Chapitre VI. Entre normalisation et montée des périls (1834-1842)
p. 185-220
Texte intégral
1Mariano Vallejo, après la victoire de son camp formule ainsi leur ambition : « il est nécessaire que nous tous qui avons fait changer le pays… nous lui donnions une nouvelle forme et qu’il ne sorte pas de nos mains sans que nous l’ayons organisé1 ». Arrivés au pouvoir, les hommes de cette génération née dans la première décennie du siècle espèrent réaliser le programme rêvé, fruit à la fois de l’héritage colonial espagnol et de la révolution libérale mexicaine. Longtemps isolée, la Haute-Californie devient dans ces années-là de plus en plus fréquentée par les navires marchands ou baleiniers, par les trappeurs et les commerçants, visites qui donnent aussi des espoirs de développement aux Californiens, tout en marquant l’exposition de leur pays aux ambitions de puissances en expansion coloniale dans la région (États-Unis, Grande-Bretagne, France). Pendant cette période, certains traits de la Haute-Californie qui tenaient à son caractère de front de colonisation s’atténuent vers une apparente normalisation, avec une organisation générale en municipalités et l’extinction ou la marginalisation des institutions typiques de la frontière qu’étaient la mission ou le presidio. C’est pourquoi cette période est parfois considérée comme la véritable fin de la période coloniale. Cependant, la montée constante des périls internationaux et la vigueur renouvelée des sociétés amérindiennes de l’intérieur tendent à montrer que cette normalisation est un pari de certains dont l’opportunité est contestée localement comme à Mexico.
La fin de la période coloniale ?
2La fin des années 1830 marque l’effacement de deux institutions qui avaient marqué la colonisation de la Haute-Californie à ses débuts : les missions franciscaines et les forts militaires. Autour de 1835, tous les types d’établissements convergent vers l’organisation en ayuntamientos à partir d’institutions, de populations, de territoires et de pratiques très diverses. Au départ, chaque mission devient le siège d’un, voire de plusieurs pueblos. Plus tard, suivant l’évolution de chaque mission et de ses relations avec les établissements alentours, on peut assister à des fusions et à des montages comme la conjonction d’une mission et d’un presidio, soit encore un agrégat d’une mission, d’un pueblo et d’un presidio (Monterey). Les situations varient ainsi en fonction de la répartition de la population entre campagnes environnantes et bourg, proportion et place respective des populations dites « de razón » et amérindiennes. De plus, à la faveur des réformes constitutionnelles mettant en place un système plus centralisé, et harmonisant la Californie avec le reste du territoire mexicain, le gouverneur fait diviser le département en districts dépendant d’une capitale où siège un préfet. Les ayuntamientos sont alors remplacés par un juge de paix nommé. De l’échelle très locale à l’échelle départementale, on assiste donc tout au long de la décennie à une tentative de construction d’une structure administrative et politique relativement homogène, en même temps que d’une gestion ad hoc suivant les communautés. Cet effort est l’occasion de tensions, et de négociations, à toutes les échelles, chaque groupe d’acteurs essayant de tirer parti d’une situation en flux.
Après la sécularisation des missions, un gouvernement libre pour les Amérindiens ?
3D’après les promoteurs de la sécularisation des missions, le but de l’opération était de libérer les Amérindiens de l’emprise matérielle et spirituelle des missionnaires, d’en faire des citoyens à part entière par le biais de l’organisation municipale et de la propriété individuelle et de les attacher ainsi à la république. Si l’organisation en pueblos signe du point de vue de l’État mexicain et des libéraux l’achèvement du processus de décolonisation, du point de vue amérindien, la perspective est différente. Ce n’est pas tant que les néophytes se désintéressent de la réforme des missions comme l’affirme George Phillips, mais, ainsi que le démontre Lisbeth Haas, qu’ils souhaitent que le processus se déroule selon leurs conditions et reflète l’histoire, les pratiques et la spatialité, y compris récente, de leurs communautés2. Or, reflet de son paternalisme à l’endroit des populations autochtones, ainsi que d’un désir des colons d’avoir la main sur le foncier (et la force de travail), l’administration territoriale ne laisse initialement guère de place à une organisation autonome des ex-néophytes. D’abord, dans les missions récentes, comme à San Francisco Solano dans le Nord, les autorités sont défavorables à ce que les nombreux néophytes qui le souhaitent retournent dans leur village d’origine, estimant que « l’éducation civile et religieuse qu’ils ont reçue est trop superficielle et incomplète » pour que sans « les stimulations et le respect qui les inclinent aujourd’hui à des coutumes rationnelles… ils oublient toutes les obligations qui les lient à la société et seront perdus pour toujours ». Si on met fin à la mission, il n’est pas ici question de renoncer à « civiliser » les autochtones : la sécularisation est certes « un bien », mais il ne faudrait pas « le transformer en mal, en les faisant reculer sur le chemin de la civilisation3 ». En somme, on garde les missions mais sans l’influence des missionnaires.
4Dans les missions plus anciennes, l’organisation de pueblos ne tient pas compte des usages de l’espace et des réalités de la vie sociale des néophytes en leur sein. La crise sanitaire, environnementale et sociale suivant l’arrivée des Espagnols et la relocalisation de populations dans les missions avaient conduit à la formation de nouvelles communautés issues de sociétés amérindiennes diverses. Malgré la dimension subie et coercitive du regroupement et du travail dans les missions, ces communautés avaient, au fil des décennies, pris une consistance et leurs membres avaient développé une vie sociale et de nouvelles pratiques territoriales. Au moment de la sécularisation des missions, ce que veulent les membres de ces sociétés ne correspond pas nécessairement aux projets des administrateurs en charge de répartir les terres et d’organiser les municipalités. Ainsi, quand Santiago Argüello, commandant de San Diego, est chargé d’organiser un pueblo indigène, San Dieguito, au sein du terroir de la mission de San Diego et sélectionne 109 personnes, celles-ci refusent, arguant que cette localité ne représente rien pour eux collectivement. « Malgré [trente ou quarante années de vie dans la mission], tous avaient pour horizon que l’émancipation impliquait de revenir dans leur territoire et reprendre possession de leurs terres ancestrales » écrit Haas, « si cela n’était pas possible, ils voulaient rester au sein de la mission où ils avaient cultivé et irrigué la terre et créé la vie avec leurs familles4 ». À la mission San Luis Rey, lorsque le même Argüello veut fonder les pueblos de Santa Margarita et de Las Flores, il est confronté à la même réaction, comme Pablo de la Portilla lorsqu’il propose la fondation du pueblo de San Mateo à San Juan Capistrano : les Acjachemen/Juaneños, restent attachés à leur terroir d’origine mais sont aussi conscients de leurs droits de disposer des terres qui leur reviennent selon la loi5. La fonction même d’administrateur, nommé par le gouverneur, est un obstacle à ces droits et les ex-néophytes ont recours à un certain nombre de stratégies pour la remettre en cause sans avoir nécessairement les moyens d’y mettre fin. Certaines familles sont particulièrement détestées (surtout si elles comptent de nombreux membres, car il faut d’autant plus de travail pour les entretenir). Même lorsqu’ils n’ont pas à s’en plaindre, ils demandent le remplacement de l’administrateur, une demande que l’inspecteur des missions nommé par le gouverneur pour superviser la sécularisation, William Hartnell, juge déraisonnable, un jugement paternaliste qui ne tient pas compte de la volonté d’auto-organisation de ces communautés et qui témoigne du raisonnement selon lequel les ex-néophytes qui ne sont des citoyens libres et organisés politiquement que tant qu’ils se comportent comme on l’attend d’eux6. En réaction, les ex-néophytes menacent régulièrement de cesser le travail, ou de garder toutes leurs productions pour eux7. À San Diego, seuls les plus faibles restent sur place, tandis que les autres partent ailleurs chercher du travail, par exemple à Los Angeles ou dans les ranchos environnants. À Los Angeles ils deviennent l’objet d’une surveillance et doivent justifier de leurs déplacements et de leur occupation légitime. La répression de la criminalité qui les vise fait que nombre d’entre eux passent d’ailleurs sous la dépendance de particuliers ou de l’ayuntamiento qui les emploient en accomplissement de leur peine8.
5L’administrateur n’est cependant pas la seule autorité sur place : les nouveaux vecinos amérindiens élisent toujours des alcaldes. Mais ces derniers ne défendent pas toujours les intérêts de leurs concitoyens : à Santa Barbara, un petit groupe de Chumashs dénonce l’alcalde Jacinto, qui au lieu de relayer leurs plaintes, de mèche avec l’administrateur, a conseillé à Hartnell venu inspecter leur mission de ne pas les croire9. Un autre recours est le missionnaire resté sur place. La sécularisation ne met en effet pas brusquement fin à son influence, qui doit néanmoins s’exercer par d’autres moyens. Lorsqu’à San Antonio Texhaya le missionnaire du lieu souhaite faire suspendre de l’ayuntamiento un sindico (également responsable de l’école de musique liée à l’église) qui lui aurait manqué de respect, ce simple argument, qui le rendrait indigne de sa charge, ne suffit pas. Lors d’une séance du conseil municipal, le missionnaire menace : si l’ayuntamiento ne suspend pas Cruz, il « se verrait obligé la prochaine fois à le châtier lui-même ». Afin de garder les apparences, l’administrateur de la mission, Manuel Crespo, ajoute d’autres charges, qui permettent à l’ayuntamiento d’accéder à la demande du missionnaire sans donner trop de poids au respect qui lui serait dû. Le missionnaire garde donc dans les faits du pouvoir mais en même temps la sécularisation et la transformation en pueblo l’obligent à passer par l’ayuntamiento. Dans ce cas, on voit une coopération entre le missionnaire et le comisionado, ce qui n’est pas toujours le cas, mais est loin d’être une exception10. Le missionnaire est souvent l’intermédiaire par lequel les Amérindiens font connaître leurs demandes, comme à Santa Barbara où quatre néophytes se présentent devant le leur pour lui demander de défendre leurs droits11. Mais parfois la formulation par les missionnaires de ces revendications reflète davantage leur vision des choses : par exemple, à San Luis Obispo, un groupe de néophytes présente à Monterey une pétition rédigée par le missionnaire Mercado, qui évoque les méfaits de la sécularisation en général et de l’administrateur Trujillo en particulier ; or il s’avère que leur plainte concerne un problème de bétail. C’est Mercado qui a reformulé leurs doléances au prisme de ses propres difficultés avec l’administrateur12.
6La transformation légale des missions en pueblos pose également la question de la migration de colons blancs de razón en leur sein. Dans la plupart des cas, une telle migration n’est recommandée ni par les administrateurs ni par le missionnaire ni par le gouvernement, de peur qu’ils ne « corrompent » les autochtones ou ne leur prennent leur terre, ce qui semble aussi valable pour les ex-néophytes émancipés dans certaines missions comme à Santa Barbara13. De fait, lorsque des colons de razón s’installent dans les missions, cela aboutit souvent à une dissolution du pueblo amérindien et à une fusion avec le pueblo de razón le plus proche, comme Santa Cruz et Branciforte en 184414. À Dolores (San Francisco), le site de l’ancienne mission devient non plus un village autochtone, mais un village de razón presque exclusivement, après la décision tardive du gouverneur d’autoriser la concession de terres sur le territoire de la mission. Au départ, il s’y refuse, au nom du droit à la terre des missions pour les anciens néophytes. Mais à partir de 1839, les Ohlone étant installés à San Mateo, plus au sud, et revendiquant cette localité ainsi que la côte correspondante (entre Purísima et Pilarcitos, aujourd’hui Half Moon Bay), des lots commencent à être concédés par l’ayuntamiento à des vecinos de San Francisco, au point que c’est Dolores qui devient le centre de peuplement mexicain de la péninsule, alors que Yerba Buena, sur la plage, concentre commerçants et trappeurs de loutres, souvent étrangers15. Le bourg de Los Angeles avait toujours dépendu pour certains services, y compris spirituels, de San Gabriel, une mission de taille importante et très productive. Avec la sécularisation, le rapport de forces a tendance à s’inverser en faveur du bourg. Il est certes utile pour les autorités départementales de conserver une forme d’indépendance à la mission, par exemple pour y stationner des troupes chargées de surveiller Los Angeles16. Mais par exemple, l’alcalde et le préfet doivent donner leur accord pour que l’administrateur de la mission puisse récupérer des Amérindiens qu’il revendiquerait comme fugitifs17.
7À l’échelle de la Haute-Californie, la sécularisation s’est au final plutôt traduite par un transfert de propriété et des travailleurs des missionnaires aux administrateurs puis, souvent, aux propriétaires des ranchos à qui les terres ont été concédées, un résultat avéré bien qu’encore méconnu dans ses mécanismes concrets. À San Gabriel, des vecinos se sont installés au cœur de l’ex-mission et semblent vivre du travail des ex-néophytes. L’ayuntamiento et le missionnaire leur ordonnent d’en partir. Afin de faire valoir ces droits, les ex-néophytes se rendent parfois dans la juridiction la plus proche : en 1840, les Payómkawichum/Luiseños de San Luis Rey et l’administrateur Estudillo dénoncent auprès de l’ayuntamiento de Los Angeles l’appropriation par Pío Pico du rancho de Temecula. La multiplication des concessions de ranchos se traduit dans les faits par une dissolution des nouveaux pueblos (amérindiens) dans les anciens (de razón). À San Juan Capistrano par exemple, une quarantaine de vecinos de San Diego s’installent au tournant des années 1840 si bien qu’en 1841 le gouverneur prend la décision de dissoudre la municipalité. C’est que dans ces années 1840, sous l’effet de la sécularisation, du développement des ranchos, ainsi que de la réforme de l’administration préfectorale, la structuration spatiale, juridictionnelle et administrative du département évolue.
Une réorganisation spatiale, administrative et juridictionnelle
8Avec les concessions de terres, dans les années qui suivent la sécularisation et la municipalisation des anciens forts, on assiste à une restructuration de la vie des pueblos qui s’étire en quelque sorte vers les campagnes et qui entraîne d’ailleurs parfois la renégociation des juridictions municipales. Dépendants de la juridiction de San Francisco, les rancheros de la Contra Costa, située de l’autre côté de la baie, pétitionnent ainsi pour leur rattachement à San José en 1835 arguant des difficultés de la traversée de la baie et du manque d’hébergement au chef-lieu18. Les deux municipalités rivalisent autour de leur juridiction sur ce terroir productif tandis que les rancheros jouent aussi l’une contre l’autre.
