Chapitre IV. Vers l’alliance avec le communisme (novembre 1942-juin 1943)
p. 181-250
Texte intégral
« Tout se passait souvent comme si le regard du général s’incurvait pour voir au-delà de la ligne d’horizon ; connaissant ainsi avant tous autres la réalité de demain, la réalité présente […] lui importait peu ; tout au plus pouvait-elle ralentir le cours des choses. Le stratège se souciait peu de tactique. »
Jean Massigli, Une comédie des erreurs.
1Le débarquement des alliés en Afrique du Nord a des conséquences considérables, directes ou indirectes, dans la relation de l’armée française avec le communisme. D’abord, une large fraction du territoire français redevient un champ de bataille de première importance dont la conquête par les alliés est perçue comme l’étape préalable à l’ouverture du second front en Europe, un enjeu stratégique essentiel pour les Soviétiques. En outre, la probabilité que l’Afrique du Nord serve de tremplin à un débarquement prochain en Europe du Sud et la forte possibilité que le second front s’ouvre en France, dès le printemps 1943, revalorisent sensiblement l’intérêt que les alliés, Soviétiques compris, portent aux Français, toutes tendances confondues parce qu’ils veulent la stabilisation de l’Afrique du Nord pour en faire une base arrière sûre, qu’ils souhaitent que les forces armées françaises jouent à nouveau un rôle militaire et qu’en métropole la Résistance devienne un acteur militaire dans la perspective de la libération du continent. Compte tenu de ces impératifs, les Anglo-Saxons mises en Afrique du Nord sur les forces issues de Vichy, d’abord derrière l’amiral Darlan, puis derrière le général Giraud. Quant à la Résistance, il ne lui accorde encore guère d’importance avant l’automne 1943.
2Ce nouveau contexte offre des opportunités aux Français pour s’affirmer au sein du camp allié et l’institution militaire joue un rôle clé dans cette dynamique. Pourtant, si la France parvient à redevenir un acteur militaire aux côtés des alliés, ce redressement s’effectue dans des conditions au départ très défavorables : l’ensemble de l’Afrique du Nord est placé sous la tutelle de fait des Américains, les Anglais ne jouant qu’un rôle secondaire1 ; les forces françaises sont fracturées en deux ensembles d’un poids certes très inégal sur le plan militaire, mais dont l’affrontement politique est d’autant plus profond et violent que leur légitimité respective est antagonique. D’une part, il y a l’armée d’Afrique du Nord, soit 120 000 hommes relativement bien armés et commandés par des généraux chevronnés, qui restent fidèles aux principes de la Révolution nationale ; d’autre part, les FFL gaullistes, soit 15 000 hommes, relativement dispersés qui dépendent entièrement des Britanniques et dont l’identité est fortement marquée par le rejet viscéral de Vichy. En dépit de cette disproportion des forces, de Gaulle parvient cependant à conserver une marge de manœuvre sur le terrain politique et, malgré l’hostilité des Anglo-Saxons, il réussit à rester dans la course face à Giraud, même si sur le plan militaire, la fusion des FFL et des forces d’Afrique du Nord donne la prééminence à ces dernières.
3Dans l’affrontement entre gaullistes et giraudistes, le communisme est tenu pour une composante des affaires intérieures françaises et un facteur international dans le camp allié. Si la prise en compte du communisme par les protagonistes est distincte, elle est loin d’être foncièrement contradictoire, car, de part et d’autre, on constate que le positionnement vis-à-vis de l’URSS est très marqué par l’impact de la défaite de 1940, une réévaluation sensiblement accentuée par l’évolution de la guerre à l’Est. De même, gaullistes et giraudistes reconnaissent le rôle important des communistes dans la résistance en Europe, tout particulièrement en France. Toutefois, il apparaît nettement que la France libre mène en direction de la Russie et du PCF une politique beaucoup plus active, cohérente, élaborée et aboutie que celle des giraudistes, une capacité de conceptualisation et d’initiative qui contribuera au succès de de Gaulle.
L’enjeu soviétique : La FL joue le rapprochement avec Moscou ; Giraud s’abstient
4Le cours pris par la guerre en 1942 fait de l’URSS l’acteur principal dans le camp allié, une réalité incontestable pour l’ensemble des acteurs du conflit. Pourtant, de Gaulle a adopté dès 1941 une politique soviétique qui pour l’essentiel ne variera pas jusqu’à l’après-guerre. À l’inverse, Giraud reste dans l’expectative en tant que commandant civil et militaire en Afrique du Nord, davantage semble-t-il à cause des vives tensions que suscite dans sa mouvance la question soviétique que par indifférence ou hostilité. Ce contraste entre volontarisme gaulliste et passivité giraudiste est symptomatique de la capacité de la France libre à évoluer sur le terrain politique et de la faiblesse fondamentale du giraudisme qui ne réussit pas à s’extraire du strict cadre militaire et à échapper au face-à-face avec de Gaulle.
5Très tôt, dès décembre 1940, de Gaulle, par l’intermédiaire de Gaston Palewski, son directeur des Affaires politiques, entre discrètement en relation avec l’ambassadeur soviétique à Londres, Ivan Maïsky. Les débuts de la guerre en Russie et la rupture des relations diplomatiques entre Moscou et Vichy permettent à la France libre de prendre l’initiative d’un rapprochement officiel avec les Soviétiques. Au cours de l’été, les démarches s’enchaînent auprès de Maïski en vue d’établir des relations militaires entre la France libre et l’URSS, et pour demander si le gouvernement soviétique serait prêt à agir pour aider à « restaurer l’indépendance et la grandeur de la France ». Mais parallèlement, en juillet, de Gaulle profite de son séjour au Proche-Orient pour confier à Géraud Jouve, le représentant de la FL en Turquie et pour les Balkans, la mission secrète de prendre contact avec l’ambassadeur soviétique à Ankara pour chercher à nouer une relation directe avec Moscou. Jouve a pour instruction de justifier cette démarche par les intérêts communs de la France et de l’Union soviétique dans la guerre, tout en évoquant la perspective d’une entente étroite pour l’après-guerre puisqu’« il est évident que la France et la Russie […] n’ont pas forcément les mêmes buts et visées de guerre que les puissances anglo-saxonne2 ». Ainsi, de Gaulle mène alors deux manœuvres simultanées en direction de Moscou, l’une officielle, effectuée par la France libre et centrée sur les exigences immédiates de la guerre, l’autre personnelle et secrète, d’une plus grande portée puisqu’elle trace la possibilité d’une alliance bilatérale entre la France et l’URSS qui, conclue pendant le conflit, se poursuivrait après la guerre. Cet épisode montre l’importance cruciale que de Gaulle accorde à l’URSS sur le long terme, avec une détermination qui confine à la position de principe. En conséquence, il veut conserver la haute main sur les relations entre la FL et Moscou. Mais cette ouverture volontariste n’obtient que des résultats limités et progressifs.
6Certes, le 26 septembre, le gouvernement soviétique reconnaît officiellement de Gaulle comme « le chef de tous les Français libre » et se déclare « prêt à entrer en relation avec le CDEF pour toutes les questions relatives à la collaboration avec les territoires d’outre-mer » qu’il contrôle, à « porter aide et assistance aux Français libre » et à assurer « la pleine et entière restauration de l’indépendance et de la grandeur de la France ». Mais cette reconnaissance est prudente puisqu’elle s’inscrit dans le même cadre que celle exprimée un an plutôt par le gouvernement britannique. En novembre, de Gaulle rencontre pour la première fois Bogomolov, récemment arrivé à Londres3, qui le 6 décembre l’informe que l’URSS est prête à accueillir une mission de liaison constituée de trois représentants, deux civils et un militaire. De Gaulle lui demande alors si Moscou donnerait un accord de principe à l’envoi d’une division des FFL sur le front russe. Le second semestre 1941 est donc marqué par l’effort persévérant de la FL pour nouer des liens solides avec l’URSS et c’est durant cette période que sont posés les fondements des relations entre le gaullisme et le communisme soviétique. Si le Kremlin s’est montré réservé face aux initiatives des Français de Londres, il a néanmoins accepté de s’engager dans la voie d’un rapprochement qui présentait quelques avantages à court terme et peut-être un intérêt substantiel à plus long terme. L’attitude réceptive de la direction soviétique n’est pas une simple réaction aux sollicitations des Français de Londres, mais elle résulte aussi de l’attention qu’elle porte au gaullisme depuis ses origines.
7En effet, avant même la prise de contact secrète de décembre 1940, les Soviétiques considèrent avec intérêt les débuts du gaullisme. Un document du Komintern daté du 26 septembre porte une appréciation positive : « Ce mouvement semble sérieux. Il a groupé des généraux de valeur. Son influence a grandi en France. Il s’est étendu aux colonies […]4. » En mai 1941, l’écrivain communiste français Jean-Richard Bloch rédige pour la direction du Komintern une note très favorable :
« Dès le mois de juin, dès que la trahison fut devenue évidente aux yeux de presque tous les Français, le mouvement de résistance nationale s’est concrétisé autour de Londres et du mouvement gaulliste. Les premières proclamations du général à la radio de Londres, en juin, ont positivement bouleversé, électrisé la France […] Même parmi les communistes, une secrète tendresse naissait pour cet homme énergique dont on ne savait presque rien […] Le gaullisme n’est pas une tendance politique, il est la forme élémentaire prise dans un peuple par la volonté de vivre ; il se superpose aux partis, aux couleurs, aux nuances ; il unit cléricaux et anticléricaux, démocrates et réactionnaires […] De Gaulle était un inconnu au mois de juin 1940 […] Ses émissions de Londres ont amené un revirement complet, une lueur d’espérance5. »
8Ce tableau, à la fois lucide et émouvant, des débuts du gaullisme ne modifie pas l’attitude du Komintern qui reste dans l’expectative. Puis l’invasion de l’URSS accroît instantanément l’intérêt pour la FL. Très vite, dès le 1er juillet 1941, Dimitrov écrit à Molotov pour que soient envoyés à Londres Maurice Thorez, André Marty6 et Raymond Guyot afin d’établir le contact avec de Gaulle. Cette proposition est acceptée par la direction soviétique, mais elle reste sans suite en raison du refus du Foreign Office. L’intérêt de Moscou pour la France libre se manifeste donc avec vigueur dès le début de la guerre germano-soviétique, jouant ainsi en faveur d’une réponse favorable aux démarches gaullistes.
9Le 24 mai 1942, le long entretien à Londres entre Molotov et de Gaulle couronne les progrès accomplis depuis l’été précédent et, le 13 juin, le gouvernement soviétique annonce par un communiqué qu’il souhaite « voir une France libre et forte reprendre en Europe et dans le monde sa place de grande puissance. » Puis, à la suite de la création en juillet 1942 de la France combattante, de Gaulle obtient de Moscou deux mois plus tard une formule de reconnaissance qui assimile le CNF à un gouvernement, ce que Londres et Washington s’étaient refusés à faire7.
10Ces succès relatifs de la politique soviétique de de Gaulle ont été facilités par l’appui sans réserve des diplomates, en tout premier lieu de Maurice Dejean, Directeur des affaires politiques puis commissaire aux Affaires étrangères, et par l’absence d’opposition, tout au moins ouverte, à cette orientation au sein de la France libre. En particulier, les principaux chefs militaires l’approuvent, tels les généraux Catroux, Larminat ou Valin8, ou ne la remettent pas en cause. Il est vrai que dans les mois qui suivent les débuts de la guerre à l’Est, l’enthousiasme pour l’URSS et l’héroïsation de l’Armée rouge imprègnent la culture de guerre anglo-saxonne. Cette extraordinaire popularité des Soviétiques n’a pu que contribuer à l’acceptation par les Français libres des choix diplomatiques et stratégiques de de Gaulle. Quoi qu’il en soit, la politique soviétique fixée par le chef de la France libre répond à des motivations fortes et de natures diverses, les unes s’inscrivant dans la durée, les autres davantage liées à la conjoncture.
L’éventail des motivations
11En juillet 1942, la Direction des affaires politiques fournit un argumentaire en faveur d’une alliance avec l’URSS. Son intérêt est ainsi résumé :
« Les Français ne devraient avoir qu’un seul objectif : empêcher l’Allemagne d’établir son hégémonie sur l’Europe. Pour cela, la Russie, quel que soit son régime, est leur alliée naturelle […] Les Français n’ont aucune raison de se joindre à la croisade anticommuniste9. »
12Le 12 janvier suivant, Dejean expose à Maïski le cadre général dans lequel s’inscrivait la politique de la France libre vis-à-vis de l’URSS et qui va rester valable jusqu’à la fin du conflit. S’il s’agit d’abord de développer une coopération étroite dans la guerre, il faut avoir
« en vue la reconstruction politique et économique de l’Europe après la guerre. On pourrait envisager la conclusion d’un accord qui reprendrait l’essentiel du pacte de 1935 et comporterait un engagement mutuel de consultation sur les problèmes intéressants la sécurité des deux pays ainsi que la réorganisation européenne10 ».
13Cette évocation du pacte de 1935 comme socle d’une entente franco-soviétique d’après-guerre n’exprime pas seulement la volonté de construire l’alliance sur les acquis diplomatiques des années 1930, elle révèle surtout la volonté exacerbée d’effacer le fiasco de la politique russe des gouvernements français de cette période, et par là même de rompre avec le système diplomatico-stratégique de la France de l’entre-deux-guerres.
14Georges-Henri Soutou a souligné que cette conviction était très majoritaire au sein de la FL de cette période et il relève la forte influence d’un jacobinisme de gauche, favorable à un rapprochement global avec le communisme11. Mais la volonté de rupture radicale avec la diplomatie d’avant-guerre dépasse de loin les seuls Français libres, puisqu’on la trouve également chez des diplomates chevronnés12 et dans l’armée de Vichy13. Cette affirmation d’une refondation nécessaire de la politique extérieure française va jusqu’à admettre que Staline a eu raison de signer le pacte germano-soviétique14 !
15Le 20 janvier 1942, dans un discours à la BBC pour célébrer la victoire des Russes devant Moscou, de Gaulle affirme que plus qu’aucune autre nation, la France doit se féliciter d’un succès qui annonce la défaite de l’Allemagne et qui fera de l’URSS un pilier de l’équilibre européen d’après-guerre :
« Dans l’ordre politique, l’apparition certaine de la Russie au premier rang des vainqueurs de demain apporte à l’Europe et au monde une garantie d’équilibre dont aucune puissance n’a, autant que la France, de bonnes raisons de se féliciter. Pour le malheur général, trop souvent depuis des siècles l’alliance franco-russe fut empêchée ou contrecarrée par l’intrigue ou l’incompréhension. Elle n’en demeure pas moins une nécessité que l’on voit apparaître à chaque tournant de l’Histoire15. »
16Cette conception westphalienne de la paix et de la sécurité fixe pour l’essentiel la place de l’URSS dans la politique gaullienne jusqu’à la fin du conflit. Si la volonté de rompre avec les erreurs d’avant-guerre sous-tend la priorité donnée à l’Union soviétique, elle résulte aussi d’une appréciation positive de la capacité des Soviétiques à faire la guerre.
17Au deuxième semestre 1941, en dépit de l’avancée victorieuse des troupes allemandes à travers l’URSS, la FL dispose de renseignements fiables et convergents sur la détermination des Soviétiques à continuer la lutte, sur leur potentiel militaire et la solidité du régime. Ainsi, les militaires français qui ont quitté l’URSS au début de l’invasion allemande pour rejoindre la FL, fournissent des témoignages éclairants : le colonel Luguet, attaché de l’Air jusqu’en juin 1941, considère que l’Union soviétique est capable de mener une guerre et de la gagner16 ; les prisonniers de guerre évadés des stalags, internés en URSS puis transférés en Angleterre après le déclenchement du conflit, rapportent des impressions très favorables. Ainsi, les lieutenants Alain de Boissieu et Jacques Branet décrivent l’URSS comme une « nation en armes » et rapportent que les unités de l’Armée rouge partent vers le front comme « des troupes disciplinées, bien tenues, faisant bonne impression », et dotées de matériel souvent neuf ou en excellent état17. Cette centaine de soldats revenus d’URSS n’a aucun doute sur le soutien de la masse de la population à Staline et au régime. Jean-Louis Crémieux-Brilhac a exprimé les sentiments de ses compagnons internés lorsque leur est traduit le discours radiodiffusé de Staline du 3 juillet :
« Il y avait dans la résolution et la voix de Staline un écho si puissant de notre propre passé, de Quatre-vingt-treize, de la “patrie en danger”, des proclamations du Comité de Salut public, qu’ignorant tout des forces en présence et de l’immensité des succès allemands, nous avons été sûrs que la Russie de Staline ne capitulerait jamais18. »
18Et le 11 septembre, lors de la conférence de presse qui suit l’arrivée des rapatriés, leur chef, le capitaine Billotte, déclare : « La Russie n’abandonnera jamais la lutte […] Les troupes, dont j’ai vu passer de nombreux détachements, sont on ne peut mieux équipées et préparées d’une manière réellement exceptionnelle19. » Dans les mois qui suivent, les pronostics sur la capacité des Soviétiques à résister sont maintenus et précisés.
19D’une part, il y a l’influence de la revue La France libre dont plusieurs articles consacrés à la stratégie et la tactique de l’Armée rouge concluent à l’excellente maîtrise conceptuelle et opérationnelle de la guerre moderne par le haut commandement soviétique20 ; d’autre part, la bataille de Moscou renforce le pronostic de la capacité des Soviétiques à mener une guerre longue contre l’Allemagne. Ainsi, Jouve, rapportant les propos de témoins a priori bien informés, transmet d’Ankara une note enthousiaste sur le potentiel soviétique et les perspectives de victoire à l’Est21. Au même moment, de Gaulle confie à Bogomolov qu’il pense que les Soviétiques sont les seuls à pouvoir vaincre les Allemands, car les Anglais sont militairement trop faibles.
20De son côté, le BCRA porte une appréciation positive sur la détermination du régime à faire la guerre et sur le moral de la population. Une note de février 1942 estime que « le communisme […] a créé une nation homogène, consciente d’elle-même et fière de sa force […] une nation prolétaire, férocement nationaliste et chauvine22. » En conséquence, « le facteur haine est probablement aujourd’hui le plus important en Russie […] [et il] assurera l’annihilation de l’Allemagne ». Mais le BCRA estime qu’en raison de cette évolution interne, « le communisme en Russie ne retrouvera jamais sa force première ». Suit l’éloge de Staline, gratifié d’avoir réussi à bâtir cette nation, d’avoir réussi à éliminer préventivement la « cinquième colonne », y compris au sein du haut commandement de l’armée, et d’avoir manœuvré habilement sur la scène diplomatique en signant le Pacte germano-soviétique. Cette appréciation quasi-hagiographique est sur le fond proche des analyses faites dans les années 1930 par les attachés militaires en Russie et partiellement par le 2e bureau23. Par la suite, la solidité du régime ne sera jamais remise en cause, bien au contraire24, ce constat fournissant un des principaux arguments en faveur de l’alliance franco-soviétique.
21Mais si les pronostics sur le plan militaire sont plutôt favorables, l’appréciation des retombées politiques du conflit sont plus pessimistes, puisque la Direction des affaires politiques affirme que l’URSS sortira très affaiblie de la guerre et que les Anglo-saxons « qui dictèrent la paix en 1918, la dicteront encore cette fois-ci25 ». Dans l’ensemble, la perception des débuts de la guerre à l’Est est semblable à celle de l’armée de Vichy, même si elle est moins précise et argumentée par déficit de renseignements, tout en se montrant plus optimiste encore en envisageant très tôt la possibilité que l’Armée rouge parviennent à vaincre la Wehrmacht.
22Le succès des offensives allemandes du printemps provoque inévitablement une appréciation moins favorable du rapport des forces sur le front russe et cette révision à la baisse a d’autant plus d’impact qu’elle provient d’observateurs très bien informés et connaisseurs de la question militaire soviétique. En juillet, le colonel Luguet, l’officier FFL qui connaît le mieux l’URSS, signe une longue note dans laquelle il critique la surestimation de la puissance militaire soviétique. Il estime en effet que l’Allemagne, en profitant des ressources économiques de ses alliés ou des pays occupés, a une production d’armements très supérieure à celle de l’URSS et que l’avancée allemande en direction du Caucase risque de déboucher sur un effondrement du régime soviétique. Il en conclut que la seule aide efficace que les Occidentaux peuvent apporter à l’URSS se réduit pour l’essentiel à l’ouverture d’un second front à l’Ouest ou dans les Balkans26. Un mois plus tard, un long télégramme envoyé par la mission de la FL, récemment arrivée en Union soviétique, fournit une synthèse de qualité sur la situation de l’URSS en guerre27 : toutes les offensives soviétiques ont échoué et l’évidente supériorité militaire des Allemands oblige l’Armée rouge à rester sur la défensive ; les pénuries alimentaires s’aggravent et la famine est à prévoir pour l’hiver ; dans les régions envahies, les musulmans soutiennent les Allemands et il est probable que les minorités nationales du Caucase feront de même si la Wehrmacht parvient à l’atteindre ; enfin, l’aide des alliés reste très insuffisante. Cette description d’un pays au bord du gouffre, qui contraste d’ailleurs avec les analyses faites à la même époque dans les cercles dirigeants de Vichy, n’affaiblit-elle pas la volonté de rapprochement avec Moscou28 ? Il est vrai que d’autres facteurs conjoncturels jouent puissamment en faveur de cette alliance.
23Dans cette période, ce sont avant tout les relations problématiques avec les Anglais et les Américains qui incitent la FL à chercher l’appui soviétique pour faire contrepoids à l’hégémonie anglo-saxonne dans le camp allié. Cet enjeu politique joue davantage que le facteur militaire, au moins jusqu’au printemps 1943, dans la recherche du rapprochement avec l’URSS. Dans la période 1941-1942, ce n’est donc pas le pari fait sur une victoire des Soviétiques dans la guerre à l’Est qui, influe le plus sur l’orientation de la FL face à Moscou.
24Au contraire, la dégradation de ses relations avec les gouvernements de Londres et Washington conduit de Gaulle à radicaliser sa politique prosoviétique : en janvier, lors d’une rencontre avec Maïski, il critique vivement la politique pro-Vichy des Américains29 ; en juin, alors qu’il redoute la prise de contrôle de Madagascar et du Sénégal par les Anglais, il reçoit Bogomolov et, après avoir dénoncé « l’impérialisme américain », il lui demande : « Dans le cas où je romprais définitivement avec les Américains et les Anglais, le gouvernement soviétique m’accueillerait-il, moi, les miens et mes troupes sur son territoire ? Naturellement, ce serait une ultime démarche. » L’ambassadeur, probablement surpris, reste sur la réserve et lui conseille « de ne pas précipiter les décisions extrêmes ». En résumé, c’est un engagement de plus en plus déterminé qui caractérise la politique soviétique de de Gaulle depuis l’été 1941.
Le volontarisme pour quelle ambition ?
25La construction de l’alliance avec les Soviétiques implique d’abord de mettre en place une représentation diplomatique en URSS et d’instaurer un début de relations militaires. Malgré l’attitude réceptive de la direction soviétique, les moyens déployés par la FL pour concrétiser ces liens privilégiés resteront très insuffisants au vu des objectifs poursuivis : manque de personnels et de capacités financières ; précarité et lenteur des liaisons Londres-Moscou ; conditions matérielles extrêmement difficiles en URSS ; manque de suivi de la question russe par les services centraux civil et militaire de la FL.
26À la suite de négociations avec les Soviétiques, une mission de liaison de la FL arrive en URSS en mars 1942. Elle est composée seulement de trois membres, Roger Garreau, le capitaine (de réserve) Raymond Schmittlein et le général Ernest Petit, tous ralliés de la première heure à la France libre. De Gaulle a choisi des hommes sûrs, exempts d’antisoviétisme de principe, qui vont agir dans des conditions très difficiles, aggravées par l’isolement et la précarité de leur statut. Le premier, chef de la délégation, est un diplomate chevronné, ministre de France à Bangkok en 1940, Vendéen de « conviction jacobine », qui a gardé de la sympathie pour l’URSS après avoir été en poste comme secrétaire d’ambassade à Moscou de 1924 à 1927 ; le second, adjoint de Garreau, germaniste et directeur de l’Institut français de Riga, a été emprisonné pour espionnage par les Soviétiques au début de la guerre, puis détenu par le NKVD, avant d’être expulsé et de pouvoir gagner Londres ; le général Petit, chef de la mission militaire au Paraguay de 1938 à 1940, chef de l’état-major personnel du général de Gaulle de janvier à septembre 1941, est envoyé à Moscou avec le titre de chef de la mission militaire des Forces française libre en URSS.
27L’organisation de cette délégation, bien que son départ ait tardé, souffre d’improvisation. Ainsi, l’envoi d’une mission militaire en URSS ne figure pas dans les accords avec les Soviétiques et la délimitation entre les attributions civiles et militaires de la délégation est floue, une imprécision d’autant plus problématique que Garreau et Schmittlein doivent s’installer à Kuibyshev, où le gouvernement, l’appareil du parti communiste et toutes les ambassades, excepté celle de Grande-Bretagne et des États-Unis, ont été déplacés, tandis que le général Petit a été autorisé à s’installer à Moscou, où la direction soviétique et le haut commandement de l’Armée rouge ont été maintenus. L’ordre de mission du chef de la MMF tient en trois articles30 :
Il doit en priorité resserrer les liens entre les FFL et les forces armées soviétiques en vue « d’une collaboration éventuelle ».
Il relève directement du général de Gaulle, mais doit communiquer au chef de la mission diplomatique une copie des documents ou renseignements pouvant lui être utiles.
Il représente le commandement des FFL auprès du commandement soviétique et doit se mettre en relation avec les missions militaires étrangères.
28Il est prévu que Petit dispose ultérieurement d’un officier adjoint et d’un sous-officier archiviste, tous deux connaissant le russe, ainsi que d’un secrétaire. Schmittlein, qui relève pourtant d’un statut civil au sein de la délégation, conserve son grade et reçoit des attributions militaires puisqu’à Kuibyshev il doit être en relation avec l’autorité militaire soviétique et les attachés militaires étrangers, ce qui revient à lui confier la fonction d’attaché militaire sans qu’il en ait le titre.
29En outre, une Instruction personnelle et secrète précise les directives données à Petit : il doit préparer l’arrivée du « corps expéditionnaire » français en Russie pour ensuite en prendre le commandement ; il doit s’informer sur les opérations militaires menées par l’Armée rouge afin d’en tirer des enseignements de nature doctrinale et opérationnelle et il doit aussi obtenir des renseignements des services soviétiques sur la situation en France31.
30Il est clair que l’envoi de la délégation en URSS répond surtout à des considérations militaires à finalité politique : sur trois de ses membres, deux ont des attributions militaires, et le général Petit, même s’il reçoit en complément une mission de renseignement, doit surtout se consacrer à la création d’un corps expéditionnaire comprenant une division légère, qu’il sera appelé à commander, et un groupe d’aviation de 40 pilotes. Compte tenu de ce schéma d’ensemble, la durée de la mission attribuée à Petit est limitée à quatre mois et il est d’ailleurs convaincu que son passage à la tête de la MMF sera bref parce qu’il recevra le commandement d’une unité combattante en URSS ou, à défaut, au Moyen-Orient.
31Les conditions de fonctionnement de la MMF sont précaires, nuisant à son efficacité. D’abord, la difficulté des liaisons entre Moscou-Kuibyshev-Londres est considérable et sera un lourd handicap dans les négociations sur l’envoi de forces françaises en URSS, entraînant lenteur, contretemps et malentendus32. De plus, Petit doit attendre octobre pour être doté d’un chiffre33. Ensuite, les conditions matérielles sont déplorables. Au début, la MMF occupe un petit appartement où loge également le général Petit, puis, à l’automne 1942, elle s’installe dans la maison autrefois occupée par l’attaché militaire, mais tout le personnel français de la mission doit y résider en raison de la pénurie de logements34. Le chauffage reste aléatoire et l’approvisionnement en produit alimentaire est très irrégulier et insuffisant. La réception des fonds pour assurer le fonctionnement du service s’effectue le plus souvent avec beaucoup de retard. Enfin, l’effectif du personnel de la mission est renforcé avec lenteur : au début, Petit dispose seulement de trois secrétaires russes et il faut attendre septembre pour que la MMF soit renforcée, avec l’arrivée du capitaine d’aviation Albert Mirlesse comme adjoint de Petit, du lieutenant Laboureur et, en tant que secrétaires, des caporaux Venec et Bourveau. Mirlesse va jouer un rôle important dans l’avancée des négociations pour l’envoi d’une unité d’aviation des FAFL en Russie.
32Antérieurement affecté à la direction du SR Air, homme de confiance du chef d’état-major des FAFL, le général Valin, il est le seul membre de la MMF à parler couramment russe. Garreau se plaint d’ailleurs amèrement de l’envoi de ces renforts pour la MMF, alors que lui-même manque cruellement de personnel35. La virulence de ces protestations s’explique aussi par la dégradation de ses relations avec Petit, ce qui complique davantage la tâche des Français libre en Russie36. La concurrence entre la délégation civile à Kuibyshev et la MMF à Moscou provoque vite des frictions qui évoluent en conflit ouvert. Cette crise a des causes diverses et complexes, pour une part difficile à cerner. Elle résulte d’abord des effets combinés de l’isolement, qui amplifie la portée de problèmes contingents, voire insignifiants, des pénuries et difficultés de toutes natures qui accablent diplomates et militaires37, et qui font des versements financiers épisodiques et toujours tardifs, de l’acheminement problématique des télégrammes, du courrier et du matériel, des enjeux considérables pour le quotidien des personnels et le fonctionnement du service38. Mais d’autres facteurs ont également joué. On retrouve ici les relations souvent compliquées, voire difficiles, entre les missions militaires et les diplomates, comme cela avait déjà été le cas en Russie pendant la Première Guerre mondiale39. Mais cette rivalité d’institutions et ces divergences d’appréciations banales entre diplomates et militaires sont aggravées par le caractère difficile de Garreau, facilement emporté, souvent excessif dans ses propos ou son comportement, et qui s’efforce d’exercer toutes ses prérogatives de chefs de la mission de liaison, alors que Petit estime qu’il relève de la seule autorité de de Gaulle et tient à conserver le monopole des relations avec l’armée soviétique, tout en assurant quelques activités civiles que les diplomates de Kuibyshev ne sont pas en mesure d’accomplir40. Il est également possible, au moins dans les premiers mois de l’arrivée en URSS, que la politisation de la délégation heurte Petit, car si ses membres sont des gaullistes convaincus, ils ont « le cœur à gauche » et l’expriment volontiers41. Ils se montrent également très hostiles aux Américains, ce que Petit réprouve sans ambiguïté.
