariat aux Affaires étrangères, ce qui semble indiquer que depuis Alger, la diplomatie soviétique n’a pas encore été saisie de la requête française108. Il est vrai que les circonstances ne s’y prêtent guère, car Bogomolov n’arrivera à Alger que début octobre en tant que représentant du gouvernement soviétique. La reconnaissance officielle de la MMF s’effectue dans le courant du mois de septembre, mais l’absence de documentation ne permet pas d’en donner la date exacte109. L’accord intervenu renforce la position française en URSS puisqu’elle donne aux militaires français un statut égal à celui de leurs homologues des MM américaine et britannique, tout en faisant disparaître le principal motif de conflit entre la MMF et Garreau.
L’affirmation de la Mission militaire en Russie : un rôle militaire, mais aussi politique
48Si la clarification des fonctions et des statuts contribue fortement à normaliser les relations entre la MMF et la délégation, d’autres facteurs jouent aussi en ce sens. L’amélioration relative des conditions matérielles et financières réduit les motifs de heurts et d’exaspération mutuelle. L’atténuation de l’isolement participe aussi de cette évolution d’ensemble : d’une part, parce que les liaisons avec le Moyen-Orient, Alger et Londres deviennent plus sûres et plus fréquentes au fur et à mesure que l’emprise des alliés sur le bassin méditerranéen se renforce110 ; d’autre part, parce que le retour en août de la délégation à Moscou facilite la communication entre diplomates et militaires, limitant ainsi les causes de malentendus. D’ailleurs, dans l’ensemble, les deux organismes gagnent en efficacité grâce à une augmentation de leurs moyens matériels et humains. En mars et avril 1944, la MMF bénéficie de l’arrivée d’un nouveau contingent constitué du lieutenant de vaisseau Mazoyer et des capitaines Neurohr et Christian Fouchet, tandis qu’Éric de Carbonnel et Francis Huré étoffent le personnel de la délégation111. En mai, le lieutenant-colonel Jean Demozay, alias Morlaix, est affecté à la MMF pour y représenter le département Air112.
49La normalisation des relations entre la MMF et la délégation n’empêche pas que surviennent des frictions épisodiques en raison d’une rivalité latente qui perdure. Ainsi, en mars 1944, Garreau reproche à la MMF de s’adresser directement au Commissariat aux Affaires étrangères113. De son côté, Petit exprime à l’occasion sa piètre opinion de Garreau et il consigne dans ses Carnets, avec un plaisir évident, les anecdotes ou propos désobligeants qui le concernent : le 29 avril 1944, Cot critique le délégué qui « déblatère » en public contre les Américains ; le 17 juillet suivant, Petit décrit le comportement de Garreau au cours d’une soirée et conclut : « Et il y a bientôt deux ans de demi que la France est représentée par cet individu. » Mais, si à partir de l’automne 1943, le conflit avec la délégation est pour l’essentiel réglé, d’autres rivalités et tensions, autrement plus complexes et difficiles à cerner, affectent la MMF.
50Pour l’essentiel, il s’agit d’une lutte d’influence autour du groupe Normandie entre le général Petit, qui veut maintenir sa pleine autorité sur l’unité, et le haut commandement des forces aériennes, qui cherche à établir des liens directs avec le groupe. Cette tension est compliquée par l’antagonisme entre le général Valin, chef des FAFL à Londres, et le général Bouscat, qui exerce à Alger le commandement de l’ensemble des forces aériennes françaises. Ces difficultés ne sont pas sans effets sur les relations entre Petit et les aviateurs de Normandie, surtout en matière de protocole et plus encore de discipline. Il paraît probable que l’EM Air cherche au cours du deuxième semestre 1943 à affaiblir la position de Petit, ce qui conduit celui-ci à réaffirmer sa fonction de commandant supérieur des forces aériennes en URSS, une position qui ne semble pas admise par le département Air114. Le chef de la MMF ne manque donc pas une occasion de rappeler ses prérogatives. En décembre, il conteste la délégation de remise de la légion d’Honneur attribuée à Pouyade, car il estime qu’elle fait partie de ses attributions115. En janvier, il s’oppose à un accord intervenu directement entre le commandement de Normandie et la MM britannique pour que cette dernière fournisse des rations alimentaires au groupe aérien116. Petit est également strict sur la discipline qu’il applique dans l’esprit de l’armée de Terre, moins souple et plus formel que celui de l’aviation, mais surtout selon le règlement de l’armée soviétique. Cette attitude de Petit ne s’explique pas seulement par un formalisme pointilleux, mais également, et probablement surtout, par la préoccupation constante d’éviter tout incident avec le haut commandement soviétique en prêtant le flanc à ses critiques, en froissant sa susceptibilité ou en suscitant sa suspicion117.
51Une série d’épisodes contribuent ainsi à distendre les relations entre Petit et les hommes de Normandie, à commencer par Pouyade, une dégradation qui s’explique aussi par la disparition progressive de la plupart des pilotes du noyau d’origine du régiment. Ainsi, en janvier 1944, Petit refuse que l’aviateur Anatole Corot soit définitivement affecté au régiment Normandie parce qu’en infraction avec le règlement de l’Armée rouge, il a vendu une montre à un Soviétique118 ; en mai, il décide le renvoi du capitaine Neurohr qui par négligence a donné des informations secrètes à une Russe « qui est évidemment contrôlée par la police119 ». Cette exigence de discipline, aux motivations principalement politiques, participe d’un effort systématique pour améliorer et resserrer les relations avec l’Armée rouge. Mais cet enjeu prioritaire pour la MMF donne des résultats mitigés.
52À partir de l’automne, la MMF a des relations plus faciles avec les autorités soviétiques qui, dans les mois passés, avaient manifesté leur irritation non seulement en raison du flou juridique de la représentation des forces armées françaises à Moscou, mais également à cause de l’absence prolongée du général Petit. Les Soviétiques tiennent particulièrement à son retour puisque dès juin, Bogomolov demande qu’il revienne rapidement à Moscou120. Début août, Mirlesse signale à Alger que l’absence de Petit est interprétée comme de la froideur ou de la négligence de la part du CFLN121. Il ne s’agit pas d’artifice, car les Soviétiques considèrent Petit comme un interlocuteur plus crédible que Garreau et il le ménage comme s’il s’agissait d’un intermédiaire possédant une relative influence122. Ainsi, il est autorisé à se rendre sur le front, « une faveur exceptionnelle », et le 15 septembre il a une entrevue avec Staline qui le reçoit avec bienveillance123. En avril 1944, Petit réaffirme que les Français continuent de bénéficier en URSS d’un traitement de faveur sur le plan militaire, même s’il s’inquiète de sa possible remise en cause en raison des carences d’Alger dans le suivi des affaires russes124. C’est pour cette raison qu’il écrit au général Béthouart, chef d’état-major de la Défense nationale qui vient d’être créé, pour demander une amélioration des liaisons entre la MMF et Alger afin d’éviter les lenteurs auxquelles les Soviétiques attribuent une signification politique. Il demande également la création au sein de l’EMDN d’une section URSS qui permettrait d’homogénéiser la politique soviétique des forces armées et ses relations avec l’Armée rouge, et par là même d’éviter les indécisions qui caractérisent trop souvent l’une comme les autres125.
53Si Petit tend à surestimer les marques d’attention des Soviétiques, plusieurs indices montrent que l’influence et le rôle de la MMF débordent du seul cadre militaire, car Alger la privilégie pour représenter le CFLN en URSS. D’abord, elle conserve le strict monopole de la représentation des forces armées. Ainsi, lorsqu’en avril, Pierre Cot suggère la création des postes d’attachés militaire, Guerre, Air, Marine, pour renforcer une délégation dépourvue de moyens et de rayonnement, sa proposition reste sans suite126, en dépit des demandes réitérées de Garreau127. Récemment arrivés, le capitaine Jean Neurohr, chargé de suivre la question des prisonniers alsaciens128, et le lieutenant de vaisseau Mazoyer, représentant le département Marine, restent affectés à la MMF, et il est prévu que le lieutenant-colonel Jean Demozay, alias Morlaix, rejoigne lui aussi la mission dans le courant de l’été pour y représenter le département Air. Les meilleures dotations dont bénéficie la MMF pourraient s’expliquer par la priorité donnée aux relations militaires avec les Soviétiques. Mais cette interprétation est insuffisante, car le détail des Carnets du général Petit montre que la MMF a une activité non négligeable sur le plan diplomatique et un rôle politique évident en raison de ses contacts avec les dirigeants du PCF.
54En effet, dès son retour à Moscou et tout au long de l’automne, Petit multiplie les rencontres avec les ambassadeurs des pays alliés ou neutres récemment revenus de Kuibyshev, tout en entretenant d’excellentes relations avec les missions militaires anglo-saxonnes. Au premier semestre 1944, ces rencontres semblent devenir plus nombreuses encore. Autres indices importants, lorsqu’il quitte Londres, Petit reçoit de Massigli un ensemble de documents diplomatiques secrets qu’il a pour consigne de conserver à Moscou et de ne pas transmettre à Garreau. Quant au PCF, ses dirigeants continuent d’entretenir des contacts plus nombreux avec la MMF qu’avec la Délégation, y compris après son transfert à Moscou. Il ne s’agit nullement de la seule initiative des communistes puisque Alger joue également le jeu des relations privilégiées entre la MMF et les dirigeants du PCF. Ainsi, les documents qui leur sont adressés depuis Alger transitent par la mission où ils leur sont remis en main propre129. Les relations entre les dirigeants communistes et la MMF sont systématisées et les entretiens nombreux, y compris à titre privé. Entre le 1er janvier et le 26 juin 1944, Ramette, chargé depuis le départ de Marty de la liaison entre le PCF et la MMF, ne s’y rend pas moins de 14 fois et Petit, qui apprécie manifestement sa conversation, entretient avec lui des relations plus étroites qu’avec son prédécesseur130. Quant à Thorez, dès sa réapparition officielle à Moscou, il multiplie les visites puisqu’à six reprises, entre le 30 juin et le 15 juillet, il a l’occasion de rencontrer Petit, soit à la mission, soit à l’extérieur.
55Les relations avec les représentants du PCF touchent également au terrain proprement militaire au sujet de soldats français, communistes, qui s’étaient évadés des camps de prisonniers de guerre allemands, avaient gagné les lignes soviétiques, et que le capitaine Billotte avait refusé de faire acheminer vers l’Angleterre en septembre 1941131.
56Après avoir reçu une formation politique pendant quelques mois, deux d’entre eux, Noël et Truco, rencontrent Garraud en mars 1943 pour demander à intégrer Normandie, mais l’entrevue se passe mal, car le délégué a lu le rapport rédigé par Billotte qui les qualifiait « d’agitateurs spécialement dangereux ». Ils se rendent ensuite à la MMF où Mirlesse et Petit vont faire le nécessaire pour qu’en mai, ils rejoignent Normandie comme interprètes, Truco auprès de Tulasne et Noël auprès de Pouyade, pour lequel il occupe également le poste de second mécanicien132. Dans la même période, la MMF permettra à cinq autres évadés, classés comme communistes, de rejoindre les FFL au Moyen-Orient.
57Il est invraisemblable que les relations officialisées entre la MMF et les dirigeants communistes à Moscou n’aient pas fait l’objet d’instructions adressées à Petit et que ces contacts n’aient pas donné lieu à des rapports adressés à Londres puis à Alger. L’absence complète de ce type de documents dans les archives laisse entier l’un des mystères de la MMF. Toutefois, s’il est indéniable que les communistes ont entretenu des relations plus étroites avec la MMF qu’avec la délégation, celle-ci joue également sa partition puisqu’en janvier 1944, Garreau se prononce pour l’intégration du PCF au CFLN et appuie sans réserve la demande pressante que Thorez adresse à de Gaulle pour qu’il l’autorise à gagner Alger133. L’hypothèse que la MMF, en étant le principal canal des relations entre le CFLN et l’URSS et secondairement avec le PCF, ait joué un rôle plus important que celui que lui attribue l’historiographie mérite d’être posée. Une anecdote fournit un indice sérieux allant dans ce sens : le capitaine de corvette Mazoyer rapporte à Petit qu’à Alger, avant son départ pour Moscou au printemps 1944, Billotte lui a confié qu’il souhaiterait le remplacer à la tête de la MMF134. Cette omniprésence du facteur politique dans l’activité de la MMF se vérifie également, sous une forme atténuée il est vrai, pour les forces armées françaises en URSS.
Les forces armées françaises en URSS entre survie et développement : un imbroglio difficile à cerner
58Dans l’année qui suit l’engagement du groupe Normandie dans la meurtrière bataille d’Orel en juillet 1943, la relation militaire franco-soviétique, si elle connaît diverses péripéties, reste constamment dominée par deux préoccupations : d’abord, maintenir les capacités opérationnelles de l’unité d’aviation très éprouvée par les combats, secondairement, développer la présence des forces armées françaises en URSS. Autour de ces questions, apparaît un conflit entre les généraux Bouscat et Valin dont les péripéties restent floues et les motivations obscures. Dans ce contexte tendu et compliqué, Petit semble jouer un rôle ambivalent. Se dégage de l’ensemble une impression d’opacité qui ne permet pas de dégager clairement dans l’attitude des uns et des autres la part du politique, du militaire, des arrière-pensées, des contraintes de nature diverses et des dysfonctionnements. Parfois, la combinaison de ces facteurs produit des situations caricaturales. Tel est le cas du projet d’installation d’un poste émetteur/récepteur à la MMF qui traîne durant près d’un an et demi, sans qu’il soit d’ailleurs établi que finalement il ait été mené à bien. Quant aux Soviétiques, leur attitude est également influencée par des considérations politiques liées aux circonstances et aux choix internationaux, mais également par leur appréciation de la capacité des Français à honorer leurs engagements.
59Quelques mois d’opérations révèlent très vite la fragilité structurelle du groupe Normandie : les pertes ont été lourdes, puisque sur les 14 pilotes arrivés en novembre 1942, il n’en reste plus que cinq en état de combattre en septembre 1943 ; mais le problème majeur qui se pose tient à la difficulté chronique de renouveler les pilotes et de combler les vides provoqués par les combats et les accidents. À la fin de l’été, le général Petit alerte Alger sur la situation critique de l’unité aérienne : il demande que, « pour raison d’ordre moral », les cinq survivants soient relevés à bref délai et qu’un renfort de 41 pilotes soit envoyé en URSS135. Mais, il pose aussi crûment la question de la qualité des personnels récemment acheminés puisqu’il affirme que sur neuf pilotes arrivés récemment à Téhéran depuis Alger pour rejoindre Normandie, seuls deux sont aptes à servir comme pilote de guerre136. Début septembre, les capacités du groupe sont donc inférieures à ce qu’elles étaient deux mois auparavant, et le 16 octobre Petit informe de Gaulle que le haut commandement soviétique a donné son accord pour que l’unité soit envoyée dans un secteur calme du front pour éviter les pertes, se recompléter, s’entraîner et permettre aux hommes de passer l’hiver en préservant leur santé137. La dégradation de l’état général du groupe de chasse est telle que Petit et Pouyade craignent son renvoi au Proche-Orient. Il est aussi probable que cette crainte est liée aux évolutions politiques à Alger et à la fusion des forces aériennes de de Gaulle et de Giraud. Le départ de Pouyade pour Alger, où il arrive le 19 novembre, n’a pas été seulement décidé pour qu’il aille convaincre le haut commandement d’envoyer des renforts suffisants et bien formés, mais également pour assurer la pérennité du groupe de chasse138. D’après son témoignage, Pouyade, reçu avec suspicion ou indifférence à Alger, y compris par les éléments de la France libre, parvient toutefois à conforter la position du groupe Normandie auprès des chefs militaires à la suite d’un long entretien avec les généraux Giraud et Bouscat139. Confirmant cette reconnaissance par les autorités militaires d’Alger, Giraud en personne le décore de la croix d’officier de la légion d’Honneur avant son retour à Moscou.
60Toutefois, dès le mois d’octobre, on constate déjà une meilleure prise en compte des besoins de Normandie. En septembre, Petit a envoyé au CND et à l’EM Air une série de télégrammes acrimonieux exigeant du commandement « une manifestation tangible d’équité » dans l’avancement et l’attribution des décorations qui sont restés bloqués depuis plusieurs mois par « les négligences » des services d’Alger et de l’état-major140. À la mi-octobre, Petit est informé que le groupe aérien va recevoir promotions, citations et renforts141. L’arrivée fin décembre de 15 aviateurs permet en février la transformation du groupe en régiment de trois escadrilles, Rouen, Le Havre et Cherbourg. Mais cette amélioration ne dure que quelques mois, puisqu’au printemps, le régiment apparaît à nouveau fragilisé et le moral des pilotes, surtout des plus anciens, dégradé.
61En avril, Annette Petit rapporte les propos que lui a tenus Marcel Lefèvre sur le changement d’ambiance au sein de l’unité142 et sur l’envoi par Alger des « moins bons » pilotes « comme pour couler Normandie ». Il estime que le prestige du régiment a baissé chez les Soviétiques, tant auprès du commandement que parmi les habitants de la région143. Le problème de la qualité des pilotes récemment affectés au régiment est corroboré par Pouyade qui affirme que leur formation insuffisante est une « catastrophe pour le prestige français144 ». À la même époque, la fille du général Petit assiste en tant que secrétaire à l’inspection de Normandie et elle écrit que les pilotes lui ont paru amaigris et fatigués145. Cette usure de l’unité résulte bien sûr de l’intensité des combats qui provoque de lourdes pertes, mais également de la difficulté à remplacer les pilotes perdus, ce qui induit un surcroît d’engagement des équipages, la fatigue constituant inévitablement une cause supplémentaire d’accroissement des pertes. Cette spirale descendante du potentiel combattant de Normandie fait à nouveau resurgir le risque d’un effondrement de ses capacités opérationnelles, alors qu’au même moment l’objectif officiel du CFLN et des forces armées françaises est de parvenir à mettre en ligne un deuxième régiment d’aviation en Russie.
62La mise en œuvre de ce projet, qui en définitive n’aboutira pas, a suivi un processus long, sinueux, marqué par des rebondissements et une série d’épisodes conflictuels. En dépit d’une documentation assez abondante, cette affaire reste obscure et il est difficile de démêler les causes de cet échec en distinguant, d’une part les luttes d’influence, le poids des enjeux politiques et, d’autre part, la précarité de la présence militaire française en URSS, le problème des liaisons avec Alger et Londres et les lenteurs des bureaucraties diplomatiques et militaires, tant françaises que soviétiques.
63C’est en juin 1943 que la création de nouvelles unités aériennes en URSS commence à être officiellement envisagée. Le général Valin avait déjà demandé à Mirlesse d’explorer cette possibilité et de sonder les Soviétiques, tandis qu’à Londres le général d’Astier se tenait prêt à engager des négociations en ce sens avec Bogomolov. Valin se montre toutefois circonspect sur les chances d’aboutir en raison de l’attitude moins favorable des Soviétiques vis-à-vis des Français146. Mais à Alger, la France libre se montre beaucoup plus optimiste puisqu’elle juge « envisageable » de porter Normandie à trois escadrilles et de transférer en URSS le groupe de bombardement Bretagne147. Dans les semaines qui suivent la situation évolue favorablement : avec l’arrivée de neuf aviateurs début juin, des appareils sont livrés à Normandie, ce qui permet au groupe de constituer en juillet une deuxième escadrille. Parallèlement, Mirlesse reçoit des garanties du haut commandement soviétique pour la création de nouvelles unités aériennes148. Au même moment, des négociations sont entamées à Londres le 17 juin entre les généraux Petit, d’Astier et l’ambassadeur Bogomolov. Ce dernier, qui ne connaît pas la position du haut commandement de l’Armée rouge, se montre réticent : concernant le développement de Normandie, il considère que Petit doit rentrer à Moscou pour régler ses modalités ; quant à l’envoi du groupe Bretagne, il s’agit pour lui d’une éventualité qui ne pourra être concrétisée qu’au moment où le commandement français aura terminé sa réorganisation. À nouveau, la mauvaise coordination chez les Soviétiques entre Londres et Moscou et entre diplomatie et forces armées freine la réalisation d’un accord. Il est vrai que Bogomolov se montre perspicace quand il conditionne l’acheminement de Bretagne à la restructuration des FAF et de son état-major.
64L’avenir des forces aériennes en URSS dépend en effet de la fusion entre les FAFL et l’ex-armée de l’Air de Vichy au cours de l’été 1943. Compte tenu du rapport des forces, cette réorganisation s’effectue sous le commandement de chefs issus de l’aviation de Vichy149. En conséquence, le général Bouscat, général de corps aérien, est nommé chef d’état-major général des FAF par décret du 1er juillet 1943, tandis que Valin, général de brigade, se retrouve marginalisé en dépit de sa nomination comme adjoint du commandant en chef des FAF. La priorité de l’EMGA est la réalisation d’un plan de réarmement des forces aériennes qu’il fait approuver le 8 août 1943 par le haut commandement interallié. Ce plan ambitieux, qui prévoit d’atteindre un effectif de 30 groupes aériens, dépend de la fourniture de matériel moderne par les Anglo-Saxons. Dans un tel contexte, l’heure n’est guère au renforcement des FAF en URSS, puisque les Anglais et les Américains n’ont jamais accepté à cette initiative de la France libre.
65Dans ces conditions d’ensemble défavorables, le général Valin, avec l’accord de de Gaulle, enclenche en juillet le processus de transfert du groupe Bretagne qui en août arrive en Syrie dans l’attente du départ en Russie. Il est probable que le chef des FAFL veut aboutir rapidement avant que la fusion des forces aériennes ait été terminée, à la fois pour mettre le nouvel EM Air devant le fait accompli et d’autre part pour affirmer le maintien de son autorité sur les unités françaises en URSS. Depuis Londres, il continue jusqu’au début de l’automne à signer ses instructions en tant que commandant en chef des forces aériennes françaises en Grande-Bretagne et en URSS150. Mais Bouscat va rapidement interférer dans les décisions concernant le devenir des forces aériennes françaises en Russie, son intervention visant en particulier à affirmer sa pleine autorité sur Normandie. Jusqu’au printemps 1944, le conflit larvé entre Bouscat et Valin va peser sur le problème aérien français en URSS.
66À Moscou, Petit, après son séjour à Londres et son passage à Alger, agit comme si le projet Bretagne était en cours de réalisation, le commandement soviétique ayant donné son accord pour la formation d’une unité de « 22 équipages de bombardement151 » : le 7 septembre, il demande confirmation par l’EMGA de son accord pour créer un groupe de bombardement en URSS ; le 15, l’EMGA répond que sa mise en place est « pratiquement » impossible dans les conditions présentes ; le 8 octobre, Petit demande pourtant à l’EMGA s’il est d’accord avec le lieutenant-colonel Jean Demozay, de l’EM des FAF au Moyen-Orient, qui est prêt à envoyer Bretagne ; trois jours plus tard, Bouscat confirme sa décision en précisant toutefois que Normandie sera sensiblement renforcée pour compenser l’abandon du projet Bretagne. Il précise ensuite à Petit qu’il est réglementairement son seul correspondant pour les questions aériennes152 et le 19 octobre il adresse à Valin un télégramme lui indiquant qu’aucun texte ne lui attribue une autorité spécifique sur le groupe Normandie et que « l’URSS étant maintenant officiellement représentée à Alger, il ne peut plus être question que les questions russes soient traitées à Londres ». En conséquence, Bouscat l’informe que désormais toutes les questions concernant les forces aériennes en URSS relèvent de sa seule autorité153.
67Ce télégramme ne met pas un terme au projet de Valin, puisque le 17 octobre Petit riposte en écrivant à de Gaulle et à Bouscat qu’à la suite de sa rencontre en août avec ce dernier à Alger, il était convaincu que le commandement des FAF était résolu à envoyer un groupe de bombardement en Russie. En conséquence, il avait informé l’EM de l’Armée rouge que cette unité arriverait en URSS à l’échéance de quatre à cinq mois. En conclusion, Petit insiste pour que satisfaction soit donnée aux Soviétiques qui souhaitent un envoi « très probable et prochain » du groupe de bombardement154. Ce télégramme n’est pas sans effet puisque le 21 octobre l’EMGA répond qu’il va demander des renseignements complémentaires avant de prendre une décision définitive. Celle-ci n’apparaît pas dans la documentation disponible, mais elle ne fait à l’évidence que confirmer celle prise précédemment, puisqu’en novembre, le groupe Bretagne est renvoyé en Afrique du Nord. Cet épisode ne permet pas de conclure que Bouscat est hostile à la présence aérienne française en URSS. S’il est favorable à l’établissement de bonnes relations avec les Soviétiques, il ne marque pas d’intérêt particulier pour la Russie et lorsque dans ses Mémoires il rapporte ses nombreux entretiens avec de Gaulle, il n’évoque en rien les relations franco-soviétiques, alors qu’il est très improbable que de Gaulle ne lui en ait pas parlé. Mais à l’inverse, on ne peut conclure que Valin ait la ferme volonté de renforcer les FAF en Russie. Il semble plutôt que la rivalité entre les deux généraux autour des FAF en URSS relève d’une lutte d’influence entre les ex-FFL et les ex-militaires d’Afrique du Nord pour le contrôle de Normandie plutôt que d’un antagonisme provoqué par le projet d’alliance franco-soviétique de de Gaulle. L’attitude du général Petit face à cette rivalité qui se poursuit au-delà de l’automne tend à confirmer cette interprétation.
Le régiment Normandie, un enjeu dans la fusion des FAF
68Valin refuse d’être écarté de son commandement des FAF en Russie et, au cours de l’automne, il veut affirmer ses prérogatives en menant une mission d’inspection de Normandie. Or, dans cette lutte d’influence entre chefs des FAF, le général Petit joue un rôle ambigu : s’il appuie sans réserve le projet de groupe de bombardement, il s’emploie à empêcher la visite d’inspection. C’est en juillet que Valin demande à l’EM d’Alger l’autorisation de mener une mission d’inspection en Russie, une démarche restée sans réponse en raison de l’opposition probable de Bouscat155. Selon Mirlesse, à son retour à Moscou, Petit, qui curieusement n’aurait pas été informé de ce projet lors de son séjour à Londres, écrit au commissariat à la Défense que ce voyage lui paraît « prématuré156 ». Face à cette conjonction d’oppositions à la mission Valin, les gaullistes cherchent à la relancer en novembre, puisque Billotte, secrétaire du CDN, adresse une demande de visa à Bogomolov157 et que l’EMP envoie à Petit un télégramme pour s’étonner qu’il fasse autant de réserves sur l’opportunité de ce voyage158. Mais ces efforts restent sans effet puisque le 29 novembre Petit écrit à Valin pour estimer que, Normandie étant repliée à Toula tout l’hiver, une mission d’inspection ne se justifie plus jusqu’au printemps et il lui suggère plutôt d’agir en direction des Soviétiques pour aboutir à la mise en place du groupe de bombardement et obtenir la création d’un centre d’entraînement pour la chasse et éventuellement le bombardement159. Il est vrai qu’à l’automne 1943, l’état précaire des FAF en Russie incite à privilégier les facteurs structurels et à montrer aux Soviétiques que les soubresauts politiques d’Alger n’empêchent pas de poursuivre le renforcement des relations militaires franco-soviétiques.
69Fin 1943-début 1944, l’arrivée des renforts qui permet la transformation du groupe Normandie en régiment offre un contexte plus favorable aux initiatives gaullistes.
70En janvier, le commissariat à la Guerre et à l’Air produit une note, probablement adressée à l’EMGA, qui critique implicitement le retard pris dans le développement des FAF en URSS. Reprenant le contenu d’une note du général Valin adressée le 3 janvier à l’EMGA, le commissariat demande l’envoi de la mission Valin, le transfert d’autres unités aériennes en URSS, ainsi que l’établissement d’un commandement des FAF, assuré par le colonel Corniglion-Molinier160, et d’une mission Air161. À Moscou, Petit intervient à nouveau auprès du haut commandement Air de l’armée rouge afin d’avoir son accord pour former un nouveau régiment de chasse, sans perdre de vue le projet de groupe de bombardement, puisque le 6 janvier, il transmet à Alger les effectifs nécessaires à sa mise en place.
71À ce stade, l’EMGA semble désormais favorable à la formation d’un deuxième régiment de chasse puisque le 10 février il informe la MMF qu’un renfort de 17 pilotes est en cours d’acheminement162 et que l’envoi d’un nouveau contingent d’une trentaine d’éléments est en cours de recrutement en vue de créer le deuxième régiment163. Une dizaine de jours plus tard, Petit confirme au CDN la décision de Bouscat et l’abandon du projet de formation des aviateurs en URSS qui n’intéressait pas les Soviétiques164. Pourtant, début mars, Bouscat informe le commissariat à la Guerre et à l’Air que la formation du deuxième régiment est très problématique parce qu’elle n’a pas été prévue par le plan de réarmement des FAF. La tonalité de cette note revient à renoncer à la formation de la nouvelle unité, le principal argument étant le risque de rétorsion sévère des Anglo-Saxons pour sanctionner le transfert de pilotes en URSS165. Dès le lendemain, le commissariat adresse un télégramme à Petit lui demandant d’attendre « qu’au moins 75 % de l’effectif soit arrivé pour parler d’un deuxième régiment » et de rester très prudent vis-à-vis des Soviétiques au cas où il ne serait pas possible de réunir le personnel suffisant166. En outre, dans la même période, Bouscat renonce définitivement au transfert d’un groupe de bombardement167.
72Cette volte-face d’Alger déclenche une polémique assez confuse entre l’EMGA et Petit, relayé par le colonel Demozay qui relance alors le projet mis en sommeil de groupe de bombardement. Le 22 mars, Petit, dans un télégramme au CDN, prend position en faveur du maintien d’un seul régiment de chasse tant que la question des personnels ne sera pas réglée, la solution imaginée par l’EMGA de la formation progressive d’un deuxième régiment lui paraissant impraticable pour toute une série de raisons, en particulier parce qu’il estime que les Soviétiques ne l’accepteront pas et que Pouyade ne peut assurer la formation des contingents successifs de pilotes arrivés depuis le début de l’année. Enfin, Petit précise qu’il n’a pas informé les Soviétiques de l’abandon par Bouscat du projet de groupe de bombardement pour éviter une réaction négative à l’encontre des FAF168. Deux jours plus tard, Petit adresse un second télégramme au CND dans lequel il insiste sur le problème politique que pose « l’attitude incertaine » du commandement Air concernant le deuxième régiment de chasse, alors même que sa décision de renoncer au régiment de bombardement devra être prochainement transmise aux Soviétiques et que le CND vient de refuser la création d’une unité terrestre avec les Alsaciens-Lorrains. En conséquence, Petit demande une clarification concernant le deuxième régiment, en précisant que dans le cas où sa création serait abandonnée, Alger devrait fournir une argumentation recevable par les Russes, car jusqu’à présent les décisions prises ont été rarement motivées, empêchant la MMF de les transmettre aux autorités soviétiques « dans les formes convenables ». Ainsi, Petit fait remarquer que le report répété de la formation d’une nouvelle unité aérienne ne peut être justifié par la pénurie en personnel, car les Soviétiques savent que les FAF disposent de pilotes non formés par les Anglo-Saxons et qu’ils ont des capacités bien supérieures à celles des FAFL qui avaient pourtant pu créer Normandie un an plus tôt169. Le 31 mars, l’EMGA durcit le ton, accusant Petit de semer la confusion, tout en confirmant l’objectif de créer un deuxième régiment, mais à un horizon assez lointain170.
