Chapitre IV. L’entrée en politique mexicaine
p. 115-148
Texte intégral
1La fin des années 1820 et la décennie suivante sont des années mouvementées pour la politique mexicaine que l’historienne Josefina Vázquez a baptisées « années oubliées », dont il est malaisé de faire l’histoire1. Pour résumer les difficultés rencontrées par l’établissement de la république : les résultats aux élections ne sont pas nécessairement acceptés par les perdants, les luttes politiques sont vives, les révoltes s’enchaînent dans la capitale ou depuis les États fédérés, la fédération est encore affaiblie par les interventions étrangères ou leur menace. Lorsque des révoltes éclatent aussi en Haute-Californie, comme c’est le cas en 1829 puis en 1831-1832 et en 1836, elle semble s’intégrer de manière cohérente à ces « années oubliées ». Cependant, cette similitude laisse ouverte plus de questions que de réponses : comment comprendre l’articulation de l’instabilité politique en Haute-Californie et celle du reste du pays ? Pourquoi et comment les pronunciamientos et les révoltes ouvertes deviennent un mode commun de faire de la politique2 ? Comment concrètement s’opère le processus de politisation qu’on peut définir avec l’historien Clément Thibaud comme « l’opération par laquelle les acteurs articulent leur expérience quotidienne à des paradigmes politiques excédant la singularité de leur cas3 » ? Or cette revendication de la singularité et de l’exceptionnalisme revient constamment concernant la Haute-Californie.
2Dans les premières années de l’indépendance, un mélange de conviction et de pragmatisme avait conduit le gouverneur Echeandía à développer les institutions de gouvernement civil afin de pouvoir faire face aux missionnaires franciscains qui par leur influence auprès des colons, des soldats et des autochtones faisaient obstacle à sa politique. La révolte de Solis de 1829-1830 a montré au gouverneur la fragilité de son pouvoir, aux élites californiennes en construction leur marge de négociation. Le mandat du nouveau gouverneur Manuel Victoria, qui débute en 1831, rompt l’équilibre initié pendant les années 1820. Cependant, la révolte qui se produit contre lui et le renverse à la fin de l’année 1831 n’a rien de mécanique, de spontané ni de naturel. Expliquer comment les Californiens en viennent à choisir un tel mode d’action, tel est le but de ce chapitre.
L’articulation politique du local et du national
3Le tournant des années 1830 marque le moment où la conflictualité politique mexicaine se met à avoir des répercussions en Haute-Californie. Cela ne signifie pas pour autant qu’on assiste à un phénomène linéaire de diffusion, du centre vers la périphérie, de cette conflictualité, mais certains Hauts-Californiens et certaines personnes à la capitale trouvent un intérêt à faire correspondre les conflits locaux avec les conflits nationaux. On se souvient du contexte californien de la fin des années 1820 : les débuts d’un conflit entre le gouverneur et les missionnaires au sujet des réformes concernant les missions. Au même moment à la capitale et dans certaines régions plus centrales du Mexique, ce sont d’autres oppositions, parfois très vives, qui se développent autour de la question de la place des Espagnols dans la société mexicaine ou encore de la trajectoire libérale plus ou moins radicale du pays indépendant.
4Trois événements au tournant des années 1830 opèrent ce processus de mise en correspondance : premièrement, la révolte de Solis, étudiée au chapitre précédent, offre au gouverneur une fenêtre pour enfin procéder à l’expulsion d’un missionnaire. En retour, cette expulsion montre aux missionnaires qu’il devient nécessaire de déployer d’autres ressources dans leur conflit avec le gouverneur et au-delà, contre les projets de réforme mexicains. Deuxièmement, un nouvel agent du gouvernement arrive en Haute-Californie dans ces années-là et y porte un discours politique, une grille d’interprétation, issus des années qu’il vient de passer comme député à la capitale, précisément dans cette période de conflits autour de la trajectoire politique du Mexique. Enfin, troisièmement, l’alternance politique qui se produit avec le retour au pouvoir des libéraux modérés à la présidence mexicaine en 1830 donne l’opportunité aux acteurs en opposition entre eux en Haute-Californie d’interpréter leurs conflits à la lumière des conflits mexicains et d’essayer d’en tirer avantage auprès de chacun des partis.
Le pari politique modéré des missionnaires
5Avant 1830, les missionnaires californiens considèrent que rien de bon ne viendra du gouvernement mexicain après l’indépendance. Les événements tendent à confirmer cette opinion jusqu’à culminer avec le coup de force de Vicente Guerrero, candidat malheureux à l’élection présidentielle fédérale, contre son concurrent victorieux Manuel Gómez Pedraza en 1829. C’est alors un représentant des libéraux les plus radicaux, c’est-à-dire ceux qui sont les plus déterminés à diminuer le pouvoir et l’influence de l’Église ainsi que celle des Espagnols au Mexique, qui arrive à la tête de l’exécutif fédéral. C’est par exemple pendant son mandat qu’est adoptée la deuxième loi d’expulsion des Espagnols.
6Jusqu’à cette date, le pouvoir des franciscains sur les missions et les néophytes, et leur influence générale sur les Californiens et le commerce de Californie, ainsi que la distance et le manque de moyens du gouvernement pour les mettre au pas leur avaient garanti une certaine sécurité. Or de tous ces points de vue les choses changent en 1829-1830. Si la seconde loi d’expulsion des Espagnols n’est pas plus appliquée que la première en Haute-Californie, le procès de la révolte de Solis s’achève par la mise en cause d’un missionnaire, le frère Luis Martinez, qui est condamné à l’expulsion et doit effectivement s’embarquer en mars 1830. Quelques mois plus tard, et à la suite de l’arrivée d’un politicien taxé d’extrémisme par les proches des missionnaires, le gouverneur propose un plan de sécularisation des missions, visant à distribuer les terres de celles-ci entre les néophytes et des colons.
7Au nadir de cette séquence très défavorable aux missionnaires, arrive en février 1830 la nouvelle que le président Guerrero est à son tour déposé et qu’un politicien beaucoup plus modéré lui succède, Anastasio Bustamante. Le président des missions californiennes décide alors de tirer parti de cette nouvelle situation à Mexico en misant sur une politique plus favorable à l’ordre franciscain et aux missions de la part d’un gouvernement plus modéré et sur la nécessité pour le nouveau président de trouver des soutiens à son pouvoir dans les États fédérés et les Territoires. Il écrit ainsi au président de la république dès le 10 mai 1830 pour dénoncer « les dangers auxquels ils sont exposés » s’ils doivent « être traités avec le même arbitraire et mépris avec lequel notre frère le père Luis a été traité », niant absolument tout soutien des missionnaires à la révolte et implorant « la protection puissante du Gouvernement Suprême4 ».
8Le renouvellement du personnel à Mexico est donc l’occasion de faire entendre une nouvelle version des faits et d’essayer de faire changer la politique concernant les missions. C’est également un levier à faire jouer localement dont l’opportunité se présente à l’automne 1830. Les missionnaires profitent en effet de leur juridiction et de l’intervention du gouverneur dans un mariage qu’ils jugent contraire au droit canon pour le mettre en accusation. Pendant le procès, le franciscain Sánchez brandit un courrier du président de la république Bustamante qui lui donne « tout particulièrement » la charge de « faire en sorte que la tranquillité publique, [qu’il] regrette profondément de voir troublée, soit rétablie5 ». Contrairement à ce que le franciscain veut laisser croire, le courrier en question n’est aucunement une manifestation de soutien et encore moins une réponse aux plaintes énoncées dans la lettre de Durán que nous venons de mentionner, puisque le ministère ne traite son courrier qu’à la fin du mois de janvier 1831. Il s’agit simplement d’une lettre très générale du président suite à son arrivée au pouvoir et à la révolte de Solis, visant à rétablir l’ordre et asseoir son autorité6. En effet, loin de s’opposer frontalement au projet de sécularisation d’Echeandía ou de soutenir sans condition les missionnaires, le ministre de l’Intérieur, de nouveau Lucas Alamán, de retour au ministère en 1830, prête attention à des rapports datant du mois de mars 1829 dénonçant comme « causes principales des maux touchant ces territoires… l’éducation que les habitants ont reçu des Espagnols, raison pour laquelle ils pensent et agissent de la même manière qu’eux », la mauvaise administration qui les maintient « dans la plus crasse ignorance, dont le fanatisme est le ressort principal » et enfin « l’influence des missionnaires7 ». Le 15 janvier 1831, Alamán annonce d’ailleurs qu’il fait passer le projet de sécularisation au Congrès8. La position du gouvernement de Bustamante sur le sujet est donc toujours celle d’une réforme, certes graduelle, mais devant mener à la sécularisation des missions ; l’objectif reste également d’expulser, si possible, les missionnaires réfractaires, dès qu’il y aura des remplaçants loyaux.
9Un nouveau gouverneur est certes nommé pour la Haute-Californie, Manuel Victoria, mais cette décision a été prise le 8 mars 1830, soit bien avant que le ministre ne prenne connaissances des plaintes des missionnaires. Malgré le changement de majorité politique en 1830, la politique d’Alamán, qui nomme à la fois Echeandía en 1825 et Victoria en 1830, reste la même, et Echeandía est plutôt sanctionné pour son échec à remplir ses instructions que pour son opposition aux missionnaires. L’alliance entre le nouveau gouvernement et les missionnaires relève donc plus de l’argument politique que d’une réalité9.
La politisation yorkine des jeunes hommes hauts-californiens
10Lorsque les historiens concluent à une alliance entre les missionnaires et le nouveau président du Mexique, le modéré Bustamante, ils le font non seulement sur la foi des missionnaires eux-mêmes mais aussi en suivant Juan Bautista Alvarado, qui était alors le jeune secrétaire du gouverneur et du conseil territorial. Or ce dernier n’a pas eu accès, même dans les années 1870 pendant lesquelles il écrit son Histoire de la Californie, à davantage de documents qu’en 1830, lorsque le missionnaire brandit et cite la correspondance du président10. S’il affirme que les missionnaires et le nouveau président étaient alliés, c’est parce que dans ces années-là, il acquiert une grille de lecture politique par le biais d’une sociabilité initiée par un nouveau venu en Haute-Californie, un employé public mexicain nommé José María Padrés, avec un certain nombre des jeunes gens de sa génération11. La fréquentation de Padrés donne une assurance et une cohésion supplémentaire au cercle de ces jeunes hommes, qui s’appuient sur une grammaire politique commune et sur une sociabilité formelle et codifiée.
11Alvarado comme Vallejo affirment en effet des années plus tard que c’est à ce moment « qu’est introduite la distinction entre yorkinos et escoceses » en Californie12. Ces appellations tirent leur origine de l’organisation du champ politique dans la capitale et les États fédérés mexicains dans la deuxième moitié des années 1820, un moment où les affrontements politiques sont particulièrement intenses à l’occasion de la campagne présidentielle de 1828 et jusqu’en 1830, en référence aux loges maçonniques concurrentes qui furent les supports de la sociabilité et de la conflictualité politique. Avaient d’abord été organisées des loges selon le rite écossais, où les élites de la capitale avaient pris position en faveur de l’indépendance. Le nom « yorkino » vient de l’organisation de loges maçonniques selon le rite de York en 1825, encouragées par le représentant des États-Unis à Mexico Joel Poinsett. Très vite, l’appellation ne désigne plus forcément les francs-maçons de ces loges, mais devient un terme générique pour tout un camp politique. Les positions yorkines sont en fait variables au fil de la vie politique et doivent donc être rattachées au contexte, en particulier électoral. Mais généralement ils défendent plus volontiers le fédéralisme et attaquent la puissance des Espagnols et de l’Église. Ils commencent par s’opposer au puissant ministre Alamán, qu’ils font démissionner en 1825. Ensuite, ils se mobilisent pour l’élection présidentielle de 1828 et sont également associés aux mesures contre les Espagnols en 1827 et 1829. Les loges se diffusent rapidement dans les États mexicains : soit que les candidats au Congrès cherchent ce soutien, soit qu’ils prennent connaissance de ces réseaux une fois élus et en poste dans la capitale13. Padrés est peut-être de ceux-là : arrivé en Basse-Californie avec le gouverneur Echeandía, il en devient le vice-gouverneur en 1826 puis se fait élire député au Congrès pour 1827. Il s’y trouve au moment de la campagne électorale de 1828, très partisane, de l’élection controversée de Gómez Pedraza, de l’annulation de son élection par le Congrès, de la proclamation de Guerrero, candidat des yorkinos à la présidence et enfin de la campagne politique et militaire contre Guerrero et son remplacement par Bustamante au tout début de l’année 1830. C’est cette année-là que Padrés se rend en Haute-Californie auprès d’Echeandía comme inspecteur des troupes, peut-être une forme d’éloignement politique14.
12L’influence de Padrés se manifeste par un surcroît d’assurance, avant même l’arrivée du nouveau gouverneur Victoria, face au gouverneur Echeandía. Certains de ces jeunes gens se mettent ainsi à critiquer plus ou moins ouvertement sa tolérance et son manque de poigne face aux missionnaires. On les voit également s’affirmer face aux franciscains, au grand dam de leurs proches. Alors que jusqu’à 1829, les reproches contre Echeandía viennent d’employés publics ou militaires venus de Mexico qui le jugent trop laxiste, à partir de 1830 ces critiques sont reprises par les jeunes Californiens, et sont parfois interprétées par les observateurs comme « une haine profonde des Mexicains, ou comme on les appelle, ceux de l’autre bord15 ».