33Mais la cause principale de ces relations dégradées découle du manque de rigueur dans la rédaction des ordres de mission qui ne définit pas clairement les prérogatives respectives des membres de la délégation. Cette carence a aussi des conséquences graves dans les relations avec les Soviétiques qui ne répondent pas aux demandes de Petit concernant les besoins de la MMF42. En effet, si l’ordre de mission de Petit lui attribue le titre de chef de la MMF, il n’y a jamais eu d’accord entre la FL et Moscou pour l’installation d’une mission militaire française en URSS. Pour les Soviétiques, Petit est seulement l’un des trois délégués de la mission de liaison, même s’ils ont une bonne opinion du général, qu’André Marty décrit comme un « esprit clair, net et précis43 » dans un rapport qu’il adresse le 30 septembre 1942 à la direction du Komintern. Cette situation est symptomatique de la faiblesse de la position de la FL en Union soviétique, une précarité qui va s’avérer chronique et qui pèse négativement dans le processus de transfert d’unités FFL en Russie, pourtant le principal objectif de la politique soviétique de de Gaulle au cours de la période.
La difficile gestation du groupe Normandie
34Les négociations en vue de former des unités combattantes françaises en URSS se déroulent dans une grande confusion : côté soviétique, la coordination est mauvaise, voire parfois inexistante, entre l’ambassade à Londres et Moscou, entre les commissariats à la Guerre et aux Affaires étrangères et enfin, en Angleterre, entre Bogomolov et Maïski ; côté Français, les liaisons sont très précaires entre Londres et Moscou/Kuibyshev et les désaccords entre Moscou et Kuibyshev puis, à partir de l’été 1943, entre Alger et Londres perturbent ou ralentissent le processus. À cela s’ajoutent les oppositions internes plus ou moins feutrées à la politique russe de de Gaulle et l’attitude des Britanniques, toujours hostiles à la présence d’unités française en URSS, ce dont la FL est obligée de tenir compte.
35Dans un premier temps, la priorité est donnée à la formation d’une division terrestre qui serait acheminée depuis la Syrie et, en décembre 1941, de Gaulle informe les Soviétiques que d’autres unités pourraient être envoyées au fur et à mesure que la FL prendrait le contrôle de nouveaux territoires44. Ces propositions ambitieuses, qui paraissent sincères, sont justifiées par des considérations militaires puisque de Gaulle estime que les troupes françaises seront plus utiles en Russie qu’en Méditerranée où l’armée britannique est en difficulté face aux Allemands, alors que les Soviétiques se montrent capables de leur tenir tête. Mais ce projet ne connaît même pas un début de concrétisation : en février, Mirlesse signale à Londres que les discussions à Moscou n’ont guère avancé et que le haut commandement de l’Armée rouge a décidé que, bien qu’étant toujours favorable au projet, il ne reprendrait les discussions qu’à la demande écrite du général Petit45. De son côté, la mission militaire soviétique à Londres constate que la FL a suspendu les négociations, tout en déclarant que cette question reste « ouverte46 ».
36Deux mois plus tard, de Gaulle envoie un télégramme à Petit lui indiquant que l’envoi de la division en Russie est devenu impossible en raison des opérations en Libye et parce que les Anglais équipent avec retard les troupes du Levant. Il lui donne pour consigne de présenter au haut commandement soviétique l’envoi de cette division comme une possibilité et non comme une promesse47. Petit lui répond qu’il faut faire le maximum pour envoyer la division FFL sur le front russe en raison de « la situation extrêmement favorable dont jouit la France libre » en URSS48. Mais cette adjuration restera sans effet, car la FL n’a pas les moyens d’assumer l’engagement de forces terrestres sur le front de l’Est49. La solution alternative va consister à organiser une participation symbolique au combat de l’Armée rouge sous la forme d’un simple groupe de chasse. Malgré ce format limité, la réalisation de ce nouveau projet s’effectuera avec beaucoup de difficultés et pas mal de retard.
37L’idée de créer une unité d’aviation des FAFL en URSS a été revendiquée par Valin50, Mirlesse51 ou attribuée soit à de Gaulle, soit à Luguet. Il est probable que ce dernier a joué le rôle principal dans le mûrissement du projet en défendant sa faisabilité. Quoi qu’il en soit le processus de formation de l’escadrille Normandie est long, compliqué et plus encore chaotique.
38Il commence le 19 février, lorsque le général Valin informe officiellement l’attaché militaire soviétique à Londres que le Conseil national français souhaite envoyer un groupe de chasse en URSS ; une semaine plus tard, l’attaché militaire reçoit la liste du personnel et un schéma d’organisation, puis le 30 mars il est informé que la Royal Air Force a donné son accord. Au même moment, se déroulent en Union soviétique des négociations en parallèle, d’une part, entre Garreau et le commissariat aux Affaires étrangères et, d’autre part, entre Petit et l’état-major de l’Armée rouge. Le 17 avril, Petit rend compte qu’au terme des négociations, le commandement soviétique a envoyé les instructions nécessaires à Londres et qu’il est désormais souhaitable d’assurer la « prompte arrivée » des personnels de l’escadrille. Mais à la même époque, la mission militaire soviétique en Grande-Bretagne informe le commandement des FAFL qu’un accord diplomatique est nécessaire pour passer à l’étape de constitution de l’unité aérienne. Bogomolov confirme ensuite cette exigence. La situation est encore davantage compliquée par un accident aérien qui le même mois anéantit la mission militaire soviétique en Grande-Bretagne. Le général Petit qui ignore ces événements est convaincu que la phase de réalisation est entamée, alors que les négociations sont désormais bloquées.
39Au même moment, courant avril, le haut commandement de la Royal Air Force fait volte-face et exerce de fortes pressions pour l’abandon du projet. Compte tenu de l’hostilité des Britanniques52 et d’une situation devenue inextricable, le lieutenant-colonel Coustey, qui assure l’intérim du général Valin en déplacement au Proche-Orient, adresse au général de Gaulle une note qui recommande de renoncer à la formation de l’escadrille. Il est vrai que, selon le témoignage de Mirlesse, Coustey est hostile au projet, sans que le motif soit d’ailleurs précisé : priorités militaires ou considérations idéologiques ? Les péripéties ultérieures de l’engagement militaire français en URSS montreront qu’il n’est pas facile de repérer l’influence de l’un ou l’autre facteur à l’occasion des tensions ou des conflits récurrents qui se reproduiront jusqu’à la fin de la guerre au sujet de la présence militaire française en URSS. L’épisode d’avril 1942 montre qu’au sein de l’EMAir, l’engagement aérien en URSS suscite très tôt scepticisme ou opposition.
40Par l’entremise de René Cassin, Mirlesse obtient une rencontre confidentielle avec de Gaulle pour plaider en faveur de la poursuite des négociations. De Gaulle ordonne alors la poursuite du projet et le défend auprès des Britanniques. Fin juin, les Soviétiques font de nouvelles propositions qui ne reprennent pas tous les points d’accord établis précédemment. Mais pour éviter une nouvelle perte de temps, les FAFL décident d’accepter telles quelles les propositions soviétiques et la décision est prise d’envoyer Mirlesse à Moscou pour assister Petit dans les conversations destinées à établir les conditions d’emploi du groupe. Le 10 juillet, l’EMP informe l’EMAir que la constitution du groupe aérien doit être rapidement réalisée et, trois jours plus tard, un protocole fixant le régime financier et matériel du groupe est signé à Londres avec les Soviétiques53.
41À ce stade, les préparatifs sont déjà bien avancés puisque dès février le groupe a été officiellement nommé le GC3 et que dès le mois d’avril le recrutement des personnels, tous volontaires, est achevé sans difficulté54. Mais l’organisation du commandement de l’unité a été plus problématique. Compte tenu des circonstances particulières, l’état-major juge nécessaire de réunir l’expérience du commandement et l’expérience du combat aérien et, après des discussions, c’est finalement la solution d’un binôme, commandants Pouliquen/Tulasne, qui est retenue. La désignation de Pouliquen comme commandant en titre du groupe en raison de son ancienneté n’est pas remise en cause, mais le choix de Tulasne suscite des réserves. Cet épisode mérite d’être précisé en raison des crises de commandement que rencontrera le groupe Normandie dans ses premiers mois d’existence.
42En avril 1942, dans une note adressée à l’EMAir, le lieutenant-colonel de Villatte, commandant des FAFL en Syrie, admet que Tulasne est un excellent pilote mais qu’il faudrait toutefois l’écarter au profit de Jean Demozay qui, engagé dans de nombreuses opérations de guerre, possède une solide expérience d’emploi de la chasse, alors que Tulasne n’a accompli que des opérations aériennes outre-mer. Villatte craint
« que Tulasne, avec son inexpérience de la guerre moderne, sa fougue et ses maladresses au point de vue du commandement, ne conduise le GC3, soit à un échec, soit plutôt à une gloire trop onéreuse en vies humaines. Par contre, Demozay passe pour avoir de l’autorité, de la pondération et il a à coup sûr l’expérience et le prestige qui manque à Tulasne55 ».
43Mais cette proposition reste sans suite, car, sollicité, Demozay la déclinera.
44En juillet 1942, le processus de création du GC3 a donc franchi une étape décisive, mais il faudra encore plusieurs mois pour le conduire à son terme, même si pour faciliter leur avancée le centre de gravité des négociations passe de Londres à Moscou au cours de l’été 1942.
45Dans cette même période, les relations évoluent favorablement dans le domaine du renseignement, mais avec des résultats modestes. À Moscou, le général Petit n’en collecte guère, car il n’est pas autorisé à s’approcher du front et le commandement soviétique lui fournit très peu d’informations. Par contre, à Kuibyshev, Schmittlein est mieux placé grâce à ses contacts avec les attachés militaires et avec des officiers supérieurs de l’Armée rouge56. En outre, la MMF n’est guère appuyée par les services spéciaux gaullistes de Londres. Pourtant, au début de 1942, lors des préparatifs d’envoi de la délégation, il était prévu d’y intégrer comme adjoint de Petit un officier du renseignement. Début janvier, l’état-major avait désigné le capitaine Alexandre Beresnikoff, alias Corvisart, parlant couramment le russe, mais, sans raison connue, son départ avait été annulé57. Par la suite, l’affectation du capitaine Girard avait été décidée et son départ fixé à la fin de l’été en même temps que Mirlesse58. Mais à nouveau, cette affectation avait été annulée. Mirlesse rapporte un épisode troublant qui se serait déroulé dans la période août-septembre 1942, juste avant son départ pour Moscou, et qui pourrait concerner Girard :
« J’ai […] appris que l’État-major venait d’affecter auprès du général Petit un officier du 2e bureau qui se proposait de monter autour de la mission militaire à Moscou un vrai service de renseignements, en prenant contact notamment avec des opposants au régime soviétique. Les indiscrétions qui entouraient la mission de cet officier, avant même son départ, me faisaient craindre le pire pour l’avenir de nos relations, encore précaires, avec les Soviétiques. Fort heureusement, lors de mon passage au Moyen-Orient, j’ai pu faire part de mes appréhensions au général de Gaulle qui se trouvait dans la région. Il me répondit sur le champ, très laconique : “Partez tranquille, je m’en occupe”. J’ai appris beaucoup plus tard que l’affectation de cet officier avait été annulée et qu’un remorqueur britannique était venu le récupérer au large de l’Islande dans un nouveau convoi en route pour Mourmansk59. »
46La réalité d’un tel projet, rapporté par Mirlesse, est difficile à admettre puisque la FL veut nouer des relations solides et durables avec l’URSS, et qu’il paraît impossible de mener une activité d’espionnage en URSS à partir des représentations diplomatiques60. Compte tenu de la polyvalence de ses agents, la décision d’envoyer l’un d’eux à Moscou ne permet pas de conclure que le BCRA ait envisagé de créer une antenne du renseignement en URSS. Le choix d’un officier du service pour fournir à Petit un adjoint paraît d’autant plus logique qu’avant la guerre, les attachés militaires affectés en URSS, ainsi que leurs adjoints, étaient le plus souvent issus du renseignement. Le témoignage de Mirlesse doit donc être considéré avec circonspection, même si la documentation manque concernant le rôle du BCRA dans la politique soviétique de la FL61. Il semble davantage probable que le BCRA a préparé l’envoi d’un représentant à Moscou pour améliorer l’échange de renseignements avec les Soviétiques et apporter un appui à la MMF. Il est possible que Mirlesse ait manœuvré pour faire annuler cette affectation pour un motif différent de celui qu’il invoque. Quoi qu’il en soit, l’annulation répétée des affectations prévues ne fait que confirmer la fragilité des liens établis avec l’URSS, cette faiblesse concernant tout particulièrement le renseignement.
47C’est surtout la situation en France qui suscite un intérêt réciproque pour échanger des renseignements, mais le bilan est plutôt maigre. En avril, le haut commandement soviétique fait une offre de collaboration en demandant des renseignements sur les unités allemandes stationnées en France, une ouverture qui montre de l’intérêt pour le service gaulliste et un degré de confiance assez élevé62. En échange, la FL demande aux Soviétiques de la documentation sur leurs forces armées pour améliorer l’organisation et les capacités opérationnelles des FFL, mais sans grand succès semble-t-il63. Il est vrai qu’assez rapidement ce semblant de coopération tourne court en raison des défaillances françaises.
48À la fin de l’été 1942, le général Petit se plaint de n’avoir encore rien reçu et demande à nouveau que lui soient envoyés pour être transmis au haut commandement soviétique tous renseignements concernant les mouvements de grandes unités allemandes acheminées de France vers le front russe64. Puis au début de l’automne, une conférence consacrée à l’échange de renseignements réunit à Moscou militaires français et soviétiques en vue d’améliorer leur coopération. Mais les engagements pris ne peuvent être tenus en raison de « la carence totale » des services londoniens qui ne fournissent rien d’exploitable au général Petit65. Seul Schmittlein est capable de fournir des informations grâce à ses synthèses de presse hebdomadaires66. Cette situation nuit à la crédibilité de la MMF et au-delà à celle de la FL. Cet échec contribue aussi à aviver le conflit entre la mission et la délégation, ce qui ne fait qu’accroître les difficultés de la MMF qui a du mal à fonctionner malgré le renforcement de ses effectifs. Au début de l’automne 1942, le général Petit multiplie les télégrammes à Londres en se plaignant de l’absence de documentations, de service de presse et de versement de crédits. Il devra pourtant attendre encore quelques mois pour que la situation de la MMF s’améliore, grâce pour une bonne part aux retombées politiques et stratégiques du débarquement en Afrique du Nord.
La nouvelle donne à partir de novembre 1942 : un faisceau de nouveaux facteurs
49La nouvelle situation créée par le succès du débarquement allié en Afrique du Nord a des effets importants sur la politique soviétique de la FL, mais également sur l’attitude de Moscou vis-à-vis du gaullisme. Si les nouveaux enjeux de la guerre en Méditerranée jouent un rôle non négligeable, d’autres considérations interviennent, et d’abord l’incontournable prise en compte de la politique américaine en Afrique du Nord, puisque Washington devient en novembre 1942 un acteur majeur de la guerre dans la zone Europe occidentale-Méditerranée. En particulier, le rôle attribué à l’amiral Darlan puis au général Giraud dans le jeu américain fait perdre à la FL le monopole de la représentation française dans le camp allié et tend à la marginaliser. Désormais, deux armées françaises, non seulement distinctes mais rivales, combattent aux côtés des armées anglo-saxonnes, et dans cette nouvelle configuration, les FFL font figure de force contingente comparée à celle de l’ex-armée de Vichy en Afrique du Nord. Ce rapport des forces politiques et militaires défavorable revalorise encore l’enjeu soviétique pour de Gaulle, qui cherche désespérément des appuis, tandis qu’il influe sur la politique française du Kremlin. À l’inverse et curieusement, Giraud ignore longtemps le facteur soviétique, alors que, paradoxalement, les militaires proches de Darlan, à l’initiative du général Bergeret, tentent une ouverture, d’ailleurs sans lendemain, en direction de l’URSS.
50En outre, le communisme français, dont l’influence grandit en métropole et en Afrique du Nord, devient une variable prise en compte dans l’évolution des relations entre Français et Soviétiques. Dernier nouveau facteur à considérer, à partir de l’automne 1942 la FL est marquée par des évolutions internes qui ne sont pas sans conséquences sur ses relations avec l’URSS.
51Fin 1942-début 1943, interviennent en effet des changements politiques notables consécutifs au ralliement de personnalités d’influence aux compétences reconnues qui, de ce fait, accèdent rapidement à de hautes responsabilités. La FL, qui depuis 1940 était perçue comme une entité principalement militaire, voit sa dimension politique s’affirmer et elle s’efforce par là même de renforcer et professionnaliser ses institutions civiles, mais aussi militaires, une préoccupation qui se vérifie pour ses organismes présents en URSS.
52Dans le domaine diplomatique, Maurice Dejean, en désaccord avec de Gaulle au sujet du Levant, n’est plus commissaire aux Affaires étrangères à partir d’octobre 1942. Après une phase transitoire, René Massigli devient titulaire du poste début 1943. Comme « Massigli était aussi anglophile que Dejean était soviétophile67 », cette nomination va contribuer à atténuer, mais dans une certaine mesure seulement, le volontarisme diplomatique de la FL envers l’URSS. Ainsi, on repère dans son appareil diplomatique l’expression d’un anticommunisme, auparavant inexistant. Tel est le cas de Guillaume Georges-Picot, en poste à Washington jusqu’à sa nomination comme sous-directeur au Commissariat aux Affaires étrangères au second semestre 194368, et de Maurice Dayet, sous-directeur du département Asie-Océanie, qui considère nazisme et communisme comme deux systèmes très proches et également condamnables69. Ces diplomates, qui analysent la politique de guerre de Staline comme l’adaptation de la révolution mondiale aux circonstances du conflit mondial, s’inquiètent particulièrement de l’attitude accommodante des États-Unis face à l’URSS et secondairement au communisme. Début 1943, la victoire de Stalingrad et ses suites ne peuvent que conforter cette appréciation. Même si les sources restent peu explicites, on peut conclure qu’à partir de l’automne 1942, l’opposition à la politique soviétique de de Gaulle se renforce au sein de la FL. Il est vrai qu’au même moment, la crainte d’une mainmise américaine sur l’Afrique du Nord accentue au sein de la France libre la russophilie déjà fortifiée par les succès soviétiques à l’Est.
53Ces évolutions contradictoires montrent que la question soviétique devient une source de tensions internes plus fortes qu’auparavant, mais également entre la FL et les Anglo-Saxons, parce qu’elle devient plus compliquée et que ses enjeux s’accroissent. Ainsi, en février 1943, Mirlesse rendant compte de ses entretiens avec de hauts responsables américains, signale que le renforcement des relations entre la FL et l’URSS inquiète Washington qui perçoit le groupe aérien en cours de formation comme un regroupement de « volontaires antifascistes venus défendre l’URSS70 ». L’évolution de la situation française fait également sentir ses effets sur le terrain diplomatique. En effet, la perception du communisme comme une force montante en France et les relations qui se nouent entre la FL et le PCF devient une variable prise en compte sur le plan international et tout particulièrement dans les relations avec les Soviétiques. À cette fin, le commissariat aux Affaires étrangères adresse en mai 1943 une mise en garde à Roger Garreau, jugé trop conciliant à l’égard des Soviétiques :
« Il convient d’écarter l’idée que nous aurions à nous ménager le concours soviétique pour des fins de politique intérieure […] C’est entre Français, et entre Français seulement, que doivent se régler nos affaires intérieures […] Vous voudrez donc bien veiller à ne jamais donner par vos propos à vos interlocuteurs soviétiques l’impression que c’est sur un autre plan que celui des incidences à prévoir dans le domaine international que vous les appelez à apprécier les affaires françaises71. »
54Cette remontrance marque un durcissement du commissariat dans une période où les enjeux de politique intérieure se précisent, en métropole mais également en Algérie. Malgré tout, le facteur clé qui domine cette période est la solidité de la Grande Alliance, ce que constatent les diplomates de la FL à l’occasion de la dissolution du Komintern72, et qui influe sur les choix du Kremlin dans sa politique française. Leur acceptation du pouvoir de Darlan puis de Giraud montre que pour les Soviétiques le facteur stratégique l’emporte sur le facteur politique ; de même, dans le conflit entre Français en Afrique du Nord et face à l’antigaullisme intransigeant des Américains, les Soviétiques se tiennent en retrait dans une prudente neutralité.
La réserve des Soviétiques face à la FL et à ses démarches
55La position désespérée dans laquelle se trouve de Gaulle face aux Anglo-Saxons et à l’emprise des ex-vichystes sur l’Afrique du Nord le conduise à la fin de 1942 à jouer la carte d’un étroit rapprochement avec Moscou. Le 4 décembre, de Gaulle entreprend auprès de Maïski une démarche qui se veut décisive. Il lui déclare :
« Si cela continue, bientôt viendra le moment où la France combattante en arrivera à faire la même chose que la flotte française à Toulon, elle se suicidera. Dans une telle extrémité, je voudrais savoir quelle serait la position du gouvernement soviétique. Puis-je compter sur l’appui de l’URSS73 ? »
56Mais l’ambassadeur a la même attitude que Bogomolov au mois de juin et lui répond qu’il « convenait avant tout de ne pas perdre la tête et de ne pas tirer des conclusions trop hâtives », que « la guerre exigeait de la retenue et du sang-froid » et que le gouvernement soviétique restait, « suivant son principe général, fidèle aux engagements pris ». Neuf jours plus tard, de Gaulle à l’occasion d’une nouvelle entrevue lui dit qu’il souhaite voir les Russes arriver à Berlin avant les Américains. S’agit-il de la part de de Gaulle d’une manœuvre visant à impressionner les Anglo-Saxons pour qu’ils modèrent leur position à son égard ? C’est peu probable, d’autant plus que sa démarche est confidentielle, ignorée par la plupart des dirigeants de la FL, en particulier par Massigli. C’est dans cette période que de Gaulle cherche le rapprochement le plus étroit avec les Soviétiques et il est prêt à aller très loin en ce sens pour échapper à la marginalisation définitive que lui réservent Washington et Londres. Le témoignage du général Juin est très éclairant sur ce glissement appuyé vers l’URSS et le communisme qu’amorce alors le chef de la FL pour des raisons conjoncturelles. En novembre 1945, de Gaulle, évoquant la période novembre-décembre 1942 et l’éventuelle instauration de l’AMGOT par les Américains en Afrique du Nord, confiera à Juin :
« Ils ne m’auraient jamais laissé venir ! Jamais, tu entends ! […] Il ne me restait qu’une solution, et je peux te jurer que je l’aurais prise, c’était Moscou. Mais alors, je serais rentré escorté par les cosaques, comme sous Louis XVIII, et sous la caution du Parti communiste français74. »
57Ce mouvement en direction du communisme se vérifie également par l’accélération du rapprochement avec le PCF au début de 1943. Mais dans tous les cas, les Soviétiques restent sur une prudente réserve, à la fois parce que la position du gaullisme est fragile mais également parce qu’ils ont une appréciation ambivalente de ce qu’il représente.
58Concernant la personnalité de de Gaulle, les appréciations restent contradictoires. En décembre 1942, Pierre Cot adresse un rapport à Dimitrov dans lequel il porte un jugement inchangé depuis l’automne 1940 : « De Gaulle est un homme honnête et sincère. C’est un militaire qui veut libérer son pays. Il n’a pas de sens politique, ni d’ambitions75. » Mais, en janvier, André Marty rédige un long rapport sur le mouvement gaulliste qui est d’une tout autre teneur. Selon le dirigeant communiste, ce mouvement se caractérise avant tout par la « confusion » de son orientation politique ; quant à de Gaulle, il le qualifie de « représentant typique de l’impérialisme français », « réactionnaire, ambitieux », qui « se croit militairement plus capable qu’il ne l’est » et qui « indiscutablement essaiera en France d’installer la dictature militaire76. » Ce jugement, imprégné d’une terminologie kominternienne, paraît relever des stéréotypes du mouvement communiste de l’entre-deux-guerres. Pourtant, il est sur le fond assez proche de celui des diplomates soviétiques qui se montrent réservés vis-à-vis du gaullisme. Ainsi, en février 1943, Vladimir Dekanosov, vice-commissaire du peuple aux Affaires étrangères, estime, suivant l’avis de Bogomolov, qu’un accord formalisé entre le PCF et la FL est inopportun, car il convient d’attendre que les positions de cette dernière « deviennent tout à fait claires77 ». Dimitrov approuve cette position.
59À la suspicion politique, s’ajoute un fort scepticisme sur les capacités militaires du gaullisme. Déjà, en février 1942, Bogomolov, dans une déclaration aux gouvernements alliés, affirmait qu’il appartenait à la France d’ouvrir le front intérieur dans l’Europe occupée afin d’y jouer le même rôle que l’Espagne en 1812-181378. Puis il ajoutait :
« Nous savons que les Français libres n’ont pas suffisamment préparé le terrain […] Vous devriez avoir dans chaque ville de France une cellule gaulliste, reliée aux autres cellules, pour recevoir et transmettre les ordres au jour de l’action […] Nous ne demandons qu’à nous appuyer sur les Français libres, mais il faut que ceux-ci préparent minutieusement le travail à accomplir. »
60Cette appréciation critique, qui souligne la faiblesse des liens de la FL avec la métropole, imputée surtout à ses carences d’organisation, de méthode et de rigueur, reste inchangée dans la période qui suit. En août, lors d’une entrevue avec Garreau, Dekanozov lui affirme qu’une « insurrection généralisée en France » est nécessaire, car elle aurait un effet d’entraînement sur l’Europe occupée, et que « le peuple français se devrait à lui-même de sortir de son attitude attentiste et ne pas confiner sa lutte armée au désert de Libye79 ». À un moment très difficile pour l’URSS, qui semble alors acculée par l’avancée allemande vers le Caucase, la direction soviétique estime que la France est le maillon faible de la domination allemande en Europe, mais elle juge que la FL n’a pas la capacité de jouer un rôle décisif à court, voire à moyen, terme.
61Sur le plan militaire, l’intérêt des Soviétiques pour la FL se réduit pour l’essentiel aux perspectives insurrectionnelles dans l’Europe occupée, d’abord comme substitut au deuxième front, ensuite à plus long terme, comme moyen d’appuyer un éventuel débarquement. Le 30 septembre 1942, André Marty rapporte les propos du général Petit qui lui a déclaré : « Le général de Gaulle a toujours été très ferme à l’égard des Anglais […] [et] n’a aucune responsabilité dans les mots d’ordre d’attentisme, lancés par Londres. Son discours de Brazzaville le démontre une fois de plus80. » En conséquence, le renforcement de la résistance en métropole entraîne au premier semestre 1943 un regain d’attention de Moscou pour le gaullisme. À cette époque, c’est donc davantage sous l’angle du front intérieur dans l’Europe occupée que de l’ouverture du second front que les Soviétiques évaluent l’intérêt politique et militaire de la FL. Vu selon cette perspective, les FFL ne présentent guère d’intérêt du fait de leurs faiblesses et les militaires soviétiques estiment à cette époque que les troupes gaullistes risquent d’être purement et simplement absorbées par l’armée d’Afrique du Nord81. À ces considérations, s’ajoute la rivalité de Gaulle-Giraud qui imposera, tôt ou tard, de choisir. Même si les Soviétiques retardent l’échéance et restent longtemps en apparence attentiste, dès le début de 1943 ils penchent pour de Gaulle.
62Le 27 janvier 1943, Staline déclare à Garreau que « jamais il ne reconnaîtrait une autre France » que la France combattante, et ce même mois, Maïski inscrit dans son carnet que « Moscou […] préfère de Gaulle à Giraud82 ». Au printemps, cette évolution se confirme : en mars, Bogomolov écrit à Molotov que les communistes français soutiennent de Gaulle contre Giraud et il conclut que « de Gaulle est plus proche du Front national de la résistance en France ». Tandis que la préférence de Moscou pour la FL reste confidentielle, le 1er avril, le PCF se prononce pour un gouvernement provisoire présidé par de Gaulle, Giraud exerçant le commandement militaire ; en mai, la reconnaissance officielle par le CNR de de Gaulle comme « chef de la Résistance française » confirme aux yeux des Soviétiques l’importance du rôle politique et militaire de la France combattante en métropole et en Afrique du Nord83. Dans les jours qui suivent l’instauration du CFLN le 3 juin, la direction soviétique décide d’appuyer ouvertement de Gaulle contre Giraud et elle soumet la reconnaissance officielle du nouvel organisme à l’éviction de Giraud de toute fonction politique, ainsi qu’à l’intégration de représentants du PCF.
63Toutefois, les réponses soviétiques aux sollicitations des gaullistes restent circonspectes ou dilatoires. Déjà, en août 1942, la suggestion de de Gaulle, relayée par Dejean à Londres et par Garreau à Kuibyshev, de profiter de son séjour au Moyen Orient pour se rendre à Moscou était restée sans suite. À nouveau, le 1er avril 1943, de Gaulle demande à Bogomolov de pouvoir se rendre dans la capitale russe, mais il ne recevra pas d’invitation. En juin, le général Valin évoque « l’attitude nouvelle du gouvernement soviétique » envers le CFLN qui lui paraît moins favorable que dans les mois passés84 ! Il est vrai que de leur côté les Soviétiques estiment que la qualité des relations avec les organes de la FL à Londres laisse à désirer. En février, le commandant de la mission militaire à Londres exprime très directement son mécontentement au général Valin et au capitaine Mirlesse, qui en rend compte dans un rapport :
« Lebedev attend de moi une mise au point sur les relations militaires franco-soviétiques à Londres. Il me demande si je n’ai pas senti, au cours de mes entretiens sur les questions soviétiques, la même résistance, la même incompréhension et la même méfiance qui a marqué ses rapports avec les représentants de la France combattante. Il me prie de nouveau d’intervenir pour que s’établisse à Londres la même compréhension, la même coopération qui existe en URSS85. »
64Il est vrai qu’à cette époque, Valin se montre sceptique sur la possibilité de développer la présence militaire française en URSS, une attitude révélatrice des réticences, voire parfois de l’hostilité, au sein de la France libre à appliquer la politique soviétique voulue par de Gaulle. Incontestablement, les relations entre les Français libres et les Soviétiques sont beaucoup plus satisfaisantes en URSS qu’en Grande-Bretagne.
La MMF, entre consolidation et politisation
65La position de la mission militaire à Moscou se consolide lentement et les difficultés demeurent nombreuses, en particulier pour aboutir à la création du groupe aérien, cet objectif mobilisant désormais l’essentiel de l’activité du général Petit et des officiers de la mission. Un mois après son arrivée, le capitaine Mirlesse envoie un premier rapport au général Valin qui rend compte de sa bonne intégration à la MMF, de sa collaboration efficace avec le général Petit et du contact prometteur qu’il a pu avoir avec le commandement du GC3 lors de son passage à Beyrouth86. Par contre, il estime que l’aboutissement des négociations demandera encore des « délais considérables », d’une part parce que la question du GC3 est pour les Russes avant tout politique et que son avancée dépend donc « des fluctuations de la situation générale », d’autre part, parce que l’Armée rouge n’a aucune expérience de l’intégration d’une unité étrangère dans ses rangs et que les services compétents n’ont commencé à l’étudier que récemment. Toutefois les négociations avancent moins lentement que ne le craignait Mirlesse puisque l’accord final est signé par le général Petit le 25 novembre. Le haut commandement des forces aériennes soviétiques organise d’ailleurs ce jour-là une petite cérémonie pour solenniser l’événement87. Quatre jours après, le premier contingent du groupe aérien arrive en URSS. Il aura donc fallu près d’un an pour parvenir à créer en URSS une modeste unité des FFL et il faudra encore quatre mois pour qu’elle devienne opérationnelle, une tâche qui mobilisera les efforts de la MMF, mais dans des conditions toutefois meilleures que celles de l’année écoulée.