9Le faible peuplement, et l’éparpillement de la population du fait de la multiplication des ranchos, malgré un certain renforcement des villes avec la croissance démographique généralisée (migrations et croissance naturelle), est à l’origine d’un écart entre la structure administrative, même réduite à partir de la fin des années 1830 et les ressources disponibles. Ainsi, plusieurs localités ne disposent pas d’une pièce et encore moins d’un bâtiment pour accueillir l’alcalde ou le juge de paix. La réorganisation des missions ou des presidios en ayuntamiento, puis, plus tard, la mise en place des préfectures et des sous-préfectures pose en effet des problèmes très pratiques et matériels, le premier d’entre eux étant la question des locaux, l’ayuntamiento et le sous-préfet ayant besoin d’une salle pour siéger et archiver leurs documents. Occuper une pièce des bâtiments d’une ancienne mission demande concrètement une négociation avec le missionnaire, et symboliquement a de fortes implications sur la sacralité de l’espace et la transition entre les deux institutions. Par exemple, à Santa Cruz, le missionnaire réclame l’usage de dix pièces, ce qui lui est refusé par l’administrateur, soutenu par le gouverneur : le règlement de sécularisation stipule bien que le missionnaire peut choisir les pièces et les bâtiments qu’il souhaite garder à sa disposition, mais cela ne lui donne pas pour autant le droit de les occuper tous19.
10Si on choisit de faire construire un bâtiment, il faut recruter des travailleurs, c’est-à-dire en général des Amérindiens néophytes ; le travail de ceux-ci, malgré l’émancipation, étant rarement libre, il s’agit de négocier cette mise à disposition avec celui qui les contrôle, souvent, au départ, l’administrateur d’une mission sécularisée. Par exemple, à San Francisco en 1841, l’alcalde demande la mise à disposition d’une pièce ou d’un néophyte pour en faire construire une20. Au même endroit, la décision d’ouvrir une douane en 1844 entraîne que dans un premier temps celle-ci partage ses locaux avec l’agent d’une firme commerciale, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de conflit d’intérêts (qui ne semblent pas avoir suscité d’émotion à l’époque). On finit par prélever des matériaux de construction dans les ruines du presidio (et de la mission), en dépit de la désapprobation du gouvernement. Les Amérindiens chargés de la construction ne restant pas à leur poste, l’alcalde est obligé de faire appel à des membres des groupes de la région de Sonoma fournis par Mariano Vallejo. À Monterey, l’ayuntamiento bénéficie des ressources du gouvernement territorial, à qui l’alcalde David Spence emprunte des tuiles afin de couvrir le toit de la casa consistorial en octobre 183521. Les habitants de Los Angeles, déclarée capitale en 1836, ne parviennent pas à se mobiliser pour trouver des locaux pour le gouvernement22.
11Le manque de ressources au niveau local se manifeste également par les difficultés à trouver des personnes pour exercer les charges municipales, en particulier dans les localités qui comptent peu d’habitants, comme les anciens presidios dont les compagnies militaires se sont amenuisées, soit, comme à San Diego, que les soldats ne soient jamais revenus après la campagne de 1837, soit, comme à San Francisco, qu’elle ait été déplacée sur la frontière au nord de la baie, à Sonoma. Le faible nombre empêche régulièrement de respecter les dispositions légales23. Ce constat conduit Vallejo à confirmer « qu’il n’y a pas [en Californie] d’hommes capables d’être même seulement juge de paix24 ». La dissolution des ayuntamientos élus et la nomination de juges de paix et de préfets par le gouverneur suite aux réformes centralisatrices fait que jusqu’en 1844 il n’y a plus d’élections qu’au niveau territorial pour élire le conseil désormais appelée junta. Le gouverneur, en charge des nominations, a dès lors presque toute latitude pour nommer des proches aux préfectures, sous réserve de confirmation par Mexico. En pratique cependant, plutôt qu’une rupture centralisatrice mettant fin à des arrangements locaux, on constate que la nomination des préfets et la redéfinition des hiérarchies urbaines fournit un levier supplémentaire aux acteurs. L’exemple de la réception du préfet Cosme Peña montre qu’il ne suffit pas à un préfet d’être nommé pour qu’il ait de l’autorité dans son district. Ce juriste mexicain proche d’Alvarado est nommé en avril 1839 préfet du district sud dont la capitale est Los Angeles. Il est loin d’y être accueilli avec enthousiasme et peine à s’imposer. Avant même de recevoir les instructions du gouvernement général désapprouvant sa nomination (ce qui montre qu’il y a en effet un contrôle du gouvernement fédéral), il quitte son poste pour le confier à Tiburcio Tapia, qui avait été l’alcalde de Los Angeles, tandis que les jueces de paz qui doivent remplacer l’ayuntamiento sont le second alcalde et le premier regidor. Les juges de paix sont toujours choisis parmi les notables locaux, même en l’absence d’élections et comme les alcaldes avant eux, ils ne font pas toujours l’unanimité. Les citoyens mécontents font alors appel au préfet, comme à Santa Cruz en 1843 : un groupe de citoyens pétitionne contre leur juge de paix dont ils sont « très insatisfaits » et lui demande de choisir une autre personne qui « donne plus de satisfaction au public25 ». Par ailleurs, si la préfecture unifie un territoire, un district, avec une localité, siège du préfet, qui en est la capitale, la cabecera, cette hiérarchisation n’implique pas pour autant une fusion des pueblos. San Diego, ainsi que les missions, dépendent de Los Angeles, où on va voter, mais gardent leur juez de paz26.
12La construction de l’administration par le biais de la structuration du territoire passe également par un renforcement de l’emploi civil, qui pallie en partie le manque de volontaires pour occuper les fonctions électives (on constate un turn-over important, des difficultés fréquentes pour remplir les postes et des demandes répétées d’autorisation d’absences voire de démission pour cause de mauvaise santé ou d’affaires urgentes à régler). Une fonction essentielle est celle de secrétaire, parfois chargé de remplacer le titulaire de l’administration lors de ses absences27. De fait, les secrétaires, qu’ils soient de l’ayuntamiento ou de la préfecture jouissent d’un prestige social réel : un Espagnol qui s’installe au début des années 1840 décrit la société de Los Angeles, en partant des hommes les plus notables : le deuxième cercle, après les hommes les plus éminents, est constitué d’Agustin Olvera, Ignacio Coronel et Narciso Botello « qui étaient presque toujours secrétaires de l’ayuntamiento, de la préfecture et des juges28 ». Autre exemple, Manuel Castro devient préfet du district de Monterey en 1845 après en avoir été le secrétaire depuis 184229. On assiste donc à une évolution d’un modèle fondé sur des charges électives, elles-mêmes fondées en partie sur l’honneur, vers une professionnalisation et une spécialisation portée par des employés publics30. Les secrétaires ne sont pas les seuls employés : « capitaines du port », collecteurs de taxes dans les ports, tandis que la croissance de la population rurale avec la multiplication des ranchos et la sécularisation est à l’origine de la multiplication des jueces de campo et autres encargados de policía.
13Cette croissance des effectifs civils continue de susciter les critiques. Le commandant militaire Mariano Vallejo en fait même un des motifs principaux de son opposition croissante à Alvarado, qu’il accuse de négliger les défenses militaires du pays au profit d’une administration sans mesure avec les moyens et la population du département. Le gouverneur est taxé de clientélisme, la croissance des postes civils permettant de gratifier ceux qui lui sont loyaux (comme les concessions de terres). Cette concurrence sur les ressources explique aussi la focalisation des acteurs contemporains sur le contrôle de la douane, qui permet effectivement de décider de l’ordre des rémunérations31. José de la Guerra, qui s’en plaint également utilise efficacement le fuero militar comme stratégie de résistance : il réussit à faire juger militairement un homme pour dette, du fait qu’il est à son service, et dépendrait donc de la justice militaire32.
14La sécularisation et l’installation de municipalités puis de préfectures sur tout le territoire entraînent des changements importants dans la manière de pratiquer et concevoir le gouvernement local en Californie. Malgré la faiblesse de peuplement et les difficultés à trouver des ressources, la vie politique à l’échelle des municipalités témoigne d’une mobilisation des cadres municipaux par les citoyens, colons, commerçants, éleveurs, des cadres municipaux qui les utilisent et les négocient selon leurs besoins. Les Amérindiens des missions ont plus de difficultés pour affirmer leurs droits, du fait de leur manque d’accès aux instances juridiques et malgré des mesures de protection à la marge. La sécularisation se traduit également par une redistribution des populations dans les campagnes avec une complémentarité entre les petits noyaux urbains et les ranchos. En parallèle, la vie californienne est aussi intégrée à et travaillée par des processus plus larges à l’échelle du Mexique et de la côte Pacifique de l’Amérique du Nord.
La Haute-Californie, entre construction nationale mexicaine et empires formels et informels du Pacifique
15Malgré la révolution de 1836 et la conquête de 1846, la dernière décennie de la Californie mexicaine ne doit pas être lue à la seule lumière de sa perte par le Mexique : en effet, la société californienne se développe dans un contexte d’échanges croissants à la fois avec le reste du Mexique et avec les autres puissances qui s’affirment dans le Pacifique nord. Comme pour le Yucatán étudié par Justo Flores Escalante, il ne faut pas sous-estimer les dynamiques de connexion et d’intégration de la Haute-Californie au Mexique33.
Des liens accrus avec le reste du Mexique
16Malgré les difficultés mexicaines, les relations entre la Haute-Californie et le reste du pays s’accroissent dans les années 1830, notamment à la faveur de liens personnels qui se tissent par correspondance ou par des voyages. Les commerçants avaient joué depuis l’indépendance un rôle d’intermédiaire et d’informateurs entre le gouvernement et la Californie. Parmi eux certains se trouvent particulièrement bien placés auprès du pouvoir, parmi lesquels Enrique Virmond. Allemand d’origine, mais naturalisé mexicain relativement jeune, il se rend en Californie en 1825 pour la première fois, pour commercer avec les missions et dès cette époque informe régulièrement le gouvernement des nouvelles de Californie. Dès cette époque il fait figure de connaisseur du pays, notamment auprès du président Bustamante et de son ministre Alamán si bien que le gouvernement lui confie parfois des missions officielles (rapporter, par exemple, des objets dignes d’intérêt de Californie pour le musée national). Il entretient une correspondance pendant toute la période avec les marchands de Monterey, mais il est aussi familier des jeunes gens comme Pío Pico ou Mariano Vallejo, avec qui ils s’échangent des services : Virmond apporte des livres à Vallejo en 1830, ce dernier surveille ses investissements en 1836. Cette connaissance de la société californienne, qu’il a pu développer lors de séjours longs, font de lui un intermédiaire utile entre le gouvernement et le Territoire lointain : le gouverneur Victoria, à son arrivée à San Diego, est porteur d’une lettre de recommandation de la part de Virmond adressée à Pico par exemple. C’est encore Enrique Virmond qui est à la manœuvre dans le rapprochement entre nouvelles autorités californiennes et le président Bustamante après 183834.
17Les agents publics et les députés pour la Californie sont aussi des maillons essentiels de ces liens accrus avec la capitale. Le séjour de Carlos Antonio Carrillo à Mexico en 1832-1833 est important, sur le moment mais aussi à son retour, car il transmet son expérience du fonctionnement et des raisonnements du gouvernement. Il est introduit dans les cercles du pouvoir par le même Virmond, qui est aussi son informateur35. Son frère José Antonio Carrillo est élu député par la suite et se rend également à Mexico, où il profite du fait que son frère y était connu pour promouvoir sa nomination comme gouverneur en 1837. Le passage à Mexico de José Antonio lui donne aussi « l’occasion de se dégrossir un peu, ce qui le remplit de présomption36 ». On a vu également que Juan Bandini, député en 1833, a mis à profit son séjour même s’il a évolué dans d’autres cercles.
18Dans le contexte politique difficile des années 1830-1840, ces liens personnels deviennent cruciaux pour mobiliser les Californiens aux commandes et pallier l’absence de ressources : « malgré l’accumulation de sujets qui préoccupent le gouvernement [le président Bustamante] ne perd pas de vue [ses] frères des deux Californies » et ne veut pas « perdre une occasion de saluer [leur gouverneur37] ». En flattant de manière répétée le « patriotisme et le courage » de Vallejo, le même s’excuse de ne pouvoir envoyer en Haute-Californie tous les renforts et les ressources nécessaires à une défense correcte du département : « sans l’ombre d’un doute, lui écrit-il en avril 1840, en cas de danger vous serez celui qui sauvera son pays natal38 » : l’honneur remplacerait les troupes. Cette correspondance permet aussi de livrer une certaine version des nouvelles du pays pour tenter de donner une impression de maîtrise des événements et manifester, parfois, une forme d’intimidation : en janvier 1841, Bustamante informe le gouverneur Alvarado que « tous les départements […] où il y avait une révolution […] ont été complètement pacifiés et se sont unis aux troupes du gouvernement pour faire la guerre non seulement aux Indiens barbares […] mais aussi aux aventuriers du Texas39 ». Cette relation personnelle cherche à dépasser les oppositions de partis du tournant des années 1820, un objectif atteint, selon Vallejo, puisque « le peuple de Californie, bien que dans sa plus grande partie fédéraliste » se montre satisfait de Bustamante « une personne de très bonnes intentions qui s’efforçait de promouvoir le bonheur de tous ses administrés40 ».
19À la chute de Bustamante et au retour de Santa Anna au pouvoir, Vallejo déplore la perte d’un « protecteur » ; Alvarado quant à lui s’empresse de signifier son soutien au nouveau président ; il tente aussi, apparemment, d’ôter toute crédibilité aux rapports de Vallejo critiques à son égard : alors que Vallejo n’a pas encore eu l’information du changement de président, Alvarado le laisse envoyer ces rapports adressés à Bustamante, prédécesseur et rival41. Toujours est-il que le président Santa Anna renoue la correspondance avec les dirigeants californiens. Il s’emporte contre les « aventuriers du Texas », qui « d’après [les communications de Vallejo], essaient de s’introduire dans [leur] territoire en grand nombre ». Mais, comme Bustamante, il ajoute que « cela [lui] causerait beaucoup de souci [s’il n’était] persuadé de [son] zèle et de [son] patriotisme pour mettre en branle tous les moyens que [sa] fonction met à [sa] disposition pour repousser victorieusement ces aventuriers qui doivent recevoir une sévère leçon42 ». Il ne lui offre donc aucun autre secours que son soutien moral et sa confiance.
20Si Vallejo et Alvarado, malgré des projets de départ, ne se rendent pas en personne à Mexico, de plus en plus nombreux sont ceux qui se déplacent d’un lieu à l’autre, en charge d’une commission ou d’un mandat électif43. Cela contribue à créer des liens plus directs entre Mexico et la Haute-Californie et à mettre en place un vivier de personnes au fait des problématiques californiennes. On voit ainsi même s’établir des sociabilités californiennes à Mexico, s’apparentant à un groupe d’influence. Les allers et venues des uns et des autres dans les deux sens permettent en effet une aisance et une connaissance des deux terrains. Parmi ces personnes, on peut prendre plusieurs exemples : José María de Herrera, qui se rend en Californie en 1826 avec le gouverneur Echeandía et est exilé par lui suite à leur rivalité et à son rôle supposé dans la révolte de Solis (1829) ; il revient avec la colonie Híjar-Padrés en 1834, puis repart de nouveau en 1836, fuyant l’anti-mexicanisme de la révolution. Les frères Castañares, José María et Manuel en sont un autre exemple. José María se rend en Californie en 1833 comme employé de l’administration des douanes. Il retourne au Mexique un temps, puis revient en 1840 avec son frère Manuel. Ce dernier vient au départ pour prendre en charge la douane, mais est nommé secrétaire de la préfecture à la place. En 1842 il est envoyé comme envoyé spécial auprès du gouvernement et revient avec la double nomination d’administrateur de la douane et procureur du tribunal. Il est élu député en novembre 1843 et est particulièrement efficace à Mexico44. Andrés Castillero parvenu à point nommé en Californie lors de la confrontation entre le Sud et Alvarado (voir chapitre précédent), retourne à Mexico aussi vite qu’il est arrivé afin de convaincre le gouvernement de confirmer le mandat d’Alvarado, ce qui est fait en 1838. Il est élu député par le département l’année suivante45. José María Híjar, candidat malheureux au gouvernorat et responsable d’une compagnie de colonisation en 1834, est, après son départ de Californie renvoyé là-bas en 1845 afin de confirmer au président du conseil départemental Pío Pico son mandat de gouverneur suite à une révolte des Californiens contre le gouverneur Micheltorena en 1845 (dont il sera question un peu plus loin).