13De fait, une forme d’affirmation de la fierté haute-californienne s’exprimait dès la fin des années 1820 à Monterey. Elle se nourrissait notamment de la confrontation entre nouveaux venus et locaux que nous avons eu l’occasion de décrire plus haut. Lors de sa seconde visite à Monterey, après sa victoire sur la révolte de Solis, Echeandía organise un banquet « auquel assistent les personnes les plus influentes de Haute-Californie ». À la fin du repas, les femmes se retirent et les hommes restent pour évoquer la politique à Mexico « qui est assez mouvementée ». Le commandant González se lève pour porter un toast « au chanoine Don Agustín Fernández de San Vicente, le premier mexicain à avoir proclamé la liberté à Monterey ». Les Montereyens sont incommodés parce que « la classe la plus cultivée et la plus intelligente des Californiens n’apprécie guère le chanoine Fernández ». On peut également supposer que, hostiles au commandant qu’ils surnomment « le macaque », un surnom racialement marqué, tout toast de sa part est malvenu, surtout s’il souligne un certain retard des Californiens. Cependant, tout le monde vide son verre poliment. Suivent plusieurs toasts, où « chacun lève son verre à son État de naissance, sans qu’aucun ne mentionne la Haute-Californie ». Enfin, un dernier officier, l’alferez Rodrigo del Pliego, lève son verre à son propre État et « conclut par une allusion à la Californie en des termes peu flatteurs ». Mariano Estrada décide alors d’intervenir et charge le jeune Mariano Vallejo, « au nom de sa patrie dont ce bellâtre veut outrager la dignité » de prendre la parole pour « lui montrer que nous sommes des hommes ». Au même moment, son neveu du même âge, Juan Bautista Alvarado, lève son verre « à la Haute-Californie… à tous les bons Mexicains qui nous entourent, et aussi à l’éternelle confusion des ingrats médisants qui, ignorants des bonnes manières, n’ont pas même conçu en rêve ce qu’il fallait pour mériter le nom de gentilshommes ». En entendant cela, l’alferez del Pliego lui jette son verre au visage. Vallejo se lève aussitôt pour le gifler. S’ensuit une rixe épique, un incident qui montre la confrontation des virilités et de l’honneur, où d’un côté les Californiens ne peuvent supporter de se faire renvoyer un statut passif, et pour se défendre revendiquent leur blanchité et leur masculinité de gentilshommes en déniant ces caractères à leurs interlocuteurs. La bataille prend fin lorsque le gouverneur Echeandía revient et que, informé, il donne raison à Alvarado et fait enfermer Pliego. Ce faisant, il incarne le « bon Mexicain » décrit par Alvarado, qui sait reconnaître la virilité et l’honneur des Californiens16.
14Un épisode survenu sans doute en 1831 illustre encore l’assurance nouvelle de ces jeunes gens. Mariano Vallejo, élu au conseil territorial est alors aussi sous-lieutenant et trésorier à San Francisco. Il avait convaincu le négociant Virmond de lui procurer une bibliothèque à bas prix à San Blas, dont des livres interdits par l’Église. Un marin ayant dénoncé le forfait aux autorités ecclésiastiques, Vallejo averti s’empresse de les faire débarquer cette nuit-là par six marins de confiance ; ils sont ensuite transportés chez Vallejo par huit soldats. À cinq heures du matin, le trésor est en lieu sûr. Vallejo transmet aussitôt la nouvelle à ses camarades Juan Bautista Alvarado et José Castro à Monterey. Ce dernier ne résiste pas au plaisir de venir les admirer et en rapporter chez lui : la jeune fille qu’il fréquente révèle cette faute en confession. En conséquence, les trois jeunes hommes sont excommuniés. La situation se résout néanmoins assez rapidement : Alvarado étant porteur d’une somme d’argent destinée au missionnaire et au vu des efforts des trois jeunes hommes et de leurs pères pour défendre les missions, Durán lève l’excommunication et leur permet de lire tous les livres mais leur conjure de ne pas les laisser entre les mains de personnes moins éclairées qui pourraient en tirer des sentiments antireligieux.
15Cette remarquable anecdote digne de figurer dans un épisode de Zorro est intéressante à plusieurs égards. On y trouve des lieux communs : hypocrisie des religieux qui mettent l’argent au-dessus de leur conviction religieuse, religiosité naïve des femmes, audace et héroïsme des jeunes gens pour l’amour de la connaissance. On y lit aussi comment, en tout cas pour les jeunes gens concernés, se joue une certaine émulation virile et comment les pratiques de lecture servent de marque de distinction entre eux. Au cours de son récit, Vallejo exprime la valeur que les trois jeunes gens donnent aux livres ainsi obtenus, les qualifiant de « trésor ». Que la livraison ait lieu à San Francisco n’est pas anodin. En effet, c’est le lieu le plus éloigné des yeux du pouvoir territorial et missionnaire, tout en n’étant que peu distant de Monterey. Vallejo y est alferez et y jouit déjà d’une certaine réputation, notamment grâce à ses faits d’armes contre les Miwoks. On constate également que Vallejo, officier intermédiaire à San Francisco, peut compter sur des soldats pour l’aider dans son entreprise ; ceux-ci n’apparaissent pas dans le récit comme des complices, mais bien des subalternes, peut-être des clients.
16San Francisco devient ainsi entre mi-1830 et mi-1831 le lieu d’une sociabilité informelle, loin du pouvoir, où l’on vient chasser la loutre et participer à des conversations subversives. Alors qu’Echeandía résidait à San Diego, le nouveau gouverneur réside à Monterey, et il faut aller plus loin pour se soustraire à ses regards. Cette sociabilité informelle est probablement complétée, dès cette époque, par l’organisation plus formelle d’une loge maçonnique du rite d’York, sinon officiellement établie du moins qui en adopte certains traits et vocabulaire (« maître », « loge »17). Cette sociabilité permet l’acquisition d’une grammaire politique, une grille de lecture qui donne un sens aux comportements constatés, mais aussi un sentiment d’appartenance et des leviers d’action. C’est par ce biais, mais aussi par l’adaptation locale de politiques nationales que José María Padrés parvient à convaincre quelques acteurs devenus clés de l’opportunité de la réforme des missions californiennes.
« La graine de la sécularisation a été semée »
17Pour un certain nombre d’observateurs et après eux d’historiens, les révoltes californiennes s’expliquent assez simplement par le désir des Californiens de s’emparer des terres des missions18. Or l’histoire est plus complexe et donc plus intéressante que celle d’une privatisation et d’une marchandisation des terres qui serait immédiatement, obligatoirement et inévitablement désirable. Car si le gouvernement mexicain a bien en tête cette logique de modernisation par la propriété privée, les Californiens ne s’en emparent pas immédiatement. La sécularisation des missions, ordonnée par tous les gouvernements mexicains successifs, ne rencontre pas d’emblée un public favorable en Haute-Californie. Les soldats à la retraite et leur famille souhaitent certes obtenir des terres, mais ils ne sont pas prêts à voir s’effondrer totalement le système des missions. Ils sont en somme favorables à la colonisation (par eux-mêmes), mais modérément à la sécularisation. Les discussions concernant les missions dans la deuxième moitié des années 1820 sont révélatrices de cette tiédeur. En avril 1825, par exemple, le conseil territorial débat sur l’opportunité de retirer la gestion des « temporalités » (c’est-à-dire la gestion de la mission comme unité productive, économique) aux missionnaires qui ont refusé de prêter serment. Certains s’y montrent favorables, mais après une longue discussion, le gouverneur Luis Antonio Argüello, signale son opposition : dans l’hypothèse d’une sécularisation, « les Indiens s’en iraient tous ». De plus, selon lui, « dans la Province les sujets qui puissent remplir le rôle [d’administrateur] sont très rares ». Un autre ne souhaite pas par cette décision « causer le recul de la religion catholique19 ».
18Le long discours qu’Echeandía fait devant le conseil territorial en session publique à Monterey au cours de l’été 1830 confirme cette réticence générale par rapport à la sécularisation. Les nombreux arguments auquel il recourt indiquent en effet la nécessité d’être particulièrement convaincant. Il prend le parti de ne pas présenter la sécularisation comme une réforme isolée mais dans une démarche générale d’organisation de la Californie selon le système constitutionnel mexicain et en examinant comment chaque catégorie de population peut, selon son degré d’éloignement du modèle, faire un pas vers celui-ci : les colons et les Amérindiens christianisés peuvent bénéficier immédiatement de tous les bienfaits du système, tandis qu’il convient plutôt que les catéchumènes restent dans le cadre de la mission et que les « gentils » soient circonscrits par la force si nécessaire, et par les relations commerciales et amicales dès que possible, tout en tirant parti de leurs dissensions pour les dominer20. Surtout, Echeandía fait le choix de dresser les soldats contre les missions, et de leur démontrer que le gouvernement est dans leur camp, dans le contexte postrévolte de Solis :
« Est-ce juste que vingt-et-un établissements des missions possèdent toutes les terres fertiles de la péninsule et que plus de mille familles de gens de raison ne possèdent pas plus que ce que veulent bien leur donner les missionnaires21 ? »
19Le discours d’Echeandía est construit autour de leur droit à la terre et de la nécessité de conformer la Californie aux lois de la république, ce qui n’est pas toujours suffisant, car une majorité de Californiens soutient toujours les missionnaires : du fait du manque de numéraire du gouvernement, les soldats, en particulier ceux qui étaient en charge de la garde des missions, sont en réalité rémunérés par les franciscains avec les productions de leurs propriétés et le travail des néophytes. « Serviteurs des missionnaires », les soldats ne peuvent être de fidèles serviteurs de l’État22.
20Malgré cela, le 6 janvier 1831, alors que son successeur se trouve déjà sur le territoire californien, Echeandía publie un décret de sécularisation des missions de Californie. Cet événement a fait couler de l’encre, car l’interprétation la plus courante aujourd’hui de la révolution qui renverse le gouverneur Victoria à la fin de l’année 1831 est que sa cause directe est son annulation de ce décret, une analyse influencée par l’interprétation de Victoria à son arrivée et qui elle-même s’explique en partie par l’accueil qu’il reçoit. Le nouveau gouverneur arrive en effet à Santa Barbara où l’absence de son prédécesseur semble indiquer une volonté de temporiser la passation de pouvoir ; la publication du décret au moment même de son arrivée est vue comme suspecte. On a vu que le gouvernement était plutôt favorable à la sécularisation, mais à ce stade, Victoria, qui est remonté contre un gouverneur qui semble ne pas vouloir lui laisser le commandement, interprète son acte comme une provocation. Signe d’appropriation du discours des missionnaires, Victoria dénonce le projet de sécularisation en ces termes : « il prévoit une répartition précaire et négligeable aux Indiens en laissant tous les biens au bon vouloir d’administrateurs23 », ce qui n’a jamais été vraiment une préoccupation du gouvernement mais a toujours été mis en avant par les franciscains24. L’opposition de Victoria à la sécularisation ne vient donc pas de ses instructions ni du changement de gouvernement à Mexico, mais des circonstances de son arrivée en Californie : les locaux qui l’accueillent lui peignent Padrés comme un opposant à son gouvernement et le contexte animé des relations politiques à la fois à Mexico et en Californie produit un décalage entre ce que souhaite le gouvernement et les actions du gouverneur sur place25.
21Le motif principal d’accusation du gouverneur contre le décret de sécularisation de 1831 est donc qu’elle est en infraction à la loi dont elle prétend être l’application, celle de septembre 1813 : en effet, au lieu de confier aux néophytes eux-mêmes de la répartition des terres et des biens, elle charge des administrateurs de le faire. Une hypothèse pour expliquer cette variation est que c’est Padrés qui la propose, notamment pour convertir certains Californiens à l’idée d’une sécularisation des missions. Cependant, si certains sont convaincus et si même quelques-uns de ces jeunes gens de l’entourage d’Echeandía et Padrés sont investis du rôle d’administrateurs pour commencer à organiser la sécularisation dans les missions, la plupart des Californiens (et du reste des néophytes) y sont opposés. En fait, ils associent étroitement la sécularisation et l’introduction de ces étiquettes partisanes comme deux phénomènes contribuant, ensemble, à troubler l’ordre que connaissait le territoire. En effet, promouvoir la conflictualité politique, c’est remettre en cause l’unité de la communauté et introduire l’idée qu’il y a une disponibilité de l’ordre social, qui ne serait plus alors transcendant ; séculariser les missions, c’est menacer la communauté spirituelle ; ces conflits sur ce qui pourrait faire la « félicité de la Californie » épuisent au contraire ses « faibles ressources26 ».