66En janvier, Mirlesse reçoit l’ordre de se rendre à Londres pour faire un rapport complet sur sa mission et exposer les problèmes pendants. Comme Petit craint de perdre son précieux subordonné qui serait ensuite réaffecté sur un autre poste, il adresse à de Gaulle une lettre dans laquelle, après avoir fait l’éloge de Mirlesse, il insiste pour qu’il soit renvoyé à Moscou afin de poursuivre sa mission, en précisant que le commandement soviétique a demandé son maintien comme officier de liaison du groupe aérien88. De plus, Petit suggère qu’il soit nommé attaché de l’Air, ce qui donnerait plus de poids aux représentants de la France libre en URSS.
67Arrivé à Londres, Mirlesse rapporte la situation médiocre de la représentation diplomatique et militaire gaullistes en Russie89. Concernant la MMF, il ne met pas en cause la qualité de son chef et du personnel, mais son manque de moyens et ses effectifs insuffisants. Plus grave, il rend compte de deux problèmes de fond qui nuisent à l’efficacité de la MMF : son absence de statut et les carences persistantes du renseignement.
68La MMF n’a en effet pas d’existence officielle, le général Petit n’étant pour les autorités soviétique qu’« un des trois membres de la représentation diplomatique du CNF » qui a reçu la « faveur exceptionnelle » de résider à Moscou dans les mêmes conditions que les missions militaires britanniques et américaines90. Ce statut incertain explique les dérobades ou lenteurs du haut commandement soviétique pour répondre aux demandes de la MMF ; de même, ce flou juridique est l’une des causes des relations exécrables entre la MMF et Garreau, ce dernier considérant Petit comme l’équivalent d’un attaché militaire qui lui serait subordonné, alors que le général estime ne relever que de l’EMP, puisque le chef d’une MMF, à la différence d’un attaché militaire, échappe à l’autorité de l’ambassadeur. Concernant la question du renseignement, Mirlesse accuse le BCRA d’apporter un appui quasi-nul à la MMF et d’être incapable d’assurer à Londres la liaison avec la mission militaire soviétique. Ce constat montre que la qualité des relations entre la MMF et les organismes de Londres reste médiocre.
69En mars, Mirlesse retourne à Moscou, tandis qu’entre début avril et mi-août, Petit séjourne à Londres puis brièvement à Alger. Ce long déplacement est assez mystérieux, car les archives en gardent peu de traces et aucun témoignage ne fournit d’indications sur son influence éventuelle dans l’évolution des relations entre la FC et l’URSS91. Il est en tout cas certain que les séjours à Londres de Mirlesse et de Petit ne sont pas sans effet. Mirlesse revient à Moscou avec un double ordre de mission : d’abord, s’il ne lui attribue pas le titre d’attaché de l’Air, il l’affecte officiellement à la MMF en le chargeant « des questions relatives aux forces aériennes », ce qui en fait l’adjoint officieux de Petit ; ensuite et plus important, il satisfait la demande de clarification de Petit concernant le statut de la MMF. Il est en effet précisé que le délégué, Garreau, est chargé des questions politiques et diplomatiques, tandis que Petit est compétent pour les seules questions militaires et dépend directement du général de Gaulle et de l’EMP. Dans le cas où une question militaire comprendrait une dimension politique, un accord serait établi en commun par Garreau et Petit et, en cas de divergence, ils demanderaient des instructions à leur département respectif92. En conséquence, lorsqu’il retourne à Moscou, Petit rapporte un ordre de mission qui précise explicitement qu’il n’est pas le subordonné de Garreau et qui lui donne le statut officiel de chef de la MMF auprès des autorités soviétiques. Cette clarification va contribuer à normaliser peu à peu les relations avec la délégation qui avait connu une nouvelle aggravation au cours du printemps. Cette crise apparaît davantage comme un conflit entre civils et militaires qu’entre Français libres de Moscou et de Kuibyshev, puisque Schmittlein a désormais des relations exécrables avec Garreau, alors qu’il noue des relations étroites avec Mirlesse93.
70Dans l’ensemble, la position de la MMF tend donc à se renforcer : d’une part, elle dispose désormais d’un statut officiel ; d’autre part, Moscou étant resté le centre névralgique de l’URSS en guerre, elle joue un rôle plus important que la délégation maintenue à Kuibyshev94. Exemple significatif, à partir de novembre 1942, l’émission déjà assurée par la MMF sur Radio Moscou devient bihebdomadaire95. Puis l’arrivée des aviateurs et la formation du groupe Normandie apportent une nouvelle activité à la MMF et accroissent son rayonnement qui s’étend au-delà du seul cadre militaire. Unique organisme représentant la France en guerre dans la capitale soviétique, elle devient dans les mois qui suivent son installation un espace de rencontre, de convivialité, voire de fraternité, pour les Français qui se trouvent à Moscou. La diversité de ce microcosme est remarquable. D’abord, les aviateurs de Normandie en permission ou en convalescence dans la capitale sont très souvent à la mission et, au centre de toutes les attentions, ils marquent l’ambiance par leur jeunesse, mais surtout leur présence crée un lien fort entre les Français de Moscou et les réalités du front. Ainsi, chaque décès d’aviateur provoque une grande émotion et, lorsque les obsèques se déroulent à Moscou, ils réunissent la petite communauté française mêlée aux représentants des autorités civiles et militaires soviétiques. Aux aviateurs de Normandie s’ajoutent des militaires français en mission de liaison en URSS qui apportent des nouvelles, du courrier et du ravitaillement.
71Les civils affluent également à la mission. Ainsi, les journalistes de l’AFP, Jean Champenois, directeur du bureau, et Jean Nau s’y rendent fréquemment, ainsi que Jean-Richard Bloch96 ; mais les visiteurs les plus assidus sont Ilya Ehrenbourg avec son épouse et plus encore André Marty. Leur présence s’explique pour le premier par une franche francophilie, probablement accrue par la nostalgie des années passées en France, et pour le second par la fibre militaire, à laquelle s’ajoute le plaisir de se retrouver entre Français et l’opportunité d’avoir accès à des informations venues d’Occident. Mais il est évident que les arrière-pensées politiques jouent également un rôle éminent. Entre le 15 octobre et le 3 décembre, Marty, parfois accompagné de son épouse, ne se rend pas moins de 10 fois à la MMF, et il a l’occasion de déjeuner une fois avec Petit, puis avec Mirlesse97. Au sein de cette sociabilité très composite, où apparaissent quelques personnalités improbables98, la figure d’André Marty occupe une place très particulière.
72Depuis le début de la guerre, Marty est chargé par le Komintern de s’occuper des Français, communistes ou non, présents en URSS. Il assure cette tâche, qui consiste à la fois à aider, à surveiller et à influencer, avec l’énergie et la rigueur qui le caractérisent. Les relations étroites qu’il entretient avec les militaires français constituent manifestement une part importante de sa mission. Il s’agit d’un paradoxe apparent, car, par-delà la figure du mutin de 1919 et celle du porte-drapeau de l’antimilitarisme révolutionnaire de la IIIe période, Marty reste un militaire dans l’âme, par sa psychologie, son comportement et son rapport à la politique99. En lui, se combinent une culture kominternienne militarisée et les expériences à la fois disparates et complémentaires de l’officier de marine, du commandement des brigades internationales et de la direction de la politique militaire du PCF au cours des années 1930. Jean Cathala en a dressé un portrait iconoclaste et perspicace lorsqu’il le rencontra pour la première fois à Moscou en 1943 :
« Le monsieur à qui j’ouvre la porte n’a rien du prolo déguenillé des caricatures […] Raide comme un piquet, strictement boutonné, cravaté, chapeauté, parapluie pendu à l’avant-bras gauche, il ressemble à un capitaine à la retraite d’avant l’autre guerre. C’est André Marty. »
73Puis, au cours de la conversation, évoquant sa guerre d’Espagne, il confie à Cathala :
« Le soldat français n’est pas seulement courageux : le soldat français a le sens de la guerre […] [Alors], une flamme danse dans ses prunelles froides. C’est émouvant cette âme cocardière crevant le quant-à-soi d’un captif de sa légende. Lorsqu’on a porté un galon à sa manche, il en reste toujours quelque chose100. »
74Si la motivation patriotique de Marty est incontestable, son activisme auprès des militaires français vise à les politiser pour les gagner au communisme ou, tout au moins, les amener à le considérer avec sympathie. Cet enjeu est résumé dans le rapport sur le gaullisme qu’il adresse en janvier 1943 à la direction du Komintern :
« Il est d’une nécessité urgente que tous les éléments patriotes et avant tout les forces militaires, navales et aériennes du général de Gaulle reçoivent une orientation politique claire. C’est la tâches des partis communistes intéressés (Syrie pour le Proche-Orient et les troupes du Nord-Afrique ; Grande-Bretagne et États-Unis) de prendre les mesures nécessaires pour aider à orienter politiquement tous les éléments sains du mouvement gaulliste et naturellement les éléments communistes et sympathisants […] De ce point de vue, la présence d’une escadrille d’aviation française en Union soviétique aura une importance politique encore plus que militaire […] Il est d’un intérêt capital d’accélérer au sein des troupes de de Gaulle, la sympathie et l’amitié pour l’Union soviétique et naturellement pour le peuple français101. »
75Cet objectif de propagande en direction des FFL marque une nette inflexion du mouvement communiste en direction du gaullisme considéré dans sa dimension militaire. Mais cette orientation exprimée par Marty n’est que partiellement novatrice, car elle correspond surtout à l’adaptation au contexte de la guerre de la politique militaire de front populaire appliquée par le Komintern et le PCF à partir de 1935102. Rétrospectivement, ce rapport de Marty marque la phase préliminaire du programme militaire que le PCF défendra quelques mois plus tard dans la perspective de la libération du pays.
76Les relations étroites nouées avec la MMF ne peuvent qu’encourager le Komintern et la direction du PCF à persévérer dans cette voie. Par la suite, les liens multiples entretenus avec des aviateurs du groupe Normandie semblent confirmer l’efficience de cette politique militaire. Très attentif au sort de l’unité des FAFL, Marty jouera en effet un rôle non négligeable dans l’amélioration des conditions matérielles des aviateurs et du fonctionnement de l’unité. Ses relations avec Normandie l’autorisent en août 1943 à écrire au commandant Pouyade, nouveau chef du groupe, une lettre chaleureuse qui se conclut par cette formule : « Avec une cordiale poignée de main, votre André Marty103. » Cet épisode fournit un aperçu des enjeux politiques qui dominent toute l’histoire du groupe Normandie jusqu’à son rapatriement en France à la fin de la guerre.
Les débuts du groupe Normandie : entre héroïsme et fragilité
77L’arrivée le 1er décembre 1942 du premier contingent du groupe Normandie à Ivanovo marque la véritable naissance de l’unité FAFL en URSS. Sous uniforme français et aux couleurs tricolores, le groupe Normandie, 14 pilotes et 47 mécaniciens, doté de chasseur Yak, est mis à l’entraînement jusqu’en mars avant de devenir opérationnel.
78Quelles étaient les motivations de ces aviateurs qui s’étaient portés volontaires début 1942 pour partir combattre aux côtés de l’Armée rouge ? Selon les témoignages des pilotes, c’est la volonté d’en découdre au plus vite avec les Allemands qui les a décidés à s’engager dans le GC3. Ce mouvement est incontestable, car outre la conviction banale à partir de l’été 1941 que la guerre se déroule et se joue en Russie puisqu’il n’existe plus de véritable front occidental depuis juin 1940, il existe chez les FFL de sérieux doutes, au moins jusqu’à l’automne 1942, sur la capacité des Britanniques à mener une vraie guerre contre les Allemands. Il n’est donc guère étonnant que peu de temps après leur arrivée en URSS, les pilotes de Normandie déclarent qu’ils préfèrent « se trouver dans l’austère ambiance de la guerre en Russie plutôt que d’être témoins de l’inaction et de l’insouciance qui régnaient en Grande-Bretagne et au Moyen Orient104 ». L’admiration pour l’héroïsme des Soviétiques n’a pu qu’accroître la volonté d’engagement, avec d’autant plus de vigueur que la propagande de guerre anglo-saxonne suit alors un cours soviétophile sans nuance, conférant ainsi une forte légitimité au choix d’aller combattre sur le front russe. Dans quelle mesure, la motivation politique a-t-elle pu jouer ? La majorité des pilotes est peu politisée et la plupart d’entre eux est « plutôt contre le communisme » selon la formule d’Igor Eichenbaum qui intégrera le groupe en septembre 1943105. Il est toutefois probable que le facteur politique et idéologique a influencé l’engagement d’une minorité des aviateurs en raison de leur origine et de leur attitude ultérieure.
79S’il n’est pas possible d’établir une comparaison avec l’ensemble des FAFL faute d’étude d’ensemble, il semble que la proportion des pilotes passée par l’Aviation populaire, crée en 1936 par le ministre de l’Air Pierre Cot106, ait été particulièrement élevée, surtout parmi les 14 aviateurs du contingent initial107. Sans que cette liste soit exhaustive faute de sources suffisantes, peuvent être cités Marcel Albert, Roland de la Poype, Jean de Pange, Marcel Lefèvre, Robert Marchi, Maurice Halnon du Fretay108, Yves Bizier, Roger Sauvage et Jacques André. Le passage par l’Aviation populaire n’est pas un indicateur d’opinion particulière, mais, selon les conditions locales, en particulier dans la région parisienne, il peut être corrélé à une influence politique ou syndicale socialiste ou communiste. Dans tous les cas, l’Aviation populaire a été un lieu de brassage social, facteur d’ouverture à une époque marquée par un cloisonnement politique et idéologique qui recoupe assez largement les appartenances sociales. La proportion de pilote de Normandie issue de l’aristocratie et passée par l’Aviation populaire tend à confirmer ce rôle de creuset qui permit d’amalgamer une jeunesse soudée par la passion du pilotage.
80Certains de ces pilotes étaient-ils communistes au moment de leur engagement ? Cela est peu probable109. Aucun des pilotes survivants n’adhérera au PCF après la guerre et, si l’un des aviateurs tués au combat avait été membre ou proche du PCF, les communistes n’auraient pas manqué de le revendiquer. Par contre, au moins trois d’entre eux ont un engagement nettement à gauche110 : le plus politisé est Marcel Lefèvre, très favorable à l’URSS, qui exprime ses convictions antifascistes et prosoviétiques au cours de son engagement dans le groupe Normandie111 ; Marcel Albert, ex-ouvrier métallurgiste chez Renault, a vibré « aux exploits des brigades internationales » et reste très proche de Marcel Lefèvre ; Constantin Feldzer, qui a convoyé des avions de l’escadrille Malraux et adhérera à l’AVER après la guerre, exprime des idées radicales, mais plus libertaires que communistes112.
81À l’inverse, l’anticommunisme s’exprime à l’occasion et peut provoquer des tensions avec les Soviétiques, mais, mis à part le cas du commandant Pouliquen, ce type d’incidents apparaît plus tard, à partir de la fin 1943, avec l’arrivée de nouveaux contingents de pilote113. Ce problème reste limité, car il a été convenu lors des négociations pour la création du groupe que la politique devait rester « entre parenthèses » dans les relations entre Français et Soviétiques. Mirlesse écrit à ce sujet : « Du début à la fin les Russes ont joué le jeu et ont contribué à forger les relations franco-russes telles que de Gaulle les souhaitait114. » Dans la réalité, même si les sources sont peu explicites, la politique ne disparaît pas de l’histoire du groupe Normandie, ainsi que différents épisodes le montrent jusqu’à ce que l’unité française soit rapatriée en France. Mais dans l’ensemble, cet aspect délicat des relations entre Français et Soviétique a été géré sans heurts majeurs et il ne figure pas parmi les problèmes graves et récurrents qui se posent dans les premiers mois d’existence du groupe.
82Début février, Mirlesse en tire un premier bilan depuis son arrivée115. Il relève que le commandement soviétique « a fait un effort considérable » pour assurer de bonnes conditions matérielles et de travail à l’unité. Concernant la préparation des pilotes, il fait une évaluation très positive des deux mois écoulés :
« Les avions sont excellents, […] les conditions de travail sont favorisées du fait que les méthodes de pilotage, d’entraînement, de combat, sont inspirées des méthodes françaises […] La bonne camaraderie qui s’est établie avec les aviateurs soviétiques contribue à mettre les membres du groupe tout à fait à leur aise. »
83Mais après ce satisfecit, Mirlesse souligne le problème que pose le commandement du groupe.
84Peu après son arrivée, le commandant Pouliquen a exprimé le souhait d’être rappelé de Russie, estimant que le commandant Tulasne était à même d’assurer le commandement du groupe. Mirlesse considère que ce rappel serait souhaitable, car Pouliquen ne s’est « pas bien adapté » à la vie en URSS et a éveillé « la méfiance » des Soviétiques. Après-guerre, Mirlesse écrira plus crûment que le commandant de Normandie était « viscéralement anticommuniste […] et le faisait sentir à longueur de journée à ses interlocuteurs russes116 ». En outre, son autorité était mal acceptée par les pilotes : issu de l’aviation de bombardement de la Première Guerre mondiale, n’ayant pas été formé aux méthodes de la guerre moderne et n’étant plus autorisé à piloter en raison de son âge, ses subordonnés ne le jugeaient pas compétent pour commander l’unité en opération de guerre. En conséquence dès mars, le général Valin décide son rappel à Londres et son remplacement par Tulasne.
85Pourtant le rapport de Mirlesse sous-estime les difficultés et la fragilité de la nouvelle unité FAFL. D’abord, les conditions de vie sont particulièrement éprouvantes, surtout au cours du long hiver russe. Le général Petit, appuyé par Valin, renouvelle sans succès ses demandes d’envoi de produits alimentaires depuis le Proche Orient, car la nourriture est insuffisante et monotone, une carence d’autant plus mal supportée que le froid et l’isolement pèsent sur le moral117. Les mécaniciens sont les plus affectés, et la dégradation de leur état physique et moral, la multiplication des maladies entraîneront leur retrait d’URSS en août 1943 et leur remplacement par des mécaniciens soviétiques.
86Le facteur qui pèse le plus négativement sur le moral des pilotes est la longue attente avant l’engagement sur le front, car la période d’entraînement accomplie, le groupe Normandie reste jusqu’en mars à Ivanovo, où la principale activité consiste à participer à des émissions de propagande radiophoniques. Il est probable que les Soviétiques traînent à engager l’unité à cause de leurs doutes sur sa capacité de survie au front et qu’ils préfèrent tirer un avantage politique maximal de la présence du groupe Normandie avant de l’engager dans les combats. Cette priorité donnée à la valorisation politique et propagandiste de l’unité des FAFL restera une constante de son histoire jusqu’à la fin de la guerre.
87Puis, à partir du 22 mars, Normandie est intégré à la 204e division aérienne de bombardement qui opère dans la région de Smolensk. Ses missions consistent à opérer des vols de reconnaissance ou à escorter des bombardiers. Les victoires s’enchaînent avec un total de cinq avions ennemis abattus. Mais le 13 avril, les Français perdent trois pilotes. Le commandement soviétique affecte alors l’unité dans un secteur plus tranquille où le risque de pertes est moins élevé. En juin, l’intégration à la 303e division de chasse de l’Armée rouge, commandée par le général Zakharov, ne met pas fin à cette relative inactivité qui finit par susciter le mécontentement. Le 7 juillet, Tulasne adresse à Petit une lettre dans laquelle il l’informe que « le potentiel guerrier des pilotes […] sera nul d’ici un mois. » Puis il ajoute :
« Il serait nécessaire pour prouver à ces pilotes qu’ils ne sont pas seulement des instruments au service de la Propagande d’utiliser ce reste de potentiel guerrier […] dans des opérations actives […] J’ai donc l’honneur de vous demander l’envoi immédiat du groupe Normandie dans n’importe quel secteur du front où les opérations sont présentes et non à venir118. »
88Cette curieuse demande, puisque Petit n’a aucune autorité sur l’affectation de l’unité, devient sans objet puisque le déclenchement de la bataille d’Orel jette les pilotes dans les combats les plus éprouvants de l’histoire de Normandie avec des pertes si lourdes que se pose alors crûment la question des effectifs. C’est d’ailleurs le manque de réserves qui en avril avait décidé le commandement soviétique à transférer le groupe dans un secteur calme du front, l’objectif de propagande n’étant plus à ce moment-là une priorité.
Le problème des renforts et les projets de nouvelles unités
89La question des effectifs ne concerne pas seulement la constitution d’une réserve de pilotes destinée à combler rapidement les pertes du groupe Normandie, mais elle relève aussi des projets de développement de la présence des FAFL en Russie. Cette problématique des renforts vers la Russie va perdurer jusqu’à la fin de la guerre et susciter un antagonisme récurrent entre ceux qui veulent privilégier la stabilisation d’une force de réserve fiable pour Normandie et ceux qui sont convaincus qu’il est possible d’assurer à la fois un fonds de réserve suffisant et de créer de nouvelles unités aériennes, voire terrestres, sur le front russe.
90Dans un premier temps, en mars 1943, le général Valin charge Mirlesse à son retour à Moscou de proposer aux Soviétiques de transformer le groupe Normandie en régiment par le transfert en URSS du groupe de bombardement Bretagne, avec pour perspective de créer un second régiment, puis éventuellement un troisième. En parallèle, des pourparlers sont entamés à Londres entre Bogomolov et le général d’Astier de la Vigerie pour la réalisation de ce projet. Mais à Moscou, le haut commandement soviétique fait traîner les négociations, très probablement parce qu’il veut d’abord évaluer les capacités du groupe Normandie avant de prendre une décision. Début juin, au vu du premier bilan de l’unité, il donne officiellement son accord pour transformer le groupe en régiment de trois escadrilles, dont une de bombardement119. Dans une période où le CFLN est en train de se mettre en place, l’engagement des FAFL en Russie apparaît comme une réussite porteuse de nouveaux développements. De même, dans le domaine du renseignement militaire, les échanges entre le BCRA et le haut commandement soviétique, par l’intermédiaire de la MMF, deviennent plus importants120, marquant ainsi une amélioration de la coopération.
91Dans cette même période, les relations militaires entre la FC et les Soviétiques sont marquées par l’apparition d’une question sensible qui perdurera jusqu’au lendemain du conflit, celle des prisonniers de guerre alsaciens-lorrains. En effet, la défaite allemande devant Moscou provoque une augmentation sensible du nombre de prisonniers capturés par les Soviétiques et les soldats originaires d’Alsace-Lorraine sont soumis au même régime que l’ensemble des soldats de la Wehrmacht, tout comme les Polonais ou les Tchèques incorporés de force. En mars 1943, à la demande de la France libre, Roger Garreau adresse au commissariat aux Affaires étrangères une demande de regroupement de ces prisonniers, et après examen de chaque cas, leur libération et le recrutement des volontaires dans les FFL121. Cette demande étant rejetée, René Massigli en personne écrit à Bogomolov pour la renouveler122, sans plus de succès. À la demande du commissariat à l’Intérieur, un accord a cependant été trouvé pour les Alsaciens-Lorrains envoyés travailler dans l’Est de l’Europe occupée et qui parviendraient à gagner les lignes soviétiques123. La question des prisonniers alsaciens-lorrains va cependant connaître une évolution importante à la suite de l’intervention d’André Marty.
92En juin 1943, le dirigeant communiste adresse un rapport à Dimitrov, ex-secrétaire général du Komintern, en lui demandant d’intervenir auprès des dirigeants soviétiques pour que les prisonniers alsaciens-lorrains soient regroupés dans un camp séparé des autres prisonniers de guerre. Marty considère, d’une part, qu’« il ne serait pas juste de les considérer comme des ennemis de l’Union soviétique » et, d’autre part, qu’un regroupement de ces prisonniers permettrait de sélectionner ceux qui pourraient être utilisés par le « PCF ou en tout cas par les forces militaires françaises124 ». Ce rapport est suivi d’effet, puisqu’en août les Alsaciens-Lorrains sont regroupés dans un camp particulier situé à Tambov et qui fonctionnera jusqu’à la fin de la guerre : à son ouverture, 42 prisonniers y sont détenus, puis leur effectif augmentera progressivement pour culminer à 11 000 détenus en septembre 1945.
93Compte tenu des relations entre la MMF et Marty, il est probable que la question des Alsaciens-Lorrains a été discutée entre les militaires français et le dirigeant communiste et que, lorsque ce dernier a rédigé son rapport, il savait que la direction soviétique avait refusé les propositions de la FC. Il est également probable que les victoires décisives de l’été 1943 ont contribué à assouplir l’attitude des Soviétiques. Quoi qu’il en soit, le problème des Alsaciens-Lorrains restera une des principales préoccupations de la MMF jusqu’en 1945 et, en dépit du peu de résultats des démarches entreprises face à l’intransigeance soviétique, il ne semble pas que la qualité des relations entre la MMF et les autorités civiles et militaires s’en soient ressenties. Il est vrai que le général Petit et ses subordonnées attachent la plus grande importance à entretenir la « confiance » des soviétiques envers la MMF et les FFL, un leitmotiv qui revient très souvent dans la documentation produite par la MMF, avec d’ailleurs une tendance à la surestimer125. Ce souci reflète l’engagement de la France libre à construire l’alliance russe, une préoccupation que l’on retrouve également à Alger, mais sous une forme atténuée, aux marges du giraudisme.
Les paradoxes de l’armée d’Afrique du Nord face à l’URSS
94Contrairement aux idées reçues, Giraud ne s’est pas cantonné lorsqu’il exerce le pouvoir en Afrique du Nord à un anticommunisme de principe, impliquant une hostilité plus ou moins exprimée face à l’URSS. En réalité, l’attitude de Giraud, tout au moins en apparence, se caractérise plutôt par l’indifférence vis-à-vis de l’URSS, un constat qui ne peut qu’étonner compte tenu de la présence dans son entourage de partisans convaincus d’une alliance franco-soviétique. Il s’agit d’abord du capitaine Beaufre, le meilleur spécialiste de l’Union soviétique dans l’armée de Vichy, officier d’ordonnance et homme de confiance de Giraud lorsqu’il part en Algérie et qui devient ensuite son chef d’état-major. Au vu de la précision et de la qualité de conceptualisation de son rapport de l’été 1940, il est fort douteux qu’à l’automne 1942, Beaufre ne soit pas convaincu qu’en reprenant la lutte contre l’Allemagne aux côtés des alliés, l’armée française doit renouer des liens avec l’URSS et mettre en place les bases pour l’après-guerre d’une politique d’alliance stratégique tournée contre l’Allemagne. En outre, l’arrivée à Alger dans les premiers mois de 1943 des transfuges de la France libre, civils ou militaires, tels l’amiral Muselier, le capitaine de vaisseau Raymond Moullec ou André Labarthe, qui rejoignent Giraud, aurait dû se traduire, au moins, par la tentative, de lui faire prendre en compte l’importance des relations avec l’URSS126. Or, il n’existe aucun indice de la moindre démarche en ce sens auprès de Giraud.
95Pourtant, l’intérêt pour l’URSS au sein du giraudisme ne se réduit pas à ces quelques personnalités puisque les services spéciaux estiment que l’URSS doit être considérée comme une grande puissance dont il est nécessaire de se rapprocher, une appréciation d’autant plus argumentée qu’ils paraissent avoir une connaissance plus précise de la guerre à l’Est que la France libre127. Ainsi, en décembre 1942, la Direction des services de renseignement et de la sécurité militaire fournit une longue note sur la situation en Russie128 dans laquelle elle reconnaît explicitement qu’avant juin 1941, les capacités de l’Armée rouge ont été largement sous-estimées alors qu’elles se sont révélées supérieures aux estimations les plus favorables. En particulier, « la capacité de résistance de l’armée russe est moins étonnante que le pouvoir offensif qui s’est révélé et accentué. » Ce document, qui reprend les analyses du 2e bureau de Vichy sur impossibilité pour la Wehrmacht de gagner la guerre en Russie, estime que le problème le plus grave pour l’URSS est l’extrême pénurie alimentaire et secondairement les pertes humaines qui pourraient entraver sensiblement les opérations de l’Armée rouge. Malgré cette réserve, le service de renseignement affirme que c’est sur le front oriental qui se jouera l’issue du conflit. Les victoires soviétiques de début 1943 ne modifieront d’ailleurs pas cette appréciation positive puisqu’on ne trouve dans les analyses du SR ni hostilité, ni crainte, ni doutes face à l’avancée de l’Armée rouge. Ainsi, au printemps, les rumeurs de négociations germano-soviétiques ne sont guère prises au sérieux par le service de renseignement et celui des relations extérieures129. Dans la même période, l’hypothèse d’un débarquement allié dans les Balkans n’est considérée qu’en tant qu’opération de diversion destinée à favoriser l’ouverture d’un second front en France, au Pays-Bas ou en Belgique, et non comme un grand plan stratégique visant à contrer la poussée soviétique vers l’Europe centrale130.
96Cette valorisation du facteur soviétique a quelques conséquences diplomatiques, puisqu’à partir du début de 1943, des initiatives sont prises en direction de Moscou. D’abord, le 4 janvier, Giraud adresse à Staline un télégramme, surprenant par sa brièveté et son laconisme, mais qui semble marquer un début de mouvement d’intérêt envers les Soviétiques. Signé « Général Giraud, Haut-Commissaire de France en Afrique française », il est ainsi libellé : « Au moment où l’armée française reprend sous mon commandement le combat contre l’ennemi commun, je tiens à vous exprimer la joie qu’elle éprouve en apprenant chaque jour les victoires des valeureuses armées russes131. » Pourtant ce premier télégramme est longtemps demeuré sans suite et il faut attendre le 22 juin, à la suite de l’instauration du CFLN et d’une injonction de Massigli132, pour que Giraud consente à cosigner avec de Gaulle un télégramme adressé à Staline pour le deuxième anniversaire du déclenchement de la guerre germano-soviétique qui célèbre l’héroïsme de l’URSS en guerre et les victoires de l’Armée rouge133. Ces déclarations minimales ne peuvent qu’intriguer, d’autant plus que les archives ou les témoignages n’apportent aucun indice de désaccord flagrant entre giraudistes sur la question russe. L’attitude de Giraud pourrait être le résultat d’un compromis revenant à faire le choix de l’abstention sur la question soviétique pour ne pas provoquer d’inévitables divisions entre ses partisans, la priorité étant la lutte contre le gaullisme qui exige de conserver en priorité la cohésion du giraudisme au nom de l’unité de l’Armée. Si dans l’entourage de Giraud se trouvent les partisans d’une ouverture en direction des soviets, ils ne peuvent que se heurter à une forte opposition, car le général Georges, d’un anticommunisme résolu et très hostile à l’URSS depuis les années 1920, reste hostile à un rapprochement avec Moscou134. Il semble donc que l’antagonisme qui existait au sein de l’armée de Vichy entre les partisans et les adversaires d’une alliance avec l’URSS perdure au sein du giraudisme. Mais il faut se garder, faute de sources, de systématiser à propos d’une question qui paraît d’autant plus énigmatique qu’au début de l’année 1943, aux marges du giraudisme, un groupe d’officiers de l’armée d’Afrique du Nord a conçu le projet d’envoyer une mission de liaison en Union soviétique afin de poser les jalons d’un rapprochement avec Moscou.