21Par contraste avec la situation des années 1810 et de la première partie des années 1820, la circulation des bateaux redevient régulière et augmente dans les années 1830 et 1840. Alors qu’avant 1826, une dizaine de bateaux rendent visite à la Californie chaque année, ce nombre double, voire triple, dans les années suivantes. Les bateaux marchands viennent embarquer les cuirs et le suif et vendent des produits manufacturés au marché californien dépourvu d’industrie46. La plupart deviennent des habitués de la côte, et sont attendus. Parce qu’ils transportent des courriers, souvent officiels, ils contribuent à la temporalité politique. Alvarado fait l’acquisition en 1837 de la goélette Clarion renommée la California. Ce navire a notamment pour mission de transporter la correspondance officielle et les fournitures du gouvernement, et la politique californienne des années 1830 et 1840 vit en grande partie à son rythme : « attendre la goélette », devient une expression consacrée. On se dépêche aussi d’écrire avant le départ du bateau, et parfois on fait en sorte que ses adversaires n’en aient pas le temps47.
22À partir des années 1830, la communauté mexicaine en Californie s’étoffe, à la fois par la venue de migrants indépendants, de colons, dont l’apport le plus important est la colonie Híjar-Padrés en 1834 et d’employés publics dans le mouvement de construction de l’administration et de renforcement de la présence de l’État en Californie. Ce nouvel apport migratoire contribue au renouvellement de la culture politique californienne, et ce d’autant plus que les nouveaux venus sont plus urbains et éduqués que la moyenne des Californiens. Par le nombre, l’éducation, l’urbanité, l’interconnaissance, les colons tranchent par rapport aux migrations précédentes. Ils sont 239 au total, 105 hommes, 55 femmes et 79 enfants de moins de 14 ans. L’âge moyen est de 20 ans. Parmi les colons une minorité significative est vite intégrée aux notables de la Haute-Californie. Ils acquièrent donc rapidement une influence et renouvellent la classe politique48. On constate que malgré l’hostilité initiale des Californiens, quelques-uns de ces colons occupent sous le gouvernorat d’Alvarado le poste de comisionado, c’est même la plupart du temps le point de départ de leur carrière publique. Alvarado tire ainsi parti d’un vivier éduqué et dont il s’assure ainsi la fidélité49. En termes d’engagement politique, ils constituent cependant en majorité un noyau de ce qu’on pourrait appeler le courant loyaliste qui soutient la candidature de Carlos Antonio Carrillo au gouvernorat en 1838, souvent après avoir résisté à la révolution de 1836-1837. Ils soutiennent aussi le gouverneur Micheltorena (1842-1845) contre lequel se déclare une révolte en 1844-1845 à Monterey. Au moins deux d’entre eux, qui avant d’être naturalisés mexicains venaient de France, José María Covarrubias et Victor Prudon, gagnent la confiance de notables californiens et sont envoyés comme représentants auprès du gouvernement à Mexico50.
23À peu près à la même époque, à la faveur de la réouverture d’une voie terrestre vers le nord continental du Mexique, on constate un flux d’immigration de ceux qui dans les sources sont désignés par le terme de « sonoriens » (sonoreños) et qui en fait viennent aussi de Sinaloa et du Chihuahua ; ceux venus du Nouveau-Mexique sont généralement identifiés en tant que tels. Quant à la Basse-Californie, les contacts ne sont jamais interrompus, notamment du fait de la circulation des bateaux et des liens amicaux et familiaux unissant les deux territoires. Depuis 1781, l’itinéraire terrestre vers le centre du Mexique, dit « voie Anza » était coupé du fait de l’hostilité des Yumas. Des projets pour trouver un itinéraire alternatif avaient toujours existé mais n’avaient pas encore porté leurs fruits. Plus exactement, des communications terrestres ont bien lieu, mais par le biais d’une coopération avec d’autres groupes autochtones, sans qu’il s’agisse d’une route officielle et formelle51. Dans la deuxième moitié des années 1820, la volonté politique à la fois locale et nationale et la coopération entre le gouverneur de la Californie, José María Echeandía et le commandant de Sonora, José Figueroa, et surtout peut-être le changement d’attitude des Yumas, permettent la réouverture de cet itinéraire vers 1825-1826. Il faut quelques années supplémentaires pour qu’il soit à nouveau emprunté régulièrement, notamment parce que la route n’est pas parfaitement sûre et dès ce moment-là les commerçants anglo-américains jouent un rôle important dans la fréquentation de cet itinéraire, ce que nous aurons l’occasion d’évoquer un peu plus loin52.
24Bien que la voie Anza soit aussi employée pour cela, les communications officielles et les personnes empruntent en grande majorité les moyens de transport maritimes, mais la réouverture des itinéraires terrestres permet malgré tout une connexion à l’échelle régionale avec le Nord du Mexique et représente une alternative, utile notamment lorsque des communications confidentielles doivent circuler. En effet, les déambulations terrestres sont moins visibles et moins contrôlées que celles par le biais des bateaux bien que les contrebandiers aient eu aussi l’habitude de mouiller dans des criques désertes ou des îles.
25Les migrants ne s’installent pas forcément, ou pas immédiatement. Certains, comme Narciso Botello, font au moins une fois le voyage avant de décider de s’installer. La plupart des itinéraires terrestres y conduisant, les migrants qui arrivent par ces pistes choisissent généralement plutôt Los Angeles comme lieu de résidence, avant d’éventuellement se déplacer ailleurs. À l’image des colons de 1834, une minorité, celle des commerçants aisés, s’intègre aux notables californiens, tandis que les autres sont associés aux classes inférieures urbaines ou deviennent travailleurs journaliers chez les éleveurs. Ces changements démographiques permettent de mieux comprendre certaines dynamiques à l’œuvre en Californie à partir de 1834 et qui revêtent une dimension spatiale. Par exemple, en Californie du Sud, on assiste à une réorientation vers le sud et l’est, c’est-à-dire une convergence avec l’intérieur du Nord du Mexique, et une relative divergence avec le Nord de la Haute-Californie. Avec la réouverture de la voie Anza, la région dite de la frontière (fronteras), au sud, reprend son importance. Le déclin du presidio de San Diego est contrebalancé par l’activité d’éleveurs et de commerçants dans la région, économique mais aussi politique.
26La municipalité de Los Angeles est prise entre ces deux dynamiques : régionale en lien avec le Nord du Mexique, et californienne où elle tente de s’affirmer comme la nouvelle capitale. Elle devient une agglomération complexe issue de vagues migratoires à plus ou moins grande échelle (autochtones amérindiens issus des missions sécularisées ; anglo-américains et autres commerçants et entrepreneurs étrangers, parfois venus du Mexique, en particulier du nord ; colons venus du Mexique, en colonie ou individuellement ; etc.). Si comme nous l’avons vu précédemment des factions se disputaient déjà le pouvoir municipal, les conflits évoluent du fait de cette nouvelle situation. Ainsi, en mars 1835, une cinquantaine de Sonoriens cherchent le soutien de la municipalité et des vecinos contre le gouverneur Figueroa, probablement en protestation de sa gestion de la question de la colonie, peut être aussi en lien avec son précédent mandat de gouverneur en Sonora53. Ils n’obtiennent pas le soutien espéré, et au contraire on souligne leur caractère « d’aventuriers qui viennent d’arriver », « qui n’exercent aucun métier » et qui enfin, d’après le gouverneur « ne savent ni comprennent comment le pays est gouverné54 ! ». Au passage, on voit bien ici comment la qualité de citoyen est ancrée dans ce monde hispanophone dans le local et l’interconnaissance. Les Sonoriens mobilisés sont pour certains des artisans, mais la plupart travaille simplement pour des éleveurs : leur mobilisation correspond peut-être à une réaction de déception par rapport aux espoirs qu’ils avaient d’ascension sociale en allant vers la frontière. Ils ont apparemment été convaincus que les Californiens les soutiendraient dans leur mouvement et qu’ils pourraient ainsi s’intégrer, au risque de se compromettre55. On voit qu’ils ne sont guère soutenus, les Espagnols commerçants contactés préférant ne pas s’en mêler pour ne pas ruiner famille et réputation.
27L’affaire du meurtre de Domingo Feliz par sa femme et son amant en avril 1836 à Los Angeles, et du lynchage qui s’ensuit, que nous avons évoqués au précédent chapitre est aussi instructive sur ces changements sociaux en Californie du Sud dans les années 1830. Le mari assassiné, Domingo Feliz, est un notable de Los Angeles, tandis que l’amant est un Sonorien, gardien de bétail, qui appartient aux classes les plus populaires. Son lynchage manifeste une insatisfaction concernant le cours de la justice, un problème qui entretient à son tour la peur sociale, démultipliée par l’arrivée des Sonoriens. Le lynchage est organisé par un « comité de défense de la sécurité publique » (junta defensora de seguridad publica) qui court-circuite l’ayuntamiento, légalement responsable de rendre la justice. Pour l’historien Michael Gonzalez, ce lynchage s’explique comme une réaction des Mexicains récemment arrivés au désordre de la frontière, un dégoût d’y trouver des parvenus – les Californios – prendre de grands airs et par leur désir d’apporter un peu de civilisation sur cette frontière violente56. En réalité, les désordres du moment tiennent sans doute davantage au fait que la mobilité sociale qui a permis l’ascension des Californios s’est largement enrayée dans les années 1830. Contrairement à ceux qui sont arrivés plus tôt (en général dans la décennie 1800 ou avant), ces « Sonoriens » peuvent rarement espérer devenir des rancheros et accéder aux responsabilités municipales, surtout s’ils ne sont pas éduqués. C’est ce qui différencie par exemple Narciso Botello, le secrétaire de l’ayuntamiento, de Gervasio Alipaz, l’amant lynché. Ce dernier n’est qu’un vaquero, alors que le premier gère un établissement de loisirs. Le comité de vigilance associe ainsi ces nouveaux migrants mexicains éduqués à des Californios et quelques étrangers, souvent commerçants57. Les lyncheurs ne s’opposent pas en soi à l’ayuntamiento, dont ils auraient pu faire partie, mais au système judiciaire, qu’ils pensent incapable d’assumer les changements démographiques récents ni de protéger l’ordre social (qui repose notamment sur le contrôle des femmes58). Cet exemple montre d’ailleurs qu’il n’y a pas toujours de contradiction entre l’influence étrangère et un rapprochement avec le Mexique : pour ces migrants mexicains comme pour les étrangers, il s’agit de travailler à ordonner cette société de frontière. L’étatsunien Temple, s’il n’est pas signataire de l’appel, met sa maison à disposition du comité pour ses réunions. L’homme qu’ils mettent à la tête de leur mouvement, Prudon (né en 1809), est professeur, et il est Français naturalisé mexicain (il a vécu sept ans au Mexique avant de venir avec la colonie en 1834). Comment ne pas penser que le choix de ce président était tout sauf fortuit ? Le manifeste rédigé par Prudon commence par une citation explicitement attribuée à Montesquieu : « Salus populi suprema lex est59 », tandis que le comité s’intitule « junta de seguridad publica », dont l’association avec le « comité de sûreté générale » (le comité chargé de la Terreur sous la révolution française), ou encore « comité de salut public » est inévitable. Prudon, professeur de Français à Mexico, connaît ses classiques, et les partage. Le moins qu’on puisse dire est qu’il importe avec lui sa culture politique française. C’est que si la Haute-Californie renforce ses liens avec le Mexique, elle est aussi intégrée aux circulations croissantes commerciales, baleinières et même impériales dans le Pacifique des puissances européennes et euro-américaines.
Une Haute-Californie, carrefour des empires maritimes et terrestres en expansion
28Parallèlement aux liens que les Hauts-Californiens développent avec leur gouvernement et les autres départements mexicains, notamment voisins, la Haute-Californie devient également une côte de plus en plus fréquentée par des navires étrangers, baleiniers, commerçants, explorateurs dont la circulation dans le Pacifique se densifie dans les années 1830. Le commerce avec les Britanniques et les Étatsunien n’était pas neuf à ce moment-là, puisqu’on a vu que dès le tout début du xixe siècle, les missions vendaient leurs cuirs à de tels navires et que juste après l’indépendance une expédition étatsunienne explorait d’abord l’estuaire puis l’itinéraire terrestre pour parvenir jusqu’au fleuve Columbia, avec un intérêt fort pour le commerce chinois. Nous avons vu que dans les années 1820, un certain nombre de commerçants et d’agents s’étaient installés à Monterey, non loin de la douane, et avaient épousé des filles du pays. Les années 1830 marquent cependant un tournant dans cet intérêt pour le Pacifique en général, et sa côte nord-américaine en particulier. C’est en effet la grande époque des baleiniers, la chasse à la baleine prenant des proportions considérables et occupant une place de premier ordre dans l’économie de la Nouvelle-Angleterre. On considère ainsi que la période entre 1835 et 1845 représente l’âge d’or de cette activité.
29Les bateaux commerçants et baleiniers ne sont pas porteurs que de marchandises, ils apportent également les nouvelles, de vive voix, par des courriers, et aussi par des journaux. Dans les années 1840, alors qu’il n’y a pas de périodiques publiés en Haute-Californie, quelques marchands tentent de trouver des souscripteurs pour des titres étrangers, tablant notamment sur la population marchande de Monterey et Los Angeles : par exemple, en juin 1840, James J. Jarves, étatsunien installé à Honolulu envoie au marchand Thomas Larkin, résident de Monterey, des journaux publiés aux îles Sandwich dans ce but60. Larkin à son tour transmet les exemplaires du journal The Polynesian au commerçant et ranchero Abel Stearns, étatsunien résident de Los Angeles. Lui est déjà abonné au Hawaiian Spectator depuis au moins 1839. Il essaie de trouver d’autres abonnés, mais sans résultat, « la principale objection étant que le journal ne peut-être reçu sur cette côte plus de trois ou quatre fois par an, et par conséquent n’a que peu d’intérêt61 ». Au final, Larkin parvient à convaincre quelques anglophones de Monterey et s’abonne lui-même62. D’autres journaux que ceux publiés à Hawaï circulent également : en janvier 1842, James Fowle Baldwin envoie de Honolulu, par la California, « quelques journaux de Boston, qui, espère-t-il ne s’avéreront pas inacceptables63 ». Certains promettent ces journaux en l’échange d’informations de nature commerciale, comme Thomas Cross qui s’informe sur les baleiniers qui fréquentent les ports californiens en 184364. Ces journaux publient des nouvelles concernant les relations internationales et la politique intérieure des États-Unis, du Mexique, de l’Empire britannique, et des informations commerciales sur les ports du Pacifique par exemple. Témoin de cette circulation des nouvelles, la révolution d’Alvarado à Monterey est relatée dans la Sandwich Islands Honolulu Gazette65.