De l’opposition à la révolution : l’année 1831
22Pourquoi et comment éclate une révolution ? Cette question a beaucoup déjà occupé les historiens, sur des théâtres d’opération sans doute plus retentissants. Le cas qui nous occupe ici est pourtant intéressant, car il montre le contraste entre d’une part les explications a posteriori, qui cherchent à établir une causalité linéaire et une nécessité et d’autre part une incertitude beaucoup plus forte et des événements et des acteurs éparpillés, pas forcément coordonnés, visibles à la lecture des sources produites sur le moment. Comme nous l’avons vu plus haut, la révolte contre le gouverneur Victoria à la fin de 1831 est interprétée sous l’angle de deux revendications conjuguées : la volonté de séculariser les terres des missions afin de s’approprier les terres et le travail des néophytes d’une part, la volonté forte de gouvernement local d’autre part, la deuxième permettant d’obtenir facilement la première. De ce fait, la responsabilité de Padrés et dans une moindre mesure, celle d’Echeandía, est toujours soulignée, en tant qu’introducteurs à la fois du plan de sécularisation, de la « doctrine fédérale » et de la révolution. Pour ce dernier aspect, c’est la proximité de Padrés avec le parti mexicain yorkino, vu comme radical dans son programme et dans ses moyens qui semble expliquer naturellement le recours au pronunciamiento et à la révolte. D’un autre côté, on admet généralement les torts du gouverneur Victoria, à partir du dossier d’accusation rédigé a posteriori par les membres du conseil territorial. Or, avant que ne survienne l’événement et qu’il faille l’expliquer et le légitimer, ces événements avaient leur logique propre, n’étaient pas forcément coordonnés et ne devaient pas mener nécessairement au choix du pronunciamiento ni de la révolte armée.
« Mon intention principale a été d’établir l’intégrité de la nation mexicaine »
23En septembre 1831, après neuf mois de gouvernement, Manuel Victoria a suspendu le conseil territorial et propose son propre plan de gouvernement pour le territoire, qui n’a toujours pas été doté d’une constitution propre en tant que Territoire fédéral : pour lui, il faut « un commandement purement militaire ». En effet, dans les pueblos « formés qu’ils sont de soldats à la retraite venus pour conquérir, des fils de ceux-ci et de quelques colons, on trouve à peine qui élire pour les ayuntamientos ». Aucun d’entre eux n’a « l’aptitude » d’en faire partie, et la plupart « ne sait pas lire ni écrire ». De plus, en général ceux qui sont élus sont « des hommes très vicieux qui passent leur année d’alcalde à se venger et à s’enrichir par leur office qu’ainsi ils profanent ». Plutôt que de s’efforcer de « niveler le territoire », il convient d’abord, selon lui, d’y « assurer l’intégrité de la nation mexicaine27 ».
24Les éclairages combinés de ce qu’est la Californie pour les milieux du gouvernement à Mexico et ce qu’il en a appris en arrivant à Santa Barbara, ce à quoi s’ajoute la polarisation des luttes partisanes à Mexico au tournant des années 1830, tout conjure pour que Victoria soit très préoccupé au sujet du « manque d’unité envers le gouvernement supérieur ». Comme nous l’avons expliqué, le gouverneur Victoria initie son mandat sous le signe d’une contrariété sinon manipulée, au moins en partie articulée par les missionnaires. La passation officielle de pouvoir a lieu le 31 janvier 1831 à Monterey, en présence des conseillers territoriaux qu’Echeandía a convoqués, en accord avec sa pratique d’association du conseil territorial à son gouvernement. Cependant Victora perçoit cette réunion comme une manœuvre d’intimidation. En effet, il sait bien que les députés et l’ayuntamiento de Monterey ont été occupés tout au long du mois de janvier à organiser la sécularisation des missions du district, en nommant notamment des administrateurs chargés d’effectuer le changement et de répartir les terres28. Il semble alors percevoir, lors de la passation mais aussi du premier mois qu’il passe à la capitale, une certaine hostilité.
25Dans tous les cas, le nouveau gouverneur cherche à initier son mandat en pratiquant un droit d’inventaire sur l’état de l’administration du territoire. Au-delà de la question de la sécularisation des missions, il vise particulièrement la question des finances et des droits de douane, accusant le responsable des finances Juan Bandini de corruption et de collusion avec les marchands étrangers : si ce dernier s’érige en opposant à sa politique, c’est qu’elle ne « convient pas à ses intérêts privés29 ». Le nouveau gouverneur remet en effet en cause les aménagements aux lois commerciales que son prédécesseur avait fini, pragmatique, par tolérer et que Bandini défend. Ce dernier essaie d’ailleurs de plaider sa cause auprès du gouvernement national par l’intermédiaire du député de la Haute-Californie à Mexico, Carlos Antonio Carrillo, qui vient de prendre ses fonctions. Il admet que Victoria « donne des ordres conformes aux lois générales » mais qui « ont pour résultat la ruine et la paralysie de notre maigre commerce, et empêchent l’exportation des produits du pays », reprenant l’argumentaire qu’il avait aussi déployé devant le conseil territorial. Plus largement, il critique la pratique de gouvernement de Victoria et l’arbitraire qui risque de régner en Haute-Californie en raison de l’absence de constitution et de la réunion des gouvernements civil et militaire : la pratique dépend de l’individu, alors que tous les pouvoirs sont réunis entre ses seules mains. Avoir un gouverneur militaire présente aussi le risque que ce soit la troupe qui soit favorisée plutôt que les civils (notamment les marchands) et que le gouvernement soit, par construction, plus despotique30. Leur opposition dessine une ligne de partage entre d’un côté un contrôle par un seul individu au nom de la « sécurité du territoire » et de l’autre des lois adaptées, une séparation des pouvoirs laissant un certain nombre de domaines non militaires sous le contrôle des locaux. Le rôle prépondérant de Bandini dans la montée des hostilités entre les Californiens et le gouverneur Victoria est souvent ignoré, car ses motifs de l’époque semblent sans rapport avec la sécularisation des missions. Mais le contrôle local des finances est un autre aspect central de la confrontation, dans un Territoire de plus en plus fréquenté par les commerçants étrangers et où les taxes douanières sont la principale source de financement du gouvernement.
26« L’intégrité du territoire » semble menacée par les étrangers, du point de vue du gouverneur Victoria, également parce qu’un Étatsunien naturalisé, Abel Stearns, arrive précisément à ce moment-là dans le but de faire confirmer une concession de terre obtenue à Mexico et pour cela demande la réunion du conseil territorial. Victoria interprète toute demande de réunion du conseil comme une manœuvre pour poursuivre la sécularisation des missions et plus globalement comme une remise en cause de son gouvernement. Mais Stearns demande une telle réunion non pas dans le cadre de la politique de sécularisation, mais dans celle de colonisation, sans forcément avoir anticipé que sa demande serait interprétée comme une provocation. La sécularisation consiste à transformer les communautés religieuses animées par les missionnaires franciscains et peuplées d’Amérindiens christianisés en municipalités. Le but d’une telle politique est de rendre effectif le caractère de citoyen autonome des Amérindiens et de limiter l’influence des hommes d’Église. La colonisation part d’une autre perspective : en considérant que la Californie est exposée et menacée et qu’elle n’est pas assez peuplée, il s’agit, comme ailleurs sur la frontière nord, de la développer par des entreprises volontaristes de peuplement. L’application de la loi de colonisation en Haute-Californie à partir de l’été 1830 est passée relativement inaperçue à cause de l’ombre portée par le débat autour de la sécularisation, d’autant que cette loi (et le règlement de 1828) n’a d’abord été évoquée que lors d’une session secrète du conseil. Mais selon l’application de ce règlement, « les titres ne seront pas tenus pour valides si le conseil territorial ne les confirme pas31 ».
27Toute logique qu’elle soit dans ce contexte, la démarche de l’étatsunien intervient dans une conjoncture défavorable : s’il n’est pas mal reçu par Victoria au départ, en février 1831, le 4 mai le gouverneur lui intime l’ordre de quitter le territoire32. Entre-temps en effet, d’abord les ayuntamientos de Monterey et de San José, en lien avec Alvarado et quelques conseillers ont essayé de forcer une réunion du conseil, ensuite l’ayuntamiento de Los Angeles s’est rebellé contre son alcalde, sans oublier l’opposition entre le gouverneur et le commissaire des finances Bandini. Le fait que Stearns veuille faire réunir le conseil, pour une question liée aux concessions de terres, est perçue par Victoria comme une manifestation supplémentaire de l’opposition qui s’organise contre lui.
28Au final, l’expérience politique de Victoria en Haute-Californie le conduit à proposer d’aller à rebours de ce qui a été proposé jusque-là pour le gouvernement de la Californie, c’est-à-dire à se prononcer contre une uniformisation de la Californie par rapport au reste de la république mexicaine du point de vue des institutions. La proposition de conserver le caractère militaire de la Californie était ce qu’avaient voulu ceux qui s’étaient opposés à l’organisation d’un conseil territorial au début des années 1820. Mais moins de dix ans plus tard le conseil a une existence de fait. La campagne d’opposition de 1831 puis la révolte de la fin de l’année montrent que ces institutions se sont mises à être importantes pour un certain nombre d’acteurs sociaux. Ils ne sont pas forcément la majorité, mais leur place institutionnelle et leurs actions trouvent une voie d’expression dans les archives. Le rôle d’alcalde ou surtout de conseiller territorial est un puissant porte-voix dont se servent ceux qui en ont l’opportunité.
La fabrication d’un « tyran »
29Que les missions et leurs terres jouent un rôle dans la mobilisation des Californiens, c’est-à-dire, qu’ils y soient matériellement intéressés, n’empêche pas que cette mobilisation mette en jeu des principes et pratiques politiques. Une poignée de personnes, au conseil territorial, à l’ayuntamiento de Monterey, de San José et de Los Angeles essaie d’exister politiquement face à un gouverneur hostile qui ne veut pas les reconnaître, en faisant référence aux lois et à la constitution.
30Une semaine après l’arrivée de Victoria à Monterey, l’alcalde de San José, Mariano Duarte, se rend à Monterey et rencontre son homologue de Monterey ainsi que des conseillers territoriaux, Joaquín Buelna, le secrétaire du conseil territorial Juan Bautista Alvarado et José Castro, au sujet de la rédaction « d’une représentation de la part des ayuntamientos à M. le commandant général afin que ce monsieur convoque le conseil territorial33 ». Duarte, à son retour à San José, essaie de faire signer la représentation aux autres membres de l’ayuntamiento, sans qu’ils soient réellement conscients de ce qu’ils signent. S’en rendant compte, ses collègues le dénoncent auprès du gouverneur. On a donc un double jeu, entre un alcalde qui manipule son ayuntamiento en faveur de ce qu’il estime être l’intérêt général et un ayuntamiento qui, également conscient de ses droits, ne se laisse pas faire.
31Le gouverneur a également des difficultés avec la municipalité de Los Angeles, au croisement d’affaires internes à l’ayuntamiento et de la politique à l’échelle territoriale. En effet, l’alcalde Sánchez tire lui aussi parti du changement de gouverneur pour s’en faire un protecteur, là où Echeandía, le gouverneur précédent, soutenait plutôt ses adversaires. Quelques jours avant son remplacement par Victoria, le gouverneur Echeandía donne l’ordre à l’ayuntamiento de Los Angeles de mettre le regidor en position d’alcalde, Sánchez ne pouvant cumuler cette fonction et celle de conseiller34. À l’inverse, Manuel Victoria confirme à Sánchez qu’il peut rester à son poste35. Lorsque le changement a pourtant lieu le 18 avril, le gouverneur Victoria pense qu’il s’agit d’une défection volontaire36. Il demande simplement à son remplaçant, le regidor devenu alcalde Juan Bautista Alvarado, de veiller au maintien de l’ordre. Ce n’est qu’à partir du 23 avril que Victoria interprète la destitution de Sánchez comme une « révolution » et un « trouble à l’ordre », une fois qu’il a lu le procès-verbal de l’élection et que Sánchez lui a donné sa version des faits37.
32Le rôle précis de José Antonio Carrillo dans ces troubles n’est pas clair, mais il est à la tête, avec José María Avila et José Palomares de la faction opposée à Vicente Sánchez pour dominer la municipalité de Los Angeles (voir le chapitre précédent) et ce dernier cherche à le discréditer38. La charge contre Carrillo n’ayant pas fonctionné avec Echeandía, Sánchez retente sa chance avec Victoria. Carrillo est poursuivi et arrêté par le commandant de San Diego Santiago Argüello le 21 mars. Victoria ordonne ensuite son exil le 11 mai, une peine lourde qui s’explique par le contexte politique39. Ce sont notamment ces difficultés avec les ayuntamientos (Monterey et Los Angeles) qui conduisent Victoria à conseiller en septembre au gouvernement national leur suppression.
33Les interventions de Victoria contre les ayuntamientos et le conseil territorial encouragent en retour leurs membres à trouver des moyens de défense. Les Californiens opposants du gouverneur Victoria construisent à partir de la fin du printemps et de l’été 1831 un discours visant à le présenter comme un tyran, qu’ils rendent public par des manifestes afin de faire pression sur lui. La mobilisation se construit d’abord à San Francisco, dans le Nord et loin de la supervision du gouverneur, lors d’un séjour de Padrés dans cette localité à l’occasion du procès de Francisco Rubio, un soldat de Monterey, accusé en 1828 d’avoir violé et assassiné deux enfants. Le procès, comme il était habituel en Californie du fait du manque de personnel formé, traîne en longueur et est repris en main par le gouverneur Victoria en mai 1831. Il demande à Padrés d’en être le procureur et confie la défense à l’un de ses alliés, Rodrigo del Pliego. Padrés ne doute pas de la culpabilité de l’accusé, mais du fait des vices de forme, et sans doute aussi pour contredire Victoria et proposer une vision plus clémente de la justice, recommande la prison plutôt que la mort et défend aussi la possibilité d’un procès en appel, contre Victoria qui s’y oppose. Si on veut en faire une analyse plus politique et monter en généralité, l’un donne davantage de droits à la défense et veut assouplir la justice militaire tandis que l’autre chercher à affirmer sa puissance et sa volonté de faire fonctionner la justice sur un territoire de frontière. Ce procès est une occasion pour les opposants au gouverneur de mettre en évidence la tyrannie de Victoria au-delà des questions institutionnelles40. Autre exemple, l’exécution d’un jeune néophyte de 18 ans, Atanasio, le 26 avril 1831 à Monterey, pour un vol, est souvent présenté par les Californiens comme un exemple de l’arbitraire de Victoria, bien qu’il ait en cela suivi les recommandations de son conseiller juridique41.