L’étrange mission de liaison du général Bergeret
97Ce projet ne peut être réduit à une simple hypothèse de travail, puisque les membres de la mission ont été désignés et qu’un argumentaire complet a été élaboré. Ce document, non signé, d’une architecture assez décousue, aux formulations souvent confuses ou alambiquées, parfois extravagantes, constitue un ensemble baroque qui paraît inspiré par le souci de renouveler la problématique française de la question russe, mais sans parvenir à rompre avec les schémas et pratiques antérieures135. Cet amalgame de réalisme, de stéréotypes et d’affirmations incongrues dégage une impression d’amateurisme avec un fort penchant pour les combinaisons complotistes. En dépit de ses limites, cet argumentaire fournit un bon aperçu des motivations et objectifs d’une frange des forces armée de Giraud dans cette amorce de rapprochement avec l’URSS qui s’inscrit sans équivoque dans la perspective d’une victoire des alliés.
98Curieusement, le document commence par l’affirmation que « la guerre entre la Russie et l’Angleterre peut être considérée comme inévitable », les Anglais barrant les voies maritimes auxquelles les Soviétiques voudraient avoir libre accès. Par contre, l’auteur affirme qu’il n’existe pas d’opposition d’intérêts entre la Russie et la France, ce que les gouvernants français des années 1930 ont été incapables de comprendre pour mener
« une politique extérieure commune […] La situation de 1943 est tout à fait différente, mais [il faut] faire terriblement attention aux Anglo-Saxons dont on ne peut se passer et qui voient d’un mauvais œil la puissance militaire russe s’accroître ».
99Si le rapprochement avec l’URSS est dirigé contre l’Allemagne, il apparaît en filigrane qu’il est également conçu comme un contrepoids aux aspirations hégémoniques des Britanniques et des Américains. Cet objectif exige de pratiquer une diplomatie dissimulée en direction des Soviétiques, car, à l’avenir, quelle que soit l’évolution de la situation générale dans le monde, en particulier dans le cas d’un effondrement de l’Allemagne, qui projetterait l’Armée rouge loin vers l’ouest de l’Europe,
« la France nouvelle doit être représentée à l’Est, et autrement que par des agents officiels qui seront inévitablement neutralisés. Ces agents secrets peuvent rendre de grands services aux chefs russes, militaires et politiques. De toute manière, la liaison Alger-Moscou doit exister […] Il faut admettre l’échec de toute négociation officielle, d’ailleurs impossible actuellement, pour un gouvernement français : Vichy ou Alger. Cette reprise de contact sera atrocement difficile […] Elle ne peut être que secrète et camouflée. Elle engage la vie et l’honneur de ceux qui la tenteront136 ».
100En conséquence, « une mission économique officieuse137 » serait utile pour servir de camouflage à une mission de nature militaire et politique qui, sinon, se heurterait « aux sourdes hostilités des services secrets anglais et américains. » En conclusion, la perspective tracée est l’envoi dans un premier temps d’une délégation limitée à cinq membres, composée de militaires, d’économistes et de journalistes, aucun n’étant juif ou communiste, les Soviétiques n’ayant que « dédain » pour les communistes français.
101L’objectif immédiat de cette mission serait « d’avoir une vue exacte de la situation russe : politique et militaire », d’organiser des échanges commerciaux entre l’URSS et l’Afrique française et de « préparer des sympathies et des compréhensions réciproques pour le prochain traité de paix ». À cette fin, le meilleur moyen de resserrer les relations avec les Soviétiques serait de constituer une unité combattante avec les Français pris par l’Armée rouge à la suite des reculs de la Wehrmacht. Ces hommes seraient classés en trois catégories : les malades et inaptes, qui seraient évacués vers l’Afrique du Nord ; les personnels techniques qui seraient affectés à la récupération et à la remise en état du matériel abandonné par les Allemands ; les hommes aptes à combattre, estimés à 15 000, permettraient de former une division pour probablement combattre sur le front russe, même si cela n’est pas explicité. Mais la finalité de toute cette opération est moins la défaite de l’Allemagne que la préparation du futur traité de paix : « D’immenses intérêts sont à défendre avec l’aide du gouvernement russe […], et tout d’abord recueillir, protéger et organiser les éléments français que laissera sur sa route le recul allemand. » Le gouvernement français pourra ainsi agir afin de maintenir l’influence française en Europe orientale et centrale, contrecarrant par là même les Anglais dans leur objectif de « neutraliser » la puissance de la France dans le monde.
102La composition de la mission apporte des éléments intéressants pour mieux saisir l’origine et la portée de ce projet : son chef est le commandant Fernand de France, un aviateur, ancien membre du cabinet militaire de Pétain, personnalité marquante de l’armée de l’Air de Vichy et qui, très proche du général Bergeret, est parti avec lui à Alger le 6 novembre 1942 pour rejoindre Darlan. Le choix de de France indique, d’une part, que cette mission est tenue pour une opération importante par ses initiateurs et, d’autre part, que le projet de mission de liaison émane des militaires, principalement des aviateurs, proches de Darlan, dont le chef de file au premier semestre 1943 est le général Bergeret, haut-commissaire adjoint au commandement civil et militaire en Afrique du nord. Ceci permet d’expliquer l’absence de spécialistes de la Russie dans l’élaboration du projet et dans la composition de la mission, car leur caractère très secret empêchait de faire appel à des compétences extérieures à la mouvance Bergeret, en particulier celle des services spéciaux, excepté probablement le SR Air. Le secret a semble-t-il été maintenu puisque dans ses Carnets le colonel Rivet ne fait aucune allusion à cette affaire qui aurait probablement provoqué de sérieux remous au sein du SR d’Alger si elle avait fuité.
103Mais la désignation des cinq subordonnés de de France est révélatrice de la faiblesse de ce projet : aucun ne semble connaître le russe et, pour deux d’entre eux, il paraît probable que leur intégration à la mission s’explique seulement par un séjour, plus ou moins bref et ancien, en Russie soviétique. Le premier est le lieutenant (de réserve) Joseph Crozat, 62 ans, docteur en sciences politiques et économiques, membre de la mission militaire auprès des troupes russes en France durant la Première Guerre mondiale puis d’une mission d’étude en Russie en 1923 ; le second, Alain Brainos, 27 ans, démobilisé comme aspirant en 1940, journaliste, a été envoyé spécial en Russie pendant trois mois en 1937. Les trois autres sont Georges Bergognon, 27 ans, démobilisé comme aspirant de réserve en 1940, journaliste, Robert Cartier, 27 ans, militaire de carrière (grade non indiqué) et un dénommé Sitaky, au sujet duquel aucune précision n’est donnée.
104La préservation du secret de l’acheminement en URSS exclut le passage par l’Égypte ou le Canada. La mission devra donc transiter par Ankara avec l’aide de Gaston Bergery, ambassadeur de France en Turquie depuis son départ de Moscou, qui pourra servir d’intermédiaire avec l’ambassade soviétique locale. L’ambassadeur pourra également conseiller la mission puisqu’il connaît l’URSS avec « une objectivité et une clairvoyance remarquable ». Décision surprenante, il est prévu que le commandant de France, pourtant chef de la mission, reste à Alger pour assurer la liaison avec Bergeret et qu’il ne partira en URSS que lorsque les premiers résultats auront été obtenus. En attendant, Sitaki, qui semble avoir des relations en Turquie, restera à Ankara pour faire le lien entre la mission et son chef.
105Il n’existe pas le moindre indice d’un début d’exécution de ce projet et le dossier contenant les documents comporte la mention « aucune suite donnée ». Son irréalisme, tant politique que militaire, le condamnait d’ailleurs à l’échec, voire au fiasco. Il fallait beaucoup de naïveté et une grande méconnaissance du régime soviétique pour croire qu’une fois parvenus en URSS, les membres de la mission auraient une vision précise de la situation intérieure et militaire. À cette ignorance de l’opacité et du culte du secret qui caractérisent le pays s’ajoute la totale inexpérience des relations avec les Soviétiques, par exemple en s’imaginant qu’une délégation ayant laissé son chef à Alger et conduite par un simple lieutenant serait prise au sérieux par les autorités soviétiques, en admettant même qu’il l’autorise à pénétrer sur le territoire de l’URSS. On retrouve ici l’inconséquence et la désinvolture des Occidentaux dans leurs relations avec les Soviétiques au cours des années 1930. Il paraît d’ailleurs improbable que Bergery ait été sérieusement consulté et ait donné son accord pour être compromis dans une opération relevant d’un tel amateurisme. Vue sous un autre angle, cette tentative est exemplaire de l’un des traits caractéristiques de l’armée de Vichy : une volonté de rénovation bornée par l’incapacité à rompre avec le cadre intellectuel hérité de l’entre-deux-guerres. La médiocrité de ce document manifestement rédigé sans la contribution d’un officier spécialiste de la Russie rend encore plus opaque la compréhension des origines de ce projet de mission. Il constitue en tout cas un indice sérieux que le haut commandement de l’armée de l’Air d’Afrique du Nord ait été durablement influencé par la thèse d’un rapprochement nécessaire avec les Soviétiques.
106En effet, l’immobilisme de Giraud sur la question russe suscite la critique voilée du général d’aviation Bouscat, chef de la mission de liaison de Giraud à Londres, qui le 27 mai envoie à Alger un télégramme dans lequel il rapporte que Bogomolov a relevé avec insistance l’absence de déclaration de Giraud « sur l’effort de guerre russe » et a rappelé à plusieurs reprises qu’à Moscou on ignorait l’attitude que le commandant en chef entendait prendre à l’égard de l’Union soviétique138. Le rôle joué par le département Air dans l’élaboration du projet de mission conduit à une dernière question : la mission de liaison était-elle conçue comme un moyen d’affaiblir voire de liquider la position de la FL en URSS ?
107Cet objectif ne fait pas partie de ses principaux enjeux, car les relations entre le gaullisme et l’URSS sont manifestement très mal connues et sous-estimées, mais il est toutefois pris en compte et exprimé sans aucune ambiguïté :
« De renseignements précis, il découle que de Gaulle a déjà envisagé une mission cherchant à établir une liaison sérieuse en URSS. Les principaux éléments de cette mission lui sont fournis par l’escadrille Normandie qui représente un camouflage idéal. Cependant, les Russes restent très froids, car ils sentent derrière ces hommes l’influence anglaise qu’ils ont toujours combattue et qu’ils cherchent plus que jamais à combattre. Notre but ne serait pas de contrarier les efforts de ces éléments, mais bien plutôt de travailler en parallèle pour contrebalancer cette influence et même un jour sans doute l’absorber dès que l’évolution politique le permettrait. »
108Ces visées antigaullistes fournissent une explication plausible à la tentative de noyautage de Normandie que rapporte Constantin Feldzer : au cours de l’été 1943, affecté à Alger, il apprend que le lieutenant-colonel Chassin, chef de service du personnel Air et proche du général Bergeret, organise l’envoi d’un groupe de renfort ayant à sa tête le commandant Davy qui est destiné à prendre le commandement de l’unité puisqu’il a plus d’ancienneté dans le grade que Pouyade139. Feldzer fait échouer la manœuvre en prévenant le commandant des FAFL, Pierre Goumin. Mais, en dépit de ces péripéties, à Alger, au cours de l’été 1943, l’enjeu soviétique paraît bien lointain et marginal à l’échelle de l’affrontement entre Giraud et de Gaulle, alors qu’à l’inverse le communisme français apparaît déjà comme un enjeu incontournable et brûlant pour développer l’action armée en France et préparer sa libération.
Le facteur communiste pour agir en France
109Dans les relations avec le PCF et les organisations qui en émanent, on retrouve entre gaullisme et giraudisme la même dissymétrie dans la capacité d’analyse, de conceptualisation et d’initiatives que dans l’aptitude à apprécier l’enjeu soviétique et à agir en conséquence. Alors que Giraud ne porte que peu d’intérêt au PCF, ne prenant à son égard que des initiatives au coup par coup surtout motivées par des considérations militaires, pour la France libre, le communisme français constitue très tôt un problème compliqué qui relève de plusieurs champs interdépendants : d’abord, il s’inscrit dans le cadre général du développement des liens avec les multiples organismes de résistance en métropole ; ensuite, la dynamique communiste, organisée autour d’une stratégie politique propre et longtemps difficile à cerner, est incontournable et nécessite un positionnement précis ; les liens entre le PCF et l’URSS obligent à articuler le rapprochement avec Moscou avec la politique adoptée vis-à-vis du PCF, d’autant plus que, facteur négligé par l’historiographie, la MMF à Moscou et la délégation à Kuibyshev ont des contacts étroits avec les dirigeants communistes français fixés en Russie ; de plus, l’attitude adoptée face au PCF et les contacts noués avec lui influencent la perception du gaullisme par les Anglo-Saxons et par les différents courants de la résistance en métropole ; enfin, la prise de contrôle de l’Afrique du Nord par les alliés permet au PCF à partir du début de l’année 1943 de redevenir un acteur à part entière du jeu politique qui s’instaure à Alger et qui débouche en juin sur la création du CFLN. En conséquence, le communisme français va jouer son rôle dans l’affrontement de Gaulle-Giraud. À l’arrière-plan de cette problématique complexe, l’enjeu militaire demeure en permanence la question essentielle, à la fois parce que la lutte armée en métropole et la guerre en Afrique du Nord contre les Allemands dictent leurs exigences, mais également parce qu’elles imposent de faire des choix politiques a priori improbables, voire contre nature.
110À partir de l’automne 1941, la FL précise ses projets concernant la métropole. Elle s’efforce en particulier de fixer une doctrine pour « encadrer et diriger » la lutte de la résistance, ce qui nécessite de forger des structures politiques et militaires soumises à l’autorité du général de Gaulle et d’adopter un programme démocratique répondant aux aspirations de la grande majorité des résistants. Cette volonté d’unification des forces résistantes derrière la FL est accrue par la crainte que leur dispersion et leurs divisions favorisent la mainmise des Britanniques, plus tard des Américains, sur les différents réseaux140. Pour la FL, la résistance communiste constitue donc un problème parmi d’autres, surtout dans la période très difficile qui suit le débarquement allié en Afrique du Nord quand le gaullisme est menacé de disparition. Mais dans la constellation résistante, le PCF constitue un cas très particulier d’un intérêt majeur pour la FL, et cela pour trois raisons : d’abord son influence et sa capacité d’action, qui sont d’ailleurs très surestimées ; ensuite, il s’agit du seul mouvement organisé à la fois en zone libre et en zone occupée, puis en Afrique du Nord ; enfin, son indépendance vis-à-vis des Anglo-Saxons et ses liens avec Moscou à une époque où de Gaulle accorde une importance majeure à l’URSS. En conséquence, la perspective de faire reconnaître de Gaulle comme le chef politique et militaire de la résistance se pose sous la forme d’une alternative particulière concernant les communistes : est-il possible et souhaitable d’intégrer le PCF et ses organisations au sein de la FL, les transformant ainsi en aile gauche du gaullisme ? ; ou doit-on plutôt nouer une alliance avec le PCF, celui-ci restant un acteur à part entière, représentant certes une force patriotique, mais poursuivant ses buts propres et restant dépendante de Moscou ? L’exploitation des sources ne permet pas de donner une réponse précise à ces questions, mais de repérer quelques grandes tendances.
111Si pour la FL l’enjeu communiste relève à la fois du politique et du militaire, ce dernier prédomine dans un premier temps, puis le facteur politique s’affirme et domine courant 1943. Cette évolution est le produit des circonstances qui entraînent une politisation rapide et inéluctable de la FL141. En particulier, l’arrivée à Londres au premier semestre 1942 de Pierre Brossolette et d’André Philip accélère la maturation démocratique de la France libre, tout en lui apportant une perception plus politique et critique du communisme142. L’affirmation de l’anticommunisme, déjà relevé à l’égard de l’URSS dans la même période, se vérifie également à propos du PCF, mais tend également à devenir plus rationnel. Cette évolution n’empêche pas de Gaulle de maintenir le cap d’un rapprochement avec les communistes qui s’effectue d’ailleurs avec moins de succès qu’espéré, compte tenu de l’attitude réservée du PCF et du Komintern. Si à partir du printemps 1943, les communistes font partie du paysage politique d’Afrique du Nord143, c’est en métropole que se situe le centre de gravité de leur influence et de leur capacité d’action et c’est sur ce terrain-là que depuis 1942 la FL cherche à nouer des relations avec le PCF.
Mystérieuse résistance communiste : un lent rapprochement
112Jusqu’au printemps 1942, la FL et le PCF n’ont aucun contact et tendent plutôt à s’ignorer. Pourtant, le gaullisme retient tôt l’attention des dirigeants communistes, avec toutefois un décalage d’appréciation entre dirigeants français et direction du Komintern. Le 1er juillet 1940, L’Humanité clandestine cite pour la première fois de Gaulle en le qualifiant d’« agent de la finance anglaise », mais par la suite son nom apparaît rarement dans le journal dont la cible quasi-exclusive demeure le « vieux Pétain » et son « gouvernement de pourris, de traîtres ». Il faut attendre Montoire pour que le journal communiste fasse une première allusion à la FL sous une forme sibylline : « Nous ne voulons pas que des soldats français se fassent tuer, ni pour de Gaulle, ni pour Doriot et Déat ». En novembre, les attaques de la propagande de Vichy qui qualifient les communistes d’agents gaullistes sont rejetées assez mollement. Cette modération découle de la ligne fixée par Moscou qui contredit la position exprimée le 1er juillet par L’Humanité. En effet, le 19 juillet 1940, Moscou donne des consignes détaillées au PCF, et ne réserve qu’une phrase assez laconique, mais dépourvue d’hostilité sur le cas de Gaulle : « Préférable garder silence sur de Gaulle et ne pas mettre accent contre Angleterre afin de ne pas faciliter politique Pétain et ses protecteurs144. » Puis, un document du Komintern daté du 26 septembre 1940 porte un jugement plutôt positif : « Ce mouvement semble sérieux. Il a groupé des généraux de valeur. Son influence a grandi en France. Il s’est étendu aux colonies […] Le parti ne peut pas l’ignorer et, sous une forme à déterminer, doit trouver le contact avec ses masses d’hommes. » À la fin de l’année, la direction de l’Internationale envoie cette directive au PCF : « Vis-à-vis des gaullistes, le parti pratique sa politique d’union de toutes les forces hostiles à l’envahisseur tout en critiquant publiquement et dans une forme convenable le caractère antidémocratique et antipopulaire de la direction145. » Indépendamment de ces directives, il est indéniable que la FL suscite des sympathies au sein de la mouvance communiste.
113L’invasion de l’URSS accroît l’intérêt des dirigeants communistes pour la FL, à tel point que, dès le 1er juillet 1941, Dimitrov propose à Molotov d’envoyer à Londres Maurice Thorez, André Marty et Raymond Guyot afin d’entrer en contact avec de Gaulle pour créer « un grand corps d’armée dans les colonies et susciter en France un large mouvement contre le gouvernement Pétain146 ». Mais la proposition transmise à l’ambassadeur britannique, Richard Cripps, essuie le refus du gouvernement de Londres. Quant à de Gaulle, informé de la démarche de Moscou, il fait savoir qu’il « ne veut avoir aucun rapport avec les personnes mentionnées147 ». Le Komintern a-t-il envisagé à ce moment-là le ralliement des communistes français à la FL ou seulement la négociation d’un accord ?
114Quoi qu’il en soit, il apparaît que, d’une part, Moscou change d’attitude dans les mois qui suivent, et que, d’autre part, la FL n’est alors pas mûre pour prendre contact avec le mouvement communiste. Car s’il n’allait pas de soi d’avoir pour interlocuteurs directs trois personnalités aussi encombrantes, toutes trois condamnés à de lourdes peines pour atteinte à la Défense nationale, le refus de leur transfert d’URSS à Londres n’empêchait pas la France libre de faire une contre-proposition ou de nouer un premier contact avec le mouvement communiste. Cette attitude de rejet, qui peut s’expliquer par un réflexe anticommuniste de la FL ou par le refus de se compromettre, va évoluer à la suite des attentats en zone occupée au cours de l’été et de l’automne, puis grâce à l’amélioration de la collecte de renseignements sur les réalités de la résistance en métropole. À l’inverse, la position du Komintern devient plus réservée.
115Le 3 septembre, Radio-Moscou dans son émission en français se conforme à l’orientation amorcée en juillet et durcie au cours de l’été en lançant de nouveaux mots d’ordre : « Combattez les envahisseurs allemands […] Le général de Gaulle vous indique la voie148. » Le jour même, Marty exprime son désaccord avec ce tournant vers la lutte armée, l’insurrection et l’alignement sur de Gaulle. Il estime que ces slogans, « extrêmement dangereux sous tous les rapports », sont contradictoires avec la ligne suivie en France par le PCF, en particulier parce qu’elle donne la priorité au sabotage économique. Thorez approuve cette position et Dimitrov se rallie à leur point de vue. Cette décision n’empêche pas la vague d’assassinats de militaires allemands qui, à cause de la répression qu’elle entraîne, va modifier la situation en France et les perspectives de la FL en métropole.
116L’attentat du 21 août 1941 à la station de métro Barbès inaugure la longue série d’attaques menées par les communistes contre des militaires allemands. Dans les premiers mois, le PCF ne revendique pas ces actions et les attribue à des provocations de la gestapo149. De leur côté, les autorités françaises et allemandes pensent dans un premier temps qu’il s’agit d’assassinats commis par des tueurs à gage payés vraisemblablement par les Anglais ou les gaullistes. Les représailles sont terribles : le 22 octobre, les Allemands fusillent des otages, en majorité communistes : 16 à Nantes, 27 à Châteaubriant et 5 au mont Valérien. Ces premières exécutions en masse provoquent une immense émotion en France, où l’hostilité contre l’occupant gagne en intensité, ainsi qu’en Angleterre.
117Face à cette situation nouvelle, le général de Gaulle réagit officiellement dès le 23 octobre en prononçant à la BBC un discours qui, sur le fond, condamne ces attentats commis par « quelques courageux garçons ». Il déclare :
« Il est absolument normal et il est absolument justifié que les Allemands soient tués par les Français. Si les Allemands ne voulaient pas recevoir la mort de nos mains, ils n’avaient qu’à rester chez eux et ne pas nous faire la guerre. Tôt ou tard, d’ailleurs, ils sont tous destinés à être abattus, soit par nous, soit par nos alliés […] Mais il y a une tactique à la guerre. La guerre des Français doit être conduite par ceux qui en ont la charge, c’est-à-dire par moi-même et par le comité national […] Or, actuellement, la consigne que je donne pour le territoire occupé, c’est de ne pas y tuer d’Allemands. »
118En réalité, cette consigne est celle du haut commandement britannique, hostile à des actions armées qui obligeraient les Allemands à envoyer des renforts en France. Cette déclaration de de Gaulle a suscité deux interprétations. Jean-Louis Crémieux-Brilhac estime que de Gaulle approuve les attentats, ainsi qu’il l’a confié à Maurice Schuman qui rapporte ses propos à la suite des représailles :
« C’est terrible mais ce fossé de sang est nécessaire, c’est dans ces fossés de sang que se noie la collaboration. Les 50 morts ont rendu un service immense à la France. Le monde entier sait que c’est le mécanisme de l’occupation qui joue en France, et non celui de la collaboration150 ! »
119À l’inverse, Jean-François Muracciole estime que de Gaulle condamne les attentats de 1941 pour raison politique – volonté de se démarquer d’une pratique qui choque la résistance non-communiste et les opinions publiques française et anglo-saxonne – mais également parce qu’en militaire, il rejette les méthodes de la « sale guerre151 ». Il est en tout cas incontestable que les exécutions de l’automne 1941 ont un très fort impact émotionnel parce que, pour la première fois depuis le début de l’occupation, les Allemands font massivement couler le sang français, mais aussi parce que l’attitude héroïque des fusillés suscite un puissant sentiment de communion patriotique. Exemples significatifs, en novembre 1941, la colonne Leclerc rend hommage dans le désert du Sahara aux « 100 otages morts pour la France » et, lorsque le 22 mai suivant la BBC diffuse le récit bouleversant de la fusillade de Châteaubriant, intitulé Les Martyrs et écrit anonymement par Louis Aragon, une vingtaine de FL réunis chez Claude Serreulles écoutent debout et tout le monde pleure. Ainsi, les exécutions d’otages ont créé entre FL et résistance intérieure, communistes compris, un lien émotionnel fort qui constitue un puissant facteur de rapprochement entre les Français de Londres et les résistants de métropole. C’est donc à l’automne 1941 que « l’union de la France libre et de la France résistante s’ébauche dans les esprits et dans les cœurs152 », un tournant qui favorise les premières prises de contact entre la FL et les communistes.
120Ces premiers contacts, difficiles et longs à établir, sont réalisés par l’agent du SR Gilbert Renault, alias colonel Rémy, qui dirige le réseau Notre-Dame et qui, très tôt, veut nouer des liens avec le PCF. A posteriori, il justifiera ainsi son intention :
« Le parti communiste a longtemps représenté sous l’occupation ennemie la seule organisation politique cohérente, disposant d’un excellent appareil mis en place de longue date, d’une stricte discipline chez tous ses membres et, par-dessus tout, d’une foi profonde chez ceux-ci. Tous ces avantages lui ont permis de porter des coups redoutables à l’envahisseur153. »
121Ce témoignage rapporte correctement l’intérêt militaire que Rémy accorde aux communistes. En mars, au cours d’une première rencontre entre François Faure, adjoint de Rémy, et Jean Jérôme, représentant de la direction des FTP, celui-ci affirme que la résistance communiste organise 500 000 membres, dont 100 000 constituent des troupes de choc prêtes à agir. En conséquence, il demande que la FL livre des armes et donne des directives. Le bilan de ce premier contact, qui ne semble pas avoir suscité de scepticisme quant à la réalité des chiffres extravagants donnés par le représentant communiste, ne peut qu’encourager Rémy à poursuivre dans la voie du rapprochement. Son point de vue rencontre un écho d’autant plus favorable chez les dirigeants de la FL qu’au début de 1942, tous les agents de retour à Londres insistent sur l’importance du monde ouvrier dans la résistance, en particulier parce que la CGT a développé ses capacités de mobilisation et d’action et que les communistes se renforcent sensiblement alors que la résistance non-communiste peine à s’organiser. Rien n’indique que la direction des services spéciaux ait été réticente à s’engager dans cette voie.
122Les sources ne donnent aucune indication sur sa perception du communisme français à cette époque. Son chef, le colonel Passy, a brièvement rapporté dans ses Mémoires son sentiment, faussé selon lui par sa grande naïveté en politique :
« Avant la guerre, lieutenant au 4e régiment du génie à Grenoble, puis professeur de fortification à l’École spéciale militaire de Saint Cyr, je ne m’étais jamais occupé de politique et n’avais, à vrai dire, pas la moindre notion sur ce sujet. Placé depuis juillet 1940, à la tête des services secrets de la France libre, j’avais, tant par les innombrables rapports que nous recevions que par mes conversations avec les uns et les autres, fait peu à peu connaissance avec les données générales de la politique français […] J’avais ressenti une indubitable attraction et une immense admiration pour les troupes russes qui avaient su résister héroïquement aux terribles coups portés par la Wehrmacht et la Luftwaffe. Cette admiration, je la reportais parallèlement sur les troupes communistes, qui, en France, commençaient de lutter contre l’ennemi, d’une façon peut être désordonnée, mais incontestablement courageuse et active154. »
123Ce témoignage est trop vague pour juger des intentions précises des services spéciaux vis-à-vis du PCF, mais il est probable que les contacts noués par Rémy sont encouragés. Dans les mois suivants, celui-ci jouera un rôle important, tissant une relation suivie avec la direction des FTP qui permettra des versements de fonds en livres sterling et une première livraison d’armes en août 1942. Mais l’évolution des relations avec les communistes français entre début 1942 et le printemps 1943 relève aussi du domaine politique.
124À la fin de 1941 et au début de 1942, la conjonction de plusieurs facteurs joue dans le sens d’une prise en compte plus complexe de la question communiste. Se combinent à la fois l’impact des événements, le développement des liaisons avec la métropole, la dégradation des relations avec les Anglo-Saxons, auxquels s’ajoute la maturation politique de la France libre qui s’accélère à partir du printemps 1942. Si les raisons qui poussent à cette époque la FL à se rapprocher de l’URSS expliquent pour une part l’intérêt porté au PCF, en particulier l’éventualité d’un effondrement de la Wehrmacht sur le front de l’Est combiné à la surestimation de la poussée communiste en France, c’est cependant la politisation de la FL qui pèse alors le plus fortement.
125À partir du début de 1942, ce processus est étroitement lié à l’effort d’unification de la résistance sous la direction du général de Gaulle dont le parachutage de Jean Moulin en métropole le 31 décembre 1941 marque le début de réalisation. Ce dernier va jouer un rôle important pour définir l’orientation de la FL face aux communistes. Lors de son arrivée à Londres en novembre 1941, il avait insisté sur la priorité que devait être donnée aux capacités militaires de la résistance, cette « armée de parachutistes déjà en place », mais également sur la nécessité de structurer et donc d’unifier, au moins partiellement, la résistance non-communiste afin de lui conférer davantage d’efficacité et de crédibilité. L’un de ses arguments était d’éviter que les Français prêts à résister ne rejoignent en masse les organisations liées au PCF155. De Gaulle a probablement tenu compte de cet avertissement, mais il semble au même moment accorder surtout de l’importance à l’établissement d’un contact solide avec la résistance communiste. Et le choix de Jean Moulin pour être son représentant en zone libre s’explique partiellement par cette préoccupation. En 1962, il justifiera en ce sens le choix de Moulin :
« Comme il avait la réputation d’être un préfet de gauche, et même proche des communistes, […] il ne pouvait pas être récusé par eux. Sa mission était de les réintégrer dans la communauté nationale. Il était le meilleur pour ça […] C’est Moulin, plus que tout autre, qui a permis de faire entrer les communistes dans l’organisation de la France combattante et de les contrôler156. »
126L’importance accordée au PCF se manifeste également lors de l’entretien entre Maïski et Dejean le 12 janvier, lorsque ce dernier, évoquant l’intérêt que porte la FL aux relations avec les Soviétiques, semble y englober le PCF puisqu’il évoque la nécessité de « coordonner notre propagande en France, notamment auprès des classes ouvrières, aussi bien en ce qui concerne la radio que nos agents157. » Si cette proposition permet de montrer à son interlocuteur la volonté de large ouverture vis-à-vis de Moscou, elle traduit également la prise de conscience du poids du facteur communiste dans la situation française. Ce glissement est d’ailleurs étroitement lié à la politisation vers la gauche de la FL.
