Chapitre VII. Défendre la Californie
p. 221-256
Texte intégral
1Jusque-là, nous avons montré les liens noués entre la Californie et le reste du Mexique, dans le but de montrer que ce territoire était partie prenante, avec ses particularités, et en en partageant les difficultés, de ce qui s’y construisait alors comme entité politique. Il nous faut désormais, en ce dernier chapitre, nous interroger sur ce qui représente la fin de cette Californie mexicaine, la guerre entre États-Unis et Mexique et l’annexion de la Californie aux États-Unis qui en résulte. Ce chapitre n’a pas pour ambition de faire la généalogie de cette guerre, ni d’ailleurs d’en faire le récit, mais de comprendre les choix et les priorités des Californiens dans ce contexte perçu comme dangereux et incertain1. Une histoire locale, depuis les sociétés et territoires annexés, permet de déjouer le discours de la « destinée manifeste » et de rappeler que n’adopter, en la matière, que la perspective d’une guerre entre nations masque le rôle important des sociétés amérindiennes, non seulement dans la vulnérabilité du Nord mexicain mais aussi dans la construction même de l’attachement national.
Un sentiment d’insécurité accentué
2Si les problématiques de défense avaient toujours été de première importance pour le territoire de frontière qu’était la Californie, la question de la sécurité des colons, de leur famille et de leur travail prend une acuité nouvelle à partir de 1840. À des dangers connus succèdent des menaces qui le sont moins et contribuent à rendre l’avenir plus incertain.
« Une ligne continue de chariots depuis les États-Unis jusqu’à ce département »
3Si les raids amérindiens et les bandes mixtes de Chaguanosos préoccupent les autorités au tournant des années 1840 (voir chapitre précédent), très rapidement une autre source d’inquiétude apparaît avec l’arrivée de convois d’immigrants organisés explicitement pour venir s’installer en Haute-Californie mexicaine et qui dans un contexte de montée des tensions entre États-Unis et Mexique au Texas semblent pointer vers un sort comparable. Si les chiffres restent modestes (quelques centaines), ils doivent être comparés à la population californienne de colons, estimée à une dizaine de milliers, et à l’intention de ces compagnies2.
4L’arrestation d’Isaac Graham et d’autres étrangers en situation irrégulière en 1840 joue un rôle significatif dans l’évolution de la situation, même si elle s’inscrit dans un contexte plus général de tensions internationales dans la région. Cette « affaire Graham » s’est résolue, comme on l’a vu, après une crise diplomatique, par un désaveu de l’arrestation, notamment du fait de l’intervention de Thomas J. Farnham, un avocat qui se trouvait être en Haute-Californie au même moment. Cet homme n’était pas simplement mu par une volonté professionnelle de défendre ses compatriotes contre une arrestation abusive, mais sa présence s’inscrivait dans une trajectoire déjà très investie dans la défense des intérêts étatsuniens et dans une perspective expansionniste. Convaincu par la conférence d’un missionnaire épiscopalien de l’Oregon en tournée dans le Midwest, il avait pris la tête d’une société d’émigration dans le but avoué de contribuer à y submerger les Britanniques, après le récit des brimades de la Hudson Bay Company aux colons et missionnaires étatsuniens en ces temps d’occupation conjointe. Resté peu de temps sur place, il était rapidement rentré à l’est pour faire parvenir au gouvernement des États-Unis une pétition des colons demandant la protection fédérale. Parcourant un itinéraire classique pour l’époque, et profitant de la circulation des bateaux sur celui-ci, depuis l’Oregon il gagna les îles Sandwich puis Monterey. Non seulement joua-t-il un rôle important pour obtenir la libération de Graham et des autres prisonniers en les suivant au Mexique, mais encore le récit qu’il publia en 1844 contribua-t-il à façonner l’idée d’une Californie à la fois désirable et occupée par une nationalité méprisable (en des termes souvent racialisés). Ses premiers livres sur son voyage en Oregon, publiés en 1842-1843 avaient déjà gagné un public de l’Ouest avide de nouvelles sur les potentialités de la région au-delà de la vallée du Mississippi et des Rocheuses, et le livre sur la Californie, de même, à la fois « reflétait et contribuait à la rhétorique expansionniste de son époque3 ».
5La surveillance nouvelle des étrangers que traduit l’arrestation de Graham s’explique, en plus de la situation de tension autour du Texas, par l’annonce en 1840 de l’organisation d’une compagnie d’émigration dans le Missouri, dans le but explicite d’installer des colons, cette fois en Haute-Californie. Cette « Western Emigration Society » comptait cinq cents membres, un nombre suffisant pour inquiéter les autorités mexicaines, qui l’ont appris par les journaux étatsuniens. Elle fut imaginée en 1840 par John Bidwell, jeune homme ayant déjà essayé de s’installer dans plusieurs territoires de l’Ouest mississippien. Dans le Missouri, il entend parler de la Californie, de plus en plus évoquée dans la presse, et surtout décrite et vantée par ceux qui sont désormais plus nombreux à s’y rendre. Le trappeur Antoine Robidoux, que John Bidwell rencontre, est l’un d’entre eux. L’arrestation de Graham, dont la nouvelle se répand notamment par les écrits de Farnham, a d’abord l’effet de limiter les vocations au départ, mais a à terme l’effet inverse de stimuler le nationalisme expansionniste de certains. En état d’arrestation avec Graham, et constatant la situation fragile des Étatsuniens en Californie, John Marsh par exemple cherche à promouvoir une immigration importante de ses compatriotes dans le but d’être « en mesure de nous protéger nous-mêmes4 » et à terme, de créer les conditions d’une demande d’intégration aux États-Unis, et il multiplie à partir de ce moment ses lettres d’incitation à l’immigration, adressées notamment à ses anciens voisins du Missouri, avec une description d’itinéraire (fondé en partie sur les descriptions de l’explorateur Jedediah Smith). Marsh, diplômé de Harvard, était le médecin attitré non seulement des éleveurs autour de son ranch (dans la vallée San Joaquín), mais aussi des cas que Sutter ne pouvait pas traiter à son fort, ainsi que des trappeurs, ce qui lui construit un réseau d’admirateurs et de correspondants bien fourni ; il profite aussi de chaque convoi vers l’est pour y envoyer son courrier.
6Ce type de correspondance incite la formation de compagnies comme celle de Bidwell (qui a sinon lu du moins entendu parler de ces lettres), qui parvient après un long voyage au ranch de Marsh en novembre 1841. Ils sont convoqués par les autorités, mais en l’absence de réels moyens pour les renvoyer et après le désaveu de l’affaire Graham, le commandant de la frontière Vallejo se contente de faire signer une garantie de bonne conduite à leur hôte, qui lui promet que les immigrants sont venus avec des intentions pacifiques. Marsh utilise ensuite le succès de cette première compagnie, venue au moyen de ses conseils, pour en encourager d’autres : une jeune femme a entrepris le voyage avec un enfant en bas âge, par conséquent « tout homme qui hésite à cause des difficultés devrait avoir honte ». Tous les moyens sont bons pour encourager cette immigration et les objectifs en sont explicites : il a reçu « de nombreuses lettres de différentes régions des États-Unis » et il est « confiant qu’une immense émigration va bientôt envahir ce pays » : ainsi « la race anglo-saxonne des hommes qui habitent les États-Unis sont destinés dans peu de temps à l’occuper ». La prophétie autoréalisatrice permettait de donner confiance aux futurs colons tandis que la rhétorique virile et martiale pouvait piquer tout lecteur masculin5.
7Le fort de Sutter et la communauté qu’il commence à grouper autour de lui joue un rôle important dans l’accueil et le développement de cette immigration étatsunienne dans la vallée centrale et le piémont de la Sierra Nevada. D’abord, la Nouvelle-Helvétie est un lieu de travail, bien identifié désormais dans les lieux de sociabilité où s’échangent ces informations sur les emplois, comme les « rendez-vous » des trappeurs dans les Rocheuses ; elle est aussi une étape, voire un point d’arrivée, dans les itinéraires publiés et identifiés, par exemple sur les cartes de John Fremont, ou dans les récits de voyage. La première population de trappeurs et aventuriers avait des pratiques distinctes des étrangers commerçants installés dans les ports, épousant ou partageant leur vie plutôt avec des Amérindiennes qu’avec des Mexicaines-Californiennes, à la mode des coureurs de bois et autres mountain men6. Quant aux colons qu’ils contribuent à faire venir, ceux-là n’ont guère le projet de participer et s’intégrer à un projet mexicain-californien. À mesure que cette communauté se constitue, une véritable organisation d’accueil des nouveaux venus se met en place, si bien qu’on assiste en réalité au développement d’un établissement effectivement relativement autonome, seulement ponctuellement connecté au reste de la Haute-Californie. Par exemple, John Bidwell, une fois installé, se charge d’identifier des terrains pour les futurs arrivants. Sutter s’occupe ensuite de formaliser au minimum leur droit sur la terre7.
8Leur migration s’inscrit dans l’intensification des déplacements vers le grand ouest que l’on observe à partir de la fin des années 1830 et qui a été surnommée « la fièvre de l’Oregon8 ». Celle-ci s’explique par une convergence de facteurs : la spéculation sur les terres dans les années 1830 cause une faim de terres dans l’Ouest au-delà des Appalaches, la Panique (bancaire) de 1837 est à l’origine d’une dépression qui fait baisser le prix des produits agricoles, mettant en difficulté les fermiers et enfin, malgré un président peu volontariste en la matière en la personne de Martin Van Buren, l’activisme d’un « lobby oregonien » depuis Washington et l’ouest mississippien, en particulier à Saint-Louis (Missouri) y supplée, et contribue à encourager la colonisation de l’Oregon pour contester l’occupation conjointe de la région avec les Britanniques9. Cette migration est organisée par des particuliers et des sociétés privées, mais les instances gouvernementales ne sont pas absentes des processus en jeu. Dans la migration vers l’Ouest, la connaissance des itinéraires est clef, et ceux-ci proviennent en partie des explorations financées par le gouvernement fédéral. Après Lewis et Clark et Zebulon Pike dans les années 1803-1806, dans les années 1820, le corps des ingénieurs topographes prend la relève, avec Stephen H. Long (1820) puis Joseph Nicollet (1837-1841) et John Charles Fremont (1842-1846)10. Toutes ces expéditions par ailleurs emploient des trappeurs, voire des Amérindien·ne·s qui connaissent déjà les itinéraires. Le rapport de la première expédition de Fremont (une reconnaissance du South Pass, col de franchissement des montagnes Rocheuses dans l’actuel Wyoming), rédigé avec sa femme Jessie, fille de Thomas Hart Benton, est largement utilisé par les migrants lors de leur voyage vers l’Oregon. La famille Benton, virginienne à l’origine, est devenue une famille de l’ouest et défenseure de ses intérêts : Thomas devient un proche d’Andrew Jackson dans le Tennessee puis s’installe dans le Missouri dont il devient l’un des premiers sénateurs en 1820. Dès cette époque, Benton est convaincu des droits des États-Unis sur l’Oregon et désapprouve la convention de 1818 avec la Grande-Bretagne, qui établit une occupation conjointe. Dans les années 1820, l’Oregon devient plus familier pour le public étatsunien du fait d’une campagne de publications en faveur de l’occupation de ce pays, pour ne pas le laisser entre les mains « d’une population étrangère et corrompue », orchestrée notamment par des enthousiastes et entrepreneurs comme Hall Jackson Kelley ou Nathaniel Wyeth. Benton devient à cette époque l’un des promoteurs les plus importants du développement des États-Unis vers l’ouest, et souhaite encourager l’émigration des Étatsuniens vers l’Oregon11. C’est lui qui suggère à son gendre Fremont de donner à son rapport la forme d’un guide de voyage et d’y intégrer une série de cartes précises12. Le Sénat demande son impression en mille exemplaires, et le rapport est un succès, dont de longs extraits sont également publiés dans les journaux13. Il contribue ainsi à nourrir l’intérêt des migrants pour l’Ouest au-delà du Mississippi, déjà éveillé par les romans de James Fenimore Cooper14, en donnant des éléments concrets pour s’y rendre et en infirmant l’idée des explorateurs Pike et Long qu’il ne s’agit que d’un « grand désert américain » dans les vallées du Haut-Missouri et de la rivière Platte. La fièvre de l’Oregon n’est pas une maladie, un phénomène naturel ou spontané, elle a été largement encouragée et provoquée.
9Si la plupart des migrants de la fièvre de l’Oregon vont effectivement en Oregon, les effets de la correspondance de John Marsh ou les allers-retours de certains membres des expéditions précédentes font que certains bifurquent vers la Haute-Californie, en particulier après la deuxième expédition de Fremont. Ce sont les sénateurs oregonistes Benton et Linn (et le succès du premier rapport) qui de nouveau poussent la deuxième expédition de Fremont en 1843, avec pour but de trouver un col plus au sud dans les Rocheuses et d’explorer le territoire au sud de la rivière Columbia. Or Fremont ne se limite pas à l’Oregon et poursuit son exploration vers la Sierra Nevada californienne, et arrive jusqu’en Nouvelle-Helvétie en mars 1844. Il y est bien accueilli par Sutter et constate de lui-même la faiblesse du contrôle mexicain sur la région. Un nouveau rapport est publié et contribue encore à l’entretien de l’émigration et son soutien dans l’opinion. Mais c’est avant même sa publication que la première compagnie en chariots part pour la Haute-Californie, menée par Elisha Stevens et composée en grande partie d’Irlandais catholiques, attirés par la Californie pour cette raison.
10Dans le contexte postérieur à l’affaire Graham, le commandant Vallejo est relativement impuissant face à ces arrivées massives quoiqu’annoncées. Il fonde ses espoirs sur l’arrivée prochaine d’un nouveau commandant général, qui cumulera aussi les fonctions de gouverneur civil, et des forces armées qui doivent l’accompagner pour défendre correctement la province. Le gouverneur arrive en quelque sorte à point, au moment même où le commodore à la tête de la flotte des États-Unis dans le Pacifique s’empare de Monterey, pensant à tort que la guerre a été déclarée contre le Mexique.
L’échec d’une défense mexicaine
11Le nouveau gouverneur, Manuel Micheltorena, est doté de pouvoirs étendus et d’une force armée d’environ 300 soldats, dans l’espoir de mieux défendre le département. Il n’a nulle peine à se faire rendre Monterey, une fois que le commodore est convaincu de son erreur et à se faire reconnaître comme gouverneur par les autorités locales. Néanmoins, il est clair que son mandat commence sous des auspices menaçants. Informé des sensibilités de ses nouveaux administrés, et ce malgré ses pouvoirs étendus, il s’efforce de se concilier les habitants les plus influents, même lorsque leur hostilité est visible : le conseil départemental est consulté et les responsables locaux respectés15. Le gouverneur bénéficie du soutien, notamment financier, de la communauté étrangère des commerçants de Monterey16. Sa politique d’attribution des terres est généreuse et il poursuit la tendance de Figueroa et Alvarado dans ce domaine17. Ce sont peut-être ceux du Sud qui sont le plus préoccupés : ils s’inquiètent que le gouverneur favorise les habitants et les intérêts de Monterey, où il réside, alors que la capitale devrait selon eux être Los Angeles18. Mais le principal problème vient de la force armée qui accompagne le gouverneur : le « Bataillon fixe de Californie ». D’abord, loin d’être constitué de professionnels, il est formé pour sa plus grande partie de prisonniers condamnés libérés des prisons pour servir en Californie ; ensuite, malgré les promesses du gouvernement, les fonds pour payer ces soldats n’arrivent jamais19. Rapidement ces soldats, que Micheltorena ne parvient pas à rémunérer, commettent des vols et autres atteintes à l’ordre public si bien qu’ils constituent une population vue comme un danger20. Au-delà de ces rapines, le stationnement des soldats est l’occasion de conflits, notamment à Los Angeles, entre les juridictions civile et militaire21. Ces insultes sont aussi révélatrices de l’accueil réservé aux soldats, pour lesquels le péjoratif de « cholos » est ressuscité, comme il l’avait été dans les années 1820, pour souligner le caractère racialement et socialement inférieur de ces recrues22.