30Ces exemples montrent à leur tour combien l’archipel des îles Sandwich est important pour la Haute-Californie dans ses connexions avec l’extérieur : au-delà des journaux, on considère ainsi que la moitié des biens importés par les Européens à Honolulu en 1840 est réexportée vers la Californie, les établissements russes, l’Oregon ou d’autres îles ; c’est aussi une étape plus ou moins longue pour beaucoup d’étrangers, notamment anglophones, qui viennent et parfois s’installent en Haute-Californie66. La situation à Honolulu a elle-même évolué depuis le début du siècle, et les années 1830 marquent là aussi un tournant supplémentaire avec une influence protestante et sucrière de plus en plus importante. Comme dans d’autres îles du Pacifique, on y assiste à une compétition pour l’influence et la conversion des dynasties et populations autochtones, entre catholiques et protestants, Français, États-Unis, Britanniques notamment. Bien que les commerçants étrangers qui s’installent en Haute-Californie ne soient pour la plupart pas porteurs d’un projet explicite d’une annexion future par leur nation d’origine, les puissances impériales qui voient un intérêt soit dans le Pacifique et sa côte américaine, soit dans l’Ouest continental élaborent des projets rivaux et concurrents ; ici l’empire informel n’est jamais très loin de l’empire formel. Par exemple, la nécessité de protéger les missionnaires et les commerçants encourage la nomination de consuls.
31L’importance prise par la chasse à la baleine vient soutenir les arguments en faveur d’une exploration et d’une présence plus poussée des États-Unis dans le Pacifique. Alors que le projet d’une exploration supplémentaire de la côte nord-ouest n’avait pas abouti faute de navire approprié et disponible et de financement en 1825, en 1828 la pression des baleiniers permit de faire réagir le Congrès. Ce ne fut cependant qu’en 1836 que la marine accepta de mettre sur pied une telle expédition, parce que la campagne en faveur du Pacifique avait encore gagné en ampleur. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les premières démarches étatsuniennes concernant la Haute-Californie en 1835, l’objectif étant moins d’acquérir des terres que le port de San Francisco67. Si la Haute-Californie est évoquée en même temps que le cas du Texas dans les négociations entre les États-Unis et le Mexique, les intérêts derrière l’acquisition de chacun des territoires sont distincts, le Texas intéressant surtout le Sud esclavagiste et la Haute-Californie davantage les intérêts commerciaux et baleiniers, notamment de Nouvelle-Angleterre, même si une telle schématisation a ses limites. Après la déclaration d’indépendance du Texas et la victoire de San Jacinto contre les troupes mexicaines en 1836, les élites texanes proclament la république du Texas et envoient un émissaire à Washington pour négocier non seulement une reconnaissance (qui est acquise en mars 1837) mais aussi une demande d’intégration à l’Union. Malgré la forte proportion d’Étatsuniens à la tête du Texas, cette proposition, bien que très débattue, est refusée par le Congrès et le gouvernement : dans un contexte de tensions nord-sud au sujet de l’esclavage, le président Jackson, bien qu’expansionniste, ne souhaite pas provoquer une guerre contre le Mexique (qui n’a pas reconnu l’indépendance du Texas) ; ceux aux États-Unis qui s’inquiètent de la puissance des planteurs du Sud, dénoncent aussi une volonté d’expansion surtout destinée à accroître les territoires avec esclaves68.
32Il faut aussi comprendre ces tractations et ces projets étatsuniens dans la région en lien avec ceux d’autres puissances qui y sont également actives. Au-delà des considérations territoriales, l’expansion russe, anglaise ou étatsunienne était aussi une réponse à l’épuisement des ressources : il fallait pousser toujours plus loin les expéditions de traite et exclure les rivaux des territoires de chasses afin d’accéder aux populations porteuses de fourrure, de moins en moins nombreuses. La traite des fourrures sur la côte avait d’abord été maritime, opérée surtout par les Russes et les Étatsuniens, et en s’appuyant sur le travail, souvent en partie forcé, des Amérindiens. Mais les deux compagnies britanniques rivales (compagnie du Nord-Ouest et de la baie d’Hudson), fondées à l’est et qui fusionnèrent en 1821, développèrent progressivement leurs activités dans la région. L’occupation conjointe de l’Oregon, loin de mener à une cohabitation apaisée, se traduisit par une compétition entre Britanniques et Étatsuniens pour les fourrures, mais aussi plus généralement pour le commerce amérindien, la colonisation de la région et sa justification. Les brigades de trappeurs de diverses nationalités étendirent donc leur champ d’action, notamment vers le sud et le territoire mexicain de Haute-Californie, et afin de soutenir les établissements en Oregon, un commerce régulier commença de s’organiser entre les différents acteurs de la colonisation étatsunienne ou britannique et la Haute-Californie (et Honolulu). Jusqu’en 1841, les navires de la Hudson Bay Company ne font étape qu’occasionnellement en Haute-Californie, à Monterey et San Francisco, le plus souvent au retour des îles Sandwich. En 1841, John McLoughlin Sr, qui commande le Fort Vancouver de la Hudson Bay Company décide d’établir des relations plus approfondies. Le second de Fort Vancouver, le chef facteur de la compagnie, James Douglas, se rend à Monterey en janvier 1841. Il apporte une cargaison de biens, et achète du bétail, que des membres de son équipage conduisent par l’intérieur des terres. L’idée est d’échanger du bois, du saumon et de la farine produits dans la vallée de la Columbia contre du bétail. En août 1841, McLoughlin envoie ainsi son beau-fils William Rae ouvrir un entrepôt à Yerba Buena, le hameau du pueblo de San Francisco où résident les étrangers commerçants. En décembre, l’établissement est visité par Sir George Simpson, le gouverneur en chef de la compagnie sur la côte Pacifique, qui finit par désapprouver l’initiative de McLoughlin, considérant que l’entreprise n’est pas rentable. Plus que l’opposition de Simpson cela dit, c’est le suicide de Rae à Yerba Buena en janvier 1845, qui met fin à l’opération69. Cependant, comme nous le verrons, cela ne met pas fin aux relations entre l’Oregon et la Haute-Californie.
33Quant à la Russie, qui avait été une des grandes rivales de l’Espagne sur la côte, elle abandonna progressivement ses ambitions en Haute-Californie et vendit même le fort Ross en 1841, notamment du fait de l’extinction des loutres. Un dernier acteur est aussi actif dans le Pacifique à cette époque : la France, surtout sous la monarchie de Juillet, poursuit après La Pérouse ses incursions dans la région (explorations de Duflot de Mofras et du Petit-Thouars) qui se traduisent au début des années 1840 par la nomination de consuls et par des protectorats (Tahiti, 1842). Comme pour la Grande-Bretagne et les États-Unis, il s’agit de sécuriser des bases navales et de protéger les ressortissants nationaux, notamment les missionnaires, contre les autochtones et contre les puissances rivales70. Ainsi, la monarchie de Juillet nomme des consuls en Polynésie et en Californie (elle est la première puissance à le faire), en 1842 (Louis Gasquet ne prend ses fonctions qu’en 1845).
34À ces circulations maritimes, on peut ajouter aussi des circulations terrestres. Après le trappeur Jedediah Smith, le premier homme euro-américain connu pour avoir relié les États-Unis à la Californie via le Nouveau-Mexique en 1826, ces circulations s’accroissent significativement. L’information des opportunités et des itinéraires circule au sein de leurs sociabilités propres, comme lors des « rendez-vous » des mountain men et autres coureurs de bois, puis via l’imprimé, surtout aux États-Unis71. À partir de 1829, la piste reliant Santa Fe à Los Angeles (le Old Spanish Trail) est considérée comme officiellement ouverte, ce qui signifie que cet itinéraire est emprunté de plus en plus régulièrement, jusqu’à être l’occasion d’une migration saisonnière de caravanes marchandes, composées de Nouveaux-Mexicains, d’Amérindiens venus de groupes divers, et de commerçants étatsuniens, bien qu’il soit parfois difficile d’assigner une nationalité, une origine ou une identification fixe aux uns et aux autres. Cette piste prolonge celle entre l’Ouest étatsunien et Santa Fe, utilisée depuis les années 1820. Pour les marchands étatsuniens, l’itinéraire Anza, par le territoire Yuma, et l’itinéraire depuis Santa Fe et leurs variantes constituent autant de voies possibles pour venir depuis l’est. Par exemple, John Warner, un natif du Connecticut, utilise alternativement la route depuis Santa Fe et la voie Anza, en fonction des nouvelles qu’il peut recueillir sur la sûreté des itinéraires et les débouchés commerciaux (voir la figure 2 dans le cahier d’illustrations).
Figure 2. – Un Mexique indépendant face à des États-Unis extravertis : organisation des territoires et explorations (1821-1835).

35Des commerçants étrangers continuent de s’installer à la faveur de ces circulations maritimes et des réseaux marchands. À leur tour, ces commerçants installés sur place alimentent le développement des relations commerciales et contribuent également à l’attractivité du territoire. En Californie catholique, plus que la défense des missionnaires, c’est surtout celle des nationaux qui poussent à la création d’un consulat, qui permet aussi de mieux envisager la situation géopolitique de la région.
36Ainsi, l’étatsunien Thomas O. Larkin vient en 1832 prêter main-forte à son demi-frère, l’ancien capitaine de navire Juan Bautista Cooper qui s’était installé au début des années 1830 à Monterey, avait ouvert un magasin et épousé une fille du pays. Quand Thomas Larkin épouse une étatsunienne rencontrée sur le bateau, c’est le consul des États-Unis à Honolulu qui, en visite, les marie à Santa Barbara. Après une décennie d’affaires commerciales entre Honolulu et la Haute-Californie, pour lesquelles il fait fréquemment le voyage, ce dernier épouse Manuela Carrillo en 1838 et s’installe aussi à Santa Barbara en 1841. Il y rejoint Alpheus B. Thompson, l’un de ses partenaires commerciaux, originaire du Maine, qui a épousé Francisca Carrillo en 1834, sœur de Manuela. Ils sont donc tout deux liés à la grande famille De la Guerra-Carrillo de Santa Barbara. Thomas Larkin à son tour incite le négociant Faxon Dean Atherton, installé à Valparaiso au Chili à venir s’installer en Haute-Californie, ce qu’il fait en 184372. Larkin fait aussi circuler en août 1839 un argumentaire parmi les baleiniers vantant les mérites du port de Monterey comme étape. Les relations entre la communauté marchande de Honolulu et celle de Haute-Californie contribuent à publiciser descriptions et nouvelles de la province mexicaine aux États-Unis, via le journal Sandwich Island Honolulu Gazette, publié en anglais.
37Comme nous l’avons déjà évoqué, ces commerçants s’intègrent pour beaucoup en se mariant dans les familles locales, en se faisant baptiser et en prenant la nationalité mexicaine. Certains prennent aussi des responsabilités politiques : inspecteur des missions (Hartnell), alcalde (comme Abel Stearns à Los Angeles, David Spence à Monterey), secrétaire du gouverneur (Victor Prudon). On pourrait trop vite en déduire un entrisme des étrangers annonciateur du destin ultérieur de la Haute-Californie. En réalité, d’une part beaucoup d’entre eux le font par obligation, en l’absence d’autres candidats (nous l’avons vu plus haut, c’est un cas courant), comme Henry Fitch de San Diego qui en 1836 se félicite d’avoir « démissionné de son poste de sindico, et espère ne plus jamais y être nommé ». Le malheureux est élu juez de paz en 1840, ce qui le met hors de lui : « qu’il aille en enfer celui qui a proposé une telle chose que d’obliger quelqu’un à accepter une responsabilité contre son gré ! ». Les responsabilités électives sont en effet obligatoires, mais les étrangers n’estiment pas nécessairement être plus compétents pour gouverner une municipalité : « que je sois damné si j’y connais quoi que ce soit en loi, en affaires municipales plus qu’un chien73 ! » s’exclame Henry Fitch. Un autre avait d’ailleurs dû demander en 1836 au juriste Cosme Peña de Monterey en quoi consistait le poste de sindico74. En février 1837, William Dana se plaint que « les bonnes gens de cette localité [aient] pensé qu’[il n’avait] pas assez d’ennuis pour lui et ont pensé approprié de [l’]élire au poste ingrat et indésiré d’alcalde ». Le pire pour ce commerçant étant qu’il ne peut plus quitter le pueblo sans autorisation du gouverneur. Il a beau pester contre une responsabilité qui va « tellement interférer avec ses affaires », il est flatté d’être choisi « par un vœu général » des citoyens75.
38Les approches biographiques des Anglais et des Étatsuniens naturalisés mexicains en Californie ont eu tendance à accentuer leur bagage culturel anglophone, tout en exposant leur parcours d’intégration par le mariage76. Les ouvrages traitant plus spécifiquement de ces intermariages ont souligné davantage à la fois la dimension stratégique des deux côtés de ces alliances, et leur résultat hybride. Loin d’être seulement « frugal et entreprenant », comme le veut le mythe, l’anglo-américain participe largement à l’économie morale de sa famille et de sa société d’adoption77. Quant aux Français, qui sont quelques-uns, on les considère bien moins comme des étrangers, étant catholiques, et parfois originaires de régions proches de l’Espagne, comme le Pays basque ou le Bordelais, que les anglophones protestants78.
39Cela donne, notamment à Monterey, une société « cosmopolite » peuplée à la fois de fils de pays, d’employés et officiers venus de Mexico et de commerçants, plus ou moins intégrés et alliés aux familles locales79. David Spence est le premier alcalde de la nouvelle municipalité de Monterey, mais il est entouré des autres membres de l’ayuntamiento : Rafael Gonzalez, le deuxième alcalde, est venu avec le gouverneur Figueroa comme administrateur de la douane et sub-comisario ; parmi les regidores, on compte deux autres commerçants, Juan Cooper et William Hartnell, un peu plus âgés que Spence, mais aussi Gómez et Miguel Avila. La fréquentation accrue des baleiniers et navires commerçants se traduit aussi par un essor de la population de marins déserteurs, convoités comme travailleurs (notamment en charpenterie), mais qui constituent également une population marginale peu intégrée aux établissements californiens, avec leurs propres sociabilités.