34Le procès de Rubio a lieu à San Francisco entre mai et juillet 1831. Dans le même temps, plusieurs Californiens ont demandé l’autorisation d’aller chasser la loutre dans la baie de San Francisco42. On l’a vu, c’est dans ce cadre que se forme alors au presidio du Nord une sociabilité d’opposition au gouverneur autour de Padrés. En l’absence de traces de ces conversations, c’est la correspondance qui peut nous indiquer le type de conseils dispensés. Par exemple, à l’étatsunien Abel Stearns, que Victoria a chassé du territoire, Padrés recommande de se rendre à la capitale et d’exposer au ministre ses doléances, qui sera promet-il, « sera effaré quand il prendra connaissance de tels faits ». Il admet qu’il faut de la patience « pour vivre dans cette région désolée et tolérer que s’y produisent des injustices si dégradantes pour la Nation et le régime », mais « il faut faire ce sacrifice au nom de l’ordre et de la tranquillité publique » en attendant « un temps plus clément ». Le rôle de Padrés est donc de situer le combat des Californiens contre Victoria dans un contexte plus large, national, de le connecter à une histoire de progrès : « Les facultés extraordinaires [de l’armée} ont disparu dans toute la république », aussi faut-il espérer que ce sera un jour également le cas pour la Californie. Le gouvernement national est dans cette perspective plutôt un allié. Même si pour lui « [les conseillers] ont simplement pris des mesures pour que les lois et même la Constitution fédérale soient observées religieusement », et ne sont donc pas « séditieux », il leur conseille malgré tout la modération, « nonobstant cette injure suprême, par égard pour la tranquillité publique » car « la raison et la justice brilleront tôt ou tard de leur éclat naturel43 ».
35Les effets des conseils de Padrés sont visibles dans la correspondance de Vallejo. Quand son frère s’inquiète et lui conseille de « ne plus se mêler aux affaires politiques », le jeune homme répond avec sérieux qu’il est de son devoir devant ceux qui l’ont élu « de défendre avec énergie les droits inviolables que nous donnent la Constitution et les lois » même s’il doit « en subir les conséquences ». Le gouverneur, en « montant le peuple contre les conseillers » confirme qu’il est « gouverneur absolu44 ». S’il n’est pas surpris d’apprendre la nouvelle de la révolution depuis son exil, Padrés en est tout de même « désolé, à cause des maux qui doivent s’ensuivre pour le peuple… comme il lui a manifesté en diverses occasions ». Ainsi Padrés semble non seulement avoir ignoré la révolution, mais l’avoir déconseillée. Son plan à lui favorisait le recours aux élections pour écarter du pouvoir « des hommes du siècle passé, incapables de s’accommoder des idées du présent en faveur des peuples45 ».
36La lettre de Vallejo à son frère montre que lui et ses amis vivent dans un univers de référence distinct de celui de leur famille et sans doute de la plupart des Californiens. Dans cette lettre, Vallejo oppose un public théorique, rêvé, un peuple dont il serait le représentant, et ses « concitoyens » qui ne sont pas capables de voir leurs droits bafoués et considèrent pas un problème d’obéir à un tyran. Il adopte une posture de martyre, avec sa mère posant en madone désolée, en émulation avec les héros de l’indépendance dont lui ont parlé notamment Echeandía et Padrés. Du reste, le danger n’est pas fictif, au sens où Victoria menace en effet de s’en prendre, si besoin physiquement, à ses opposants, comme José Antonio Carrillo, Pío Pico et Juan Bandini. Simplement, ce « sacrifice » est a priori peu compréhensible, pour ceux qui, comme le frère de Vallejo ou ses parents, perçoivent en effet les conseillers sinon comme des factieux, du moins comme des agitateurs qui cherchent les ennuis en se mêlant de ce qui ne les concerne pas et en désobéissant au commandant, dans un univers mental où l’esprit de parti n’a pas lieu d’être.
Vers un plan de révolution
37La décision d’aller vers un « plan de révolution » est prise à l’automne, et dans le Sud, en réaction contre des menaces de plus en plus explicites du gouverneur aux Californiens qui lui tiennent tête. Juan Bandini, qui jusque-là ne s’était vraiment investi dans l’opposition que sur des questions douanières et de politique commerciale, choisit à ce moment-là de défendre aussi le droit de la Haute-Californie à des ayuntamientos et à un conseil territorial remis en cause par Victoria46. Sa défense publique du conseil, et du droit du territoire à conseiller le gouverneur par ce biais, n’a pas dans son cas pour objectif premier de rétablir la loi de sécularisation, mais de poursuivre le travail entrepris dans la deuxième moitié des années 1820 pour une politique commerciale et financière du territoire autonome.
38En réponse, Victoria essaie d’isoler Bandini, en se servant de ses alliés à Los Angeles : l’alcalde Sánchez doit se charger de remettre à sa place le conseiller territorial Pico, qui a soutenu un discours très proche de celui de Bandini47. C’est un échec, aussi Victoria envisage-t-il des mesures plus sévères pour parvenir à ses fins. En novembre, José Joaquín Ortega, un membre du conseil territorial, arrive de Monterey avec la nouvelle alarmante que Victoria projette de faire exécuter Bandini et Pico au motif de leur réponse à son manifeste du 21 septembre48. À partir de ce moment-là, les deux hommes doivent trouver plus efficace pour se défendre qu’une déclaration publique. Carrillo – normalement exilé en Basse-Californie mais en fait resté proche de la frontière – et Bandini élaborent à deux un plan appelant à la déposition du gouverneur au cours des deux dernières semaines de novembre49. Après avoir peaufiné leur manifeste, le 30 novembre au soir, Bandini, Carrillo, Pico, Stearns et une dizaine de compagnons surprennent les commandants du presidio de San Diego, Santiago Argüello, Pablo de la Portilla et Ignacio del Valle lors d’un jeu de cartes, leur lisent leur manifeste et les arrêtent50.
39Le manifeste s’adresse aux « citoyens mexicains du haut territoire des Californies » : les premières lignes admettent qu’il s’agit d’un acte « aventureux » et qui pourrait sembler « contraire aux lois ». Les signataires ont au contraire agi « animés par l’enthousiasme [de les] accomplir, contre un « chef criminel d’infractions » envers elles. C’est donc une action non pas « contre le gouvernement, ni contre les magistrats », « antipatriotique » mais « contre un individu qui viole les bases fondamentales de notre système actuel, ou pour parler vrai, contre un tyran qui sûrement sous l’emprise de l’hypocrisie a trompé les pouvoirs suprêmes pour atteindre son rang ». Les signataires se défendent d’avance devant « la souveraineté nationale » de la déformation donnée par la distance et les rapports du gouverneur qui donneront l’impression d’une « sédition ». Le manifeste se veut donc convainquant à la fois sur place, pour les Californiens, et pour le gouvernement et le Congrès à Mexico. Il revendique l’unanimité : le manifeste sera « soutenu par tous ceux qui résident dans ce pays misérable », par « tout le peuple de Haute-Californie ». Il se fait ensuite un peu plus précis dans ses accusations : « le gouverneur va à l’encontre du système libéral » : il a commis une infraction contre la « représentation territoriale » en la supprimant et en invoquant « des prétextes qui confirment son absolutisme » aux « individus à qui vous avez donné vos suffrages pour qu’ils soient les arches de votre confiance ». Le conseil territorial, qualifié de « haut tribunal » par Argüello en 1822 devient ici en 1831 « représentation territoriale », une évolution qui marque le changement de référentiel politique au moins de la part des rédacteurs ; peu importe qu’un droit à un conseil territorial ne soit reconnu formellement par aucun document constitutionnel, légal ou réglementaire, ni que le conseil n’ait pas été conçu originellement comme souverain et législatif ; l’esprit du « système libéral » est qu’il y ait une représentation populaire territoriale, et que le conseil ayant été organisé, ce soit lui qui en soit le dépositaire. La pratique d’Echeandía y incitait, le pronunciamiento de Solis rédigé par Herrera en 1829 également, ainsi que les enseignements de Padrés. Le manifeste énumère ensuite les griefs : la suppression de l’ayuntamiento de Santa Barbara (jamais réellement une revendication), les exécutions « sans les formalités nécessaires », l’expatriation de Carrillo et Stearns « sans les notifier des causes qui l’exigeaient », le mépris de l’ayuntamiento de Los Angeles et enfin les « attributions qu’il s’est arrogées dans l’administration des finances ». Il est donc de leur « devoir de citoyen » de contribuer au « rétablissement de ces maux ». De plus le gouverneur « a mis en danger [leur] sécurité et [leurs] intérêts ». Viennent enfin les deux propositions du plan : premièrement, la suspension du gouverneur comme « contrevenant ou conspirateur contre les chartes sociales sacrées, vu les preuves légales que nous en manifesterons » ; deuxièmement, « que l’Excellent conseil territorial réuni, le mandat militaire et politique soit affecté à deux personnes distinctes, comme le prévoient les Lois des deux juridictions, jusqu’à ce qu’une Suprême Résolution soit prise ».
40Le manifeste s’achève par un appel à ce que « renaissent les droits du citoyen », à ce que « s’élève la liberté des cendres de l’oppression », et « soit détruit le despotisme ». Et, de manière notable, les signataires du manifeste « implorent qu’aucune innovation ne soit faite dans l’administration des Missions » et que « soient respectées leurs communautés et leurs propriétés », car c’est exclusivement au « gouvernement suprême de dicter ce qui convient dans cette affaire ». « Respect, honneur et sécurité » sont donc promis aux missionnaires ainsi qu’aux « propriétés qui sont confiées à leur soin ». Les missionnaires auront toutefois remarqué dans le manifeste une citation de Voltaire, interdit de lecture par leur soin sur le territoire, avec une mention de « l’Être Suprême qui connaît nos cœurs et sait les sentiments purs qui nous animent ». Le manifeste est signé dès le 29 novembre par « les citoyens » Pío Pico, membre le plus ancien du conseil territorial, Juan Bandini, député suppléant et responsable des finances, José Antonio Carrillo et Pablo de la Portilla et Santiago Argüello, capitaines des deux compagnies de San Diego51.
41Comme nous l’avons dit, si Padrés a fourni des arguments, ce n’est pas lui qui a incité à une révolte directe contre le gouverneur. Carrillo a pu dès lors être inspiré par le premier plan publié en Californie, celui de Solis et Herrera (1829) ou encore par des plans qui circulaient depuis le reste du Mexique. Le premier, nous l’avons vu, comportait deux facettes : l’une dénonçait le favoritisme du gouverneur, au détriment des soldats, l’autre se concentrait sur la réunion du conseil, que le gouverneur aurait négligé. Sur ce dernier point, on pourrait invoquer une continuité entre les deux plans, bien qu’on ait déjà souligné qu’Echeandía, malgré ses difficultés avec le conseil territorial, n’avait pas beaucoup de reproches à s’adresser sur ce plan-là. Autre similitude, la critique portant sur la gestion des finances : le plan de 1829 comme celui de 1831 reprochent au gouverneur de s’arroger la direction des finances du territoire ; pour autant, c’est bien Bandini, l’un des auteurs du plan de 1831, qui en avait bénéficié sous Echeandía. Alors que le plan de 1829 reprochait au gouverneur une justice délaissée, c’est au contraire l’arbitraire et la justice expéditive que dénonce celui de 1831. En fait, si les notables à l’origine du plan de 1831 sont favorables à une justice protectrice de leurs propriétés et leur personne, ils s’inquiètent d’une justice trop militaire qui menacerait également l’expression politique.
42Cette comparaison entre les deux plans semble dresser une opposition presque terme à terme, hormis au sujet de la séparation des pouvoirs, entre d’un côté les partisans d’une gouvernance relativement stricte et de l’autre les partisans d’un système plus libéral. Ces deux plans montrent aussi comment la question des finances, et la question du gouvernement par le conseil territorial arrivent au premier plan de la politique californienne. Au final, les auteurs du plan de 1831 prennent bien plus de précautions pour légitimer leur acte dans leur texte, au nom des lois nationales. Si les auteurs de 1829 invoquaient la loi, c’est surtout la désorganisation du territoire, et sa conséquence sur le paiement des troupes et la sécurité qu’ils dénonçaient, d’un point de vue plus pratique que légal. Aussi le plan de 1829 énumérait-il plus les aspects pratiques de l’organisation du territoire après le plan (en donnant un rôle important aux compagnies présidiales et aux ayuntamientos), là où celui de 1831 laisse toute latitude au conseil territorial.