12C’est dans ce contexte que commence une révolte armée le 14 novembre 1844, qui s’achève en février-mars 1845 par la défaite du gouverneur sur le champ de bataille suivie de son départ du département. Pour conduire à cette révolte, d’autres facteurs ont joué au-delà des déprédations des soldats. En apparence, il y a une continuité d’acteurs par rapport à 1836, avec la participation de José Castro, Juan Bautista Alvarado et Mariano G. Vallejo. Mais ces derniers n’en sont pas les initiateurs ni des acteurs majeurs, même si Alvarado est probablement impliqué dans des conversations à ce sujet dès 1844 et leur nom sert, comme en 1836, à mobiliser des partisans23. Ceux du Sud espèrent tirer leur épingle du jeu avec la nomination du senior vocal du conseil comme gouverneur par intérim, à nouveau Pío Pico, l’un des leurs, comme en 1832. Ceux qui mènent l’assaut initial contre Monterey sont souvent plus jeunes et cherchent à trouver les moyens de s’affirmer, à l’image de leurs aînés, et craignent de voir leurs opportunités bloquées par les pouvoirs de Micheltorena sur les nominations. Petit cousin de José Castro, Manuel Castro a été secrétaire de la préfecture en 1842 et son rôle dans la révolution contre Micheltorena lui permet de devenir préfet, et il joue un rôle majeur, comme nous le verrons, pendant la guerre contre les États-Unis24.
13Micheltorena n’est pas la cible initiale des révolutionnaires, qui visent les soldats qu’il a emmenés avec lui. L’opposition ne se concentre sur le gouverneur que lorsqu’il manque au traité conclu après sa première défaite militaire qui stipule que les « cholos » doivent quitter le territoire. La révolte gagne alors tout le Sud à partir du mois de décembre 1844, tandis qu’Alvarado et Castro décident en janvier de s’y replier devant les forces rassemblées par le gouverneur grâce à son alliance avec Sutter et ses troupes de la Nouvelle-Helvétie. En effet, dans ce conflit des Californiens contre leur gouverneur mexicain, Sutter et les Étatsuniens qui gravitent autour de lui choisissent de soutenir le gouverneur, qui a eu une politique plutôt ouverte concernant les étrangers et les attributions de terre, validant d’un bloc toutes les concessions faites par Sutter. De plus, les étrangers et Sutter vouent une haine consommée à Castro et Alvarado, qu’ils identifient à la répression contre eux depuis l’arrestation de Graham. Ce sont eux qui encouragent Micheltorena à ne pas respecter les termes du premier traité avec les Californiens de peur qu’il ne s’agisse d’une ruse pour temporiser25. Quand le conseil départemental, dans le Sud, propose de jouer les arbitres, le gouverneur refuse et poursuit la campagne militaire, qui s’achève sur le champ de bataille par une défaite des troupes de Micheltorena.
14La configuration politique de 1845 est donc distincte de celle de 1836. Bien qu’au départ la rébellion ne se targue pas d’une légitimité institutionnelle ou juridictionnelle au nom de la défense de la constitution, son ambition modérée – se débarrasser des cholos sans remettre en cause le gouverneur – la rupture du traité par celui-ci ainsi que la nature des troupes de Micheltorena (non seulement les cholos mais aussi les étrangers et les Amérindiens de Sutter), enfin le rôle d’arbitre du conseil départemental rendent cette rébellion plus acceptable et moins menaçante pour le gouvernement. Micheltorena est accusé de coopération avec les étrangers, ce qui donne une dimension paradoxalement antipatriotique à son mandat, et par contraste une couleur loyaliste à la révolution. Contrairement à 1836, il n’y a pas de déclaration d’indépendance en 1845 de la part des Californiens. Pour une fois, le triangle gouvernement-député-notables californiens fonctionne : le député Manuel Castañares a prévenu dès le mois de mars 1844 des problèmes posés par les soldats cholos en Californie ; le gouvernement, très occupé par la question texane, a temporisé ; mais au final, c’est probablement l’empathie qu’a réussie à communiquer le député aux ministres – en plus du contexte diplomatique très difficile – qui permet en 1845 que le gouvernement approuve la révolution californienne et confirme le membre le plus ancien du conseil, Pío Pico, comme gouverneur26. Le mandat civil de Pico et le travail du conseil sont l’occasion pour le Sud de prouver leur faculté à gouverner et de participer à la politique mexicaine à la faveur de l’élection présidentielle (vote en août 1845 pour José Joaquín de Herrera contre Valentín Gómez Farías).
15Mais comme le décrit un observateur désabusé, les pratiques de malversation, de clientélisme et de favoritisme reprennent, au moins à Monterey, ainsi que des débordements violents de la part des hommes de Castro. Cette situation est d’autant plus risquée que les biens des étrangers sont menacés et qu’ils « demanderont la protection de leur nation respective pour garantir leurs propriétés », ce qui n’est pas sans risque pour l’intégrité du territoire. Cependant, n’envoyer qu’une expédition militaire est risqué, sans mesures financières et politiques, ou encore des employés publics supplémentaires, ce dont le Mexique n’a pas les moyens27. Des plans d’envergure, inspirés des réflexions précédentes, sont encore mis sur la table, notamment par le député de Haute-Californie Manuel Castañares qui conclut qu’autrement,
« négligée et abandonnée comme elle l’est jusqu’ici, la Californie sera perdue. […] Une puissante nation étrangère va y planter son camp et les départements voisins ne vont pas tarder à en sentir les effets. La Californie entre les mains de son nouveau maître sera pour ses voisins ce que le Bélize est pour le Yucatan. Elle va fleurir, alors que sa graine aujourd’hui gît ignorée dans le sol. Ses mines seront travaillées, ses ports bondés, ses champs cultivés ; puis une population nombreuse et laborieuse va acquérir des propriétés qu’ils défendront de leur sang, ce qui produira pour notre pays tous les effets contraires… Et nous déplorerons en vain les maux qui auraient pu être évités et confesser notre impuissance à supprimer le germe destructeur qui aurait été facile à arracher28 ».
16Les milieux gouvernementaux mexicains sont bien conscients de cette situation mais en cette période extrêmement difficile le ministre a beau autoriser toutes les dépenses pour la Californie, en l’absence des autres mesures, et du fait du manque de ressources globales, c’est un vœu pieu. Castañares refuse d’ailleurs en 1845 une nomination de gouverneur et commandant, n’ayant pas à sa disposition les moyens nécessaires29. Une expédition est prévue dès avril 1845, mais en décembre, alors qu’elle est finalement en route, ses troupes rejoignent une révolution dirigée contre le président Herrera30. D’autres lui succèdent, bien qu’il soit difficile d’en suivre la trace, mais toutes sont plus ou moins interceptées par les troubles dans l’intérieur du Mexique31. On ne saura jamais quelles auraient été les conséquences de l’arrivée d’une telle expédition en Haute-Californie.
17En attendant, la situation y est critique : par leur révolution, les rebelles ont fait partir une force armée dont le but était de défendre la Californie en cas d’invasion alors que le Congrès des États-Unis vote le 29 décembre 1845 en faveur de l’intégration du Texas à l’Union, bien que le Mexique n’ait pas reconnu son indépendance. En janvier 1846, l’explorateur étatsunien John Charles Fremont est de retour avec une soixantaine d’hommes pour une mission d’exploration mais porteuse d’instructions en cas de guerre. En mars, que le général Paredes s’est prononcé contre le gouvernement à la tête de 4 000 hommes, ce qui risque de retarder encore tout secours32. Dans la Californie d’après le départ de Micheltorena, Sud et Nord ne vivent pas ces risques de la même façon : l’immigration d’Étatsuniens dans le Nord ainsi que l’arrivée de Fremont aux alentours de Monterey y rendent urgente et délicate la question de la guerre contre les États-Unis, et les dispositions à aborder vis-à-vis de ses ressortissants, alors que dans le Sud la question de la guerre est plus lointaine, mais les attaques amérindiennes sont une réalité urgente et concrète33. Nord et Sud n’ont dans ce contexte pas les mêmes priorités, notamment concernant l’utilisation des maigres ressources de la douane, ce qui se superpose à une dispute sur la prééminence du pouvoir civil (à Los Angeles) ou militaire (à Monterey).
18En mai 1846, les officiers à Monterey se prononcent en faveur du plan de San Luis Potosi, et reconnaissent le général Paredes, qui s’est soulevé, comme président. Ce geste d’allégeance à un parti de la politique nationale a un double objectif : d’une part, « attirer le regard du patriote qui embrasse la cause nationale vers ce fragment si intéressant du territoire mexicain menacé d’une invasion étrangère, qui a été si délaissé et abandonné par l’administration antérieure », bien que les expéditions pour défendre la Californie aient été précisément interceptées pour mener à bien le pronunciamiento en question ; d’autre part, pour s’opposer à Pío Pico, dont le mandat de gouverneur a été confirmé par le gouvernement de Herrera34. Les notables angeleños finissent par se méfier davantage du commandant Castro que de l’explorateur étatsunien avec sa soixantaine d’hommes35. Leur animosité gagne un tel point que l’assemblée territoriale suspend Castro comme commandant général le 3 juin et autorise le gouverneur « à prendre des mesures pour sauver le pays36 ». Le gouverneur Pico et son entourage sont persuadés que Castro mobilise au nom de la lutte contre Fremont mais en réalité pour le combattre lui37. Mi-juin, Pico est « en route vers le nord pour restaurer l’ordre et sauver le pays », une formulation qui vise moins Fremont et les Nord-Américains que Castro38. Le 21 juin, il déclare encore que Castro a des intentions séditieuses au moment même où, sans qu’il ne le sache encore, un groupe d’immigrants nord-américains vient de s’emparer du fort de Sonoma.
19Dans ces disputes, les étrangers commerçants constituent, selon les mots de Bancroft, un groupe traditionnellement relativement « conservateur », c’est-à-dire qui évite de prendre part à la politique partisane et aux controverses et ne tient pas particulièrement à tirer profit des disputes39. Pour Thomas Larkin, consul des États-Unis et commerçant à Monterey, écrivant au vice-consul Leidesdorff à Yerba Buena « [ces révolutions] ne les regardent pas, mais [son] souhait est qu’ils s’unissent pour aider le pays et régler ses problèmes40 ». Mais dans le Sud, John Coffin Jones, résident de Santa Barbara et ancien consul des États-Unis à Honolulu, se mêle tout à fait aux affaires du pays, et adopte le point de vue favorable au gouverneur Pico, c’est-à-dire en opposition au commandant Castro qu’il accuse de tyrannie41. À vrai dire, les étrangers se gaussent souvent des péripéties politiques californiennes, mais ne se passionnent pas moins pour elles, habitués qu’ils sont à une vie politique étatsunienne elle aussi souvent trépidante, du moins telle que rapportée grâce à la presse. John Everett, un correspondant du consul Larkin, commerçant bostonien habitué de la Californie, ne commente-t-il pas avec gourmandise des événements qu’il imagine à distance : « Ce sont ceux du Nord, je suppose, qui portent la culotte, bien que les Poblanos [les résidents de Los Angeles] aient déclaré qu’ils ne se laisseraient plus embobiner. Quel rôle ont joué là-dedans, s’ils ont participé, Don Abel [Stearns] ou son beau-père [Bandini] ? Peuvent-ils obtenir quelque poste42 ? »
20Au milieu des années 1840, la situation est critique pour les Californiens, qui risquent à tout moment de voir leur travail de développement de la Californie réduit à néant par des attaques ou des prélèvements sur leurs élevages, alors que leurs ressources financières, humaines et matérielles sont à bout. Les soldats envoyés par le Mexique mettent aussi en péril leurs propriétés. Les migrants étatsuniens commencent à arriver par centaines. Les commerçants étrangers soutiennent le gouvernement par des prêts dont ils savent qu’ils seront à peine remboursés par les maigres entrées de douane. Il s’agit pour eux d’un investissement pour une stabilité fragile, afin de pouvoir continuer à commercer sur cette côte. L’échec d’une expédition de Mexico vient signifier qu’il ne faut plus compter sur le gouvernement pour le moment. C’est alors que les Mexicains-Californiens cherchent une solution pour protéger le fruit de leur travail. Sachant que leur pays est convoité par des puissances européennes ou les Nord-Américains en pleine expansion coloniale ou nationale, ils sont tentés, encouragés par l’attitude des consuls de ces puissances en Californie, de trouver meilleur protecteur. Les conflits civils californiens et mexicains ont paru aux contemporains comme aux historiens désolants dans un contexte de menace de guerre. Mais pour les personnes concernées, ils étaient révélateurs de priorités qui défient notre idéalisation d’un attachement national désintéressé.
La recherche d’un gouvernement protecteur
21À l’approche de la guerre, toutes les conditions peuvent sembler réunies pour que la Californie devienne étatsunienne. « C’est un fruit mûr » affirme Thomas Larkin. Pour lui, ce serait la meilleure solution pour tous, vu l’impossibilité pour les Californiens de développer leur pays avec les ressources seules du Mexique. Les choses sont cependant beaucoup plus ouvertes du côté des Californiens. Ceux du Nord se demandent que faire devant l’afflux de migrants « qui devant nous affirment leur intention de rester dans notre pays, et de fonder des exploitations, des ranchos des vignobles, des scieries, etc. ». Si jusqu’alors les commerçants installés dans les ports, souvent mariés dans des familles mexicaines-californiennes notables se sont fait remarquer pour leurs talents d’entrepreneurs et de commerçants, et leur capacité à disposer de liquidités, en 1846, la capacité de ce peuple en général commence à leur paraître inquiétante. José Castro, pour essayer de mobiliser ses compatriotes s’exclame ainsi « qu’il ne serait pas surpris le moins du monde [s’il] les voyait réaliser des escaliers qui atteignent le ciel », de la part d’hommes qui « se considèrent capables de tout, jusqu’à changer la couleur des étoiles43 ». Face à ce diagnostic partagé de la détermination américaine et de la faiblesse mexicaine, trois voies se dessinent pour celles et ceux qui en discutent : l’indépendance, un protectorat européen, l’annexion aux États-Unis44. L’indépendance est souvent le premier choix, mais la plupart reconnaissent que « c’est impossible pour le moment ». Victor Prudon, le secrétaire de Mariano Vallejo, estime qu’il ne faut pas se lancer dans l’entreprise, de peur que « la chute de l’édifice n’entraîne le discrédit des architectes ». Pour José Castro, « il est clair que sans aide étrangère, [ils ne seront] pas maîtres de [leurs] maisons pour longtemps, car il est dans l’ordre des choses humaines que les moins nombreux doivent céder aux plus nombreux ».
22De son côté, Pablo de la Guerra (fils de José de la Guerra) est aussi pessimiste sur la capacité des Californiens à faire la guerre, divisés comme ils le sont, et le commandant général Castro ne bénéficiant pas « de la confiance aveugle indispensable dans une guerre féroce comme celle dont nous sommes menacés45 ». « Nous serons les victimes, prévient-il, si quelque gouvernement puissant ne s’interpose pas en notre faveur. » Il est lui plutôt favorable à un protectorat britannique : n’entend-on pas régulièrement des rumeurs selon lesquelles le gouvernement mexicain a vendu la Californie aux Britanniques pour éponger ses lourdes dettes46 ? Il faut « profiter de la rivalité qui assurément existe entre les États-Unis et l’Angleterre » : « jouons [le consul d’Angleterre] Forbes contre [le consul des États-Unis] Larking [sic47] ! », en espérant que les Britanniques ne laisseront pas les États-Unis annexer la Californie, ce qui était l’espoir de certains concernant le Texas en 1837. Cependant, en 1845, on est à la veille de l’intégration du Texas et du partage de l’Oregon, autant de signes d’une stratégie peu gagnante48.