73Dans les deux mois qui suivent, les ex-Français libres accentuent leur pression sur les autorités civiles et militaires d’Alger : en avril ou mai, Petit écrit à Béthouard, qu’il connaît personnellement et qui vient de prendre le commandement du nouvel état-major de la Défense nationale, pour lui demander de prendre une décision définitive concernant le deuxième régiment de chasse171. Parallèlement, Demozay relance le projet d’unité de bombardement. En mai, il rédige une longue note, officiellement adressée à l’EMP mais mais plus probablement destinée au commissaire à l’Air, le communiste Fernand Grenier, qui dresse un réquisitoire contre Bouscat accusé d’avoir fait « obstruction » à la formation d’un régiment de bombardement en URSS. En conclusion, Demozay affirme que « l’envoi d’un groupe de bombardement P2 est possible172 et ceci dans des délais très brefs » et il fournit la liste du personnel disponible pour un départ rapide en Union soviétique173. Il est probable que Demozay, affecté au cabinet de Grenier, cherche à profiter de la nomination du commissaire en avril pour obtenir son appui dans le renforcement des FAF en URSS. Mais il semble que Grenier se montre prudent sur cette question. En juin, la création du deuxième régiment de chasse semble en passe d’être réalisée : le général Bouscat confirme à Grenier que le complément de pilotes nécessaires va être rapidement envoyé et l’EMGA informe au même moment Petit que le régiment prendra le nom de Paris174.
74Cet engagement de l’EMGA pour créer rapidement la nouvelle unité ne met pas fin au conflit avec les ex-Français libres, la polémique portant désormais sur la qualité des pilotes envoyés en Russie175. Fin juin, Petit s’adresse à nouveau à Béthouard pour l’avertir que la valeur moyenne des pilotes qui arriveront prochainement est médiocre et qu’il est nécessaire de renforcer leur encadrement, sinon « il vaudrait mieux renoncer à la constitution de l’unité176 ». Deux jours plus tard, Béthouard apporte son appui à la création du deuxième régiment, car il écrit au commissariat Air pour l’informer que le général de Gaulle veut que la nouvelle unité soit correctement encadrée et que satisfaction soit donnée aux demandes de Petit177. Mais ces efforts tournent court, car le 25 juillet, une rencontre entre Petit, accompagné de Pouyade, et le général Lvandovitch, du haut commandement de l’Armée rouge, se concluent par la décision d’abandonner la création du deuxième régiment, sa mise en place ne pouvant être accomplie avant l’arrivée de l’hiver178. Cette décision prise à Moscou scelle le sort du deuxième régiment, tout au moins pour l’année 1944. S’agit-il d’une initiative des Soviétiques qui aurait décidé d’interrompre les négociations ?
75Il semble plus probable que ce sont leurs interlocuteurs français, Petit et secondairement Pouyade, qui ont voulu orienter la décision dans ce sens compte tenu de la situation difficile du régiment Normandie et des capacités insuffisantes du personnel envoyé en Russie pour former le deuxième régiment. En effet, dès le 11 juillet, Petit informait l’EMGA que les négociations avec les Soviétiques continuaient, mais qu’il serait préférable de renoncer au deuxième régiment179. Au final, c’est la conjonction de deux facteurs défavorables qui pour l’essentiel ont provoqué cet échec : d’abord, la précarité de la position de Normandie qui fragilise le projet de lui juxtaposer une seconde unité de chasse ; ensuite, la méthode de formation par étapes choisie par l’EMGA qui dilue dans le temps les négociations toujours longues et complexes avec les Soviétiques, provoque la confusion entre renforts destinés à Normandie et effectifs prévus pour le deuxième régiment et empêche de régler la question de la formation des pilotes et de l’encadrement. À l’arrière-fond, pèsent également les conflits entre ex-Français Libres et l’EMGA, mais également entre le général Petit et les commandements Air de Londres et d’Alger. Peut-on considérer que l’EMGA a sciemment cherché à entraver la formation du deuxième régiment ? Si son hostilité au transfert d’un groupe de bombardement est évidente, il apparaît plutôt qu’il souhaite la création d’une deuxième unité, mais sans en faire une priorité, car il privilégie l’effort de guerre au côté des Anglo-Saxons et considère les relations avec les Soviétiques comme une question d’ordre très secondaire, qui n’implique pas de faire preuve de volontarisme sur le terrain militaire. Au début de 1943, l’ex-état-major Air de Vichy avait montré son intérêt pour établir des relations avec les Soviétiques, y compris par l’envoi d’aviateur en URSS. Rien n’indique que le général Bouscat ait changé de position sur ce point. Il est vrai toutefois que des officiers de l’état-major ont très vraisemblablement cherché à entraver l’engagement aérien français en direction de l’URSS180.
76Cette attitude n’est pas particulière à l’EMGA puisqu’on la retrouve également dans le projet de formation d’une unité terrestre constituée de prisonniers de guerre alsaciens-lorrains, avec, toutefois, des considérations politiques plus explicites. La première trace de ce projet date de juillet 1943 lorsque le capitaine Mirlesse, qui assure l’intérim du général Petit à la tête de la MMF, a une longue conversation avec le général commandant Joukov, chargé de la formation des unités étrangères en URSS. La question des prisonniers alsaciens-lorrains étant évoquée, ce dernier suggère qu’une partie d’entre eux soit regroupée dans une unité combattante encadrée par des officiers transférés du Proche Orient ou d’Afrique du Nord181. C’est au cours de l’été 1943, qu’est officiellement constituée en URSS la première division polonaise, d’autres suivront par la suite, ainsi que des unités yougoslaves et tchèques. La MMF invoque ces précédents pour obtenir des Soviétiques un accord permettant de former une unité terrestre.
77Le 15 septembre 1943, lors de sa rencontre avec Staline, Petit évoque le problème des Alsaciens-Lorrains et obtient du dirigeant soviétique la création d’un bataillon de 500 hommes182. Pourtant, il s’agit d’une perspective encore lointaine puisque les négociations pour sa mise en œuvre ne commencent véritablement qu’à la fin de l’hiver. Les conversations sont d’autant plus délicates et leur avancée lente que les Soviétiques hésitent sur l’attitude à adopter. Le 8 janvier 1944, Béria adresse à Staline un rapport qui propose deux solutions : la première consisterait à créer au sein de l’Armée rouge une brigade « Alsace-Lorraine », qui serait très utile dans le cas où les troupes soviétiques parviendraient jusqu’en France ; la deuxième solution consisterait à remettre les prisonniers aux autorités d’Alger183. Mais les négociations vont tourner courts, car le CFLN, qui n’est pas sur la même ligne que la MMF, donne pour directive à Petit de conditionner la création de l’unité combattante au transfert de tous les prisonniers de guerre restants en Afrique du Nord184. Cette exigence provoque un raidissement des Soviétiques puisque, le 17 avril, le haut commandement de l’Armée rouge informe Petit que les négociations doivent être interrompues, la formation de l’unité française étant devenue un problème politique185. Le lendemain, Garreau reçoit un télégramme du CFLN qui l’informe de son acceptation de la formation du bataillon sans retour préalable des prisonniers de guerre186. Mais cette volte-face est trop tardive et reste sans effet sur la décision des Soviétiques qui met définitivement fin au projet.
78Une fois encore, Garreau se montre à tort optimiste en estimant à la fin avril que les Soviétiques peuvent encore accepter la formation de l’unité terrestre française187. En fait, les dirigeants soviétiques vont désormais traiter la question des prisonniers français de façon unilatérale188 et, le 7 mai, Petit est officieusement informé que le gouvernement soviétique a donné son accord pour le rapatriement des militaires français prisonniers. Cet échec est une grosse déception pour Petit qui était convaincu, outre l’enjeu politique, de l’intérêt pour l’armée française d’acquérir l’expérience du combat terrestre sur le front de l’Est189. Cette déconvenue s’ajoutant à celles rencontrées dans la mise en place de nouvelles unités aériennes, le bilan des relations militaires franco-soviétiques depuis la mise en place du CFLN s’avère décevant, reflétant l’incapacité des autorités d’Alger à définir une orientation claire vis-à-vis de Moscou et de s’y tenir. Si de Gaulle et ses proches maintiennent le cap d’une politique d’alliance avec la Russie, les nombreux acteurs qui interviennent dans les relations diplomatiques et militaires avec l’URSS sont loin de partager cette vision, soit par tiédeur, indifférence ou hostilité. En outre, l’évolution générale de la guerre implique de plus en plus les Français aux côtés des Anglo-Saxons, qui dictent leurs conditions, reléguant ainsi le front de l’Est au rang des préoccupations contingentes pour l’armée française. Par contre, la perspective de la libération prochaine de l’Europe place la métropole au centre de toutes les attentions, question communiste comprise.
Le problème communiste : un acteur politique à Alger ; un enjeu politico-militaire en France
79L’enchaînement des défaites allemandes à l’Est et en Méditerranée depuis le début de 1943 changent les paradigmes du conflit fixés pour l’essentiel depuis l’été 1941. Pour le CFLN et la Résistance, les facteurs politiques et militaires deviennent alors indissociables : si le politique fixe le but de la libération nationale pour restaurer l’indépendance et la pleine souveraineté de la France, le militaire impose ses réalités et oblige le politique à s’adapter aux impératifs stratégiques, aux rapports des forces et aux aléas de la guerre. La question du communisme s’inscrit dans ce cadre général, à la fois dans les relations avec le PCF et la résistance communiste, mais également au sein du mouvement communiste contraint de s’adapter aux préparatifs de la libération de l’Europe et aux choix stratégiques de Moscou.
80Dans l’ensemble, le facteur communiste ne se trouve pas au centre des préoccupations du CFLN, polarisé durant plusieurs mois par l’affrontement de Gaulle-Giraud et absorbé jusqu’à l’été 1944 par la préparation de la Libération qui, pour les Français, repose pour l’essentiel sur les capacités d’action de la Résistance et sur le rôle politique qu’alors elle jouera. Or, la concurrence est forte entre les multiples acteurs qui tentent d’imposer leur hégémonie sur tout ou partie de la résistance intérieure, qui, elle, à l’inverse, s’efforce de s’y soustraire et d’affirmer son autonomie190. Ces rivalités enchevêtrées entre Anglo-Saxons, autorités d’Alger, organes civils et militaires français à Londres, CNR et la multitude des organisations résistantes créent une extraordinaire diversité de situations qui tend à reléguer la lutte d’influence entre résistance communiste/résistance non communiste et PCF/CFLN à l’arrière-plan des luttes d’influence de la période. Cette configuration générale est d’autant plus complexe que le politique et le militaire sont devenus encore plus enchevêtrés que dans la période précédente. Ainsi, en janvier 1944, la double création par le CFLN du corps des commissaires de la République et du COMIDAC, qui a pour mission de coordonner l’action militaire en France, prépare l’exercice du pouvoir à la Libération.
81Cette complexité ne permet pas de suivre avec précision le positionnement face aux communistes des courants et diverses sensibilités qui coexistent au sein du CFLN et dans ses organismes civils et militaires. Cette difficulté est accrue par le déséquilibre des sources puisque la majeure partie de celles concernant le communisme est fournie par les archives des services spéciaux. Leur exploitation est rendue d’autant plus délicate que perdure le dualisme brutal et tenace entre le SR giraudiste et les services gaullistes issus du BCRA, alors que certains documents produits par les services spéciaux manquent des références nécessaires pour pouvoir être attribués avec certitude aux uns ou aux autres191. Ce problème persiste jusqu’à l’été 1944 après l’échec d’une tentative de fusion sous le commandement du général Cochet en octobre 1943. La désignation en novembre d’Emmanuel d’Astier, dirigeant du mouvement Libération, comme commissaire à l’Intérieur chargé des relations clandestine avec la métropole s’accompagne d’une évolution décisive, mais sans mettre fin à la rivalité des services spéciaux. En effet, d’Astier nomme Jacques Soustelle, ex-commissaire à l’Information du Comité national de Londres, à la tête de la Direction générale des services spéciaux (DGSS), créée le 27 novembre par un décret du CFLN. Soustelle scinde alors ses services en deux branches : le Bureau de renseignements et d’action de Londres (BRAL), commandé par le colonel Passy, et le Bureau de renseignements et d’action d’Alger (BRAA), commandé par le colonel Pélabon.
82Les gaullistes prennent ainsi un ascendant définitif sur les giraudistes dans le contrôle des services de renseignement et d’action, mais cette emprise ne met pas fin à la lutte sans merci qu’ils se livrent, car Giraud refuse de reconnaître la DGSS et continue de donner directement ses ordres à Rivet et Paillole qui restent ainsi maîtres de leur service respectif192. Le SR et le CE giraudistes, appuyés par les Américains mais également par les Britanniques qui se méfient de Soustelle, continuent de jouer un rôle non négligeable dans les relations avec la résistance métropolitaine, communistes compris193. En particulier, ils conservent par l’intermédiaire du commandant d’Alès des liens étroits avec l’OMA, ainsi qu’avec le réseau Alliance, tandis que le colonel Malaise fournit des armes et des moyens financiers à l’OCM et à Défense de la France194. Début avril 1944, l’élimination de Giraud de son poste de commandant en chef des forces armées permet, en apparence, la fusion complète des services spéciaux, mais dans les faits les anciens services giraudiste conservent une assez large autonomie.
83Par-delà ces affrontements, la période été 1943-été 1944 est marquée par le rôle croissant des militaires de carrière dans les services spéciaux, puisqu’antérieurement les cadres et agents du BCRA étaient très majoritairement recrutés parmi les officiers de réserve, alors qu’à partir de novembre 1943, 50 % des officiers qui intègrent les services de la DGSS sont des officiers d’active, le plus souvent giraudistes, qui s’imposent par leur compétence et leur expérience, tel le commandant Lejeune. Ils jouent donc un rôle non négligeable dans les relations avec la résistance communiste. Mais l’enjeu communiste ne se limite plus à la métropole, car la formation du CFLN et l’évolution politique en Afrique du Nord fait désormais du PCF un acteur à part entière sur la scène politique.
Le PCF comme acteur et partenaire
84À la suite de la création du CFLN, le PCF redevient un acteur politique national puisqu’une ordonnance du 1er juillet abroge le décret-loi du 26 septembre 1939 et rend hommage au rôle des communistes dans la résistance. Cette légitimation du communisme français est renforcée au cours de l’automne par la libération de la Corse, au cours laquelle le PCF joue un rôle éminent, puis par l’instauration de l’Assemblée consultative au sein de laquelle siègent trois de ses représentants. L’arrivée d’André Marty à Alger en octobre montre tout à la fois l’attention que Moscou porte au CFLN et sa volonté de contrôler de près l’action des communistes en Afrique du Nord, car les enjeux politiques, diplomatiques et stratégiques y prennent une importance croissante dans la perspective de la libération de l’Europe, mais aussi parce qu’il apparaît de plus en plus nécessaire d’articuler étroitement la politique menée par le PCF en France et en Afrique du Nord. Comme les communistes ne disposent pas de liaisons régulières et sûres entre Alger et la métropole, Moscou joue le rôle d’intermédiaire obligé, ce qui accroît son contrôle sur le PCF, encore augmenté par la présence de Thorez dans la capitale soviétique. Ainsi, dans les mois qui suivent la dissolution du Komintern, l’emprise de Moscou sur le communisme français ne faiblit pas, mais au contraire se renforce, pour jouer globalement dans le sens de la modération. Ainsi, en décembre, au lendemain de la conférence de Téhéran, le département de la politique extérieure du PCUS adresse à la direction du PCF quelques « remarques et conseils » qui fixent comme objectif stratégique la libération nationale et la « renaissance française » sous la direction du CFLN et qui énumèrent les moyens permettant de l’atteindre : premièrement, la création d’une armée nationale d’un million d’hommes ; deuxièmement, le développement des FTP et l’intensification des actions de résistances pour préparer l’insurrection nationale ; troisièmement, les purges et les châtiments des traîtres, mais sans excès195.
85Cette adaptation de la ligne du PCF aux impératifs de la stratégie concertée menée par les alliés implique sur le terrain militaire l’intégration aux plans de guerre des Anglo-Saxons et dans le champ politique la participation à la politique de coalition « patriotique » incarnée par le CFLN. En mars 1944, Moscou intervient à nouveau pour renforcer cette politique de coalition et de soutien à de Gaulle en insistant sur la nécessité d’éviter les conflits au sein du CFLN à cause de « questions formelles et secondaires […] qui détérioraient les relations avec de Gaulle ». Les priorités réaffirmées sont dans l’ordre, l’armée, la purge de l’appareil administratif et militaire « des agents de Laval et de Pétain » et l’aide aux maquisards196. Cette stratégie n’est d’ailleurs pas définie pour le seul PCF, mais concerne l’ensemble de l’Europe occidentale occupée puisque les autres partis communistes qui y sont implantés reçoivent des directives semblables, en particulier le PCI. Cette ligne, qui restera pour l’essentiel inchangée jusqu’à la fin de la guerre, signifie que « la question de la prise du pouvoir par les communistes ne se posait même pas197 ». Toutefois, l’application de cette orientation se fera cahin-caha dans la complexité et les multiples aléas des préparatifs de la libération nationale. Dans l’ensemble, cette modération des communistes, qui apparaît comme la suite logique de la dissolution du Komintern198, est assez correctement appréciée par les services spéciaux, les acteurs civils et militaires du CFLN et les MUR. Ainsi, en juillet 1943, le commandant de Boislambert, de retour d’Alger, déclare à Grenier : « Vos amis communistes n’ont pas commis une seule fausse note depuis leur libération199. »
86Mais en devenant le groupe politique le plus importante et le mieux organisé d’Afrique du Nord, il s’impose comme interlocuteur incontournable pour tous les acteurs de la scène algéroise et les tensions avec de Gaulle et d’autres dirigeants de premier plan, tel Massigli, deviennent inévitables. Ces tensions ne doivent toutefois pas être exagérées, d’une part parce que d’autres antagonismes politiques se développent à Alger durant cette période, d’autre part parce que s’impose assez largement la conviction que l’intégration du PCF aux institutions du CFLN est nécessaire, ainsi que le déclare Jean Mayoux, délégué de Ceux de la Résistance : « Nous ne pouvons pas plus faire la France sans les communistes que les communistes ne peuvent faire la France sans nous. »
87On constate d’ailleurs que les accusations de philocommunisme portées contre de Gaulle et ses services spéciaux sont devenues plus épisodiques dans les milieux giraudistes, et le plus souvent employés pour appuyer leurs dénonciations d’aspiration à la dictature : si en mai 1943, Giraud déclarait encore à Macmillan qu’« un certain colonel Passy flirtait avec les communistes et dirigeait une organisation communiste en France soutenue par du matériel de guerre parachuté par les Anglais », quelques semaines plus tard il dénonce le fascisme du BCRA qui veut instaurer la dictature de de Gaulle après la guerre200. De même, en avril 1944, Giraud écrit au colonel Malaise :
« Le général de Gaulle est le dictateur de demain avec un état-major de communistes, de socialistes et de juifs. Il sera constamment obligé de donner des gages à la gauche, en attendant qu’il soit dévoré par ses partisans201. »
88À l’inverse, à l’issue de la libération de la Corse, les gaullistes accusent Giraud d’avoir sciemment fait le jeu des communistes en reconnaissant le Front national comme seule organisation de résistance dans l’île202 et ils exploitent avec succès cet argument pour affaiblir sa position au sein du CFLN. De Gaulle profite ainsi de sa plus grande ouverture vis-à-vis des communistes d’Alger que Giraud, car, en Afrique du Nord, le PCF est un acteur essentiellement politique qui joue le jeu de l’intégration à la coalition qui se noue à l’avantage de de Gaulle autour du CFLN et des institutions d’Alger, alors qu’en Corse, le communisme apparaît pour les gaullistes comme une force politico-militaire dangereuse, car apte à saisir le pouvoir local. À l’inverse, Giraud considère qu’en Corse le communisme est une force militaire qu’il faut utiliser, une position qui concorde avec celle des Américains, alors qu’à Alger, il perçoit le PCF comme un ennemi politique qui doit être tenu en lisière des institutions. Un point de vue qui contribuera à sa marginalisation au sein du CFLN.
Le CFLN et la politique du PCF
89Au cours de l’été et de l’automne 1943, la priorité politique pour le PCF est la question de son intégration au CFLN et aux institutions en train de se mettre en place à Alger. Pour peser dans ce sens, les communistes disposent d’un certain nombre d’atouts, mais d’autres facteurs jouent dans un sens défavorable.
90Au cours de cette période, le PCF parvient à renforcer sensiblement ses capacités d’action en Algérie. En juillet, un hebdomadaire, Liberté, dont la diffusion dépassera les 60 000 exemplaires, commence à paraître, puis un mensuel, France nouvelle, est également lancé. Simultanément, les communistes cherchent à affirmer leur présence à l’échelle de l’Afrique du Nord : les dirigeants Costes, Bartolini, Gaou s’installent dans le Constantinois, Demusois et Martel à Oran, Croizat à Tunis et Grésa au Maroc, tandis que Fajon, Lozeray et Rochet sont chargés de la propagande et de la formation des militants du Parti communiste algérien203. En octobre, l’arrivée de Bartolini en Corse étend l’autorité de la direction d’Alger sur les communistes de l’île, marquant ainsi sa capacité d’intégration au processus de libération de la France.
91C’est François Billoux qui assure la direction du PCF en Afrique du Nord jusqu’à l’arrivée d’André Marty le 13 octobre. Ces deux hommes de confiance de l’appareil communiste international ont été au cours des années 1930 les deux responsables-clés de la politique militaire communiste en France, puis ils furent envoyés en Espagne pour assurer la direction politique des Brigades internationales. C’est donc un binôme de choc qui a été mis en place à Alger afin de renforcer la cohésion du PCF en Afrique du Nord et d’en faire un interlocuteur incontournable pour de Gaulle et le CFLN. Marty transforme d’ailleurs dès l’automne 1943 le groupe des 27 députés en délégation du Comité central du PCF dont il assure le secrétariat.
92Toutefois, les communistes d’Afrique du Nord souffrent de deux handicaps. Le premier est leur isolement à cause de leur faible implantation locale et, plus encore, en raison des liaisons difficiles avec Moscou et la direction communiste de métropole, une situation précaire qui limite leurs capacités d’initiative et les prive de ressources financières204. Le deuxième handicap est la faiblesse relative de leur identité résistante, l’arrivée le 31 octobre de Fernand Grenier à Alger ne compensant qu’à la marge ce déficit. Marty n’avait-il pas déclaré en 1942 aux dirigeants communistes français en exil à Moscou : « Nous n’avons pas droit au titre de résistant ! Ni moi, […] ni personne ici ! Pour s’appeler résistant, il faut être resté en France sous la botte hitlérienne, avoir risqué sa vie, les armes à la main. »
93La question communiste ne tient alors qu’une place secondaire dans les affrontements politiques d’Alger où le PCF fait souvent figure d’élément temporisateur favorable au compromis. Ce positionnement modéré est d’autant plus net que les thématiques révolutionnaires sont dans cette période au cœur des polémiques et que le PCF se garde d’en faire les axes de sa politique205. Ainsi, à partir de l’automne, Henri Queuille, personnalités modérées et homme d’influence à Alger, redoute à l’issue de la libération de la France une guerre civile à cause des divisions politiques, mais il considère « le néofascisme socialiste gaulliste » comme beaucoup plus dangereux que les communistes et redoute l’hégémonie de la SFIO sur l’Assemblée consultative206. La question du fascisme est d’ailleurs très débattue dans les milieux politiques algérois, bien qu’il soit généralement considéré comme une menace politique pour l’après-guerre. Dans son ouvrage Le Procès de la République, qu’il achève à la fin de 1943, Pierre Cot exprime cette inquiétude lorsqu’il affirme qu’une tentative de prise du pouvoir par l’extrême droite après la Libération entraînerait inévitablement une guerre civile qui opposerait communisme et fascisme207. Il apparaît toutefois que, si le communisme n’occupe pas le devant de la scène politique à Alger, il reste l’un des terrains d’affrontement entre de Gaulle et Giraud.
94Au cours de l’été 1943, de Gaulle avait répondu favorablement, comme d’ailleurs le commissariat à l’Intérieur, à la nouvelle demande d’André Marty, datée du 12 juin, de s’installer à Alger, mais Giraud s’y était opposé208. Finalement, suite à une ultime demande de Marty, le 3 septembre, de Gaulle obtient du CFLN une réponse favorable209. Puis le 6 novembre devant le CFLN, de Gaulle se prononce pour l’entrée de représentants du PCF au sein du comité, alors que le général Georges s’y oppose avec le soutien de Giraud qui affirme que les communistes reçoivent leurs directives de l’étranger. Ce raidissement de Giraud vis-à-vis des communistes ne l’empêche pas de conserver des contacts avec eux, y compris sur le terrain politique. Il est en effet avéré que Raymond Moullec, membre du cabinet de Giraud depuis mai, « entretient bien plus que des relations d’estime » avec Marty210. Entre mars et juillet, le commandant Lejeune, envoyé en mission par Giraud en métropole, rencontre à plusieurs reprises un responsable des FTP211. Puis, le 23 janvier 1944, le capitaine Camille Larribère quitte Alger sur ordre de Giraud pour prendre contact avec les FTP du sud de la France212. L’envoi en métropole de ce vieux briscard du communisme, membre du comité central du PCA, poursuit un objectif militaire comprenant cependant une forte connotation politique.
95Quant à de Gaulle, s’il souhaite l’alliance avec les communistes, il veut en garder le contrôle et c’est pour cette raison qu’il engage avec eux une longue épreuve de force sur les conditions d’intégration des représentants du PCF au CFLN. En effet, le 28 septembre, de Gaulle informe secrètement Grenier, encore à Londres, qu’il souhaite son entrée au CFLN comme représentant du PCF. Quand les pourparlers s’engagent sur la représentation communiste au CFLN, de Gaulle propose d’accorder deux places au PCF à condition qu’elles soient occupées par deux résistants, Grenier et André Mercier, ce dernier récemment arrivé à Alger après avoir participé à la première réunion du CNR. La direction communiste refuse cette proposition et désigne deux responsables de premier plan, Billoux et Pourtalet. Dans ses Mémoires, Jacques Duclos écrit que la libre désignation par le PCF de ses représentants au CFLN était une question de principe qui explique l’échec des négociations. Il est surtout probable que les dirigeants communistes n’ont pas une confiance suffisante en Grenier qu’ils trouvent trop souple, voire trop lié aux gaullistes. Quoi qu’il en soit l’accord se fait sur la participation du PCF à l’Assemblée consultative où siègent Croizat, Rochet, Martel, Marty, Bonte, Billoux, Grenier, Fajon, Fayet, Berlioz et Pourtalet.
96Jusqu’en juin 1944, la politique des communistes d’Alger est guidée par trois priorités :
écarter au nom de l’effort de guerre tout rapprochement avec le mouvement national en Algérie et au Maroc, un impératif qui implique le strict contrôle politique du PCA ;
unifier, renforcer et « républicaniser » les forces armées françaises ;
promouvoir le principe d’une insurrection nationale pour la libération de la France par un important effort de propagande et en exerçant une forte pression sur le CFLN. La libération de la Corse en septembre 1943 conforte la ligne du PCF qui fait de ce succès l’archétype de la stratégie à appliquer en métropole.
97Ce dernier objectif participe de l’évolution d’ensemble du PCF qui fait désormais de la préparation de l’insurrection nationale l’axe directeur de sa stratégie. Cette inflexion est avant tout corrélée aux événements militaires dont la direction du PCF estime avec beaucoup d’optimisme, dès le mois de juillet, qu’ils ont un impact considérable sur la situation française : « Il est hors de doute que la marche des événements militaires sur le front de l’Est et en Sicile contribue à élever la température des masses qui sortent du stade de la crainte et n’attendent pour passer au stade de l’action que l’intervention de notre Parti213. » La prochaine échéance étant l’ouverture du second front, peut-être suivi d’un effondrement rapide de l’Allemagne, la priorité absolue pour les communistes est de développer l’action armée en Europe de l’Ouest afin de hâter le débarquement des alliés. En France, cet objectif nécessite de passer d’une action de minorité à une action de masse, ce qui rend nécessaire l’unité des forces résistantes, pour aboutir à l’insurrection nationale214. Si le succès de l’insurrection corse semble justifier et renforce cet optimisme, puis si la lenteur de l’avancée des alliés en Italie l’atténue quelque peu, il continue de dominer la stratégie insurrectionnelle du PCF jusqu’aux premières semaines de la Libération215. Pour cette raison, les communistes sont convaincus que l’insurrection nationale pourrait se dérouler sans être obligatoirement corrélée au débarquement des Anglo-Saxons en Europe.
98Ce saut qualitatif des ambitions communistes est bien perçu, mais, semble-t-il, assez tardivement par le commissariat à l’Intérieur216. Cette perception imparfaite n’empêche pas que les relations entre le PCF et les protagonistes de la préparation du débarquement s’organisent autour des conditions politiques et militaires de la Libération. Sous cet angle, trois phases apparaissent : l’été et l’automne 1943 sont dominés par la libération de la Corse ; à la fin 1943-début 1944, la perspective de la libération s’impose ; puis au printemps 1944, ce sont les préparatifs de la bataille et de ses implications politiques qui polarisent toutes les attentions, les rivalités et les initiatives des acteurs.