40Bref, cette intégration croissante de la Haute-Californie aux circulations Pacifiques la met sur la carte des empires en expansion. Les liens commerciaux, voire financiers, contribuent à placer des intérêts dans la région, sans que l’installation d’étrangers de ce fait ne signifie nécessairement une colonisation cachée, bien que des inquiétudes se fassent jour dès cette époque. En revanche, ces installations, d’étrangers comme de Mexicains, contribuent à modifier la société haute-californienne.
Une société coloniale plus complexe et hiérarchisée
41Un résultat de cette croissance démographique, de ces circulations renouvelées, c’est une complexification de la société coloniale californienne, avec le développement non seulement d’institutions politiques mais aussi d’équipements sociaux et urbains ainsi que d’une stratification sociale accrue. Si on se focalise souvent sur le développement des ranchos et de leur mode de vie rural associé, certains auteurs ont aussi souligné le développement d’une forme d’urbanisation à Monterey mais aussi à Los Angeles (voire à San Francisco), c’est-à-dire la tentative d’apporter à ces bourgs les agréments et les équipements vus comme indispensables à une vie civilisée, en plus des institutions politiques. Les étrangers, les commerçants, sont loin d’être les seuls acteurs de ce développement : les colons et immigrants mexicains s’efforcent de transformer Los Angeles pour essayer d’en faire un centre urbain obéissant aux codes de l’urbanité et de la civilité mexicaines80.
42Cela passe par exemple par les lieux et les cadres de la sociabilité. La multiplication des ranchos et la généralisation de l’élevage font des demeures des rancheros autant de lieux de réception, les Californiens étant reconnus pour leur hospitalité – permise largement grâce au travail de leur main-d’œuvre autochtone ou métisse – ce qui pallie l’inexistence d’hôtels, relais et auberges, et poursuit la tradition d’accueil des missions franciscaines. Mais à cette époque se développent également des débits de boisson, au moment où le marché se développe et que la sécularisation des missions allège le contrôle social sur les Amérindiens tandis que de nouveaux résidents en font leur activité. Les franciscains avaient bien sûr introduit la vigne, et certaines missions produisaient beaucoup, mais des particuliers, notamment des Français, importent des pieds et développent vignobles et distilleries, comme Louis Bauchet ou Jean-Louis Vignes. Au moins dans les années 1840, nombreux sont les Français à tenir des cabarets ou des débits de boisson, notamment à Monterey et San José81. Isaac Graham (un natif du Kentucky, puis trappeur autour de Santa Fe) opère une distillerie plus ou moins clandestinement non loin de San Juan Bautista, fréquentée notamment par les déserteurs des bateaux, ce qui lui permet de mobiliser les recrues de sa compagnie lorsqu’il prête main-forte aux Californiens lors de leur révolution de 183682. En 1840 dans les débats du conseil départemental, les tabernas sont désignées comme les lieux où s’entendent des déclarations contre le gouvernement et où donc doivent se fomenter des complots, notamment hourdis par des étrangers83. S’ouvrent également dans les années 1830 des salles de billard, trois à notre connaissance : William Day en monte une à Los Angeles ; un Suisse (Vioget) à Yerba Buena, quartier proche de la plage et plutôt habité par des étrangers à San Francisco, le lieu de sociabilité principal du hameau. Il y a une salle de billard à Monterey, que le commandant José Castro utilise pour des soirées arrosées84.
43À ces lieux s’ajoutent des sociabilités plus formalisées. Les colons fondent ainsi une « société des amis du pays » dans les années 1840, à l’image d’autres associations de ce type qu’on trouve en Espagne et à Mexico depuis la fin du xviiie siècle afin de diffuser les idées issues des Lumières. Un lieu est dédié aux réunions régulières, et les membres élisent des officiers chargés de les organiser. Après la première société d’histoire des années 1820 à Monterey, évoquée dans le témoignage d’Alvarado, cette nouvelle organisation montre une ouverture vers le Mexique et le monde, et une diffusion de ces pratiques vers d’autres bourgs. Les mutations de ces sociabilités se prolongent dans l’organisation des fêtes à caractère civique, qu’elles soient nationales, à l’échelle du département ou municipales, en particulier la fête nationale célébrant l’indépendance. À Los Angeles dans les années 1840, cette fête est de plus en plus prise en main par les vecinos, par rapport aux années précédentes où l’initiative et l’organisation venaient le plus souvent des autorités supérieures. En 1840, le préfet nomme le juez de paz responsable de l’organisation de la fête ; en 1841, une association patriotique est organisée par dix-sept vecinos, répartis en commissions : celle du bal et des rafraîchissements, celle des taureaux, celle des illuminations, celle de l’église (les officiers de la société étaient des notables municipaux) ; en 1842, on décale la célébration de cette fête pour que le nouveau gouverneur, en route pour la Californie, puisse y assister85.
44Les fêtes sont à la fois l’occasion pour la société de se réunir et de célébrer une certaine vision d’elle-même, de son ordre et de sa hiérarchie. Le témoignage d’un agent de commerce de Virmond, un Espagnol passé par Acapulco, José Arnaz, est particulièrement intéressant pour comprendre le contraste entre la société urbaine d’où il venait et la société de frontière californienne, mais aussi pour mettre en exergue les transformations qui se jouent à ce moment-là en Californie. Dans sa description, il y a donc un terme de comparaison implicite, sa société de référence, les grandes villes portuaires commerçantes (Cadix, Acapulco) ou encore la société dans laquelle il évolue au moment de son témoignage. Si José Arnaz souligne en effet des traits particulièrement traditionnels, comme la religiosité des habitants, ou encore l’autorité paternelle du chef de famille, il souligne également les effets de l’ouverture de la Californie :
« À cette époque, on commençait à s’efforcer d’établir un cercle de personnes décentes et honorables. À cet effet, le 16 septembre 1840, il y eut deux bals publics : un sur la place, sous une tonnelle, auquel assista la plupart du commun et de la populace. À l’autre, donné dans la maison d’Abel Stearns, furent invitées à y assister les familles les plus en vue du bourg. Afin d’obtenir un tel résultat, on fit garder l’entrée comme mesure de précaution, mais cela n’empêcha pas la populace, fâchée d’être traitée avec mépris, de jeter des pierres et de briser les vitres de la maison de Stearns, un événement qui ne se reproduisit pas. Depuis lors, deux sociétés s’établirent à Los Angeles, sans autre interruption, la maison de Stearns étant le centre de cette société choisie86. »
45Cet extrait résume en une soirée de bal pour la fête nationale le processus de distinction sociale à Los Angeles. Ce faisant, il expose ingénument et en détails les aspects matériels et symboliques qui ont rendu cette distinction possible. Il s’agissait de compléter le processus d’urbanisation de Los Angeles par la distinction d’une classe supérieure, d’une élite urbaine. Le terme « bal public » montre bien qu’il ne s’agit ici nullement d’une distinction entre espace public et espace privé, mais bien une distinction de qualité au sein du public. D’ailleurs, la maison d’Abel Stearns, El Palacio, est sise à deux pas de la grand-place. La mention du verre est tout sauf anecdotique, toutes les autres fenêtres de Los Angeles n’étant fermées que de croisillons de fer forgé. Dans cet extrait, le rôle d’Abel Stearns est mis en avant. Arnaz ne dit pas que c’est de son fait que la bonne société s’éloigne de la populace, mais l’ordre de sa présentation semble l’impliquer87. La maison Stearns est déjà le centre des soirées de Los Angeles, qui réunissent les « familles les plus en vue ». Arrivé pendant le mandat de Chico en 1831, Stearns ne devient que dans la seconde moitié des années 1830 un personnage important de Los Angeles, complémentaire, voire successeur de José Antonio Carrillo, notamment lorsqu’il devient alcalde. Sa femme Arcadia, fille de Juan Bandini joue un rôle central dans ces réceptions. Arnaz, dans son récit, vante sa beauté qu’il contraste avec la laideur de Stearns, qui a été défiguré par un coup de couteau et qu’on surnomme « tête de cheval88 ».
46Arnaz fait plus loin dans son témoignage une typologie des localités de la Californie (à l’exception notable des missions et des villages autochtones) : leur place dans celle-ci dépend de leur sociabilité plus ou moins formalisée, et plus globalement sur une échelle de degré de raffinement de ces réunions. Certaines fêtes sont d’ailleurs mal vues, comme celles de Monterey, supposément organisées par le gouverneur Alvarado et le commandant militaire Castro, où l’on raconte qu’on buvait à l’excès, qui font l’objet de rumeurs désapprobatrices. Quant aux fêtes officielles mexicaines, elles jouissent aussi de la sacralité religieuse. Contrastant avec les difficultés rencontrées par les gouverneurs mexicains auprès des missionnaires espagnols issus de San Fernando à la décennie précédente, le missionnaire en chef de ceux venus du Collège du Zacatecas fait célébrer par Te Deum et volées de cloches la confirmation au pouvoir d’Alvarado et Vallejo en 183889. L’Église utilise également les fêtes à des fins de (re)mobilisation. L’arrivée d’un évêque à Santa Barbara et la constitution de la Californie en évêché ne rencontre pas tout l’écho espéré par la hiérarchie religieuse. L’évêque ne peut envisager de s’installer ailleurs qu’à Santa Barbara, seule localité suffisamment respectueuse de son statut, et il échoue largement à faire payer la dîme aux Californiens, même sous la menace de l’excommunication (le paiement de la dîme est volontaire90). Malgré ses difficultés financières, il joue un rôle important, notamment pour protéger les terres des missions pour les Amérindiens, comme à San Luis Obispo où il s’oppose à la cession de terres à John Wilson91. Afin d’essayer de stimuler la ferveur de ses ouailles, il inaugure une fête de la sainte patronne de l’évêché Notre Dame del Refugio. La fête a en effet lieu, en tout cas à San José et à San Antonio, mais si la fête prend dans les missions, et peut-être à Santa Barbara, c’est peu le cas dans les autres localités. L’évêque échoue visiblement à en faire autre chose qu’une célébration ponctuelle.
47Le cas du 4 juillet, fête d’indépendance des États-Unis qui commence à être célébrée en Californie dans ces années-là, est un bon point d’observation pour comprendre la relation aux Étatsuniens et aux États-Unis au cours de cette période. En 1836, une fête est organisée à Yerba Buena (quartier de la plage-débarcadère à San Francisco), à l’occasion de la fin de la construction de la maison de Jacob Leese, un natif de l’Ohio qui a commercé entre l’Ouest des États-Unis et Santa Fe puis jusqu’à Los Angeles au début des années 1830. En 1836, il fait le voyage de Los Angeles à Monterey avec le gouverneur Chico, qui juste nommé arrive de Mexico, gagne ses bonnes grâces et il s’installe à San Francisco pour y monter une affaire avec un autre commerçant, Nathan Spear. Ce dernier vient de Boston, et est arrivé en Californie via Honolulu en 1832 (il arrive juste à temps pour s’engager aux côtés de Zamorano dans la compagnie étrangère qui s’oppose à la révolution de San Diego contre Manuel Victoria92). La fondation de Yerba Buena et la célébration du Glorious Fourth en 1836 ne sont donc certainement pas marquées par un défi à la souveraineté mexicaine. Un troisième organisateur est le capitaine Hinckley qui vient également du Massachusetts et du commerce des îles Sandwich associé à Spear et Leese. Il prête main-forte à Alvarado dans sa révolte contre Chico, ce qui en fait certainement le plus proche du séparatisme des trois puisque sa participation à la révolte de 1836 contribue à faire suspecter que se prépare un deuxième Texas en Californie. Il ne s’installe à Yerba Buena qu’en 1838-1839. Le 4 juillet 1836, deux bateaux étatsuniens, celui de Hinckley et un autre, ainsi qu’un bateau mexicain, mouillent à Yerba Buena : ils sont tous trois sollicités pour fournir leurs drapeaux, qui permettent de décorer l’intérieur de Leese, où donc flottent côte à côte les pavois mexicains et étatsuniens. Hinckley, amateur de musique, fournit la plupart de l’orchestre, tandis que les derniers instruments sont empruntés au fort. Soixante invités se rassemblent à partir de 15 heures, pour la plupart des familles des environs, habitants du bourg et des ranchos environnants, dont Mariano G. Vallejo, les Martinez, les Castro et d’autres bonnes familles. Le premier toast est porté aux drapeaux mexicain et étatsunien, puis Vallejo porte un toast à Washington. C’est une fête adoptée avec joie par les invités mexicains, qui goûtent avec plaisir à la liqueur de citron et, d’après Leese, à la californienne, « [leur] quatre [juillet] ne prit fin qu’au soir du cinq ». Comme à Los Angeles chez Stearns, les classes les plus populaires, dont les Amérindiens, ne sont pas conviées mais se réunissent à distance pour observer les festivités avec un intérêt envieux. Leese ouvre avec succès sa boutique de biens importés quelques jours plus tard, et en avril 1837 épouse la sœur de Mariano Vallejo93. La tradition du 4 juillet à Yerba Buena se perpétue en 1839 et 1840 chez Leese, puis chez le capitaine du port, l’anglais Richardson, mais pas en 1841, après le départ de Leese à Sonoma auprès de son beau-frère94.
Le report du problème colonial aux frontières
48Bien que pour les établissements mexicains côtiers tous les problèmes soient loin d’être résolus, de toute façon le problème de l’héritage colonial et de l’occupation du territoire se reporte aux frontières de ces établissements, dans les régions que le Mexique revendique mais ne contrôle pas.
Le dynamisme menaçant du « monde intérieur »
49Dans les années 1830, le grand Ouest du continent nord-américain, bien qu’il soit jusqu’aux explorations de John Fremont au tournant des années 1840, représenté comme un vide sur les cartes étasuniennes et mexicaines, est un territoire qui lui aussi vit des évolutions historiques mal connues mais malgré tout de plus en plus documentées. Cette région, considérée dans le système international comme mexicaine (bien que les États-Unis y envoient des missions de repérage) et revendiquée comme telle par le Mexique est en réalité contrôlé par ce pays de manière très sporadique. En effet, appelée « monde intérieur » par l’historien Natale Zappia, elle est en réalité le territoire d’un certain nombre de sociétés amérindiennes, parmi lesquelles « l’empire comanche » étudié par Pekka Hämäläinen, mais aussi plusieurs autres comme les Osages, les Utes, les Apaches, les Yokuts. Ces entités politiques autochtones connaissent leur propre évolution historique, en interaction entre elles et avec les sociétés coloniales euro-américaines95. L’un des effets des contacts croissants avec les sociétés coloniales et des indépendances fut le commerce des captifs amérindiens96. Ces échanges de captifs ont cours en même temps que d’autres trafics, notamment de bétail, nourris par la demande croissante dans l’Ouest des États-Unis d’alors (ouverture à la colonisation des territoires situés dans la vallée du Mississippi), le développement de l’élevage en Haute-Californie et la demande de biens manufacturés dans les établissements mexicains.