23D’autres pensent à un protectorat de la France, poussés par certains de ses ressortissants, dont le consul, mais les navires français, qui pourraient damer le pion aux Étatsuniens, restent absents de la côte pendant les mois cruciaux de 1845-1846. Parmi les arguments de ce « parti de la France », le fait que contrairement aux États-Unis et à l’Angleterre, elle est catholique comme eux49. David Spence, d’origine écossaise, tente de rassurer les Californiens à ce sujet : bien que protestante, l’Angleterre « ne délaisse pas ses sujets catholiques, et selon sa constitution [sic] les Catholiques jouissent de privilèges égaux à ceux des Protestants », une nouveauté relative et partielle, acquise dans les décennies précédentes, dans le cadre de la domination anglaise de l’Irlande. Le principal problème d’un protectorat européen cependant est qu’elle redonnerait à la Californie le statut de colonie et aux Californios, celui de sujets, au contraire d’une intégration à la république étatsunienne, défend le pourtant britannique Hartnell : « si la Californie appartient aux États-Unis, chacun aura les mêmes droits et vos enfants pourront atteindre les plus hautes positions s’ils le désirent ». Angustias de la Guerra, sa belle-sœur, est touchée par l’argument50. Mariano Vallejo, d’accord sur ce point, brandit aussi celui de la distance : « avoir des maîtres à quinze mille miles » n’est pas une bonne idée, selon son expérience avec un gouvernement pourtant un peu plus proche51. Ceux qui défendent cette solution sont aussi inspirés par les assurances de Larkin, devenu agent confidentiel des États-Unis en sus de son rôle de consul. Ce dernier indique en effet à ses amis commerçants Jacob Leese (à Yerba Buena), Abel Stearns (à Los Angeles), Jonathan Trumbull Warner (à San Diego) « comment rendre service » aux Californiens. Ces derniers, écrit-il, « regardent vers l’étranger pour des secours et de l’assistance » mais « ceux qui regardent vers l’Europe ne savent rien de la vie d’un colon européen ou de la lourde taxation et imposition dont il souffre ». Il propose ainsi à ses compatriotes de faire profiter aux Californiens de leur propre expérience américaine d’anciens colons britanniques52. Bandini, le beau-père d’Abel Stearns, s’inspire largement du discours de Larkin pour conjurer les Californios d’écouter leur « cœur américain », reprenant un discours fréquent à l’époque et qu’on retrouve dans les formulations de la « doctrine Monroe53 », « leur amour de la liberté, de l’indépendance, le libre exercice de leur religion, la sécurité de leurs personnes et propriétés et de tout ce qui leur est cher ». Bandini comme Larkin proposent ainsi une issue au problème du patriotisme mexicain « qui leur dicte de continuer d’appartenir au Mexique, mais qui s’effrite constamment pour celui qui doit s’occuper de sa ferme et de son bétail », en l’ouvrant sur un « sentiment national qui anime le cœur de tout natif du grand continent américain » : la solution, c’est un patriotisme hémisphérique, conduit par les États-Unis, qui pourrait avoir vocation à intégrer tout le continent dans leurs institutions libres (comme on l’entend dans le discours de la « destinée manifeste »). Les Californiens pourront trouver « seulement aux États-Unis d’Amérique un compagnonnage de sentiments avec ceux qui partagent les mêmes idées et le célèbrent comme un républicain et un citoyen de la terre de la liberté54 ».
24Pablo de la Guerra n’est pas de ceux qui pensent que les États-Unis peuvent devenir de bons protecteurs, car il se fonde non sur les assurances de Larkin, mais sur les faits et sur les actes des nouveaux immigrants. En janvier 1846, l’explorateur Fremont est revenu en Californie, et fait une visite au hameau peuplé de commerçants étrangers, la plupart étatsuniens, de Yerba Buena où vit aussi le vice-consul Leidesdorff. Son séjour est apparemment l’occasion de vives discussions qui sont à l’origine d’une prise de conscience par les Mexicains-Californiens de l’idée de « destinée manifeste » :
« L’idée que ces messieurs se font, c’est que Dieu a fait le monde et les a faits, et que dès lors ce qu’il y a dans le monde est à eux, en tant que fils de Dieu ; et que dans les temps anciens un Prophète leur a annoncé que la Haute-Californie leur était promise et qu’ils l’atteindraient au prix de mille sacrifices55. »
25C’est d’ailleurs pour cette détermination que Prudon penche au contraire en faveur de l’annexion aux États-Unis, afin que, « d’un trait de plume », ils « [transforment] en amis et frères les émigrants industrieux que M. Castro qualifie d’hommes terribles et capables de changer la couleur des étoiles56 ». Pour Bandini, quand bien même les États-Unis ne se montreraient pas protecteurs, dans tous les cas le ralliement est la meilleure stratégie : soit une guerre se déclare, auquel cas les États-Unis annexeront la Californie, ce qui, dit-il, serait une bonne nouvelle, car cela augmenterait la valeur des terres ; soit une puissance européenne viendrait coloniser la Californie, auquel cas les États-Unis ne le toléreraient pas, et viendraient l’occuper. Le premier cas serait bien sûr bien plus favorable aux Californiens, tandis que le deuxième « viendrait semer la guerre et le désastre ».
26Larkin lui-même espère que la guerre survienne, mais loin de la Californie, afin de fournir une occasion aux Californios de se rallier aux États-Unis. Après avoir soutenu financièrement les gouvernements mexicains de la Californie, après avoir probablement intrigué pour affaiblir les Étatsuniens les plus remuants, mais aussi après avoir encouragé le trappeur devenu ranchero John Marsh à décrire au public étatsuniens les avantages de la vie californienne, le consul parie désormais sur la guerre, mais une guerre distante, abstraite, aucun combat ne devant a priori se dérouler sur le sol californien. Pour cela, il supplie ses relais, les autres commerçants « d’empêcher [leurs] compatriotes de heurter les gens du pays57 ». Pour lui, il est donc inutile, même contre-productif de précipiter les choses localement puisque les ressorts sont déjà en route à Washington, à Mexico, au Texas. Pour s’assurer que les États-Unis souhaiteront bien annexer la Californie, Larkin continue de faire publier dans les journaux de l’Est des États-Unis des articles vantant ses mérites et naturalisant l’idée d’un ralliement des Californiens. Au début du mois de mai 1846, le consul Larkin décrit à son correspondant du journal le New York Sun, Moses Yale Beach, les festivités qui ont réuni officiers de la flotte étatsunienne du Pacifique et habitants du pays à l’occasion des visites sur la côte de l’un ou l’autre de ses vaisseaux58. Son récit doit donner l’image d’une Californie, et notamment de Californiennes, prêtes à entrer dans la danse avec les États-Unis. Les éditeurs de ces journaux, eux-mêmes convaincus par Larkin, se décident à promouvoir l’annexion de la Californie, comme ils l’ont fait pour le Texas, afin d’influencer leur lectorat et les décideurs politiques. Il ne s’agit alors pas seulement d’encourager l’émigration, mais aussi de faire de bonnes affaires : Beach s’enquiert du meilleur terminus pour un train transcontinental, dans l’idée de le pousser dans son journal et de profiter de la spéculation sur les terres59. Mais par contraste avec ce projet d’association pacifique et de développement économique, c’est bien par la conquête et la guerre que la Californie est intégrée aux États-Unis, les hostilités y commençant même avant la déclaration de guerre.
La Haute-Californie à l’épreuve de la guerre
27L’indépendance du Texas, effective à partir de la victoire texane de San Jacinto bien que non reconnue par le Mexique, a été un moment pivot dans les relations entre Mexique et États-Unis, contribuant notamment à dépeindre les Mexicains non plus comme des frères républicains mais comme des êtres inférieurs et incapables de se gouverner librement et d’exploiter leur pays ; dans la commémoration d’El Alamo (souvenez-vous !), on célèbre ainsi le martyre des Texans au nom de la liberté et on vilipende la cruauté mexicaine. Les tensions autour de l’expansion de l’esclavage ralentissent les manœuvres d’intégration du Texas aux États-Unis. Cependant, cette question revient sous une autre forme, plus acceptable pour le Nord et l’Ouest, celle du nationalisme et d’un droit divin des États-Unis à l’expansion, cristallisée par l’expression de « destinée manifeste ». Certains hommes politiques en campagne, comme le président John Tyler ou James Polk estiment ainsi que cette thématique est suffisamment rassembleuse pour les faire élire, dans une période où les partis sont de plus en plus divisés sur la question de l’esclavage60. Cette rhétorique expansionniste rencontre des résistances, mais l’élection de Polk à la présidence en 1844 marque la défaite de ces critiques. Le président sortant Tyler valide l’intégration du Texas avant même l’investiture de son successeur, et le Texas devient le 28e État le 4 juillet 1845. À partir de cette date, la guerre entre le Mexique et les États-Unis devient un risque réel, mais assumé par une grande partie de la classe gouvernante et de l’opinion publique (malgré, là encore, des résistances appuyées). Le gouvernement mexicain dénonça l’agression, sans aller plus loin dans un premier temps. Afin de sauver les apparences auprès de ceux que la perspective d’une guerre territoriale révulsait, le gouvernement Polk fit cependant mine de négocier, notamment concernant la nouvelle frontière, disputée, entre le Texas étatsunien et le Mexique, tout en préparant la mobilisation et l’envoi de troupes. C’est finalement un incident dans cette bande frontalière disputée qui mit le feu aux poudres et déclencha la guerre le 24 avril 1846.
Les débuts locaux de la guerre
28Alors que les Mexicains-Californiens attendent des nouvelles de la guerre qui paraît de plus en plus inévitable, et qu’un navire de guerre étatsunien est à l’ancre dans le port de Monterey, c’est un incident local, ambigu, qui marque le début des hostilités en Haute-Californie : la prise de Sonoma et la capture de son commandant Mariano G. Vallejo. À l’aube du 14 juin 1846, un groupe d’une trentaine migrants étatsuniens venus du fort de Sutter arrive à Sonoma, qui n’a plus de garnison depuis 1845. Le bruit de la troupe réveille Vallejo, qui voit devant sa porte ces rudes chasseurs en veste de peau. Vallejo prend le temps de s’habiller, et leur fait ouvrir sa porte. À cause de la langue, la communication est difficile entre le colonel et la bande, mais Vallejo comprend qu’il est fait prisonnier, ainsi que ses proches présents à Sonoma, son beau-frère Jacob Leese et son secrétaire Victor Prudon. Leese, dès lors, sert d’interprète. Vallejo comprend que la compagnie n’a guère de chef, mais agit plus ou moins sous les ordres de John C. Fremont. La mention de l’officier étatsunien le rassure d’une certaine façon, et il livre les clefs des propriétés publiques de Sonoma. Il est ensuite emmené vers la vallée du Sacramento avec Leese et Prudon, avec la garantie que sa famille et ses propriétés ne subiront pas de dommages.
29Pour comprendre cet événement qui marque le début de la guerre en Californie, il faut le lire à la lumière des événements locaux et internationaux. En Haute-Californie, le départ de Micheltorena au début de l’année 1845 est à l’origine d’une inquiétude croissante de la part des étrangers regroupés autour de John Sutter dans la vallée du Sacramento, qu’on appelle alors Fleuve des Américains61. Ces étrangers vivent dans l’angoisse perpétuelle que le commandant Castro va les chasser du pays : « il s’agissait de savoir si nous allions être expulsés par la force de notre humble demeure… ou nous unir avec nos compagnons immigrants pour résister aux menaces de guerre d’extermination brandies dans la proclamation de celui qui passait pour le gouverneur du pays62 ». On entend dire également que Castro « excite les Indiens contre les immigrants », voire qu’il s’est allié à eux63. Dès lors, réagir devient de la légitime défense. La plupart de ces allégations sont au fond fausses, mais témoignent de l’atmosphère qui règne autour de la Nouvelle-Helvétie parmi les nouveaux migrants, qui n’ont pour contact avec la Californie mexicaine que ce que leur en dit Sutter. Dans ce contexte, le retour de l’explorateur John C. Fremont a des répercussions importantes. Au début de mars 1846, ce dernier, qui a affirmé auparavant aux autorités n’être que de passage, revient avec 60 hommes de sa compagnie et campe dans la vallée de Santa Clara. Alors que la guerre entre les deux pays menace depuis l’intégration du Texas, le commandant José Castro et le préfet Manuel Castro lui donnent l’ordre de se retirer hors de Californie, ce qu’il refuse, arguant qu’on l’a autorisé à hiverner en Californie64. La retraite de Fremont évite de peu une bataille, et en retour son récit de l’altercation renforce auprès des Étatsuniens la méfiance envers Castro qui après avoir offert à Fremont l’hospitalité, aurait voulu le chasser, trahissant sa parole. Si Fremont, en tant qu’officier des États-Unis, ne peut commencer les hostilités en premier (il ne sait pas encore que la guerre est déclarée), il soutient, voire inspire la démarche du groupe qui prend Sonoma.
30De plus, les immigrants autour de Sutter prennent soin de s’inscrire dans la politique californienne-mexicaine, jouant notamment de la rivalité entre le commandant du Nord, Castro, et le gouverneur civil du Sud, Pico65. On lit tous ces éléments dans leur proclamation, rédigée seulement dans un second temps, que H. Bancroft n’hésite pas à appeler un pronunciamiento, soulignant ainsi sa place dans l’histoire politique interne de la Haute-Californie66 : « Le premier objet de ce mouvement, affirme la proclamation, est de [se] défendre, eux qui ont été invités dans ce pays par une promesse de terres sur lesquelles s’installer avec leur famille, et à qui on a également promis un gouvernement républicain » et n’ont trouvé ni l’un, ni l’autre en arrivant, mais « ont été oppressés par un despotisme militaire ». Par conséquent, les signataires proposent de « renverser le gouvernement ». Afin de convaincre au-delà même du cercle des étrangers, la déclaration mentionne des griefs soulevés par les ennemis d’Alvarado et Castro en Californie et au Mexique : Alvarado « s’est saisi de la propriété des missions pour l’enrichissement de ses favoris, a triché dans l’attribution des terres et enfin a ruiné et oppressé les travailleurs de Californie par ses exactions de droit de douane ». La proclamation invite donc « tous les bons citoyens pacifiques de Californie favorables au maintien de l’ordre et à l’égalité des droits à prendre part à l’établissement et à la perpétuation d’un « gouvernement républicain » qui assurerait à tous la liberté religieuse et civile, détecterait et punirait les crimes, encouragerait l’industrie, la vertu et la littérature et laisserait libres d’entraves le commerce, l’agriculture et l’industrie67 ». John B. Montgomery, qui commande un navire de la flotte étatsunienne du Pacifique, le USS Portsmouth, à l’ancre à San Francisco au moment des faits, valide cette interprétation « d’une controverse qui appartient intégralement à la politique interne de la Californie » et décide de ne pas intervenir68. Cependant, il s’agit tout de même pour William Ide, son principal auteur, et ses compagnons, de refonder une Californie sur un nouveau « contrat » complètement distinct et critique de la Californie mexicaine. Sous couvert de libertés, il s’agit bien d’imposer un modèle, largement inspiré des États-Unis. À l’image de la promotion du libre-échange par les Étatsuniens qui impose le consentement au commerce et au prélèvement des ressources, les colons qui se déplacent sur des terres déjà occupées revendiquent leurs droits à se constituer comme sujets de la souveraineté sur ces terres. Il ne s’agit pas pour autant de revendiquer directement l’annexion aux États-Unis69 : leur prise de possession se manifeste par la confection d’un drapeau de fortune figurant une étoile, comme au Texas, et un ours, animal combatif et commun dans la région, dessinés à l’encre, avec les mots « California Republic » inscrits en dessous70.