127Lors de l’entretien du 12 janvier, Dejean affirme à Maïski que les élections qui suivront en France la fin de la guerre donneront une large majorité à la gauche qui mènera d’importantes réformes, comprenant de nombreuses nationalisations. Mais l’étape décisive survient le 24 avril 1942 lorsqu’une « Déclaration aux mouvements de résistance » est remise à Christian Pineau. Ce texte, que Jean-Louis Crémieux-Brilhac a qualifié d’« initiateur du gaullisme politique », fixe l’objectif d’une révolution politique, économique et sociale lorsque la Libération aura été accomplie158. C’est dans cette même période que de Gaulle qualifiera le conflit en cours de « guerre-révolution ». L’évolution a donc été rapide puisqu’en septembre 1941, de Gaulle confiait encore à Georges Boris que « s’il faisait des déclarations démocratiques, il recevrait des protestations de l’armée et des colonies159 ». Cette nouvelle coloration idéologique et ce programme politique donnent à la FL un profil démocratique et progressiste qui ne peut que favoriser le renforcement des liens avec la résistance, communistes compris, tout en suscitant la sympathie des opinions publiques anglo-saxonnes et en envoyant un signal encourageant aux Soviétiques160. Cette évolution vers la gauche participe d’un mouvement d’ensemble de la FL lié à l’influence croissante de nouveaux dirigeants issus de la SFIO ou de la gauche modérée, dont les chefs de file sont Pierre Brossolette et André Philip. Le premier, arrivé à Londres en avril, devient rapidement l’adjoint de Passy ; le second, qui atteint Londres en juillet, est nommé dans les jours qui suivent commissaire à l’Intérieur, une position qui en fait le principal responsable politique du CFLN après de Gaulle. Le rôle croissant des deux socialistes se fait sentir dans l’évolution des structures et dans le positionnement vis-à-vis des communistes.
128Au cours de l’année 1941, la séparation stricte entre le politique et le militaire est devenue de plus en plus problématique dans les relations avec la métropole, car les services spéciaux doivent assumer un nombre croissant de missions non-militaires. Cette évolution nécessite une réforme du service et, en janvier 1942, Passy propose une réorganisation du SR qui lui ferait perdre son statut d’organe strictement militaire. Mais de Gaulle refuse la remise en cause du principe de séparation politique/militaire, ce qui entraîne la création du Bureau de centralisation et d’action militaire (BCRAM) qui se substitue au SR. La décision de de Gaulle n’empêche pas Passy d’étendre ses activités politiques en créant deux sections « clandestines », appelées « études et coordination » et « documentation et diffusion », en marge du commissariat à l’Intérieur et à l’Information161. Cette extension notable du champ de compétence du BCRAM, déjà amorcée dès 1941, résulte pour une bonne part de l’influence de Brossolette qui est convaincu qu’en métropole, actions politique et militaire sont indissociables et qui, en outre, estime que le BCRAM étant le seul organisme de la FL à fonctionner correctement, il doit assumer l’essentiel des tâches à effectuer en direction de la France162. Finalement, cette conception s’impose avec la transformation en juillet du BCRAM en BCRA, organisme de statut civil placé sous la tutelle du Commissariat à l’Intérieur et chargé d’assurer toutes les actions de la FL en métropole. Inévitablement, le BCRA va jouer un rôle essentiel dans les relations avec les communistes et dans l’élaboration de la politique à leur égard.
129Or, cet aspect de l’histoire du BCRA est difficile à suivre en raison de l’insuffisance des sources163. Un document de février 1942 émanant du renseignement militaire donne des repères intéressants sur son évolution164. Consacré à l’URSS en guerre, le texte est d’une tonalité générale très louangeuse, soulignant les capacités remarquables de mobilisation du pays et surtout la grande intelligence politique de Staline qui a su préparer le pays à l’épreuve de la guerre. Cette analyse, banale à cette époque dans le camp allié, s’inscrit pourtant par son argumentation dans la continuité de celle des militaires français qui, des années 1930 jusqu’à la débâcle, défendaient la prise en compte du facteur soviétique dans la politique internationale et les choix stratégiques de la France. Mais concernant l’Europe occupée, ce document défend la thèse d’une orientation divergente entre le gouvernement soviétique, qui « fait la guerre » et le Komintern qui maintient le cap de la « révolution mondiale », comptant bien exploiter les conditions favorables apportées par l’extension intercontinentale du conflit pour instaurer à travers le monde « des républiques soviétiques destinées à devenir des satellites de l’URSS ». Selon le BCRAM, cet objectif détermine la politique communiste en Europe :
« Le Komintern est donc fébrilement actif, envoyant […] des nués d’agents secrets dans tous les pays occupés par les Allemands. Ces agents ont pour mission : d’organiser la résistance aux autorités d’occupation ; de donner à cette résistance une tendance nettement communiste ; de susciter des révoltes, des attentats, des sabotages sur une grande échelle, éventuellement des mouvements révolutionnaires ; de rechercher à coordonner et enrégimenter tous les éléments communistes locaux. »
130En outre, pour la direction de l’Internationale, le France constitue depuis sa défaite « l’un des terrains les plus favorables » et ses agents y opèrent depuis juin 1940165, leur nombre semblant augmenter depuis juin 1941. Ainsi, au sein du BCRAM, la soviétophilie gaulliste se combine à la définition d’une menace communiste à l’échelle du continent et en tout premier lieu en France, même si le risque d’une révolution prolétarienne en Allemagne est aussi pris en compte166. On constate donc une continuité avec la thématique du complot communiste, à l’échelle de l’Europe et centré sur la France, qui dans les années 1930 influençait une part notable de l’institution militaire et qui avait ensuite profondément marqué l’armée de Vichy167.
131Il est en tout cas certain que l’arrivée de têtes politiques dans la direction des services secrets a donné à leur perception du communisme une dimension beaucoup plus critique et surtout moins dominée par les seules considérations militaires combinées aux stéréotypes anticommunistes hérités de l’entre-deux-guerres. Cette évolution se vérifie également dans les services civils de la FL, surtout lorsqu’André Philip prend la direction du commissariat à l’Intérieur en juillet 1942. Ces inflexions n’empêchent pas la poursuite de la politique de rapprochement avec les communistes qui connaît une accélération au printemps 1942, avec comme temps fort la rencontre Molotov-de Gaulle du 24 mai 1942, qui, selon Daniel Cordier, marque le début de l’alliance gaullo-communiste168. Ce choix de de Gaulle, qui considère le PCF comme le seul représentant des forces politiques engagées dans la résistance, suscite très tôt les critiques des socialistes. En novembre, de Gaulle reçoit une lettre sans équivoque de Léon Blum :
« Je crois qu’on fait erreur quand on affirme que seul le communisme est organisé, ou en décorant d’office de la qualité de communistes tous les ouvriers qui manifestent leur volonté de résistance […] C’est une grande faute de considérer […] le communisme comme la seule et grande force populaire169. »
132Cette volonté d’ouverture des gaullistes en direction des communistes relève de deux registres différents : le premier, sur le terrain principalement militaire, concerne les relations avec les FTP ; quant au second, en principe politique, il s’agit des contacts avec le PCF. En réalité, dans les relations avec les communistes, la distinction entre le politique et le militaire n’est jamais très nette.
133En direction des FTP, les liens sont rompus au cours du printemps à cause des arrestations qui en mai démantèlent le réseau Notre-Dame et qui obligent Rémy à retourner à Londres. Toutefois, au cours des semaines précédentes, il a négocié un projet d’accord avec la direction des FTP et, à son arrivée en Angleterre, le 18 juin, il annonce qu’à la suite de sa rencontre avec Georges Beaufils, responsable des FTP et cadre de confiance de la direction communiste, le comité central du PCF a reconnu l’autorité du général de Gaulle et qu’il souhaite l’envoi d’un dirigeant FTP à Londres. Il est clair que dans cette période, les communistes jouent la carte du rapprochement avec la FL. Ainsi, le 15 août 1942 à Moscou, Marty rencontre Garreau et lui déclare qu’il se met à son service pour développer la propagande de la FL en URSS ; deux autres rencontres suivront dans les deux semaines qui suivent. S’il s’agit d’un pas considérable effectué par les communistes en direction de la FL, il ne faut pas l’exagérer car les dimensions politiques et militaires du projet d’accord négocié par Rémy s’inscrivent dans certaines limites qui excluent un ralliement pur et simple au général de Gaulle. Sur le plan militaire, qui constitue la majeure partie de l’accord, les communistes conservent leur entière liberté pour mener des attentats contre les Allemands, pour le reste ils doivent mener en coordination avec la FL le sabotage du matériel et des dispositifs ennemis. Quant à « la préparation méthodique à l’action générale », ils se mettent « aux ordres du général de Gaulle » et proposent d’envoyer à Londres un de leurs chefs militaires pour participer aux travaux de l’état-major. Les FTP s’engagent également à agir contre les cibles qui leur seraient fixées et à appuyer des raids ou coups de main menés par les FFL si la demande leur est faite. Il est convenu que pour développer ses actions, l’organisation communiste recevra des armes, ainsi que des moyens radios pour communiquer avec Londres. La partie proprement politique du projet d’accord se résume à un court paragraphe :
« Le comité exécutif du parti communiste reconnaît que, seul, le général de Gaulle sera susceptible d’assurer en France, au lendemain de la victoire, un régime d’ordre et d’autorité avec lequel il se déclare prêt à coopérer jusqu’à ce que le pays ait retrouvé le calme suffisant pour décider de son régime politique. »
134Au total, sur le plan militaire, les communistes acceptent de relever de l’EM des FFL pour l’action générale, c’est-à-dire, d’une part, les opérations déclenchées en cas de débarquement ou d’évacuation des troupes allemandes, et, d’autre part, pour certaines actions militaires sensibles, en particulier celles qui nécessitent un travail de renseignement préalable. Les FTP conservent donc une large autonomie pour développer la lutte armée. Enfin, au plan politique, si le symbole « de Gaulle » comme incarnation de l’unité nationale face à l’occupant et à Vichy est implicitement reconnu, la reconnaissance de son autorité politique est reportée à la fin de la guerre. En filigrane, cette attitude montre que le PCF veut garder son indépendance et cherche un accord de puissance à puissance avec de Gaulle.
135À ce stade, le BCRAM a pour priorité la venue à Londres d’un représentant des FTP pour préciser les besoins de l’organisation communiste et définir ses relations avec la FL. Mais les contacts établis par Rémy comprennent une dimension politique qui excède le cadre de sa mission. Néanmoins, en dépit de ce glissement, son projet d’accord marque un net progrès dans les relations entre la FL et la métropole. En effet, la priorité donnée alors à la dimension militaire dans les négociations avec les communistes est liée à la politique d’ensemble de la FL qui est alors centrée sur l’unification des organisations paramilitaires de la résistance, la diversité politique des mouvements n’étant pas remise en cause. Alors que le SOE est sceptique sur les capacités d’action des communistes et estime que, si les alliés leur livrent de grandes quantités d’armes, ils en réserveront 30 % pour leurs objectifs révolutionnaires ultérieurs, le BCRAM se montre plus optimiste. Ainsi, Brossolette considère que le PCF a conservé un remarquable appareil politique et dispose de 75 000 à 80 000 militants sûrs, un potentiel considérable comparé à celui des autres organisations résistantes170. Mais il établit une gradation dans la stratégie qui doit être adoptée face aux communistes : il pense possible de rallier les résistants communistes au gaullisme, mais estime nécessaire de rester vigilant sur le long terme, car après la Libération, la direction communiste retournera à l’orientation révolutionnaire.
136Au moment où la consolidation des relations avec les FTP voulue par le BCRAM marque le pas, Jean Moulin, qui s’efforce d’entrer en relation avec les différents courants politiques de la résistance, parvient, après beaucoup de difficultés, à rencontrer en juin, Georges Maranne, représentant du PCF en zone libre. En juillet, Moulin a un contact en zone occupée avec un membre de la direction du PCF et un agent des services secrets soviétiques171, mais le contenu et la portée de ces rencontres restent floue. Dans les mois qui suivent, les relations avec les communistes continuent de se renforcer sur le plan militaire, mais dans le domaine politique, la méfiance et les divergences pèsent sur le rapprochement. En raison de cette situation qui se complique et qui tend à s’enliser, Moscou souhaite renforcer la direction communiste en métropole puisque le 15 août 1942, Marty rencontre Garreau pour lui dire qu’il voudrait rentrer en France pour participer à la résistance. Ainsi, fin septembre, Jacques Bingen, depuis peu affecté au BCRA, envoie au lieutenant-colonel Billotte, chef de l’EMP, une note critique sur l’orientation du PCF qui lui paraît jouer double jeu, puisqu’il cite à peine de Gaulle dans sa propagande, tout en feignant de se lier à la FL pour se procurer des armes. Bingen estime donc que la résistance communiste est « un bloc à part » qui poursuit ses propres buts172. Puis, le débarquement en Afrique du Nord joue un rôle d’accélérateur dans le rapprochement entre le PCF et la FL, car ses enjeux sont sensiblement majorés en raison de la nouvelle donne politique et secondairement militaire.
L’accélération du rapprochement : l’effet Stalingrad et les retombées du débarquement au Maghreb
137Dès novembre, la direction du Komintern adresse une double consigne au PCF : « Avec le maximum de forces, se rallier aux Américains dans la lutte contre les occupants allemand et italien pour la libération de la France » ; ensuite, ce tournant en direction des Anglo-Saxons, qui entérine la nouvelle situation géopolitique et stratégique crée par le débarquement, est complété par la directive de « développer la coopération avec de Gaulle et ses partisans. » Cette nouvelle orientation initie une tension durable entre la priorité donnée par Moscou à la stratégie concertée avec les Anglo-Saxons et la volonté de mener une politique nationale qui passe par l’alliance avec de Gaulle.
138De son côté, de Gaulle, dont la situation désespérée nécessite un renforcement des liens de la France libre avec la résistance, veut avoir des liaisons stables avec le PCF et souhaite à cette fin qu’un de ses représentants gagne rapidement Londres173. Le 20 novembre, revenu en France, Rémy rencontre Beaufils, puis huit jours après Fernand Grenier, délégué par le comité central du PCF. Un accord préalable est signé qui comprend l’envoi d’un représentant de la direction communiste à Londres et l’adoption d’un document en 12 points. Quelques jours plus tard, Beaufils donne à Rémy deux lettres adressées à de Gaulle, l’une signée par Thorez, l’autre par Charles Tillon, commandant en chef des FTP, qui demande un soutien accru de la France libre et des Britanniques. Il demande en particulier à de Gaulle de lancer un appel aux officiers et sous-officiers de l’ex-armée de Vichy, ainsi qu’à ceux du cadre de réserve, pour qu’ils « secondent » les FTP dans leur combat contre l’occupant.
139Le 8 décembre, la direction du PCF reçoit de Moscou l’approbation de l’accord du 28 novembre, puis le 11 décembre un nouveau télégramme donne des directives détaillées qui marquent une inflexion sur le terrain politique : la priorité est de renforcer le Front national avec l’objectif de former un large bloc des forces patriotiques, ouvert même aux anciens vichystes et excluant seulement les traîtres ; les FTP constituent le noyau de la future armée nationale. Le télégramme rappelle que le PCF doit collaborer « avec de Gaulle et ses partisans », mais qu’il doit aussi soutenir « tous autres éléments luttant effectivement contre Hitler174 ». Dans le contexte de début décembre, ces formulations indiquent que la FL doit être l’interlocuteur privilégié, mais elles apparaissent aussi comme les prémices d’une ouverture en direction de Darlan, des militaires d’Alger et de leurs relais en métropole. Ainsi, l’attentisme pratiqué par l’URSS sur la scène internationale dans le conflit entre de Gaulle et les Anglo-Saxons, qui soutiennent les autorités d’Alger, se trouve transposé dans la politique du PCF : la préférence va à la FL, mais sans aller jusqu’à un authentique soutien, compte tenu du rôle désormais tenu par les autorités d’Alger. Ainsi que l’écrit Mikhaïl Narinski, « dans le cadre de la stratégie adoptée, la priorité allait désormais à l’accumulation des forces, aux manœuvres politiques et aux blocs175. »
140Cette attitude ambivalente du mouvement communiste traduit ses hésitations dans un contexte occidental de plus en plus complexe. Si les communistes veulent prendre des initiatives en direction des autres forces résistantes et de la France libre en réaction à l’influence grandissante des Anglo-Saxons, c’est le facteur militaire qui semble à ce moment-là jouer le rôle décisif176 : la perspective d’ouverture du second front est désormais tracée pour les mois à venir177 et incite les communistes à renforcer leurs capacités d’action armée grâce à l’aide venue d’Angleterre et à jouer le jeu de l’unité sur le terrain militaire. La convergence de vue entre les gaullistes et les Soviétiques sur l’ouverture du second front en France ne peut d’ailleurs que favoriser cette évolution. Il est en outre fort probable que la victoire de Stalingrad encourage cette réorientation du PCF dont le rapprochement avec la France libre ne constitue qu’un des aspects. L’attitude des communistes dans cette période est donc marquée par la volonté d’avancer, mais en louvoyant. Ainsi, l’ouverture en direction de de Gaulle, pourtant approuvée par Moscou, suscite le 31 décembre une sévère mise en garde adressée au PCF par Dimitrov et Marty :
« Presque totalité entourage militaire et civil de Gaulle est extrêmement suspect divers côtés. En conséquence conseillons votre délégué auprès de Gaulle soit extrêmement prudent à tous points de vue […] Choisissez délégué intelligent et ferme178. »
141Ce télégramme marque un mouvement de retrait qui relève probablement autant de la prudence que de la défiance. Cette attitude explique que la décision d’envoyer Fernand Grenier à Londres pour représenter le PCF s’accompagne, dans les semaines qui suivent l’assassinat de Darlan, de la désignation d’Henri Pourtalet, ex-député des Alpes-Maritimes, comme délégué auprès du général Giraud.
142Du côté de la FL, de fortes réserves sont également perceptibles, mais pas pour les mêmes motifs. Le principal problème est posé par Rémy qui a continué d’orchestrer les négociations avec le PCF. Or, au cours de l’automne, la confiance du BCRA en Rémy se dégrade sensiblement, car il se montre trop accommodant envers Giraud, critique le rôle croissant des syndicalistes et l’importance accordée aux partis politique, excepté le PCF qu’il considère comme le seul acteur politique capable de jouer un rôle sérieux dans la libération du pays. Enfin, échappant au contrôle du BCRA, Rémy, en dépit des ordres reçus, décide de rentrer à Londres, accompagné de Grenier179. Il y arrive le 11 janvier, provoquant la stupeur des dirigeants de la France libre.
143L’arrivée du dirigeant communiste, qui apporte l’adhésion du PCF à la France combattante constitue « un fait politique majeur180 » qui satisfait de Gaulle, même si l’événement doit nourrir les accusations de collusion avec le communisme. Aussi, le chef de la France libre reçoit très rapidement le dirigeant communiste, lui réservant un accueil chaleureux. Selon le témoignage de Grenier, de Gaulle est surtout préoccupé par la position du PCF vis-à-vis de Giraud et lorsque son interlocuteur aborde la question de l’aide de Londres aux combattants communistes, il lui répond : « Vous verrez ça avec Passy181. » Grenier rapporte également un épisode plus intimiste :
« Quelques jours plus tard, il me fit savoir que madame de Gaulle m’invitait à dîner. La discussion fut plus chaleureuse. Au moment du café, le général m’interrogea sur mon adhésion au PCF. Il est vrai, qu’au moins depuis 1940, c’était la première fois qu’il rencontrait un communiste. Nous étions tous deux originaires du Nord, mais pas vraiment du même monde. Quand il me raccompagna, sur le pas de la porte il me dit : “Je suis heureux de notre conversation. C’est la première fois que je discute avec un ouvrier”. Mais il se reprit aussitôt en ajoutant : “C’est la première fois que je discute politique avec un ouvrier” ».
144Cette réaction de de Gaulle concorde pour une part avec le témoignage de Passy sur sa première entrevue avec Grenier :
« Grenier me fait d’abord une excellente impression. Ma naïveté était telle que je fus très surpris de constater qu’il ne ressemblait en rien au sinistre personnage à “couteau entre les dents” […] C’était […] un de ces hommes solides, énergiques comme j’en avais rencontré beaucoup dans ma jeunesse lorsque, gamin, je jouais dans les ateliers et les cours des usines familiales […] Je ne peux me remémorer sans sourire ces premiers contacts entre Grenier et le BCRA. Perçut-il notre curiosité sympathique, ou bien eut-il simplement la désagréable impression de se sentir comme un animal étrange auquel les enfants viennent timidement offrir au zoo un morceau de sucre ou quelques gâteaux ? Peut-être ne vit-il en nous, a priori, que des ennemis ? Quoi qu’il en fût, nos premières conversations se révélèrent très cordiales182. »
145Jean-Louis Crémieux-Brilhac a exprimé en quelques mots le sentiment dominant chez les Français libres lors de l’arrivée de Grenier : « On ne croit pas à cette date à un danger communiste. Grenier apparaît comme l’incarnation de la classe ouvrière combattante183. »
146L’importance accordée d’emblée au dirigeant communiste se traduit par sa nomination à la fonction officielle de conseiller au commissariat à l’Intérieur, par l’octroi d’un bureau avec une secrétaire et l’accès à des documents venant de France. Dès le 15 janvier, il s’exprime à la BBC saluant de Gaulle comme celui « qui eut le mérite de ne pas désespérer quand tout croulait. » Ce statut privilégié accordé à la représentation du PCF à Londres contraste avec les difficultés rencontrées par Félix Gouin, représentant de la SFIO auprès de la FL, avec le BCRA qui le traite avec beaucoup de désinvolture. Cependant, les services spéciaux se réjouissent beaucoup moins que de Gaulle de l’arrivée de Grenier qui leur pose une série de problèmes.
147Le BCRA attend depuis plusieurs mois l’arrivée de trois FTP, deux techniciens, dont un opérateur radio, et un représentant de la direction. L’état-major FTP avait refusé de fournir les deux techniciens par manque d’effectifs et les négociations avec Rémy, qui ne faisait pas de distinction entre organisations politique et militaire communistes, avait finalement abouti à l’envoi d’un représentant de la direction du PCF. Plus grave, le BCRA découvre l’existence de l’accord préalable signé par Rémy qui, s’il n’apporte pas d’évolution notable depuis le premier accord négocié au printemps, contient toutefois une formule problématique qui qualifie les FTP d’« avant-garde des FFC en France », une grave concession au PCF qui cherche à s’affirmer comme le seul véritable interlocuteur de de Gaulle en métropole. En outre, le BCRA se rend compte au cours du mois de janvier que le Front national est contrôlé par le PCF, preuve supplémentaire du succès de la stratégie politico-militaire des communistes qui continuent d’accroître leur influence au-delà des milieux populaires184. On constate donc au début de 1943 un décalage dans la perception du PCF entre de Gaulle et le BCRA, le premier comptant sur le renforcement de l’alliance FC-PCF, le second cherchant à restreindre son champ d’application. En conséquence, de Gaulle maintient la pression sur le PCF en raison de l’importance qu’il accorde à son ralliement, tout en lui montrant qu’il ne se satisfait pas de l’ambiguïté des relations nouées jusque-là. Ainsi, le 10 février, il adresse une lettre au comité central du PCF qui mentionne sa « contribution importante à l’intérêt national », mais qui souligne aussi la nécessité de l’union :
« Vous savez comme moi qu’une coordination efficace des organisations de résistance est indispensable au but que nous poursuivons en commun […] Je suis certain que les représentants [en France] que j’ai désignés trouveront chez les responsables du PCF une volonté de coopération poussée jusqu’à l’esprit de sacrifice et la même loyale discipline qui existe déjà à l’intérieur de vos organisations […] Je sais que la FC peut compter sur le PCF185. »
148Côté communiste, on constate aussi un décalage face au gaullisme entre Moscou, Paris et Londres.
149Du côté de Moscou, le commissariat aux Affaires étrangères estime en février qu’il ne serait pas opportun de formaliser un accord FL-PCF avant que les positions de de Gaulle ne « deviennent tout à fait claires ». Cette expectative est approuvée par Dimitrov186. Et depuis Moscou, les dirigeants communistes français s’inquiètent de l’attitude de Grenier à Londres. En mars, Marty estime que « sans doute Grenier est sous l’influence complète des gaullistes, c’est-à-dire des attentistes et des sociaux-démocrates187 ». Finalement, malgré ces réserves, le processus de formation du CNR conduit le PCF, en accord toutefois avec Moscou, à se prononcer début avril pour un gouvernement provisoire « qui aurait pour chef le général de Gaulle », Giraud occupant la fonction de général en chef. Cette reconnaissance explicite de la prééminence de de Gaulle, même si elle n’équivaut pas à un complet ralliement, est un succès pour la FC et son chef. Le PCF adopte cette position nuancée, car sa direction redoute que la crise du CFLN provoque une « réaction sectaire » des gaullistes et des giraudistes et elle donne pour consigne aux représentants du parti de jouer un rôle « unificateur188 ». Ainsi, si le PCF ne souhaite pas l’élimination de Giraud, attitude qu’il conservera jusqu’en avril 1944, il a toutefois activement participé à son éviction politique, ouvrant ainsi la voie à l’hégémonie du gaullisme189.
150Mais, au printemps 1943, l’appui du PCF à de Gaulle ne se réduit pas à sa prise de position dans l’affrontement avec Giraud. En effet, les archives de la direction du PCF montrent que dans cette période décisive de l’histoire du gaullisme et de la Résistance, les communistes jouent de leur influence pour soutenir Jean Moulin dans l’unification des forces résistantes sous l’autorité de de Gaulle. Les comptes rendus de réunions du mois de mai, probablement rédigés par Pierre Villon, rapportent le soutien apporté à Moulin sur les différents points en discussion. On n’y trouve d’ailleurs aucune critique de sa personnalité, de son attitude et de sa mission, en dépit des heurts survenus en avril entre le délégué de de Gaulle et les chefs des FTP190. Comment expliquer cette attitude qui semble aller bien au-delà de l’orientation suivie par le PCF ? Si la direction communiste se montre plutôt optimiste sur la conclusion d’un accord durable de Gaulle-Giraud à Alger, d’une part elle constate les heurts entre les différents mouvements et prévoit qu’ils vont s’accentuer ; d’autre part, elle s’inquiète des oppositions à Moulin, qualifié « d’homme de Londres ». Si ce point n’est pas précisé dans les documents conservés, il paraît probable que c’est l’objectif d’unification de la Résistance et de consolidation de l’autorité de de Gaulle comme chef de la France en guerre qui motive l’attitude du PCF. Le commentaire lapidaire qui suit l’arrestation de Moulin va dans le sens de cette explication, car la direction du PCF estime qu’« on peut se demander si la chute de 2 [code de Moulin] n’est pas la conséquence de ces luttes intérieures dont nous savons qu’elles favorisent toujours l’ennemi191 ».
Les fondements de l’alliance avec le PCF : une nécessité du temps de guerre
151À ce stade du rapprochement avec le PCF, comment de Gaulle envisage-t-il la question communiste, y compris sur le long terme ? Au printemps 1943, les communistes ne sont pas perçus comme une menace, mais comme un double enjeu : d’une part, de Gaulle a besoin de l’alliance officielle avec le PCF pour s’affirmer face au Anglo-Saxons, et donc l’emporter sur Giraud, et pour resserrer ses liens avec l’URSS en concrétisant par ce rapprochement l’évolution politique suivie par la FL depuis l’automne 1942 ; d’autre part, il est convaincu que sur le plan militaire, la force la plus sérieuse en métropole est contrôlée par les communistes et qu’il est donc nécessaire de parvenir à les intégrer à l’unification des organisations paramilitaires de la résistance. Indirectement, la réussite de cette intégration ne pourrait d’ailleurs qu’accroître la crédibilité politique de la FL dans le camp allié, surtout à Moscou, l’attitude des Anglo-Saxons restant nettement hostile. De Gaulle sait que, si les relations avec l’URSS et le PCF relèvent de deux champs différents, il doit tenir compte de leur interdépendance. Les Soviétiques n’ont-ils pas précédemment insisté sur la nécessité pour la FL de préciser son orientation politique afin de faire progresser ses relations avec Moscou ?