43Il est difficile d’établir une filiation entre les plans déclarés ailleurs au Mexique, mais leur existence était connue. Dans les archives, on trouve ainsi des traces de la réception du plan de Perote. Alvarado et Vallejo évoquent aussi la réception du plan de Jalapa, notamment par les missionnaires, en 1830. Mais c’est probablement le plan de Perote qui, de par ses revendications, mais aussi sa forme, avec son long développement, est le plus proche de ce plan californien, ce qui est relativement logique. En effet, c’est le plan qui permet aux yorkinos de prendre la présidence en la personne de Vicente Guerrero52. On trouve aussi les échos des plans fondateurs de la république et de la fédération (1823-1824), mais plus globalement, l’influence la plus directement palpable est celle de Rousseau et Du contrat social, de la déclaration des droits de l’homme, autant d’ouvrages introduits notamment par Echeandia, mais aussi par les bibliothèques des commerçants auxquels s’ajoutent les arguments en faveur du fédéralisme égrenés par Echeandía comme par Padrés. En cette période proche des révolutions, le droit d’insurrection fait ainsi partie de certains catéchismes politiques53. Les pétitions adressées par les conseillers au cours de l’année 1831 ainsi que les réponses à Victoria de Pico et Bandini permettent aussi de suivre l’élaboration de l’argumentaire, qui à chaque fois s’appuie d’une part sur le pacte fédéral, la souveraineté du peuple et la volonté générale, et d’autre part sur la qualité de ceux qui s’élèvent contre le gouverneur, afin de réfuter l’accusation de « faction séditieuse » qui leur est adressée54.
44Le manifeste comporte une partie spécifique pour convaincre les soldats et leurs officiers habitués à la discipline militaire. Mais « en tant que citoyens mexicains il leur revient de garder et faire garder le code inviolable sur lequel [ils ont] prêté serment ». Ils sont disposés envers « la conservation de la société » et leurs « armes sont au service de ce qui assure la félicité, et le soutien des lois qui l’assurent » : cette interprétation du rôle des soldats dans la protection des lois et de la constitution est ce qui en effet a de plus en plus conduit à la militarisation des pronunciamientos dans les pays ayant été sous l’influence de la constitution de Cadix55. En signant le plan, les officiers et la troupe qui se rallient au plan le surlendemain du pronunciamiento ajoutent une déclaration qui valide cet argumentaire : le plan « est fondé dans [leur] droit naturel » vu que « de toute évidence le Chef Politique et Commandant Général du Territoire Don Manuel Victoria a enfreint notre Constitution fédérale et les lois pour ce qui concerne notre sécurité individuelle et la représentation populaire ». Les officiers reprennent également l’argument de la distance : ils se trouvent « dans la circonstance de ne pas pouvoir être entendus avec la promptitude que le droit demande par les Pouvoirs Suprêmes de la Nation pour suspendre le gouverneur ». Ils insistent cependant pour qu’« Echeandía reçoive de nouveau le mandat politique et militaire du Territoire » afin « d’atteindre les objectifs de l’entreprise dans le meilleur ordre et sur un chemin qui ne dévie pas de l’unique objet proposé », en attendant « les résolutions du Gouvernement Suprême ». L’éventualité est cependant ouverte d’une répartition des mandats politiques et militaires avec la « participation du conseil territorial ». Echeandía a été relativement absent de tous les événements depuis sa passation de pouvoir à la fin janvier 1831. Il est possible que le soutien de l’ex-gouverneur ait été le seul moyen d’obtenir, au-delà des formules et des garanties, le soutien des capitaines Argüello et de la Portilla, et qu’inversement, Carrillo et Bandini n’aient pas eu confiance en ces-derniers pour diriger les forces révolutionnaires, car « ils ne sont pas de fermes partisans de la cause de la liberté56 ». Argüello, et dans une moindre mesure, Portilla, ont en effet été des exécutants de la politique de Victoria, en particulier à Los Angeles. La correspondance d’Argüello révèle du reste qu’il soutenait plutôt Victoria contre ceux qu’il voyait aussi comme des agitateurs. Leur revirement tient sans doute à une certaine pression de leur environnement proche au presidio de San Diego : ils se sentaient, sans doute à raison, surveillés57. Il n’est cependant pas impossible qu’Argüello ait été finalement convaincu que le maintien du gouvernement aux mains des Californiens était un enjeu suffisant pour s’opposer à Victoria. Le fait que la révolte ne soit pas du fait de Padrés, mais de Bandini et Carrillo, a pu y contribuer. Sa participation ultérieure à la campagne de 1832 montre qu’il y avait pour lui un fort enjeu d’intégration à ce groupe. Après avoir regretté l’esprit de discorde introduit par Padrés et la loi de sécularisation, la révolution, vue depuis San Diego, peut porter l’espoir d’une réunion après le départ de Padrés58. Echeandía finit par accepter de reprendre du service. Il se défait alors de ses vêtements de civil pour remettre son « rigoureux uniforme », et se « présente au conseil de guerre ». À son acceptation répondent les vivats de la troupe : « vive le général Echeandía ! Vive le Peuple59 ! ».
45Au bilan, on a donc une disjonction entre d’une part un foyer de politisation intense autour de Padrés, essentiellement parmi les jeunes gens et conseillers territoriaux qui eut pour base géographique San Francisco et revendiqua surtout la réunion du conseil territorial au nom de la représentation et du pouvoir local ; dans le Sud en revanche, avec pour base San Diego, la mobilisation de Bandini et Carrillo ont des motifs probablement plus personnels et moins idéalistes. Les moteurs de la mobilisation ne sont pas les mêmes selon les individus et la coalescence des doléances sous l’angle du despotisme recouvre en fait plusieurs facteurs dont la sécularisation n’est pas le motif unique ni prioritaire. La construction de la figure du tyran autour du gouverneur Victoria doit sans doute beaucoup à Padrés et à sa culture politique radicale.
46Pour Bandini, le problème majeur est l’opposition à sa vision du développement commercial de la Californie. Il essaie de se distancer au départ de l’idée révolutionnaire – qu’il attribue à José Antonio Carrillo et José María Echeandía – en passant par le député au Congrès Carlos Antonio Carrillo pour avancer son programme de séparation des pouvoirs civil, militaire et financier. José Antonio Carrillo quant à lui se voit exclu de la vie politique territoriale et cherche via le choix révolutionnaire à reprendre le dessus sur l’alcalde Sánchez et Victoria, tout en arguant de la souveraineté du conseil territorial, dont il a lui-même fait partie et où il a tenu tête au gouverneur Argüello quelques années auparavant. Pour Padrés et les jeunes gens du Nord, enfin, la revendication principale est la réunion du conseil territorial et la reconnaissance d’une représentation populaire sous cette forme, avec probablement pour objectif premier ou second la sécularisation des missions. Quant à Stearns, il est vraisemblablement une victime collatérale et n’est en aucun cas le visage d’une intervention étatsunienne dans ce soulèvement. La suite des événements n’est pas moins instructive : la victoire sur le gouverneur engendre une situation de vacance du pouvoir qui joue un rôle d’accélérateur dans l’évolution des imaginaires et pratiques politiques, comme l’avait été la décennie d’insurrection indépendantiste ailleurs au Mexique.
« On inaugura le système des révolutions » – Révolution et culture politique californienne
47Avec la publication du manifeste et le ralliement de Los Angeles, les « prononcés » ont franchi le Rubicon. En lançant le pronunciamiento de San Diego, Carrillo, Bandini et Pico avaient fait un pari : celui de restaurer leur ordre sans créer de désordres. Ils avaient estimé que le risque était moins important que celui de se laisser faire. Mais en revendiquant la possibilité de se rebeller, ils ouvrent la boîte de Pandore de l’instabilité politique, malgré les garde-fous qu’ils pensent établir en se prévalant de leur représentativité de l’opinion du territoire, de la légitimité rationnelle de leurs arguments et de leur valeur sociale.
« Leur insurrection impliquait plus que quelques mots facilement écrits »
48À la fin du mois de novembre, « dans cet état de fermentation publique », alors que circulent probablement les premiers jets du plan de San Diego, l’alcalde de Los Angeles Sánchez a fait incarcérer les membres meneurs de la faction opposée. Mais il a agi trop tard, et le soir même l’armée rebelle de San Diego en route vers le pueblo les libère et enferme Sánchez à son tour dans la prison publique60. À Los Angeles, s’effectue la jonction entre d’une part les opposants à Sánchez, sur des enjeux municipaux locaux et d’autre part les partisans du plan de San Diego dont les revendications sont plus larges. Le gouverneur Victoria marche contre le pueblo depuis Santa Barbara pour défendre l’alcalde. Pensant affronter seulement une poignée de villageois, il n’a pris avec lui qu’une trentaine de soldats : il n’a en effet pas encore eu connaissance du pronunciamiento de San Diego ni de la défection de Portilla et Argüello. Il l’apprend en route, mais ne retourne pas pour autant au fort recruter des soldats supplémentaires, comme son capitaine Romualdo Pacheco le lui conseille. À la place, il se moque de lui et remet en cause sa virilité, comptant probablement sur le ralliement de Portilla et d’Argüello. Au moment d’entamer la bataille, le gouverneur hèle en effet Portilla pour l’inviter « à laisser ce tas de criminels et venir le rejoindre ». Mais Portilla lui donne l’ordre de s’arrêter, ce à quoi le gouverneur répond « d’un geste grossier » que « personne ne lui dit de faire halte ». Après ces deux insultes à l’honneur, le combat devient inévitable. Il est déséquilibré en faveur des prononcés et des Angeleños, mais l’issue n’en est pas décidée d’avance. La configuration de conflit civil est porteuse d’inconnues sur l’ardeur au combat et la loyauté envers le commandement. À part le gouverneur et ceux qu’il a condamnés, la bataille de Los Angeles fait en effet s’affronter des personnes qui peuvent avoir des difficultés à se considérer comme ennemies. Le cas du bataillon de Mazatlán met particulièrement en valeur cette situation : Portilla commande ce bataillon dans sa totalité, mais une moitié se trouve avec lui à San Diego, et l’autre à Santa Barbara au moment des faits. Victoria est donc venu avec ceux de Santa Barbara pour sa campagne contre Los Angeles. Portilla se trouve par conséquent le capitaine de soldats qui se partagent entre les deux camps adverses : « se considérant comme le père de soixante fils, il fut confronté à la perspective d’ordonner à la moitié de tuer l’autre moitié61 ». Ce qui pose également problème pour ces soldats, c’est d’identifier le commandant légitime : faut-il obéir à son capitaine ou au commandant général ? Portilla pense savoir « qu’en d’autres circonstances [ces trente soldats aux ordres de Victoria] sacrifieraient leur vie pour sauver leur capitaine », mais « qu’ils obéiraient à celui qu’ils reconnaissaient comme leur commandant général, même s’il les menait imprudemment au combat contre des forces plus nombreuses ». Le même dilemme se pose d’ailleurs aux trente autres, sous le commandement de Portilla, qui d’après certains témoignages « se mettent à fuir » lors de la charge des soldats de Victoria62. Les soldats mutinés lors de la révolte de Solis en 1829, avaient eux aussi déserté les rangs rebelles en s’approchant du commandant du territoire, Echeandía à l’époque.
49Dans ces circonstances, deux victimes qui trouvent la mort lors de cette bataille ont marqué les mémoires californiennes et le déroulement du combat63. Ce sont d’une part Romualdo Pacheco, capitaine aux ordres de Victoria, et d’autre part José María Avila, citoyen influent de Los Angeles, pour certains « leur chef », le second tuant le premier. La mort du premier « remplit d’effroi les partisans de Victoria » ; au contraire, à la mort du second, « les amis d’Avila se battirent avec plus d’éclat et ne rengainèrent leurs épées qu’après avoir obtenu une victoire complète », pour « venger la mort du meneur du peuple64 ». Sans cette mort galvanisante, « il est fort probable que le gouverneur Victoria aurait pu vaincre65 ». Le « peuple », « les amis d’Avila qui étaient volontaires », ont donc le dessus dans cette bataille. S’il reste difficilement imaginable pour des soldats de se battre contre leur commandant général, la mobilisation des Angeleños pour leur défense fait toute la différence avec, de surcroît, les figures de chefs que sont José María Avila et José Antonio Carrillo :
« Les Angeleños ne perdirent pas beaucoup de temps à examiner les clauses contenues dans le plan ; ils virent dans leur ville la troupe révolutionnée ; ils virent à la tête de cette troupe l’idole de la ville, le Mirabeau californien, le protecteur des droits populaires ; et ceci suffit pour que, avec un enthousiasme incroyable, ils se prononçassent contre le gouvernement. Si Victoria, au lieu d’être un sanguinaire avait été un Washington, cela n’aurait fait aucune différence pour les Angeleños ; car où était José Antonio Carrillo, c’est là qu’ils allaient. Et en cela ils faisaient preuve de bon sens, car Carrillo était un grand patriote66. »
50Dans cet extrait, Vallejo est ambigu dans son traitement des villageois. Il approuve certes leur enthousiasme, mais il montre bien que leur mobilisation n’est pas la preuve de leur éducation politique, puisqu’ils prennent à peine le temps de lire le plan, et qu’ils se seraient rebellés même contre un vrai républicain. D’autres insistent davantage sur la logique de défense : « les civils étaient en général pacifiques et obéissaient aux autorités légitimes », mais c’est l’attitude de Sánchez qui « porte la lourde responsabilité » de la bataille, voire, d’avoir « inauguré le système des révolutions et des troubles qui ont condamné le pays à l’intranquillité et les Californios à la lutte continuelle les uns contre les autres67 ».