50Les établissements de Haute-Californie ne sont qu’un des points, très partiel, d’observation de ces vastes échanges qui animent la région. Les rapports produits par les postes de frontière rendent compte des effets, largement subis, de ces échanges : prélèvements sur les élevages qui sont loin de passer majoritairement par des achats, violences, apparition de groupes composites dont la puissance et les connexions peuvent constituer une menace non seulement économique mais aussi militaire ou politique. Les autorités nationales comme locales cherchent à mieux contrôler cette région, mais la difficulté à trouver des ressources même pour protéger les établissements existants rendent inenvisageables en réalité l’extension du front de colonisation. Le projet de fondation d’une nouvelle ligne de missions dans la vallée intérieure, dans l’immense zone humide du territoire yokut, avait en effet été abandonnée faute de moyens et de missionnaires97. Cette région, surnommée Tular(es) du fait de sa végétation de joncs est en attendant la destination d’expéditions punitives fréquentes pour récupérer des néophytes fugitifs ou des chevaux et châtier ou intimider les auteurs de raids98.
51Les circulations terrestres qui s’accroissent après le passage de Jedediah Smith en 1826 ont leur importance dans ces changements qui s’opèrent dans le monde intérieur dans les années 1830 et 1840. S’il passe par la mission San Gabriel, près de Los Angeles, son but est principalement de faire le commerce des fourrures avec les Amérindiens : il se rend donc dans la vallée centrale, du sud au nord, où il traite avec différents groupes. Sa présence dans la vallée, transmise par un messager à la mission de San José est semble-t-il à l’origine de la fuite de quatre cents néophytes de la mission de San José : qu’ils aient pensé pouvoir utiliser le trappeur étatsunien pour échapper aux missions mexicaines, qu’il se soit agit d’une instrumentalisation de la part d’un meneur amérindien, ou d’un élément parmi d’autres d’une rivalité intergroupes se jouant entre leur terroir d’origine et la mission, en tout état de cause l’arrivée de Smith perturbe l’équilibre de la région.
52Cela ne s’arrête pas là : en effet, à l’été 1828, après son deuxième passage en Haute-Californie, l’expédition Smith se dirige vers le nord, elle aussi à la recherche de fourrures supplémentaires. Leur trajet est marqué par une interaction violente avec le peuple Umpqua : après que ceux-ci se sont emparés d’une hache, les trappeurs réagissent violemment et plus tard sont attaqués et tués, au point qu’au départ un seul survivant ne puisse atteindre les établissements britanniques de la compagnie de la baie d’Hudson (trois autres, dont Smith, ont également survécu, sur les vingt personnes de l’expédition). Cet incident a plusieurs conséquences : d’abord, d’inciter les Britanniques à intervenir au sujet de ce qu’ils considèrent désormais comme des populations hostiles et dangereuses ; ensuite, de leur confirmer les potentialités en fourrure des régions méridionales. En plus de ses projets commerciaux entre l’Oregon et la Haute-Californie, mentionnés plus hauts, McLoughlin de la Hudson Bay Company décide d’envoyer des expéditions de trappeurs chaque année, la « California brigade ». Comme celle de Smith, ces expéditions ne sont en théorie pas autorisées par la loi mexicaine. Les trappeurs qui se mettent ainsi à fréquenter la vallée du San Joaquín dès les années 1830, ont régulièrement à se justifier de leur présence auprès des autorités mexicaines, en particulier à partir de 1835 lorsque Vallejo et la compagnie de San Francisco s’installent au nord de la baie, à Sonoma, et se mettent en relation avec tous les groupes amérindiens des environs, qui leur communiquent des informations sur les allées et venues des trappeurs. Bien qu’à partir de 1840 Sutter, depuis son établissement de Nouvelle-Helvétie, veuille s’arroger le monopole de la chasse, et exclure les trappeurs étrangers de la compagnie, les autorités ne reconnaissent à Sutter aucun monopole, et les chasseurs se voient autorisés à chasser à condition d’obtenir un permis et de s’acquitter des taxes99.
53Après Jedediah Smith, les échanges s’accroissent donc depuis l’est et le nord, amorçant un commerce plus ou moins légal mais aussi des trafics reposant sur les vols de mules et de chevaux, et la multiplication de raids. Cette activité connaît un ralentissement temporaire du fait d’une épidémie de malaria apportée probablement par les trappeurs en 1833, mais reprend de plus belle à partir de 1835. Entre-temps, la sécularisation des missions a également créé l’opportunité pour les Amérindiens néophytes de les quitter avec la perspective d’une nouvelle manière de faire sa vie dans le Tular100. L’arrivée de trappeurs et commerçants étrangers et leurs altercations avec les populations locales pose aussi le problème du maintien de l’ordre et de la responsabilité de la police des populations amérindiennes dans une région supposément sous contrôle mexicain : l’échec mexicain à contrôler la violence amérindienne, notamment à l’encontre des trappeurs étrangers, pourrait constituer un argument démontrant une souveraineté lacunaire et rouvrant la région à la colonisation. Cette nouvelle concurrence pour les relations avec les populations autochtones entre puissances coloniales a pour effet d’engager les Amérindiens de ces régions à renégocier leur soumission aux missionnaires et aux Mexicains en général. La fin des années 1820 se caractérise ainsi par plusieurs soulèvements amérindiens, le plus important étant celui mené par Estanislao, un Yokut de la mission de San José. La fondation du fort de Sonoma en 1835 en complément d’une mission dans la région fait partie du dispositif défensif visant à protéger les établissements californiens, désormais bien installés même si fragiles et isolés. Or à partir de 1837, Vallejo constate non seulement des attaques récurrentes de la part des guerriers autochtones mais aussi une présence de plus en plus importante de trappeurs (castoreros) d’origine étrangère qui s’associent volontiers aux premiers pour des entreprises communes contre les élevages californiens. Loin de trop s’inquiéter de cette alliance de trappeurs et d’Amérindiens, le gouverneur Alvarado, prévenu par Vallejo, envisage d’utiliser de telles forces, dans son combat contre ses ennemis dans le Sud, comme il l’a déjà fait lors de la révolution de 1836101.
54Si les raids augmentent de manière considérable pour tous les établissements californiens, on peut néanmoins distinguer entre le Nord et le Sud. Dans le Sud, les raids sont non seulement issus de groupes amérindiens relativement locaux : Kumeyaay, Mojaves, Yokuts du Sud, mais sont aussi liés au commerce avec Santa Fe. Un terme fait son apparition dans les archives dans le courant des années 1830, celui de « Chaguanosos », pour désigner des groupes mixtes constitués de mountain men (étatsuniens et canadiens français ou britanniques), de Nouveau-Mexicains qui ont parfois une ascendance mixte (mestizos, genizaros102) et divers groupes amérindiens (surtout des Utes). Ils sont organisés en bande pour s’emparer des chevaux et mules abondants en Californie et les revendre, le plus souvent à Santa Fe voire aux États-Unis. Chez les Utes, on assiste à une valorisation de ceux qui accomplissent de tels raids, comme le chef Walkara. Pour les mountain men et commerçants, l’objectif est la récolte de denrées issues du monde animal et leur vente. Ces Chaguanosos tirent parti de et se mêlent aux troubles politiques de 1836-1838, profitant du fait que les énergies combattantes sont concentrées sur les conflits internes. De plus, ils y sont parfois enrôlés, comme le mountain man français-canadiens Chalifoux par ceux du Sud103. Au terme de leur coopération, les Chaguanosos se paient en chevaux pris à la mission Santa Inés. Si le raid de 1837 n’émeut pas le gouverneur Alvarado qui ne fait qu’avertir Vallejo des « méfaits » de ceux qu’il appelle les « Chubanoes » et le met en garde contre leur venue éventuelle dans le nord, le ton change rapidement104. Les prélèvements de bétail s’aggravent en 1839, une expédition punitive commandée par un officier est surprise, encerclée, trois volontaires civils sont tués et sept blessés. À partir de ce moment-là, il est décidé d’organiser une patrouille chargée de la surveillance permanente de la région105. Les choses ne s’améliorent pas en 1840, même si des expéditions importantes qui associent Californiens et alliés amérindiens permettent de limiter les dégâts.
55L’apparition du danger chaguanoso pousse les responsables californiens à trouver des solutions à ce nouveau problème. Ces « étrangers aventuriers » contrastent avec les étrangers commerçants qui se sont installés, convertis au catholicisme et se sont mariés dans les bonnes familles californiennes. Leur « mode de vie est inconnu », ce qui les associe aux vagabonds (vagos), au désordre106. Avec « leurs coutumes dépravées » ils se mettent dans le même groupe que les « marins déserteurs107 ». Ce sont ces derniers qu’enrôle le trappeur Isaac Graham lorsqu’il prête main-forte à Juan Bautista Alvarado, lors de sa révolution contre le gouverneur Gutiérrez en 1836 avec sa compagnie de rifleros qui a tant fait penser au Texas. En 1840, ces « marins déserteurs » et leur chef Graham deviennent moins une aide qu’un poids, dans un contexte de méfiance envers les « aventuriers » venus de la mer et de la terre. De leur côté, ceux-ci estiment qu’ils ont contribué de manière significative à l’accès au pouvoir du jeune Californien, et le lui font savoir, en l’interpellant dans la rue de manière très familière par son prénom : « Hé, Bautista ! » et parlent dans les tavernes d’une future annexion par les États-Unis. Las de ces démonstrations et inquiet de cette nouvelle sorte d’étrangers, Alvarado charge son allié José Castro, préfet à Monterey, de faire arrêter Graham ainsi qu’un grand nombre d’étrangers, au prétexte d’un complot qu’il aurait fomenté, confessé par l’un des leurs108. L’arrestation a lieu le 7 avril 1840 à Monterey, et ordre est donné de saisir les étrangers qui n’ont pas les papiers nécessaires dans les autres localités. C’est fait à San José quelques jours plus tard, et à Los Angeles le 24 avril 1840109. Nous verrons plus loin quelles conséquences eut cette arrestation.
56Le même mois d’avril 1840 des Chaguanosos frappent de nouveau. Cette fois ils attaquent l’ex-mission San Luis Obispo et celle de San Gabriel, et volent 1 200 chevaux au nez et à la barbe des Californiens110. Lors de leurs expéditions punitives, les Californiens constatent que plus de la moitié de ces voleurs de chevaux sont en effet des hommes originaires des États-Unis111. Sans qu’on puisse s’assurer que les deux événements sont liés, l’arrestation de Graham et de quelques dizaines d’étrangers d’une part, et d’autre part ce très important raid des Chaguanosos témoignent du nouveau contexte auquel doivent faire face les Californiens, au moment même où ils sont de plus en plus nombreux à posséder des élevages sur lesquels repose leur mode de vie112. Le repli des mountain men vers le commerce californien tient entre autres au déclin du commerce des fourrures ; au « rendez-vous » des Rocheuses, Sutter, qui s’y rend ou y envoie un agent pour y vendre des chevaux ou des mules et recruter des travailleurs pour sa nouvelle concession sur le fleuve Sacramento, ne trouve que des volontaires pour voler les missions de leurs troupeaux113. Ces raids affaiblissent la Californie mexicaine telle qu’elle essaie de se construire, en ponctionnant les établissements californiens et en fournissant une alternative aux Amérindiens qui cherchent à prendre leurs distances avec leur vie dans les ex-missions (voir la figure 4 dans le cahier d’illustrations).
Figure 4. – Les menaces sur la Californie mexicaine (1840-1850).

L’organisation de la défense aux frontières
57Dans ces circonstances, il devient essentiel de développer les défenses du pays. Vallejo conjure le ministère de la guerre d’en faire une priorité et demande instamment à être « défait du commandement général pour se consacrer à la fortification » de la frontière nord114. Pour lui, il faut suivre la trajectoire inverse de celle empruntée par Alvarado, d’un développement et d’une organisation de l’administration, pour renforcer au contraire sa défense militaire, en ces temps de nouveaux périls : il faut oublier l’idée « d’appliquer les lois » et de « croire que ce qui convient au pays c’est un gouvernement d’employés civils115 ». Son honneur de militaire est en effet blessé au plus profond de voir « avec douleur que le pays est livré au premier qui voudra le prendre », une formulation qui remet aussi en cause sa virilité, lui qui ne peut garder ce qui est sien. De son côté bien sûr, il « fera son devoir dans la mesure du possible en défense de l’intégrité du territoire ». Mais l’annonce « d’un groupe de deux cents castoreros qui vient menacer cette frontière, probablement en accord avec les étrangers qui vivent parmi nous », annonce qui « ne le surprend pas », ne le laisse pas moins dans l’impuissance, « faute de forces et de ressources ». Pour Vallejo, « la Californie est tout bonnement dans une situation chimérique, elle ne peut résister à un coup de force que tenterait n’importe quelle nation étrangère », alors que « cette frontière se trouve en contact avec trois nations, les Russes, les Anglais et les Nord-Américains, dont les forteresses ne sont pas très distantes, cent lieues, et parfois même à l’intérieur des limites de la république, et ses forces s’avancent de jour en jour116 ».
58Comme nous l’avons vu, la situation de la Haute-Californie n’est pas seulement périlleuse du fait de sa situation de frontière et de sa proximité avec les entreprises de colonisation et d’exploration des populations voisines, mais aussi parce qu’elle est intégrée dans des projets impériaux-nationaux et une situation de fréquentation accrue et même de rivalité internationale dans le Pacifique. Or dans cette situation, l’arrestation de Graham et des autres étrangers a un retentissement international, notamment parce que les prisonniers reçoivent l’appui du consul britannique à Tepic en Sonora où ils sont déportés. Mariano Vallejo a eu beau avertir les autorités mexicaines que les « étrangers nord-américains font des feintes continuellement » et veulent absolument « s’emparer de la frontière de San Francisco », rien n’y fait117. José Castro doit comparaître devant la justice à Mexico pour son traitement des étrangers, afin de donner des gages aux puissances offensées. La plupart des personnes emprisonnées sont alors autorisés à revenir en Haute-Californie dès juillet 1841118. Du point de vue des Californiens, la fin de cet épisode est tout à fait inquiétante, puisqu’ils se voient privés d’un moyen d’action contre ces nouveaux migrants menaçants. Que la nation se prive de moyens de défendre son intégrité pour des raisons qui tiennent à des choix de relations internationales, soit. Mais comment alors les populations pourront-elles se protéger contre ces nouveaux venus ? Le désaveu de leur arrestation des étrangers est l’occasion pour les Californiens de comprendre les pressions internationales subies par le Mexique, et sa faiblesse relative, dont ils sont les victimes potentielles119. Face à ces migrants sans papiers, que faire ? Auparavant, de telles personnes étaient arrêtées. Mais si nombreuses, et après la mésaventure de l’arrestation de Graham et des autres, ce n’est plus possible. Si on les renvoie, « est-ce qu’ils ne vont pas revenir et faire usage de leurs armes, après avoir vu qu’il n’y a pas de défense ? » se demande le commandant Vallejo. Et d’ailleurs, « s’il ne fait pas de doute qu’en armant la population, il serait possible de les corriger », mais « qui repoussera dans ce cas les Indiens qui profiteront de l’absence des villageois pour ravager les villages ? ». Il conclut par cet aveu : « nos frontières sont sans défense, nos villages à la merci des aventuriers, et nos familles et nos intérêts en souffrent à chaque instant ».