152Cette volonté pragmatique d’alliance avec le PCF est indissociable de la prise en compte de la nature particulière du mouvement communiste qui reste fondamentalement un adversaire politique et idéologique aux motivations téléologiques inconciliables avec celles de la FL, telles que de Gaulle les conçoit. Georges-Henri Soutou estime qu’il était
« très sensible à l’argumentation de Moulin et d’autres à Londres […] selon laquelle il était indispensable d’organiser politiquement et militairement la résistance non communiste si l’on ne voulait pas que les Français désireux de résister rejoignent en masse les communistes ; d’où la mission confiée à Moulin pour organiser la Résistance, qui comportait indiscutablement un aspect de compétition avec le PCF192. »
153Cette préoccupation ne pouvait épargner de Gaulle, mais elle ne se posait essentiellement pour lui que dans la perspective de la libération, et ne relevait donc pas de l’urgence puisque le haut commandement allié l’avait informé qu’il n’y aurait pas d’opération majeure de débarquement sur le continent dans les mois à venir193. Sur ce point, les perspectives étaient claires : la lutte politique avec le PCF était inévitable et les communistes, d’ailleurs, l’annonçaient ouvertement. Avec beaucoup de lucidité, Pierre Villon n’avait-il pas déclaré à Passy le 25 mars devant le bureau directeur du Front national :
« De deux choses l’une : ou bien le général de Gaulle saura au moment de la Libération regrouper et maintenir unis les 70 à 75 % de Français qui seront derrière lui […], et alors nous, les communistes, qui représentons 20 % du pays, nous le suivrons tout en gardant nos disciplines ; ou bien il ne saura ou ne pourra le faire et, dans ce cas, c’est nous qui tirerons les marrons du feu194. »
154On peut raisonnablement estimer qu’au cours du printemps 1943, la nécessité d’une entente entre la FL et le PCF fait quasi-consensus parmi les gaullistes. Le général Bouscat rapporte qu’en avril, Passy lui affirme à propos des communistes :
« On peut compter sur eux jusqu’au traité de paix ont-ils loyalement prévenu. Chacun à ce moment reprendra sa liberté. Ils seraient toutefois disposés à maintenir l’union si l’on s’engageait à réaliser un certain nombre de réformes sociales195. »
155De Gaulle est conscient que sa politique d’alliance avec le PCF est critiquée ou suspectée par des responsables de la FL, en particulier parmi des diplomates qui relaient les inquiétudes des Anglo-Saxons196. Ainsi, le 7 juin, il s’exclame en privé à propos de Massigli : « C’est un tapis ! Un tapis, vous entendez, sur lequel les alliés essuient leurs souliers197. » Malgré tout, la FL, de Gaulle compris, doit tenir compte des inquiétudes des alliés occidentaux et s’emploie en conséquence à les rassurer. Ces craintes ne doivent cependant pas être exagérées : si les Américains redoutent un rapprochement trop étroit entre la FL et le PCF198, ils estiment également que ce risque est limité à cause des profondes divergences sur l’action armée qui opposent les Britanniques et la FL aux communistes199. De son côté, Churchill juge de Gaulle dangereux par son extrême ambiguïté, car « tout en affectant des sympathies communistes, il a des tendances fascistes ». Le 21 juillet, le premier ministre britannique déclare devant la Chambres des Communes :
« De Gaulle doit tout ce qu’il a à l’appui anglais. Et cependant, il ne peut pas être considéré comme un allié en lequel nous pouvons avoir confiance […] À certain moment, il s’est posé comme la seule barrière contre le communisme en France et à d’autres comme l’ami des communistes200. »
156Cette ambiguïté joue effectivement contre de Gaulle, car l’anticommunisme explique pour une part le soutien constant qu’Anglais et Américains apportent à Giraud, puisqu’il veut cantonner un accord avec le PCF au seul domaine militaire. Lors de leur rencontre le 6 juillet, Roosevelt et Giraud tombe d’accord pour condamner les liens entre de Gaulle et le bolchevisme201. À ces accusations, de Gaulle oppose l’argument supérieur du patriotisme :
« Voici maintenant que je suis communiste […] Tout de même ! Ce n’est pas moi qui me rallie à eux. Ce sont eux qui se rallient à moi. Dois-je les repousser ? Ce que je veux, c’est l’union, l’union de tous les Français pour libérer la France et en ce moment, en France même, les communistes se conduisent en bons Français […] Et qu’y puis-je si les communistes préfèrent de Gaulle à Giraud202 ? »
157Résume-t-il ici sa position sur la question communiste ? Pour une part seulement ! Outre les raisons conjoncturelles, internationales et militaires déjà évoquées, de Gaulle est convaincu qu’à terme le communisme n’a pas un grand avenir en France, ce qu’il dit crûment à Maïski lors de leur entretien du 27 janvier 1942 : « Il est très peu probable que le peuple français s’oriente vers le communisme contraire à sa structure sociale et à son esprit individualiste203. » Pour lui, les Français aspirent à de profondes transformations sociales, mais la révolution en France ne relève pas du communisme, un fil directeur consubstantiel à sa vision de la France et qui trace dans la durée l’évolution de sa politique vis-à-vis du PCF.
158Il n’écarte pourtant pas complètement l’hypothèse communiste dans la prise du pouvoir, mais ne l’envisage que comme un accident qui résulterait de l’inconséquence des Anglo-Saxons qui, voulant abaisser la France, créeraient ainsi les conditions favorables au succès du communisme. C’est le sens de l’avertissement qu’il adresse à Roosevelt dans une lettre d’octobre 1942 :
« Si la France, fut-elle libérée par la victoire des démocraties, se faisaient à elle-même l’effet d’une nation vaincue, il serait fort à craindre que son amertume, son humiliation, ses divisions, loin de s’orienter vers les démocraties, l’inciteraient à s’ouvrir à d’autres influences. Vous savez lesquelles. »
159C’est ce même raisonnement qui l’a conduit à imaginer son retour à Paris « escorté par les cosaques et sous la caution du Parti communiste ». En pareil cas, il envisageait l’alternative suivante :
« Ou j’aurais été obligé de leur céder sur un nombre considérable de points, ou j’aurais refusé, et ils auraient fini par prendre le pouvoir car je n’aurais rien eu dans les mains pour m’y opposer. Et tous ces imbéciles de la Droite qui n’ont pas encore compris cela et qui ne comprendront jamais pourquoi je suis obligé de paraître m’appuyer sur les masses populaires si je veux les conduire et les encadrer204 ! »
160Le facteur clé que constitue le PCF dans l’équation française est reconnu dans toute sa complexité par de Gaulle qui l’envisage froidement selon différentes variables, toutes impliquant la nécessité de l’alliance avec les communistes. Cette reconnaissance du PCF à la fois comme interlocuteur incontournable et comme acteur problématique n’est pas propre à la FL, puisqu’au cours du premier semestre 1943, elle se vérifie également dans la résistance et en Afrique du Nord autour de Giraud. On constate donc un véritable tournant dans les premiers mois de 1943, car désormais la question communiste doit être envisagée selon de nouvelles perspectives et avec l’emploi de nouveaux concepts. Cette mutation est particulièrement nette dans la direction de Combat au sein de laquelle les officiers sont nombreux et qui était à l’origine majoritairement conservatrice. Déjà au cours de 1942, Combat avait suivi une évolution nettement vers la gauche conduisant à s’affirmer socialiste et à mener des actions communes avec les communistes205. Son principal dirigeant, Henri Frenay, est en contact régulier avec Georges Marrane et les deux hommes sont en bons termes, car, selon Claude Bourdet, « ils avaient des traits communs. Tous deux étaient très directs, partisans de l’action et de la guerre à outrance. Ce que j’aime bien avec votre ami, disait Marrane à Bourdet, c’est que c’est un chef206. » En mars 1943, Claude Bourdet rédige une longue note, intitulée Combat et le communisme, destinée aux cadres du mouvement afin de leur exposer les accords conclus avec le PCF et d’en tirer les conséquences principielles, politiques et concrètes qui en résultent207. L’orientation générale qui est fixée découle de deux axiomes :
Combat est une organisation révolutionnaire qui refuse le principe même du communisme. Si elle collabore avec les communistes aujourd’hui, elle doit être prête à les combattre demain.
Combat, en revendiquant son identité « socialiste révolutionnaire héritée de la commune de 1848 », est appelée à devenir un pôle d’attraction pour une classe ouvrière française rétive à « la doctrine marxiste-léniniste ».
161En conséquence, Combat doit conserver une stricte indépendance politique vis-à-vis du PCF. Ainsi, il est interdit de mener des actions de propagande unitaire avec les communistes, sauf quand il s’agit de tracts destinés aux ouvriers. Cette conception du rapprochement avec le PCF n’est pas sans analogie avec celle de la France libre : il s’agit de construire un système d’alliance/rivalité qui présuppose qu’en France, la greffe du communisme est impossible. Ce compagnonnage avec le PCF, d’abord fondé sur la reconnaissance de son patriotisme, exclut, tout au moins à cette époque, la croyance au complot communiste. Ainsi, au cours du printemps 1943, la documentation provenant de Vichy, transmise au BCRA par le réseau AJAX et qui concerne les préparatifs d’une insurrection communiste visant la prise du pouvoir, reste sans écho au sein de la France libre. Pourtant le réseau AJAX, surtout implanté dans la police, prend ces renseignements au sérieux et les fait suivre en les accompagnant de commentaires alarmistes208. En mai, une note rédigée par un responsable du réseau, manifestement bien informé, écrit que le gouvernement de Vichy continue de tenir les communistes pour un « très sérieux danger » et il fournit une description précise des dispositions prises pour y faire face. Il estime toutefois que, même si les moyens prévus sont insuffisants, ils sont appréciables, car si les Anglo-Saxons débarquent, la police se mettra spontanément au service des nouvelles autorités, surtout si elles se montrent déterminées à s’opposer au putsch communiste. Et l’auteur conclut : « Le travail de Bousquet est donc, dans l’ensemble, très utile. Le pire serait de ne pas employer la police actuelle […] Ce serait faire le jeu des communistes et se livrer à eux209. » Cette tonalité complotiste est toutefois sensiblement décalée de la plupart des documents d’origine policière transmis au BCRA dont le contenu rend compte, en exagérant quelque peu210, des préparatifs insurrectionnels communistes destinés à appuyer un débarquement allié.
162Le giraudisme est lui aussi confronté à cette échéance stratégique, mais il doit aussi compter avec le PCF en tant qu’acteur politique en Afrique du Nord. Son adaptation à ces réalités présente certaines analogies avec le gaullisme, mais en diffère cependant sur l’essentiel, surtout parce qu’il échoue à l’envisager dans sa globalité.
Giraud et les communistes
163Lorsque Giraud succède à Darlan, sa source de légitimité est d’essence principalement militaire, même s’il revendique sans réserve l’héritage de Vichy pour administrer l’Afrique du Nord. La nomination le 20 janvier de Marcel Peyrouton comme gouverneur général de l’Algérie illustre cette volonté de continuité. Mais contrairement au régime de Vichy, Giraud n’affiche pas un anticommunisme intégral, même si à l’occasion il exprime crûment son hostilité. Son horizon est balisé par la perspective de se débarrasser d’abord des Allemands, puis des communistes et enfin des gaullistes. Dans sa politique de guerre antiallemande, le communisme n’est qu’un facteur contingent qui va bientôt l’intéresser comme acteur important de la Résistance, mais qu’il est aussi obligé de prendre en compte en Afrique du Nord. Faute de sources, il n’est pas possible de suivre précisément l’évolution de Giraud vis-à-vis des communistes et plus encore d’identifier les influences qui l’amènent à passer des accords avec eux.
164Dans l’ensemble, le problème communiste ne semble guère pris en compte par Giraud et les militaires qui l’appuient. Particulièrement significatifs parce qu’ils rendent bien compte des principales préoccupations qui dominent les milieux politiques et militaires d’Alger, les Carnets du colonel Rivet n’accordent pour cette période qu’une place dérisoire au communisme. En particulier, le rôle du PCF en Afrique du Nord n’est jamais évoqué. Il est probable que les décisions de Giraud dans ses relations avec les communistes résultent de compromis entre une frange très anticommuniste, autour du général Georges, et des personnalités plus ouvertes, tel Jean Monnet, voire en relation, d’une manière ou d’une autre, avec les communistes, tels André Labarthe et Raymond Moullec, mais les sources ne fournissent aucun indice en ce sens. Dans ce cas, la question communiste aurait été peu débattue, car, source de conflit, elle n’aurait été traitée qu’a minima afin de préserver l’unité du giraudisme face à de Gaulle.
165Pour l’essentiel, le communisme est d’abord envisagé sous l’angle strictement militaire, puis, à partir de février 1943, est pris en considération l’enjeu politique qu’il représente. Mais son intérêt militaire reste très nettement privilégié, l’épisode de la libération de la Corse en septembre 1943 étant particulièrement significatif sur ce point. Domine donc pragmatisme et modération, ce qui étonne d’ailleurs les adversaires de Giraud. Le BCRA et les mouvements de résistance craignaient en effet qu’il s’efforce de rallier les résistants hostiles au communisme en dénonçant violemment le PCF et ses alliés gaullistes de Londres et de métropole211. À l’inverse, lorsqu’il est établi que les giraudistes sont en relations avec les communistes, le BCRA croit possible qu’ils aient conclu une entente pour créer une ligue « nationaliste » destinée à recruter dans les milieux conservateurs antiallemands dans le but de transmettre des renseignements aux Soviétiques et de saper les assises du gaullisme en métropole212. En réalité, Giraud pratique un anticommunisme à géométrie variable, surtout mis en avant dans son duel avec de Gaulle lorsqu’il l’accuse de compromission avec Moscou et le PCF, tout en dénonçant le gaullisme comme un mouvement fasciste. Ses attaques ciblent particulièrement le BCRA qu’il accuse d’amateurisme, autant dans sa pratique du renseignement et de l’action clandestine que par sa politisation. Giraud le qualifie d’officine fasciste, bien qu’il l’accuse aussi de diriger « une organisation communiste en France soutenue par du matériel de guerre parachuté par les Anglais213 ».
166Certaines de ses déclarations indiquent qu’il persiste encore à assimiler communisme et front populaire : en janvier 1943, à la suite de la conférence de Casablanca, Giraud est prêt à passer un accord avec de Gaulle, mais « il ne peut admettre le personnel dont il s’est entouré et qui rappelle trop les excités de 1936 ». Toutefois, ce type de propos reste ponctuel et on ne retrouve pas chez les giraudistes la psychose de l’ennemi intérieur, si caractéristique de la France de Vichy. Quand le 31 mai 1943, Giraud déclare à de Gaulle qu’il refuse d’écarter Marcel Peyrouton, Pierre Boisson et les généraux Noguès et Prioux, il évoque, entre autres motifs, le maintien de l’ordre, mais sans insister sur ce point. D’ailleurs, cette préoccupation tient peu de place dans l’activité des services spéciaux d’Alger qui constituent l’un des piliers du pouvoir de Giraud214. Au printemps 1943, l’édition du mémento-guide de l’officier de la sécurité militaire en temps de guerre comprend la mise hors d’état de nuire des partis susceptibles de constituer « un danger pour la défense nationale », ce qui implique d’identifier « les membres actifs des partis révolutionnaires », mais ce passage est bref et le communisme n’est pas explicitement mentionné. La mission des officiers de la sécurité militaire est d’assurer la protection du moral et la lutte contre l’espionnage et la propagande hostile dans l’armée215. En mai 1943, la note de service, qui définit l’organisation du contre-espionnage lors de la fusion du BCRA et du renseignement militaire giraudiste, se limite à évoquer sans autre précision la tâche du maintien de l’ordre216.
167Dans l’ensemble, la posture adoptée par Giraud face au PCF relève d’un mélange de stéréotypes, hérités de l’entre-deux-guerres, et de pragmatisme, qui vise à s’adapter aux circonstances militaires et secondairement politiques, mais sans suivre un fil directeur et sans perspective à long terme. Ce cheminement velléitaire, opportuniste, discontinue, participe des carences du giraudisme sur le terrain politique. Pourtant, le PCF s’est montré réceptif aux ouvertures de Giraud, prêt à passer des accords avec lui, en raison de sa position de force en Afrique du Nord et de l’enjeu militaire qu’il représentait.
168Le PCF a en effet cherché à établir le contact avec Giraud, sans grand volontarisme semble-t-il, car les sources manquent pour suivre avec précision les initiatives communistes en direction du général. La plus significative est l’envoi d’Henri Pourtalet, décidé en janvier 1943, pour représenter le PCF à Alger, mais elle reste sans conséquence puisqu’il est interné en Espagne plusieurs mois et n’arrive à destination que le 28 juillet, alors que son parti a été légalisé en Algérie depuis la fin de l’hiver et joue déjà un rôle non négligeable dans l’évolution politique de l’Afrique du Nord, une situation en apparence paradoxale puisque l’implantation communiste y est toujours restée très limitée.
169Jusqu’au début de 1943, l’implantation communiste en Algérie se réduit au Parti communiste algérien clandestin, un petit parti créé en 1936 sous la tutelle du PCF et affaibli depuis 1939 par la répression. Mais, le 5 février 1943, Giraud accepte de libérer les 27 députés communistes placés en détention à la Maison Carrée d’Alger, puis, un mois plus tard, plus de 500 cadres et militants du PCF sortent des prisons ou des bagnes du sud algérien. Ainsi, non seulement le PCF retrouve pour la première fois depuis septembre 1939 une activité légale, mais il peut rapidement mettre en place un solide appareil constitué de dirigeants et de cadres expérimentés politiquement très sûrs. En outre, plusieurs d’entre eux, François Billoux, Pierre Lareppe, Gaston Cornavin, Florimond Bonte, Alfred Costes, Jean Bartolini, ont joué un rôle important dans l’application de la politique militaire du PCF dans les années 1930, ce qui n’est pas sans conséquence dans le contexte de 1943. La propagande communiste réapparaît donc au grand jour et les responsables du parti peuvent s’exprimer à plusieurs reprises à la radio d’Alger et au Maroc217.
170Cependant, ce fort noyau communiste qui se constitue en Algérie souffre de son isolement : coupé de Moscou, sa liaison avec la direction du PCF en France passe d’abord par Fernand Grenier qui lui transmet courant mars courrier et documentation par l’intermédiaire d’un envoyé de de Gaulle à Alger ; par la suite, la liaison restera problématique jusqu’à la Libération218. Le pôle communiste d’Afrique du Nord va donc fonctionner pendant plusieurs mois en autonomie, mais en suivant cependant pour l’essentiel une orientation semblable à celle du PCF en métropole. En particulier, les communistes d’Alger, qui, en avril, contribue à fonder la France combattante en Afrique du Nord219, se gardent de privilégier l’alliance avec Giraud dans une période où Moscou et le PCF en métropole font le choix de soutenir de Gaulle comme principal dirigeant des Français qui combattent aux côtés des alliés. Pourtant, Giraud avait tracé une perspective qui ouvrait un espace de manœuvre aux communistes.
171La libération des communistes emprisonnés et la légalisation du PCF s’inscrivent dans un contexte marqué à partir de la fin février-début mars par une prise de distance de Giraud avec les principes de la Révolution nationale et l’abrogation progressive de la législation de Vichy. Dans un premier temps, proposition est faite aux députés communistes d’être libérés s’ils s’engageaient au préalable à n’avoir aucune activité politique. Suite à leur refus, Giraud décide de rencontrer deux représentants des députés, François Billoux et Lucien Midol. L’entrevue, qui se déroule le 27 janvier, n’est pas précisément connue. Selon un témoignage incertain, le général leur aurait longuement parlé de son évasion puis renouvelé son offre de libération sous condition, qu’ils auraient à nouveau refusée220. Selon le témoignage indirect de Florimond Bonte, Giraud aurait alors déclaré :
« Je ne m’occupe pas de politique. Je suis prêt à libérer tous ceux qui sont emprisonnés, comme vous et vos amis et d’autres s’il y en a. Pour tous ceux qui sont autour de moi, je ne veux pas savoir ce qu’ils ont fait avant novembre 1942. Du moment qu’ils entrent vigoureusement dans la bataille, cela me suffit […] Les soldats russes sont admirables de courage, de patriotisme. Nous devons nous entendre avec la Russie […] En tout cas, il faut faire tout ce qui est possible pour battre les Allemands. Du Danube, j’irai à Metz et, ensuite, la France fera ce qu’elle voudra221. »
172Ce langage de soldat, qui interpelle les élus communistes comme des patriotes, a probablement été fort bien reçu, puisqu’il s’accorde parfaitement avec la ligne du PCF.
173Dans les mois qui suivent l’ouverture en direction des communistes n’est pas remise en cause, sans pour autant évoluer vers la conclusion d’un accord. Curieusement, le ralliement à Giraud de Pierre Comert, directeur du journal France publié à Londres, d’André Labarthe, nommé responsable de l’information par Giraud en avril 1943, et de Raymond Moullec, qui intègre le cabinet militaire de Giraud en mai 1943, ne semble pas avoir influencé l’attitude de Giraud face aux communistes. Politiquement très à gauche, prosoviétiques, c’est l’antigaullisme intransigeant qui motive leur ralliement à Giraud et qui probablement les détourne à cette époque de peser dans le sens d’un rapprochement avec les communistes dont les liens avec la France libre sont devenus notoires. Vu sous cet angle, la situation n’évolue guère puisqu’il aura fallu attendre le printemps pour que Giraud demande à rencontrer un représentant de la direction du PCF222. Ce sont toujours les considérations militaires qui déterminent pour l’essentiel les initiatives de Giraud en direction des communistes, même si la rivalité avec le gaullisme joue dans le même sens. La priorité au facteur militaire se vérifie pour trois problèmes majeurs : les désertions massives pour cause de ralliement aux FFL, la libération de la Corse conçue comme un préalable à la libération de la métropole et, dans cette perspective, la planification et l’organisation militaire de la résistance armée en zone sud et en zone occupée.
174La relative souplesse de Giraud vis-à-vis des communistes a un lien avec les désertions qui affectent les forces armées d’Afrique du Nord et plus encore les unités des forces navales basées ou faisant escale dans des ports alliés. Cette dynamique, qui résulte pour l’essentiel du rejet viscéral de tout ce qui rappelle Vichy, affaiblit la légitimité même de Giraud dont le principal fondement est sa stature de chef militaire prestigieux. À propos des désertions de marins aux États-Unis, le diplomate Henri Hoppenot, nommé en février 1943 directeur des services civils de la mission militaire à Washington, estime qu’elles sont la conséquence de l’attitude pro-Vichy et antialliés du commandement de la plupart des navires. Il conclut :
« Je n’y vois d’autre remède que le départ des officiers vichystes les plus marqués, […] le retrait de tout ce qui peut impliquer à bord une survivance quelconque de Vichy, […] la disparition de toute allégeance directe ou indirecte de l’armée et de la marine au Maréchal […] À défaut de ces mesures, je crois qu’un accord intervenu entre Londres et Alger ne suffirait pas à résoudre le problème : si les engagements des hommes ne sont plus acceptés par les gaullistes, ils déserteront quand même pour s’engager chez les Anglais, les Américains ou les Canadiens223. »
175Pour le général Béthouart, chef de la MMF aux États-Unis, la fuite des marins est la conséquence de leur contamination par des « éléments extrêmement troubles » et par « la propagande communiste et l’action allemande ». Mais il est peu probable que cette explication par le jeu des complots ait convaincu Alger, préoccupée surtout par la nécessité d’établir des contre-feux face aux succès du gaullisme dans les forces armées. La nécessité de libéraliser le régime improvisé de Giraud exigeait en effet d’accepter l’engagement de communistes dans les forces armées.
176En effet, plusieurs dizaines de communistes libérés demandent à s’engager dans l’armée pour partir combattre les Allemands sur la frontière tunisienne224. Des unités spéciales, les corps francs, sont alors créées pour permettre l’engagement de volontaires, en particulier d’éléments non incorporables dans l’armée régulière, c’est-à-dire communistes, étrangers ou juifs d’Afrique du Nord. Parmi les volontaires communistes, se distinguent les figures des capitaines Joseph Putz et Camille Larribère.
177Né en 1895, le premier fut engagé volontaire comme simple soldat en 1914 et termina la guerre avec le grade de lieutenant, officier de la Légion d’honneur et titulaire de quatre citations. Proche du PCF et adhérent de la CGTU, il est néanmoins promu capitaine de réserve en 1934, puis en 1936 il gagne l’Espagne et sert dans les Brigades internationales avec le grade de colonel jusqu’en mai 1938. Il s’installe ensuite en Algérie où en septembre 1939 il est mobilisé comme capitaine de tirailleurs. Après le débarquement allié, il recrute en décembre 1942 suffisamment d’hommes pour former un bataillon de corps franc composé en majorité de républicains espagnols, d’ex-internés gaullistes et d’anciens légionnaires antifascistes. À l’issue de la campagne de Tunisie, il est promu chef de bataillon, puis rallie les FFL où il obtient le commandement du 3e bataillon de la 2e DB du général Leclerc. Sa trajectoire en Afrique du Nord relève exclusivement du domaine militaire, marquée toutefois par le choix, très courant chez les hommes des corps francs, de rejoindre les troupes gaullistes dès que les circonstances le permettent. Le colonel Raymond Dronne le décrit ainsi :
« À la tête de ce bataillon [de la 2e DB] […] se trouve un chef qui sort de l’ordinaire : le commandant Putz. […] Putz était assez peu militaire d’allure, bien qu’il fit effort pour le paraître. C’était un guerrier. Il était ouvert, souriant, sympathique. Incontestablement, il était l’homme qu’il fallait à la tête d’une telle unité225. »
178Plus âgé, Camille Larribère a un parcours davantage politique et il va jouer un rôle dans l’évolution des relations précaires entre le PCF et Giraud. Combattant de la Première Guerre mondiale, quatre fois blessé et huit fois cité, il termine la guerre avec le grade de capitaine et la légion d’Honneur. Membre du PCF dès sa fondation, il participe à la direction de l’autodéfense communiste au cours des années 1920226, puis dans les années 1930, il s’installe en Algérie et devient un des dirigeants du PCA fondé en 1936. Mobilisé en 1939 comme simple soldat, suite à sa dégradation en 1932 pour activité antimilitariste et révolutionnaire, il retourne en Algérie à la suite de l’armistice. Il retrouve ensuite un commandement dans les corps francs, mais, blessé au début du printemps 1943, il est transféré à Alger. Il aurait alors été chargé par Giraud, qui le connaît personnellement car il l’a eu sous ses ordres au cours de la Première Guerre mondiale, de prendre contact avec la direction du PCF en France. Le détail de cet épisode reste flou et très hypothétique, puisqu’il est seulement rapporté par Jacques Duclos dans ses Mémoires. Larribère aurait rencontré des dirigeants communistes à Lyon et à Paris, dont Tillon, puis aurait rendu compte de sa mission à Giraud le 22 avril à Alger. De cette mission en France, il aurait rapporté pour l’essentiel des renseignements de nature militaire, qu’il aurait ensuite transmis à l’état-major. Compte tenu de la déclaration officielle faite par le PCF le 1er avril en faveur d’un gouvernement provisoire présidé par de Gaulle, Giraud exerçant le commandement militaire, cette version du séjour de Larribère en métropole paraît crédible, mais sa réalité demeure toutefois sujette à caution227. Il s’agirait alors du seul contact établi entre Giraud et la direction du PCF avant la création du CFLN, une tentative assez tardive et sans ambition. C’est une attitude exactement inverse qu’adopte Giraud dans la préparation du débarquement en Corse.
179Le 12 décembre 1942, une mission de renseignement, baptisée Pearl Harbor et dirigée par le commandant de Saulle, est envoyée en Corse pour y préparer un débarquement des alliés. Des contacts sont noués avec les organisations de résistance locales, mais l’OVRA en détruisant le réseau R2 Corse, dirigé par l’agent du BCRA Fred Scamaroni, fait du Front national le principal interlocuteur de de Saulle qui passe avec sa direction des accords en vue de renforcer la lutte armée et d’améliorer le renseignement. En avril, les rescapés de la mission Pearl Harbor, traqués par l’OVRA, sont évacués de l’île, mais les contacts entre l’armée de Giraud et le Front national se poursuivent par l’intermédiaire de Paulin Colonna d’Istria arrivée dans l’île le 4 avril avec pour mission de réaliser l’unité des résistants afin de déclencher une insurrection en coordination avec le débarquement des forces alliées. Colonna d’Istria comprend rapidement que le Front national est la seule organisation capable de mener une action armée efficace et il parvient à intégrer sa direction jusqu’au succès de l’insurrection et du débarquement en septembre228.
180Ultérieurement, il justifiera sans réserve sa collaboration avec le FN, puisqu’il n’existait, selon lui, aucune voie alternative :
« Au début, ses effectifs sont faibles (300 aux dires des communistes eux-mêmes), ses moyens des plus réduits, ses actions limitées à la propagande et à la subversion, autant dire nulles. Mais il a pour lui une longue expérience de la vie clandestine, de l’illégalité, du secret. Il se tient sur ses gardes, prompt à réagir et apte à déjouer les surveillances ou les recherches dont il est l’objet. C’est plus qu’il n’en faut pour que les voies de la réussite lui soient ouvertes. Son efficacité se fait évidente au fur et à mesure que se fortifient ses structures et qu’augmentent ses effectifs et ses moyens. Ses affrontements occasionnels avec l’ennemi et la façon dont il se comporte en ces occasions en témoignent. Rien de plus naturel, dès lors, que ceux qui brûlent du désir de se battre pour la libération de leur île, soient tentés de le rejoindre et de s’y intégrer. C’est l’honneur des patriotes qui, n’étant pas communistes, se rallient à lui, surmontant, sans reniement, leurs arrière-pensées respectives et leur défiance réciproque. Aussi, quand sonne enfin l’heure du soulèvement, le FN présente-t-il un tout autre visage qu’à sa création. Il rassemble en son sein toutes les tendances. Il compte surtout de nombreux cadres de l’armée en congé d’armistice. On ne tarde pas à s’en rendre compte dès les premiers affrontements avec l’ennemi, avant même l’arrivée de tout renfort extérieur, dans la vallée du Golo par exemple (colonel Valentini) ou encore sur la dorsale montagneuse, aux environs de Levie et de l’Ospedale (lieutenant de Peretti, adjudant-chef Nicolai, commandant Pietri, etc.). Par la suite, il n’est pas d’unité régulière du corps de débarquement qui ne fasse la même constatation dès lors qu’elle fait appel au concours des patriotes pour être renseignée, guidée, appuyée, dans les coups de main qu’elle réalise ainsi avec le maximum d’efficacité229. »
181C’est à l’occasion des opérations de la libération de la Corse que la relation entre giraudisme et communisme est la plus étroite. Si l’enjeu politique joue, il n’occupe qu’une place contingente car le facteur stratégique prime et c’est a posteriori que la portée politique de la libération de la Corse a été réévaluée et analysée par les différents acteurs du camp allié et de la résistance comme une expérience riche d’enseignement pour planifier la libération de la France et dessiner le cadre politique de la période qui devait suivre. Or, le succès remarquable de la stratégie giraudiste en Corse est le résultat d’une évaluation pragmatique du potentiel militaire de la résistance communiste et de la capacité à articuler ses conceptions insurrectionnelles avec les opérations amphibies planifiées par l’arme régulière. Mais la problématique de l’insurrection communiste comme facteur militaire à intégrer dans les plans alliés n’a pas retenu l’attention des seuls giraudistes, car au premier semestre 1943 elle préoccupe sous des angles et à des degrés divers tous les acteurs de la période, posant en préalable la question de l’évaluation du potentiel militaire des communistes.
Le PCF envisagé comme facteur militaire
182Au cours de l’été 1941, la FL perçoit, assez justement, l’action communiste en France comme relevant essentiellement du sabotage, puis à partir de l’automne de la lutte armée. Pour cette raison, jusqu’à la fin de l’année 1942 et probablement au-delà, le facteur militaire en métropole est pour l’essentiel identifié à la résistance communiste dans la zone occupée, une tendance d’autant plus forte que c’est la moitié nord de la France qui concentre pour les alliés, y compris après novembre 1942, l’essentiel des enjeux stratégiques à l’ouest du continent. Cette identification pose à la FL toute une série de problèmes majeurs et sensibles : quelles sont les capacités militaires des organisations communistes ; dans quelle mesure est-il possible de rallier le PCF au principe d’une organisation militaire intégrée de la France combattante appliquant une stratégie de l’action armée décidée par l’état-major interallié ? Comment empêcher que le développement des capacités militaires des communistes ne continue de nourrir la progression de leur influence politique ? L’enchevêtrement de ces différentes problématiques révèle l’étroite interdépendance entre le politique et le militaire lorsqu’il s’agit de l’action armée, de l’organisation des forces et du commandement des groupes paramilitaires de la résistance.