51Si la mort de Pacheco et Avila est tellement mise en valeur dans les récits de la bataille, c’est qu’elle illustre le problème que posent de telles dissensions politiques : comment conjurer le conflit civil ? La description du rituel d’enterrement des deux hommes dans nombre de témoignages met en évidence la nécessité pour les Angeleños de traiter l’événement. On les enterre ensemble « de manière splendide » à Los Angeles, où « tous les habitants assistent aux cérémonies religieuses ». Cet enterrement marque le début de rituels californiens entourant les batailles : « dès que le sort de la bataille était décidé, nous cessions d’être ennemis et les vainqueurs et les vaincus dînaient ensemble, se servant dans le même plat, et ceci une heure ou deux après nous être battus ». Vainqueurs et vaincus se « donnent des accolades fraternelles », ne serait-ce que parce qu’il « arrivait souvent que des parents combattent contre des parents, car les familles étaient tellement nombreuses qu’il était presque impossible de faire en sorte que tous les membres d’une famille suivent la même politique68 ». Ce qu’Alvarado présente comme une coutume dès cette occasion en est sûrement la première occurrence. Il est probable que la cérémonie imaginée à Los Angeles et qui réunit tous les habitants est pensée pour conjurer les effets du conflit civil. Or, suite à la bataille, le gouverneur Victoria, blessé, décide de quitter le territoire : il faut dès lors organiser la suite.
« Nous devons chercher la légalité » – L’affrontement des légitimités et la revendication d’une volonté majoritaire
52La « guerre civile », se traduisant par une mobilisation politique et militaire plus importante ne commence qu’après la chute de Victoria. En effet, les vainqueurs de Los Angeles commencent par se diviser entre d’un côté le conseil territorial, qui y siège, et de l’autre, Echeandía, à San Diego. Dès les 10-11 janvier, les conseillers décident de nommer Pío Pico, le plus anciennement élu d’entre eux, pour prendre la charge de gouverneur en vertu d’une loi datant de 1822, et de continuer à siéger à Los Angeles69. Les conseillers défendent en effet une interprétation politique de la révolution qui vise à reconnaître un rôle au conseil territorial, qui avait été refusé par le gouverneur déchu Victoria. Pour eux, ils sont la seule autorité légitime sur le territoire et les représentants de la volonté générale. Au contraire Victoria comme Echeandía sont en infraction, le premier pour ne pas avoir réuni le conseil territorial, le second parce qu’il a été officiellement relevé de son mandat par le gouvernement. Le conseil se présente dès lors comme l’organe neutre et arbitre, garant de la légalité et représentant du peuple.
53Echeandía, qui avait beaucoup travaillé avec le conseil pendant son mandat officiel, considère cependant qu’il est trop tôt pour laisser les Californiens seuls en charge de la direction du territoire. Pico, par exemple, « manque d’instruction suffisante en comptabilité, logique, et gouvernement70 ». Echeandía attaque le conseil territorial sur d’autres plans : les mandats civil et militaire étant réunis en Californie, il est logique que ce soit lui qui réunisse les deux ; de plus, le conseil territorial n’agit pas en vertu d’un mandat explicite du peuple faisant suite aux événements récents, et le quorum n’est pas atteint. Il estime dangereux pour le territoire, et surtout pour la fédération mexicaine, de ne pas garder un certain contrôle militaire. Au final, pour ne pas créer des désordres supplémentaires, les conseillers se voient obligés de capituler devant l’influence sociale d’Echeandía à Los Angeles et à San Diego, dans le contexte de l’organisation d’une opposition à leur révolution à Monterey71. Une junte réunie à Monterey le 27 janvier 1832 par le capitaine Zamorano, aide de camp des gouverneurs précédents, déclare en effet illégaux les actes des prononcés et ceux du conseil territorial et s’érige en défenseur de l’ordre représenté par le gouverneur déchu. Les deux partis doivent rivaliser d’arguments pour mobiliser, tandis que chacun répond à cette propagande, en y ajoutant et mêlant d’autres fidélités sociales, politiques et spatiales. Chacun se glorifie d’être celui qui défend l’interprétation correcte de la légalité et de la loyauté, les uns pour le gouvernement national, les autres pour le système de gouvernement fédéral. Inversement, chacun taxe le camp adverse d’être au service d’un « opportuniste », ou de faire partie d’une faction illégitime et perturbatrice de l’ordre. Les soldats adverses sont aussi disqualifiés avec mépris, comme étant de la « classe la plus misérable, des condamnés, des exilés, des assassins et des voleurs72 ».
54Pour le camp des « prononcés », c’est la junte de Monterey qui est dans l’illégalité et s’est rendue l’autrice d’une « révolution73 ». Ils mettent en avant que la junte est composée d’étrangers et de militaires, une manière de la rendre moins légitime, voire dangereuse, tandis qu’on s’abstient de caractériser Monterey par son titre de capitale, ce qui risquerait de donner de l’autorité aux actes qui s’y produisent. Les étrangers, très impliqués dans la junte de Monterey, n’ont pas le même intérêt pour le pays et ont « la possibilité d’appareiller aussitôt ». Zamorano est présenté comme un opportuniste, direct bénéficiaire de ce mouvement74. Comme pour la campagne qui avait précédé le plan du 29 novembre, Bandini et Pico entreprennent une mission d’éducation politique, afin de démontrer au « peuple californien » et « à leurs concitoyens » qu’on les abuse et qu’on les opprime, en leur « déchiffrant » les propos qui les disqualifient eux et les traitent de factieux, rebelles, révolutionnaires et troubles de l’ordre public75. En l’absence d’un gouverneur légitime à la tête du territoire, expliquent-ils, la souveraineté revient soit au gouvernement supérieur, soit au peuple. Pour les partisans de Zamorano, il s’agit de prouver au gouvernement mexicain sa loyauté et la loyauté des Californiens, leur obéissance, au projet national ; pour les « prononcés », de montrer leur attachement au projet national indépendant, fédéraliste et républicain. L’opposition entre les deux partis se radicalise alors par le biais de la revendication de chacun d’entre eux de représenter la volonté majoritaire et le « bien général ». Pour Echeandía, même si la majorité ne connaît ni ne soutiendrait le plan de révolution, les Californiens sont du moins majoritairement unis sur son objectif, qui était de faire partir le gouverneur. L’absence de soutien de la révolution dans le Nord tient davantage à la « coupure des communications » et donc au manque d’information76.
55Cette question de la circulation des informations est bien sûr importante pour la politisation. On peut d’abord rappeler qu’il n’y avait aucun journal publié en Californie. Une imprimerie est importée au début des années 1830, mais aucun périodique n’est imprimé avant 1846. Aussi, la mobilisation des partisans se fait-elle par le biais de la circulation de manifestes ou de courriers manuscrits, dont la reproduction prend du temps, par le bouche-à-oreille familial, social, les proclamations orales ou les pancartes affichées de manière officielle, ou non. La pénétration des arguments politiques développés autour de l’expulsion du gouverneur et de la définition d’un gouvernement légitime par la suite est visible a posteriori dans les mémoires des Californiens : la liste des chefs d’accusation contre Victoria se retrouve en partie ou au complet dans tous les témoignages qui évoquent la question un peu en détail77. La campagne du printemps de 1832 constitue un moment privilégié de mobilisation et de pénétration des argumentaires politiques. Ce moment à part est l’occasion d’une sociabilité particulière, hors du temps et des occupations quotidiennes, et pour une période relativement longue. Vallejo raconte comment lors de l’attente de l’approche de Zamorano, Juan Bandini, Pío Pico, Juan Bautista Alvarado, Santiago Argüello et lui-même dorment dans la même pièce chez José Antonio Carrillo à Los Angeles. C’est même l’occasion de jouer des tours à Santiago Argüello qui se prend pour un grand seigneur, sous prétexte qu’il est le fils et le frère de gouverneurs de la Californie. L’une de ces plaisanteries a lieu à l’occasion d’un jeu de cartes, où ils parient non de l’argent, qui du reste est rare sur le territoire, mais avec de « petites boîtes de cigarettes ». Ce soir-là, Argüello est « plus fier que jamais en voyant comment la chance le favorise, et à chaque instant lance des remarques pour [leur] faire comprendre qu’il était un être supérieur aux autres ». La femme de Carrillo, leur hôte, a alors l’idée de « donner une leçon au pompeux capitaine ». Elle se « met d’accord avec son époux et quelques autres messieurs afin qu’ils l’aident à réaliser son plan » : il s’agit « d’éteindre les chandelles et de voler le tas de petites boîtes […] qu’avec tant d’application le capitaine Argüello a édifié devant lui ». Ils se mettent d’accord et commencent « les hostilités contre l’ennemi qui ne se doute pas que son château de petites boîtes est sur le point d’être attaqué ». Au signal, Bandini, derrière Argüello, « lui enfonce le chapeau jusqu’au nez ». On éteint les bougies, et les jeunes gens « volent jusqu’à la dernière boîte ». Le reste de l’assistance, « rit aux éclats pendant que le pauvre Argüello souffle de colère et de fureur tel une hyène qui verrait expirer le fruit de ses entrailles ». Sur ces entrefaites, José Antonio Carrillo fait son entrée et demande « pourquoi les lumières sont éteintes », Argüello lui raconte tout ce qui s’est passé et « pour faire comprendre à tous l’énormité de l’affront commis », commence à « énumérer tous les grands services que son père et ses frères ont prêté à la cause de la civilisation en Haute-Californie ». Il parle ensuite de lui-même, « comme s’il avait été le bienfaiteur du siècle ». Mais cette sortie, loin de lui regagner le respect, multiplie les rires autour de la table.
56La sociabilité masculine guerrière prend tout son sens dans le regard des femmes ; ce sont elles qui valident, ou non, leur virilité, comme le montre le stratagème de Madame Carrillo, la maîtresse de maison, et la comparaison d’Argüello avec une féminine et maternelle hyène. Le vocabulaire martial montre un jeu avec le contexte plus large, mais aussi les rivalités et méfiances qui peuvent régner au sein du groupe. Suit une autre plaisanterie, cette fois dans la chambre partagée par tous ces messieurs, où Argüello voit son lit basculer et un saut d’eau l’asperger. Ces plaisanteries relèvent de la sociabilité propre à la jeunesse, qui entretient la cohésion de la campagne en cours. De fait, la camaraderie est un puissant moteur de mobilisation, parfois contraire aux injonctions paternelles. Le père du jeune del Valle parle à son fils et à Mariano Vallejo « pour essayer de [les] persuader d’abandonner le parti pour lequel [ils militent] », mais, admet del Valle, « il ne nous était pas possible de laisser nos compagnons78 ». Faut-il lier cette camaraderie relativement fréquente chez les jeunes adultes à leur volonté de faire leur place dans le système patriarcal de jeunes gens républicains libéraux, aspirant eux-mêmes à atteindre leur heure de gloire comme l’a suggéré l’historienne Louise Pubols79 ? Dans son chapitre de l’ouvrage Jeunesse oblige, Jean-Claude Caron montre comment la mise en avant du jeune homme sur les barricades permet de mettre en valeur son engagement et d’éviter le trope de la « guerre civile » au profit de la « guerre générationnelle ». Le contexte politique de la première moitié du xixe siècle, lors de l’élaboration des pratiques politiques après la Révolution française associe étroitement ces jeunes gens et l’idéal républicain, phénomène qu’on retrouve ici et qui permet de mieux comprendre ce phénomène générationnel et genré80. La mobilisation est aussi largement motivée par un rapport à la domination soit charismatique, soit légale du chef et du commandant81. Ainsi s’explique en grande partie la défection dont Pío Pico et le conseil territorial sont victimes : il est difficilement concevable pour beaucoup de considérer Pico comme gefe politico, au contraire d’Echeandía (domination charismatique, et partiellement rationnelle) ou encore de Zamorano (domination rationnelle). Pico, fils d’un sergent et petit commerçant, n’incarne tout simplement pas la majesté du pouvoir politique, malgré les arguments républicains en sa faveur.
57Si dans ce contexte d’affrontements internes la situation ne dérive pas vers une violence sans limite, on le doit probablement, et paradoxalement, au contexte de frontière. La menace amérindienne reste toujours plus forte que la menace posée par l’ennemi-frère. Moquées par une historiographie marquée par les préjugés, les révolutions de Californie ont été comparées à des scènes « d’opéra-comique » mais plus récemment, les historiens ont commencé à observer de plus près la contradiction apparente entre la violence de la frontière et la bénignité des affrontements civils. D’après Michael González, les Californiens préféraient se réserver pour les ennemis qu’ils estimaient les plus dangereux : les Amérindiens, ce qu’on constate de manière évidente en 183282. Dès que la nouvelle de la bataille du 5 décembre 1831 est connue à San Francisco, et alors que court la rumeur que Victoria a été tué, Mariano Vallejo, qui commande à San Francisco prévient les commandants des gardes des missions qu’« une telle nouvelle est alarmante et capable de mettre en mouvement les habitants de ces Missions83 ». Le souvenir de la guerre des Chumashs de La Purísima en 1824 puis surtout d’une révolte en 1827 que Vallejo a dû réprimer lui-même motivent probablement cette réaction initiale84. Mais alors même que Vallejo veille à la « tranquillité et à l’ordre » des autochtones dans le Nord, Echeandía les arme dans le Sud. Dans les forces d’Echeandía en effet, se trouve une compagnie, « plus importante que la troupe régulière », « d’Indiens armés venus de différentes missions85 », mobilisés par des « agents » plein de « promesses ». La politique d’émancipation d’Echeandía lui a fait des alliés auprès des néophytes, qui prennent parti pour lui, et incitent aussi les Cahuillas, Amérindiens autonomes dont ils sont proches, à se joindre à eux, ce qui achève de lui aliéner ceux qui ne supportent pas de les voir les armes à la main. Ainsi, d’abord 500 puis 1 000 Amérindiens sont rassemblés et armés.