Les gaullistes, la lutte armée, l’insurrection nationale et les communistes
99Le succès en Corse de l’insurrection combinée au débarquement des forces françaises est immédiatement perçu par tous les acteurs comme la répétition générale de la prochaine libération de la France. Giraud a joué un rôle essentiel dans le déroulement des opérations puisqu’il en a fixé les plans avec son état-major et que son représentant le capitaine Colonna d’Istria a parfaitement joué son rôle de liaison avec les communistes. Enfin, Giraud est venu en personne, le 21 septembre, négocier l’engagement des troupes italiennes contre les Allemands. Pourtant ce succès militaire incontestable de Giraud se transforme pour lui en défaite politique : de Gaulle, laissé dans l’ignorance des plans de libération de la Corse, a été mis devant le fait accompli et il accuse Giraud d’avoir donné par ses manœuvres déloyales « le monopole » aux communistes217. De Gaulle obtient alors une réduction des pouvoirs de Giraud votée à une large majorité par le CFLN. Si l’épisode Corse permet à de Gaulle de renforcer sa position, il confirme également que dans la France occupée la dynamique communiste se poursuit simultanément sur les terrains politique, militaire et social, montrant que l’influence du PCF en tant force résistante continue de croître.
100En octobre 1943, Francis-Louis Closon, de retour de mission en France pour le BCRA, rapporte que « les communistes sont puissants, bien organisés, en possession d’une doctrine générale dont ils savent tirer des règles d’action précises […]218 ». Cette analyse est confortée par d’autres sources : le réseau Ajax juge que dans la région Marseillaise l’influence du PC est « très grande » et qu’en raison des conditions de vie qui se dégradent, elle continue de croître chez les ouvriers219 ; la plupart des documents qui émanent de la police de Vichy décrivent la force du communisme, les effectifs du PCF étant évalués au double de ceux de 1939220. Il est vrai que les renseignements généraux de la Préfecture de police de Paris estiment que l’éventualité d’une « occupation » de la France par les Anglo-Saxons fait reculer l’adhésion au communisme, car la perspective d’un retour au statu quo d’avant-guerre convient aux masses221. Quant à la direction des services spéciaux, elle reste sur une prudente réserve, parce qu’elle estime que la police de Vichy tend, par calcul politique, à surestimer la force des communistes en leur attribuant tous les attentats et toutes les actions de propagande, mais également parce que « les milieux officiels éprouvent les plus grandes difficultés à faire la part entre ce qui est communiste et ce qui est proprement gaulliste à cause de l’union des mouvements de résistance222 ». L’impression dominante reste quand même celle d’une poussée continue du communisme dans la majeure partie du pays223. Si cette évolution peut inquiéter, elle est, somme toute, considérée plutôt comme une tendance positive, car elle étend l’ancrage de la Résistance à travers le pays.
101En Corse, le Front national a réussi une percée spectaculaire en ralliant des composantes sociales hétérogènes issues de réseaux claniques et des milieux militaires, enseignants et francs-maçons224. Sur le continent, le PCF, sous couvert du Front national, se montre également ouvert aux déçus de Vichy et aux catholiques, radicaux et socialistes restés jusque-là en marge des mouvements de résistance. Ainsi, les communistes parviennent à élargir sensiblement leur assise sociale au-delà des seules catégories populaires225, surtout en zone nord, le développement du FN restant plus limité en zone sud226. Cette capacité d’ouverture en direction des classes moyennes découle de la ligne patriotique qui continue de fixer le cap de la politique du PCF, bien relayée à Alger où les communistes se prononcent pour la restauration d’une république démocratique après la libération227 et ne mènent pas de campagne pour une épuration de masse contre les collaborateurs et les traîtres228. Cette modération tous azimuts sur le terrain politique est correctement interprétée par de Gaulle et ses services spéciaux qui ne croient pas à la préparation par le PCF d’une prise du pouvoir à la libération. Cette analyse est corroborée par une série de rapports des services de police de Vichy qui sont transmis à Alger ou à Londres par les réseaux de résistance229. En novembre, l’un de ces documents se borne à signaler que le PCF cherche à détacher « les masses » du gaullisme et que les victoires de l’Armée rouge favorisent le succès de cette propagande230. À l’inverse, on constate que les notes de police qui prêtent au PCF une stratégie dissimulée de prise pouvoir n’ont guère d’influence à Alger231, y compris celles qui sont relayées par le réseau Ajax, très hostile aux communistes232.
102Le 10 octobre, de Gaulle déclare à William Strang, représentant du Foreign Office, que la priorité des Soviétiques pour l’après-guerre sera la reconstruction et la sécurisation de leurs frontières et que, s’il est probable que Staline veuille installer un gouvernement communiste en Pologne et en Finlande, cette éventualité pour la France est exclue233. D’une part, de Gaulle a une vision planétaire du communisme234 dans laquelle la politique de guerre de Staline ne constitue pas une menace pour l’Europe occidentale. D’autre part, ainsi que l’écrit Sabine Jansen, pour de Gaulle, « la structure de la société française rendait l’instauration d’un gouvernement communiste en France hors de propos […] [car] le communisme était en France un symptôme de mécontentement et non de révolte235 ». Pour cette raison, il juge essentiel d’associer les communistes au nouveau pouvoir.
103Il est vrai que de Gaulle et ses services connaissent les limites des capacités d’action du PCF, d’ailleurs explicitement reconnue par sa direction236. En outre, l’importante documentation communiste, principalement issue des FTP, dont dispose le BCRA et le commissariat à l’Intérieur, montre que les efforts du PCF et de son organisation paramilitaire pour développer la lutte armée relèvent essentiellement de préoccupations militaires et non d’une stratégie de prise du pouvoir237. Toutefois, le précédent corse et l’élargissement de l’implantation communiste à travers le pays font craindre une prise de contrôle des pouvoirs locaux par le PCF et ses organisations satellites, même s’il est vrai que les inquiétudes du CFLN quant au contrôle des communes et des départements dans la période de la libération ne se réduisent pas à la seule question communiste. Ainsi, en décembre, Henri Queuille écrit à Massigli qu’en raison des divisions entre organisations résistantes, il est nécessaire d’arriver à un accord entre le CFLN et le plus grand nombre de forces résistantes, qui semble comprendre les communistes, pour prévenir « l’institution de pouvoirs locaux sous le signe d’une super-résistance extrémiste, de gouvernements régionaux à tendance autonomiste ou même de gouvernements présomptifs nationaux à processus révolutionnaire238 ».
104Dans la période qui suit, de la fin 1943 aux premiers mois de 1944, les services spéciaux gaullistes confirment l’importante influence du PCF. En février 1944, Jacques Bingen de retour de mission en France estime que « le PC et ses succédanés » sont « la grande force mystérieuse et dynamique239 », une analyse confirmée au même moment par Robert Masson, dirigeant du réseau Samson, qui relève les efforts des communistes pour grossir les rangs des organisations qu’ils contrôlent et élargir leur recrutement à des couches sociales particulières, telles les médecins, les commerçants, les étudiants ou les policiers. Il lie cette orientation aux préparatifs de l’insurrection nationale et n’évoque pas d’objectif de prise du pouvoir240.
105Dans cette même période, on constate une relative dégradation des relations entre de Gaulle et le PCF, car à la suite de l’échec des négociations sur leur entrée au CFLN, les communistes durcissent leur attitude et leur appréciation du chef du CFLN devient plus négative, ce glissement étant probablement accentué par l’arrivée de Marty à Alger. Cette tension accentue la suspicion des communistes qui soupçonnent les services secrets gaullistes et britanniques de mener des opérations anticommunistes : l’absence de représentation du Front national à l’Assemblée consultative est considérée comme le résultat des manœuvres de Soustelle et de Passy qui, en prétextant de mauvaises conditions météorologiques, auraient empêché le transfert de ses délégués depuis la France jusqu’en Afrique du Nord ; plus grave, la disparition en décembre d’Émile Cossoneau est attribuée à l’Intelligence Service qui l’aurait assassiné et Marty décide alors de mesures draconiennes pour assurer à Alger la protection des dirigeants communistes241.
106Dans ce contexte dégradé, intervient l’entrée en scène de Thorez dont l’impact, même s’il ne peut être précisément mesuré, demeure toutefois sous-estimé par l’historiographie. Alors que le 5 décembre, lors d’une entrevue avec Garreau, Ramette a confirmé que la direction du PCF devait pouvoir choisir ses représentants au CFLN242, le 21 janvier, Thorez rencontre longuement le délégué pour lui tenir un discours sensiblement différent. Après un vif éloge de de Gaulle, le dirigeant communiste affirme qu’il est indispensable et urgent de ne laisser aucune place à l’équivoque et au doute dans les rapports entre les forces résistantes dont l’union doit être totale et il regrette en conséquence que « pour des considérations de formes et de procédures », le PCF ne soit pas représenté au CFLN. Il déclare alors à Garreau que pour régler cette question il souhaite pouvoir se rendre à Alger. Puis Thorez précise les perspectives du PCF sur le long terme : sa participation à l’exercice du pouvoir devra se poursuivre après la guerre pour assurer la reconstruction qui « devra être assez longue » ; quant à l’épuration, il faudra faire preuve d’une « large indulgence », car se sont « les vrais responsables d’en haut » qui doivent être châtiés. En conclusion, il affirme : « Mon parti ne songe pas à prendre le pouvoir […] Ce que nous voulons, c’est l’union de toutes les forces nationales243. » Ces déclarations de Thorez, qui exprime sa position en accord avec la direction soviétique244, est tout à la fois une critique des dirigeants communistes d’Afrique du Nord, la confirmation d’une politique d’union nationale autour de de Gaulle et la demande officielle de gagner Alger pour reprendre en main la direction du PCF.
107Garreau adresse au CFLN un compte rendu très positif de cette entrevue : « Thorez a cru devoir se manifester personnellement, après avoir disparu pendant trois années dans une ombre impénétrable » et il a montré que le PCF, « profondément réaliste », sait s’adapter aux nécessités du moment, car « la nécessité est aujourd’hui de gagner la guerre et demain de remettre la France sur pieds. » La documentation ultérieure montre que Garreau s’engage en faveur de l’entrée du PCF au CFLN et du départ de Thorez pour Alger. Lors de son séjour en URSS, Pierre Cot plaide dans le même sens, estimant que sa mise à l’écart « ne procède pas d’une bonne tactique », car Thorez jouerait en Afrique du Nord un rôle conciliateur, « facilitant la tâche du CFLN », et qu’il serait surtout utile après la libération pour éviter les troubles245. Mais de Gaulle rejette la requête du secrétaire général du PCF, car il estime que son arrivée susciterait « des remous » et qu’il faudrait le traduire devant un tribunal militaire. L’heure de la détente et de l’union à part entière entre de Gaulle et les communistes n’a donc pas encore sonné.
108Pourquoi de Gaulle refuse-t-il l’appui politique que lui propose Thorez, alors même qu’il a accepté très tôt le principe de l’alliance avec le PCF ? Dans ces Mémoires de guerre, il écrit que s’il fait preuve de clémence en novembre 1944, lorsqu’il approuve la proposition d’amnistie du secrétaire général du PCF présentée par le garde des Sceaux, c’est parce qu’il estime que son retour en France « peut comporter, actuellement, plus d’avantages que d’inconvénients246. » Ce qui sous-entend qu’antérieurement, l’arrivée de Thorez à Alger aurait surtout eu des effets négatifs, une allusion qui fournit l’explication la plus probable à l’attitude de de Gaulle au printemps 1944. Perspicace, Christian Fouchet estime à cette époque que l’Assemblée consultative est d’accord avec de Gaulle pour ne pas donner de visa à Thorez qu’ils considèrent comme le dirigeant communiste le plus dangereux : jeune, excellent tribun, il pourrait exercer une influence qui reste hors de portée de Marty, marqué par l’âge, et de Billoux et Grenier, tenus par leurs responsabilités247. En résumé, de Gaulle n’a pas besoin de Thorez puisqu’en Afrique du Nord, le PCF est sous contrôle et qu’en métropole, il participe du renforcement de la Résistance en liaison avec Londres. Il faut cependant se garder de surestimer l’importance accordée à cette époque au retour de Thorez, car, de son côté, la direction du PCF n’en fait pas une priorité et la campagne menée pour le retour du secrétaire général ne rencontre guère de succès au sein de la mouvance communiste248.
109Si la relation entre de Gaulle et le PCF reste celle d’une alliance sous tension, il est exclu qu’elle puisse déboucher sur une rupture. Quand à la suite de la libération de la Corse, de Gaulle fait disparaître la révolution de son discours pour invoquer la seule voie des réformes comme moyen de transformation du pays249, il garde le cap de l’entente avec les communistes et persiste à ne pas croire à leurs plans de prise du pouvoir à la Libération ou dans la période suivante250. Lorsque début avril, il s’entretient avec le capitaine Peynaud, que le général Revers a envoyé en mission à Alger, il lui déclare :
« “Certains intellectuels du Parti peuvent bien encore en rêver. Ils n’ont aucune chance de faire partager ce rêve par la société narquoise des Français. C’est pourquoi le parti communiste doit être traité comme un parti sans majuscule – parmi d’autres ! C’est ce que je fais ici. Voyez, par exemple, ce qui se passe au Commissariat à l’Air : à sa tête j’ai placé Grenier. – Que croyez-vous qu’il y fait ? Il y fait ce que je lui dis de faire !” Le Général marqua un temps et reprit en appuyant sur les mots : – “Aujourd’hui, le parti communiste prend sa source au Kremlin, – où l’on revient de loin… Et de ce côté, j’ai mes assurances. […] Quant à la Résistance communiste, je m’attends bien à ce qu’elle joue la confusion, faute de pouvoir faire la Révolution : c’est dialectiquement naturel”. Il marqua un temps, puis conclut : – “Mais n’en doutez pas : dans le grand élan de la Libération, les communistes seront comme les autres, emportés par le flot national.” Il avait accompagné ces derniers mots d’un geste large251. »
110Ainsi, lorsqu’en mars, il reçoit le commandant Vallette d’Osia, chef de l’AS de Haute-Savoie, qui lui décrit le danger d’une résistance communiste de plus en plus indépendante et échappant à tout contrôle, il lui répond que lui et ses hommes n’ont « qu’à obéir aux ordres reçus, sans [se] mêler de ce qui ne [les] regardait pas252 ». Cette réaction de de Gaulle face à un représentant de l’AS montre que, pour le CFLN et plus encore pour les gaullistes, le PCF est un problème politico-militaire dont les enjeux, qui se situent pour l’essentiel en métropole, ne cessent de croître au fur et à mesure que s’approche l’heure de la Libération. Pour cette raison, le communisme français devient l’un des motifs de la confrontation entre le CFLN et les Anglo-Saxons, une divergence d’autant plus grande que ces derniers considèrent la résistance communiste comme un facteur essentiellement militaire qui a vocation à être intégré comme un rouage de la machine de guerre alliée mise en place pour accomplir le débarquement et la libération du continent.
La dimension politico-militaire du communisme français, un enjeu croissant
111L’intérêt pour la résistance communiste s’inscrit surtout dans le cadre général des relations avec l’ensemble de la résistance, avec toutefois des différences d’appréciation selon les acteurs : les Anglo-Saxons la survalorisent en raison des capacités militaires qu’ils lui attribuent comparées aux forces non communistes et ils tendent à l’intégrer à leurs plans de guerre ; les gaullistes considèrent eux aussi que son potentiel insurrectionnel et d’action armée est le plus important de métropole, mais ils se préoccupent aussi de la progression de son influence ; quant à Giraud et ses relais de l’OMA et des services spéciaux opérant en France, après une tentative de rapprochement avec les FTP fin 1943 et quelques contacts dont le plus notable semble avoir été la mission Larribère, ils tendent plutôt à s’ignorer, même si cette attitude est loin d’être générale. Il n’y a donc pas homogénéité des principaux acteurs militaires de la libération face aux communistes et ces différences se combinent pour une bonne part avec des divergences plus globales.
112Au cours de l’automne, la coopération entre le CFLN et les Anglo-Saxons pour agir en France se distend sensiblement après la victoire politique de de Gaulle. En outre, les nominations de Frenay, d’Astier et Soustelle accroissent la défiance des alliés, tout particulièrement du SOE, parce qu’ils estiment que désormais les dirigeants français agissent plus par calculs politiques que pour préparer l’action militaire en vue de la Libération253. Cette suspicion est aggravée par les critiques contre le BCRA, souvent considéré comme une officine d’amateurs, une critique d’ailleurs récurrente au cours de cette période254. Même si au début de 1944 les Anglo-Saxons assouplissent leur attitude, tout en maintenant des relations avec les services giraudistes, en particulier avec Paillole, ils restent très sceptiques sur les capacités d’action de la résistance, surtout les Américains qui comptent beaucoup plus sur l’efficacité des bombardements aériens, pour préparer le débarquement puis appuyer les troupes au sol, que sur l’action armée des organisations résistantes255. Cette appréciation explique que les livraisons d’armes restent limitées et, si leur volume augmente à partir du début de 1944, 75 % du total sera toutefois livré après le débarquement. Dans l’ensemble, ce sont les maquis ou organisations liés aux SOE qui sont privilégiés256. Cette réserve des Anglo-Saxons sur l’intérêt stratégique de la lutte armée dans l’Europe occupée ne les conduit cependant pas à ignorer la résistance française comme instrument militaire, mais en même temps ils n’excluent pas qu’elle puisse être source de difficultés au moment de la libération. C’est probablement l’expérience Corse d’août-septembre 1943 qui, d’une part, accroît leur intérêt pour la lutte armée, et, d’autre part, démontre l’importance du commandement unifiée et de l’intervention de l’armée régulière au cours de l’insurrection. Si l’impact de l’exemple corse est assez général sur les acteurs de la Libération, des facteurs nouveaux jouent également leur rôle au sujet de la lutte armée.
113En particulier, l’action immédiate reste un sujet de discorde entre les mouvements de résistance et les services spéciaux, mais elle se pose en des termes sensiblement différents à partir du deuxième semestre 1943 en raison, d’une part, du développement des maquis et de l’influence communiste qui accroissent les possibilités d’action armée, et, d’autre part, de la prise en compte par les services spéciaux anglo-saxons, surtout le SOE, et secondairement français de l’intérêt des sabotages qui connaissent une augmentation spectaculaire à partir de l’été257. On constate en effet un assouplissement du BCRA qui à la fin de l’année admet l’intérêt d’une action immédiate contrôlée et limitée. Cette ouverture résulte, d’une part, des exigences du SOE qui juge très décevant le bilan des sabotages organisés par le service gaulliste, et d’autre part, de motifs davantage politiques que strictement militaires au vu de la situation en France. En effet, les agents du BCRA en métropole estiment que la lutte armée est inévitable par la nature même des maquis et parce que l’action des FTP ou de groupes locaux bien organisés et combatifs ont un effet d’entraînement sur les autres organisations. Ils signalent d’ailleurs que des éléments de valeur de l’Armée secrète rejoignent les communistes par rejet de l’attentisme et qu’il est à craindre que cette dynamique s’amplifie. En outre, l’augmentation des bombardements alliés en France sur des objectifs économiques et stratégiques cause de nombreuses pertes civiles qui font craindre des mouvements d’opinion hostiles envers les alliés. Les services spéciaux français défendent alors le principe d’une planification de sabotages à grande échelle comme alternative aux bombardements et ils parviennent à convaincre les Anglo-Saxons d’adopter cette nouvelle stratégie appliquée à partir de janvier. Même si cette tentative tourne court, la volonté de développer les sabotages demeure258 et la pratique d’opérations de guérilla est admise pour harceler et affaiblir l’ennemi à condition qu’elles soient menées en liaison avec Londres qui fixe les objectifs ou les conditions d’engagement et décident en conséquence des livraisons d’armes. Cette réorientation donne la priorité aux maquis en tant que facteur militaire et politique.
114Les Britanniques, qui s’intéressent aux maquis plus tôt que les Américains, relèvent au début de l’automne 1943 l’intérêt militaire de plusieurs d’entre eux organisés et disciplinés, tels celui de Roman-Petit dans l’Ain ou d’autres éparpillés en Provence259. Dans l’ensemble, ils les considèrent plus solides pour le combat ou le maintien de l’ordre que l’Armée secrète. Mais le caractère populaire de la masse des maquis les inquiète, car l’accumulation d’hommes inexpérimentés, difficiles à contrôler, peut provoquer le déclenchement d’opérations prématurées aux conséquences problématiques pour les armées alliées. Ils constatent également le rôle croissant des communistes dans le développement des maquis, une évolution qui inquiète plus encore les Américains. Ces derniers croient d’ailleurs percevoir l’influence des communistes dans les déclarations de de Gaulle, qui en avril 1943 semblait encourager sabotages et action généralisée. À l’inverse, ils perçoivent Giraud comme un militaire réaliste au rôle à la fois modérateur et efficace, un jugement qui semble confirmé par les opérations en Corse.
115Cependant, l’influence des communistes sur les maquis est surtout considérée sous l’angle militaire et les multiples rapports faits par les agents du SOE, de l’OSS et du BCRA au cours du second semestre 1943 et début 1944 sont en général convergents sur la prédominance des maquis d’obédience FTP dans la lutte armée. Ainsi, en septembre 1943, le SOE recueille le témoignage d’Archiduc, agent du BCRA de retour de mission en Provence :
« L’informateur considère que seuls les communistes travaillent vraiment sérieusement. Ils ont toujours été persécutés et cela a contribué à renforcer leur organisation, en confortant l’implication et le sens de la sécurité de ses membres. Les FTP sont certainement la meilleure organisation à tous points de vue. Lorsqu’il était sur le terrain, l’informateur avait quatre équipes composées de FTP ; tous travaillaient extrêmement bien260. »
116En Corrèze et en Dordogne, le SOE entretient de bonnes relations avec les maquis FTP ou MOI261 et Michael Foot estime que « beaucoup d’agents de la section F s’entendaient à merveille avec les communistes262 ».
117En outre, les conceptions de la guérilla, élaborées peu à peu par les Anglo-Saxons, reposent sur l’action de petites unités mobiles et clandestines, ce qui crédibilise à leurs yeux les FTP qui agissent selon ces principes. Ultérieurement, leurs critiques similaires des opérations des Glières et du Vercors confirmeront cette convergence sur le terrain de la lutte armée. Raphaëlle Balu résume ainsi la primauté de l’intérêt stratégique que les Anglo-Saxons accordent aux maquis :
« Les consignes générales ne montrent ni déperdition d’intérêt pour les maquis au niveau du haut commandement militaire, ni regain de méfiance à l’égard des maquis FTP. Les états-majors réguliers se saisissent de la question à la fin de 1943, après un patient travail des services de renseignements pour les convaincre de l’intérêt stratégique que peuvent présenter la résistance française et ses maquis. Tout au long des opérations, la réflexion sur l’intégration stratégique des forces irrégulières françaises se poursuit et il apparaît en définitive que lorsque les affiliations politiques de ces forces inquiètent les états-majors, c’est principalement parce qu’ils craignent leurs répercussions sur l’efficacité militaire des maquis263. »
118Vu sous cet angle, les Anglo-Saxons, qui comptent pour l’essentiel régler la question politique de la libération par l’AMGOT, estiment que le CFLN accorde trop d’importance au maintien de l’ordre et au contrôle des territoires libérés au détriment des opérations contre les troupes d’occupation. Cette divergence est aggravée par l’antigaullisme qui, surtout de la part des Américains, l’emporte alors nettement sur l’anticommunisme. Ainsi, en février 1944, un rapport de l’OSS transmis à l’état-major interallié note
« que l’influence croissante des communistes sur les maquis français contribue à en développer les capacités militaires, mais implique une montée des tensions politiques et sociales en France. Le rapport mentionne que le but des communistes est la prise du pouvoir, mais affirme également que leur montée en puissance pourrait en définitive avoir raison de l’influence gaullienne – ce qui apparaît comme plutôt positif264 ».
119Ce pronostic ne porte pas seulement sur la lutte armée, car il inclut l’hypothèse de l’insurrection nationale qui suscite davantage de divergences que l’action immédiate. L’insurrection pose en effet des problèmes militaires et politiques considérables qui provoquent un fort antagonisme entre ceux qui s’y opposent et ceux qui la souhaitent, mais ils entraînent également chez ces derniers des conceptions sensiblement différentes.
120Depuis le printemps 1943, de Gaulle reste favorable à l’insurrection nationale afin de consolider les liens avec la résistance, en particulier les communistes, et parce qu’il veut mettre les Anglo-Saxons devant le fait accompli au moment de la Libération. Mais, pour lui, l’insurrection est surtout une image, un slogan de portée symbolique, et non un soulèvement général qui, selon lui, provoquerait un bain de sang et peut-être un échec militaire265. Quant au BCRA, en décalage avec le discours de de Gaulle, il prépare une libération sans insurrection, un choix stratégique, renforcé à la suite de l’échec des Glières, qui le conduit, début 1944, à vouloir réduire les livraisons d’armes aux communistes266 parce qu’il connaît leurs projets d’insurrection généralisée pour la Libération267. Les conceptions du BCRA impliquent une planification complexe des opérations que la résistance doit mener, ce qui nécessite une étroite coopération avec l’état-major d’Alger. Or, celui-ci est favorable à une généralisation de la guérilla par groupe d’une vingtaine d’hommes pour harceler les Allemands au moment du débarquement268. Mais ces divergences n’ont guère de portée durable puisque c’est l’état-major interallié qui va fixer le cadre d’action de la résistance et donner le cap de la planification des opérations.
121Dans l’hypothèse d’un débarquement dans la Manche et en Méditerranée et en tenant compte des situations régionales et du rapport des forces face aux troupes d’occupation, trois types de situations sont envisagés : dans le Nord, le sabotage des communications sera la priorité ; dans le Sud-Ouest et le Centre, l’insurrection est envisageable ; dans le Sud et le Sud-Est, le sabotage et le renseignement seront pratiqués sur la côte et dans les vallées, l’insurrection étant déclenchée dans les montagnes. Si dans l’ensemble, les Anglo-Saxons comptent davantage sur les bombardements aériens que sur l’action de la résistance, il est toutefois nécessaire afin qu’elle assure les tâches prévues que son organisation soit sensiblement améliorée, une préoccupation qui est partagée par les forces résistantes et le BCRA.
122Dans ce but, l’état-major interallié prévoit l’envoi de cadres militaires ou de troupes aéroportées pour appuyer, encadrer ou former les maquis dans les combats de la Libération. À cette fin sont préparés pour être envoyé en France des équipes Jedburgh, des missions interalliées, des unités SAS et des Operational Groups269. En métropole, à la suite de l’accord du 29 décembre sur la création des FFI270, le comité central des mouvements de la Résistance crée le 1er février 1944 un EMN FFI, qui en réalité ne commencera à fonctionner qu’en mars, et un organe de contrôle, le COMIDAC, qui en mai deviendra le COMAC271. Cet état-major a davantage une fonction de centralisation politique des organisations armées qu’une fonction de commandement, d’autant plus que les organismes militaires émanant du CFLN sont étoffés au cours de cette période et vont jouer un rôle majeur dans l’action armée de la Résistance.
123Dans un premier temps, au cours de l’automne 1943, à la demande du haut commandement interallié, le BCRA met en place un système de délégués militaires qui comprend un délégué militaire national (DMN), deux délégués de zone (DMZ) et des délégués militaires régionaux (DMR). Ces délégués ne sont pas destinés commander les FFI, mais à faire la liaison avec Londres, à remplir des missions d’inspection et à mettre en place les plans de destruction prévus pour la période du débarquement et de la Libération. En réalité, disposant des liaisons radios et d’importants fonds, ils vont jouer un rôle important de conseillers, d’encadrement et de commandement au sein des états-majors régionaux ou locaux des FFI, même s’il leur faudra en général attendre les combats de la Libération pour s’imposer. L’objectif initial de centralisation a été abandonné à la suite des arrestations de mai-juin et le centre du commandement est fixé à Londres pour garantir sa sécurité. Cette solution, voulue à l’origine par le SOE qui la fait ensuite adopter par le BCRA, a aussi l’avantage de priver les chefs des mouvements résistants du contrôle politique de leurs éléments armés et de les écarter du champ militaire. Cette stricte dissociation entre le politique et le militaire se heurte à l’opposition de la majorité des chefs de la Résistance, communistes compris, et la multiplication dans les premiers mois de 1944 des comités départementaux de Libération, les CDL, va permettre aux mouvements de conserver une relative emprise sur les FFI.
124Alger joue également son rôle dans la mise en place des structures de direction de l’action armée, puisque le soutien aux forces de la résistance du sud et d’une bonne partie du Sud-Ouest relève de l’Afrique du Nord. Les mêmes principes qu’à Londres s’appliquent : le commandement s’exerce depuis Alger sous la responsabilité du Comité d’action en France (COMIDAC), créé le 4 octobre, qui a autorité sur le Service de renseignement et d’action, commandé jusqu’en novembre par le général Cochet, puis par Soustelle, qui est aussi secrétaire général du COMIDAC. Les services spéciaux giraudistes restent en dehors de ce dispositif et continuent de travailler en relation étroite avec le SOE et l’OSS. Mais, dans les premiers mois de 1944, le bilan des mesures prises est décevant en l’absence de fusion des structures paramilitaires et au vu du déficit d’autorité des délégués militaires dans la plupart des régions, à tel point que le DMN Louis Mangin alerte Londres de « l’anarchie » qui prévaut272. Il est manifeste que les communistes contribuent à cette situation par l’affirmation d’une politique militaire ambitieuse qui les distingue du reste de la Résistance et diverge des conceptions stratégiques de l’état-major interallié.
La politique militaire du PCF et la lutte armée
125De même que l’historiographie du communisme tend encore à négliger le facteur militaire et la défense nationale dans l’évolution du PCF de l’entre-deux-guerres, sa politique militaire au cours de la Seconde Guerre mondiale n’a été prise en compte que tardivement et seulement sous l’angle de la lutte armée et de l’insurrection nationale. Or, le PCF a construit progressivement au cours de l’année 1943 une politique militaire globale centrée sur la formation d’une armée nationale, dont la résistance armée n’était qu’une des composantes, et qui s’inscrivait pour une bonne part dans la continuité de celle de l’avant-guerre. Peut-on aller jusqu’à qualifier cette politique militaire d’axe stratégique du communisme français de 1943 jusqu’à la fin de la guerre ? Il est certain qu’elle joue un rôle central pour l’appareil communiste ainsi que le montre le contenu du bulletin interne La Vie du Parti273 où elle occupe tôt une place importante, alors que son apparition dans L’Humanité est plus tardive et discrète.