31Les Californiens ne sont pas impressionnés par ces déclarations qu’ils jugent majoritairement provocantes et hypocrites, notamment celles concernant les Amérindiens71. Le choix des rebelles de Sonoma de ne pas se mettre sous le drapeau des États-Unis suscite plus d’interrogations que s’ils avaient directement hissé la bannière étoilée. En effet, « tant que les Californiens croyaient que Sonoma avaient été prise par Fremont pour le compte du gouvernement des États-Unis, ils ne s’alarmèrent pas beaucoup, et certainement beaucoup se seraient même réjouis ». Mais, « lorsque courut la rumeur qu’un drapeau avec un ours avait été hissé à Sonoma, ce fut l’alarme générale ». Alvarado affirme que c’est à partir de ce moment-là que « même ceux qui ont des sympathies pour les Nord-Américains prennent leur fusil et leur lance » pour résister à « ces êtres dénaturalisés qui n’ont eu aucun scrupule à suivre le drapeau noir », « [causant] la panique et nous [faisant] craindre pour la vie de Prudon et Vallejo72 ». Ce drapeau inconnu, « pirate », signifie en effet pour eux qu’aucun gouvernement ne garantit leurs agissements. L’hostilité monte encore d’un cran lorsque des morts surviennent d’un côté comme de l’autre et lors d’un premier affrontement73. Les habitants de Monterey acceptent d’autant plus volontiers la prise officielle de Monterey le 7 juillet 1846 qu’ils préfèrent « être annexés par une nation qui se proclame civilisée et est notoirement puissante plutôt que d’être dominés par des hordes vandales qui sous la bannière de l’ours avaient assassiné José Reyes Berreyesa et les frères de Haro74 ».
32Dans le Sud, ces événements sont vécus un peu différemment. En apprenant la prison de Vallejo, on pense « qu’il est traité comme il a lui-même traité ses captifs à Sonoma », des sudistes réticents au gouvernement d’Alvarado ayant eu à y passer du temps en exil en 183875. Le gouverneur Pico, qui apprend la nouvelle à Santa Barbara le 23 juin, est en route pour le nord pour « rétablir l’ordre ». Il fait aussitôt une proclamation patriotique au nom de « l’honneur blessé des Mexicains », en réponse à la proclamation des ours. Il y déclare notamment que « la nation nord-américaine ne pourra jamais être notre amie », « ses lois, sa religion, sa langue, ses coutumes sont totalement opposées aux nôtres » et surtout, elle « a manqué à sa loyale amitié avec le Mexique76 ». Cette attaque directe contre les États-Unis, alors que leur drapeau n’a pas été hissé ni la guerre déclarée à leur connaissance, effraie les ressortissants étrangers du Sud et aussitôt, les alliés sudistes de Pico lui reprochent son ton martial, alors que les Étatsuniens de leur entourage ont toujours soutenu, disent-ils, le gouvernement. Certains considèrent même qu’il faut interpréter la prise de Sonoma favorablement, car elle affaiblit Castro, qu’ils considèrent comme leur ennemi77. Pour Pico, il était nécessaire de faire cette proclamation en tant que représentant du gouvernement mexicain, mais son but était de lever des troupes supplémentaires dans sa marche vers le nord, d’abord conçue contre Castro78.
33En prenant Sonoma et en capturant Mariano Vallejo, les immigrants répondent à ce qu’ils considèrent comme une menace directe contre leur vie et leurs propriétés. Cette menace est perçue comme d’autant plus grande que leur projet d’installation, fondé sur des attentes construites par les informations qu’ils ont rassemblées avant ou au cours du voyage, se voit compromis. La proclamation de William Ide à Sonoma, qui évoque les promesses de terres, notamment de la part de Sutter, perçu comme un représentant du gouvernement, met en évidence ce sentiment de trahison. La distance qui les sépare des noyaux de peuplement étatsuniens et des recours armés ou gouvernementaux étatsuniens accroît leur vulnérabilité, tandis que la présence de l’explorateur Fremont représente une opportunité. La perception du danger est accrue par le manque d’informations et les difficultés de communication, qui favorisent la circulation de rumeurs, elles-mêmes alimentées par les représentations des officiers mexicains comme des militaires brutaux. Loin de rassurer les Mexicains-Californiens du Nord, la proclamation de Sonoma, qui revendique des objectifs de politique intérieure, les alarme. En effet, leurs vies et leurs propriétés leur paraissent bien plus en sécurité sous un gouvernement officiel – d’où le projet ébauché d’un protectorat – plutôt que sous la menace de personnes qu’ils considèrent comme des « pirates », sans foi ni loi.
L’occupation étatsunienne de la Haute-Californie
34Dès que la nouvelle de la guerre est connue en juillet 1846, Monterey est immédiatement prise par les navires stationnant dans la baie, puis le drapeau américain est hissé dans la plupart des ports le 7, presque sans coup férir, tandis que les représentants du gouvernement mexicain, Castro, Pico et l’assemblée se replient à Los Angeles. Si Monterey est prise aussi rapidement, c’est que l’escadron du Pacifique et son contre-amiral, Sloat, veillent non loin de là, en vertu des instructions qu’ils ont reçues du président des États-Unis. Ce dernier, James Polk à l’époque, veut non seulement annexer le Texas, mais tient fermement à acquérir également la Californie. Une fois la guerre déclarée, il s’agit de s’assurer l’occupation des régions convoitées, afin de les inclure dans la négociation, comme un fait accompli. C’est la marine qui est chargée d’abord de cette mission délicate.
35L’escadre du Pacifique a été renforcée au cours des années 1840 : elle reflète d’abord la puissance commerciale des États-Unis dans la région, et la présence massive de baleiniers étatsuniens (700 baleiniers d’après David Igler79), dont il faut préserver les intérêts, canonnière à l’appui, en cas de conflit. L’incident de l’arrestation d’Isaac Graham et ses compagnons en 1840 a été à l’origine d’un renforcement de cette escadre, à la demande des résidents étatsuniens80. La stratégie du président Polk implique de donner des instructions à l’avance au contre-amiral de la flotte du Pacifique pour des événements encore incertains : le contre-amiral Sloat doit en cas de guerre s’emparer des ports de Haute-Californie81. Cette possibilité est d’ailleurs contemplée par des ressortissants d’autres nations présentes dans le Pacifique, comme certains Français, mais ils ne sont pas suivis par leur gouvernement, qui privilégie d’autres priorités et d’autres stratégies dans le Grand Océan82. L’impossibilité de communications rapides et le précédent de la prise erronée de Monterey par le contre-amiral Jones en 1842 encouragent Sloat à être prudent et à ne pas agir en mai dès les premières nouvelles d’affrontements. Il envoie la plus grande partie de son escadre sur place (deux navires à Monterey, un à San Francisco), sur le qui-vive et à l’affût d’informations. C’est finalement la nouvelle de la prise de Matamoros (une ville un peu au sud de la frontière texane, et donc incontestablement en territoire mexicain) par Taylor, connue le 5 juin, puis celle du siège de Vera Cruz le 7 juin qui le déterminent à passer à l’action. Entre son arrivée le 1er juillet et la demande de capitulation formelle le 7, se déroule une semaine étrange, qui voit notamment non seulement des salutations diplomatiques, mais aussi la célébration du 4 juillet, fête nationale des États-Unis qui coïncide avec la fête de la sainte patronne de la Haute-Californie. Tout cela tandis que Sonoma est aux mains des « ours » et que Vallejo est toujours tenu prisonnier au fort de Sutter par Fremont, ce que Larkin et Sloat apprennent le 5 juillet. Le plan de Larkin que la Californie devienne étatsunienne par consentement est abandonné le lendemain, avec un débarquement de 250 marins pour occuper Monterey. Sloat lit une déclaration, hisse le drapeau des États-Unis, au son du salut de 21 coups de canons tirés par les navires dans la baie. Le consul Larkin se charge de (re)nouer des relations avec les Californiens : malgré l’état de guerre déclaré, il souhaite leur transmettre le message que la situation n’a pas changé, que la perspective d’un rattachement aux États-Unis est toujours souhaitable. Mais les événements de Sonoma et l’implication de Fremont posent problème dans cette manière de voir les choses. Les autorités californiennes ne capitulent pas et le commandant militaire José Castro part pour la capitale Los Angeles où il va consulter le gouverneur et l’assemblée.
36Le calme relatif à Monterey dissimule plusieurs types d’état d’esprit, sachant que ce changement est plus ou moins attendu, surtout depuis l’arrivée de l’escadre et de son commandant à Monterey. Certains ont déjà fui Monterey et parmi ceux qui restent beaucoup sont résignés devant les forces bien supérieures : exposer sa vie est inutile83. De plus, on préfère, avant de combattre les Étatsuniens, s’assurer de la défaite des « ours84 ». Angustias de la Guerra Jimeno, la femme de celui qui avait été le secrétaire du gouverneur californien Alvarado, et l’avait souvent remplacé lorsqu’il était souffrant, a le réflexe de protéger les archives du gouvernement qui se trouvent être chez elle, du fait du manque de place dans les bâtiments officiels. Plus tard, elle réussit aussi à dissimuler un blessé qui a combattu contre les Étatsuniens. Dans ses mémoires, elle affirme avec aplomb que l’arrivée des Étatsuniens « n’avait pas du tout plu aux Californiens, et aux femmes moins encore qu’aux autres85 ». Angustias de la Guerra a aussi laissé un journal de ces années, nous plongeant dans la variation des sentiments et pensées au moment même de cette période incertaine : « si seulement nous pouvions voir ce qui va se produire plus tard ! Avec le nouveau gouvernement ! », elle poursuit : « actuellement, notre famille possède tellement de terres » ; ou encore « je peux avoir tout ce que je veux de mon cousin Juan Alvarado, qui a toujours beaucoup de pouvoir. Mais tout est en train de changer ». Elle s’inquiète ainsi de la perte de contrôle sur le gouvernement et donc sur les terres tout en envisageant inévitable un avenir étatsunien.
37Les soldats étatsuniens semblent aussi représenter une bonne protection contre les Amérindiens, qui dans les années récentes n’ont cessé de prélever les élevages des Californios. Percevant qu’il s’agit d’un élément important de conviction, dans une proclamation du 17 août 1846, Stockton déclare que le California Battalion of Mounted Riflemen resterait en service « pour prévenir et punir toute agression des Indiens ou de toute autre personne contre les propriétés des individus ou la paix du territoire86 ». C’est aussi ainsi qu’il faut comprendre la capitulation précoce de San Diego à la lumière de ces attaques. Miguel de Pedrorena, l’alcalde de San Diego confirmé par les autorités militaires américaines, se prévaut de son autorité, et des troupes stationnées dans le village pour réquisitionner des chevaux et équiper les soldats « au nom des États-Unis », dans le but de protéger les citoyens contre une attaque d’une « bande de cinq cents Indiens à l’approche87 ».
38Mais quand les Nord-Américains échouent à remplir cette promesse, voire, comme les soldats mexicains avant eux, ou les Amérindiens, se servent eux-mêmes dans les élevages, la réaction est exactement inverse et c’est pour se défendre contre de telles « déprédations » qu’à l’invitation de Francisco Sánchez « de nombreux citoyens qui vivaient en paix laissèrent leur maison » et le rejoignent « avec enthousiasme pour défendre leurs intérêts acquis par de nombreuses années de travail et au coût de durs sacrifices88 ». En fait, à Monterey comme ailleurs, la guerre prend souvent la forme de micro-confrontations, dans des lieux très localisés. En général, les officiers étatsuniens s’efforcent de rassurer les civils, en particulier les femmes, en leur disant qu’il n’y a rien à craindre, tout en focalisant leurs efforts et leur animosité sur la capture de ceux qui sont identifiés comme des ennemis, ceux qui mènent la résistance. Malgré tout, le réflexe par défaut est la peur face à l’inconnu et aux risques inhérents à la présence de centaines de soldats armés. La peur va souvent de pair avec un réflexe de défense physique et symbolique. Et les femmes ne sont pas en reste pour signifier aux arrivants qu’ils n’ont pas débarqué dans une société barbare et sans honneur. Par exemple, Felipa Osuna, la femme de celui qui est en charge d’administrer la mission de San Luis Rey, se trouve seule, son mari étant absent sur son rancho, au moment de l’arrivée presque conjointe, d’abord du secrétaire du gouverneur, José Matías Moreno, puis des troupes commandées par Fremont, à la recherche des membres du gouvernement californien. Les voyant arriver, Felipa comprend immédiatement qu’ils viennent chercher le secrétaire Moreno, et lui recommande de se cacher ; alors qu’il pensait aller dans les placards, la Californienne imagine un stratagème plus ingénieux, lui proposant de passer pour son neveu malade alité. Lorsque le secrétaire prévient son ami Argüello, qui s’est lui rallié aux États-Unis, de sa présence à San Luis Rey, cela la met dans une colère noire, car ce faisant il la met en danger et annule en quelque sorte sa participation à la résistance89.
39Angustias de la Guerra accepte l’idée de la conquête : « Qu’ils viennent ! écrit-elle dans son journal, mais qu’ils nous traitent plus raisonnablement que Fremont. Il est arrivé en nous donnant des ordres, ce Yankee arrogant90. » C’est bien cela que ceux qui se soulèvent à Los Angeles à l’automne 1846 reprochent également à Gillespie, l’officier qui occupe la ville après le départ du gouverneur et du commandant militaire. Le gouverneur et le commandant avaient envoyé Pablo de la Guerra en émissaire auprès du capitaine Stockton, commandant des armées étatsuniennes depuis juillet 1846, afin de négocier les conditions de la capitulation. Devant le refus de Stockton de reconnaître la souveraineté des autorités et institutions californiennes-mexicaines, Castro et Pico refusent de lui offrir une capitulation et préfèrent essayer de trouver du renfort plus au sud au Mexique91. Stockton fait alors son entrée dans Los Angeles le 13 août 1846 et laisse l’officier de marine Archibald H. Gillespie en charge de son occupation. Alors que la conquête de la Californie paraissait accomplie, les Angeleños se soulèvent et chassent Gillespie puis le forcent à s’embarquer. Gillespie à son tour vient d’être la victime d’un autre pronunciamiento californien contre une autorité jugée « despotique » du fait de ses efforts pour faire appliquer la loi martiale et s’arroger des prérogatives de la juridiction municipale en se faisant juge des cas mineurs. Gillespie se comporte en terre occupée, ce qui va à l’encontre de la stratégie des commerçants étatsunien tels Larkin, d’une union plus que d’une occupation92. Trois cents vecinos signent le manifeste qui dénonce aussi, au-delà des dispositions politiques citées ci dessus, leurs taxes « qui détruisent l’industrie et l’agriculture, [les] forcent à abandonner leurs propriétés ».