58Les conseillers observent cette mobilisation « de nombreux ennemis d’une autre classe » de près et s’en inquiètent : c’est une « mesure extrême », que prend l’ex-gouverneur pour ne pas « subir l’humiliation de perdre le commandement » et qui aura « des conséquences funestes86 ». C’est alors un puissant moteur de l’accord entre Echeandía et Zamorano, poussé par les conseillers territoriaux, au printemps 1832. « Dans le but de sauver le Territoire de la menace qui monte » ils « improvisent une salle de réunion, à l’ombre d’un bel arbre, pour une session extraordinaire » et décident « d’envoyer à Echeandía une forte remontrance contre l’usage des forces indiennes ». Ils lui demandent surtout « de se présenter aussi tôt que possible afin que sa présence ainsi que celle de ses troupes […] retiennent les Indiens ». En effet, ils se préoccupent que « ces derniers cherchent déjà à organiser leur propre attaque contre Los Angeles » et « leur victoire aurait inévitablement pour résultat les atrocités dont ils sont capables et un chaos général s’ensuivrait87 ». Cette association des Amérindiens au « chaos » en dit plus long sur les Californiens que sur les populations autochtones. C’est précisément parce que les missionnaires et la plupart des Mexicains-Californiens perçoivent cette mobilisation comme monstrueuse et chaotique qu’ils n’y font pas appel et veillent à limiter la violence de leurs propres affrontements pour s’en protéger. Comme pour la politique de sécularisation, il y a en fait un profond désaccord entre Echeandía et les conseillers au sujet du statut et de la place des Amérindiens dans la société. L’événement est révélateur de ce fossé et au contraire d’une certaine communauté de pensée entre les missionnaires et les conseillers. Bien que les conseillers soient en majorité des proches de José María Padrés et favorables à la sécularisation, représentant dès lors les plus radicaux des Californiens sur ces questions, leur réaction à la mobilisation d’Echeandía montre qu’ils ne sont pas plus prêts que leurs concitoyens californiens à considérer les Amérindiens comme leurs égaux, et surtout pas dans le domaine militaire.
« L’œuvre du peuple californio »
59L’opposition à l’enrôlement des Amérindiens réunit les camps adverses, et la révolte est aussi l’occasion de proposer une identification commune et propre aux Hauts-Californiens, manifesté par l’adoption du gentilé Californio. Tout autant qu’il signifie une opposition entre les Californiens et « ceux de l’autre bord », le terme permet de donner une allure d’unanimité à des revendications politiques qui divisent et de surmonter les sentiments d’appartenance locale dans un territoire qui est étendu et où les communications sont mauvaises. Alvarado rappelle que « la déroute du général Victoria est l’œuvre du peuple californio », action à laquelle « le nord contribue autant que le sud », notamment parce que « c’est par la peur que le gouverneur a de ceux du centre et du nord qu’il ne peut pas prendre avec lui toutes ses forces disponibles88 ». Reste que ces fiertés locales jouent malgré tout à cette époque. En 1824 par exemple, après la révolte chumash, Carrillo de Santa Barbara affirme « considérer ceux de Monterey comme des étrangers » ; cela lui déplaît qu’ils « réclament l’honneur d’avoir vaincu les Indiens révoltés » ; pour Carrillo, « ceux de Santa Barbara » doivent « profiter de l’opportunité d’avoir pour eux seuls la gloire d’avoir soumis la rébellion89 », ce qui montre l’association étroite entre les hauts-faits militaires (en particulier contre les Amérindiens) et la fierté locale. Nous avons aussi vu au chapitre précédent comment les Montereyens se sont offusqués du choix d’Echeandía de s’installer à San Diego plutôt que dans la capitale. La valeur militaire et le rang de capitale sont des marques d’honneur pour la localité et ses habitants, sans compter les ressources que cela apporte en termes de sécurité et d’opportunités.
60Par contraste, le terme de Californio par ce qu’il implique en termes de valeur militaire et de caractéristiques raciales, est un outil d’union au service d’un projet politique à l’échelle du territoire de Haute-Californie. Les historiens utilisent la plupart du temps ce gentilé sans trop se poser la question de sa validité ou de son origine. Le livre de Leonard Pitt, The Decline of the Californios a consacré son usage pour désigner les Mexicains-Californiens. Pour lui,
« Résister aux influences dégradantes de Mexico rendirent ces hommes conscients de leur naissance californienne. En réponse à leur nouvelle identité, la nomenclature locale changea, jusqu’à ce que les natifs cessent de s’appeler eux-mêmes Espagnols ou Mexicains, et commencent à insister sur le nom de Californios90. »
61Les historiens qui lui ont succédé ont repris ce terme et ont essayé de caractériser ce groupe par des critères sociaux, économiques et raciaux, ou encore par des pratiques liées au genre. Il est néanmoins éclairant de revenir sur la genèse du recours des Californiens à ce terme. En effet, le mot Californio est incontournable en 1836, comme l’a vu Pitt, mais son émergence comme terme politique date en réalité de 1831-1832. Barbara Voss, une archéologue, utilise dans sa recherche sur l’ethnogenèse des Californios la culture matérielle pour montrer comment les colons et soldats ont travaillé à renforcer la cohésion entre leurs origines disparates et à accentuer les différences entre eux et les populations indigènes visible dès les années 180091. Mais il s’agit d’une analyse des pratiques, de la vie quotidienne, qui n’explique pas forcément la perception, la verbalisation, l’appropriation et la revendication d’une qualité propre aux Californiens révélée par le terme Californio.
62Pour les historiens Torres-Rouff et Monroy, la catégorie de Californio a émergé et s’est affirmée lorsque la distinction entre « de razón » et « sin razón » n’a plus suffi pour justifier la hiérarchie sociale californienne et maintenir le nouveau statut d’élites des rancheros92. Ces auteurs soulignent la proximité entre la catégorie de ranchero, et celle de Californio. Depuis Bancroft, Cleland et Pitt, le Californio est en effet associé à un « Don », un maître régnant sur une immense propriété où paissent en liberté des troupeaux de bétail à perte de vue. Cette classe émerge grâce à la sécularisation des missions, les terres étant transférées des établissements religieux à ces Californios, ce qui se produit surtout à partir de 1833. Si d’autres avant elle – en réalité, quasi tous les historiens – ont fait le lien explicite entre la politique de sécularisation et l’émergence d’une telle classe, l’historienne Pubols a éclairé plus précisément les origines sociales et politiques de cette caractérisation :
« La vieille garde des Californiens s’accrochait encore à leur identité espagnole, et leurs fils s’évertuaient à se constituer une nouvelle identité : pas tout à fait espagnole, mais pas complètement mexicaine non plus. Finalement, des jeunes hommes comme Juan Alvarado, José Castro et José Antonio de la Guerra commencèrent à exprimer un sens d’eux-mêmes différent, inspiré par les idéaux mexicains d’autonomie, mais capable d’incorporer les Espagnols et enraciné dans le territoire de Californie. Par une série de canulars, insultes et proto-rébellions ils allaient défier à la fois Mexico et leurs parents espagnols, pour devenir de vrais hijos del pais – des fils du pays93. »
63La catégorie d’identité peut poser problème, mais Pubols montre comment elle n’est pas seulement une caractéristique essentielle et univoque des individus, mais est une ressource à mobiliser. Ce qu’elle sous-entend, c’est que devenir Californio fut un choix dont une des dimensions était politique, et dont l’objet était de définir qui aurait le contrôle non seulement sur les terres californiennes, mais plus globalement sur le projet californien en tant qu’association d’un territoire et d’une population. Si la création d’une culture propre à la frontière californienne et même le terme de californio préexistent à l’indépendance et a fortiori aux années 1830, et si la catégorie de Californio a tendance à être synonyme d’une élite sociale vers 1836, le tournant des années 1830 est un moment clef pour la cristallisation de cette étiquette dans sa fonction politique.
64Le terme est attesté avant l’indépendance, l’usage du terme « californio » permettant d’insister sur la dimension locale de cette population, et d’ailleurs avec une nuance plutôt péjorative au départ94. Mais jusqu’à la fin des années 1830, le terme est peu utilisé dans les sources, bien qu’il le soit dans les témoignages a posteriori traitant de ces années-là. C’est en ce début des années 1830 que ce terme fait son irruption dans les discours politiques. Les Californiens sont au fait de l’acception péjorative du terme, mais le reprennent positivement. Lors de la campagne de pamphlets contre Victoria à l’automne 1831, les auteurs interpellent le public au nom de leur caractère de Mexicain, mais aussi en mettant en valeur les Californiens et leur territoire. On relève ainsi des formules telles que « alto territorio95 », en référence au toponyme (Alta California) et au statut politique de « Territoire ». En 1832, le terme de « mexicano-californios » apparaît dans les discours publics, probablement en premier par écrit dans le discours de Bandini contre la junte réunie à Monterey le 22 mars 1832. Le texte s’ouvre sur une adresse aux « Californios », qui seraient, comme par essence, « libres » : « ô libres Californios96 ». Le terme vise la constitution d’une communauté imaginée qui embrasse le patriotisme mexicain et l’attachement local à la petite patrie. Pour autant, les difficultés de circulation des imprimés entre le Nord et le Sud, Zamorano faisant surveiller communications, proclamations et affichages, empêchent la constitution effective de cette communauté imaginée. C’est dans les années qui suivent, avec le redéploiement des rebelles de 1831 à Monterey et à San Francisco après l’accord de paix que le terme peut prendre à l’échelle de tout le territoire et que d’autres lignes de fractures apparaissent entre le Nord et le Sud. Ce recours à la petite patrie est appelé « proto-nationalisme » par Rosaura Sánchez, dont la recherche en littérature est fondée sur les témoignages a posteriori des Californiens. Elle souligne combien il s’agit non seulement d’une construction de la part des élites, mais aussi combien les divisions au sein de celles-ci la minent97. Dans une lecture inspirée des mouvements de décolonisation du xxe siècle, Sánchez voit l’échec du nationalisme californien comme l’échec de la décolonisation et de la construction nationale au Mexique. Mais les historien·ne·s ont aussi montré que les « petites patries » peuvent être conçues non comme des concurrents mais des soutiens à un nationalisme plus englobant98. Il est donc possible de comprendre cet attachement, ce « proto-nationalisme » comme un moment de la construction nationale, et non comme le signe de son échec, en tenant compte du fait que la république mexicaine est une fédération, issue d’un empire espagnol beaucoup plus large et qui s’est fragmenté.
65La catégorie de Californio est mise en avant par opposition à d’autres catégories. En l’occurrence, pour 1831, cette opposition se définit par une attitude politique, fondée en partie sur des critères moraux, mais aussi nationaux voire sociaux et raciaux. Le gouverneur Victoria a une ascendance africaine visible, qui le fait surnommer « le gouverneur noir » par les Californiens. Ainsi « le traitement si dur que le sexe féminin [lui réserve », d’après Alvarado, « provient non pas de causes politiques mais à cause de sa couleur noire ». En Californie, explique-t-il, « nous n’avions pas ce type de gens parmi nous », à l’exception « d’une esclave qui était venue du Pérou… et le noir que nous avions emprisonné de l’équipage [du corsaire] Bouchard ». Donc « comme ceux qui étaient passés parmi nous avaient occupé des places serviles, il était difficile pour les dames du pays de venir à des bals et des salons qui étaient donnés pour un noir99 ». Pour résumer cette rationalisation, commune dans les racialisations de l’époque, les noirs sont forcément associés à l’esclavage, à la servitude, à une condition dépendante et subalterne (c’est la « macule servile »). Cette altérité raciale est aussi ce qui permet de traiter Victoria en ennemi, et non en frère, et à le combattre sur le champ de bataille. Lors de la bataille de Los Angeles, Ávila, au milieu de la bataille, se serait écrié : « ah, satané nègre, c’est toi que je cherche ! » avant de lui asséner un coup de lance100. Cette discrimination ne s’applique pourtant qu’à ceux qui arrivent de l’extérieur : on note en effet un déni de la part des Californiens concernant ceux d’entre eux qui ont un phénotype visiblement afro-descendant, comme Pío Pico, probablement parce que cela contredirait la fiction d’une population coloniale, de razón, considérée en tant que telle comme blanche et d’origine européenne. Dans une lettre écrite à H. Bancroft en 1874, Ignacio Sepúlveda n’expose pas autre chose, même s’il faut y ajouter le contexte de la Reconstruction aux États-Unis et les liens de l’auteur avec les Sudistes : « il y avait beaucoup de familles dans les veines desquelles coulait le sang bleu d’Espagne101 ».