126Cette politique militaire évolue en trois phases :
Du deuxième semestre 1941 à décembre 1943, elle se limite d’abord à la lutte armée et au sabotage, puis, à partir de la fin de 1942, elle s’élargit à la préparation de l’insurrection nationale. Jusqu’en décembre 1943, la propagande communiste ignore alors la question de la réorganisation et du développement d’une armée régulière pour mener le combat de la libération aux côtés des forces anglo-américaines. Ainsi, lorsque L’Humanité clandestine du 3 septembre appelle à intensifier « par tous les moyens » la lutte contre les Allemands, l’armée n’est pas citée. Pourtant la question est posée au sein de l’appareil communiste depuis le début de l’année, puisque La Vie du Parti parue en février décrit les FTP comme « le noyau de l’armée nationale de libération274 ». Puis, le numéro d’août critique l’échec de la fusion sous commandement unique des forces armées françaises et il trace la perspective d’« une nouvelle armée nationale » qui intégrera les FTP et « les soldats de l’Armée secrète275 ».
Le 15 décembre, le PCF amorce une nouvelle orientation en demandant devant l’Assemblée consultative la mise sur pied d’une armée d’un million d’hommes et, le 24 décembre, L’Humanité clandestine consacre un article aux « soldats français [qui] se battent » en Italie. Dans les mois suivants, cette thématique est régulièrement rappelée, mais c’est cependant le mot d’ordre d’insurrection nationale qui reste nettement prédominant dans la propagande communiste. Fin mars 1944, François Billoux prononce devant l’Assemblée consultative un discours sur « l’armée française de libération » qui pose les bases d’un programme militaire pour la formation d’une armée de masse adaptée à la guerre moderne.
127Le dirigeant communiste fixe trois priorités :
accélérer sans retard la fusion totale des forces armées d’Afrique du Nord, d’outre-mer et des différentes unités autonomes en « une seule armée nationale », à laquelle sera rattachée « l’armée sans uniforme » de métropole.
cette armée unique, réunissant forces intérieures et extérieures, doit relever d’un commandement unique, avec un commandant en chef, flanqué de trois adjoints, l’un pour les forces terrestres, le second pour l’aviation, le troisième pour la marine. Un commissariat à la Défense nationale doit également être créé et englober trois sous-secrétariats, Terre, Air, Mer.
former en masse officiers et sous-officiers des trois armes et regrouper en Afrique du Nord tous les centres de formation placés sous l’autorité d’un inspecteur général. Les élèves officiers devraient être recrutés parmi les vétérans de Bir Hakeim, du Tchad, des corps francs et de la résistance corse.
128Cette dernière proposition annonce le troisième stade de la politique militaire communiste, celui de « l’amalgame », qui deviendra à partir d’août 1944 son axe directeur.
129L’objectif de créer une nouvelle armée nationale n’est pas propre aux seuls communistes, puisqu’il n’est pas sans écho dans les milieux militaires d’Alger et dans les mouvements résistants. Ainsi, Combat du 13 février 1944 publie de larges extraits de l’intervention du général Tubert devant l’Assemblée consultative sur « l’armée de la Nation telle qu’elle est possible et nécessaire aujourd’hui276 ». Cet épisode n’est pas anodin, car les communistes comptent sur leur mot d’ordre d’armée nationale pour gagner de l’influence dans les milieux militaires. Vu sous cet angle, il apparaît que la démarche communiste puise dans l’expérience des années 1930 lorsque le PCF, en faisant l’apologie de « l’armée républicaine », comptait s’implanter dans le corps des sous-officiers et des officiers277. Cette continuité est d’autant plus évidente qu’André Marty et secondairement François Billoux ont joué un rôle clé dans la mise en œuvre de la politique militaire du PCF au cours des années 1930 et qu’il en est de même à Alger en 1943 et en 1944. Lorsque Grenier devient commissaire à l’Air, s’il en assume pleinement les responsabilités, il applique certaines revendications de « républicanisation de l’armée » défendues dans l’avant-guerre. Ainsi, dans les jours qui suivent sa prise de fonction, il demande que les plaintes des personnels lui soient directement adressées et il interdit la pratique de la « pelote » dans les unités disciplinaires. Il ne s’agit pas de décisions formelles puisqu’il sanctionne de 60 jours d’arrêt de forteresse le commandant du dépôt école de Tipaza qui n’avait pas respecté sa circulaire, une punition maintenue malgré l’intervention du général Bouscat et du cabinet de de Gaulle278. Le 8 mai, il fait approuver par l’Assemblée consultative la création de comités mixtes dans les usines d’aviation et un assouplissement des conditions d’accès des sous-officiers au grade d’officiers. Le 1er août est créé le groupe de chasse Travail dont la formation a été pour une part financée par souscription à l’appel des syndicats d’Algérie en avril 1943. Il est très probable qu’il s’agit à l’origine d’une initiative du PCF, car elle reproduit l’ancienne pratique de collectes destinées à subventionner une unité de l’Armée rouge279, qu’elle concerne l’aviation, arme où les communistes suscitent le plus de sympathies280, et qu’elle concorde avec la ligne communiste d’affirmation du lien armée-nation. Grenier aurait donc mené à son terme cette campagne de soutien au renforcement de l’armée de l’Air en assurant la création du groupe Travail.
130On constate que l’élargissement de la politique militaire communiste à une problématique de reconstruction de l’institution militaire ne suscite guère l’intérêt du CFLN et des organismes intéressés par les questions militaires. Ce sont les FTP qui continuent de fixer l’attention sur le versant militaire du communisme français. La documentation issue des services de police de Vichy fournit au BCRA et au CFLN une vision d’ensemble, assez précise et de qualité, qui souligne que le développement des FTP est la priorité du PCF281. En effet, en juin 1943, la direction communiste a fixé le cap d’un développement rapide des FTP en vue de devenir une véritable armée de masse282. Les directives donnent trois axes à suivre :
renforcer le FN en faisant preuve d’une grande ouverture afin d’y recruter des combattants pour les FTP. La zone sud est particulièrement concernée par cette orientation, car il lui est reproché de ne pas suivre une ligne assez unitaire et d’être en retard pour développer le FN et les FTP ;
créer ou développer les maquis en recrutant des réfractaires au STO. Les FTP ont pris du retard sur ce point et la direction du PCF précise qu’il n’est pas question de débaucher des forces de l’AS pour augmenter les effectifs ;
améliorer la collecte du renseignement, renforcer le service B et mettre en place un « service de renseignement spécial » pour la zone sud rattaché au CMZ.
131Fin 1943, la préfecture de police annonce qu’en vue du débarquement, les communistes veulent accroître la capacité de mobilisation de leurs forces combattantes en créant des milices patriotiques encadrées par les FTP283. Il est vrai que depuis septembre la direction du PCF accorde une grande importance à la mise en place de ces milices conçues comme une force de réserve destinée à appuyer les FTP « en relation avec la grève générale afin de donner aux ouvriers les moyens de se battre, de défendre les usines284. »
132Début 1944, un important document interne saisi par la police précise les enjeux de cette orientation285. Il s’agit d’abord d’augmenter les capacités d’action militaire de la Résistance parce que « de la capacité du peuple français à participer à la lutte armée pour la libération nationale dépendra la place de la France au milieu de ses alliés ». Ensuite, l’enjeu politique est de permettre au FTP de « prétendre au rôle de créateur de la nouvelle armée nationale ».
133Dans l’ensemble, fin 1943-début1944, l’action immédiate est conçue comme une « préparation d’artillerie » destinée à faciliter le débarquement en sabotant en priorité les lignes de communication, mais l’insurrection nationale reste l’objectif stratégique de la lutte armée et de la mobilisation de toutes les forces communistes. Toutefois, sa conception évolue, car, en décembre 1943, la direction du PCF produit un document de synthèse qui amorce un changement de perspective. Si le principe de « l’insurrection indépendante du débarquement » est réaffirmé, un infléchissement apparaît puisque les dirigeants communistes admettent que l’insurrection peut « coïncider avec la création du second front en Europe ». Simultanément, ils estiment que les Anglo-Saxons se montrent désormais plus intéressés par la perspective de l’insurrection nationale. La résistance communiste précise donc sa conception de l’insurrection en cherchant à l’articuler avec le débarquement allié : elle ne doit pas être « une action complémentaire du débarquement », en particulier elle ne doit pas « modeler son rythme » sur celui des opérations alliées qui pourraient connaître une phase de piétinement après la création d’une ou deux têtes de pont. Outre son intérêt militaire, une telle stratégie doit permettre « aux Forces françaises intérieures [de ne pas être] considérées comme des troupes d’appoint d’un commandement étranger mais comme des forces soumises à l’autorité du CNR286 ».
134Ces préparatifs ne passent pas inaperçus puisqu’en février, les renseignements généraux, manifestement bien informés, affirment que les communistes s’attendent au moment du débarquement à une insurrection dans laquelle les FFI tiendront le rôle « de détachements de parachutistes » qui mèneront des opérations planifiées en liaison avec l’état-major allié, tout en agissant pour « encadrer les masses […] et les entraîner au combat287 ». Cette note présente ensuite les objectifs politico-militaires de la résistance communiste : libérer des régions entières pendant que les troupes allemandes seront concentrées sur les zones littorales pour faire face au débarquement ; permettre au « peuple français d’être le principal artisan de sa libération et de jouer un rôle important dans la stratégie alliée. » Les renseignements généraux relèvent que l’insurrection nationale ne pourra être arrêtée en cas de stabilisation du front, mais que, dans ce cas, les communistes prévoient, en s’inspirant de l’exemple de Tito, de former des « bases d’attaque » dirigées contre les arrières des Allemands. Cette note, qui n’envisage la stratégie communiste que sous l’angle militaire, ignore l’hypothèse du complot pour s’emparer du pouvoir.
135Il est vrai que cette hypothèse n’apparaît guère durant cette période et seulement sous une forme peu argumentée : des renseignements, semblant émaner du réseau Ajax, mentionnent les stocks d’armes constitués par les communistes avant-guerre ou pendant la débâcle dans la région de Marseille288 ; une « source sûre » rapporte que les plans insurrectionnels communistes prévoient de « bolcheviser » les soldats en cas de mutineries dans l’armée allemande et que des listes d’officiers français, d’active ou de réserve, ont été établies en vue de leur neutralisation289. Ces quelques renseignements, qui semblent surtout reproduire les vieilles rumeurs de l’entre-deux-guerres sur le complot communiste, n’ont probablement pas suscité l’intérêt du BCRA et du CFLN, car ils ne répondent pas à leurs préoccupations du moment qui portent en priorité sur l’évaluation des capacités opérationnelles des FTP.
136Les rapports de la police de Vichy restent la principale source d’information sur l’action des FTP. Au cours de l’automne, la direction des services spéciaux reçoit des renseignements intéressants sur les structures de l’organisation paramilitaire communiste290 et elle est en mesure de produire une longue note sur la situation générale en France qui souligne l’augmentation sensible des activités terroristes, surtout des attentats contre les collaborateurs, tout en précisant qu’elles ne peuvent être attribuées aux seuls communistes291. Les chiffres donnés par catégories d’actions pour les deux dernières semaines de septembre ne fournissent pas le détail des victimes, mais la tendance à surévaluer les capacités de la Résistance semble prédominer à cette époque, surtout à propos des maquis. Ainsi, le document rapporte que dans la Drôme et l’Ardèche « des hommes armés, sous la direction d’un Préfet des Bois, font la loi », qu’« il y aurait 40 000 hommes armés sur le plateau de Millevaches » et que « la disciplines de ces bandes est très rigoureuses. »
137À l’automne, les chiffres collectés indiquent une très forte augmentation des actions : de 65 en septembre (18 contre des militaires allemands, 47 contre des Français), les attentats atteignent en octobre 238 (29 contre les Allemands, 209 contre des Français) et les sabotages passent de 316 à 911292. Cette hausse très brutale, sans cause évidente, fait douter de la fiabilité des chiffres, mais il est cependant probable qu’ils ont conforté les services spéciaux dans leur perception d’une croissance sensible des capacités d’action de la Résistance et, en premier lieu, des communistes293. Mais, simultanément, de multiples renseignements montrent les limites de l’action armée des FTP. D’abord, les documents communistes récupérés indiquent que les FTP ont encore des difficultés à recruter parmi les membres du PCF, l’objectif des 10 %, passé ensuite à 20 %, étant loin d’être atteint294.
138Les archives communistes confirment que cette passivité, voire parfois l’hostilité à l’engagement, demeure un problème majeur pour la direction du PCF qui, en novembre, déplore la crise de croissance des FTP et décrit la très grande inégalité de mobilisation pour les renforcer selon les régions, certaines d’entre elles ne fournissant même pas 1 % des membres du parti ! Les dirigeants communistes expliquent cette crise par l’existence d’une opposition interne à la lutte armée, « manifestation certaine de l’attentisme », qui doit être « liquidée295 ». Ce déficit d’engagement du PCF dans les FTP inquiète aussi sa direction sur le terrain politique. Dans la zone sud, mais la situation doit être semblable dans au moins une partie de la zone nord, elle estime que l’appareil communiste n’assure qu’un encadrement « très faible, pour ne pas dire inexistant » des membres du parti intégrés aux FTP et qu’en outre, le plus souvent, les cadres du PCF passés aux FTP sont « plein d’allant et de bonne volonté, mais manque d’expérience politique296 ». Selon la direction de la ZS, cette situation explique certaines dérives repérées au sein de l’organisation armée et qui jouent dans des sens contradictoires :
le refus par des communistes du contrôle politique du PCF sur l’organisation militaire. Ainsi, un responsable interrégional FTP va jusqu’à déclarer à un représentant de la direction du PCF qu’« au moment de l’insurrection nationale, il ne faut pas que le Parti nous empoisonne, c’est nous qui dirigeons. Si certains nous emm…, nous les fusillerons » ;
la tendance fréquente à considérer les FTP comme une organisation communiste et non comme un organisme unitaire lié au FN ;
dans certaines régions, le commandement FTP prévoit l’évacuation des villes en direction des campagnes à la veille du déclenchement de l’insurrection, en contradiction avec la stratégie arrêtée par le CMN, mais conforme à celle prévue par l’AS297.
139Au même moment, la direction de la zone sud doit intervenir pour liquider le projet de cadres du PCF qui voulaient créer dans leur zone un état-major clandestin coiffant toutes les organisations contrôlées par les communistes, dont le FN et les FTP, et destiné à diriger l’insurrection nationale298. On est donc très loin d’une mobilisation généralisée et unanime de la mouvance communiste en vue de l’insurrection nationale préparée pour les mois à venir.
140Outre les difficultés d’organisation et de développement, les rapports de police transmis à Londres et à Alger montrent que l’efficacité dans l’action des FTP reste problématique : un rapport d’une grande précision révèle que le démantèlement du réseau Manouchian a résulté de surveillances et de filatures facilitées par des imprudences299 ; la majorité des attentats échoue, le plus souvent par manque d’armes efficaces, telles les grenades Mills qui n’explosent pas, et trop souvent de simples passants figurent parmi les victimes300. Avec lucidité, ce déficit de résultats est expliqué principalement par le manque de cadres militaires expérimentés. Il est vrai que la grande majorité des responsables FTP sont des cadres du PCF, souvent sans expérience militaire, et bien peu ont une formation d’officiers ayant connu le feu301. Pour renforcer l’encadrement militaire et accroître sa qualité, la direction des FTP considère, jusqu’à la fin de 1943, que ses officiers doivent être issus des « masses302 » et à cette fin des écoles de formation sont mises en place, telles celles des Alpes (Entrevaux) et de Dordogne. Cette dernière, qui fonctionne d’août 1943 à avril 1944, emploie comme formateurs des anciens des Brigades internationales et de l’armée républicaine espagnole et elle parvient à un résultat satisfaisant, puisqu’à la suite d’une inspection menée par l’un de ses agents, le SOE effectue un parachutage d’armes303. Cependant, les FTP sont loin d’être hostile au recrutement d’officiers de carrière. Ainsi, le rapprochement avec le général Bloch, alias Rapp et Dassault, qui devient conseiller militaire du CMN au cours du printemps, est considéré comme un succès notable par la direction du PCF304.
141Il semblerait, mais les sources manquent sur ce point, que jusque dans les premiers mois de 1944, on ne trouve pas d’officiers d’active encadrant des unités FTP, à l’exception du lieutenant Henri Hutinet, qui rejoint les FTP de Haute-Loire au début de 1943, et du sous-lieutenant Helmut Kayl qui, d’après le DBMOF, aurait intégré les FTP aux lendemains de la dissolution de l’armée d’armistice305. Il est vrai que les officiers d’active sont encore relativement peu nombreux dans les autres organisations, y compris au sein de l’OMA. À la fin de 1943, le général Revers estime que seulement 200 officiers d’active sur les 3 500 démobilisés en novembre 1942 ont rejoint l’OMA. S’y ajoutent une soixantaine d’autres qui appartiennent à des organisations de diverses obédiences306. L’armée de Vichy n’aurait donc fourni qu’une minorité des officiers ayant rejoint la Résistance, puisque selon le colonel Augustin de Dainville, un total de 4 000 officiers d’active auraient été résistants, 1 500 ayant intégré l’OMA, 1 400 les réseaux, 1 000 l’AS ou les FTP307. Il faudrait toutefois établir la fiabilité de ces chiffres, car un témoin aussi averti que le général de Larminat estime que la faiblesse militaire de la Résistance résulte d’abord du déficit d’encadrement à cause de l’engagement insuffisant des officiers d’active et de réserve308.
142Peut-on distinguer une tendance dominante chez les officiers résistants vis-à-vis des communistes ? Concernant les deux cas connus engagés chez les FTP, l’appréciation ne peut être que très partielle : Hutinet « se disait marxiste et aspirait à la création d’un monde nouveau et d’une armée populaire309 », ce qui ne permet pas de conclure qu’il a adhéré au PCF. Aucun indice ne permet de suivre son évolution politique et idéologique au cours de la guerre. Engagé d’abord dans l’Armée secrète, son passage au FTP semble surtout résulter de son adhésion à « l’action immédiate » contre les Allemands. Il est vrai que son passé d’avant-guerre révèle des influences atypiques pour un saint-cyrien de sa génération, puisqu’il a compté un communiste parmi ses proches, d’abord au lycée puis à Saint-Cyr310. Quant à Kayl, ses idées politiques ne sont pas connues. L’engagement d’officiers dans les FTP a probablement résulté le plus souvent de l’aléa des circonstances combiné à la volonté de combattre hic et nunc. Le témoignage du capitaine Peynaud, qui rejoindra assez rapidement l’OMA, fournit un indice en ce sens. Il écrit en effet qu’aux lendemains de la dissolution de l’armée d’Armistice, il « avait en tête de s’aboucher (pourquoi pas ?) avec les communistes311 ».
143Dans l’attitude vis-à-vis des communistes, le facteur local et personnel joue le rôle principal chez les officiers appartenant à l’Armée secrète : dans certains cas, l’attitude est hostile ou suspicieuse (commandant Vallette d’Osia, chef d’état-major en Haute-Savoie, où les FTP sont peu présents) ou, à l’inverse, favorable (capitaine André Pavelet, commandant les maquis de la R3 ; lieutenant Tom Morel, commandant le maquis des Glières). Mais c’est surtout le positionnement de l’OMA qui est le plus instructif sur l’attitude adoptée par les officiers d’active face aux communistes.
L’OMA et le problème communiste
144Cette organisation, conçue comme la branche clandestine de l’armée française en métropole, conserve une orientation distincte des autres mouvements résistants et ses structures sont d’une homogénéité sans équivalent dans la Résistance, car son commandement et ses cadres sont exclusivement recrutés dans le corps des officiers. Ces hommes se considèrent « en activité de service […] en tant qu’éléments parachutés de l’avant-garde de l’armée de débarquement ». Or, si en dépit de quelques tentatives de contacts, l’OMA et les communistes se sont pour l’essentiel ignorés au cours du premier semestre 1943, la détermination des Anglo-Saxons et du CFLN à voir la Résistance française unifier ses groupes armés, le développement des maquis et la conviction chez tous les résistants que la libération approche, obligent l’OMA et les FTP à se positionner l’un par rapport à l’autre.
145Un processus de rapprochement militaire est amorcé dans un premier temps : en septembre 1943, un accord entre l’OMA et l’AS est conclu pour la zone Sud, puis il est étendu à toute la France ; en octobre, après plusieurs entrevues entre le général Verneau et Georges Marrane, un second accord intervient entre l’OMA et les FTP312. Le processus paraît alors en bonne voie, mais l’accord entre les trois organisations, prévues pour décembre, se réduit en définitive à une décision de fusion entre AS et FTP, sans que la raison de la rupture avec l’OMA soit connue. Selon le capitaine Peynaud, chargé par l’état-major de l’OMA des contacts avec les FTP et le PCF, la rupture a été le fait des communistes :
« Au moment de mettre en œuvre cet accord, le Parti a rompu les relations. Selon Georges Marrane, apparemment dépité, le Parti lui aurait reproché de s’être laissé manipuler par une organisation “corporatiste” d’officiers en quête de troupes […] Le fait que […] le général Revers [successeur de Verneau] ait été dans le passé un proche collaborateur de Darlan, ne saurait, comme certains l’ont supposé, suffire à expliquer cette dérobade. Il faut plutôt y voir, me semble-t-il, le signe d’un déséquilibre politique savamment entretenu par le Parti communiste, entre les forces appelées à participer de l’intérieur à la libération du territoire313. »
146Cette explication n’est guère convaincante, car les relations entre l’OMA et la résistance non communiste se distendent également à la suite de l’échec de la fusion et elles resteront globalement problématiques jusqu’à la libération314. Toutefois, il est indéniable que les communistes durcissent leur attitude vis-à-vis de l’OMA et, dans les mois qui suivent, le Front national et les FTP attaqueront violemment Revers lors des réunions du CNR et du Comité central des mouvements, une orientation d’ailleurs en décalage avec la ligne d’union des forces politiques et militaires suivie par les communistes d’Alger.
147Les archives communistes ne permettent pas de suivre précisément l’évolution du positionnement de la résistance communiste face à l’OMA, cette organisation ne paraissant guère intéresser la direction du PCF qui l’évoque peu dans ses directives. Par contre, elle cible personnellement le général Revers, qualifié, sans que la raison en soit donnée, de « mandataire du comité des Forges315 ». Il apparaît toutefois que la question des relations avec l’OMA provoque des divergences entre responsables communistes, tout particulièrement avec Georges Maranne, qui semblent recouper la séparation zone nord-zone sud, ce constat permettant d’éclairer et de valider partiellement le témoignage du capitaine Peynaud316. En effet, la direction du PCF estime que « les officiers de l’Armée d’Armistice n’ont nullement droit à une place privilégiée dans la Résistance et doivent être soumis comme tous les autres groupements à la loi commune de la Résistance317. » La direction communiste a désavoué Maranne et refusé l’accord avec l’OMA parce que celle-ci aurait voulu assurer l’encadrement et le commandement des forces militaires résistantes. Si la méfiance envers une organisation perçue comme « étrangère à la dynamique patriotique des masse » est bien réelle et s’exprimera dans les mois suivants, elle n’explique donc pas pour l’essentiel la décision prise par la direction communiste en décembre 1944.
148Dans tous les cas, la volte-face des FTP ne peut être interprétée comme la réaction à un regain d’anticommunisme de l’OMA face au développement de la résistance communiste. Si l’OMA, comme l’ensemble de la Résistance, s’efforce durant cette période d’anticiper les conditions et les difficultés de la Libération, on ne repère pas une radicalisation anticommuniste de son orientation dans la période fin 1943-début 1944. Au plan politique, on observe plutôt un mélange de modération et de souplesse, qui, bien évidemment, n’exclut pas les arrière-pensées. Cette attitude englobe le problème communiste, mais le dépasse assez largement. Ainsi, dans l’affrontement de Gaulle-Giraud, l’OMA évolue d’un antigaullisme prudent à la prise de distance progressive avec le giraudisme. Avant même la création du CFLN, la politique de Giraud suscitait de sérieuses réserves. Le témoignage du capitaine Peynaud en donne un aperçu crédible :
« J’avais cru devoir, dès les débuts de notre organisation, plaider en faveur d’un acte de ralliement à de Gaulle, associé à la reconnaissance d’un Commandement militaire national qui n’était pas nécessairement incarné par le Général Giraud, lequel […] avait, au cours de la tournée qu’il fit avant de gagner Alger, déçu tout le monde par son refus de toute entente avec le Général de Gaulle318. »
149D’ailleurs, à la suite de la formation du CFLN, on ne constate pas d’alignement inconditionnel de l’OMA derrière Giraud. Verneau résume l’attitude de son organisation en termes mesurés : « Nous ne reconnaissons aucun autre gouvernement que celui émanant du CFLN et nous obéissons aux ordres du général Giraud319 », cette dernière formule étant suffisamment vague pour sembler découler du rattachement de l’OMA à l’armée d’Afrique du Nord qui reste à ce moment-là sous le commandement direct de Giraud. Mais au fur et à mesure que la position de Giraud s’affaiblit, l’OMA reconnaît explicitement l’autorité de de Gaulle.
150Fin septembre, le colonel Zeller, envoyé en mission à Alger, rencontre de Gaulle. Ce premier contact direct entre le chef des Français libres et l’OMA est rapidement suivi d’une déclaration de Verneau qui admet la subordination de son organisation à de Gaulle. En novembre, Revers, nouveau chef de l’OMA, déclare :
« Une armée n’est pas et ne peut être celle d’un homme […] Nos camarades d’Afrique nous en donnent un nouveau modèle : ancienne armée et forces gaullistes se sont fondues en un tout homogène et solide : l’Armée française dont nous sommes un élément320. »
151Et, pour lever toute ambiguïté sur ce point, Revers informe Giraud qu’il serait « désirable que l’unité des ordres permette l’unité de l’exécution321 ».
152Henri Michel a écrit que le giraudisme relevait d’une « tendance politique » qui était celle de la droite « traditionnelle », « réactionnaire », antiparlementaire322, et, l’on peut rajouter, d’une tendance militariste par son attachement à l’armée comme institution de base de la nation, garante de l’ordre social, de la puissance publique et de la morale civique323. Si ces traits se retrouvent au sein de l’OMA, ils apparaissent souvent atténués et participent de l’éloignement avec le giraudisme. Outre les raisons d’ordre général qui ont progressivement diminué l’autorité et le prestige de Giraud, d’autres facteurs ont joué dans l’évolution de l’OMA. La pression du contexte résistant, avec les contraintes de la clandestinité et l’influence des autres organisations, qui oblige les officiers à s’adapter aux circonstances et peut leur faire découvrir des réalités sociales, politiques et humaines jusque-là étrangères à leur expérience et à leur culture. Le général Laffargue a donné un aperçu de cette maturation intérieure et de l’élargissement d’horizon de ces officiers devenus résistants :
« Psychologiquement, la plupart des cadres de l’armée ne se trouvaient pas à l’aise dans le travail clandestin, qui dissimule les chefs et fractionne les ordres. Paradoxalement pour eux, c’était des milieux qui, précédemment, affichaient peu de sympathie pour l’armée, et que cette dernière accusait de la responsabilité du désastre de 1940, qui étaient à l’avant-garde de la Résistance324. »
153Les brassages d’expériences, de relations personnelles et d’influences intellectuelles ou idéologiques, qui ont été une des caractéristiques de la mouvance résistante, n’ont pu épargner l’OMA, même si ce fut sur un mode atténué compte tenu de l’esprit de corps qui lui confère sa singularité. En outre, il est probable que l’on retrouve en son sein la méfiance ou les critiques de la résistance métropolitaine vis-à-vis d’Alger et de Londres. Ainsi, sur le plan militaire, le commandant Jean Vallette d’Osia, officier de l’AS mais antigaulliste et en étroite relation avec l’OMA, rapporte, sans donner d’ailleurs plus de détails, qu’à la fin de 1943, les consignes reçues de Giraud pour la métropole étaient inapplicables325. Toutefois, les liens avec le giraudisme restent forts jusqu’au printemps 1944, surtout avec ses services spéciaux qui fournissent aux maquis de l’OMA des armes et l’appui de ses agents. De même, jusqu’au débarquement, la protection de l’état-major de l’OMA est assurée par le contre-espionnage militaire giraudiste.
154L’anticommunisme reste un dénominateur commun au giraudisme et à l’OMA dans des formes semblables à celles qui caractérisent les milieux militaires des années 1930 et de la période de Vichy, mais il s’exprime sur un mode sensiblement modéré. Au cours de l’été 1943, le colonel de Jonchay écrit à Charles Maurras :
« Nous pratiquons l’union avec les communistes pour mener l’action face à l’envahisseur, mais nous les considérons comme un corps étranger dans la Résistance […] Ils travaillent au service de la Russie et préparent la conquête du pouvoir326. »
155Cet officier politisé, très anticommuniste, admet pourtant la nécessité de combattre à leurs côtés, même s’il persiste à les considérer comme des étrangers hostiles à la nation. Cette reconnaissance d’une proximité partielle exclut, tout au moins tant que la guerre se poursuit contre les Allemands, de les considérer comme des ennemis à part entière. Si l’on trouve trace dans les archives militaires de documents censément d’origine communiste, qui ont toutes les apparences de faux et qui paraissent avoir circulé au sein de l’OMA327, ils ne semblent pas avoir suscité une forte émotion. En février 1944, Revers adresse à Alger un rapport dans lequel il évoque, entre autres risques, celui d’un « putsch » communiste à Paris au moment du départ des Allemands328, mais d’autres documents émanant du commandement de l’OMA ne mentionnent pas la menace communiste329.
156Cette remarque ne signifie pas que la question du maintien de l’ordre au moment de la libération ne fait plus partie des préoccupations de l’OMA, mais l’on constate que, si Revers la tient encore pour une de ses missions essentielles, dans les faits elle semble n’occuper qu’une place contingente dans les préparatifs de l’action militaire330 et n’est pas systématiquement relié au communisme. Ainsi, le 25 décembre 1943, dans une lettre à Giraud, Revers écrit que le maintien de l’ordre est le problème qui le « préoccupe le plus actuellement » parce qu’il sera nécessaire de l’assurer entre le départ des Allemands et l’arrivée des alliés afin d’empêcher les pillages, les massacres et « les émeutes de toutes sortes ». Pour le chef de l’OMA, contenir le désordre est un enjeu politique majeur, qui inclut l’endiguement du communisme même s’il n’est pas explicitement évoqué, mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’en cas de troubles, les Américains imposeraient leur administration militaire, une « seconde occupation » pour la France. Revers en conclut que les effectifs de l’OMA étant insuffisants, l’envoi de forces aéroportées sera nécessaire pour aider au maintien de l’ordre.