40La localisation de la résistance particulièrement à Los Angeles peut se lire dans la continuité de l’histoire politique et sociale mexicaine-californienne de la région depuis les années 1830. Une part importante de ceux qui participent au soulèvement contre Gillespie et l’occupation américaine étaient des colons mexicains récemment arrivés, tels José María Flores, venu comme secrétaire du gouverneur Micheltorena, Gumersindo Flores, Agustin Janssens ou José Mariano Bonilla arrivés dans la colonie Híjar-Padrés en 1834 et qui avaient occupé en Californie mexicaine des postes à responsabilités93. La continuité d’acteurs entre la révolte contre Micheltorena et celle contre l’occupation de Gillespie à Los Angeles montre bien que la révolte n’est pas la première étape d’un itinéraire à la texane visant à rattacher la Californie aux États-Unis. La résistance à Gillespie trouva ses meneurs en partie parmi la génération qui avait émergé lors de cette révolte, comme Francisco Rico ou Manuel Castro : les deux hommes bouillaient d’en découdre depuis que José Castro avait esquivé le combat contre Fremont94. Cela n’exclut pas d’autres Californios un peu plus âgés, familiers des combats politiques, et qui, sans avoir des fonctions symboliques et officielles à protéger des États-Unis, souhaitent continuer à défendre leur autonomie et leur manière de gouverner, tels Andrés Pico, frère de Pío Pico, José Antonio Carrillo, ou encore, dans un cercle un peu moins influent, Leonardo Cota. Enfin, un troisième groupe peut être identifié, celui constitué par des secteurs plus populaires, à la fois d’origine californienne et de ceux qu’on appelait les « sonoreños », au nationalisme parfois plus marqué et qui percevaient sans doute, au vu de la stratification sociale qui s’affirmait en Haute-Californie dans les années 1840 et du mépris des Étatsuniens envers les Mexicains, que le gouvernement par des étrangers ne leur serait pas favorable.
41Le haut-commandement des Californiens à Los Angeles est assuré par José María Flores, venu en Californie 1842 comme secrétaire du gouverneur Micheltorena, dont la famille s’est installée à San Diego et qui après le départ de son patron s’est opposé à Castro dont il dénonce les abus au gouvernement. Les forces californiennes qui s’unissent pour reprendre Los Angeles sont donc divisées entre anciens ennemis, Francisco Rico étant un proche de Castro, qui orchestre d’ailleurs une révolte contre Flores en plein siège de Los Angeles, parce qu’il favorisait les Mexicains de l’intérieur plutôt que les Californiens. Rico militait en faveur de la reprise en main de la politique de défense par l’assemblée départementale « seule autorité légitime ». En pleine guerre contre les États-Unis, la priorité des Californiens reste d’être gouvernés par eux-mêmes95.
42La révolte de Los Angeles oblige la marine d’occupation à recruter davantage d’hommes pour la combattre. Ils puisent dans le réservoir des immigrants récents installés autour du fort de Sutter en Nouvelle-Helvétie, qui de plus, à court d’argent après leur long voyage, ont besoin de la solde promise. On trouve également dans ces soldats mobilisés des immigrants plus anciens, qui avaient notamment pour certains participé à la campagne pour défendre le gouverneur Micheltorena aux côtés de Sutter à l’hiver 1845-1846. Cette mobilisation eut pour conséquence de faire s’affronter les immigrants et les Mexicains-Californiens, contribuant aux divisions internes de la nouvelle population californienne96. Pour combattre dans le Sud, les forces étatsuniennes s’appuient aussi sur des ressources amérindiennes : les ex-néophytes de la mission San Luis Rey décident de leur prêter main-forte après que les représentants étatsuniens aient refusé aux rancheros de les récupérer comme main-d’œuvre sur leurs exploitations97. Des Amérindiens sont aussi enrôlés dans les forces combattantes de Fremont qui marchent contre Los Angeles98. On se souvient que les Mexicains-Californiens y avaient eu recours à l’occasion, notamment Echeandía en 1831, mais à chaque fois il s’agissait d’une méthode extrêmement critiquée. Par exemple, Janssens, en charge du commandement à Santa Inés pour les Mexicains-Californiens, avertit les propriétaires de ranchos des environs qu’il a envoyé une force armée les protéger car il a appris « qu’une force de dix Américains s’était rendue dans le Tular et y avait séduit les Indiens et qu’il craignait une invasion99 ». C’est d’ailleurs pour se protéger et protéger les autres propriétaires que Janssens, malgré la responsabilité que cela représente, accepte le commandement militaire de « toute la ligne jusqu’à San Luis Obispo car en plus de la guerre contre les Américains nous étions menacés par des soulèvements indiens ». Il demande alors « à toutes les familles sans protection à leur rancho de venir à Santa Inés », car cela lui « semble extrêmement risqué de laisser tous les ranchos sans homme pour les défendre », occupés qu’ils sont à faire la guerre, « car les Indiens pourraient venir pour voler, brûler et commettre tous les méfaits qu’ils voudront », comme les Californiens en ont fait l’expérience bien des fois100. Plus tard, lors de la campagne de retraite face à Fremont, un éclaireur lui rapporte que cinquante Amérindiens Walla Walla ont été enrôlés pour lui couper la route101. Il s’agit donc bien d’une guerre sur plusieurs fronts, et ce d’autant plus du fait du prolongement de la guerre.
43Pour les Étatsuniens, la résistance du Sud sous Flores est l’archétype de la révolution insensée et futile. L’ex-consul Thomas Larkin s’exclame que « les rancheros et les autres personnes qui ont des intérêts importants en jeu sont fous de s’opposer à nous, leur seule sécurité résidant dans la soumission à nos armes102 ». Pour autant, les Mexicains-Californiens résistent avec un certain succès. La résistance du Sud ébranle d’ailleurs le positionnement de certains Montereyens, les mettant face à leur choix de ne pas combattre103. Juan Bautista Alvarado choisit d’être loyal à sa parole de ne pas reprendre les armes tandis que Manuel Castro et d’autres officiers quittent Monterey pour rejoindre Los Angeles. Ils capturent l’ex-consul Thomas Larkin, le livrent au commandant de Los Angeles, et participent à la bataille de San Pascual, la seule victoire mexicaine de la guerre (décembre 1846)104. Lors de celle-ci, l’image des premiers morts de la guerre, des « ours » tués, flotte, un Nord-Américain croyant reconnaître « l’assassin » parmi les Mexicains-Californiens. C’est probablement faux, mais cela montre que ces affrontements perpétuent la construction de l’autre comme ennemi bestial, comme « assassin105 ». La campagne de Francisco Sánchez pour récupérer ses chevaux le même mois, évoquée précédemment, est interprétée par certains, à la lumière du soulèvement de Los Angeles, comme une nouvelle rébellion, même si d’autres admettent « qu’il ne prend pas les armes contre les États-Unis mais pour se protéger106 ».
44Malgré le traité de Cahuenga qui met fin à la révolte de Los Angeles en janvier 1847 après l’arrivée de forces terrestres de l’Est (Nouveau-Mexique) sous le commandement de Stephen Kearny, les rumeurs de soulèvement continuent jusqu’en 1848. À Santa Barbara, un canon disparaît, des réunions suspectes sont dénoncées. Le principal résultat de tout cela est une méfiance des officiers étatsuniens contre les Mexicains-Californiens, le développement d’opportunités de dénonciation et donc de tentatives de règlements de conflits internes à la société californienne-mexicaine, et enfin des difficultés pour s’organiser contre les attaques indiennes107. Les Mexicains-Californiens de San Diego qui se sont ralliés sont accusés de traîtrise par ceux qui combattent à Los Angeles108. En retour, ceux de San Diego critiquent la révolte de Los Angeles dans le nouveau journal californien : les rebelles s’excluent de la nouvelle Californie qu’ils essaient de construire avec les Nord-Américains. Dans l’article, l’auteur, probablement Juan Bandini, décrit « la succession de malheurs que les aspirants politiques ont infligé à la Californie depuis 1836 ». Ils ont « distribué les richesses d’une main prodigue, etc. » et « aujourd’hui, ils ont hissé de nouveau le drapeau mexicain pour gratifier leur ambition démesurée et s’assurer le butin futur… Alors que la richesse du pays est l’agriculture et l’élevage, et que les chevaux sont indispensables pour cela, ils ont saisi tous les chevaux pour les besoins de la guerre ». Il conclut : « s’il y avait une étincelle de patriotisme dans leur cœur, ils n’auraient pas tenté la moindre action révolutionnaire109 ! ».
45Les premiers journaux imprimés en Haute-Californie, en anglais, à partir de 1847, sont en effet le lieu d’expression, de publication et de tentative de création d’une communauté imaginée de lecteurs et de Californiens. Les Mexicains-Californiens lisaient certes auparavant les journaux qui circulaient de manière épisodique, et par paquets à la faveur de l’arrivée des bateaux. Malgré l’existence d’une imprimerie sur le territoire depuis le début des années 1830, aucun journal n’avait jamais été publié en Californie. En 1847, Robert Semple, l’un des protagonistes de la « Bear Flag Revolt » et Walter Colton, chapelain à bord du vaisseau de guerre Congress de l’amiral Sloat, nommé alcalde de Monterey, s’associent pour publier le premier journal californien, intitulé de manière appropriée et programmatique The Californian110. Ce journal se fait la voix imprimée et circulée du nouveau projet étatsunien pour la Californie, comme l’affirme son prospectus, en tête du premier numéro, le 15 août 1846 : le « premier journal jamais publié en Californie » aura pour principe le « maintien d’une pleine et entière séparation d’avec le Mexique », « l’oubli de toutes les offenses politiques passées » et demande, entre autres, « l’établissement immédiat d’un gouvernement bien organisé », « une relation territoriale entre la Californie et les États-Unis jusqu’à ce qu’elle ait un nombre d’habitants suffisants pour qu’elle puisse être admise au rang de membre de cette glorieuse confédération », et sans oublier « l’organisation de défenses intérieures suffisantes pour protéger la propriété des citoyens des déprédations des Indiens sauvages111 ».
46Cet énoncé de principes et d’intention veut donc marquer une rupture franche et nette de la Californie avec la période précédente, associée au Mexique, aux révolutions, aux ordres venus de loin, aux infractions à la liberté et à la tolérance, une rupture marquée non seulement par l’occupation étatsunienne mais surtout par l’émergence de la presse. Un deuxième journal, le California Star, est publié à partir de janvier 1847 à San Francisco par Samuel Brannan112. Le dialogue établi avec le lectorat, notamment par la correspondance et la circulation des nouvelles via les correspondants ou la fréquentation du bureau du journal à Monterey ou San Francisco a pour but de créer le nouveau public californien ; il s’agit notamment de montrer qu’une alliance entre Étatsuniens et Mexicains-Californiens est possible, comme le montre par exemple l’article écrit par Bandini, mentionné plus haut113. Le traitement par le journal de la révolte de Los Angeles est là pour montrer que les rebelles ne forment pas la majorité et que les forces étatsuniennes bénéficient de l’aide de certains Mexicains-Californiens. Mariano Vallejo y écrit également pour mobiliser tous les Californiens dans la défense contre les Amérindiens qui assaillent la frontière nord à Sonoma.
47Ces journaux republient des nouvelles et des articles de journaux de l’Est au sujet de la guerre, proposant ainsi une vision étatsunienne de la situation et relayant les arguments ethnocentriques en faveur de la conquête du Mexique et de l’annexion de la Californie. Les deux journaux publient aussi les proclamations des gouverneurs militaires, en espagnol et en anglais et contribuent ainsi à mettre en place le gouvernement militaire étatsunien. Dans la continuité de l’action de Semple à Sonoma lors de la « Bear Flag Revolt » et de celle de Colton comme alcalde à Monterey, où il introduit la pratique du jury dans les procès, il s’agit à la fois d’informer et de critiquer le mode de (non-)gouvernement mexicain, d’informer sur d’autres pratiques souhaitables, et de mobiliser un lectorat en faveur des mesures proposées. Les rédacteurs de ces journaux cherchent ainsi à dessiner les contours de la nouvelle Californie et notamment d’un gouvernement civil correspondant à leurs souhaits, qui n’ignore pas les Mexicains-Californiens, mais propose de les inclure dans un projet d’ensemble dans lequel ils n’ont qu’un rôle d’appoint et non l’initiative. C’est effectivement ainsi que se dessine leur marge de manœuvre dans l’organisation d’un gouvernement civil pour le territoire conquis de Haute-Californie, qui est officiellement annexé en février 1848, même si, comme nous allons le voir, l’occupation militaire prolonge les institutions et pratiques mexicaines.
Défendre ses droits dans une nouvelle Californie
48Pendant la guerre, dans les zones conquises, les officiers de la marine puis de l’armée régulière des États-Unis commencent à organiser une forme de gouvernement militaire, qui repose d’abord largement sur une continuité, dans la mesure du possible et avec des aménagements, avec le système antérieur mexicain. Après l’occupation, l’intégration des territoires du Nord mexicain, du Texas à la Haute-Californie, est validée par le traité de Guadalupe Hidalgo, signé en février 1848. Le Congrès, divisé sur la question de l’esclavage dans ces nouvelles acquisitions ne parvient pas à s’accorder sur leur statut et leur mode d’organisation avant 1850, ce qui a pour effet de prolonger leur gouvernement militaire et de maintenir globalement la loi mexicaine en application. Or en Californie, la situation évolue rapidement. De l’or est découvert dans les piémonts de la Sierra Nevada en janvier 1848 lors de la construction du canal de dérivation d’une scierie sur les propriétés de John Sutter par son employé John Marshall114. Cet événement, abondamment étudié, constitue une donnée majeure, une rupture fondamentale pour la trajectoire du territoire californien115. La découverte d’or et la circulation de cette information, à un moment de crise politique et économique en Europe, entraîne une croissance de la population à un rythme extrêmement rapide en Californie. À titre d’exemple, San Francisco passe de 200 âmes à 36 000 entre 1846 et 1852. Bien qu’il soit très difficile d’avoir autre chose qu’un ordre de grandeur, la population californienne est estimée à environ 10 000 personnes (sans compter les populations autochtones non contrôlées) en 1846 et passe à environ 100 000 en 1849, avec l’arrivée des « forty-niners116 ». L’agitation en faveur de l’organisation d’un gouvernement civil et les atermoiements du Congrès aboutissent à l’élection d’une convention constituante pour la Californie en août 1849, l’adoption de la constitution (excluant l’esclavage) le 13 novembre 1849 par referendum et l’entrée de la Californie comme État de l’Union le 9 septembre 1850. Cet État ne comprend qu’une partie de la Haute-Californie mexicaine, les délégués de la convention ayant adopté un compromis légèrement à l’est des montagnes (qui intègre les zones minières) mais excluant la zone désertique entre celles-ci et le Nouveau-Mexique, peuplées surtout par différents groupes amérindiens, qui ne seront intégrées comme État que bien plus tard. Le but de ces dernières pages est d’esquisser les stratégies des Californiens hispanophones dans ce nouveau contexte (voir la figure 4 dans le cahier d’illustrations).