183Dès octobre 1941, Jean Moulin a perçu cette nécessité de doter la FL d’une politique militaire pour la résistance afin de réguler la tension entre nécessité de l’organisation armée, qu’il estime prioritaire, et réalité politique, qui depuis l’été joue en faveur du PCF. Il écrit à de Gaulle que si les capacités militaires des mouvements de la résistance non-communiste restent dérisoires,
« on jettera dans les bras des communistes des milliers de Français qui brûlent de servir. Et cela d’autant plus que les Allemands se font les agents recruteurs du communisme en affublant du qualificatif de communiste toutes les manifestations de résistance française230 ».
184Il s’agit donc pour la FL à la fois de rallier l’organisation armée du PCF au regroupement des forces paramilitaires de la résistance tout en s’efforçant de développer à grande échelle les capacités militaires de la résistance non-communiste, à la fois pour préparer la libération et pour limiter l’expansion du communisme en France. D’où le projet d’Armée secrète (AS) mis en place en ZL à l’automne 1942 puis partiellement étendue à la ZO à partir de décembre suivant. Mais, au moins jusqu’au printemps 1943, persiste la tendance à surestimer dans de fortes proportions les capacités d’actions armées et de sabotages des communistes.
185En effet, contrairement au cliché galvaudé de communistes français mobilisés dès l’été 1941 pour combattre les armes à la main les troupes d’occupation, le PCF s’engage prudemment, progressivement et avec beaucoup de difficulté dans la lutte armée. Ce mode d’action n’est d’ailleurs qu’une des composantes de la politique militaire du PCF qui s’inscrit dans un cadre plus large puisqu’elle prétend contribuer à créer un front intérieur dans la profondeur de l’Europe occupée et à résoudre dans sa globalité le problème militaire français, à la fois en métropole et dans l’Empire. Il est vrai qu’entre l’été 1942 et la fin du printemps 1943, la politique militaire communiste est centrée sur la lutte armée, même si la formation du groupe Normandie et la question de l’armée en Afrique du Nord marquent les prémices d’un élargissement de plus en plus centré sur la nation armée et la lutte pour la libération nationale. Pourtant, les actions armées ne se limitent pas aux attaques contre les Allemands et le combat contre les troupes d’occupation ne se réduit pas à la lutte armée, mais c’est bien celle-ci qui suscite pour l’essentiel l’intérêt croissant de la France libre pour le PCF. Il est donc nécessaire d’en suivre les principales étapes pour analyser la place qu’elle occupe dans les projets gaullistes.
186L’invasion de l’URSS prend le PCF de court, faute de dispositions prévues en cas de guerre germano-soviétique. Cette impréparation, qui illustre la mise en veilleuse de la politique militaire communiste à la suite de la défaite de 1940, laisse le parti désarmé face aux exigences de la guerre totale. Ce désarroi est peut-être accru par l’accumulation des revers subis par l’Armée rouge. Pourtant la vitalité du communisme français lui permet assez rapidement de surmonter, au moins pour une part, ces difficultés initiales. Trois phases de la politique militaire communiste vont s’échelonner jusqu’à la fin du printemps 1943 : l’improvisation au premier semestre 1941, la maturation de la fin 1941 à la fin de 1942, puis la maturité231.
187Dès le 22 juin 1941, Staline déclare à Dimitrov que « le Komintern ne doit pas agir ouvertement », une consigne qui fixe déjà le cap d’une ligne modérée et confirme l’orientation déjà amorcée de créer ou développer des organisations satellites pour la libération nationale, qui, sans étiquette communiste, doivent organiser une résistance patriotique de masse, en réalité impulsée et dirigée par les partis communistes. En France, le Front national, les FTP et une myriade d’organisations relèvent jusqu’à la Libération de ce schéma général. Le 1er juillet, un télégramme envoyé au PCF appelle à désorganiser la production d’armement, à constituer de « petits détachements » pour organiser des sabotages dans les usines et sur les voies de communication. Il n’est donc pas question de mener des attentats contre les troupes d’occupation, mais d’affaiblir l’économie de guerre allemande, un objectif qui restera prioritaire jusqu’à la fin de l’année 1942. Le 9 août, le Komintern appelle à intensifier l’action et à se préparer à la lutte armée avec un objectif insurrectionnel, mais l’intervention d’André Marty, qui, avec l’appui des autres dirigeants français en URSS, critique cette inflexion et condamne l’appel à l’insurrection, conduit à l’abandon de ces mots d’ordre.
188Le PCF applique avec difficulté les directives de Moscou : un embryon d’organisation militaire est mis en place, mais les armes manquent, et les sabotages, non revendiqués, qui sont effectués à partir de l’été, ont des effets limités. Ces actions sont assurées par une petite minorité de militants, soit des anciens brigadistes de la guerre d’Espagne, soit issue de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) ou des Jeunesses communistes. La mise en place au cours de l’automne d’un organe central de commandement, le comité militaire national (CMN) dirigé par Charles Tillon, n’a guère de conséquences, car, sans moyen de fonctionner efficacement, son existence reste précaire et il manque de relais à travers le pays. En outre, la division du pays en deux zones impose de créer un CMZ, assez autonome, pour diriger la zone sud. Dans les deux zones, la création de structures interrégionales prend plusieurs mois et leur mise en place ne sera pas encore achevée au moment de la constitution des FTP début 1942. L’absence au cours de l’entre-deux-guerres d’organisation paramilitaire et de service d’ordre très structuré a probablement accentué la difficulté pour le PCF à mettre en place un appareil militaire efficace232.
189C’est peut-être le contrôle politique insuffisant des premiers noyaux paramilitaires qui expliquent l’assassinat d’officiers allemands à partir du 21 août, date de l’attentat du métro Barbès233. Quoi qu’il en soit, ces actions marquent le début de la lutte armée des communistes en France. Cette orientation progressive vers l’action armée suscite au sein du PCF, appareil compris, une très vive opposition qui s’affaiblira au cours du temps, sans jamais disparaître. Par exemple, l’implantation des FTP dans la région lyonnaise à la suite de l’occupation de la zone libre se heurtera localement à de fortes réticences.
190Début 1942, la politique militaire devient plus ambitieuse à la suite des progrès accomplis depuis l’été, mais plus encore en raison de l’évolution de la situation militaire : la défaite allemande devant Moscou est perçue comme la première étape de l’effondrement de la Wehrmacht et l’entrée en guerre des États-Unis semble annoncer l’ouverture d’un second front avant un an. Le 31 janvier, se tient à Oufa une importante réunion du Komintern, consacrée à la situation française et au PCF, qui réunit Dimitrov, Manouilsky, Togliatti, Thorez et Marty. De leur délibération il ressort que désormais l’objectif militaire en France est le soulèvement et, en conséquence début février, les communistes français reçoivent comme directive d’intensifier les sabotages, de multiplier les groupes de partisans dans les campagnes et les principaux centres du pays, tout en développant les mouvements sociaux sous forme de grèves et de manifestations de ménagères. C’est dans ce contexte que l’organisation paramilitaire communiste prend le nom de FTPF et qu’en février, L’Humanité évoque pour la première fois ouvertement la lutte armée et par la suite rend compte régulièrement des attentats et des sabotages exécutés. Cette orientation, qui reflète l’optimisme du premier semestre 1942, s’inscrit dans le cadre d’une stratégie qui, en visant à ouvrir un front intérieur à l’échelle de l’Europe occupée, s’articule aux plans offensifs de l’Armée rouge, appliqués après la victoire de Moscou234.
191Il ne faut cependant pas exagérer la portée de cette réorientation qui s’effectue progressivement et prudemment, au prix de grandes difficultés. Il faut attendre le mois de mai pour que L’Humanité commence à évoquer le soulèvement en masse comme objectif principal de la lutte de libération nationale. En juillet, le mot d’ordre de « soulèvement armé de tout le peuple » apparaît, remplacé ensuite par celui d’« insurrection nationale », utilisé pour la première fois en octobre par le CMN en citant de Gaulle235. En 1942, l’heure n’est donc pas à l’action armée en masse et la priorité reste le sabotage de l’économie de guerre ennemie et secondairement le harcèlement des troupes d’occupation. Il est vrai que les succès allemands au cours de l’été assombrissent les perspectives, tandis que le développement des FTP est limité par les ravages de la répression et par le manque d’expérience militaire, le principal problème étant le manque criant de cadres.
192Fin 1942, la politique militaire du PCF entre dans une nouvelle période marquée par la préparation de l’insurrection nationale qui exige de créer un instrument militaire de qualité. Cette orientation plus ambitieuse résulte de l’adaptation à la nouvelle conjoncture marquée par le débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord, puis le succès de la contre-offensive soviétique de Stalingrad. Dès novembre 1942, André Marty rédige une note centrée sur la question militaire qui la resitue sur le long terme puisqu’il revient longuement sur le PCF et la défense nationale dans les années 1930. Affirmant que les communistes n’ont jamais été contre l’armée parce qu’elle est au service de la nation et seulement de la nation, qu’ils revendiquent la devise « Honneur et Patrie », il conclut qu’au vu de la faillite de 1940, « le Parti communiste avait raison de lutter pendant 20 ans pour que […] le commandement soit attribué aux officiers les plus capables et les plus dévoués à la patrie », qu’il avait également raison de prôner le recrutement d’officiers d’origine populaire236. Ce retour au discours de front populaire sur « l’armée républicaine » marque un élargissement sensible de la problématique militaire communiste du temps de guerre, une évolution confirmée le 11 décembre par les nouvelles directives de Moscou qui qualifient les FTP de noyau de la future armée française et recommande « d’attirer les anciens combattants, officiers et sous-officiers […] pour faciliter l’instruction militaire des francs-tireurs. »
193L’objectif prioritaire est donc désormais de transformer les FTP en organisme militaire de masse237 doté de capacités offensives d’envergure en vue de la libération, mais il s’agit également d’ouvrir la voie à la formation d’une nouvelle armée française « républicaine » comme alternative à l’armée d’Afrique du Nord. Ainsi, fin 1942, la politique militaire communiste connaît une inflexion notable qui joue sur deux plans différents : militairement, la priorité stratégique n’est plus d’appuyer l’URSS, mais d’articuler les actions menées et les plans élaborés aux opérations des Anglo-Saxons en vue d’ouvrir un second front ; politiquement, elle dessine le cadre d’une réforme profonde de l’institution militaire avant même la fin de la guerre. Ces deux motifs éclairent la démarche de Tillon qui en novembre 1942 envoie à de Gaulle une lettre pour lui demander d’appeler les officiers d’active ou de réserve à rejoindre les FTP afin d’améliorer l’encadrement et d’initier un lien fort entre le corps des officiers et le « peuple ».
194Il est vrai que sur le plan pratique les dures réalités de l’occupation et l’aggravation de la répression ne permettent pas de s’engager très avant dans les voies tracées tout au long de 1942. Ainsi, au printemps 1943, la priorité absolue pour la résistance communiste est le renforcement des mesures de sécurité pour déjouer les filatures de la gestapo et des polices de Vichy238. Cette préoccupation a d’ailleurs des effets sur l’orientation communiste puisque dans cette période, sur le terrain militaire en ZN, les relations avec l’OCM sont privilégiées au détriment de l’AS, car la première est jugée mieux adaptée à la clandestinité, moins vulnérable à la répression et à l’infiltration, et donc moins dangereuse à approcher en vue d’actions communes239. Il faut attendre juin 1943 pour que la direction du PCF fixe aux FTP l’objectif central de devenir une « armée nouvelle » de masse240.
195Cette réorientation, qui fait désormais de la préparation de l’insurrection nationale la priorité, nécessite un effort de conceptualisation qui suscite des divergences entre les dirigeants communistes en URSS et ceux en France. En février, le CMN conditionne l’insurrection au débarquement, puis, au printemps 1943, il envisage le déclenchement préalable d’un soulèvement qui rendrait possible un débarquement des Anglo-Saxons avec des forces relativement limitées, une hypothèse qui prévaut à l’automne au vu du succès de la libération de la Corse. L’insurrection nationale, qui associe étroitement dimension militaire, la lutte armée, et civile, la grève générale, est donc conçue comme un enjeu stratégique majeur241, qui pose également un problème politique. À Moscou, la direction du Komintern, Thorez et Marty étant d’accord sur ce point, refuse d’établir une corrélation de principe entre insurrection et ouverture du second front. C’est l’un des motifs de leur critique de l’accord conclu entre Rémy et la direction du PCF en novembre 1942. Le 6 avril, Marty écrit à Grenier qu’en France « les conditions sont favorables pour un rapide développement de la guerre de partisan, une guerre qui mène à l’insurrection nationale universelle, nécessaire et déjà réalisable242. » La nouvelle tentative de Marty pour gagner Londres au cours du printemps est probablement motivée, au moins en partie, par une volonté de reprise en main de la politique militaire du PCF en métropole et plus encore de Fernand Grenier, jugé insuffisamment ferme face aux pressions des gaullistes243. Il est vrai que les relations entre la France libre et le PCF sont entrées dans une phase cruciale au premier semestre 1943.
196Au cours de l’année 1942, c’est surtout l’intérêt militaire attribué aux communistes qui motive la FL dans sa recherche du contact avec le PCF. Mais au fur et à mesure du resserrement des relations avec les FTP, l’amélioration du renseignement permet de mieux connaître la réalité des capacités militaires des communistes et par conséquent ses faiblesses244. De même, avec le renforcement relatif des FTP et l’influence croissante de la FC sur la Résistance, les divergences s’aiguisent entre communistes et gaullistes sur le rôle et les formes de la lutte armée.
197L’amateurisme et l’armement insuffisant des groupes FTP relativisent sensiblement les capacités d’action jusque-là attribuées aux communistes. Au printemps 1943, le BCRA connaît le décompte exact pour avril des attentats contre les Allemands établis par la Direction de la police de Sûreté : sur 5 attentats répertoriés en France, un seul entraîne un mort et six blessés ; les autres échouent, faisant seulement deux blessés245. Différentes sources concordantes indiquent que le développement des actions armées et le renforcement des FTP continuent de rencontrer de fortes résistances au sein du PCF, y compris dans les milieux dirigeants246. Toutefois, le BCRA continue de surestimer l’effectif de ses combattants puisqu’il les évalue à 20 % des membres du PCF, auxquels s’ajoute la masse des réfractaires au STO247. Dans les négociations entre les délégués de la France libre et les communistes, c’est la lutte armée qui provoque les plus fortes frictions à cause de la polémique sur « l’action immédiate », que revendiquent les communistes, et « l’attentisme », défendu par Londres. L’opposition n’est pas vraiment frontale puisque les mouvements de résistance de la zone sud, Combat, Libération, Franc-Tireur, prônent également l’action immédiate, même s’il est vrai qu’à la différence des communistes, ils n’ont guère les moyens de la pratiquer. En février, la mission du BCRA Passy-Brossolette obtient l’acceptation du commandement des FTP de placer leurs troupes sous le commandement des états-majors régionaux de l’AS et elle admet en retour l’intérêt de constituer des groupes francs pour mener des actions armées ponctuelles et en nombre limité. Par contre, le 12 avril, lors d’une réunion consacrée à l’action armée et présidée par Jean Moulin, les représentants FTP quittent la séance lorsque le représentant du général de Gaulle exige que l’organisation armée communiste se soumette aux ordres venus de Londres. Il est vrai que la France libre, et en tout premier lieu le BCRA, est divisée sur la ligne militaire à suivre en métropole, en particulier Moulin veut maintenir le cap du développement de l’AS, selon le principe de la stricte séparation entre le politique et le militaire, tandis que Passy et Brossolette prônent une séparation relative compte tenu des réalités de la clandestinité et de la nature des organisations de résistance248.
198Ces questions se posent également à Giraud et aux officiers qui veulent organiser en métropole une organisation de résistance des militaires contre l’occupant. Eux aussi doivent définir une attitude face à la résistance communiste et, paradoxalement, l’expérience corse du giraudisme ne joue pas en ce sens. Pourtant la libération de la Corse, menée conjointement par les giraudistes et les communistes, est un succès d’autant plus spectaculaire qu’il s’agit d’une opération combinée des forces armée françaises et de la Résistance. Cette victoire militaire à forte portée symbolique, puisqu’elle marque la reconquête de la première parcelle du territoire métropolitain par les Français eux-mêmes, n’a pourtant guère d’impact sur la résistance militaire giraudiste qui a commencé à se développer en métropole aux lendemains de l’occupation de la zone libre et de la dissolution de l’armée d’armistice.
199Cette nouvelle branche de la résistance se constitue dans un premier temps comme une organisation de cadres, regroupant des officiers et des sous-officiers d’active, qui par la suite, en recrutant des combattants de diverses origines, évoluera progressivement en organisation plus large qui atteindra l’effectif de 68 000 hommes lors de la libération. Sur les 1 500 officiers engagés dans ses rangs, 227 perdront la vie, 104 tués au combat, 90 en déportation, 33 fusillés249. Officiellement constituée en janvier 1943 sous l’appellation d’Organisation métropolitaine de l’armée (OMA), elle est commandée par le général Frère jusqu’à son arrestation en juin 1943, puis par le général Verneau, arrêté en octobre, et enfin par le général Revers. Au printemps 1944, elle prendra officiellement le nom d’Organisation de résistance de l’Armée, mais le sigle OMA restera souvent utilisé.
200Initialement hostile à de Gaulle, l’OMA s’affiche apolitique, puisqu’elle se considère comme « l’avant-garde de l’armée française » en métropole, soumise aux ordres du haut commandement d’Alger, qui lui-même relève de Giraud en tant que « commandant en chef civil et militaire250 ». Dans les premiers mois de 1943, l’OMA est essentiellement implantée en ZS, puis elle s’organise progressivement dans plusieurs régions de ZN.
201L’OMA est considérée avec suspicion ou hostilité par la plupart des organisations de résistance. Les rapprochements sont d’autant plus difficiles que l’OMA, par son caractère strictement militaire, conserve une identité forte qui tend à la marginaliser au sein de la Résistance et qui l’exclut du CNR où elle n’est pas représentée. Des contacts sont parfois établis, surtout avec l’AS, mais ils restent en général limités. Avec les communistes, on ne constate pas de tensions particulières. Au premier semestre 1943, des contacts ont même été pris avec les FTP par le capitaine Peynaud et, jusqu’à la fin de l’année, entorse au principe d’apolitisme, il rencontre à plusieurs reprises Georges Marrane, représentant de la direction du PCF251. Parallèlement, le commandant Lejeune, envoyé en mission par Giraud, a des entretiens avec un responsable des FTP entre mars et juillet. Mais tous ces contacts sont rapidement rompus, les communistes exigeant un accord sur l’action immédiate252. Dans l’ensemble, les divergences qui opposent FTP et OMA durant cette période ne sont pas foncièrement distinctes de celles qui séparent cette dernière des autres mouvements de résistance. Trois clivages principaux sont alors repérables :
La violence : pour l’OMA, la lutte armée relève exclusivement de l’action militaire, ce qui exclut de pratiquer, comme les autres forces résistantes, la violence politique ou de cibler des objectifs civils.
L’armée : L’OMA revendique son appartenance à l’armée française et assume donc la continuité de l’institution militaire avec ses règles et ses traditions, alors que la résistance a pour objectif de créer au moment de la libération une armée nouvelle par l’amalgame des forces résistantes et des troupes régulières.
La Libération : l’OMA veut accumuler des forces qui agiront au moment du débarquement selon des plans soigneusement préparés en coordination avec l’état-major interallié. La majorité des organisations résistantes adhèrent peu ou prou à ce schéma, mais elles prônent également l’action immédiate et les communistes sont de loin les plus en pointe pour l’encourager et plus encore la pratiquer. Enfin, si l’OMA est favorable au déclenchement d’une insurrection urbaine à l’approche des armées alliées, elle l’envisage avant tout sous l’angle du maintien de l’ordre253.
202Si le maintien de l’ordre fait partie dès l’origine des principales missions que s’attribue l’OMA, la question du communisme ne figure pas parmi ses priorités au début de 1943. Si l’on en croit l’important rapport rédigé par le général Laffargue sur l’activité de l’OMA dans la région alpine de novembre 1942 à décembre 1943, c’est principalement l’AS, bien implantée dans la zone, qui constitue le problème majeur dans les relations avec les organisations de résistance254, les communistes, peu implantés, n’étant même pas cités. Dans cette région, l’OMA maintient des relations distantes avec l’AS pour deux raisons : d’abord, l’action immédiate, que Laffargue qualifie « d’agitation » inefficace et « fâcheuse » qui fait le jeu des Allemands, alors qu’une authentique action militaire cherche à « endormir l’adversaire pour le surprendre » ; ensuite, l’amateurisme de l’AS pose un gros problème de sécurité et Laffargue estime qu’elle est certainement infiltrée par des agents doubles. Il est probable que cette défiance existe aussi dans d’autres régions. L’anticommunisme n’est donc pas un facteur déterminant dans les divisions qui affaiblissement la Résistance, tandis que la volonté de rapprochement avec les communistes caractérise l’attitude de la France libre et, plus modérément, du giraudisme, une tendance qui va s’accentuer dans la période qui suit la formation du CFLN.
Notes de bas de page
1 Les accords d’Anfa, le 16 janvier 1943, pour le réarmement français sous l’égide des alliés marquent la suprématie des Américains sur l’Afrique du Nord. En particulier, alors que les Français voulaient former 11 divisions, les Américains imposent l’objectif de huit, organisées selon leurs normes.
2 Bariéty Jacques, « La délégation diplomatique et la mission militaire de la France libre en URSS (juin 1941-décembre 1944) », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 187.
3 Expulsé de France lorsque Vichy rompt ses relations diplomatiques avec l’URSS, Bogomolov est nommé en septembre représentant du gouvernement soviétique auprès des gouvernements et institutions alliés en exil. Il devient ainsi le principal intermédiaire entre la FL et l’URSS.
4 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 118.
5 Ibid., p. 119-120.
6 Membre du secrétariat du Komintern et du bureau politique du PCF, élu député en 1936, André Marty est l’un des principaux dirigeants du mouvement communiste international.
7 Le CNF est reconnu comme « ayant seul qualité pour organiser la participation des citoyens et des territoires français à la guerre et représenter auprès du gouvernement de l’URSS les intérêts français ».
8 MAE, P 1722, télég, 28 novembre 1941 ; P 1749, télég, Francom, 22 janvier 1942 ; SHD-DAA, Z 35857/2, lettre de Petit à Mirlesse, 26 avril 1943.
9 MAE, P 1722, direction des affaires politiques, 1er juillet 1941.
10 MAE, P 1749, entretien entre Maïski et Dejean, 12 janvier 1942.
11 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 142.
12 SHD-DAT, 1K 225, Monsieur Léon Noël, ambassadeur de France auprès le gouvernement polonais, à Monsieur Édouard Daladier, ministre des Affaires étrangères, 15 octobre 1939.
13 SHD-DAT, 1K 225, Capitaine Beaufre, les négociations franco-anglo-soviétiques d’août 1939, juillet-août 1940.
14 MAE, P 2032, Projet de télég., DiploFrance, Alger, relations franco-soviétiques, 3 novembre 1943 ; P 1722, Pologne-Allemagne-URSS, été 41 ; aperçu sur la situation politique en Russie, février 1942 (ce document émane très probablement du BCRA).
15 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 140.
16 SHD-DAA, Z 35857/2, biographie d’Albert Mirlesse, non daté.
17 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Prisonniers de la liberté : l’odyssée des 218 évadés par l’URSS (1940-1941), op. cit., p. 188.
18 Ibid., p. 195. Ces militaires, qui ont passé des mois éprouvants dans les camps soviétiques, ont pour ordre à leur arrivée en Angleterre de ne pas critiquer le régime communiste.
19 Ibid., p. 230.
20 Malis Christian, « Après le Blitzkrieg : le réveil de la pensée militaire française (juin 1940-mars 1942). Le rôle de la revue La France Libre », Institut de Stratégie Comparée. [http://www.institut-strategie.fr/].
21 MAE, P 1722, situation en Russie, 29 janvier 1942.
22 MAE, P 1722, Aperçu sur la situation politique en Russie, février 1942.
23 Vidal Georges, Une alliance improbable, op. cit., 307 p.
24 MAE, P 2033, BCRA, études sur l’organisation des Caucasiens par l’Allemagne, mai 1943.
25 MAE, P 1722, Pologne-Allemagne-URSS, non daté (été 1941).
26 MAE, P 1722, colonel Luguet, note sur la situation militaire de l’URSS, 10 juillet 1942.
27 MAE, P 1722, télég, Garreau-Moscou, 17 août 1942. Ce document a très probablement été rédigé par le général Petit.
28 Lopez Jean, Stalingrad. La bataille au bord du gouffre, Économica, 2008, 485 p. À noter que début novembre, la mission de la France libre envoie un télégramme qui annonce, de source militaire « bien placée », une prochaine contre-offensive soviétique, car la progression allemande a été enrayée et ne peut plus reprendre faute de réserve (MAE, P 1722, télég. MF, Kuibyshev, 7 novembre 1942).
29 MAE, P 1722, déjeuner entre le général de Gaulle et Maïski, 27 janvier 1942. Il ne s’agit pas d’une déclaration d’opportunité ou d’une affirmation personnelle, puisqu’il ne fait que reprendre les propos déjà tenus par Dejean deux semaines auparavant (MAE, P 1749, entretien entre Maïski et Dejean, 12 janvier 1942).
30 MAE, P 1749, Ordre de mission MMR, non daté.
31 MAE, P 1749, EMP, Instruction personnelle et secrète, 16 janvier 1942.
32 SHD-DAA, Z 35857/2, éléments de documentation sur les FAF en URSS, 1943.
33 SHD-DAA, Z 35857/2, Mirlesse, situation et activités, mission militaire de la France combattante en URSS, 10 février 1943. Assez curieusement, Albert Mirlesse a plus tard rapporté qu’à son arrivée à Moscou en septembre 1942, le chiffre avait disparu et qu’ayant enquêté, il avait fait avouer le vol par la secrétaire russe de Petit qui avait agi sur ordre du SR soviétique et qui fut obligée de restituer le code. La discordance des dates rend problématique la valeur de ce témoignage.
34 MAE, P 1749, télég. Petit à EMP, 30 octobre 1942.
35 MAE, P 1749, lettre Garreau à Dejean, 22 juillet 1942.
36 Bariéty Jacques, « La délégation diplomatique et la mission militaire de la France libre en URSS (juin 1941-décembre 1944) », art. cité, p. 195-196.
37 Carnets Petit. Ainsi, pour le chauffage de la mission, Petit doit personnellement s’occuper des livraisons de bois, démultipliées car effectuées en quantité limitée, et veiller à l’entretien de la chaudière qui tombe régulièrement en panne.
38 En particulier, les bulletins de renseignement de la FL, ainsi que les communiqués de presse envoyés de Londres sont transmis à Kuibyshev et arrivent avec beaucoup de retard à Moscou, ce qui déclenche régulièrement la colère de Petit qui a besoin de ces documents que les Soviétiques lui réclament ou qui sont nécessaires pour les émissions que la MMF assure à radio Moscou. Le général, ainsi que Mirlesse, sont convaincus que ces retards sont volontaires (MAE, P 1749, télég. Petit, 25 septembre 1942 ; MAE, P 1749, télég. Petit à EMP, 8 octobre 1942 ; MAE, P 1749, télég. Petit, 14 novembre 1942 ; MAE, P 1749, télég. à Garreau à Kuibyshev, 17 avril 1943 ; (SHD-DAA, Z 35857/2, situation et activité. Mission militaire de la France combattante en URSS, 10 février 1943).
39 Vidal Georges, Une alliance improbable, op. cit., p. 25-32 et 175-187.
40 En premier lieu, les allocutions hebdomadaires à Radio Moscou ou les relations avec l’agence Tass.
41 Cathala Jean, Sans fleur ni fusil, Albin Michel, Paris, 1981, p. 255, 280, 295. Cathala écrit que toute la délégation est « cent pour cent pro-soviétique », « américanophobe » et que Schmittlein et Garreau sont partisans du front populaire. Quant à Petit, à l’image de la grande majorité des officiers de sa génération, il est « apolitique », c’est-à-dire plutôt conservateur et indifférent aux questions politiques et sociales.
42 MAE, P 1749, MM Moscou, 22 mai 1943.
43 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 126.
44 MAE, P 1722, visite de Bogomolov au général de Gaulle, 6 décembre 1941.
45 SHD-DAA, Z 35857/2, situation et activité. Mission militaire de la FC en URSS, 10 février 1943.
46 SHD-DAA, Z 35857/2, compte rendu du déjeuner du 16 février 1943 avec la mission militaire soviétique.
47 MAE, P 1749, télég. de Gaulle à Petit, 30 mars 1942.
48 MAE, P 1749, télég. Petit à de Gaulle, 3 avril 1942.
49 Ce projet resurgira ultérieurement à plusieurs reprises. Petit et Garreau y attachent une grande importance, ce dernier lui donnant une forte dimension politique. En août 1942, il confie à Marty qu’une division motorisée française constituée en URSS pourrait foncer sur le Rhin quand le front allemand s’effondrerait et que la libération des prisonniers permettrait de former une armée éventuellement capable de tenir tête aux Anglo-Saxons (Roussel Éric, Charles de Gaulle, Paris, Gallimard, 2002, p. 303).
50 SHD-DAA, Z 35857/2, lettre du général Valin à Mirlesse, 13 octobre 1949.
51 SHD-DAA, Z 35857/2, éléments de documentation sur les FAF en URSS, 1943.
52 L’opposition de la RAF à l’envoi en URSS de pilote formés en Angleterre restera constante (SHD-DAA), Z 25249, FAFL, note sur l’envoi de renfort en Russie, 5 février 1943).
53 MAE, P 1749, note pour le commandant du GC3, 13 août 1942.
54 MAE, P 1749, liste nominative du GC3, 22 avril 1942.
55 SHD-DAA, Z 25249, commandement du GC3, 3 avril 1942.
56 MAE, P 1749, télég. Petit à EMP, 30 mai 1942.
57 MAE, P 1749, ordre de mission MMR, non daté. Il circulait des rumeurs sur l’appartenance de Beresnikoff à la Cagoule. Expliquent-elles que son affectation en URSS ait été annulée ?
58 SHD-DAA, Z 35857/2, situation et activité. Mission militaire de la FC en URSS, 10 février 1943.
59 Albert Mirlesse, « De Gaulle et l’escadrille Normandie-Niemen », Espoir, no 99, 1994 [http://www.charles-de-gaulle.org]. À noter que les Carnets Petit ne mentionnent à aucun moment l’arrivée prévue d’un officier du BCRA.
60 Vidal Georges, Une alliance improbable. L’armée française et la Russie soviétique (1917-1939), op. cit., p. 34.
61 Sébastien Albertelli n’aborde pas cette question dans son ouvrage sur le BCRA.
62 MAE, P 1749, Petit à l’EMP, 30 avril 1942.
63 MAE, P 1722, télég. général Petit au général de Gaulle, 7 octobre 1942.
64 MAE, P 1722, télég. Petit pour EMP, 13 août 1942. En septembre, Petit reçoit un télégramme du BCRA qui concerne la formation de deux divisions blindées allemandes qui doivent être transférées sur le front de l’Est (MAE, P 1722, télég. à Garreau, pour général Petit, 28 septembre 1942).