157Si le communisme est rarement cité à propos du maintien de l’ordre, il lui reste implicitement lié, car cette mission que s’attribue l’OMA à une forte dimension politico-militaire. En effet, les désordres sont surtout redoutés comme les retombées inévitables des insurrections urbaines prévues pour la libération331. Le maintien de l’ordre est donc un argument de l’OMA contre la stratégie insurrectionnelle revendiquée par la majorité des forces résistantes, et avant tout par les communistes, qui prévoit de l’appliquer en priorité dans les grandes villes. Cette position est symptomatique des relations compliquées, souvent tendues, voire mauvaises, entre l’OMA et la plupart des autres formations de la Résistance.
158La méfiance ou l’hostilité d’une bonne partie de la Résistance envers l’OMA est indéniable. Si les prétentions de l’OMA à fournir l’encadrement et le commandement des maquis et des organisations résistantes ont joué négativement, ce sont les facteurs politiques et idéologiques qui ont toutefois pesé le plus fortement dans sa marginalisation. Le colonel Passy en donne un bon aperçu dans ses Mémoires :
« La démobilisation de l’Armée d’armistice ouvrit de larges possibilités de recrutement, mais le directoire des MUR repoussa pendant de longs mois toutes les propositions faites par les dirigeants de l’ORA de fournir des cadres à l’AS, estimant que ces nouveaux éléments, qui n’offraient aucune garantie politique, seraient plus dangereux qu’utiles332. »
159Il faut cependant préciser que cette attitude ne résulte pas seulement du rejet du corps des officiers issu d’une armée marquée par le pétainisme et imprégnée des principes de la Révolution nationale. Deux autres facteurs entrent également en ligne de compte : l’antimilitarisme et l’antifascisme.
160Largement répandu dans l’entre-deux-guerres, et pas seulement dans les milieux de gauche333, l’antimilitarisme a été exacerbé par la défaite de 1940, puis par la formation de l’armée d’Armistice et, plus encore, par les conditions de sa dissolution. À la fin de 1942, dans un long rapport sur l’état de l’opinion publique en France, André Manuel, alors adjoint de Passy au BCRA, décrivait les effets des événements de novembre 1942 sur l’opinion publique et les milieux de la Résistance :
« Tous les Français que nous avons rencontrés […] sont unanimes, lorsqu’ils parlent de leur guerre, à souligner l’attitude des cadres de l’armée et singulièrement des cadres supérieurs […] Le discrédit de l’armée s’est si possible augmenté encore par l’attitude des officiers le 11 novembre lorsqu’ils ont permis qu’eux-mêmes et leurs troupes fussent jetés à la porte de leur casernes, dans la rue et littéralement, à coup de pieds dans le derrière, sans opposer la moindre résistance, même symbolique. On vit la troupe sur le pavé, sans ceinturon, traînant les paquetages le long des rues, chassée des casernes, sans vivre, sans ticket, sans argent. Tous les esprits furent frappés de la similitude entre cette fuite de 1942 et celle de 1940334. »
161Ainsi, le recours aux officiers de carrière pour encadrer l’AS s’était heurté à une très forte opposition au cours du premier semestre 1943. Même si, chez les résistants, l’attitude vis-à-vis des militaires se révèle souvent ambivalente, communistes compris, l’OMA, en tant qu’incarnation de l’institution militaire dans la clandestinité, suscite inévitablement le rejet d’une bonne partie de la mouvance résistante. Ce rejet n’a pu qu’être exacerbé par la prétention de l’OMA à jouer un rôle clé dans les combats de la Libération en revendiquant des positions de commandement et en affirmant qu’en temps de guerre, l’application du principe Cedant arma togae devait être suspendue335, une affirmation qui heurte une Résistance portant haut les principes démocratiques et qui alimente les accusations de collusion avec l’extrême droite.
162En effet, l’antifascisme joue également dans la suspicion que suscite l’OMA et il motive probablement pour une bonne part la décision du CNR, qui, en février 1944, lui impose de renoncer à ses prétentions au maintien de l’ordre afin d’être reconnue comme organisation résistante à part entière336. La documentation postérieure tend à montrer que, dans le Sud-Ouest, le Corps franc Pommiès, lié à l’OMA, est tenu pour politiquement suspect par les MUR qui le soupçonnent de collusion avec l’Espagne franquiste337. Il est probable qu’il en est de même ailleurs. Si cette attitude n’est pas générale, il n’est pas niable que l’hostilité ou la méfiance que suscite l’OMA ont eu de fortes conséquences dans le domaine militaire. Toutefois, si elles ont empêché l’accord de fusion à la fin de 1943, elles n’ont pas été assez fortes pour bloquer le développement de relations, même si celles-ci ont dans l’ensemble gardé un caractère plus limité que les anciens de l’OMA n’ont eu tendance à le rapporter après-guerre.
163Au début de 1944, le commandant Louis Mangin, agent du BCRA nommé DMN depuis l’automne, rédige un rapport sur l’OMA qui fournit un bilan partiel de ses relations avec les autres organisations armées de la Résistance338. Il ressort de ce rapport, assez imprécis, que ces liens, de qualité très inégale selon les régions, sont le plus souvent médiocres ou nuls. Mais la portée de ces évaluations est difficile à apprécier, car Mangin utilise le sigle FFI sans que l’on sache s’il inclut les FTP, même s’il semble qu’il désigne seulement l’AS et les CFL. Les plus belles réussites concernent le midi méditerranéen (R2, R3) et l’Auvergne (R6) où les relations sont bonnes et surtout la Drôme où la fusion s’est effectuée dès septembre 1943 et où le chef d’état-major régional des FFI, le commandant Marcel Descour, est issu de l’OMA. Dans la région toulousaine (R4), Mangin estime que le chef de bataillon Pommiès, qui commande les 2 000 à 3 000 hommes de l’OMA, a de bons rapports avec les MUR et il a cherché à en profiter pour s’imposer comme chef régional. Sa manœuvre ayant échoué, il est cependant devenu chef d’état-major régional (une attribution en fait assez formelle), mais il n’est « pas encore assimilé par le milieu » et reste trop « attentiste » ! Dans la zone Nord, où l’OMA est jugée faible ou inexistante, excepté en Franche-Comté et dans le Territoire de Belfort, elle semble bien intégrée à la Résistance, mais les informations recueillies par Mangin sont très floues. Quoi qu’il en soit, l’unité avec les FFI, et a fortiori l’unification, apparaît dans son rapport beaucoup moins avancée que ne le décrit a posteriori le colonel de Dainville, qui affirme que la fusion a été réalisée de septembre à novembre1943 entre l’OMA et l’AS dans les régions de Lyon, Marseille, en Franche-Comté et, dès le printemps 1943, en Corrèze. Dainville attribue la régression dans le processus de fusion, bien entamé selon lui dans la majeure partie du pays, à l’attitude hostile des communistes à partir de l’automne 1943. Par-delà ces péripéties, qui montrent surtout que la réalité des relations entre organisations reste difficile à cerner faute de sources suffisantes, quelques exemples montrent qu’au plan local, le facteur humain joue souvent un rôle déterminant. Ainsi, la présence d’officiers d’active comme cadres des MUR ou des FTP joue un rôle décisif dans le rapprochement avec l’ORA, une influence qui se vérifiera dans les processus d’unification ou d’action commune au cours des combats de la Libération.
164Ainsi, le capitaine André Pavelet, issu de l’armée de Vichy, membre de Combat et commandant les maquis de la R3 (Languedoc) est chargé de la liaison avec l’ORA, avec laquelle il entretient d’excellentes relations, en particulier avec son chef, le colonel Guillaut. Cette proximité ne l’empêche pas d’avoir pour adjoints les communistes, Marcel Bonnafous, alias commandant Marceau, chef du maquis Aigoual-Cévennes, et Antonin Combarmond, alias capitaine Mistral, qui couvre le Gard et la Lozère. De même, en Provence, au printemps 1944, le lieutenant Hutinet, qui a désormais le grade de lieutenant-colonel chez les FTP, est en contact régulier avec le capitaine Lécuyer, chef régional de l’OMA. Dans un registre différent, en Haute-Savoie, le commandant Jean Vallette d’Osia, chef de l’AS, entretient des liens étroits avec l’OMA, mais il ne joue pas un rôle d’unificateur, car ses relations avec les MUR sont difficiles et nulles avec les communistes. Dans le Sud-Ouest, selon le témoignage de Serge Ravanel, le général Revers, chefs de l’OMA, et le général Pfister, qui en assure le commandement régional, s’efforcent de réduire l’opposition du commandant Pommiès à l’unification.
165Les difficultés de l’unification avec l’OMA résultent également des réticences qui se manifestent dans ces rangs non seulement par son rejet de la politique, mais également parce que les divergences sur le terrain militaire restent nettes. D’abord, l’OMA juge sévèrement la négligence des règles de la clandestinité, tout particulièrement par l’AS. Le général Laffargue, qui commande l’ORA dans la région alpine, estime que les relations avec l’AS posent un sérieux problème de sécurité. Ainsi, il juge plus prudent de ne pas nouer de relations avec le général Delestraint après que celui-ci soit venu passer en revue le maquis du Vercors339. Mais, c’est la question de la lutte armée et son corollaire, l’insurrection nationale, qui constituent les plus sérieux obstacles au rapprochement et à la fusion dans les FFI.
166Le concept opérationnel de l’OMA est centré sur l’aide que la résistance armée doit apporter dans un premier temps au débarquement des alliés en menant une action de guérilla, puis en intégrant l’armée régulière pour combattre jusqu’à la victoire340. Trois types d’opérations sont prévus contre l’occupant : paralyser sur ses arrières les voies de communication et les centres de commandement ; renseigner les avant-gardes alliées sur le dispositif ennemi ; exceptionnellement, s’emparer de certains objectifs avant l’arrivée des troupes anglo-saxonnes. Ces missions, aux ambitions limitées, reposent sur l’action de petites unités, très mobiles et aguerries, menant des opérations soigneusement préparées et pouvant être regroupées lorsque l’évolution de la situation permet d’agir à plus grande échelle par concentration des forces. L’OMA est donc hostile à la formation de maquis à gros effectifs et à la prise de contrôle de territoires délimités. Elle est aussi, en principe, opposée à l’action immédiate et critique les attentats qui provoquent des représailles. En réalité, on constate une certaine différenciation des pratiques selon les régions et une remise en cause du refus de principe de l’action immédiate.
167Ainsi, le général Laffargue condamne l’action immédiate qu’il qualifie « d’actions de détail […] sans efficacité, même fâcheuses » parce qu’elles aggravent les souffrances des Français, justifient l’intensification de la répression contre l’ensemble de la Résistance, tout en affaiblissant sa crédibilité dans la population. Laffargue affirme d’ailleurs que tous les officiers sous ses ordres condamnent l’action immédiate prônée par l’AS, les communistes et les Anglais341. Mais en juillet 1943, le capitaine Peynaud, chargé des liaisons avec les communistes, plaide auprès de Verneau pour l’action immédiate qu’il estime « nécessaire à l’entraînement moral et technique » et parce qu’elle « offre encore aux éléments de l’Armée une occasion de gagner l’estime de la population342 ». Aussi, en août, le haut commandement de l’OMA infléchit sa position en autorisant des actions de sabotages, mais sans qu’un cadre précis ait, semble-t-il, été défini. Dans la Drôme, il semble que l’OMA se soit pour une part affranchie des principes établis par le commandement, car Mangin signale au BCRA l’existence de deux maquis OMA relativement importants et il souligne les capacités remarquables d’organisation et d’autorité du commandant Marcel Descour qui « a su adopter nos thèses d’action » et s’est bien « assimilé au milieu » résistant, ce qui sous-entend une attitude ouverte quant à l’action immédiate343.
168En décembre, Revers fixe la doctrine pour action immédiate : elle doit être menée par des groupes spécialisés et viser des objectifs fixés par le haut commandement de l’OMA ; lorsqu’une opportunité mérite d’être saisie, le commandant régional peut ordonner l’opération. Dans tous les cas, les cibles ne peuvent être que militaires, principalement des usines et des moyens transports, ce qui exclut les assassinats de militaires allemands, d’agents de la gestapo ou de collaborateurs, trop dangereux pour l’organisation. En mars, ces consignes sont encore assouplies puisque l’action immédiate est davantage décentralisée, des destructions pouvant être décidées à l’échelon régional et local, et que l’intérêt des assassinats est désormais admis. Si l’OMA s’est rapprochée des MUR, des FTP et secondairement du BCRA sur le terrain de l’action immédiate, sa position demeure inchangée quant au refus de l’insurrection nationale combinée au débarquement.
169Outre sa dimension politique et la question du maintien de l’ordre qu’elle pose, l’OMA rejette aussi la voie insurrectionnelle pour des raisons strictement militaires. En effet, l’insurrection est essentiellement adaptée au milieu urbain, alors que la stratégie de l’OMA, centrée sur l’espace rural, implique le contournement des villes puisqu’elle exclut la prise de contrôle des zones les plus vitales du territoire, à commencer par la capitale. L’OMA reste ferme sur cette orientation, car en février 1944 Revers en précise la doctrine en donnant la priorité à l’action militaire dans les marges rurales du pays : s’il admet qu’il faut mener les sabotages à grande échelle au moment du débarquement, la guérilla doit être limitée aux zones de faibles densités, c’est-à-dire principalement les Alpes, le Massif Central et le Jura, afin d’éviter les représailles massives des Allemands qui seraient inévitablement déclenchées si l’action armée et l’insurrection survenaient dans les villes ou dans des régions très peuplées. Toutefois, dans un second temps, en cas d’évolution favorable de la situation sur le front, il serait possible de prendre le contrôle de zones faiblement tenues par les Allemands, en particulier dans le Sud-Ouest, la libération d’un port pouvant même être envisagée344.
170Dans l’ensemble, on constate que la doctrine de l’OMA pour la bataille de la Libération la distingue nettement des autres composantes de la Résistance : si sur le plan opérationnel et pour une part stratégique, ses conceptions sont plus proches de celles du BCRA que du COMAC, en matière de guérilla, la priorité donnée à la mobilité et au coup de main est proche des conceptions des FTP. Dans tous les cas, la peur du communisme n’apparaît pas au cours de 1943 et des premiers mois de 1944 comme un facteur majeur dans l’évolution de l’OMA. Par la suite, l’imminence de la Libération ne modifie pas ce constat, qui est également valable pour l’ensemble de la résistance non communiste, pour le CFLN et les Anglo-Saxons.
La Libération en perspective
171Au printemps 1944, la longue attente du débarquement allié pour la libération de l’Europe semble devoir prendre fin. Après la déception des reports successifs de l’ouverture du second front, il devient évident pour les Français qui combattent contre l’Allemagne qu’une initiative majeure des alliés sera déclenchée à l’Ouest, probablement en France, au cours de l’année 1944, et très certainement avant l’été. Pour cette raison, le centre de gravité des enjeux politico-militaires, fixé à Alger depuis la fin du printemps 1943, se déplace vers la France où les résistants se préparent à jouer un rôle majeur dans la réussite du débarquement. Les enjeux pour les composantes de la Résistance, de l’extérieur comme de l’intérieur, sont principalement au nombre de trois, avec par ordre de priorité : vaincre les Allemands, c’est-à-dire contribuer à la réussite du débarquement ; s’imposer comme force politique représentative et cohérente, donc apte à gérer le pays, face aux Anglo-Saxons ; parvenir à s’imposer dans le rapport des forces pour l’exercice du pouvoir à la Libération. Dans tous les cas, le facteur militaire domine, car il détermine la réussite et les conditions de la Libération, et fait inévitablement des communistes l’un de ses acteurs majeurs.
172Au fur et à mesure que se rapproche l’échéance du débarquement en Normandie, l’état-major interallié s’intéresse de plus en plus au potentiel militaire de la Résistance. Toutefois, les Anglo-Saxons continuent de tenir les Français en marge des préparatifs du débarquement. Ainsi, le 25 mars à l’issue d’une réunion tripartite, les représentants français sont-ils avisés que « la Résistance reste, jusqu’à nouvel ordre, du ressort des services spéciaux du commandement interallié345 ». Cette attitude s’explique par la volonté de garder le secret du débarquement et probablement par le scepticisme quant à la capacité du CFLN d’assurer son autorité sur la Résistance. De son côté, le CFLN, surtout par l’intermédiaire de ses organismes militaires et de ses services spéciaux, s’efforce d’être intégré au dispositif de décision interalliée. Ce n’est que très tardivement que ces efforts sont couronnés de succès, puisqu’il faut attendre le 31 mai pour que le SHAEF donne son accord « sur le principe du commandement français et du contrôle français de la Résistance ».
173Pour obtenir cette reconnaissance, le CFLN a fourni un important effort d’élaboration stratégique et de planification opérationnelle. Cette tâche a d’abord été confiée à l’état-major d’Alger, puis transférée en décembre à une section d’étude spécialisée, le Bloc Planning, dirigée par le commandant Combaux et basée à Londres. En janvier 1944, ses travaux aboutissent à un schéma d’ensemble sur « l’emploi de la Résistance » au moment du débarquement, qui prévoit trois phases d’action que Jean-Louis Crémieux-Brilhac a ainsi résumé : dans une première phase, celle du débarquement proprement dit, il s’agira de mener principalement des sabotages visant à ralentir la concentration ennemie ; elle se prolongera ensuite dans la deuxième phase, celle de la consolidation de la tête de pont, par un harcèlement contre les lignes de communication et les renforts ennemis et par la mobilisation de l’Armée secrète en vue d’opérations de longue durée qui devraient être intensifiées dans la troisième phase, une fois la percée alliée accomplie. Dans ce cadre temporel, trois types de zones d’opérations sont établis : la zone probable de bataille, la zone probable des arrières ennemis, enfin une ou des zones dites « hors opérations » et de terrain difficile, qui devront servir de « réduits nationaux à la Résistance » et pourront être le point de départ de raids de guérilla. Cette première étude, qui suscite l’intérêt du SOE, est précisée par une seconde qui, d’abord, définit les FFI comme une armée, certes irrégulière mais soumise aux ordres du haut commandement allié, qui, ensuite, accorde un rôle essentiel aux SAS et aux équipes de Jedburghs pour coordonner l’action des résistants et qui, enfin, évalue l’armement et les forces nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. Après que le SHAEF ait exprimé son accord avec « l’économie générale » de ces deux projets, le Bloc planning rédige une synthèse de ses travaux qui est signée le 31 mars 1944 par le commandant André Manuel, chef du BCRAL, et diffusée sous la forme d’un véritable manuel tactique intitulé Instruction sur l’action militaire de la Résistance française. Dans la même période à Alger, le colonel Billotte, secrétaire du Comité de Défense nationale, met au point un document inspiré par les études du Bloc planning mais dont le contenu est d’une plus grande portée, car il est plus impératif et précis dans ses directives et parce qu’il inclut l’organisation détaillée du commandement des forces armées de la Résistance qui relève du COMIDAC d’Alger. Le 5 avril, cette instruction est officiellement approuvée par le général de Gaulle.
174Même si la priorité est donnée à la préparation d’opérations planifiées pour la période du débarquement, l’action immédiate reste à l’ordre du jour. Ainsi, au cours d’avril, le commissaire à l’Intérieur Emmanuel d’Astier informe Jacques Bingen, délégué général clandestin par intérim, que « le CFLN [s’était], à une très large majorité, prononcé en faveur de l’activisme » et que « les ordres les plus constants et les plus fermes [seraient] donnés pour que les armes soient réellement distribuées et qu’elles le soient équitablement suivant l’importance des mouvements et non en fonction de considérations politiques346 ». Une dernière instruction, approuvée le 16 mai par de Gaulle et complétée par un Mémoire intitulé « plan caïman », a un caractère plus abouti et ambitieux que celle d’avril et prend en compte, d’une part, le renforcement sensible des maquis, d’autre part, la probabilité qu’un débarquement secondaire aurait lieu sur les côtes méditerranéennes, très certainement en Provence.
175Ce même mois, est constitué à Londres un état-major des Forces Françaises de l’Intérieur qui, sous l’autorité du général Koenig, commandant des forces françaises en Grande-Bretagne et délégué militaire du CFLN, a pour mission de coordonner les activités en France des services spéciaux alliés, BCRA, SOE, SAS et OSS, et l’action de la Résistance intérieure avec les opérations des armées alliées à partir du débarquement. Le 2 juin, le SHAEF entérine la nomination de Koenig comme commandant en chef des FFI, assisté du colonel Ziegler, et accepte l’intégration d’officiers du SOE et de l’OSS dans l’EMFFI qui devient ainsi tripartite. Mais il faudra attendre le 17 juin, après que la Résistance ait démontré son intérêt militaire, pour que les Anglo-Saxons acceptent la centralisation complète du commandement des FFI par l’EMFFI, ce qui lui donne alors autorité sur l’ensemble des activités militaires clandestines en France, y compris celles des organismes britanniques et américains.
176Cette reconnaissance des capacités stratégiques et de commandement des Français s’explique principalement par le regain d’intérêt des Anglo-Saxons pour les maquis, ce qui se traduit aussi par une augmentation sensible des livraisons d’armes au cours du printemps, même si le gros des parachutages s’effectuera surtout pendant les combats de juin et de juillet. Cette réévaluation du rôle attendu de la Résistance française ne s’explique qu’en partie par la crédibilité acquise par les organismes militaires du CFLN, car elle résulte surtout de la meilleure connaissance des maquis et du renforcement de leurs capacités. Enfin, la préparation du débarquement en Provence accroît encore davantage l’intérêt pour les maquis en raison de leur concentration dans la moitié sud de la France347.
« [En avril 1944], les maquis sont clairement considérés [par le SHAEF] comme des forces militaires d’appoint, et non comme des civils susceptibles d’une insurrection désordonnée […] Une place particulière est d’ailleurs accordée aux maquis du Sud-Ouest, que l’on espère en mesure de libérer des zones entières – et ce malgré les préventions gaulliennes quant à la surreprésentation des maquis FTP dans cette région348. »
177On constate en effet que les Anglo-Saxons ne prennent pas en compte l’affiliation des différents maquis, mais s’attachent à évaluer leurs capacités d’action. Cette absence de classification politique ne reflète pas l’indifférence au risque communiste, mais plutôt la conviction, surtout pour les Américains, que l’AMGOT réglera la question politique, en France comme d’ailleurs dans l’ensemble de l’Europe occidentale libérée, jusqu’à la fin de la guerre. Ainsi, la préparation des équipes Jedburgh ou des missions interalliées ne comprend aucune information sur la configuration politique de la Résistance349.
178Au contraire, pour les Français, l’approche du débarquement rend plus que jamais nécessaire une approche politico-militaire du rôle du CFLN et de l’action résistante dans les combats de la libération. Dans cette optique, la fusion militaire et l’unité politique sont indissociables. Cet impératif ne fait pourtant pas consensus, l’ORA refusant encore d’admettre la prise en compte du facteur politique dans le processus de libération, une attitude source de tension, car elle suscite de sévères critiques et accroît la suspicion à son encontre350. Cette question provoque également un conflit d’interprétation au sein du BCRAL entre sa direction qui veut sensiblement affermir l’autorité de Londres et d’Alger sur les FFI et le binôme Bingen-Serreulles favorables à leur relative autonomie351. Toutes ces divergences se polarisent sur le renforcement des structures de commandement et d’encadrement des FFI, car elles deviennent la préoccupation centrale des acteurs de l’action armée en France, à la fois parce qu’elles sont nécessaires pour gagner en efficacité, mais également parce qu’elles constituent un important enjeu des luttes d’influence.
179Le 13 mai 1944, le CNR décide que le COMIDAC devient le Comité d’action militaire du CNR (COMAC) chargé d’assurer « la direction et le commandement des FFI ». L’État-major national FFI (EMNFFI), placé sous le contrôle du COMAC et commandé par le général Pierre Dejussieu/Pontcarral, est destiné à jouer un simple rôle technique. Dans les semaines qui suivent, consigne est donnée de créer au sein de tous les CDL une commission militaire formée de représentants de l’AS, des CFL, de l’ORA et des FTP, cette directive confirmant que les CDL sont les seules instances civiles habilitées à contrôler les structures locales FFI352. De son côté, Revers met en place des commandements interrégionaux de l’ORA. Depuis l’Angleterre, la formation de l’EMFFI permet une meilleure coordination des forces résistante par l’intermédiaire des délégués militaires dont l’intérêt a été admis par les chefs FFI et qui voient leur rôle s’accroître grâce à leurs liaisons radio, à leurs dotations financières et à leur efficacité pour obtenir des livraisons d’armes. Cette emprise croissante des délégués militaires sur les formations FFI crée les conditions d’un contrôle renforcé de la Résistance depuis Londres et Alger, une évolution que les services spéciaux s’emploient à accélérer.
180De leur côté, les Anglo-Saxons en préparant l’envoi de missions militaires en France pour appuyer le débarquement visent également à limiter l’autonomie militaire de la Résistance. Si l’objectif de ces missions est pour une bonne part de former et instruire les combattants, d’assurer les liaisons et d’obtenir des renseignements, elles visent également à éviter les actions intempestives et à modérer les ardeurs des éléments qui veulent en découdre à tout prix353. Ces efforts, relayés par les agents du SOE et de l’OSS en France, jouent dans le sens de la transmission et de l’application des directives de l’EMFFI par les maquis, les Anglo-Saxons cherchant ainsi à renforcer l’autorité du CFLN sur les FFI au détriment de l’autonomie de la Résistance. Dans l’ensemble, il apparaît très nettement que, dans l’organisation de la lutte armée et de la préparation de l’action au moment du débarquement, l’antagonisme entre le CNR et le CFLN/de Gaulle transcende la rivalité entre les communistes et de Gaulle et les oppositions entre résistance communiste et non communiste. Ainsi, les efforts du CFLN, du COMIDAC (Alger) et de l’EMFFI pour court-circuiter le COMAC relèvent beaucoup plus de la volonté d’affirmer leur autorité sur l’action de la résistance intérieure que de marginaliser les communistes. Dans les semaines précédant le débarquement, on ne constate donc pas de rupture, ni même d’inflexion, dans la politique d’alliance avec le PCF.
181Pourtant, le printemps 1944 est marqué par une progression spectaculaire du rôle des communistes dans les instances de commandement des FFI. Début avril, Maurice Kriegel-Valrimont, représentant de Combat mais lié au PCF, remplace au COMIDAC Maurice Chevance-Bertin, envoyé en mission à Londres. Le 2 mai, l’arrestation du général Dejussieu entraîne la désignation du communiste Alfred Masseret/Joinville comme chef d’état-major de l’EMNFFI. À la fin du mois, la gestapo arrête le colonel Fouré, chef d’état-major FFI de la région parisienne, militaire de carrière et issu de Libération-Nord, et le 1er juin les responsables militaires de la région désignent le communiste Rol-Tanguy pour le remplacer, un choix entériné par le COMAC dans les jours qui suivent. Puis, le 3 juin, un coup de filet permet l’arrestation de neuf chefs de secteurs des FFI parisiens, la plupart membres de l’OCM ou de l’ORA, dont Pierre Lefaucheux (OCM), chef des FFI du département de la Seine354, et le commandant du Garreau (ORA), son chef d’état-major. Il faut cependant se garder de surestimer la portée de cette percée des communistes au sein des structures de commandement FFI, car il est très improbable qu’elle ait été concertée355 et parce que le COMAC relève du CNR où les communistes sont loin d’être majoritaires356. D’ailleurs, le COMAC ne peut être assimilé aux communistes puisque l’un de ses trois membres titulaires est l’ex-officier de marine Jean de Voguë357, catholique pratiquant aux solides convictions de droite, qui reste fidèle à l’orientation décidée collectivement. De plus, les relations entre la direction du PCF et Kriegel/Valrimont ne vont pas de soi, puisqu’elle le soupçonne au début de 1944 d’être lié à la gestapo358 !
182Quoi qu’il en soit, ce renforcement soudain de l’influence communiste dans les structures de commandement FFI, auquel s’ajoute fin mai la création du comité central des milices patriotiques, n’a qu’un impact limité sur la dimension politique du facteur militaire à quelques semaines du débarquement359. C’est surtout le poids des FTP à travers le pays, et avant tout de leur maquis, qui reste la question principale posée par la résistance communiste. Du côté du CFLN, de Gaulle intervient lui-même dans la rédaction de l’instruction du 16 mai dans un sens qui cherche « à limiter, voire empêcher, les mouvements spontanés de la résistance armée et d’éviter les flambées populaires360 ». Mais cette préoccupation ne peut être réduite à la seule volonté de contrecarrer les communistes, car, dans les enjeux politiques de la Libération, le PCF ne représente encore qu’un problème parmi d’autres. Quant à l’attitude des Anglo-Saxons dans les derniers mois précédant le débarquement, elle a été ainsi résumée par Raphaëlle Balu :
« Aucun des documents consultés n’accrédite la thèse selon laquelle les Britanniques et les Américains auraient donné des consignes d’ensemble pour entraver l’action des maquis FTP sur le territoire français. Il semble que les compromis en vue de la Libération l’aient emporté pendant les années de combat sur l’anticommunisme et que la crainte à l’égard des maquis FTP n’ait pas été si marquée qu’on a pu le croire. Les considérations politiques n’étaient certes pas absentes de la guerre, mais elles avaient surtout orienté les Alliés à entretenir des relations avec toutes les forces politiques susceptibles de peser, d’une façon ou d’une autre, dans l’administration de la France libérée. Sur le terrain enfin, la qualité des liens avec les maquis FTP dépendait largement de l’agent allié parachuté.
En l’absence de consigne générale défavorable aux maquis FTP, les situations locales connaissent donc une infinité de déclinaisons, tenant essentiellement aux relations que les agents alliés avaient été capables d’établir avec les maquis de leurs secteurs et plus rarement à un contexte régional particulier […] Même si la stratégie primait, il est évident que les services alliés n’étaient pas dénués d’arrière-pensée politique. Bien au contraire, il apparaît qu’une coopération réussie avec les maquis – communistes ou non – était finalement perçue comme le meilleur moyen de les contrôler la Libération venue. Nombre d’agents soulignent ainsi dans leurs rapports leur emprise sur les maquisards ; si les enjeux en sont avant tout militaires, on ne saurait en ignorer la dimension politique, qui prend de l’importance à mesure que la Libération se profile361. »
183Cette analyse bien documentée souligne l’importance des facteurs locaux qui expliquent la grande diversité des situations et l’absence de dynamique générale contre la montée de l’influence communiste dans les maquis362. Au contraire, la tendance dominante est celle d’un processus de « coopération efficace » entre alliés et FTP, dont la principale exception concerne une partie du Sud-Ouest à cause de la proximité de la frontière espagnole qui suscite une activité antifranquiste chez des groupes de guerrilleros résistants, ce qui inquiète les Anglo-Saxons, tout comme d’ailleurs les dirigeants communistes363.