Un relatif repli pendant les débuts de l’occupation militaire
49La découverte d’or à la fin du mois de janvier 1848 crée dans un premier temps surtout des flux internes, ou, en fin d’année, régionaux (Sonora). L’armée d’occupation est vidée de ses membres qui gagnent tous la Sierra pour tenter leur chance. Les flux ne deviennent continentaux, transocéaniques et mondiaux qu’en 1849. Les gouverneurs militaires successifs s’appuient d’abord sur la continuité de droit et de personnes. Aussi les municipalités restent-elles contrôlées par des alcaldes selon le droit mexicain jusqu’à l’adoption de la constitution de l’État en 1850117. Malgré cela, les Californiens ne font pas toujours le choix de se maintenir à leur poste, surtout dans les premiers temps de gouvernement militaire et avant la signature du traité entre le Mexique et les États-Unis le 2 février 1848, qui est connue en Californie au mois de juin. En effet, se rallier aux États-Unis avant le traité comporte des risques au cas où la Californie, bien qu’occupée militairement par les États-Unis, ne serait pas cédée par le traité de paix. L’obligation de prêter serment de loyauté aux États-Unis est parfois un frein. Mais, en particulier dans le Sud, les autorités étatsuniennes ont besoin des notables locaux, ce qui leur donne une certaine marge de manœuvre. Ainsi à Santa Barbara, Pablo de la Guerra et Luis Carrillo sont autorisés par le commandant Mason à garder leur poste d’alcalde, malgré leur refus de prêter serment118. Le gouverneur les conjure dans ce cas de servir la Californie, à défaut des États-Unis119. Agustin Janssens, qui a combattu lors de la révolte du Sud contre les Étatsuniens est nommé alcalde de Santa Inés dès la paix, même s’il décline, pour éviter les lourdes charges de travail impliquées par la fonction120. Après une occupation dure du commodore Stockton, le traitement par Kearny est plus souple. Leur concurrence et leurs disputes rappellent aux Californiens leurs propres conflits politiques et montrent qu’ils peuvent aussi jouer des désunions de leurs nouveaux maîtres. L’exemple même de Fremont, qui dans ce contexte cherche à s’attirer les bonnes grâces californiennes, afin d’obtenir le gouvernorat, alors qu’il avait été l’ennemi juré de leur commandant militaire Castro, en est l’exemple le plus criant121.
50Pendant toute la période républicaine mexicaine il avait été difficile de trouver des personnes à la fois capables et volontaires pour occuper les fonctions de juges ou autres services à la communauté. En effet, ces charges sont onéreuses en temps, que l’on ne consacre pas à ses affaires personnelles. Les voies de communication étant ce qu’elles sont, passer du temps au chef-lieu implique de ne pas être présent à l’exploitation, au rancho, et de le confier à une personne de confiance. Avec l’arrivée des immigrants, et l’occupation militaire, il devient risqué de laisser son exploitation sans surveillance, de peur des vols ou confiscations de chevaux, ou des occupations illégales de terres. À San Diego, Juan Bandini, qui a une longue histoire d’implication dans les affaires territoriales, occupe ponctuellement le poste d’alcalde, dont il démissionne en 1848, en faveur d’un autre Mexicain-Californien. Pour l’historien Léonard Pitt, en démissionnant de sa fonction d’alcalde à San Diego, puis en ne se faisant pas élire à la convention constitutionnelle, Bandini « est tombé sur le côté de la route122 ». En réalité, Bandini n’éprouve désormais plus le besoin de s’impliquer ni au niveau municipal, ni au niveau territorial, et préfère focaliser ses efforts sur le développement de ses ranchos ; en 1850, il ouvre un commerce et un hôtel à San Diego. Le 17 juin 1847, il annonce à Abel Stearns, son gendre, qui l’a recommandé pour diriger la douane de San Diego, que non seulement il refuse cet emploi, mais qu’il est « absolument opposé à poursuivre une carrière publique123 ». Très rapidement, il est question de l’organisation d’un gouvernement civil et de la nomination d’un conseil législatif. L’ex-consul Thomas Larkin milite pour que les Californios y soient représentés en nombre ; il recommande ainsi que soient nommés à ce conseil ceux qui ont compté pendant la période mexicaine et en qui il a confiance : Mariano Vallejo, Juan Bautista Alvarado, Juan Bandini, David Spence, Santiago Argüello124. Ils n’acceptent pas tous cette nomination : Mariano Vallejo décline de peur de tomber dans un piège, d’accroître encore ses difficultés financières ou de se ridiculiser auprès des Étatsuniens dont il idéalise la culture politique. « Je suis peut-être un bon ranchero, écrit-il, mais jamais un bon législateur125. » Au final, ce conseil ne siège jamais, suite aux désaccords entre autorités militaires sur la question de l’organisation d’un gouvernement civil. Plus tard, en 1847 on propose à Juan Bautista Alvarado le poste de secretary of state qu’il refuse, et va s’installer avec sa famille sur le rancho de San Pablo, et n’est pas intéressé non plus par un siège à la convention constituante126.
51Le retour des Mexicains-Californiens à leurs « intérêts », leurs élevages, leurs ranchos ne doit pas être interprété comme un repli. L’engagement politique était en partie un moyen pour parvenir à développer la Californie et leurs exploitations, même si l’engagement politique ne doit pas être complètement écarté. Dès la découverte d’or, et les premiers mouvements de population de Sonora vers le nord, beaucoup d’entre eux profitent de ce mouvement soit pour se rendre aux mines, comme Antonio Coronel, de Los Angeles, soit pour développer des services dont les mineurs seraient les clients, comme Agustin Janssens ou Bandini. De même, Vallejo cherche plus à mettre sa marque au nouveau territoire en fondant une ville dont il espère qu’elle deviendra la capitale qu’à participer au processus législatif127. Los Angeles est le meilleur contre-exemple de cette attitude, les vecinos se mobilisant contre la nomination d’un alcalde étatsunien contre leur gré, alors qu’ils ont été le dernier noyau de résistance armée californiano-mexicaine à l’occupation étatsunienne (les populations autochtones, elles, résistent encore). À Santa Barbara, en l’absence d’une alternative, les occupants sont obligés, malgré leur évidente mauvaise volonté à se plier à l’annexion, de faire avec les de la Guerra, même si certains habitants, comme Pedro Carrillo, font tout pour essayer de les décrédibiliser en faisant circuler une rumeur d’un complot contre les États-Unis. À Monterey, où commence l’occupation au début du mois de juillet 1846, la marine étatsunienne nomme très vite un alcalde, le chapelain d’un des navires de guerre, Walter Colton, qui ne rencontre pas d’opposition et suscite même une relative satisfaction au point d’être ensuite élu, mais il est ensuite remplacé par Florencio Serrano128. Ce sont en fait dans les villes et régions où les immigrants et mineurs arrivent en grand nombre que la question de la conservation du pouvoir politique est stratégique, comme à San José ou San Francisco par exemple : en jeu, la propriété foncière.
La propriété foncière, révélatrice des ambiguïtés de l’annexion californienne
52Alors que le traité de paix garantit les propriétés foncières dans les territoires annexés sur le Mexique, les immigrants étatsuniens en Haute-Californie ne voient pas exactement les choses de cette façon. Pour eux, ce qui compte, c’est sinon un accès illimité à la terre qui est désormais leur, du moins un partage équitable des terres entre les anciens colons et les nouveaux arrivants129. En Haute-Californie, comme nous l’avons vu, les années 1830 avaient vu un important changement dans le régime de propriété du fait de la privatisation d’une grande partie de la terre qui auparavant était utilisée collectivement au sein des missions par leurs travailleurs amérindiens. S’il y avait également des modes d’utilisation intensifs comme les potagers et les vergers, les propriétés pouvaient avoir une surface très importante du fait de l’élevage. La population souhaitant avoir accès à la terre et la mettant en valeur d’une manière validée par la loi (agriculture, élevage, ou lots urbains) était peu nombreuse relativement aux surfaces disponibles, malgré la pression exercée par les raids amérindiens qui rendaient les terres les plus éloignées des noyaux de population plus exposées aux dangers. À leur arrivée, les immigrants étatsuniens sont surpris et indignés par la grande taille des exploitations (adaptée en réalité à l’élevage) qu’ils estiment injuste et inégalitaire, contraire à une vision jeffersonienne de petits agriculteurs indépendants. Les groupes d’Amérindiens dépendants d’un grand propriétaire qui y travaillent évoquent parmi les migrants le spectre d’une aristocratie terrienne, et de la mauvaise influence qu’une telle structure sociale peut avoir sur la démocratie qu’ils veulent promouvoir dans le nouvel État de l’Union que doit devenir la Californie, du moins pour ceux d’entre eux qui viennent des États du Nord. C’est notamment dans cette perspective que se pose à la convention constituante la question de la citoyenneté, et surtout, du droit de vote des Amérindiens : si ceux qui travaillent sur les terres des Californios votent, il est clair, pour eux, que leur vote sera manipulé par leur maître130.
53En réaction à ces immenses propriétés, les nouveaux immigrants prennent l’initiative d’occuper les terres perçues comme des propriétés illégitimes. Ce n’est pas tant que ces émigrants ne respectent pas la propriété privée : comme l’a montré l’historien John P. Reid, ils avaient une forte conscience de la loi et avait eu un comportement strict concernant la propriété privée (meuble) lors du trajet d’émigration. Mais le travail de David Langum montre que la confrontation des valeurs dans le domaine légal lors de l’immigration crée un dilemme, celui d’être obligé de se soumettre à un système légal jugé inefficace131. Une fois la Californie devenue étatsunienne, la situation devient intolérable car, pour eux, incompatible avec les valeurs incarnées par leur pays, bien que le traité s’engage également à respecter le droit de propriété des Mexicains-Californiens.
54Dès 1848, le secrétaire d’État de Californie, assistant du gouverneur militaire Mason, rédige un rapport sur la situation des terres publiques à destination du gouvernement. Il y soulève le problème des difficultés que pourraient avoir de nombreux propriétaires de prouver précisément la légitimité de leur propriété elle-même, ou de ses limites, du fait de l’imprécision des tracés, du manque d’archivage, et des difficultés du gouvernement en général sur cette frontière aux moyens limités : ce rapport émet de forts doutes sur la validité de nombreux titres132. En attendant que le gouvernement fédéral ne s’empare de la question, le problème se pose surtout au niveau très local, là même où cohabitent immigrants en plus grand nombre et propriétaires mexicains-californiens. En premier lieu, dans la région de la rivière dite des Américains, le Sacramento, qui est également le haut-lieu de la ruée vers l’or : le premier concerné est en fait John Sutter, bien qu’il ait été un grand artisan de l’accueil des immigrants étatsuniens. Lorsqu’il mène campagne pour être élu gouverneur, ses adversaires le dénoncent comme un « grand propriétaire », « immensément riche133 » quoique ses réserves en liquidités soient probablement maigres. Des incidents qui se produisent à San José à l’automne 1849 montrent les stratégies des Mexicains-Californiens pour défendre leurs propriétés foncières, d’abord en essayant de retenir le contrôle de la municipalité, puis en s’adressant au gouvernement via les préfectures. Pour cela, le préfet impose un bureau de vote plus accessible aux rancheros établis plus au nord (à Martinez), afin de permettre une participation plus importante des Mexicains-Californiens134. En effet, les plaintes contre l’occupation illégale des terres sont d’abord jugées par l’alcalde et leur aboutissement dépend de sa bonne volonté135. Les tensions sont plus particulièrement palpables à San José du fait de sa probabilité d’être la capitale, qui entraîne une importante spéculation sur la terre. Les Californios échouent à reconquérir l’alcaldia, mais ils ont recours au préfet et au gouverneur militaire pour contrer les décisions de May, l’alcalde. Ce type d’affaire motive d’autant plus les nouveaux arrivants à se mobiliser pour mettre fin au gouvernement militaire.
« La seule question est : qu’est ce que la Californie ? »
55En juin 1848, plusieurs mois après la signature du traité entre le Mexique et les États-Unis, la Californie était en effet toujours occupée militairement, les lois mexicaines et les institutions locales en place dans leur plus grande partie136. Cette situation fait l’objet de critiques de la part des États-uniens déjà présents : si la Californie a été conquise, n’est ce pas pour qu’enfin cesse le règne des alcaldes et que les États-uniens puissent enfin y faire leur loi ? Dans les colonnes du California Star, dès février 1847, l’ex-participant à la « Bear Flag Revolt », Robert Semple demande la réunion d’une convention constituante, dans le droit fil de la demande des Ours à Sonoma d’un gouvernement véritablement « républicain137 ». Comme on l’a vu, les problèmes se posent surtout dans le Nord du fait de l’immigration de plus en plus massive, et les critiques sont loin de n’être adressées qu’aux alcaldes mexicains : à Sonoma, c’est d’un alcalde étatsunien dont on demande la démission pour son « ignorance et ses caprices138 ». Les résidents de San Francisco sont particulièrement actifs, eux qui veulent faire du port d’arrivée de la plupart des mineurs, une ville étatsunienne de référence en Californie. C’est là que se produisent des manifestations de rejet de l’autorité militaire dans les affaires de la ville, relayées par les journaux californiens The Californian and The California Star, qui ont migré à San Francisco à partir de mai 1847 et une élection y fut finalement autorisée en août 1847139. La signature du traité de Guadalupe Hidalgo le 2 février 1848 permet au gouverneur militaire d’envisager une évolution plus globale, ainsi que la ruée vers l’or qui rend difficile l’occupation militaire avec la désertion des soldats et signifie l’occupation de régions qui n’avaient pas été colonisées par les Mexicains auparavant. L’organisation des territoires revient constitutionnellement au Congrès des États-Unis, mais les conflits entre Nord et Sud au sujet de l’autorisation ou non de l’esclavage dans la cession mexicaine l’empêchent de parvenir à une décision140. Lorsqu’à la fin de 1848 on apprend en Californie que le Congrès a été incapable de statuer, les rédactions du Star and Californian organisent des réunions publiques à San José, San Francisco et Sacramento pour demander l’élection d’une convention constituante à l’été si le Congrès reporte une fois encore. Entre-temps, un nouveau gouverneur militaire est nommé, Bennett Riley, qui a aussi les fonctions de gouverneur civil. À ce titre, il fait évoluer le système politique en rendant par exemple électives les fonctions nominatives héritées du système mexicain (les préfectures notamment), afin de les « américaniser ». Suite à l’inaction du Congrès, il reprend à son compte le projet d’une convention pour rédiger une constitution d’État ou de Territoire et convoque une élection pour le 1er août 1849141. La mobilisation en faveur de l’organisation d’un gouvernement civil n’est globalement pas du fait des Mexicains-Californiens : seuls Mariano Vallejo à Sonoma et John Sutter à Sacramento s’en mêlent142. Au final, plusieurs d’entre eux sont élus, en particulier dans le Sud : Juan Bautista Alvarado ou Juan Bandini choisissent de ne pas se présenter, tandis que Vallejo est élu pour Sonoma, et que les proches de José de la Guerra sont bien représentés pour Santa Barbara, avec Pablo de la Guerra, son fils, et José María Covarrubias. Los Angeles envoie son héros depuis la révolte contre Manuel Victoria en 1830 jusqu’à la guerre contre les États-Unis, José Antonio Carrillo143.
56La convocation du gouverneur Riley définit un nombre de délégués par district qui reflète une évaluation de la population et de son évolution, avec une prise en compte de la nouvelle population minière, mais qui envisage la possibilité pour les districts d’élire des représentants supplémentaires, s’ils estiment y avoir droit, qui seraient ou non acceptés au sein de la convention. La convention constituante s’ouvre donc sur un débat concernant cette représentation, révélateur du tournant pris par le projet californien avec l’annexion aux États-Unis. La question de la représentation respective de chacun des districts met en effet en évidence la concurrence des manières d’envisager le territoire après l’annexion et au moment de la ruée vers l’or. En particulier, la plupart des Étatsuniens ne cachent pas que « ce n’est pas pour les natifs californiens que nous faisons cette Constitution mais pour la grande population américaine, qui constitue les trois-cinquièmes de la population de ce pays144 », ainsi que l’exprime William Gwin, un représentant démocrate sudiste venu en Californie se faire élire sénateur, et qui s’érige en défenseur des droits des mineurs. Sans attaquer frontalement Gwin, l’élu de Los Angeles José Antonio Carrillo préfère défendre une plus grande représentation de sa ville, s’inscrivant ainsi dans une rivalité plus ancienne entre Monterey et Los Angeles. À première vue, il pourrait sembler que José Antonio Carrillo manque de hauteur de vue en se contentant de cette remarque interne aux établissements mexicains et sans tenir compte du rapport de force avec les Étatsuniens. Mais d’une part sa stratégie paye puisque ses propositions sont adoptées (en même temps que celles de Gwin concernant Sacramento et San Joaquín, les districts miniers). D’autre part, défendre les établissements du Sud permet une meilleure représentativité des Mexicains-Californiens, qui y sont plus nombreux. La règle finalement adoptée est celle que toute personne ayant reçu plus de cent voix, quelles qu’elles soient, est admise au sein de la Convention, ce qui permet d’entériner une représentation au plus près de la situation fluctuante et des pratiques locales. Les Californios, bien que mis en minorité, défendent malgré tout leur point de vue sur ce que pourrait devenir la Californie. Carrillo n’est-il pas « autant un citoyen américain » que Gwin, le représentant des mineurs145 » ?