65 Il paraît improbable que le BCRA ait volontairement pratiqué la rétention de renseignements. L’absence de réponse aux demandes de Petit résulte plus probablement de la faiblesse de ses moyens, de ses liaisons et de ses réseaux en France dans cette période.
66 SHD-DAA, Z 35857/2, situation et activité. Mission militaire de la France combattante en URSS, 10 février 1943.
67 Bariéty Jacques, « La délégation diplomatique et la mission militaire de la France libre en URSS (juin 1941-décembre 1944) », art. cité, p. 197.
68 MAE, P 2032, Guillaume Georges-Picot, Chef des services civils de la Mission militaire française à Washington, à Monsieur Saint-Hardouin, Secrétaire aux relations extérieures, a/s des activités communistes aux États-Unis, 26 février 1943.
69 MAE, P 1722, quelques aspects de la politique soviétique, Dayet, n. d.
70 SHD-DAA, Z 35857/2, relations franco-américaines, 18 février 1943.
71 MAE, P 1722, CNF, télég, 24 mai 1943.
72 MAE, P 2032, Guillaume Georges-Picot, chef des services civils de la mission militaire française à Washington, à Monsieur Saint-Hardouin, secrétaire aux relations extérieures, a/s des activités communistes aux États-Unis, 26 février 1943.
73 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, de l’appel du 18 juin à la Libération, Paris, Gallimard, 1998, p. 444.
74 Ordioni Pierre, Le secret de Darlan (1940-1942) : le complot, le meurtre, Paris, Albatros. 1986, p. 291.
75 Jansen Sabine, Pierre Cot, op. cit., p. 374.
76 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 127.
77 Narinski Mikhaïl, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942-1944) », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 234.
78 MAE, P 1722, déclaration de Bogomolov, 16 février 1942.
79 MAE, P 1722, telég, Garreau, 9 août 1942.
80 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 118.
81 SHD-DAA, Z 35857/2, compte rendu du déjeuner du 16 février 1943 avec la mission militaire soviétique.
82 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 118.
83 MAE, P 2139, télég. Mission française Kuibychev, 16 mai 1943.
84 SHD-DAA, Z 25249, Le Général Valin à Combat France-Alger, 8 juin 1943.
85 SHD-DAA, Z 35857/2, compte rendu du déjeuner du 16 février 1943 avec la mission militaire soviétique.
86 MAE, P 1749, Lettre Mirlès au général Valin, 25 octobre 1942.
87 Carnets Petit.
88 SHD-DAA, Z 35857/2, lettre du général Petit au général de Gaulle, 13 janvier 1943 ; télég. MMF pour EMP et Air, 21 janvier 1943.
89 SHD-DAA, Z 35857/2, situation et activité. Mission militaire de la FC en URSS, 10 février 1943.
90 MAE, P 1749, télég. MF Kuibyshev, 21 janvier 1943.
91 Les Carnets Petit couvrant cette période n’ont pas été conservés.
92 MAE, P 1749, 25 mai 1943, projet.
93 Sur les relations conflictuelles et compliquées entre la délégation et la MMF durant cette période, Bariéty Jacques, « La délégation diplomatique et la mission militaire de la France libre en URSS (juin 1941-décembre 1944) », op. cit., p. 192-202. Cet auteur, qui s’appuie surtout sur les témoignages postérieurs de Mirlesse, surestime le choc des caractères dans les causes de la crise, alors que les conditions matérielles exécrables, les statuts incertains, l’environnement institutionnel et politique d’exception, le problème désastreux des liaisons et les différences d’approches entre diplomates et militaires ont probablement joué un rôle beaucoup plus déterminant.
94 MAE, P 1749, télég. Petit, 6 février 1943.
95 MAE, P 1749, télég. Petit, 25 novembre 1942.
96 Il est probable qu’il se rend très souvent à la mission à partir du printemps 1943 (notice Maîtron), mais les sources de la MMF n’en rendent pas compte.
97 Carnets Petit.
98 Petit rapporte la présence de Mlle Dolorès Thévenot de Villepoix, 75 ans, arrivée en Russie 50 ans auparavant, qui parle mal le français et le russe et qui, selon Petit, « ne comprend rien à rien », mais qui, en juin 1941, « eut l’idée d’instinct de se déclarer “gaulliste”, ce qui lui permit de rester en liberté à Moscou, alors que toutes les autres françaises dans la même situation furent déportées en Sibérie. » Elle est employée comme traductrice par la MMF, plus par charité que pour ses compétences qui sont inexistantes. Annette Lotte, 29 ans, en URSS depuis 1937 à la suite de son mariage avec un Soviétique, est invitée à prendre le thé à la MMF « mais il vaut mieux pour elle que ses visites ne soient pas trop fréquentes » (Carnets Petit).
99 Vidal Georges, « André Marty et l’armée française dans les années 1930. Entre antimilitarisme et défense nationale », dans Boulland Paul, Pennetier Claude et Vaccaro Rossana, André Marty : l’homme, l’affaire, l’archive, op. cit., p. 45-62.
100 Cathala Jean, Sans fleur ni fusil, op. cit., p. 311-312.
101 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », op. cit., p. 127.
102 Vidal Georges, La Grande Illusion, op. cit., p. 139-176.
103 SHD-DAA, Z 35857/2, lettre d’André Marty au commandant Pouyade, 9 août 1943. Ce courrier accompagne une lettre adressée au groupe Normandie par d’anciens combattants français de la guerre d’Espagne, grièvement blessés et placés dans un sanatorium en Mongolie.
104 SHD-DAA, Z 35857/2, organisation du groupe Normandie, 9 février 1943. Le témoignage de Jacques André, qui atteint Toula le 22 décembre 1943, va dans le même sens : « On se fichait éperdument du régime communiste de l’URSS. Nous avions 22-23 ans, nous avions appris un métier, nous étions suffisamment motivés pour ne pas avoir envie de rester à ne rien faire […] On nous offrait l’action, on ne pouvait que dire oui » (Jacques André, « Cette fois je n’étais plus spectateur », Icare, no 64, p. 134).
105 SHD-DAA, Z 35857/2, Eichenbaum Igor, « Un ancien de Normandie-Niemen face aux volontaires de Saint-Loup », La Voix de la Résistance, no 87, février 1964.
106 Ferry Vital, Aviation Populaire ou aviation prolétaire, Paris, Le Gerfaut, 2007, 199 p.
107 Baldini Charles, « Les pilotes de chasse de la France libre : portraits et spécificités », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2013/4 (no 252), p. 81-93. L’auteur fournit une estimation de 23,3 % de pilotes des FAFL passés par l’Aviation populaire.
108 Inscrit sur la liste des volontaires de février 1942, il disparaîtra en mer au cours du débarquement de Dieppe au mois d’août suivant.
109 La presse communiste accorde une place importante à l’aéronautique et, en 1936, le PCF soutient ostensiblement le lancement de l’Aviation populaire, incitant les jeunes ouvriers à s’engager dans une carrière d’aviateurs militaires.
110 Charles Baldini donnent l’estimation de 2,5 % des FFL se réclamant du communisme, mais les autres sensibilités de gauche ne sont pas mentionnées (Baldini Charles, « Les pilotes de chasse de la France libre : portraits et spécificités », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2013/4 [no 252], p. 81-93).
111 Il reste toutefois fidèle au catholicisme puisqu’il lui arrive d’assister à la messe célébrée régulièrement dans les locaux de la MMF.
112 Dans ses Mémoires, il critique volontiers le communisme et le régime soviétique.
113 En 1944, Roger Penverne mentionne un rappel à l’ordre suite à la plainte du général Zakharov pour des propos antisoviétiques tenus par des pilotes (Gaudart Maryvonne et René, Pilotes du Normandie-Niemen [d’après le journal de Roger Penverne dans l’Armée Rouge], Paris, Éditions JPO, 2016, p. 150).
114 SHD-DAA, Z 35857/2, Biographie d’Albert Mirlesse, non daté.
115 SHD-DAA, Z 35857/2, organisation du groupe Normandie, 9 février 1943.
116 SHD-DAA, Z 35857/2, biographie d’Albert Mirlesse, non daté.
117 SHD-DAA, G 8010, télég. général Petit au général de Gaulle, 21 mars 1943 ; SHD-DAA, G 8010, Le Général Valin à la Direction de l’intendance des FFL, 21 avril 1943 ; SHD-DAA, G 8010, télég. général Petit au général de Gaulle, 14 mai 1943.
118 SHD-DAA, Z 35857/2, commandant Tulasne au général Petit, 6 juillet 1943.
119 SHD-DAA, Z 25249, télég. général Petit à EMP et Air, 8 juin 1943.
120 De nombreuses notes d’échange de renseignements au cours de cette période ont été conservées (MAE, P 1722).
121 MAE, P 1722, télég. MF, Kuibyshev, réponse du Commissariat aux Affaires étrangères sur question Alsaciens-Lorrains, 25 mars 1943.
122 MAE, P 1722, lettre à Bogomolov sur Alsaciens-Lorrains, 7 avril 1943.
123 MAE, P 1722, commissariat national à l’Intérieur, note, 15 avril 1943.
124 Moullec Gaël, « Alliés ou ennemis ? Le GUPVI-NKVD, le Komintern et les « Malgré-nous ». Le destin des prisonniers de guerre français en URSS (1942-1955). », Cahiers du monde russe, 42/2-4.
125 SHD-DAA, Z 35857/2, MM – Moscou à EMP et Commissariat, 9 janvier 1943 ; G 8010, télég. du général Petit au général de Gaulle, CR inspection à la base aérienne d’Ivanovo, 22 mars 1943.
126 Eyrard Jean-Paul, « Un ennemi du général de Gaulle au temps de la France libre : le capitaine de vaisseau Raymond Moullec », Revue historique des armées, 270, 2013, p. 79-92.
127 Cette impression découle de la comparaison des sources, mais il est possible que les documents de synthèse de la FL, émanant de la MMF ou du BCRA et concernant cette question, n’aient pas été conservés.
128 MAE, P 2032, direction des services de renseignement et sécurité militaire, note sur la situation en Russie au 9 novembre 1942, 1er décembre 1942.
129 MAE, P 2032, direction des services de renseignement et des services de sécurité militaire, SR guerre, renseignement, source très sûre, valeur B/2, fin avril 1943 ; Commandement civil et militaire, Secrétariat des relations extérieures, note a/s de l’éventualité d’une paix séparée germano-russe, 7 mai 1943.
130 MAE, P 2131, position politique de la Turquie, avril 1943.
131 MAE, P 2032, télég. général Giraud à Joseph Staline, 4 janvier 1943.
132 MAE, P 2032, télég. de Londres pour Massigli, 19 juin 1943. Massigli fait lourdement remarquer que les dirigeants soviétiques « sont fixés sur l’attitude de de Gaulle à leur égard », soulignant ainsi leur mécontentement face au silence de Giraud.
133 MAE, P 2032, télég., 22 juin 1943.
134 Georges, général d’armée, commandant en chef du front du Nord-Est durant la drôle de guerre, est le plus haut gradé en Afrique du Nord et il fait figure de numéro deux du pouvoir giraudiste.
135 MAE, P 2034, examen général d’un projet de liaison, non daté. Ce texte a peut être été rédigé par Joseph Crozat, désigné pour faire partie de la mission de liaison, puisqu’il figure dans un dossier au nom de cet officier. Au vu de son contenu, on peut le dater de décembre 1942 ou janvier 1943.
136 (Souligné par l’auteur du document).
137 (Souligné par l’auteur du document).
138 MAE, P 2032, télég. du général Bouscat à Commandant en chef français civil et militaire, 27 mai 1943. Bouscat conclut : « Je me permets d’insister sur cette observation relative au discours du général Giraud. »
139 Feldzer Constantin, On y va ! Un pilote de Normandie raconte, Boulogne, Axis, 1987, p. 269.
140 Muracciole Jean-François, « La France Libre et la lutte armée » dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 159.
141 Jean-Louis Crémieux-Brilhac souligne qu’au sein de la France libre, l’apolitisme est longtemps dominant et que les officiers sont majoritairement de droite, souvent antisémites, attribuant la défaite au Front populaire, voire au régime parlementaire. Ainsi, Leclerc confie son émotion à de Gaulle, car Cassin aurait défilé en 1936 le poing levé (Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 195).
142 L’influence nouvelle des socialistes est d’ailleurs bien perçue dès cette époque par la direction du PCF qui les considère comme les éléments les plus anticommunistes dans la Résistance et à Londres (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, lettre du 1er juin 1943).
143 L’Afrique du Nord devient alors pour le PCF une importante base d’action politique à la suite de la libération progressive à partir de février des 3200 détenus communistes, parlementaires, cadres et militants, qui avaient été déportés en Algérie dans la période 1940-1941.
144 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 118.
145 Ibid., p. 119.
146 Cet intérêt pour la France libre sous l’angle militaire est corroboré par le témoignage du général de Boissieu qui rapporte que, début juillet 1941 Raymond Guyot rendant visite aux officiers français, leur déclare qu’il souhaiterait rejoindre les FFL (Boissieu Alain de, Pour combattre avec de Gaulle (1940-1945), Paris, Plon, 1981, p. 114).
147 MAE, P 1722, télég. sur Thorez, Marty, 16 juillet 1941.
148 Narinski Mikhaïl, « L’URSS, le Komintern et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 362.
149 L’origine de la décision des premiers attentats est controversée : vient-elle de la direction du PCF ou des groupes parisiens des Jeunesses communistes ? (Bourderon Roger, « Le PCF dans la lutte armée », op. cit.). Il est en tout cas certain que Moscou désapprouve les attentats.
150 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 247. Ce point de vue n’est pas isolé. En juin 1942, le colonel Rémy estime que les résultats des attentats contre les Allemands sont « précieux » et, à cette époque, il conseille à ses interlocuteurs communistes d’abattre aussi des collaborateurs (SHD-DAT, GR 28 P3 195, propositions sur la campagne à mener pour la préparation à l’action, 22 juin 1942).
151 Muracciole Jean-François, « La France Libre et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 161.
152 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 341.
153 Rémy (colonel), Mémoires d’un agent secret de la France libre, Paris, Éditions France-Empire, 1959, p. 204. Cette citation fournit un résumé fidèle de l’appréciation qu’en 1942, Rémy porte sur les communistes et plus largement sur les ouvriers, « au premier rang de la résistance […] [qui] ont constamment fait preuve d’un esprit d’abnégation et d’un courage admirables » (SHD-DAT, GR 28 P3 195, propositions sur la campagne à mener pour la préparation à l’action, 22 juin 1942).
154 Passy (colonel), Mémoires du chef des services secrets de la France libre, éd. Odile Jacob, 2000, p. 493.
155 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 145-146.
156 Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, Paris, Fayard, 1997, p. 158.
157 MAE, P 1749, entretien entre Maïski et Dejean, 12 janvier 1942.
158 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 369-375.
159 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Georges Boris, trente ans d’influence : Blum, de Gaulle, Mendès France, Paris, Gallimard, 2010, p. 147. Dès cette époque de Gaulle entame prudemment la mutation démocratique de la FL puisque le 15 novembre, dans un discours aux Français de Grande-Bretagne, il déclare : « Notre volonté est de rester fidèle aux principes démocratiques […] qui sont l’enjeu de cette guerre pour la vie et la mort » (Ibid., p. 151).
160 En janvier 1942, Maïsky avait incité de Gaulle à définir et publier un programme démocratique. Il lui avait alors répondu : « Chaque chose en son temps. »
161 Muracciole Jean-François, « La France Libre et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 163.
162 Ibid., p. 164.
163 Dans son ouvrage sur le BCRA, Sébastien Albertelli ne traite d’ailleurs pas la question communiste en tant que telle.
164 MAE, P 1722, Aperçu sur la situation politique en Russie, février 1942.
165 Curieusement, cette formulation sous-entend qu’avant juin 1940, le Komintern accordait peu d’importance à la France et y limitait son action.
166 Ibid. ; MAE, P 1788, information, non daté (probablement été 1942).
167 Vidal Georges, L’Armée française et l’ennemi intérieur, op. cit., p. 69-124.
168 Cordier Daniel, Jean Moulin. La République des catacombes, Paris, Gallimard, 1999, p. 273.
169 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 512.
170 Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 180-186.
171 Cordier Daniel, Jean Moulin. La République des catacombes, op. cit., p. 274-276.
172 Si le PCF cherche à faire apparaître ses organisations, le Front national et les FTP, comme les seules forces représentatives de la résistance en métropole ayant vocation d’organiser tous les patriotes, les communistes ne refusent pas les contacts et rapprochements avec les autres mouvements de résistance. Les situations varient d’ailleurs beaucoup selon les conditions locales.
173 Arzakanian Marina, « De Gaulle et le gaullisme vus par le Komintern », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 128.
174 Narinski Mikhaïl, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942-1944) », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 232-233.
175 Ibid.
176 GR 28 P3 195, parti communiste, 8 novembre 1942. Ce document, dont Jean Moulin semble être l’auteur, rapporte que les dirigeants communistes estiment la fin de la guerre assez proche et veulent donc intensifier l’action.
177 Le débarquement en Europe est attendu pour le printemps 1943.
178 Ibid., p. 232.
179 Rémy a-t-il délibérément désobéi ? Étant donné la difficulté des liaisons avec Londres et les conditions de la clandestinité, on ne peut l’affirmer. On constate d’ailleurs que bien souvent les agents du BCRA prennent des initiatives qui excèdent le cadre fixé à leur mission, y compris des dirigeants, tels Passy et Brossolette lors de leur mission en métropole.
180 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 515. Créée le 13 juillet 1942 à Londres, la France combattante regroupe la France libre et les forces de la résistance intérieure.
181 L’Humanité, 14 juin 1990, [http://www.humanite.fr/node/6674], 2015. Cette corrélation étroite entre le vif intérêt pour le PCF et le problème Giraud est confirmée par le témoignage de Jean-Louis Crémieux-Brilhac (Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 514-515).
182 Passy (colonel), Mémoires du chef des services secrets de la France libre, op. cit., p. 494.
183 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 515.
184 Sur la stratégie politique du PCF fin 1942-fin 1943, Courtois Stéphane, Lazar Marc, Histoire du Parti communiste français, op. cit., p. 188-194. En janvier 1943, la direction des FTP informe le BCRA qu’il dispose de 50 000 combattants et qu’il peut mobiliser immédiatement 25 000 volontaires supplémentaires (Liaigre Franck, Les FTP, op. cit., note 77, p. 329). Ces chiffres largement surestimés sont probablement pris très au sérieux par le BCRA puisque la FL, comme d’ailleurs le SOE, surévalue dans cette période les effectifs communistes en France.
185 Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., p. 363-364.
186 Narinski Mikhaïl, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942-1944) », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 234.
187 Pour Vichy, la présence de Grenier à Londres montre que le PCF veut soutenir de Gaulle « par tous les moyens » (SHD-DAT, 28P1 22, France politique, note sur les menées antinationales, 1er mai 1943). Cette interprétation est probablement assez générale chez les alliés et justifie les critiques de Moscou.
188 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 12 juin 1944.
189 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, Voyage en ZS du 24 au 26 mai 1943. Dans ce document, la direction communiste mentionne l’éviction politique de Giraud comme l’objectif à atteindre en accord avec les autres mouvements de résistance.
190 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, copie de rapport, non daté (probablement fin mars ou début avril) ; lettres du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, réunion du comité de coordination du 24 mai 1943 (non signé, rédigé probablement par Pierre Villon).
191 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 18 juillet 1943.
192 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 146.
193 Dès son arrivée à Alger, de Gaulle insiste auprès des Anglo-Saxons sur le danger communiste dans la France de l’après-guerre et il leur affirme qu’il sera le seul à être « capable de le contenir ». Est-il alors sincère tout en étant indubitablement tacticien ? (Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 621).
194 Passy (colonel André Dewavrin), Missions secrètes en France (novembre 1942-juin 1943), Paris, Plon, 1951, p. 581.
195 Bouscat René, De Gaulle – Giraud, dossier d’une mission, Flammarion, 1967, p. 109.
196 MAE, P 2032, télég. France Libre à LibFrance Washington, 24 mai 1943.
197 Girard de Charbonnières Guy de, Le Duel Giraud-de Gaulle, Paris, Plon, 1984, p. 26.
198 Au cours de l’année 1943, dans les milieux dirigeants américains de Gaulle n’est plus guère accusé d’être fasciste, mais souvent qualifié de communiste. Un rapport de l’OSS va d’ailleurs dans ce sens (Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 515).
199 SHD-DAA, Z 35857/2, relations franco-américaines, 18 février 1943. Il s’agit du compte rendu par Albert Mirlesse de ses entretiens avec plusieurs personnalités américaines, dont Loy Handerson, chef de la section moyen orientale du State Department.
200 Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., t. 2, p. 46. Sur les relations Churchill-de Gaulle, Michael Foot, Des anglais dans la résistance. Le Service Secret Britannique d’Action (SOE) en France 1940-1944, Paris, Tallandier, 2008, 799 p.
201 Duroselle Jean-Baptiste, l’Abîme 1939-1944, Paris, Imprimerie nationale, 1986, 615 p.
202 Girard de Charbonnières Guy de, Le Duel Giraud-de Gaulle, op. cit., p. 26.
203 MAE, P 1722, déjeuner entre le général de Gaulle et Maïski, 27 janvier 1942. Ce point de vue n’est pas momentané, ni seulement personnel, puisqu’il est repris par le service politique de la FC dans une période où le PCF connaît un regain d’influence (SHD-DAT, 28P1 22, France politique, note sur les menées antinationales, 1er mai 1943). À la même époque, on trouve la même appréciation chez les dirigeants de Combat (SHD-DAT, GR 28 P3 195, France politique, CE, Combat et le communisme, signé Romain [Claude Bourdet] ; 28P1 22, France politique, note sur les menées antinationales, 1er mai 1943 [document transmis à la FC]). Une longue note émanant de la police de Vichy fait la même analyse à cette époque (SHD-DAT, 28P1 22, France politique, note sur les menées antinationales, 1er mai 1943).
204 Ordioni Pierre, Le secret de Darlan, op. cit., p. 291.
205 Belot Robert, « La résistance française non-communiste et l’image de l’URSS », op. cit., p. 260.
206 Ibid., p. 262.
207 SHD-DAT, GR 28 P3 195, France politique, CE, Combat et le communisme, signé Romain. Robert Belot estime que ce document date de mars 1943.
208 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, 25 mai 1943. Ce document d’origine incertaine prévoit une insurrection communiste selon un schéma proche de celui de la note Voiriot de 1932.
209 SHD-DAT, 28P1 87, France politique, communisme – mesures prévues pour le combattre, 11 mai 1943 (origine du document AJAX, réseau du BCRA). Il faut toutefois noter que l’auteur estime que PCF ne prévoit pas une prise insurrectionnelle du pouvoir à la Libération, car la majorité de la population est hostile au communisme. Il compte plutôt sur « la confusion » de l’après-libération pour faire « un coup d’État ».
210 SHD-DAT, 28P1 87, parti communiste, 14 avril 1943. La représentation de l’insurrection comme le produit d’un complot conduit selon des plans secrets et appliqué selon des techniques terroristes montre que le régime de Vichy redoute le communisme selon des conceptions qui sont pour l’essentiel héritées de l’entre-deux-guerres.
211 SHD-DAT, GR 28 P3 195, France politique, CE, Combat et le communisme, signé Romain.
212 SHD-DAT, 28P1 87, note sans en-tête, 29 avril 1943.
213 Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 304.
214 Les Carnets de Rivet ne contiennent aucune référence au maintien de l’ordre durant cette période.
215 MAE, P 2131, mémento-guide de l’officier SM en temps de guerre, non daté.
216 MAE, P 2131, direction générale des services de renseignements et de sécurité militaire, service du CE, note de service, 11 mai 1943.
217 SHD-DAT, 28P1 87, Fernand Grenier, rapport no 5 au comité central, 2 avril 1943.
218 SHD-DAT, 28P1 87, Fernand Grenier, rapport no 5 au comité central, 2 avril 1943. La lenteur du courrier et les préparatifs d’une liaison radio sont encore évoqués dans un document d’août 1944 (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, 6 août 1944, signé B).
219 En avril, les communistes négocient avec Combat, qui compte parmi ses dirigeants René Capitant et le futur général Tubert, la création de la France combattante en Algérie dont Waldeck-Rochet est le secrétaire général adjoint. À ce stade, il s’agit davantage d’un regroupement politique « gaulliste » que de la création d’une antenne de la FC à Alger.
220 SHD-DAT, 28P1 87, Fernand Grenier, rapport no 5 au comité central, 2 avril 1943.
221 Bonte Florimond, Le Chemin de l’honneur, Paris, Éditions Hier et Aujourd’hui, 1949, 478 p.
222 GR 28 P3 195, Lettre à Grenier, 16 mai 1943. Cette demande n’est pas datée, mais semble relativement récente au vu du contenu du document. Henri Pourtalet est encore emprisonné en Espagne et Giraud ignore que la direction du PCF l’a délégué à Alger en janvier.
223 MAE, fonds Hoppenot, d. 11a, désertions de marins, 16 mars 1943. Début 1943, la composition de la MMF aux États-Unis est le résultat d’un compromis entre de Gaulle et Giraud : le général Béthouard a été nommé chef de la mission par Giraud, tandis que Hoppenot, qui avait rallié la FC, assurait la direction de la branche civile.
224 Par ailleurs, des communistes non-emprisonnés s’engagent à la même époque dans les FFL, tels Adolphe Pollastrini, volontaire pour le régiment de marche du Tchad ; Jean Abbadie, instituteur à Niamey ; Pierre Lévy, installé à Casablanca et agent du SR gaulliste à partir de janvier 1941, mais, menacé d’arrestation, il parvient à s’engager dans les FFL. Le cas d’Aimé Carlier est similaire : résistant, menacé d’arrestation, il gagne l’Algérie avant novembre 1942, puis rejoindra les FFL.
225 Dronne Raymond, Carnets de route d’un croisé de la France libre, Paris, Éditions France Empire, Paris, 1984, p. 248. Sur la trajectoire militaire de Putz de 1942 à 1944, Mesquida Evelyn, La Nueve, 24 août 1944 : ces Républicains espagnols qui ont libéré Paris, Paris, Le Cherche Midi, 2011 ; DBMOF, [http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article158073], 2017, notice PUTZ Joseph par Daniel Grason.
226 Vidal Georges, « Violence et politique dans la France des années 1930 : le cas de l’autodéfense communiste », Revue historique, 2006/4 (no 640), p. 901-922.
227 DBMOF, [http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article157891], 2018, notice Larribère Camille, par René Gallissot. Cette notice, qui manque de clarté et de précision, passe rapidement sur cet épisode. La deuxième mission de Larribère en janvier 1944 n’est d’ailleurs pas évoquée. Il est probable qu’il y ait confusion dans les Mémoires de Duclos avec la mission de 1944 qui, elle, est établie par plusieurs témoignages incontestables.
228 Sur la période de la résistance et de la Libération en Corse, cf. Pellegrinetti Jean-Paul, Rovere Ange, La Corse et la République, Paris, Seuil 2004. Colonna d’Istria dira plus tard que le contrôle du Front national par les communistes « n’était pas son problème ».
229 Témoignage du général Colonna d’Istria, [http://www.resistance-corse.asso.fr/fr/histoire/histoire-de-la-resistance/dossiers/propos-de/], 2018.
230 Rapport du 25 octobre 1941 (cité par Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 246).
231 Les meilleures synthèses sur la question : Narinski Mikhaïl, « L’URSS, le Komintern et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit. ; Wolikow Serge, « Les communistes face à la lutte armée », ibid. ; Bourderon Roger, « Le PCF dans la lutte armée », ibid.
232 Vidal Georges, « Violence et politique dans la France des années 1930 : le cas de l’autodéfense communiste », art. cité, p. 901-922.
233 Bourderon Roger, « Le PCF dans la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 130-131. L’origine des attentats est floue, puisqu’il n’existe aucune preuve formelle que la direction parisienne du PCF ait ordonné ces actions. Ces attentats résultent-ils d’une application extensive des directives du Komintern du 9 août ? La confusion de cette période, les témoignages contradictoires et l’insuffisance des sources ne permettent pas de trancher.
234 À l’occasion du 1er mai, la direction du Komintern lance comme mot d’ordre : « L’année 1942 doit devenir l’année de l’écrasement du fascisme hitlérien. » Le 7 juin, Dimitrov confirme la ligne d’intensification de la lutte armée et affirme : « Maintenant, nous pouvons dire : l’offensive printanière de Hitler a échoué ».
235 De Gaulle utilise l’expression dans son discours du 14 avril 1942.
236 SHD-DAT, 28P1 87, André Marty, note sur la position actuelle du Parti communiste français, novembre 1942.
237 En mai, la direction des FTP souligne l’insuffisance des effectifs et demande que 10 % des membres du PCF soient versés dans les FTP.
238 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 14 avril 1943.
239 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, copie de rapport, non daté (probablement fin mars-début avril) ; 6 juin 1943 (signé Beaufils, alias Marceau). L’OMA adopte la même attitude vis-à-vis de l’AS.
240 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, Texte 1er juin 1943.
241 Bourderon Roger, « Le PCF dans la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 139.
242 Narinski Mikhaïl, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942-1944) », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 235.
243 SHD-DAT, 28P1 87, lettre à Grenier, 16 mai 1943.
244 Les renseignements ne proviennent pas seulement de métropole, car la correspondance entre Grenier et la direction du PCF est connue du BCRA, un certain nombre de ces documents étant conservés dans les archives des services spéciaux (SHD-DAT, GR 28P1 22, GR 28 P3 195).
245 SHD-DAT, 28P1 22, France politique, note sur les menées antinationales, 1er mai 1943 (document récupéré à Vichy).
246 Ibid. ; SHD-DAT, 28P1 87, France politique, communisme – mesures prévues pour le combattre, 11 mai 1943. Franck Liaigre signale un rapport d’un informateur du BCRA, membre du PCF, qui va dans ce sens (Liaigre Franck, Les FTP, Nouvelle histoire d’une résistance, Paris, Perrin, 2015, p. 67).
247 SHD-DAT, 28P1 22, France politique, note sur les menées antinationales, 1er mai 1943.
248 Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle, op. cit., p. 282-289.
249 Bachelier Christian, « L’Organisation de résistance de l’Armée et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 116-117.
250 Ibid., p. 118-119.
251 Sur ces négociations prometteuses et leur échec final, le rapport du capitaine Peynaud est d’un très grand intérêt [https://x-resistance.pagesperso-orange.fr/fondsxr/Peynaud.pdf], 2017.
252 La chronologie et la teneur de ces contacts sont floues.
253 Ibid., p. 124.
254 SHD-DAT, 1K 233, rapport du général Laffargue sur l’activité militaire dans la zone alpine de la 14e région du 27 novembre 1942 au 20 décembre 1943. Ce rapport non daté a probablement été rédigé après la Libération à partir de notes prises dans la période considérée.
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