59Ce qu’il faut par conséquent, c’est « organiser une force capable de délivrer le pays de la ruine totale qui le menace de façon imminente » et pour la payer, mettre fin « aux dotations croissantes d’une multitude d’employés pour le moins inutiles » dont « les soldes suffiraient pour payer une troupe capable de maintenir la sécurité du pays ». Il suffit pour cela « de mettre en balance les intérêts communs de nos villages avec les convenances particulières de quelques employés » et il n’y a pas de doute que « les premiers feront pencher fortement l’aiguille en leur faveur120 ». Vallejo propose même de mettre en effet provisoirement la loi martiale, tellement la situation lui paraît dangereuse. Et face au refus du gouverneur de prendre au sérieux la menace, il demande clairement la nomination par le gouvernement « d’un chef investi de la double autorité civile et militaire121 ».
60De son côté, le gouverneur opte pour une autre stratégie, celle de renforcer les défenses en concédant des terres à un entrepreneur de colonisation sur le front intérieur : le projet de colonisation d’un Suisse qui souhaite acquérir des terres et y installer des familles dans les vallées intérieures tombe alors à pic pour le gouverneur Alvarado en 1840 pour compléter le dispositif. Il accorde une très importante concession de terre sur le Sacramento, à l’interface du « monde intérieur » à Johann August Sutter, passé par le commerce sur la piste de Santa Fe mais venu en Californie par Honolulu. Sutter construit un fort et commence à recruter des travailleurs, auprès des populations autochtones locales (Miwoks et Nisenans) et de migrants, souvent étrangers, en contractant des dettes, pour développer son exploitation qu’il nomme « Nouvelle-Helvétie ». Deux ans plus tard, Sutter fait travailler trois cents Amérindiens (y compris de manière forcée) et le gouverneur Alvarado estime que « si le département jouit de quiétude du point de vue des Indiens barbares, c’est en grande partie grâce à cet établissement dont les campagnes ont permis de récupérer nombre de chevaux volés122 ». En somme, Alvarado se sert de Sutter comme d’un vice-gouverneur ou vice-commandant dans ces régions de frontière. Sans lui déléguer formellement toutes ses attributions, le fait est qu’il ne le supervise guère. Son rival, Vallejo, dénonce d’abord les risques de la stratégie de Sutter concernant les populations autochtones environnantes : souvent marquées par la violence, elles lui semblent menacer l’équilibre qu’il cherche à atteindre de son côté123. Ensuite, de plus, du fait du contexte international, l’entreprise du « pacifique Juan Sutter » pose la question de la nature de la souveraineté et du projet qu’il organise dans la région centrale de Haute-Californie.
Frontière, mondes intérieurs et autres possibles territoriaux
61En effet, au-delà de la question de la défense nationale des frontières dans un contexte de rivalités internationales, ce qui frappe aussi les observateurs, ce sont les possibles territoriaux que les pratiques de circulation dessinent. En assistant aux allées et venues entre l’Oregon et la Haute-Californie pour le bétail et les fourrures, Vallejo en vient à se demander en 1837 « si la Columbia et la Haute-Californie ne seraient pas destinées par la nature à être d’une seule nation ». Un migrant venu par la piste de Santa Fe en 1836, John Marsh, concorde : il a rencontré une centaine de personnes venues de la Columbia dans la vallée du Sacramento, et il affirme que ces personnes et ceux du Nord « se considèrent comme des voisins124 ».
62Cette entente avec les Britanniques inquiète d’ailleurs les Étatsuniens qui observent l’entreprise. Le 29 janvier 1841, Ethan Estabrook, agent consulaire des États-Unis à Monterey, exprime ses préoccupations au commerçant Thomas Larkin : « la Hudson Bay Company joue avec le feu avec le bétail californien, si ce n’est avec la Californie elle-même », vu les proportions qu’elle veut faire prendre à ce commerce. Pour constituer un camp de base pour les chasseurs, la compagnie réclame, dit-il, 30 miles². Une grosse centaine de chasseurs sont alors dans la vallée centrale et une cinquantaine les rejoignent depuis la côte. Il conclut : « il est très facile pour le gouvernement de la Californie de permettre à ces personnes d’entrer, mais sera-t-il facile de les faire sortir ? Pienso que no125 ». Le gouverneur Alvarado a ordonné aux trappeurs de rester à distance « leur présence n’étant pas compatible avec les lois mexicaines126 », mais reconnaît implicitement par là que la Haute-Californie mexicaine n’est pas en mesure d’étendre sa juridiction au-delà de San José, les forts de Sutter et de Vallejo.
63Pour ce qui est de Sutter, Vallejo comme les Britanniques ont leur doute : est-ce vraiment la Haute-Californie qu’il gouverne sur sa frontière ? Sutter s’est installé, juge Vallejo qui s’en inquiète, dans « l’un des parages les plus intéressants de Californie ». L’organisation de la Nouvelle-Helvétie restructure en effet la région en une nouvelle zone frontière, polarisée par le fort. Celui-ci attire des individus ou des groupes de divers groupements amérindiens, Miwoks, Nisenans, Moquelumnes notamment, qui viennent y travailler et y obtenir des biens. Endetté pour acquérir les biens nécessaires à son installation et ses productions, Sutter fournit des travailleurs amérindiens pour rembourser partiellement ses dettes127. La frontière de Sutter, comme celle de Vallejo, est alors intégrée au trafic de captifs qui concerne tout le Sud-Ouest et alimente la demande du Nord mexicain128. En s’installant dans l’environnement amérindien de la vallée centrale et du piémont de la Sierra Nevada, Sutter ne fait pas que fonder un fort dans l’intérieur de la Californie mexicaine ; dans le même temps, il inaugure un nouveau projet spatial sur le territoire officiellement appelé Haute-Californie. Son projet ne fait que prendre de l’ampleur avec la croissance massive du nombre de migrants dans les années 1840 dont il sera question au chapitre suivant.
64De fait, les pratiques de Sutter autour de sa concession mettent en évidence des ambiguïtés dans son projet : Vallejo s’indigne ainsi qu’« il se donne le titre de gouverneur de la Nouvelle-Helvétie », du fait des facultés de « représentant du gouvernement et chargé de justice sur la frontière du fleuve » qui lui ont été accordées. Le nom de sa concession et le titre de gouverneur pourraient en effet évoquer le projet d’une province distincte de celle de Haute-Californie, certes toujours plus ou moins dans le cadre de la colonisation intérieure mexicaine, mais dont les possibilités autres apparaissent rapidement. Certes, par certains côtés, Sutter semble, avec ses campagnes militaires contre les autochtones, ou encore la défense de son monopole (mexicain) sur les fourrures de la région, affirmer la souveraineté mexicaine dans la région. Mais par d’autres, il met au premier plan ses propres intérêts, avec une ambition non dissimulée. Il achète, à crédit, l’établissement et le matériel russes à Bodega, Fort Ross, au détriment des autorités de Haute-Californie, négociant avec une puissance étrangère presque comme s’il était un acteur à part entière de négociations internationales. Au cours du premier été sur sa concession, il reçoit la visite de deux lieutenants issus de l’expédition étatsunienne du commandant Charles Wilkes (celle dont le but est d’explorer le Pacifique sud129). C’est ensuite le tour de l’explorateur français Eugène Duflot de Mofras en septembre130. Sutter profite de ces visites pour prendre contact et tester les intentions de nations ainsi représentées. L’opportunité offerte par une concession presque autonome dans la région n’échappe ni aux Étatsuniens ni aux Britanniques, qui sans être familiers des environs, constatent les pratiques du terrain. George Simpson, le gouverneur de la Hudson Bay Company, constate que pour l’« ambitieux Brother Jonathan », comme il appelle toujours les États-Unis,
« l’établissement du Capitaine Sutter est admirablement situé. En plus d’être sur la route directe entre San Francisco d’un côté et les vallées du Missouri et de la Willamette d’un autre, il exclut virtuellement les Californiens des meilleures parties de leur pays, les vallées des fleuves San Joaquín, Sacramento et du Colorado131 ».
65De plus, prédit-il, « les Américains, maîtres de l’intérieur, vont bientôt se découvrir le droit à un accès au Pacifique, donc quel que soit le sort de Monterey et des ports plus au sud, San Francisco sera, j’en ai la certitude, tôt ou tard une possession américaine », à moins que, ajoute-t-il, les Britanniques ne l’occupent d’abord. Non seulement constate-t-il cette proximité entre les deux régions que nous avons évoquée, mais encore insiste-t-il sur la place centrale du fort de Sutter dans ce dispositif. Dans ses moments d’agacement, Sutter n’hésite pas à utiliser ces alternatives comme des menaces, explicitement et par écrit, comme dans une lettre à Leese, datée de 1841 où il fanfaronne qu’« il est trop tard maintenant pour me chasser du pays : au premier geste à mon encontre je ferai une déclaration d’indépendance et proclamerai la Californie une république indépendante du Mexique » ; il mentionne au passage ses bons amis étatsuniens, nombreux, et qu’il est capable de lever des dizaines d’hommes en Oregon, dans le Missouri, chez les Amérindiens, sans compter une « frégate française » qu’il attend. Cette lettre que Vallejo a l’occasion de lire confirme ses craintes au sujet de Sutter et des étrangers. Elle montre aussi comment José Castro, qui y est visé, devient à partir de 1840 l’ennemi numéro un de Sutter et par conséquent des étrangers qui dépendent de lui. Sa condamnation à Mexico en 1841 l’affaiblissent considérablement et permettent à Sutter de proférer les menaces telles que dans sa lettre : « la première frégate française lui fera justice ». Sutter « peut être un loyal mexicain », mais c’est conditionnel132.
⁂
66La décennie 1835-1845 dessine des évolutions profondes concernant les pratiques politiques et la relation au Mexique en Haute-Californie. La généralisation des pueblos avec la sécularisation et l’installation de municipalités dans les presidios semblent indiquer un alignement de ce qui est désormais un département sur le gouvernement du reste du pays. Une circulation plus régulière des personnes, des courriers, des informations, des bateaux améliorent aussi les échanges avec le Mexique, surtout dans le Sud. Le contraste s’accentue alors entre des établissements côtiers organisés en ayuntamientos et les zones de frontières. Mais cet éloignement apparent d’un profil de frontière pour se rapprocher institutionnellement et démographiquement du reste du territoire mexicain fait débat et pose des problèmes. La multiplication des raids contre les élevages, les difficultés à transformer les missions en pueblos et les Amérindiens en citoyens dociles et enfin la faiblesse des ressources humaines et financières maintiennent la précarité de la colonisation de la Haute-Californie.
67Cette période est un moment de diversification et de complexification de la société, de formalisation des rapports sociaux, de la politique, et de construction de l’État sur le territoire. Ces processus sont le fait à la fois des nouveaux migrants et des Californios arrivés au pouvoir, parfois en coopération, parfois en opposition. De plus, la construction de l’État, la formalisation, ne signifient pas forcément rationalisation et anonymisation : afin de renforcer le pouvoir du gouvernement territorial, Juan Bautista Alvarado s’emploie à rendre fidèle à son pouvoir ceux qui deviennent dès lors des clients, par le biais d’emplois civils ou de concessions de terres. De là vient la critique d’un développement macrocéphale de l’administration en Californie, et la critique contemporaine et postérieure d’un pillage général des missions sous son mandat.
68L’arrivée du gouverneur Micheltorena en 1843 est le résultat d’une réflexion sur le gouvernement nécessaire pour gouverner la Haute-Californie entre le gouverneur de la frontière, les ministres et le président. Tandis que les organes de gouvernement civil locaux cherchent à affirmer la possibilité d’un gouvernement de régime commun reposant sur les locaux, les militaires et le gouvernement penchent plutôt vers un régime d’exception, gouverné par quelqu’un d’extérieur, et qui ne serait pas financé par les droits de douane, mais par un approvisionnement régulier du gouvernement permettant d’établir la sécurité, l’acquisition de terres et le développement du commerce. Sa nomination ne manifeste pas en soi une opposition entre Mexicains et Californiens, mais une solution choisie à un moment donné dans une réflexion plus large : dans un grand pays républicain, libéral et civilisé, la Haute-Californie telle qu’elle est doit-elle être gouvernée par un fils du pays ou un extérieur ? Doit-elle compter sur ses propres ressources issues des droits de douane, ou être financée par le gouvernement ? Doit-elle être gouvernée par les lois de la république ou selon un régime d’exception ? Le renversement du gouverneur Micheltorena tient en partie à une contestation de cette réponse par les Californiens et à une donnée manquante dans ce dispositif, les moyens qui lui sont accordés étant trop faibles pour qu’il puisse remplir sa mission. L’évolution de la situation des États-Unis comme du Mexique, et de la pression internationale autour du Texas et du Pacifique dans les années 1840 achèvent de compliquer la construction mexicaine de la Haute-Californie.
Notes de bas de page
1 DHC Vallejo, t. 5, nos 131-132.
2 Phillips George Harwood, « Indians in Los Angeles, 1781-1875: Economic Integration, Social Disintegration », Pacific Historical Review, vol. 49, no 3, août 1980, p. 436 ; Haas Lisbeth, « Defining Freedom: Indians Towns Versus La Misión and Patrías », Saints and Citizens. Indigenous Histories of Colonial Missions and Mexican California, Berkeley, University of California Press, 2013, p. 152-157.
3 DHC Vallejo, t. 3, no 57.
4 Haas Lisbeth, « Defining Freedom », art. cité, p. 154.
5 Ibid., p. 156.
6 Hartnell William E. P., Diario, p. 15.
7 SPM. Haas Lisbeth, « Defining Freedom », art. cité, p. 161.
8 González Michael J., Searching for the Feathered Serpent. Exploring the Origins of Mexican Culture in Los Angeles, 1830-1850, thèse de doctorat en histoire, sous la dir. de James N. Gregory, Berkeley, University of California, 1993, p. 202.
9 SPM, t. 8, p. 6.
10 SP Ben Pref Juz, t. 3, p. 43-44. Le nom accolé est celui du village salinien.
11 Archivo de Santa Barbara, t. 9, p. 215.
12 DHC Carrillo José, p. 35-45.
13 SP Miss, t. 9, p. 51 ; DR, t. 13, p. 86.
14 HHB4, p. 663.
15 Dwinelle John W., The Colonial History of the City of San Francisco, San Francisco, Towne & Bacon, 1867. Voir aussi Hartnell William E. P., Diario, op. cit., p. 43. À San Diego, les néophytes semblent s’être repliés à Santa Ysabel avec le père missionnaire et défendent ce site comme leur, contre la municipalité qui veut en faire une terre disponible aux concessions. HHB3, p. 620.
16 LACA, t. 1, p. 60-61 ; HHB3, p. 636-637.
17 DSP Angeles, t. 2, p. 165.
18 SPMC, t. 2, p. 361-364.
19 SPM, t. 9, p. 70.
20 DSP Monterey, t. 4, p. 114 et 117 ; DSP San José, p. 20-22.
21 SP Ben Pref Juz, t. 3, p. 45.
22 HHB3, p. 416. Stearns, Vignes ou Sánchez sont disposés à louer des pièces, mais pas à en fournir gratuitement en attendant la construction d’un édifice. Los Angeles Archives (ci-après LAA), t. 1, p. 70-73.