57Le traité de Guadalupe Hidalgo stipule en effet que tous les citoyens mexicains, présents sur les territoires cédés aux États-Unis, pourraient devenir citoyens des États-Unis146. Or l’application de cette mesure se heurte à l’hétérogénéité de la définition de la citoyenneté aux États-Unis et dans la république mexicaine. Dans les deux cas, le corps politique actif ne se superpose pas à l’ensemble des résidents, ni même des « nationaux ». Les femmes, les enfants jusqu’à leur majorité sont par exemple exclus du droit de vote dans les deux pays, mais d’après l’historienne Mary Ryan, ces exclusions sont moins assumées par les Étatsuniens jacksoniens et démocrates que par les Mexicains. Pour les Mexicains, il faut remplir un certain nombre de conditions pour pouvoir bien jouir de la citoyenneté et en faire bénéficier la collectivité. Cela passe par le statut de vecino, chef de famille, membre connu, utile, actif d’une communauté, identifié par ses pairs. Cette conception est proche de celle des doctrinaires français par exemple147. Dans cette culture politique, l’exclusion des Amérindiens de la citoyenneté était justifiée par leur dépendance ou par leur absence de qualité de voisin dans un pueblo, même si ces critères recoupaient largement la race. Pour les États-uniens, il est non seulement difficile de concevoir de donner le droit de vote et la citoyenneté à des Amérindiens, mais aussi cela aurait pour conséquence de donner davantage de poids aux grands propriétaires, sur les terres desquels travaillent une grande partie de ces potentiels citoyens et qui voteraient comme leur maître. Ce serait une impensable corruption de l’idéal jeffersonien par la servilité hispanique.
58On a vu également que les Californios pouvaient utiliser la race comme disqualifiant social ou politique, tout en niant les origines métissées très fréquentes parmi eux : étant les colons venus évangéliser et défendre la Haute-Californie pour le roi d’Espagne, puis comme Mexicains, ils se considéraient, par construction, blancs. Pendant les débats, Pablo de la Guerra y Noriega affirme par exemple souhaiter également l’exclusion des personnes d’origine africaine. Mary Ryan souligne que c’est le qualificatif « blanc » (white) qui finit par mettre l’assemblée d’accord, mais dans une acception qui désigne moins le phénotype, la couleur que l’absence de macule de l’origine africaine ou indienne, c’est-à-dire une sauvagerie, une incapacité à s’intégrer à la communauté des citoyens actifs et une propension à former une clientèle grégaire148.
59La première question à l’ordre du jour de la convention est de statuer entre l’organisation d’un gouvernement territorial ou la rédaction d’une constitution d’État fédéré. Les députés du Sud ont un mandat de la part de leurs électeurs de défendre l’organisation d’un Territoire plutôt que d’un État. Cette demande n’est pas une revendication généralisée parmi les Mexicains-Californiens : ceux de San José par exemple sont plutôt favorables à l’organisation d’un État. Pour le Sud, José Antonio Carrillo va jusqu’à proposer de former un Territoire à part, si le Nord tient absolument à être un État. Son collègue Foster, lui aussi représentant de Los Angeles, pense au contraire que l’unité est préférable. Pour nombre de citoyens, qu’ils soient Étatsuniens ou Mexicains-Californiens, seul le statut d’État garantit de bénéficier pleinement des libertés fédérales (une revendication aussi présente, comme on l’a vu, dans le cadre mexicain). Le problème de l’organisation d’un État est le coût de celui-ci : un Territoire est en effet financé par le gouvernement fédéral, alors qu’un État doit trouver ses propres financements. Or la manière de financer le gouvernement pose des problèmes d’égalité du fait des récents bouleversements démographiques et économiques en Californie. Il y a en effet l’héritage de l’économie agro-pastorale et commerciale d’une Californie mexicaine d’un côté, avec de très grandes propriétés qui ne garantissent pas pour autant une richesse en liquidités ; de l’autre, une population très nombreuse, très récente, difficile à évaluer en termes de nombre et de fortune, mobile, et dont l’activité principale est d’extraire de l’or, richesse paradoxalement difficile à évaluer et à taxer. Bien qu’elles ne soient pas débattues au même moment pendant la convention, ces deux questions sont explicitement liées. La question du financement du gouvernement qui se pose avec le choix entre être un État ou un Territoire est loin d’être une question neuve pour les Mexicains-Californiens, qui s’étaient heurtés à cette difficulté depuis la fondation des premiers forts californiens. En l’absence de financement par le gouvernement fédéral (mexicain ou étatsunien), la question des taxes devient centrale et elle est hautement politique : droits de douane, taxation des propriétés, impôts en liquides, autant de questions qui pouvaient affecter de manière variable les différentes catégories de population et en particulier les anciens habitants contre les nouveaux venus.
60Malgré l’abandon du projet de former un Territoire dans le Sud et un État dans le Nord (afin de ne pas compliquer encore la question au Congrès fédéral), la question des frontières du nouvel État candidat de Californie étatsunienne reste posée. La Haute-Californie espagnole puis mexicaine s’étendait du Pacifique au Nouveau-Mexique, de la limite avec les États du Nord mexicain (Sonora, Sinaloa, Chihuahua) jusqu’à l’Oregon. Mais la commission sur les frontières de la convention propose des limites plus étroites, de la côte jusqu’à la chaîne de la Sierra Nevada. Du point de vue des immigrants récents nord-américains ce qui compte surtout, c’est d’une part de ne laisser à l’écart aucune ressource présente en Californie, et d’autre part d’avoir une taille acceptable par le Congrès, puisque l’admission comme État est le premier objectif. Les députés spéculent pendant de longs discours sur la réaction des États du Nord et de ceux du Sud sur ce qu’impliquent leurs frontières par rapport aux équilibres entre États « libres » et États « avec esclaves », sachant que très vite dans la convention il est décidé que la Californie serait un État libre, ceux qui auraient voulu l’inverse se ralliant, pragmatiques, à la majorité149. À ces débats orientés vers le Congrès des États-Unis de la part des immigrants récents, répondent des arguments de la part de ceux pour qui la Californie est plus qu’une mine d’or, un port sur le Pacifique et un moyen d’être élu sénateur au Congrès des États-Unis, ceux qui en sont les colons et les défenseurs depuis de nombreuses années150. Ceux-là ne sont pas non plus unanimes sur la question des frontières. Pour José Antonio Carrillo, actif dans la politique californienne, en particulier à Los Angeles, depuis les années 1820, il semble hors de question de diviser la Californie. « Les Membres de cette Convention sont envoyés par le peuple de Californie, non pour former un gouvernement pour n’importe quelle portion du territoire, mais pour la Californie. La seule question est : qu’est ce que la Californie ? C’est le territoire défini comme tel par le Gouvernement d’Espagne et toujours reconnu comme tel par le Gouvernement mexicain. » Il ajoute qu’exclure une partie des habitants « d’un État qui deviendra en très peu de temps l’un des plus riches États de l’Union et contribuera à l’honneur, au pouvoir et à la gloire des États-Unis autant que n’importe quel autre État » serait une « injustice », « leurs descendants auront des bonnes raisons de se plaindre », car ils n’auront pas « rempli leur devoir151 ».
61Au contraire, pour John Sutter, originaire de Suisse et naturalisé mexicain, qui a reçu une concession et a construit un fort pour exploiter la région de l’intérieur grâce aux Amérindiens, intégrer les déserts au-delà des montagnes n’est pas nécessaire. Il s’appuie pour former son opinion sur son expérience de voyageur et sur les connaissances rassemblées à partir des témoignages des immigrants qui passaient presque tous par son fort à leur arrivée en Californie. « Les messieurs qui ont traversé ces déserts et franchi ces montagnes doivent le savoir, mais c’est impossible pour ceux qui sont passés par le Cap Horn, d’imaginer à quel point c’est un grand désert, et il serait tout à fait impolitique pour l’État de Californie d’embrasser dans ses limites un tel pays. » Mais afin de « faciliter le commerce entre les gens de San Diego et ceux de Sonora et du Nouveau-Mexique » il faudrait « inclure la portion à la confluence de la rivière Gila et du fleuve Colorado ». C’est une perspective utilitariste fondée sur son expérience et sa pratique du territoire152. Les avis divergents de Carrillo et Sutter reflètent des projets différents déjà avant l’annexion et avant la découverte d’or en Californie qui correspond aussi à une distinction entre Californiens natifs et immigrants plus récents. Les Californios mettent en effet en avant l’origine espagnole du projet californien, et son existence en tant que telle, en tant qu’entité politique (avec son peuple), avant l’annexion. Le débat à la Convention au sujet du « grand sceau de l’État de Californie » est alors particulièrement révélateur. Quand le député Caleb Lyon fait la proposition de faire figurer un ours sur celui-ci, Mariano Vallejo s’y oppose fermement ou demande du moins que s’il reste, il soit représenté retenu par un lasso aux mains d’un vaquero153 » : l’ours est non seulement le symbole de sa reddition lors de la « Bear Flag Revolt » à Sonoma mais aussi un ennemi pour les éleveurs, c’est-à-dire pour la majorité des Californios. En repoussant la figure de l’ours, Vallejo exprime sa fierté de Californio qui a commencé le développement et la civilisation de la Californie, contre des Étatsuniens qui veulent mettre en avant son statut de frontière sauvage qu’eux-seuls viennent commencer à défricher. Quant au choix de Minerve sur le sceau, « la déesse qui a surgi adulte de la tête de Jupiter » il symbolise le « type de naissance politique de l’État de Californie qui n’est pas passé par le statut probatoire de territoire ». C’est bien sûr mettre entre parenthèses toute l’histoire politique de la Californie avant 1849154.
Sceau de l’État de Californie, 1849.

Notes de bas de page
1 Pour un bilan historiographique récent, du double point de vue du Mexique et des États-Unis, voir Rolando Avila et Santoni Pedro, « Historiography of the Mexican-American War », in Spencer C. Tucker, The Encyclopedia of the Mexican-American War. A Political, Social, and Military History, Santa Barbara, ABC-CLIO, 2012, p. 301-304.
2 Citation de titre dans DHC Vallejo, t. 12, no 157.
3 Churchill Charles B., « Thomas Jefferson Farnham: An Exponent of American Empire in Mexican California », Pacific Historical Review, vol. 60, no 4, 1991, p. 518 ; Farnham Thomas Jefferson, Travels in the Great Western Prairies, the Anahuac and Rocky Mountains, and in the Oregon Territory, Poughkeepsie, Killey and Losing, 1841 ; Travels in the Californias, and scenes in the Pacific Ocean, op. cit.
4 Nunis Doyce B., « Alta California’s Trojan Horse: Foreign Immigration », in Ramón A. Gutiérrez et Richard J. Orsi (dir.), Contested Eden: California Before the Gold Rush, Berkeley/Londres, University of California Press, 1998, p. 313. Voir aussi sur ce thème Cleland Robert Glass, “The Early Sentiment”, op. cit.
5 Marsh Family Papers Additions, Marsh à son père, 3 avril 1842. L’utilisation du terme « anglo-saxon » dénote une conception raciste et hiérarchique des sociétés humaines qui s’affirme à la même époque.
6 Havard Gilles, Histoire des coureurs de bois, op. cit.
7 Bidwell John, The Life and Writings of a Pioneer, 1841-1900, Spokane, Arthur H. Clark Co., 2004, p. 76 et 98 ; Lyman George D., John Marsh, Pioneer. The Life Story of a Trail-Blazer on Six Frontiers, New York, C. Scribner’s Sons, 1930, p. 235.
8 L’expression, souvent reprise, vient d’un article signé « H. », daté du 4 mars 1843 dans le territoire d’Iowa, reprise dans des journaux de la côte est en avril-mai.
9 Chaffin Tom, Pathfinder. John Charles Frémont and the Course of American Empire, New York, Hill and Wang, 2002, p. 147 ; Hine Robert V. et Faragher John Mack, The American West. A New Interpretive History, New Haven, Yale University Press, 2000, p. 185.
10 Chaffin Tom, Pathfinder, op. cit., p. 26 et 36-42.
11 Chaffin Tom, Pathfinder, op. cit., p. 80 ; sur Benton, voir Chambers William Nisbet, Old Bullion Benton, Senator from the New West. Thomas Hart Benton, 1782-1858, Boston, Little/Brown, 1956 ; Smith Elbert B., Magnificent Missourian: the Life of Thomas Hart Benton, Philadelphia, Lippincott, 1958 ; sur Jessie Fremont, voir Herr Pamela, Jessie Benton Fremont. A Biography, New York, F. Watts, 1987.
12 Chaffin Tom, Pathfinder, op. cit., p. 138.
13 Hine Robert V. et Faragher John Mack, The American West, op. cit., p. 190.
14 Le roman de Fenimore Cooper The Pathfinder, surnom qui est ensuite attribué à Fremont, est publié en 1840.
15 DHC Vallejo, t. 34, no 35 et t. 11, no 464.
16 ASP, box 40, Thomas O. Larkin, lettre du 4 mars 1845.
17 HHB4, p. 418, n. 30.
18 LR, t. 4, p. 20-22 ; DHC Bandini, no 55 et Castañares Manuel, Coleccion de documentos relativos al Departamento de Californias, Mexico, Imprenta de La Voz del Pueblo, 1845, p. 17.
19 Vallejo, t. 4, no 270.
20 La plupart des sources les plus négatives concernant ces soldats sont postérieures, qu’il s’agisse de correspondance privée ou de récits ultérieurs. Bancroft estime que ces plaintes sont exagérées. HHB4, p. 363-367.
21 DSP Angeles, t. 7, p. 91 et 94.
22 Voir chapitre i.
23 DHC Vallejo, t. 12, no 108 ; GSS, no 127, caja 300, exp. 23 ; ASP, box 14, no 12 ; Beebe Rose Marie et Senkewicz Robert M., Testimonios, op. cit., p. 261.
24 Son nom est mentionné dans une liste, fameuse parmi les historiens de la Californie, que fait le consul étatsunien pour énumérer les hommes avec lesquels il fallait compter en politique en Californie mexicaine. TOL, t. 4, p. 322.
25 DSP, t. 17, p. 84 ; DHC Vallejo, t. 12, nos 119 et 122-123 ; DHC Guerra, t. 1, p. 44-50.
26 Castañares Manuel, Coleccion de documentos relativos al Departamento de Californias, op. cit. ; SP Sac. 16, p. 17-19 ; DR, 14, p. 55 ; DSP, t. 8, p. 1-2.
27 Memoria del Ministro de Relaciones, 11-12 mars 1845 ; Memoria del Ministro de Guerra y Marina, 10-11 mars 1845.
28 Castañares Manuel, « California y sus males. Exposición dirigida al Gobierno en 1ero de Setiembre de 1844 », Coleccion de documentos relativos al Departamento de Californias, op. cit., p. 21-52 ; HHB4, p. 416.