184Dans l’ensemble, si la continuité l’emporte sur le plan militaire, on constate cependant une série d’inflexions : la revalorisation du rôle attribué à la résistance armée par les alliés ; leurs efforts, relayés avec beaucoup de volontarisme par les gaullistes, pour réduire son autonomie. Ce maintien du cap se vérifie également sur le terrain politique où de Gaulle prend deux initiatives simultanées qui correspondent à une double consolidation : celle de l’autorité de de Gaulle avec l’élimination de Giraud ; celle de l’alliance avec les communistes avec leur entrée au CFLN. C’est en effet le même jour, le 4 avril, que de Gaulle orchestre un important remaniement du CFLN qui lui donne l’occasion d’écarter Giraud, de prendre le titre de chef des armées et d’accepter l’entrée de deux représentants du PCF.
L’anticommunisme introuvable ?
185Cette participation tardive du PCF était devenue inévitable compte tenu de l’approche de la Libération. Pour la première fois, le PCF participe à une instance gouvernementale et son intégration au CFLN parachève son alliance avec de Gaulle, confirme sa nature résistante et le légitime comme force politique nationale à part entière. Cette reconnaissance est donc un succès qui participe de l’accroissement général de l’influence communiste, bien repérée par les services spéciaux et le commissariat à l’Intérieur364, sans qu’elle soit d’ailleurs considérée comme une vague dangereuse. Ainsi, en avril, une note de la direction des services spéciaux sur l’opinion publique dans les Alpes-Maritimes évalue l’influence des « vichystes » à 30 % de la population, celles des collaborateurs à 10 % et celles des « gaullistes » à 60 %, ce dernier chiffre incluant les communistes qui ne sont donc pas classés comme une force indépendante poursuivant ses propres buts365. De même, une analyse des grèves sur la façade méditerranéenne rend compte de leur dimension sociale, sans évoquer le rôle des communistes366. D’autres documents de même origine corroborent cette absence d’alarmisme quant au danger communiste durant cette période : les nombreuses synthèses sur la situation française et internationale ne mentionnent pas le communisme367 et les visées impérialistes russes ne sont mentionnées que pour le seul cadre de l’Europe orientale368. De même, du côté des Anglo-Saxons, on ne constate pas de poussée d’inquiétude provoquée par le communisme à la veille du débarquement. La crainte d’une prise du pouvoir par le PCF à l’occasion des combats de la Libération reste limitée. De Gaulle estime qu’« ils ne feront rien » et la plupart des délégués en France, tels Bingen, Parodi, Laffon et Chaban-Delmas, pensent de même369. Fin mai, la création surprise par le Front national et les FTP du comité central des milices patriotiques suscitent des remous au sein du CNR et du COMAC, mais sans toutefois être perçue comme une manœuvre visant la prise du pouvoir370.
186Même du côté de l’ORA, il ne semble pas qu’une mobilisation anticommuniste se soit amorcée dans cette période. Si le général Revers a manifesté une vive inquiétude371, elle n’est pas générale en région parisienne. Ainsi, Jean de Montangon, qui appartient pourtant au noyau dirigeant de l’ORA en région parisienne, ne mentionne pour cette période que les craintes exprimées par Pierre Lefaucheux, dirigeant de l’OCM372. En définitive, la thèse d’un coup de force communiste à l’occasion d’un débarquement allié reste pour l’essentiel celle de la gestapo373 et de la police de Vichy374, y compris pour des policiers appartenant à la Résistance. Ainsi, un rapport sur le communisme en région parisienne, dérivé d’une note au Préfet de police et rédigé par un policier résistant, estime que le discours de Billoux à l’Assemblée consultative, dans lequel il a demandé la fusion des forces armées et l’instauration du commandement unique, a initié une manœuvre de grande envergure qui vise à donner au PCF la haute main sur les leviers de commande de la Défense nationale, tant en Afrique du Nord qu’en métropole. En particulier, quand le dirigeant communiste réclame que le commandant en chef ait trois adjoints dont l’un aura autorité sur « l’armée sans uniforme en France », il vise à faire nommer à ce poste un FTP afin d’assurer la mainmise des communistes sur les forces de la Résistance. De même, si le PCF demande « l’épuration » de l’armée, le recrutement d’officiers et de sous-officiers issus de la Résistance et l’envoi à Alger d’instructeurs de l’Armée rouge, c’est afin d’infiltrer tous les rouages de l’armée, de l’affaiblir et d’ouvrir ainsi la voie au communisme375. Une analyse plus sophistiquée, fournie par la « source Jean-Claude », reflète une perception probablement plus répandue dans les milieux résistants. Selon lui, les communistes ont renoncé à la prise du pouvoir au moment de la Libération, jugeant les conditions défavorables, en particulier parce que leur influence dans les classes moyennes reste trop limitée. Pour cette raison, ils craignent qu’elles ne basculent dans l’anticommunisme par réaction à une ligne révolutionnaire du PCF. Prudemment, ils suivent donc pour l’heure une politique unitaire de type front populaire, sans renoncer à la prise du pouvoir si ultérieurement les conditions s’y prêtaient376.
187Si pour l’heure l’anticommunisme n’a guère le vent en poupe et si à Alger les tensions entre de Gaulle et les communistes diminuent sensiblement à partir du 4 avril, le chef du CFLN s’efforce toutefois de limiter leur influence. L’entrée des communistes au CFLN est certes un succès pour eux, mais elle fait toutefois figure de compromis a minima : Grenier, exigé par de Gaulle, devient commissaire à l’Air ; Billoux, désigné par le PCF, devient commissaire d’État ; le nombre des représentants communistes est réduit à deux et ils n’occupent que des positions secondaires. Ainsi, Grenier, nommé à la direction du seul département Air, remplace le Troquer qui, lui, avait le titre de commissaire à la Guerre et à l’Air, alors que le département Guerre, de loin le plus important, est attribué à André Diethelm. Quant à Billoux, sa fonction le situe certes haut dans la hiérarchie officielle et protocolaire, mais il reste sans attribution spécifique. Ainsi, après de longues et difficiles négociations, la participation du PCF au CFLN marque l’aboutissement de ses efforts de reconnaissance, mais au prix d’une représentation limitée et de l’obtention de responsabilités de second plan.
188Dans les mois qui suivent, les communistes maintiennent leur ligne unitaire, tout en protestant contre « les agissements anticommunistes » et toute déclaration ou décision qui leur semble s’écarter du cadre de l’union patriotique. Le 19 avril, Jacques Duclos rappelle à Pierre Villon cette orientation : « Notre souci de ne pas porter atteinte à l’autorité du CFLN ne nous empêche nullement de conserver notre franc-parler à l’égard de ceux qui trahissent plus ou moins ses directives377. » Le maintien de la ligne patriotique, sous une forme éventuellement critique mais sans conséquences sérieuses, se vérifie particulièrement lors de l’éviction de Giraud du CFLN. Un rapport du service américain Psychological Warfare Branch, daté du 16 avril 1944, rapporte que
« Jacquinot, commissaire à la Marine, s’est arrangé pour être absent lors de la réunion. Les communistes ont vigoureusement protesté en faveur de Giraud. On croit savoir qu’il y eut un sentiment général de répugnance envers le traitement indigne réservé au commandant en chef. Une source très crédible confirme que les plus fortes objections vinrent du communiste Billoux, le nouveau commissaire d’État, et que le commissaire le plus profondément affligé par le départ de Giraud fut Queuille378. »
189Si les communistes ont effectivement déclaré que l’éviction de Giraud était un acte « inopportun militairement et politiquement », Henri Queuille rapporte qu’à cette occasion, il rencontre Billoux qui semble « inquiet, prudent… et passif379 ». S’ils protestent, les communistes laissent faire et ne cherchent donc pas à organiser une opposition frontale à de Gaulle. Or, le témoignage de Queuille indique que plusieurs membres du CFLN, tels Astier et Jacquinot, craignent une dérive vers le pouvoir personnel qui créerait inévitablement une crise politique à Alger. Même s’ils veulent eux aussi limiter les pouvoirs de de Gaulle, les communistes maintiennent la ligne unitaire et ne cherchent pas à fédérer les opposants à l’éviction de Giraud pour engager une épreuve de force. En définitive, le PCF se limite à critiquer publiquement la décision de de Gaulle sous le seul angle militaire : le 5 mai, Étienne Fajon prononce devant l’Assemblée consultative un discours sur l’effort de guerre dans lequel il affirme que « la décision du gouvernement sur la suppression du commandant en chef n’était pas très heureuse », car ce poste est à la fois « une nécessité militaire380 » et qu’il faut éviter toute confusion entre pouvoir civil et commandement militaire. Si à Alger, l’unité du CFLN est préservée, en métropole l’unification des forces résistantes reste problématique en dépit de l’approche d’échéances décisives.
190En effet, à la veille du débarquement, la fusion des organisations armées dans les FFI est loin d’être réalisée et l’avancée de ce processus se caractérise encore par de très grandes inégalités selon les régions. Le point le plus problématique reste encore l’intégration de l’ORA. Ses dirigeants estiment que le blocage résulte surtout de l’antimilitarisme des communistes et de « ceux qui les avoisinent381 » et secondairement de l’ostracisme des dirigeants des MUR en zone sud382. Cependant, début mai, le colonel Zeller estime que dans quelques régions l’unification est effective (R1, R2, R4), à l’exclusion des FTP qui ne sont même pas cités383. À l’inverse, Marcel Degliame, délégué du COMAC en zone sud, estime que dans l’ensemble les relations au plan local entre l’ORA et les CFL sont satisfaisantes, mais qu’à l’échelle des régions les contacts ORA/FFI sont inexistants384. Au total, on ne constate pas une accélération décisive du regroupement des forces armées résistantes dans les FFI et les divergences restent vives. À ce stade, c’est la question de l’insurrection nationale qui se trouve au centre des désaccords et des enjeux.
191Cette cristallisation des clivages confirme que dans cette période les antagonismes Résistance/de Gaulle et FFI/ORA transcendent les rivalités PCF/de Gaulle et PCF/résistance non communiste. Les Instructions des 31 mars, 5 avril et 16 mai, signées de de Gaulle, excluent l’insurrection nationale des plans de guerre des FFI. Seules sont envisagées quelques insurrections de caractère régional soumises à des conditions précisément définies : elles ne pourront être déclenchées qu’au moment où le dispositif défensif allemand aura été suffisamment affaibli, ce qui exclut toute opération de grande envergure dans la période du débarquement ; dans seulement deux zones, le Centre Sud-Ouest et le Sud-Est montagneux, une insurrection généralisée est considérée comme un objectif réaliste qui mérite d’être préparé. À l’inverse, dans la moitié Nord de la France, « [les actions insurrectionnelles] ne peuvent être pratiquement envisagées qu’à Paris (quartiers de banlieue), en cas de retraite précipitée d’un ennemi démoralisé, peu de temps avant l’arrivée des Alliés385. » Dans tous les cas, les insurrections régionales devraient être déclenchées sur ordre des DMR ou, si possible, du délégué national, en fonction de l’avancée des armées alliées. En outre, les directives venues de Londres prévoyaient un effort de propagande non seulement pour prévenir la population que le débarquement des armées alliées n’entraînerait pas une action de masse insurrectionnelle de la Résistance, mais également pour « détruire par la radio et le tract les impressions contraires386 ».
192Ces orientations convergent avec celles de l’ORA qui dénonce avec constance la ligne insurrectionnelle prônée par la majorité du CNR. Le 21 mai, Revers écrivait encore à Billotte que de Gaulle devrait donner « des ordres formels » interdisant le déclenchement d’une insurrection généralisée, ce qui « ne convaincra pas les communistes, mais fera réfléchir beaucoup d’éléments modérés qui actuellement se laissent entraîner387 ». Ces conceptions des états-majors de Londres et d’Alger étaient aux antipodes de celles de la plupart des dirigeants de la Résistance, aussi bien ceux de l’Armée secrète, que des FTP et du COMAC, tous partisans convaincus de l’insurrection nationale. Cette opposition ne peut d’ailleurs être réduite à une opposition entre Alger-Londres et la résistance métropolitaine, puisque le commissariat à l’Intérieur défend lui aussi le principe de l’insurrection388. De même, il serait simpliste d’estimer qu’il s’agit pour l’essentiel d’un antagonisme entre civils et militaires, car même si cette différenciation existe, des officiers de carrière adhèrent aux conceptions du COMAC, tels les généraux Bloch-Dassault389 et Allard.
193Les tensions et controverses autour de la question insurrectionnelle obligent ses partisans à préciser leurs positions. Ainsi, Astier, commissaire à l’Intérieur, estime qu’elle est nécessaire, en particulier pour assurer la prise du pouvoir, mais qu’elle doit être brève, s’étalant au maximum sur quatre jours. Le 18 mai, sur radio Moscou, Thorez confirme la ligne communiste de la nation armée lorsqu’il proclame : « Que l’esprit de Valmy et de Verdun soulève notre peuple tout entier pour la guerre sainte de libération nationale. » Le 19 mai, Waldeck-Rochet, qui représente le comité central à Londres depuis le départ de Grenier à Alger, écrit à Koenig pour défendre le principe de l’insurrection de masse généralisée dès le débarquement. Du côté du COMAC, Marcel Degliame fournit une argumentation davantage centrée sur le facteur militaire. S’il considère que l’insurrection nationale est un acte de guerre qui doit constituer la finalité des plans d’opérations, sa critique vise surtout les conceptions de l’ORA, car il récuse la dichotomie action militaire/insurrection politique. En particulier, il prend pour exemple la grève des cheminots qu’il est prévu de déclencher au moment de la bataille de la libération. Il s’agira d’une action de type insurrectionnel de portée militaire qui sera peut-être d’une plus grande efficacité que les opérations de guérilla menées contre les chemins de fer390.
194Si les conceptions s’opposent à propos de l’insurrection, les positions sont loin d’être figées. Ainsi à Londres, après une semaine de discussion, Waldeck-Rochet accepte de renoncer à l’appel à l’insurrection immédiate au moment du débarquement. À partir du 27 mai, dans ses allocutions à la BBC, il annonce que l’insurrection sera déconnectée du jour J, qu’elle prendra des formes différentes et pourra être échelonnée dans le temps. En retour, l’interdiction depuis septembre d’utiliser l’expression d’insurrection nationale à la BBC est levée. De son côté, Koenig accepte cette voie de compromis, entérinée par le CFLN. Ces évolutions sont surtout révélatrices de la complexité de la problématique insurrectionnelle qui suscite doutes et interrogations, y compris chez les communistes391, même si elles résultent probablement aussi de la volonté de maintenir l’unité française à la veille de la bataille de la Libération. Les doutes sur la bonne stratégie que doit appliquer la Résistance expliquent aussi la volte-face du haut commandement interallié qui, à la veille du débarquement, remet en cause la planification prévue et ordonne des actions généralisées. Jean-Louis Crémieux-Brilhac résume ainsi ce tournant du dernier moment :
« Le 2 juin, les dirigeants du service secret britannique SOE […] avaient proposé à Eisenhower et obtenu de lui que les messages d’action lancés par la BBC le 5 juin au soir soient diffusés à l’adresse de toutes les formations résistantes et à tous les réseaux d’action sur tout le territoire français, y compris les ordres de déclenchement d’action généralisée. Il s’agissait de semer la confusion dans les états-majors allemands. Le général Koenig n’avait pu que s’incliner. Le général de Gaulle, dans son appel radiodiffusé du 6 juin au soir, eut soin d’insister non seulement sur le devoir de combattre, mais sur le devoir de durer : “Tout le monde doit prévoir que l’action des armées sera dure et sera longue. C’est à dire que l’action des forces de la Résistance doit durer, puis aller s’amplifiant jusqu’au moment de la déroute allemande”392. »
195Il n’y avait guère de chance que cet appel discret à l’économie des forces pour ménager l’avenir soit entendu par les chefs de la Résistance. Les réalités de la Libération réduisent donc sensiblement les conflits de conception de l’action armée de la Résistance : les partisans de l’insurrection nationale, avant tout les communistes, vont devoir limiter leurs ambitions ; de Gaulle et les militaires d’Alger et de Londres vont devoir l’intégrer davantage à leurs plans.
Notes de bas de page
1 Les États-Unis se limitent à admettre son statut d’administrateur des « territoires d’outre-mer qui reconnaissent son autorité » et les Britanniques le désignent comme « organisme qualifié pour exercer la conduite de l’effort français dans la guerre ».
2 MAE, P 2032, direction des services de renseignements et d’action, situation générale en URSS, octobre 1943 ; Direction des services de renseignement et sécurité militaire, SR Guerre, renseignement, source très bonne valeur, 25 novembre 1943.
3 MAE, P 2032, Dejean, note sur la politique soviétique, 13 octobre 1943.
4 MAE, P 2131, mission française auprès des gouvernements alliés, attaché militaire, la guerre russo-finlandaise et la Suède, 8 mars 1944.
5 MAE, P 2033, commissariat Affaires étrangères, Alger, 12 février 1944.
6 MAE, P 2139, Pierre Cot à Massigli, non daté.
7 Cette thématique participe de la soviétophilie qui se répand dans les pays alliés (Belot Robert, « La résistance française non-communiste et l’image de l’URSS », art. cité, p. 267).
8 MAE, P 1722, MM-Moscou, 15 juin 1943 ; P 2032, télég. Mission française Kuibychev, 11 juin 1943 ; MAE, P 2033 (ce dernier carton contient une série de notes détaillées, datant de février 1944, sur les réformes décentralisatrices).
9 MAE, P 2032, télég. d’Istanbul d’Étienne Manac’h, a/s de la résolution du Presidium du CC de l’Internationale communiste, 15 juin 1943. L’auteur a récemment remplacé Géraud Jouve comme délégué de la France combattante en Turquie.
10 MAE, P 2032, Dejean, note sur la politique soviétique, 13 octobre 1943.
11 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Alger, l’URSS et le danger allemand, 8 mars 1944.
12 MAE, P 2033, mission française à Londres, Dejean à Massigli, a/s de la politique slave des Soviets, 28 mars 1944.
13 MAE, P 2032, télég. mission militaire Kuibychev, 12 août 1943 (document non signé). En réalité, l’axe stratégique de la poussée soviétique vers l’Ouest sera orienté vers la Pologne au premier semestre 1944, l’offensive vers les Balkans ne survenant dans un second temps qu’au cours du deuxième semestre.
14 MAE, P 2032, direction des services de renseignements et d’action, situation générale en URSS, octobre 1943.
15 MAE, P 2033, direction générale des services spéciaux, centre de documentation, la politique balkanique de l’URSS, 7 janvier 1944.
16 MAE, P 2032, télég. CFLN, Alger, l’URSS et le problème des réparations, 4 novembre 1943 ; P 2033, direction générale des services spéciaux, centre de documentation, renseignement, résumé d’une conversation avec une personnalité diplomatique soviétique, source très bonne, 31 janvier 1944.
17 MAE, P 2032, direction des services de renseignements et d’action, situation générale en URSS, octobre 1943.
18 MAE, P 2033, direction générale des services spéciaux, centre de documentation, renseignement, source occasionnelle ayant été en Allemagne jusqu’en 1943, situation générale en Russie, 4 mai 1944.
19 MAE, P 2033. Ce carton contient de nombreuses notes sur l’activité soviétique au Proche et Moyen Orients ainsi qu’en Tunisie.
20 MAE, P 2033, télég. M. de Vaux Saint-Cyr, délégué du CFLN à Stockholm, à Massigli, Russie et Allemagne, 13 mars 1944.
21 MAE, P 2153, le problème de la sécurité (non daté, non signé).
22 MAE, P 2153, le problème de la paix avec l’Allemagne, 2 mars 1944.
23 MAE, P 2032, aggravation du malaise interallié, revue de la presse soviétique d’août 1943.
24 MAE, P 2032, télég. Mission militaire, 7 août 1943 ; P 2034, télég., mission militaire française Moscou, 26 août 1943.
25 MAE, P 2032, télég. de Londres, 28 septembre 1943.
26 MAE, P 2139, DiploFrance Alger aux missions françaises de Londres et Washington, 20 août 1943.
27 MAE, P 2032, direction des services de renseignements et d’action, situation générale en URSS, octobre 1943.
28 MAE, P 2139, DiploFrance Alger à AmbassFrance Londres et LibFrance Washington, non daté.
29 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 18 mars 1944.
30 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Alger, l’URSS et le danger allemand, 8 mars 1944.
31 MAE, P 2033, direction générale des services spéciaux, centre de documentation, renseignement, relations anglo-russes, source bien placée, 20 janvier 1944 ; Direction générale des services spéciaux, SR Guerre, renseignement, étude effectuée par un informateur bien placé, les Anglo-Saxons et les Russes, 12 février 1944.
32 MAE, P 2032, CFLN, Secrétariat, très secret pour l’information personnelle des membres du Comité, politique du gouvernement russe, 10 août 1943 ; MAE, P 2032, direction des services de renseignement et sécurité militaire, SR Guerre, renseignement, source très bonne valeur, 25 novembre 1943. À la différence des Américains qui se montrent plus réceptifs à ces rumeurs, les Anglais jugent très improbable un tel accord.
33 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », op. cit., p. 147 et 154-155.
34 Si Massigli adopte au cours de ce débat une position nuancée, il se prononcera dans les mois suivants contre une alliance avec l’URSS, en considérant que « c’est à la fois contre l’Allemagne et contre l’URSS qu’il conviendra d’organiser notre système de sécurité » (MAE, P 2153, le problème de la sécurité, non daté, non signé).
35 MAE, P 2032, projet de télég., DiploFrance, Alger, relations franco-soviétiques, 3 novembre 1943. Dejean reprendra cette argumentation au printemps en insistant sur la centralité du danger allemand dans l’Europe de l’après-guerre et sur la nécessité pour la France de montrer aux Soviétiques que « l’élimination durable du péril germanique […] est la loi suprême de sa politique » (MAE, P 2033, télég. DiploFrance Alger, l’URSS et le danger allemand, 8 mars 1944).
36 À noter que les organisations de résistance, tout particulièrement Combat, défendent des positions qui sont très marginales au sein du CFLN : favorables à des « États-Unis d’Europe », qui permettraient d’intégrer l’Allemagne et l’URSS, ils rejettent la perspective d’un ordre international dominé par des blocs et organisé en zones d’influence (Belot Robert, « La résistance française non-communiste et l’image de l’URSS », art. cité, p. 277-285).
37 Ainsi, Massigli apprend en septembre que Petit a transmis récemment une lettre de de Gaulle à Staline et il en réclame une copie, probablement sans succès (MAE, P 2153, le Commissaire aux Affaires étrangères au général de Gaulle, président du Comité de libération, 22 septembre 1943).
38 Jansen Sabine, Pierre Cot, op. cit., p. 425-426. Georges-Henri Soutou estime que cette mission est conçue pour « tenir compte des orientations d’une partie de l’Assemblée consultative », mais sa préparation compliquée, en particulier pour définir son statut, et la décision finale de de Gaulle qui fait figure de compromis, tendent à indiquer que ses enjeux étaient plus importants (Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », op. cit., p. 151).
39 Cot prône une politique d’alliance privilégiée avec Washington et Moscou, et critique l’objectif d’une alliance déséquilibrée qui lierait trop exclusivement la France à l’une des deux puissances (Jansen Sabine, Pierre Cot, op. cit., p. 389).
40 Becquet-Lavoinne Claude, « Itinéraire du Général Walther von Seydlitz-Kurzbach (1888-1976) : un officier allemand face aux totalitarismes. », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2/2005 (no 218), p. 53-66, [www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2005-2-page-53.htm].
41 MAE, P 2032, télég. MMF, 12 août 1943.
42 MAE, P 2034, Schmittlein Moscou, 20 septembre 1943.
43 MAE, P 2032, Dejean, note sur la politique soviétique, 13 octobre 1943.
44 MAE, P 2153, Henri Queuille, ministre d’État, à Massigli, note sur l’armistice, 22 décembre 1943 ; note sur les clauses essentielles d’un armistice avec l’Allemagne, 10 février 1944. Cette question de l’armistice a été discutée par le comité interallié de Londres.
45 MAE, P 2153, le problème de la paix avec l’Allemagne, 2 mars 1944.
46 À noter qu’en février, le SR giraudiste relève les manifestations d’impérialisme de l’URSS (MAE, P 2033, direction générale des services spéciaux, SR Guerre, renseignement, étude effectuée par un informateur bien placé, les Anglo-Saxons et les Russes, 12 février 1944).
47 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 5 avril 1944.
48 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », op. cit., p. 144.
49 MAE, P 2032, délégation de la France combattante en URSS, le malaise interallié d’après la presse soviétique du 21 juin au 20 juillet 1943.
50 MAE, P 1749, général Valin à Francombat, à Alger, 7 juin 1943.
51 MAE, P 2032, télég. Mission française, 28 juin 1943.
52 MAE, P 2033, MM Moscou, 10 août 1943 ; P 2032, aggravation du malaise inter-allié, revue de la presse soviétique d’août 1943.
53 MAE, P 2034, Schmittlein Moscou, 23 septembre 1943.
54 Cité par Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 134.
55 MAE, P 2033, Volynsky L., « L’Unité des patriotes français », Krabnaja Zvezda, 14 juin 1943 ; P 2032, délégation de la France combattante en URSS, le malaise interallié d’après la presse soviétique du 21 juin au 20 juillet 1943.
56 MAE, P 2032, télég. Mission militaire, 7 août 1943.
57 En octobre, les services secrets estiment que les Soviétiques veulent une France « forte et puissante » et souhaitent qu’elle participe au règlement des questions européennes (MAE, P 2032, direction des services de renseignements et d’action, situation générale en URSS, octobre 1943). Au même moment, Garreau exprime le même point de vue à la suite de ses conversations avec Vychinski (MAE, P 2139, télég. DiploFrance Moscou, a/s conférence de Moscou, 19 octobre 1943 ; P 2032, télég., Moscou, 6 novembre 1943). En Russie, la propagande de guerre accorde une grande attention au régiment Normandie, ce qui contribue à alimenter la conviction des militaires et diplomates français que la France reste pour les Soviétiques un allié de poids. Ainsi Garreau est fort impressionné par les honneurs exceptionnels rendus à Marcel Lefèvre lors de ses obsèques, d’habitude réservés aux « chefs importants » de l’Armée rouge (SHD-DAA, Z 25249, Le Commissaire de l’Air, Fernand Grenier, au général Bouscat, 13 juin 1944).
58 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », op. cit., p. 156.
59 Lévéque François, « Les relations franco-soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, de la défaite à l’alliance (1939-1945) : essai historique d’après les Archives du Quai d’Orsay », Revue des études slaves, t. 69, 1997, p. 445. Par exemple, en octobre, Bogomolov dit à Massigli que l’effort de mobilisation en Afrique du Nord pourrait être plus important (MAE, P 2139, commissaire aux Affaires étrangères, visite à M. Bogomolov, 14 octobre 1943).
60 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 584 ; Queuille Henri, Journal de guerre Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, Paris, Plon/Fondation Charles de Gaulle, 1995, p. 95 et p. 135-136.
61 À Moscou, lors d’une réception organisée le 1er janvier 1944 par la MMF, Arthur Ramette se montre « dubitatif » à propos de de Gaulle et évoque « l’attitude d’expectative » des Soviétiques à son égard (Carnets Petit).
62 Note de Lozovski à Molotov, 6 octobre 1943 (citée par Lévéque François, « La place de la France dans la stratégie soviétique de la fin de la guerre en Europe (fin 1942-fin 1945) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 36, 1994, p. 32).
63 MAE, P 2139, commissaire aux Affaires étrangères, visite à M. Bogomolov, 14 octobre 1943 ; MAE, P 2207, télég. DiploFrance à Mission Française Moscou, 11 mai 1944.
64 Vidal Georges, Une alliance improbable. L’armée française et la Russie soviétique (1917-1939), op. cit., p. 218-225.
65 SHD-DAT, 1K 225, Monsieur Léon Noël, ambassadeur de France auprès le gouvernement polonais, à Monsieur E. Daladier, ministre des Affaires étrangères, 15 octobre 1939.
66 Gaulle Charles de, Lettres, notes et carnets. 1919-juin 1940, Paris, Plon, 1980, p. 442. De Gaulle fut affecté à la MMF en Pologne lors de la guerre russo-polonaise d’avril 1919 à janvier 1921. Son point de vue n’a rien d’exceptionnel, car les officiers membre de la mission, à commencer par son chef le général Weygand, ont le plus souvent produit des témoignages négatifs sur le régime polonais et son armée (Weygand Maxime [général], Le « Journal » du général Weygand, Paris, Éditions du CNRS/ESID, 1998, p. 67 et 127 ; Vidal Georges, Une alliance improbable. L’armée française et la Russie soviétique, op. cit., p. 192).
67 MAE, P 2032, télég., Dejean, ministre plénipotentiaire, délégué du CFLN, à Massigli, ambassadeur de France, commissaire aux Affaires étrangères, le différent russo-polonais, 27 octobre 1943.
68 MAE, P 2032, direction des services de renseignements et d’action, situation générale en URSS, octobre 1943.
69 MAE, P 2033, Téleg. de Dejean à DiploFrance, janvier 1944.
70 Obitchkina Evguenia, « La diplomatie de Staline face à la question polonaise en 1944 », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 258, 2015, p. 5-26.
71 Cot, qui vient d’arriver à Moscou, y voit seulement une réaction épidermique des Russes pour tout ce qui touche à la Pologne (MAE, P 2034, télég. DiploFrance Moscou, 21 mars 1944). Cette explication est probablement juste, mais la décision de Moscou traduit également un changement d’ambiance dans les relations franco-soviétiques.
72 MAE, P 2207, télég. DiploFrance à Mission Française Moscou, 11 mai 1944. De Gaulle lui répond vertement que la France a été reléguée hors de la Commission européenne de Londres et qu’elle a été laissée dans l’ignorance des décisions de Téhéran et des négociations menées entre Anglo-Saxons et Soviétiques.
73 Massigli le note au cours du mois de mars 1944 (MAE, P 2033, commissaire aux Affaires étrangères, conversation avec l’ambassadeur d’URSS, 21 mars 1944).
74 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », op. cit., p. 157-159. Les Américains n’y sont également pas favorables, mais pour d’autres raisons.