23 SP Ben Pref Juz, t. 6, p. 20.
24 DHC Vallejo, t. 10, no 46.
25 Hammond George P. (éd.), The Larkin Papers. Personal, Business and Official Correspondence of Thomas Oliver Larkin, Merchant and United States Consul in California, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1951, p. 2 et 14 (ci-après TOL).
26 HHB3, p. 637.
27 Par exemple DSP Mont, p. 345-346 ; DHC Vallejo, t. 4, no 283-13.
28 Arnaz, p. 2.
29 HHB3, p. 652 et DSP Ben, t. 2, p. 38 ; DSP Angeles, t. 10, p. 68-69.
30 Par exemple Monterey Archives, t. 11, p. 2.
31 DHC Vallejo, t. 9, no 112.
32 DHC Vallejo, t. 7, nos 301-309, 409 et 416 ; DSP, t. 4, p. 273.
33 Flores Escalante Justo Miguel, Soberanía y excepcionalidad, op. cit.
34 DHC Vallejo, t. 7, no 142 ; Weber David J., « California in 1831 », art. cité.
35 DHC DLG, t. 4, p. 238.
36 Arnaz, p. 10.
37 DHC Vallejo, t. 33, no 193.
38 DHC Vallejo, t. 9, no 122.
39 DHC Vallejo, t. 10, no 183.
40 Vallejo, t. 5, chap. 54, p. 61 et t. 4, p. 266.
41 DHC Vallejo, t. 11, no 11.
42 DHC Vallejo, t. 11, no 265.
43 Vallejo envisage à un moment le voyage. DHC Vallejo, t. 8, no 199.
44 Sa correspondance avec les Californiens in DHC Vallejo, t. 12, nos 141 et 145 et t. 34, no 21.
45 Tays George, « Captain Andrés Castillero, Diplomat: An Account from Unpublished Sources of His Services to Mexico in the Alvarado Revolution of 1836-1838 », California Historical Society Quarterly, vol. 14, no 3, 1935, p. 230-268.
46 Commerce rendu célèbre par le récit de Dana Richard Henry, Two Years Before the Mast, Londres, J. Cunningham, 1841.
47 DHC Vallejo, t. 4, no 346 ; t. 10, no 5 ; t. 11, nos 11-12 et 15-16.
48 Hutchinson C. Alan, « An Official List of the Members of the Híjar-Padrés Colony for Mexican California, 1834 », The Pacific Historical Review, vol. 42, no 3, août 1973, p. 407-418.
49 Bandini, p. 141.
50 Foucrier Annick, La France, les Français et la Californie avant la ruée vers l’or (1786-1848), thèse de doctorat en histoire, dir. Jean Heffer, Paris, EHESS, 1991.
51 Johnston Francis J., « Two Southern California Trade Trails », Journal of California and Great Basin Anthropology, vol. 2, no 1, juillet 1980, p. 88-96.
52 Beattie George William, « Reopening the Anza Road », Pacific Historical Review, vol. 2, no 1, 1933, p. 52-71.
53 HHB3, p. 283 ; DSP Benicia, t. 5, p. 186-294 ; Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 353-354.
54 Vallejo, t. 3, p. 385.
55 DHC Vallejo family, t. 3, Figueroa 1833-1835, C-B 441. Figueroa à Vallejo, 21 mars 1835, San Luis Obispo.
56 González Michael J., Searching for the Feathered Serpent, op. cit., p. 139-151.
57 LAA, p. 83.
58 Manuel Arzaga, Juan Ballesteros, Guillermo Cota, José Perez, Domingo Romero et José Sepulveda.
59 « Montesquieu, Espiritu de las leyes, lib 26 cap 23 » comme le précise la citation in LAA, p. 83.
60 TOL, t. 1, p. 42.
61 TOL, t. 1, p. 54 ; Abel Stearns Papers, Huntington Library (ci-après ASP), box 1, Juan Bandini, no 65, lettre du 28 octobre 1842.
62 TOL, t. 1, p. 106.
63 TOL, t. 1, no 207, p. 154.
64 TOL, t. 2, p. 4.
65 S.I Honolulu Gazette, 2 décembre 1837.
66 Bradley Harold Whitman, The American Frontier in Hawaii. The Pioneers, 1789-1843, Pasadena, Stanford University Press, 1944, p. 222.
67 Cleland Robert Glass, « The Early Sentiment », art. cité, p. 15.
68 Le compromis du Missouri en 1820 règle provisoirement la question de l’esclavage au sein des territoires acquis auprès de la France en 1803. En vertu de cet accord passé au Congrès, il ne pourrait y avoir d’esclavage au nord du parallèle 36’30 sauf dans le Missouri. Richards Leonard L., The Slave Power, op. cit.
69 Mackie Richard, Trading Beyond the Mountains. The British Fur Trade on the Pacific, 1793-1843, Vancouver, UBC Press, 1997 ; Hyde Anne Farrar, Empires, Nations, and Families. A History of the North American West, 1800-1860, Lincoln, University of Nebraska Press, 2011, p. 29-24.
70 Des missionnaires catholiques français sont expulsés de l’archipel de Hawaï entre 1827 et 1837, car la reine avait déjà été convertie au protestantisme par des missionnaires étatsuniens. Certains, comme le père Bachelot, s’installent alors en Haute-Californie. L’insistance française permet au final de permettre une présence catholique et française dans l’archipel.
71 Sur les trappeurs de l’Ouest étatsuniens (les « mountain men ») les classiques sont : Chittenden Hiram Martin et Vinton Stallo, The American Fur Trade of the Far West, New York, Press of the Pioneers, Inc., 1935 ; et les travaux de Hafen LeRoy R., The Mountain Men and the Fur Trade of the Far West, Glendale, A. H. Clark Co., 1965. L’historiographie plus récente intègre notamment la coopération avec les Amérindiens et les liens entre trappeurs et politique : Dolin Eric Jay, Fur, Fortune, and Empire. The Epic History of the Fur Trade in America, New York, W.W. Norton & Co., 2010 ; Havard Gilles, Histoire des coureurs de bois. Amérique du Nord, Paris, Les Indes savantes, 2016.
72 Nunis Doyce B. (éd.), The California Diary of Faxon Dean Atherton, 1836-1839, San Francisco, California Historical Society, 1964.
73 ASP, box 26, Henry D. Fitch, lettre du 7 janvier 1840, San Diego.
74 ASP, box 48, Cosme Peña, lettre du 29 avril 1836, Monterey.
75 ASP, box 20, William G. Dana, no 14, lettre du 26 février 1836, Santa Barbara.
76 Dakin Susanna Bryant, A Scotch Paisano; Hugo Reid’s Life in California (1832-1852), Berkeley, University of California Press, 1939 ; The Lives of William Hartnell, Stanford, Stanford University Press, 1949 ; Fedewa Philip Charles, Abel Stearns in Transitional California, 1848-1871, 1970 ; Miller Ronald Lee, Henry Delano Fitch a Yankee trader in California, 1826-1849, thèse de doctorat en histoire, sous la dir. de Doyce B. Nunis, Los Angeles, University of Southern California, 1972 ; Wright Doris Marion, A Yankee in Mexican California. Abel Stearns, 1798-1848, Santa Barbara, W. Hebberd, 1977.
77 Casas María Raquél, Married to a Daughter of the Land, op. cit.
78 Foucrier Annick, Le rêve californien, op. cit., p. 89.
79 Pubols Louise, « Hijos del pais: Learning to be Californios », art. cité.
80 González Michael J., Searching for the Feathered Serpent, op. cit. ; This Small City Will Be a Mexican Paradise. Exploring the Origins of Mexican Culture in Los Angeles, 1821-1846, op. cit.
81 Foucrier Annick, Le rêve californien, op. cit., p. 51-53 et 61.
82 Voir chapitre v.
83 LR, t. 3, p. 64.
84 Arnaz ; les billards étaient considérés un peu comme des jeux de hasard. Relativement répandus dans l’Ouest étatsunien, mais il est difficile de trouver des informations côté mexicain. Miles Edwin A., « President Adams’ Billiard Table », The New England Quarterly, vol. 45, no 1, 1972, p. 31-43 ; DHC Vallejo, t. 11, no 11.
85 DSP Angeles Pref y Juz, t. 3, p. 28 ; DSP Angeles, t. 6, p. 46 ; t. 7, p. 7.
86 Arnaz, p. 14.
87 Dans le récit du mariage d’Anita de la Guerra y Carrillo avec Alfred Robinson en 1836, on trouve aussi cette distinction entre fête publique et fête privée : Dana Richard Henry, Deux années sur le gaillard d’avant, Paris, Payot, 2018, p. 367.
88 Arnaz, p. 32.
89 DHC Vallejo, t. 5, no 258.
90 DSP Angeles, t. 12, p. 98 ; DHC Soberanes, p. 292 ; DHC Vallejo, t. 11, 473.
91 DSP, t. 6, p. 147-148.
92 Voir chapitre iv.
93 Soulé Frank, Gihon John H. et Nisbet James, The Annals of San Francisco, New York/San Francisco/Londres, D. Appleton & Co., 1855, p. 169.
94 Davis, Glimpses, p. 18-19 et 191-192 ; TOL, t. 1, p. 91.
95 Hämäläinen Pekka J., L’empire comanche, Toulouse, Anacharsis, 2012 ; Zappia Natale A., Traders and Raiders. The Indigenous World of the Colorado Basin, 1540-1859, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2014.
96 Brooks James, Captives & Cousins. Slavery, Kinship, and Community in the Southwest Borderlands, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2002 ; Reséndez Andrés, L’autre esclavage. La véritable histoire de l’asservissement des Indiens aux Amériques, Paris, A. Michel, 2021.
97 Duggan Marie Christine, Market and Church on the Mexican Frontier, op. cit.
98 Cook Sherburne F., The Conflict Between the California Indian and White Civilization, op. cit. ; Hurtado Albert L., Indian Survival on the California Frontier, New Haven, Yale University Press, 1988 ; Perez Tisserant Emmanuelle, « La conversion d’une zone humide en région agricole », Études rurales, vol. 203, no 1, 2019, p. 82-101.
99 DHC Vallejo, t. 33, no 182.
100 DHC Vallejo, t. 5, p. 122, 177 et 211 ; t. 32, p. 131 et 146.
101 DHC Vallejo, t. 4, p. 32.
102 Genizaros : Amérindiens capturés et élevés dans des familles et des villages de colons hispanophones.
103 Osio, p. 408 et Janssens, p. 110. Janssens, colon de 1834 d’origine belge est mandaté pour parlementer avec Chalifoux, un mountain man franco-canadien qui mène une bande de Chaguanosos. Il précise qu’ils sont officiellement des commerçants, mais que la plupart des chevaux qu’ils acquièrent sont de fait volés, soit directement, soit récupérés auprès d’Amérindiens basés dans la Vallée Centrale. Hafen LeRoy Reuben et Lecompte Janet, French Fur Traders and Voyageurs in the American West, University of Nebraska Press, 1997, p. 67-68 ; Hafen LeRoy R., « The Old Spanish Trail, Santa Fe to Los Angeles », Huntington Library Quarterly, vol. 11, no 2, février 1948, p. 149-160. Le terme « Chaguanosos » est parfois interprété comme un dérivé de « Shawnees » mais l’est plus probablement des Utes Sabuanaga ; Alvarado écrit aussi « Chubanoes » (DHC Vallejo, t. 4, no 318) ; on trouve encore : « Chaguanos », « Chahuanos » ou « Schaouanos » ; HHB4, p. 77, n. 73 et Blackhawk Ned, Violence Over the Land. Indians and Empires in the Early American West, Cambridge, Harvard University Press, 2006, p. 139.
104 DHC Vallejo, t. 2, p. 318 et 322.
105 HHB4, p. 76 ; DSP, vol. 5, p. 14.
106 DHC Vallejo, t. 5, p. 318.
107 HHB4, p. 3 ; le fait que Rosalía Vallejo précise que les attaquants de Sonoma en 1846 étaient des déserteurs de baleiniers confirme cette perception de marginalité et de désordre liée à cette population. Beebe Rose Marie et Senkewicz Robert M., Testimonios, op. cit., p. 25.
108 Il s’agit plus probablement que d’un complot de discussions de tavernes sur l’éventualité d’une annexion de la Californie par les États-Unis LR, t. 3, sessions du 1er au 23 avril 1840.
109 DSP Pref y Juz, t. 6, p. 68.
110 DHC Vallejo, t. 5, no 220.
111 DSP Ang, t. 4, p. 88-100.
112 DHC Vallejo, t. 33, no 57.
113 Sutter, p. 4 ; HHB4, p. 113, n. 6, liste les attaques qui donnent lieu à des vols de chevaux entre 1836 et 1840.
114 DHC Vallejo, t. 9, no 124, avril 1840.
115 DHC Vallejo, t. 9, no 241 et t. 33, no 57.
116 DHC Vallejo, t. 9, no 269.
117 DHC Vallejo, t. 9, no 124.
118 Justicia, vol. 137, exp. 33. Voir aussi chapitre vii.
119 Sur cet épisode, voir aussi Robinson Alfred et Boscana Gerónimo, Life in California. During a Residence of Several Years in That Territory, Londres, H.G. Collins, 1851, p. 130.
120 DHC Vallejo, t. 10, no 349.
121 Vallejo, t. 4, p. 231-238 ; DHC Vallejo, t. 10, no 384 ; DR, t. 13, p. 6 ; DHC Vallejo, t. 10, nos 5 et 46.
122 DR, t. 13, p. 10. Ces éléments peuvent laisser penser que Sutter était sinon complice, du moins lié et averti des campagnes de vol de chevaux.
123 DHC Vallejo, t. 11, no 4.
124 California Historical Documents Collection, Huntington Library, lettre de John Marsh à Abel Stearns, Yerba Buena, 27 mars 1837.
125 TOL, t. 1, p. 122. En espagnol dans le texte : « je pense que non ». Blake Anson S., « The Hudson’s Bay Company in San Francisco », California Historical Society Quarterly, vol. 28, no 2, 1949, p. 97-112.
126 Douglas, p. 71-73.
127 Hurtado Albert L., Indian Survival on the California Frontier, op. cit.
128 Sur le trafic de captifs en Californie, notamment alimenté par Sutter, voir Alvarado, t. 4, p. 38 ; et Smith Stacey L., Freedom’s Frontier, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2013.
129 Wilkes Charles, United States Exploring Expedition, During the Years 1838, 1839, 1840, 1841, 1842, Philadelphia, Lea and Blanchard, 1845, p. 189-207 et 262-263.
130 Duflot de Mofras Eugène, Exploration du territoire de l’Orégon, des Californies et de la mer Vermeille, op. cit., p. 457-466.
131 Simpson George, Narrative of a Journey Round the World during the Years 1841 and 1842, Londres, H. Colburn, 1847, p. 327.
132 DHC Vallejo, t. 33, no 250.
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