29 DSP Ben, t. 1, p. 80.
30 Il s’agit de la révolution menée par le général Alvarez.
31 DHC Vallejo, t. 12, no 184 ; HHB5, p. 32, n. 6. Sur les troubles mexicains de ces années-là, Costeloe Michael P., The Central Republic in Mexico, 1835-1846, op. cit.
32 DHC Vallejo, t. 12, no 191.
33 LR, t. 3, p. 323.
34 DHC, t. 34, no 193, 7 mars 1846 (copié le 2 avril 1846) ; pour l’analyse de Bancroft, HHB5, p. 41.
35 Divers discours de février à mai 1846, DHC Bandini, passim.
36 DHC Bandini, no 72, Pico à Bandini, 3 juin 1846.
37 DHC Bandini, no 71, Pico à Bandini, 26 mai 1846.
38 HHB5, p. 49, n. 40 ; DHC Bandini, no 76, Pico à Bandini, 19 juin 1846 et à l’assemblée ; DSP, t. 7, p. 21-27 ; t. 8, p. 135.
39 HHB4, p. 116.
40 Leidesdorff, t. 1, p. 87.
41 TOL, t. 4, p. 76.
42 TOL, t. 4, p. 118.
43 Cité par Alvarado, t. 5, p. 134.
44 Toutes ces discussions ont donné lieu à de nombreuses reconstitutions de conseils et de discours prononcés. Il s’agit la plupart du temps d’une compilation de discours, de conversations informelles, de correspondance, etc., notamment dans Alvarado, t. 5, chap. 41, p. 130-155 et Vallejo, t. 5, chap. 65, p. 71-90.
45 DHC Vallejo, t. 12, no 181.
46 Le gouvernement mexicain avait garanti ses emprunts par une hypothèque sur les terres publiques de quelques États et Territoires du Nord, notamment lors d’une négociation de 1837 : Villegas Revueltas Silvestre, Deuda y diplomacia. La relación México-Gran Bretaña, 1824-1884, México, Universidad Nacional Autónoma de México, 2005, p. 60 ; Costeloe Michael P., Bonds and Bondholders. British Investors and Mexico’s Foreign Debt, 1824-1888, Westport, Praeger, 2003.
47 Vallejo, t. 5, p. 63.
48 DHC Vallejo, t. 12, no 181.
49 Foucrier Annick, Le rêve californien, op. cit., p. 92-94.
50 Angustias de la Guerra se souvient avoir entendu Hartnell faire cette réflexion et s’être exprimée en accord avec lui, in Beebe Rose Marie et Senkewicz Robert M., Testimonios, op. cit., p. 272.
51 DHC Vallejo, t. 12, no 181.
52 TOL, t. 4, p. 295.
53 Sexton Jay, The Monroe Doctrine. Empire and Nation in Nineteenth-Century America, New York, Hill and Wang, 2012.
54 ASP, box 6, no 23 ; Bandini, « Political situation in California », 1846. Larkin et Bandini omettent la question de l’esclavage dans cette discussion sur la liberté.
55 DHC Pico, F. Guerrero à José Castro, p. 287.
56 Vallejo, t. 5, p. 75.
57 Leidesdorff papers, t. 2, nos 125 et 127.
58 TOL, t. 4, p. 404.
59 TOL, t. 4, p. 128. Les articles étaient rédigés par Larkin lui-même ou John Marsh. Lyman George D., John Marsh, Pioneer. The Life Story of a Trail-Blazer on Six Frontiers, op. cit. ; Hurtado Albert L., Indian Survival on the California Frontier, op. cit.
60 Crapol Edward P., John Tyler. The Accidental President, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2006 ; Greenberg Amy S., A Wicked War. Polk, Clay, Lincoln, and the 1846 U.S. Invasion of Mexico, New York, Alfred A. Knopf, 2012., emp. 381 ; Cleland Robert Glass, “The Early Sentiment”, op. cit. ; Graebner Norman A., Empire on the Pacific. A Study in American Continental Expansion, New York, Ronald Press Co., 1955.
61 DHC Vallejo, t. 12, no 157.
62 Ide Simeon, A Biographical Sketch of the Life of William B. Ide, Claremont, Published for the subscribers by S. Ide, 1880.
63 Cass Lewis, California claims. In Senate of the United States, Washington, Committee on Military Affairs, 1848, p. 12-13 et 25-38 ; Sutter’s diary, p. 7 ; DHC Vallejo, t. 12, no 220.
64 Chaffin Tom, Pathfinder, op. cit., p. 268.
65 Cass Lewis, California claims, op. cit., p. 25.
66 HHB5, p. 151.
67 Ide Simeon, Life of William B. Ide, op. cit., p. 48.
68 Bear Flag papers, p. 46-49.
69 Ide Simeon, Life of William B. Ide, op. cit., p. 191 sqq.
70 Les sources sur la révolte « Bear Flag » sont nombreuses. Voir, entre autres Ide Leese, Bear Flag et les articles de Semple dans le Monterey Californian, 5 septembre 1846. Les articles de reddition de Sonoma se trouvent dans les « Bear Flag Papers » de la Bancroft library, p. 19-20 et 60-61. Pour un récapitulatif des sources collectées par H. Bancroft, voir HHB5, p. 77, n. 1. Sur le drapeau, voir HHB5, p. 147.
71 DSP, t. 7, p. 239.
72 Alvarado, t. 5, chap. 43, p. 198-203. Alvarado associe la prise de Sonoma à l’attaque de Monterey par le corsaire Hippolyte Bouchard en 1818, que dans les veillées on qualifie toujours de « pirate » ; il explique aussi que le symbole choisi, celui de l’ours, est l’ennemi juré des éleveurs californiens.
73 HHB5, p. 161-162 et 165-168.
74 Alvarado, t. 5, chap. 43, p. 212.
75 Osio, p. 465.
76 DHC Moreno, p. 50.
77 DHC Moreno, p. 18.
78 DHC Moreno, p. 50.
79 Igler David, The Great Ocean, op. cit.
80 La flotte du Pacifique, qui consistait en sept navires, était basée à Mazatlan, où se trouvait également un consul des États-Unis, John Parrott. Des navires ou groupes de navires étaient parfois envoyés en patrouille, et pour recueillir des informations dans les autres ports. Par exemple, le USS Portsmouth était à San Francisco sous le commandement de Montgomery. Heffer Jean, Les États-Unis et le Pacifique, op. cit.
81 Selon les instructions datées du 17 octobre 1845, reçues par Sloat en mars 1846. Les instructions précédentes, datées du 24 juin 1845 et reçues à Honolulu en octobre évoquaient une « déclaration de guerre ».
82 Foucrier Annick, Le rêve californien, op. cit., p. 92.
83 Boronda J. E., p. 21 ; Ávila, p. 32.
84 Alvarado, t. 5, no 23, p. 212.
85 Angustias de la Guerra Ord in Beebe Rose Marie et Senkewicz Robert M., Testimonios, op. cit., p. 265.
86 Hayes, no 186, 17 août 1846.
87 Leidesdorff, box 3, no 198.
88 Robles, p. 17-18.
89 Beebe Rose Marie et Senkewicz Robert M., Testimonios, op. cit., p. 155.
90 Ibid., p. 273.
91 Tays George, « Pío Pico’s Correspondence with the Mexican Government 1846-1848 », California Historical Society Quarterly, vol. 13, no 2, 1934, p. 99-149.
92 HHB, p. 305-324 ; Coronel, p. 78-80 ; Rico, p. 25-26 ; Wilson, p. 66-67 ; Forster, p. 35-37 ; Temple, p. 10-11.
93 Flores avait succédé à José de la Guerra comme commandant à Santa Barbara. Agustin Janssens avait été alcalde à San Diego en 1844, puis en charge de la mission San Juan Capistrano et de Santa Inés dont il était alcalde en 1846. Mariano Bonilla est un juriste et professeur, venu avec la colonie Híjar-Padrés en 1834 ; loyaliste, il soutient Micheltorena en 1845.
94 Escobar, p. 1.
95 Rico, p. 32.
96 Harlow Neal, California Conquered. War and Peace on the Pacific, 1846-1850, Berkeley, University of California Press, 1982, p. 168.
97 Bidwell John, The life and writings of a pioneer, 1841-1900, op. cit., p. 106.
98 Hurtado Albert L., Indian Survival on the California Frontier, op. cit.
99 DHC Janssens, p. 28.
100 Janssens, p. 126.
101 Janssens, p. 131.
102 Leidesdorff papers, box 3, 16 octobre 1846.
103 Escobar, p. 1.
104 TOL, t. 4, p. 333 ; The Californian, 21 novembre 1846.
105 San Francisco Alta, 8 août 1853.
106 Colton Walter, Three Years in California (1846-1849), New York/Cincinnati, A.S. Barnes & Co./H.W. Derby & Co., 1850, p. 152.
107 Pubols Louise, « Hijos del pais: Learning to be Californios », art. cité, p. 277.
108 Osio Antonio María, History of Alta California, op. cit., p. 236.
109 Colton Walter, Three Years in California (1846-1849), op. cit., p. 123.
110 Version numérisée disponible sur le site de la California Digital Newspapers Collection, [http://cdnc.ucr.edu], consulté le 27 mars 2023. Pour une version imprimée et une introduction, voir Hammond George Peter, The Californian, volume one; facsimile reproduction of thirty-eight numbers, a prospectus, and various extras and proclamations, printed at Monterey between August 15, 1846 and May 6, 1847, San Francisco, J. Howell, 1971.
111 The Californian, 15 août 1846.
112 Mi-1847, le Californian s’installa également à San Francisco, qui devenait le port principal d’arrivée des nouvelles. Ces deux publications durent s’interrompre à l’été 1848, tout le personnel étant parti aux mines d’or, mais la publication reprit avec la fusion des deux journaux à la fin de l’année.
113 Voir aussi les efforts de Pedrorena, qui ne sont pas couronnés de succès : Leidesdorff papers, box 5, no 396.
114 Mountford Benjamin et Tuffnell Stephen, A Global History of Gold Rushes, Berkeley, University of California Press, 2018.
115 Il est impossible de donner ici toute la bibliographie concernant la ruée vers l’or. Mais on pourra consulter en particulier Starr Kevin et Orsi Richard J., Rooted in Barbarous Soil. People, Culture, and Community in Gold Rush California, Berkeley/Londres, University of California Press, 2000 à titre de synthèse, et les ouvrages généraux suivants : Holliday Joseph S. et Swain William, The World Rushed in. The California Gold Rush Experience, New York, Simon and Schuster, 1981 ; Rohrbough Malcolm J., Days of gold the California Gold Rush and the American nation, Berkeley, University of California Press, 1997 ; Johnson Susan Lee, Roaring Camp. The Social World of the California Gold Rush, New York, W.W. Norton, 2000 ; Richards Leonard L., The California Gold Rush and the Coming of the Civil War, New York, Alfred A. Knopf, 2007.
116 Le premier recensement étatsunien en 1850 donnait une population de 92 597 habitants ; celui de 1860, 379 994, soit une augmentation de 310,4 %. Dans le même temps, on estime que la population amérindienne chuta de 150 000 à 30 000.
117 Robertson James Rand, From Alcalde to Mayor. A History of the Change from the Mexican to the American Local Institutions in California, Berkeley, University of California, 1908.
118 Burton papers, C-B 440, Burton à Kearny, 21 mai 1847.
119 Pubols Louise, « Hijos del pais: Learning to be Californios », art. cité, p. 273.
120 Janssens, p. 13.
121 Janssens, p. 133-134.
122 Pitt Leonard, The Decline of the Californios, op. cit., p. 43.
123 ASP, box 6, no 27.
124 TOL, t. 5, p. 242.
125 Benet Riley Papers, C-A 118, box 3, no 238.
126 Miller Robert Ryal, Juan Alvarado, op. cit.
127 Rosenus Alan, General M.G. Vallejo and the Advent of the Americans, op. cit.
128 Colton Walter, Three Years in California (1846-1849), op. cit., p. 55 ; sur les « alcaldes de transition », voir Homan Anne M., « Some Transitional Alcaldes in Northern California, 1846-1850 », California Territorial Quarterly, no 42, 2000, p. 50-61.
129 California Star, 6 et 13 mars 1847.
130 Debates, p. 64.
131 Reid John Phillip, Law for the Elephant. Property and Social Behavior on the Overland Trail, San Marino, Huntington Library, 1980 ; Langum David J., Law and Community on the Mexican California Frontier Anglo-American Expatriates and the Clash of Legal Traditions, 1821-1846, Norman/Londres, University of Oklahoma Press, 1987.
132 Cleland Robert Glass, The Cattle on a Thousand Hills, op. cit. ; Langum David J., Law and Community on the Mexican California Frontier Anglo-American Expatriates and the Clash of Legal Traditions, 1821-1846, op. cit. ; Pisani Donald J., Water, Land, and Law in the West. The Limits of Public Policy, 1850-1920, Lawrence, University Press of Kansas, 1996.
133 Hurtado Albert L., John Sutter. A Life on the North American Frontier, Norman, University of Oklahoma Press, 2006, p. 266.
134 Juan Fernández Papers.
135 Riley Papers, C-A 118, 29 novembre 1849.
136 Grivas Théodore, Military Governments in California, 1846-1850, Glendale, A.H. Clark Co., 1963.
137 California Star, 13 février 1847.
138 HHB6, p. 268.
139 Lotchin Roger W., San Francisco, 1846-1856. From Hamlet to City, New York, Oxford University Press, 1974 ; Ethington Philip J., The Public City. The Political Construction of Urban Life in San Francisco, 1850-1900, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1994 ; Berglund Barbara, Making San Francisco American. Cultural Frontiers in the Urban West, 1846-1906, Lawrence, University Press of Kansas, 2007.
140 Richards Leonard L., The California Gold Rush and the Coming of the Civil War, op. cit.
141 Grivas Théodore, Military Governments in California, 1846-1850, op. cit.
142 Alta California, 22 mars 1849. Sacramento est devenue une ville à l’initiative de John Sutter, avec l’aide de Sam Brannan, après la découverte d’or et l’afflux de population conséquente.
143 Sur la délégation californiana à la convention constitutionnelle, voir Hargis Donald E., « Native Californians in the Constitutional Convention of 1849 », The Historical Society of Southern California Quarterly, vol. 36, no 1, 1954, p. 313 ; Pitt Leonard, The Decline of the Californios, op. cit., p. 43-47.
144 Debates, p. 11. La mention des 3/5e par un sudiste n’est sans doute pas une coïncidence, cette fraction étant celle qui permet de comptabiliser les esclaves dans la représentation des États qui en comptent.
145 Debates, p. 22.
146 Sur le traité, voir Griswold del Castillo Richard, The Treaty of Guadalupe Hidalgo a Legacy of Conflict, Norman, University of Oklahoma Press, 1990.
147 Ryan Mary P., Civic Wars Democracy and Public Life in the American City During the Nineteenth Century, Berkeley, University of California Press, 1997 ; Pani Erika, « Ciudadanos, cuerpos, intereses: las incertidumbres de la representación. Estados Unidos, 1776-1787-Mexico, 1808-1828 », Historia mexicana, vol. 53, no 1, 2003, p. 65-115.
148 Ryan Mary P., Civic Wars, op. cit., p. 122.
149 Richards Leonard L., The California Gold Rush and the Coming of the Civil War, op. cit. ; Smith Stacey L., Freedom’s Frontier, op. cit.
150 Debates, p. 169.
151 Debates, p. 193.
152 Debates, p. 169. La plus grande partie des forty-niners était arrivée par voie maritime.
153 Debates, p. 323.
154 Pitt Leonard, The Decline of the Californios, op. cit., p. 44. Debates, p. 308. Pour Lyon, l’ours est une « caractéristique particulière du pays ».
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