75 Carnets Petit, 15 avril 1944.
76 MAE, P 2034, télég. DiploFrance Moscou, 21 mars 1944.
77 MAE, P 2033, commissariat Affaires étrangères, Alger, 12 février 1944. Il est probable que toutes les tergiversations autour de la mission Cot n’ont fait que confirmer ce sentiment.
78 Jansen Sabine, Pierre Cot, op. cit., p. 374.
79 Carnets AMP, 30 mai 1944.
80 Les Bulletins hebdomadaires de la direction des services spéciaux ne sont plus transmis à Moscou et surtout, le 7 avril, les Soviétiques demandent en urgence des renseignements sur le transfert de divisions allemandes de la France vers les Balkans où l’Armée rouge est à l’offensive. Mais la réponse n’arrive que 17 jours plus tard.
81 SHD-DAA, G 8010, Moscou, télég. du général Petit, 3 avril 1944.
82 Carnets AMP, 24 avril 1944. Cet avis est corroboré par Pouyade.
83 En mai 1944, la demande d’engagement dans l’armée française du général Nicolas Broussilov est rejetée au motif qu’il a combattu dans les armées blanches et dans celle de Franco (MAE, P 2033, le lieutenant-colonel de Rancourt, chef du cabinet militaire du général de Gaulle, au Commissariat aux Affaires étrangères, a/s de l’engagement du général Nicolas Broussilov, 17 mai 1944).
84 SHD-DAA, G 8010, le général Petit au chef d’EMDN, non daté (probablement avril ou mai 1944).
85 Aucune précision n’est donnée sur la mise en place de cette liaison. Il est en tout cas certain que l’EMDN ignore son existence, ce qui tend à indiquer que l’autorisation a été donnée par le commissariat aux Affaires étrangères.
86 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 21 mai 1944.
87 Ibid., télég. DiploFrance Moscou, 22 mai 1944.
88 Ibid., télég. DiploFrance Moscou, 13 mai 1944 et 17 mai 1944.
89 MAE, P 2139, Pierre Cot à Massigli, non daté.
90 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 13 mai 1944.
91 Ibid., télég. DiploFrance Londres, 4 juin 1944.
92 Ibid., télég. DiploFrance Moscou, 25 juin 1944.
93 Ibid., télég. DiploFrance Moscou, 7 juillet 1944.
94 MAE, P 2139, CFLN, Secrétariat général, 9 décembre 1943. Sa composition est de huit officiers, dont deux majors-généraux et un contre-amiral.
95 Mens Jean, Affaire terminée, j’arrive ! [http://www.bigmammy.fr/archives24/8072978.html, 2018].
96 Carnets AMP, 29 avril 1944.
97 Stern Ludmila, « Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942 », Revue Historique, no 682, avril 2017, p. 359-384.
98 Carnets AMP, 25 juillet 1944.
99 Fouchet Christian, Mémoires d’hier et de demain, t. 2, Paris, Plon, 1971, p. 77. Il précise ainsi son témoignage : « Ce jour de l’été 1944, Maurice Thorez arriva à la mission militaire […] me serra la main avec vigueur : “Ah, mon capitaine, quelle joie de vous voir. J’ai l’impression de respirer de l’oxygène !” Il était visiblement sincère. J’eus de longues conversations avec lui, toujours passionnantes. L’homme était évidemment un personnage de premier plan. »
100 MAE, P 2033, MM Moscou, 10 août 1943.
101 SHD-DAA, Z 35857/2, lettre de Schmittlein à Mirlesse, 1943.
102 Carnets Petit, août 1943.
103 Le long séjour de Petit à Londres garde sa part de mystère, faute de sources, en particulier parce que la partie de ses Carnets concernant cette période n’a pas été conservée.
104 MAE, P 2034, télég., mission militaire française Moscou, 20 août 1943.
105 Ibid., télég., général Petit Moscou, 24 août 1943.
106 Ibid., CFLN à Mission militaire Moscou, 5 septembre 1943.
107 Ibid., général Petit, Moscou, pour la section des missions, 7 septembre 1943.
108 Ibid., Schmittlein Moscou, 11 septembre 1943.
109 Les Carnets de Petit présentent une lacune pour tout le mois de septembre, mais ses contacts avec les Soviétiques en octobre ne concernent que les forces aériennes. La question de la MMF n’apparaît plus.
110 La liaison aérienne Damas-Moscou, en principe régulière, est inaugurée en octobre 1943.
111 La délégation est moins bien lotie puisqu’elle doit attendre avril 1944 pour réintégrer l’ambassade de France et qu’elle ne pourra donner une première réception que le 14 juillet suivant. À noter que, jusqu’en avril 1944, le loyer de l’ambassade a été réglé par les autorités de Vichy par l’intermédiaire de l’ambassade de Turquie.
112 Il ne rejoindra pas son poste, le motif d’annulation de cette affectation n’étant pas connu.
113 Archives Petit.
114 SHD-DAA, Z 25249, télég. du général Petit à la section des missions du CDN, 25 janvier 1944. Petit invoque ses ordres de mission, mais le document reçu par l’EM Air porte noté au crayon qu’antérieurement Pouyade n’était pas d’accord avec cette interprétation. Si l’ordre de mission de janvier 1941 ne prévoit pas explicitement cette fonction, l’Instruction personnelle et secrète y fait explicitement référence.
115 SHD-DAA, Z 25249, télég. général Petit au général Bouscat, 12 décembre 1943.
116 SHD-DAA, G 8010, télég. MilFrance-Moscou, 12 janvier 1944.
117 Bien que catholique pratiquant, Petit s’oppose à la création pour le régiment Normandie d’un poste d’aumônier, car cela pourrait froisser les Soviétiques. Il estime en effet que les effectifs étant insuffisants, l’aumônier disposerait de beaucoup de temps libre, ce qui le rendrait vite suspect pour les Russes (MAE, P 2034, télég., général Petit Moscou, 24 août 1943).
118 SHD-DAA, G 8010, télég. MilFrance-Moscou, 27 janvier 1944.
119 SHD-DAA, Z 25249, télég. général Petit à l’EMDN, 23 mai 1944. À noter, toutefois, qu’à la fin de l’année, Neurohr est toujours présent à la mission.
120 MAE, P 1749, EMP à Francombat à Alger, 18 juin 1943.
121 MAE, P 2032, télég. commandant Mirlés, Moscou, 5 août 1943.
122 En février1944, le délégué à Alger du commissariat aux Affaires étrangères, Miskievitch, demande crûment à Massigli : « Quand vous déciderez vous à renouveler votre mission diplomatique à Moscou ? » (MAE, P 2033, commissariat aux Affaires étrangères, Alger, 12 février 1944). Un mois plus tôt, la Délégation ayant été mise en cause lors des débats à l’Assemblée consultative, Massigli demande à Cot d’évaluer la qualité de son activité lors de son séjour en URSS (MAE, P 2139, Massigli à Pierre Cot, 15 janvier 1944).
123 SHD-DAA, G 8010, Moscou, télég. du général Petit, 15 septembre 1943.
124 Ibid., Moscou, télég. du général Petit, 3 avril 1944.
125 Ibid., le général Petit au chef d’EMDN, non daté (probablement avril ou mai 1944).
126 MAE, P 2034, télég. DiploFrance Moscou, 12 avril 1944. Cot souligne que les faibles dotations de la Délégation à Moscou contrastent avec les moyens dont disposent les postes de Londres et Washington, ce qui ne peut manquer d’être interprété négativement par les Soviétiques.
127 MAE, P 2207, télég. Garreau à DiploFrance, 2 juin 1944.
128 Alsacien et parlant russe, Neurhor a été affecté à Moscou pour suivre la question des Alsaciens-Lorrains (Igersheim François, « L’Alsace et la Lorraine à Londres et Alger : de la BBC à la Libération 1940-1944 », Revue d’Alsace, 136 | 2010, 199-273).
129 Carnets Petit, 2 avril 1944.
130 Carnets Petit.
131 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Prisonniers de la liberté, op. cit., p. 182 et 281-283. Avant juin 1941, 218 prisonniers de guerre français évadés avaient gagné les lignes soviétiques et avaient été internés jusqu’au déclenchement de la guerre germano-soviétiques. La plupart d’entre eux sont ensuite envoyés en Angleterre. Jean-Louis Crémieux-Brilhac a raconté comment le capitaine Billotte avait établi une liste de soldats français, communistes ou qu’il considérait comme tels, qui devraient rester en URSS. Il faut cependant préciser que Billotte n’a pas exclu les communistes par principe, puisque 46 d’entre eux, c’est-à-dire la majorité des communistes répertoriés, furent autorisés à partir en Angleterre. Furent exclus, ceux que le capitaine considérait comme des agitateurs. Jean-Louis Crémieux-Brilhac souligne d’ailleurs le manque de cohérence de Billotte pour établir cette classification.
132 Ibid., p. 328-329.
133 MAE, P 2139, télég. Mission Moscou à DiploFrance, 23 janvier 1944.
134 Carnets Petit, 5 juin 1944.
135 SHD-DAA, G 8010, télég. général Petit au CND et commandement Air, 10 septembre 1943.
136 Ibid., G 8010, télég. général Petit à Francombat – Alger, 14 septembre 1943.
137 Ibid., télég. général Petit au général de Gaulle et au CDN, 16 octobre 1943.
138 Souffan Many, « Marcel Albert, un chic type. L’as de l’escadrille Normandie-Niemen », Revue Avion, [http://fr.calameo.com/read/001212767473e2512e60f, 2018].
139 Ibid. Dès son arrivée à Alger, il a également eu une entrevue avec André Marty.
140 SHD-DAA, G 8010, télég. général Petit au CND et commandement Air, 1er septembre 1943 ; Télég. général Petit au CND et commandement Air, 10 septembre 1943 ; Télég. général Petit au CND et commandement Air, 27 septembre 1943.
141 SHD-DAA, Z 25249, télég. général Petit pour Air et CDN, 18 octobre 1943. L’application de ses décisions prend toutefois du temps : l’avis officiel d’attribution de l’ordre de la Libération au groupe de chasse, pourtant décidé le 11 octobre, n’était toujours pas parvenu à Moscou le 19 novembre (MAE, P 2139, télég. général Petit au CDN [missions], 19 novembre 1943).
142 Roger Penverne rapporte que l’unité a reçu un rappel à l’ordre suite aux plaintes de Zakharov concernant les propos antisoviétiques tenus par des pilotes (Gaudart Maryvonne et René, Pilotes du Normandie-Niemen, op. cit., p. 150).
143 Carnets AMP, 24 avril 1944.
144 Ibid., 19 juin 1944.
145 Ibid., 20 mai 1944.
146 SHD-DAA, Z 25249, Le Général Valin à CombatFrance – Alger, 8 juin 1943.
147 MAE, P 1749, Francombat, Alger, aux généraux Valin et d’Astier de la Vigerie, 7 juin 1943.
148 SHD-DAA, Z 25249, télég. mission militaire – Moscou à EMP et Air, 19 juin 1943.
149 L’ex-armée de Vichy compte 20 groupes aériens, basés en Afrique du Nord, contre seulement 7 pour les FAFL, basés en majorité en Grande-Bretagne.
150 Il s’agit d’une décision unilatérale de Valin, puisque le 1er août la MMF a reçu un télégramme de l’EMP lui ordonnant de correspondre exclusivement avec Alger. Il n’y a donc pas une manœuvre concertée des gaullistes pour conserver le contrôle de Normandie.
151 SHD-DAA, G 8010, analyse sommaire, s. d.
152 SHD-DAA, G 8010, général Bouscat au général Petit – Moscou, 11 octobre 1943.
153 SHD-DAA, Z 25249, télég. général Bouscat au général Valin, 19 octobre 1943.
154 SHD-DAA, Z 25249, télég. du général Petit aux généraux de Gaulle et Bouscat et au CDN, 17 octobre 1943.
155 SHD-DAA, Z 25249, télég. du général Valin au général Petit, attribution du commandement des FAF en GB, 23 septembre 1943. Alors qu’à cette date Valin pense pouvoir partir rapidement, une annotation au crayon sur le document indique : « C’est Bouscat qui s’opposait à son voyage ».
156 SHD-DAA, Z 35857/2, éléments de documentation sur les FAF en URSS, 1943.
157 MAE, P 2139, colonel Billotte à Bogomolov, 20 novembre 1943.
158 MAE, P 2207, télég. EMP à mission militaire Moscou, 27 novembre 1943.
159 SHD-DAA, Z 25249, télég. du général Petit au général Valin, 29 novembre 1943.
160 Adjoint du général Valin, aviateur prestigieux, ce choix montre l’importance accordée à l’engagement des FAF en URSS. Le colonel sera nommé quelques semaines plus tard commandant des FA en URSS mais il ne recevra jamais son ordre de départ.
161 SHD-DAA, G 8010, commissariat à la Guerre et à l’Air, note au sujet des relations de l’armée de l’Air avec l’aviation de l’Armée rouge, non daté.
162 Ces pilotes arriveront en URSS en deux vagues, la première en mars, la seconde en avril.
163 SHD-DAA, G 8010, télég. à MilFrance – Moscou, 10 février 1944. Document signé par le colonel de Vitrolles, nouveau chef d’état-major Air.
164 Ibid., télég. général Petit à CDN – Alger, 21 février 1944.
165 Ibid., général Bouscat au Commissaire à la Guerre et à l’Air, 2 mars 1944. Bouscat estime que, outre l’envoi des pilotes déjà programmé, il faudrait prévoir un flux de remplacement compensant des pertes estimées à 15 % par mois ! Il fixe donc à 127 pilotes l’effectif total à fournir en un an aux FAF en URSS, un chiffre qui paraît volontairement exagéré.
166 Ibid., commissariat à la Guerre et à l’Air, télég. au général Petit, 3 mars 1944.
167 Aucune source rapportant cette décision n’a été conservée, mais plusieurs documents y font une référence explicite, sans toutefois mentionner sa date. Déjà, début 1944, le colonel Gerardot, chef d’état-major Air, avait ordonné l’arrêt des négociations avec les Soviétiques en vue de la formation du groupe bombardement.
168 SHD-DAA, G 8010, télég. général Petit – Moscou à Air, 22 mars 1944.
169 Ibid., général Petit à la section des missions du SCDN, 24 mars 1944.
170 Ibid., fiche de renseignement sur l’aviation française en Russie, 31 mars 1944.
171 Ibid., général Petit au chef d’EMDN, non daté.
172 (Souligné par l’auteur du document).
173 SHD-DAA, Z 25249, colonel Morlaix, note concernant les négociations au sujet de l’envoi d’un groupe de bombardement en URSS, 16 mai 1944.
174 SHD-DAA, G 8010, le Général Bouscat au Commissariat Air, 14 juin 1944 (21 pilotes, en cours de route, sont en attente de visas ; 6 en cours de préparation pour partir) ; Téleg. EM général Air au général Petit, 15 juin 1944. À noter que Petit avait proposé comme dénomination Grenoble ou Savoie, mais le commissariat Air avait déjà pris sa décision.
175 Il ne s’agit pas d’un prétexte à polémique, mais d’un problème concret, car en juin 1944, Pouyade affirme que les pilotes envoyés pour former le 2e régiment de chasse ont trop peu d’heures de vol, une « catastrophe pour le prestige français » (Carnets AMP, 19 juin 1944).
176 SHD-DAA, G 8010, télég. général Petit à EMDN, 23 juin 1944.
177 SHD-DAA, G 8010, Le général Bethouart, chef d’état-major de la Défense nationale, au Commissaire à l’Air, création du 2e régiment de chasse en URSS, 25 juin 1944.
178 Carnets Petit, 25 juillet 1944. Au cours de la réunion, Pouyade demande qu’à la fin de la guerre, son régiment puisse rentrer en France avec ses avions. Lvandovitch se montre favorable.
179 SHD-DAA, G 8010, le Général Bouscat au Commissariat Air, 7 août 1944.
180 Petit soupçonne le colonel de Vitrolles, chef de l’EMAir d’être hostile à la politique soviétique du CFLN (Carnets Petit, 3 mai 1944). Il est vrai qu’avant la guerre, chef du 2e bureau Air, il était très hostile aux relations avec l’URSS (Catros Simon, La Guerre inéluctable : les chefs militaires français et la politique étrangère (1935-1939), Rennes, PUR, 2020, p. 246).
181 MAE, P 1749, MM, Moscou, 19 juillet 1943.
182 SHD-DAA, G 8010, Moscou, télég. du général Petit, 15 septembre 1943.
183 Moullec Gaël, « Alliés ou ennemis ? Le GUPVI-NKVD, le Komintern et les « malgré-nous » », Cahiers du monde russe, 42/2-4 | 2001 [http://monderusse.revues.org/91 (erreur en 2023), 2017].
184 Carnets Petit, 29 mars 1944.
185 Ibid., 17 avril 1944.
186 Petit en recevra la confirmation officielle le 6 mai.
187 MAE, P 2033, télég. DiploFrance, 29 avril 1944.
188 MAE, P 2033, commissariat aux Affaires étrangères, entretien avec Bogomolov, 27 avril 1944. Seulement 1 500 de ces Alsaciens-Lorrains seront libérés avant la capitulation allemande. La masse de ceux qui restent prisonniers devient un moyen de pression sur le gouvernement français, qui, de son côté, soucieux de ne pas compromettre ses relations avec l’URSS ne fait pas des Malgré-nous une question de principe. Mais cette instrumentalisation n’est qu’un aspect d’une question délicate difficile à régler. Ainsi, à l’Ouest, des Malgré nous commencent à être libérés par les alliés à partir du début de l’automne 1944 et une bonne partie d’entre eux est intégrée à l’Armée française ; ceux qui semblent douteux sont envoyés dans des unités disciplinaires en Afrique du Nord et d’autres restent prisonniers jusqu’à la fin de la guerre (Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée [août 1944-mars 1946], thèse d’histoire sous la direction de Laurent Douzou, Lyon II, septembre 2016, p. 311-312). Le 19 juillet, 57 000 prisonniers allemands défilent dans les rues de Moscou. Un petit nombre d’entre eux portent une cocarde tricolore ou la croix de Lorraine. En reconnaissant l’uniforme du général Petit, invité par le commandement soviétique, ils crièrent : « Nous sommes Alsaciens, vive la France, vive le général de Gaulle » (MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 19 juillet 1944).
189 Carnets AMP, 12 mai 1944. À noter que, dans les mois qui suivent, Petit ne connaît pas l’existence des militaires français intégrés aux unités de partisans communistes slovaques qui relèvent du haut commandement de l’Armée rouge. Il s’agit d’environ 200 prisonniers de guerre évadés, rejoint par une cinquantaine de requis du STO, qui parviennent en août 1944 à constituer un maquis en Slovaquie sous le commandement des lieutenants Georges Barazer de Lannurien et Michel Bourel de la Roncière. Parmi eux se trouvent quelques communistes qui, selon Lannurien, « ne tiennent nullement à se singulariser ». Ce maquis est rattaché à la brigade Stefanik de la résistance communiste slovaque qui mène une guerre de partisans sous le commandement de l’état-major de l’Armée rouge. Les pertes au combat sont élevées puisque les Français ont 55 tués et 42 blessés, des chiffres équivalents aux taux moyens des pertes de la guerre à l’Est. Lannurien, qui ne montre pas de sympathie pour le communisme, écrit : « Aucune étiquette politique n’est revendiquée. Les Soviétiques, comme les Slovaques, s’en soucient peu. Ils ne veulent connaître que des combattants tous qualifiés d’antifascistes […] Les problèmes politiques ne nous opposent pas. Nous combattons côte à côte contre un ennemi commun. À nos modestes échelons, les objectifs sont à court terme. » Ces Français seront rapatriés au début de 1945 (Durand Yves, « Des Français dans des maquis étrangers », in Marcot François [dir.], Lutte armée et Maquis, op. cit., p. 421-430).
190 Guillon Jean-Marie, « La lutte armée et ses interprétations », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 148.
191 Albertelli Sébastien, Barasz Johanna, « Un résistant atypique : le général Cochet, entre vichysme et gaullisme », Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 5, mai-août 2008.
192 L’affaire Dungler constitue l’un des épisodes de cette guerre d’influence des services secrets français pour contrôler ou encadrer des organisations de résistance. Cf. Péan Pierre, Le Mystérieux Docteur Martin (1895-1969), Paris, Fayard, 1993, 500 p.
193 Ce sont surtout l’OSS et le SOE qui veulent privilégier les relations avec les giraudistes et avec les organisations résistantes qui leur sont liées.
194 SHD-DAT, GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, colloque Henri Michel, Éditions du CNRS, octobre 1974 ; Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., BCRA, p. 377-380.
195 Narinski Mikhaïl, « L’URSS, le Komintern et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 369.
196 Ibid., p. 370.
197 Ibid., p. 371.
198 Étienne Manac’h estime que cette dissolution peut concorder avec l’intérêt national en permettant l’intégration des communistes « dans une synthèse puissante » (MAE, P 2032, télég. d’Istanbul d’Étienne Manac’h, a/s de la résolution du Presidium du CC de l’Internationale communiste, 15 juin 1943).
199 Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., t. 2, p. 53.
200 Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 304.
201 Ibid., p. 380.
202 Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., t. 2, p. 93.
203 Ce petit parti, bien implanté dans la communauté juive, compte aussi des adhérents chez les Européens et les musulmans. Les dirigeants du PCF veillent à ce qu’il n’adopte pas les revendications nationales défendues par les mouvements autonomistes d’Algérie et du Maroc.
204 Leurs conditions de vie sont très précaires, au moins jusqu’au début 1944. Ainsi, André Marty, leur principal dirigeant, est fort mal logé et se nourrit avec difficulté dans les premiers mois de son installation à Alger.
205 Bastien Hervé, « Alger 1944, ou la révolution dans la légalité », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1990, 37-3, p. 429-451. Cette attitude montre que la direction communiste d’Alger ne défend pas sur le fond des positions plus radicales que la direction en France ou à Moscou.
206 Queuille Henri, Journal de guerre Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, op. cit., p. 95 et 103. Il vise en particulier André Philip et Pierre Brossolette. À l’inverse, Queuille souligne à plusieurs reprises la modération des communistes, tout particulièrement de Billoux qu’il rencontre à plusieurs reprises.
207 Cot Pierre, Le procès de la République, New York, Éditions de la Maison Française, 1944, p. 371-398. Il écrit à ce sujet : « Je sais, pour en avoir parlé avec lui, que s’il devait choisir entre les deux extrêmes, un homme aussi modéré qu’Édouard Herriot choisirait le communisme parce qu’il distingue, dans l’évolution et l’avenir du communisme, une flamme de liberté, alors qu’il ne voit rien que les ténèbres de la nuit dans le développement du fascisme. »
208 SHD-DAA, Z 35857/2, lettre de Schmittlein à Mirlesse, 1943.
209 SHD-DAA, Z 35857/2, lettre d’André Marty au général de Gaulle, 3 septembre 1943.
210 Eyrard Jean-Paul, « Attaché naval en Espagne pendant la guerre civile : l’itinéraire du lieutenant de vaisseau Raymond Moullec », Revue historique des armées, 251 | 2008, 104-111.
211 GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, op. cit.
212 Billoux rapporte, sans dater l’épisode, qu’il fut convoqué avec d’autres dirigeants communistes par Giraud qui voulait établir une liaison avec les FTP qui, dit-il, « veulent et savent en découdre ». Billoux lui aurait montré une liste d’officiers et de sous-officiers susceptibles d’effectuer la mission. Giraud aurait alors remarqué le nom de Larribère qu’il avait eu jadis sous ses ordres. Cette dernière anecdote, si elle est authentique, indique qu’il n’y a jamais eu une première mission en France de Larribère au printemps précédent (Billoux François, Quand nous étions ministres, Paris, Éditions sociales, 1972, p. 43). Gaston Plissonnier donne quelques détails sur cette mission de 1944 (Plissonnier Gaston, Une vie pour lutter, Paris, Éditions sociales, 1984, p. 53-54).
213 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 18 juillet 1943.
214 Ibid.
215 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 16 septembre 1943.
216 SHD-DAT, 28P2 105, commissariat à l’Intérieur, Service courrier, diffusion et documentation, le Parti communiste, 9 avril 1944. Ce document, établi à partir de synthèses des renseignements généraux datant de février, dresse un tableau précis et pertinent des priorités insurrectionnelles des communistes au début de 1944.
217 Selon François Billoux, lorsque Arthur Giovoni, représentant du FN de Corse, arrive à Alger, il est « éconduit pas les services gaullistes, mais trouve le meilleur accueil chez Giraud » (Billoux François, Quand nous étions ministres, op. cit., p. 43).
218 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 758.
219 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, section NM, étude concernant l’activité communiste, 25 octobre 1943.
220 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, agent 560, source sûre, 24 décembre 1943 ; 28P1 22, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, information sur le mouvement communiste, bonne source, 24 novembre 1943.
221 SHD-DAT, 28P1 22, France politique, extraits du rapport des renseignements généraux sur les menées antinationales, novembre 1943.
222 MAE, P 2131, direction générale des services de renseignements et de sécurité militaire, service de documentation, situation générale en France, non daté (rédigé fin octobre ou novembre 1943).
223 Cette perception nuancée est justifiée puisque les effectifs du PCF augmentent sensiblement en pourcentage. En zone sud, le nombre d’adhérents passe de 8830 adhérents en juillet à 14 641 en décembre, soit une hausse de 65 % (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport sur la campagne de recrutement, 31 mars 1944). Même si le PCF est inévitablement mieux implanté en zone nord, la modestie des chiffres montre cependant que cette poussée du communisme reste encore relative.
224 Guillon Jean-Marie, « Société française et Résistance. Idées reçues et débats » dans Les comportements collectifs en France et dans l’Europe allemande : Historiographie, normes, prismes (1940-1945), PUR, 2015, p. 191-198 ; Chaubin Hélène, « L’ambivalence patriotique : la Corse légionnaire », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, t. 116, no 245, 2004, p. 79-90.
225 Sainclivier Jacqueline, « Des “accommodements” face à l’occupation en zone nord », dans Laborie Pierre et Marcot François (dir.), Les comportements collectifs en France et dans l’Europe allemande : Historiographie, normes, prismes (1940-1945), Rennes, PUR, 2015, p. 205.
226 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 30 septembre 1943.
227 SHD-DAT, 28P2 105, Section NM, France politique, sur le projet de constitution de l’OCM : premières observations du Parti communiste français, 15 décembre 1943.
228 Alain de Sérigny, directeur de L’Echo d’Alger, évoquant la véhémence de la presse communiste lors d’un entretien avec de Gaulle au printemps 1944, constate toutefois que « les articles les plus durs, les plus frénétiques, les plus agressifs en faveur de l’épuration émanent des milieux MRP et des socialistes ». De Gaulle lui répond : « Dites-vous bien que si nous voulons éviter que les communistes prennent le pouvoir, il n’est d’autre solution que de faire une politique gauchisante, étayée sur les socialistes. Quant à l’épuration, il est normal que ceux qui ont obéi à Vichy et soutenu la Révolution nationale aient des comptes à rendre. S’ils ont collaboré, qu’ils paient » (Jean-Paul Cointet, Expier Vichy : l’épuration en France (1943-1958), Perrin, 2008, p. 69). Quelques mois auparavant Bogomolov déclarait à Massigli qu’il fallait condamner sévèrement un petit nombre « et, pour le reste, passer l’éponge » (MAE, P 2032, Massigli, entretien avec Bogomolov, 14 décembre 1943). À la même époque, Thorez tenait des propos identiques sur Radio Moscou (MAE, P 2139, télég. Mission Moscou à DiploFrance, 22 janvier 1944).
229 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, rapport de police (renseignements généraux), le communisme en France, 16 août 1943 ; 28P2 105, Section NM, France politique, information sur le Front national d’après la Préfecture de police, 28 novembre 1943. Ce dernier document rapporte qu’en vue du débarquement, le Front national prépare des municipalités larges à mettre rapidement en place au moment de la libération et qu’il s’emploie à créer des comités locaux de résistance.
230 SHD-DAT, 28P1 22, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, information sur le mouvement communiste, bonne source, 24 novembre 1943.
231 SHD-DAT, GR 28 P3 195, réseaux et organisations de résistance, indiqué au crayon « dossier Aubrac », doc fourni par JAX ; 28P1 22, France politique, extraits du rapport des renseignements généraux sur les menées antinationales, novembre 1943 ; 28P1 87, France politique, état d’esprit chez les communistes vu par la PP, 22 octobre 1943. À noter que tous les rapports de police ne vont pas dans ce sens (28P1 87, France politique, rapport de police, le communisme en France, 16 août 1943). Parmi ces documents se trouvent un faux bulletin attribué au PCF qui prépare la guerre civile et une épuration massive lors du départ des Allemands (28P1 87, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, un bulletin du parti communiste sur l’autodéfense de la révolution prolétarienne, daté de septembre 1943, 28 mars 1944).
232 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, agent 560, source sûre, 24 décembre 1943. AJAX est surtout implanté dans la police.
233 Jansen Sabine, Pierre Cot, op. cit., p. 424.
234 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 760.
235 Ibid., p. 627, n. 148.
236 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, 20 août 1943 ; 28P1 22, France politique, rapport sur les menées antinationales vues par Vichy du 15 au 31 octobre 1943.
237 SHD-DAT, GR 28 P3 195. Ce carton contient de nombreux documents des FTP au contenu strictement militaire. Les documents d’origine communiste proviennent de la police de Vichy et probablement d’interception de courriers destinés à Grenier. Il semble aussi que certains ont été volontairement fournis au BCRA par les dirigeants FTP.
238 MAE, P 2153, Henri Queuille, ministre d’État, à Massigli, note sur l’armistice, 22 décembre 1943.
239 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 758.
240 SHD-DAT, 28P1 87, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, source Samson, activité du PCF, 20 juin 1944. Ce document est établi à partir de notes rédigées depuis février 1944. La documentation produite à cette époque par la direction du PCF montre la pertinence de l’analyse de Bingen (exemple significatif, MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport sur la campagne de recrutement, 31 mars 1944).
241 En réalité, l’avion qui le transportait pour une mission en France a été abattu par la DCA allemande.
242 MAE, P 2139, télég. Mission Moscou à DiploFrance, 5 décembre 1943.
243 MAE, P 2139, télég. Mission Moscou à DiploFrance, 22 janvier 1944.
244 Les efforts de Thorez pour faire évoluer la politique du PCF à Alger sont confirmés par les archives soviétiques (Narinski Mikhaïl, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942-1944) » dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 238-239).
245 MAE, P 2132, télég. DiploFrance Moscou, de la part de Pierre Cot, 29 avril 1944.
246 Gaulle Charles de, Mémoires de Guerre, op. cit., t. 3, p. 124.
247 Carnets AMP, 19 juin 1944. Cette explication est plus convaincante que celle d’un moyen de pression exercé sur le PCF, conditionnant le retour de Thorez à des concessions politiques.
248 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport de la zone sud, 27 mai 1944. En particulier, la demande d’envoi de « résolutions » par des organismes résistants contrôlés par le PCF ne suscite que peu de retours.
249 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 376.
250 SHD-DAT, 28P1 87, CE, 12 juin 1944 (il s’agit d’une note du préfet de police au ministre Secrétaire d’État à l’Intérieur, datée du 24 mars 1944) ; République française, une étude sur le parti communiste à Grenoble, 13 juin 1944.
251 Témoignage du capitaine Peynaud, Cannes, mars 1997, mission à Alger (Avril1944), Arch. Polytechnique, XRésistance.
252 Vallette d’Osia Jean, Quarante-deux ans de vie militaire, Lyon, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, vol. 2, 1991, p. 184-187.
253 Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 385.
254 Le général Jean Vallette d’Osia en fait une description calamiteuse lorsqu’il rapporte son séjour à Londres au cours de l’automne 1943. Il faut, il est vrai, faire la part de sa partialité au vu de son antigaullisme exacerbé (Jean Vallette d’Osia, Quarante-deux ans de vie militaire, op. cit., p. 175). Sébastien Albertelli note que les agents du BCRA en France ont souvent une mauvaise opinion du service (Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 481-482).
255 Funk Arthur, « L’état major interallié face à la lutte armée » dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 373-375. Pourtant, les Anglo-Saxons surestiment les capacités de la résistance armée, puisqu’à l’automne 1943, les Américains évaluent à 150 000 les résistants qui s’engagent dans des actions ponctuelles violentes et les Britanniques chiffrent à 35 000 ses combattants bien armés (Frank Robert, « Les missions interalliées et les enjeux de la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge [dir.], La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 354-356).
256 Michael Foot écrit que les FTP reçoivent moins d’armes car ils n’ont pas les « contacts » nécessaires (Foot Michael, « Le SOE et le maquis », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 231).
257 Albertelli Sébastien, Histoire du sabotage, op. cit., p. 318-323. En octobre, Jacques Bingen estime que les communistes sont responsables de 90 % des actions immédiates. À noter que le bilan des sabotages durant l’occupation est largement surestimé, ainsi que le révèlent les enquêtes effectuées après la guerre.
258 Albertelli Sébastien, « Les syndicalistes, saboteurs de la France Libre ? », [http://www.france-libre.net/colloque-2016-la-france-libre-et-la-question-syndicale/, 2019].
259 Goupil Georges, « Débats stratégiques autour des maquis de l’Ain », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit. ; Balu Raphaële, « Les maquis FTP dans les stratégies britanniques et américaines pour la Libération de la France : réévaluer la part de l’anticommunisme (été 1943-automne 1944) », dans Vigreux Jean et Ducoulombier Romain, Histoire documentaire du communisme, 2017, [http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html, 2019].
260 Ibid. L’auteur fait référence à d’autres documents de teneur équivalente produits jusqu’à l’été 1944.
261 Viaud Marie-Thérèse, « Problèmes stratégiques et tactiques des maquis de Dordogne », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 260-262.
262 Foot Michael, « Le SOE et le maquis », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 231.
263 Ibid.
264 Ibid.
265 Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 445.
266 Ibid, p. 431.
267 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, section NM, étude concernant l’activité communiste, 25 octobre 1943 ; 28P2 105, commissariat à l’Intérieur, Service courrier, diffusion et documentation, le parti communiste, 9 avril 1944.
268 SHD-DAT, 1K 233, rapport du général Laffargue sur l’activité militaire dans la zone alpine de la 14e région du 27 novembre 1942 au 20 décembre 1943. Ce rapport non daté a probablement été rédigé après la libération. Ce témoignage est à rapprocher de celui de Vallette d’Osia.
269 Depuis 1942, le SOE a commencé à former des équipes Jedburgh composées de trois hommes, deux officiers et un radio. La majorité des officiers sont français, les autres britanniques et quelques-uns américains. Ces missions interalliées ont surtout une fonction de liaison avec Londres. Les SAS (deux régiments britanniques, deux français, un belge) et Operational Groups (américains) sont des unités des forces spéciales, d’un effectif qui vont de quelques hommes à quelques centaines, destinées à mener une action militaire.
270 Cet accord est signé par Pierre Dejussieu pour l’Armée secrète, par le colonel Beaufils au nom des FTP et par Louis-Eugène Mangin, DMN, pour le CFLN.
271 Ce changement de nom vise à le distinguer du COMIDAC d’Alger.
272 Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 478-479.
273 Ce bulletin interne est destiné aux seuls cadres et dirigeants du PCF.
274 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, 20 août 1943.
275 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, octobre 1943.
276 Fonds Tubert, BDIC, [http://www.bdic.fr/pdf/Tubert.pdf, 2019]. Depuis novembre 1943, le général Tubert commande la gendarmerie d’Algérie.
277 Vidal Georges, La Grande Illusion, op. cit., p. 195-220.
278 Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., p. 249.
279 Vidal Georges, La Grande Illusion, op. cit., p. 48-51. Je remercie Richard Vassakos de m’avoir signalé cet épisode particulier de l’histoire des forces aériennes d’Afrique du Nord.
280 Ibid., p. 261-263.
281 SHD-DAT, 28P1 87, CE, 12 juin 1944 (il s’agit d’un rapport du Préfet de police au ministre Secrétaire d’État à l’Intérieur daté du 24 mars 1944).
282 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 1er juin 1943 et 30 juin 1943.
283 SHD-DAT, 28P2 105, Section NM, France politique, information sur le Front national d’après la Préfecture de police, 28 novembre 1943.
284 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 30 septembre 1943.
285 SHD-DAT, 28P1 87, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, l’organisation interne des FTP, source XCG, section Guéret, 14 février 1944 (il s’agit d’un document de la direction du PCF adressé aux directions régionales).
286 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 31 décembre 1943.
287 SHD-DAT, 28P2 105, commissariat à l’Intérieur, Service courrier, diffusion et documentation, le parti communiste, 9 avril 1944.
288 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, section NM, étude concernant l’activité communiste, 25 octobre 1943. Sur le fantasme de stocks d’armes constitués par les communistes dans l’entre-deux-guerres, cf. Vidal Georges, L’Armée française et l’ennemi intérieur, op. cit., p. 119-122.
289 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, agent 560, source sûre, 24 décembre 1943 (ce renseignement date de septembre).
290 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, rapport de police, le communisme en France, novembre 1943.
291 MAE, P 2131, direction générale des services de renseignements et de sécurité militaire, non daté.
292 SHD-DAT, 28P1 22, France politique, rapport sur les menées antinationales vues par Vichy du 15 au 31 octobre 1943. Les données sur les attentats et sabotages ne sont que partielles, plus encore quant à leurs résultats (Liaigre Franck, Les FTP, op. cit., p. 207-241). À noter qu’un rapport de la gestapo, récupéré par le BCRA et qui recense les données, semble-t-il, du mois de février 1944, donne 246 assassinats (sans précision) et 458 sabotages pour toute la France, avec une très faible activité en région parisienne (Grand Paris) où seuls 14 assassinats et 10 sabotages auraient été commis (SHD-DAT, 28P1 87, CE, Vie clandestine, parti communiste, 10 mai 1944).
293 La libération d’une vingtaine de prisonniers à Nimes par les FTP le 6 février 1944 est considérée comme une preuve supplémentaire de leur renforcement (MAE, P 2131, direction générale des services de renseignements et de sécurité militaire, service de documentation, renseignements divers, 31 mai 1944).
294 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, rapport de police, le communisme en France, 16 août 1943 ; France politique, 20 août 1943 (reproduction de la La Vie du parti de février). Le BCRA dispose de très nombreux documents produits par les FTP, mais au contenu strictement militaire, la plupart classée dans le carton SHD-DAT, GR 28 P3 195.
295 SHD-DAT, 28P1 87, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, l’organisation interne des FTP, source XCG, section Guéret, 14 février 1944. Il s’agit d’une circulaire adressée aux directions régionales du PCF en novembre 1943. Ce problème est déjà évoqué en septembre sur un mode plus modéré (MHV, arch. Jacques Duclos, H3, La Vie du Parti, septembre 1943).
296 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport de la zone sud, 27 mai 1944.
297 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport de la zone sud, 27 mai 1944. La direction parisienne réitère ses critiques contre les FTP de la zone sud qui tendent encore à s’affirmer comme organisation communiste (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, note sur le FN en zone sud, non daté, probablement fin mai-début juin 44).
298 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport de la zone sud, 27 mai 1944.
299 SHD-DAT, GR 28 P3 195, rapport sur le démantèlement du réseau Manouchian, 22 p.
300 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, rapport de police, 16 août 1943 (transmis par Ajax).
301 Grenard Fabrice, « Le PCF et le maquis », dans Vigreux Jean et Ducoulombier Romain (dir.) Histoire documentaire du communisme, 3 mars 2017, [http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html, 2019]. Parmi les responsables FTP ayant une expérience de combattant et de commandement, on peut citer Jules Dumont (capitaine de carrière jusqu’en 1920, colonel dans les brigades internationales, fusillé au Mont-Valérien le 15 juin 1943), Georges Beaufils (chef de section dans l’armée française), Pierre Georges (lieutenant dans les Brigades internationales), Georges Vallet (commissaire politique dans les Brigades internationales), André Jacquot (chef d’état-major de la 129e brigade), Boris Guimpel (chef d’état-major de la 14e brigade), Tadeusz Oppman (chef d’état-major du Bataillon Dombrowski) et Henri Rol-Tanguy (capitaine dans les Brigades internationales).
302 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 12 juin 1943. La direction du PCF recommande de recruter des officiers de réserve au FN pour les intégrer ensuite aux FTP. SHD-DAT, 28P1 87, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, l’organisation interne des FTP, source XCG, section Guéret, 14 février 1944.
303 Viaud Marie-Thérèse, « Problèmes stratégiques et tactiques des maquis de Dordogne », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 258.
304 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, non daté (probablement printemps 1943).
305 DBMOF, [http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/, 2016] ; SHD-DAT, 1KT 1091, biographie d’Henri Hutinet (1920-1944), 13 p. Il est possible que d’autres officiers, oubliés, aient rejoint assez tôt les FTP. Si le souvenir des noms d’Hutinet et de Kayl a été conservé, c’est, au moins pour une bonne part, parce qu’ils ont été tués dans les combats de la libération.
306 SHD-DAT, GR28 P3 194, note de Losange (commandant Louis Mangin du BCRA) sur l’OMA, non daté.
307 SHD-DAT, GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, colloque Michel Henri, op. cit. Ces chiffres concernent les officiers d’active qui étaient en service pendant la drôle de guerre. Au vu des chiffres donnés par Revers, la grande majorité des officiers résistants se seraient engagés tardivement, le plus souvent au moment des combats de la Libération.
308 Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit., p. 275-276.
309 DBMOF [http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/, 2017]. René Gilli, responsable FTP du Vaucluse, rapporte sa rencontre avec Hutinet au cours des combats de la Libération : « Je retourne à mon poste par le “train des pignes”, voyageant avec quelques militaires allemands et un patronage conduit par des bonnes sœurs. En gare de Saint-André, tout le monde descend ! […] Les Allemands s’enfuient dans la campagne. Je ne tarde pas à trouver l’officier FTP qui commande et que je connais bien puisque j’ai passé plusieurs mois ici. C’est un ancien officier d’active de l’armée d’Armistice : “Reste avec nous, me dit-il, nous faisons la révolution !” » [http://resistance.azur.free.fr/dossier/verdon.htm (erreur en 2023), 2019].
310 Lycéen avant la guerre, il était très lié à son condisciple Raymond Carasso avec lequel il prépare le concours d’entrée à Saint-Cyr, que tous deux réussissent en 1940. Mais l’admission de son ami reste sans suite, car il tombe sous le coup du statut des juifs d’octobre 1940. Raymond est probablement communiste dès l’avant la guerre, son père et plusieurs de ses frères étant des militants ou des cadres du PCF. Au cours de la guerre, Hutinet reste en relation avec son ami qui appartient à la résistance communiste. Hutinet a donc côtoyé des communistes bien avant d’intégrer les FTP et c’est donc en connaissance de cause qu’il s’engage dans leurs rangs.
311 Témoignage du capitaine Peynaud, Cannes, mars 1997, mission à Alger (avril 1944), Arch. Polytechnique, XRésistance.
312 SHD-DAT, 1K 298 (fonds Pfister), transcription d’un papier du général Pfister, 1er janvier 1944. Le contenu de ces accords n’est pas précisé.
313 Témoignage du capitaine Peynaud, Cannes, mars 1997, mission à Alger (avril 1944), Arch. Polytechnique, XRésistance.
314 Bachelier Christian, « L’Organisation de résistance de l’Armée et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 121.
315 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 31 décembre 1943.
316 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 23 janvier 1944. Ce document fait allusion à d’autres documents détaillant les désaccords concernant l’OMA.
317 Ibid.
318 Témoignage du capitaine Peynaud, Cannes, mars 1997, mission à Alger (avril 1944), Arch. Polytechnique, XRésistance. Le témoignage du général Roidot va dans le même sens.
319 Bachelier Christian, « L’Organisation de résistance de l’Armée et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 118-119.
320 Dainville Augustin de, L’ORA en 1944, op. cit.
321 Dainville Augustin de (colonel), L’ORA, la Résistance de l’Armée, Paris, Éditions Lavauzelle, 1974, 324 p.
322 Michel Henri, Les Courants de pensée de la Résistance, Paris, PUF, 1962, p. 471-473.
323 Sur cette tradition militariste enracinée dans le corps des officiers depuis le xixe siècle, Jean Boulègue, « De l’ordre militaire aux forces républicaines : deux siècles d’intégration de l’Armée dans la société française », dans Thiéblemont André, Cultures et logiques militaires, Paris, PUF, 1999, p. 268-270 et p. 282-283 ; Thiéblemont André, « Le fait culturel militaire : premier repérage », dans Thiéblemont André, Cultures et logiques militaires, Paris, op. cit., p. 26-27. Voir également Girardet Raoul, La Société militaire de 1815 à nos jours, op. cit., p. 159 et p. 231-233.
324 Cité par Michel Henri, Les Courants de pensée de la Résistance, op. cit., p. 474.
325 Vallette d’Osia Jean, Quarante-deux ans de vie militaire, op. cit., p. 187.
326 Vergez-Chaignon Bénédicte, Les Vichysto-résistants de 1940 à nos jours, Paris, Perrin, 2008, p. 269.
327 1K 298 (fonds Pfister), Information du militant, bulletin no 37, septembre 1943, l’autodéfense de la révolution prolétarienne ; pourquoi nous devons organiser et soutenir les groupes FTP, le CC du PCF, s. d. Ces deux documents, d’une teneur ultragauche et à la terminologie terroriste centrées sur la prise du pouvoir, sont trop décalés par rapport au contenu des documents communistes, authentifiés et produits à la même époque, pour être considérés comme des sources émanant réellement du PCF. En outre, le bulletin Information du militant est inconnu durant toute la durée de la guerre.
328 Bachelier Christian, « L’Organisation de résistance de l’Armée et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 125.
329 SHD-DAT, 1K 298 (fonds Pfister), note d’orientation sur l’action militaire de la Résistance, 8 mars 1944. Ce document, signé de Revers, porte sur l’action militaire à mener au moment du débarquement. Ni les communistes, ni le maintien de l’ordre ne sont évoqués. SHD-DAT, 1K 233, rapport du général Laffargue sur l’activité militaire dans la zone alpine de la 14e région du 27 novembre 1942 au 20 décembre 1943. Les communistes ne sont pas cités.
330 SHD-DAT, 1K 298 (fonds Pfister), Instruction no 1, organisation et principes, non datée. Ce document, centré sur l’action armée en cas de débarquement, se limite à signaler que « dans certains cas », il sera nécessaire d’assurer le maintien de l’ordre. 1K 298 (fds Pfister), Instruction no 3, directives d’action en cas de repli ennemi, non datée ; note d’orientation sur l’action militaire de la Résistance, signé Thénard (Revers), 8 mars 1944. Dans ces deux documents, le maintien de l’ordre n’est pas cité.
331 Bachelier Christian, « L’Organisation de résistance de l’Armée et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 124.
332 Passy (colonel André Dewavrin), Missions secrètes en France, op. cit., p. 22.
333 Sur la diffusion et la diversité de l’antimilitarisme dans la France de l’entre-deux-guerres, cf. Prost Antoine, Les Anciens Combattants et la société française, Paris, Presses de la FNSP, 1977, 3 volumes.
334 AN, 3AG2-376, BCRA, rapport d’André Manuel du 7 avril 1943.
335 SHD-DAT, GR28 P3 194, Lettre transmise le 13 mai 1944 à Paris par Monsieur Joseph (colonel Zeller) à Hercule (lieutenant Sobra) pour la transmettre au chef de l’action sud. L’auteur rapporte l’ostracisme pratiqué par les chefs des MUR vis-à-vis de l’ORA.
336 Lettre de Georges Bidault du 22 février 1944, cité dans SHD-DAT, GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, colloque Henri Michel, op. cit.
337 SHD-DAT, GR28 P3 194, 4e section, 3e bureau, renseignements du 20 septembre ou octobre, 16 décembre 1944 ; agissement des corps francs Pommiès ou Pyrénéens (CFP), dossier R4, 11 décembre 1944.
338 SHD-DAT, GR28 P3 194, note de Losange sur l’OMA, non daté.
339 SHD-DAT, 1K 233, rapport du général Laffargue sur l’activité militaire dans la zone alpine de la 14e région du 27 novembre 1942 au 20 décembre 1943.
340 SHD-DAT, GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, op. cit.
341 SHD-DAT, 1K 233, rapport du général Laffargue sur l’activité militaire dans la zone alpine de la 14e région du 27 novembre 1942 au 20 décembre 1943.
342 Bachelier Christian, « L’Organisation de résistance de l’Armée et la lutte armée », op. cit., p. 122. Le rapport du capitaine Peynaud montre qu’il ne s’agit pas de simples velléités [https://x-resistance, 2019].
343 SHD-DAT, GR28 P3 194, Note de Losange sur l’OMA, non daté.
344 SHD-DAT, GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, op. cit.
345 Cité par Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Une stratégie militaire pour la Résistance, [http://www.charles-de-gaulle.org]/, 2018.
346 Ibid.
347 Frank Robert, « Les missions interalliées et les enjeux de la lutte armée », op. cit., p. 354-356. À noter que les Allemands ne prêtent attention aux maquis qu’à partir de l’automne 1943, mais ils redoutent surtout les grèves et les sabotages en cas de débarquement. Il faut attendre le débarquement pour que le haut commandement considèrent les maquis et la lutte armée comme un sérieux problème militaire (Eugène Martres, « Points de vue allemands sur résistance et maquis », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge [dir.], La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 196-198) ; Umbreit Hans, « Les Allemands face à la lutte armée », ibid., p. 204-205.
348 Balu Raphaële, « Les maquis FTP dans les stratégies britanniques et américaines pour la Libération de la France : réévaluer la part de l’anticommunisme (été 1943-automne 1944) » dans Vigreux Jean et Ducoulombier Romain, Histoire documentaire du communisme, op. cit.
349 Carron de la Carrière Paul [http://www.norrac.com/atente-depart.html (erreur en 2023), 2019].
350 SHD-DAT, 1K 298 (fds Pfister), note de Fouché (Degliame, délégué général FFI en zone sud), 1er juin 1944.
351 Cordier Daniel, Jean Moulin. La République des catacombes, op. cit., p. 555.
352 SHD-DAT, 1K 298 (fds Pfister), note de Fouché (Degliame, délégué général FFI en zone sud, siège au COMAC), 1er juin 1944.
353 Frank Robert, « Les missions interalliées et les enjeux de la lutte armée », op. cit., p. 354-356.
354 Anticommuniste militant, il commande les forces les plus importantes de la région parisienne, FTP et milices patriotiques compris. Ainsi disparaît le principal adversaire du PCF au sein des FFI parisien.
355 Douzou Laurent, La Désobéissance. Histoire du mouvement Libération-Sud, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 380-385. Philippe Buton, bien qu’il défende la thèse du complot, admet cette improbabilité (Les Lendemains qui déchantent, op. cit., p. 69-70). Les archives communistes révèlent que la direction du PCF a demandé aux membres du parti exerçant des responsabilités dans les mouvements résistants non-communistes de lui adresser des rapports sur leurs activités. Il n’existe donc pas une structure spécifique du PCF chargée de diriger et de coordonner l’action de ses militants agissant hors de la mouvance communiste, mais ils sont, en principe, liés à l’appareil communiste. En juin 1943, le cadre général de leur appartenance au PCF est ainsi fixé : « Concernant le travail dans “Combat”, nous pensons que le meilleur moyen de bien tenir en mains les communistes entrés dans cette organisation et de les aider à y travailler dans l’intérêt de notre lutte générale contre l’envahisseur, c’est de veiller à ce qu’ils conservent entre eux et vis-à-vis du Parti, leur organisation du Parti. Ce qui leur donne le moyen de recevoir directives, littérature, et de payer leurs cotisations, condition de leur appartenance effective […] C’est en donnant l’exemple pour l’action, le dévouement patriotique et la discipline que les communistes dans ces organisations serviront à la fois la cause du Parti et la cause de la libération » (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 30 juin 1943). Les relations entre ces militants et le PCF ne vont pas sans susciter des difficultés (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 26 juin 1944).
356 Andrieu Claire, Le Programme commun de la Résistance. Des idées dans la guerre, Paris, Les Éditions de l’Érudit, 1984, 212 p. On peut estimer que les communistes représentent tout au plus 25 % du CNR (Andrieu Claire, « Le CNR et les logiques de l’insurrection résistante », dans Fondation Charles de Gaulle, De Gaulle et la Libération, Bruxelles, Éditions Complexe, 2004, p. 77).
357 Lieutenant de vaisseau, il quitte la Marine en 1926. Après la Libération, il demandera sa réintégration comme officier de marine pour prendre le commandement d’une unité combattante de fusiliers-marins. Sa demande n’aboutit pas, mais on lui accorde le grade d’amiral à titre honorifique qu’il refuse.
358 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettres du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 23 janvier 1944.
359 Depuis le second trimestre 1943, les communistes s’efforcent de développer des « milices patriotiques » avec le soutien de la CGT et de l’Action ouvrière, émanation du MLN. Le 15 mars 1944, le programme d’action immédiate du CNR officialise leur existence et les place sous le contrôle des comités de libération. À leurs débuts, ces milices sont chargées d’assurer l’autodéfense des mouvements sociaux dans les entreprises au moment des grèves ou des manifestations. Puis, leurs attributions militaires se précisent : sabotages dans les usines ; force auxiliaire des FTP, puis des FFI, pour les appuyer lors d’actions armées ou servir de réserve de recrutement ; maintien de l’ordre à l’arrière des zones de combat. Leurs membres ne sont pas des clandestins, leur recrutement est local et leur fonction strictement territoriale. Lorsque le débarquement devient imminent, le PCF intensifie ses efforts pour les développer et instaure un commandement central.
360 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Une stratégie militaire pour la Résistance, op. cit.
361 Balu Raphaële, « Les maquis FTP dans les stratégies britanniques et américaines pour la Libération de la France : réévaluer la part de l’anticommunisme (été 1943-automne 1944) », dans Vigreux Jean et Ducoulombier Romain, Histoire documentaire du communisme, op. cit..
362 L’étude des maquis de Bourgogne révèle une diversité de situation qui remet en cause les stéréotypes les mieux établis : sur 14 maquis recensés, on constate que pour six maquis FTP, quatre de leurs chefs sont communistes et deux politiquement modérés ; pour les huit autres, quatre chefs sont communistes ou communisants (Vigreux Marcel, « Sociologie de maquis de Bourgogne », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 121). Sur cette diversité selon les conditions locales, Grenard Fabrice, « Le PCF et le maquis », dans Vigreux Jean et Ducoulombier Romain, Histoire documentaire du communisme, op. cit.
363 L’activité résistante des organisations espagnoles antifranquistes échappe au contrôle des mouvements de la Résistance. Ainsi, au moment du débarquement en Normandie, le PCE rompt tout contact avec le PCF et regroupe ses forces pour lancer une offensive sur le territoire espagnol, désorganisant des unités FTP et perturbant l’application des plans d’opérations prévues (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, 6 juin 1944 ; direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, lettre du responsable de la MOI de ZS, 26 juin 1944). L’attitude des guerilleros au moment de la Libération est restée sur le terrain historiographique une question polémique, tout particulièrement à propos de l’Ariège.
364 SHD-DAT, 28P2 105, commissariat à l’Intérieur, Service courrier, diffusion et documentation, communisme, 9 juillet 1944 (Il s’agit d’une note du préfet de police à son ministre secrétaire d’État en date du 24 avril).
365 MAE, P 2131, direction générale des services de renseignements et de sécurité militaire, service de documentation, note sur l’état d’esprit de la population des Alpes-Maritimes, 10 avril 1944.
366 MAE, P 2131, direction générale des services de renseignements et de sécurité militaire, service de documentation, grèves sur la côte méditerranéenne, 29 mars 1944. Les faits analysés semblent remonter à l’automne précédent.
367 MAE, P 2131.
368 MAE, P 2033, direction générale des services spéciaux, SR Guerre, renseignement, étude effectuée par un informateur bien placé, les Anglo-Saxons et les Russes, 12 février 1944.
369 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 626.
370 Andrieu Claire, « Le CNR et les logiques de l’insurrection résistante », op. cit., p. 85. Au sein du COMAC, cette initiative est d’ailleurs critiquée par le représentant de Combat, Kriegel-Valrimont, qui est pourtant communiste.
371 SHD-DAT, GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, op. cit.
372 Montangon Jean de, Un Saint-Cyrien des années 40, Paris, France Empire, 1987, p. 75. Pierre Bourlier, agent de liaison de Libération-Nord, rapporte que Lefaucheux lui a déclaré au début de 1944 que « le Comité des Forges était prêt à financer la Résistance non communiste, à lui fournir des armes à condition d’accepter à la Libération de constituer une milice anticommuniste », Buchenwald matricule 76888 alias Pierre Bourlier [http://chezpeps.free.fr/henri/html/buchenwald_matricule_76888.html, 2019].
373 SHD-DAT, 28P1 87, CE, Vie clandestine, parti communiste, 10 mai 1944 (copie d’un rapport de la gestapo, daté du 22 mars, sur la répression de la résistance). Ce document rapporte le départ d’Alger pour la métropole d’un groupe de dirigeant pour constituer un « directoire politique et militaire », comprenant Duclos, Monmousseau, Frachon, Guyot, Ramette et Tillon. La gestapo estime que le CFLN et la résistance non communiste ont pris conscience de cette « action de grande envergure » et qu’ils considèrent désormais que le Front national sert de « précurseur à la bolchevisation de la France ».
374 SHD-DAT, 28P1 87, CE, 12 juin 1944 (il s’agit d’une note du préfet de police au ministre Secrétaire d’État à l’Intérieur, datée du 24 mars 1944) ; République française, une étude sur le parti communiste à Grenoble, 13 juin 1944.
375 SHD-DAT, 28P1 87, commissariat à l’Intérieur, service courrier, documentation et diffusion, rapport de police concernant les milieux communiste de la capitale, 23 juin 1944 (la rédaction de la note date du 18 avril). La note du préfet est plus développée (28P2 105, commissariat à l’Intérieur, Service courrier, diffusion et documentation, communisme, 9 juillet 1944).
376 SHD-DAT, 28P2 105, commissariat à l’Intérieur, Service courrier, diffusion et documentation, source Jean-Claude, 15 juin 1944. Le document ne donne pas de précision sur la source.
377 Andrieu Claire, « Le CNR et les logiques de l’insurrection résistante », op. cit., p. 80.
378 Salinas Alfred, Les Américains en Algérie, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 311. La direction du PCF en France critiquera également l’éviction de Giraud (MHV, arch. Jacques Duclos, H3, La Vie du Parti, mai 1944).
379 Queuille Henri, Journal de guerre Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, p. 135-136.
380 Cette position n’est pas de pure opportunité, car, à la fin des années 1930, lors des controverses sur l’organisation du haut commandement des forces armées, le PCF s’était prononcé pour le commandement unique. Les principes de la politique militaire communiste définie à la fin de 1943 sont conformes donc à cette position antérieure à la guerre.
381 SHD-DAT, GR28 P3 194, lettre du général Revers au général Billotte apportée à Alger par Hercule le 21 mai 1944.
382 SHD-DAT, GR28 P3 194, Lettre transmise le 13 mai 1944 à Paris par Monsieur Joseph (colonel Zeller) à Hercule (lieutenant Sobra) pour la transmettre au chef de l’action sud.
383 Ibid.
384 1K 298 (fds Pfister), note de Fouché (Degliame, délégué général FFI en zone sud), 1er juin 1944.
385 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Une stratégie militaire pour la Résistance, op. cit.
386 Ibid. Le risque d’un échec du débarquement est l’un des motifs du rejet de l’insurrection généralisée.
387 SHD-DAT, GR28 P3 194, Lettre du général Revers au général Billotte apportée à Alger par Hercule le 21 mai 1944.
388 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 786.
389 Chef du cabinet technique du général Gamelin de 1931 à 1934, adjoint de l’inspecteur général de l’Artillerie en 1934-1935, puis sous-chef d’EMG de l’Armée en 1935-1936 (Cailleteau François, Les Généraux français, Paris, Economica, 2010, p. 91 et 123).
390 1K 298 (fonds Pfister), note de Fouché (Degliame, délégué général FFI en zone sud), 1er juin 1944.
391 De son côté, l’informateur Jean-Claude annonce à Londres et à Alger que le PCF est devenu hésitant sur le déclenchement de l’insurrection au moment du débarquement. Le changement de position de Waldeck-Rochet ne résulte donc pas seulement de sa seule initiative, mais elle reflète une évolution de la position communiste. (SHD-DAT, 28P2 105, commissariat à l’Intérieur, Service courrier, diffusion et documentation, source Jean-Claude, 15 juin 1944). Il n’en demeure pas moins qu’à la veille du débarquement, la direction du PCF envisage avec optimisme la levée en masse pour l’insurrection nationale puisqu’elle croit possible une prise de contrôle assez rapide de grandes et moyennes villes (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, note de Laurent, 1er juin 1944).
392 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Une stratégie militaire pour la Résistance, op. cit.
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