66Par contraste, les étrangers d’origine européenne, souvent protestants à l’origine, même si nombre d’entre eux se convertissent, jouent un rôle différent dans l’imaginaire politique californien. Dans les pamphlets de 1832, ils sont montrés du doigt comme ne pouvant pas représenter le « peuple californien » ni être sincères dans leur loyalisme proclamé. De fait, leur engagement politique est ambigu. Ils sont des marchands et doivent protéger leur commerce. Il faut dès lors trouver l’équilibre entre donner des preuves de loyauté au régime, afin de ne pas risquer l’expulsion ou des taxes prohibitives, protéger la source de ses revenus et donc parfois s’engager (en protégeant par exemple les missions qui sont leurs fournisseurs principaux), intervenir en faveur de l’ordre afin de ne pas perturber le commerce, ou enfin, participer selon ses convictions. La junte de Monterey permet aux commerçants, qu’ils soient étatsuniens, britanniques, français ou a fortiori espagnols de rassurer le gouvernement national sur leur loyauté, à une époque où le gouvernement mexicain commence à s’inquiéter de la colonisation étrangère (en particulier étatsunienne) dans les régions de frontière. Les étrangers qui se marient dans les familles californiennes adoptent une attitude politique souvent conforme à leur famille d’adoption. Le commerçant britannique William Hartnell, gendre de José de la Guerra, est ainsi à la tête de la compagnie des étrangers formée par Zamorano ; comme son beau-père, il soutient le gouverneur Victoria102. Pour ceux d’entre eux qui viennent des États-Unis, en particulier du Nord, la question de l’autonomie politique et de la résistance à une autorité extérieure vue comme despotique résonne particulièrement avec leur culture politique. Le consul des États-Unis à Honolulu, John Coffin Jones, ayant entendu parler de Victoria, commente ainsi :
« J’ai entendu dire que le nouveau gouverneur devient chaque jour plus établi sur son trône ; faites attention qu’il ne vous traite pas trop durement, il est sournois et si les bons citoyens de Californie ne le tiennent pas à l’œil, il les mettra sous le joug avant qu’ils ne s’en aperçoivent et ce sera difficile de le secouer. Agis avec prudence mais souviens-toi que la mort est préférable à l’esclavage103. »
67Pour cet homme originaire d’une grande famille de Nouvelle-Angleterre (son père, négociant, avait été speaker de la chambre des représentants du Massachusetts), les gouvernés doivent toujours surveiller leurs gouvernants contre leurs dérives monarchiques, un débat qui touche aussi les États-Unis où le président Jackson, récemment élu, est caricaturé sous les traits d’un roi, bien qu’il soit aussi le héros de la « démocratie jacksonienne ». Et la comparaison avec l’esclavage ne saurait être fortuite, alors que le sujet est revenu diviser les États après le compromis du Missouri en 1820. De plus en plus de voix s’élèvent, dans le Nord, pour dénoncer la mainmise des propriétaires d’esclaves et de leurs tendances aristocratiques sur la jeune république. Son correspondant, John Bautista Rogers Cooper, un commerçant anglais élevé dans le Massachusetts et installé à Monterey en 1826, après avoir commercé entre la Californie et la Chine – voyages qui le mettent sans doute en contact avec Coffin Jones à Honolulu – se fait néanmoins membre de la junte loyaliste. Au final, il est fort probable que la compagnie en question rassemble la quasi-totalité des étrangers résidant à Monterey, les plus mobilisés ayant convaincu les autres, et le reste n’ayant pas intérêt à se démarquer104.
⁂
68Pour être bien comprise, la révolution de 1831 contre Victoria doit être replacée dans le contexte national mexicain d’affrontements politiques et de coups d’État successifs entre ceux qui sont identifiés comme yorkinos, et comme escoceses. Néanmoins, ce transfert doit être compris de manière subtile, à la fois comme une grille de lecture et comme une manipulation informée. Alors qu’on attribue d’ordinaire le transfert de ces catégories à une seule personne, José María Padrés, il apparaît que c’est un jeu plus complexe entre les missionnaires, les Californios, le gouverneur Echeandía et l’inspecteur des troupes Padrés qui permet de comprendre les modalités de cette traduction. L’adaptation de catégories politiques nationales à un contexte régional a été étudié pour d’autres États mexicains, par exemple par Peter Guardino en Oaxaca. Il y montre comment deux groupes, les « huiles » et les « vinaigres » se sont partagés l’espace politique, en se référant aux deux groupes qui s’affrontaient à la capitale. Il y montre comment ce partage se fait plus par coups successifs que par le succès aux élections ou la conviction des électeurs via la presse. Dans les contextes urbains du Zacatecas étudiés par Rosalina Ríos Zúñiga par contraste, les sociabilités formalisées et la presse ont joué un rôle important105. Le cas de la Californie, dont les infrastructures, notamment de communication, sont peu développées, qui ne connaît pas de vie urbaine ni de presse, permet de comprendre comment on fait de la politiqu et on se politise dans ces conditions. La sociabilité et les discours révolutionnaires en sont un moyen.
69Ce qui se joue en Californie en 1831 n’est pas une révolution « d’opérette ». C’est tout l’enjeu de la stabilité politique après une révolution et la hiérarchie des légitimités qui est posé. Le choix de la révolution par Juan Bandini et José Antonio Carrillo en novembre 1831 est important par ce qu’il dit de la construction politique du Mexique indépendant, notamment que les élites provinciales peuvent penser que le recours à la révolution est non seulement légitime, mais jouable politiquement. Cette situation contribue donc à expliquer l’instabilité politique mexicaine en écartant les arguments essentialistes pour se focaliser sur la circulation des pratiques politiques mais aussi sur l’héritage impérial dans l’équilibre ou le déséquilibre entre les provinces et la capitale de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne.
Notes de bas de page
1 Vázquez Josefina Zoraida, « Los años olvidados », Mexican Studies/Estudios Mexicanos, vol. 5, no 2, 1989, p. 313-326.
2 Fowler William, Independent Mexico the pronunciamiento in the age of Santa Anna, 1821-1858, op. cit.
3 Thibaud Clément, Libérer le Nouveau Monde. La fondation des premières républiques hispaniques : Colombie et Venezuela, 1780-1820, Bécherel, Les Perséides, 2017, p. 89.
4 JNE, t. 99, p. 257, Durán à Bustamante, 10 mai 1830.
5 ASB, Fitch, Causa Criminal por matrimonio nulo, José Sánchez, 17 novembre 1830 ; Casas María Raquél, Married to a Daughter of the Land. Spanish-Mexican Women and Interethnic Marriage in California, 1820-1880, Reno, University of Nevada Press, 2009, p. 94.
6 HHB3, p. 108.
7 SGSP, t. 6, p. 46.
8 SGSP, t. 7, p. 50.
9 JNE, t. 44½.
10 Alvarado, t. 2, p. 162 ; Vallejo, t. 2, p. 109 ; HHB3, p. 108 ; Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 143.
11 Vallejo, t. 2, p. 174 ; De la Guerra José, « Ocurrencias Curiosas », in DHC J. Carrillo, p. 31.
12 Alvarado, t. 2, p. 162 et 174 ; Vallejo, t. 2, p. 54 et 112 ; Torre, p. 61.
13 Costeloe Michael P., La Primera República Federal de México, 1824-1835, op. cit., p. 49-64 ; sur la dimension populaire : Di Tella Torcuato Sozio, Política nacional y popular en México, 1820-1847, Mexico, Fondo de Cultura Económica, Sección de Obras de Historia, 1994 ; le rôle politique de la franc-maçonnerie a plus particulièrement été étudié par Vázquez Semadeni María Eugenia, « Las obediencias masónicas del rito de York como centros de acción política, México, 1825-1830 », LiminaR, vol. 7, no 2, décembre 2009, p. 41-55 ; sur le rôle des yorkinos dans les lois antiespagnoles, voir Sims Harold Dana, La expulsión de los españoles de México (1821-1828), Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1974 ; pour un exemple de déploiement de ces luttes dans un État, Ríos Zúñiga Rosalina, « Popular Uprising and Political Culture in Zacatecas: The Sombrerete Uprisings (1829) », Hispanic American Historical Review, vol. 87, no 3, 1er août 2007, p. 499-536.
14 Duhaut-Cilly Auguste Bernard, Voyage autour du monde principalement à la Californie et aux îles Sandwich, pendant les années 1826, 1827, 1828, et 1829, op. cit., p. 238 ; El Sol, 28 janvier 1827.
15 Alvarado, t. 2, p. 161 et 166 ; Vallejo, t. 2, p. 108-109 ; Vallejo, t. 2, p. 112. DSP Ben Mil, t. 70, p. 118 ; Weber David J., « California in 1831: Heinrich Virmond to Lucas Alaman », Journal of San Diego History, vol. 21, no 4, 1975.
16 Vallejo, t. 2, p. 113-114.
17 JNE, t. 100, p. 196, S. Argüello à C. A. Carrillo, 1831 ; Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 145. Aucun témoignage a posteriori ne l’évoque, un silence qui peut refléter le caractère secret de l’organisation en question, peut être para-maçonnique si on suit la typologie établie dans Vázquez Semadeni María Eugenia, « La masonería en México, entre las sociedades secretas y patrióticas, 1813-1830 », Revista de Estudios Historicos de la MAsoneria Latinoamericana y Caribeña, vol. 2, no 2, 2010, p. 19-33.
18 California Missions and Church misc. [C-C 203], no 12 ; Duflot de Mofras Eugène, Exploration du territoire de l’Orégon, des Californies et de la mer Vermeille, exécutée pendant les années 1840, 1841 et 1842, Paris, A. Bertrand, 1844 ; Osio Antonio María, History of Alta California, op. cit., p. 282. J. Carrillo, cité ici est né en 1824, et n’a que 7 ans en 1831. HHB3, p. 187 ; Sánchez Rosaura, Telling Identities, op. cit., p. 236.
19 LR, t. 1, p. 47.
20 Vallejo, t. 2, p. 105-109. Voir aussi Alvarado, t. 2, p. 159-160.
21 Vallejo, t. 2, p. 106.
22 SPMC, t. 2, p. 38.
23 SGSP, t. 8, p. 61-65.
24 California Missions and Church misc. [C-C 203], no 12, Durán, 31 décembre 1831.
25 Alvarado, t. 2, p. 175.
26 JNE, t. 100, p. 196.
27 DR, t. 9, p. 146.
28 Ashley, Cuaderno de Actas del ayuntamiento de Monterey, 8 janvier 1831.
29 DR, t. 9, p. 44.
30 DR, t. 9, p. 91-92, Victoria à Bandini, 9 et 19 février 1831 ; JNE, t. 100, p. 186-188, Bandini à C. A. Carrillo, 10 mai 1831.
31 LR, t. 1, p. 171-172, 16 juillet 1830. Les premières confirmations sont celles de familles de conseillers ou ex-conseillers (Dolores Pico, Ignacio Vallejo). L. Pubols attribue au gouverneur ultérieur Figueroa cette solution à la faim de terre en Californie : Pubols Louise, The Father of All, op. cit., p. 185-187.
32 GL, legajo 120, exp. 19, Stearns à Victoria, 31 août 1831.
33 DSP, t. 3, p. 259-261 ; SCJ Duarte, Buelna 1832.
34 Sur les conseils de l’expert juridique du territoire, peu complaisant envers Echeandia DR, t. 9, p. 84-85.
35 DR, t. 9, p. 94.
36 DSP, t. 3, p. 9-10.
37 DR, t. 9, p. 99-102 ; DSP Ben Pref y Juz, t. 3, p. 54.
38 DSP, t. 3, p. 14-18.
39 DR, t. 9, p. 21.
40 DSP Ben Mil, t. 66, p. 326 ; HHB3, p. 191.
41 HHB3, p. 190. Témoignages de E. de la Torre, J. M. Amador, J. Pico, I. Pico de Avila, J. J. Vallejo, Alvarado, Osio et Vallejo et dossier d’accusation contre Victoria LR, t. 2, 1832.
42 La chasse n’est autorisée qu’à San Francisco et aux mois d’avril et mai. DR, t. 9, p. 95 ; Igler David, The Great Ocean, op. cit.
43 DHC Vallejo, t. 1, nos 244L et 239. Voir aussi Vallejo, t. 3, chap. 25, p. 145.
44 DHC Vallejo, t. 30, no 261.
45 DHC Vallejo, t. 1, no 304.
46 Bandini Juan, « Contestacion a la alocucion del Gefe politico D. Manuel Victoria », 10 octobre 1831, in Juan Bandini, DHC Bandini BANC MSS C-B 68 ; Pico Pío, « Contestacion que el ciudadano Pío Pico, primer vocal de la Exma diputacion del Territorio de Alta California da a la alocucion del Comandante general y Gefe Politico Manuel Victoria, publicada el 21 de setiembre proximo pasado », 15 octobre 1831, DHC Pico, BANC MSS C-B 88.
47 LR, t. 1, p. 329.
48 Pico, p. 24-34.
49 Osio Antonio María, The History of Alta California, op. cit., p. 107.
50 Pico, p. 27 ; Vallejo, t. 2, p. 148.
51 Original dans DHC Pico. Copie la plus accessible dans DHC Vallejo, t. 1, no 283 (transcrite en no 244M-U). Sur Voltaire, Engelhardt, t. 3, p. 362.
52 DR, t. 3, p. 88. Echeandía interdit l’adhésion des militaires au plan. Le plan de Perote dénonce l’élection de Gómez Pedraza et mène Guerrero, son rival, à la présidence de la république. Le plan de Jalapa du 4 décembre 1829 dénonce le gouvernement de Guerrero, arrivé à la présidence en infraction aux élections présidentielles de 1828. Planes en la nación mexicana, Mexico, Senado de la República, 1987. Une base de données de plans peut être trouvée à l’adresse suivante : [http://arts.st-andrews.ac.uk/pronunciamientos/].
53 Avendano Rosa Xiomara, « La evolucion historica de la ciudadania: un punto de partida para el estudio del Estado y la nacion », in Josefina Zoraida Vázquez, Pilar Gonzalbo, Luis Jáuregui et José Antonio Serrano Ortega (dir.), Historia y nación. Actas del congreso en homenaje a Josefina Zoraida Vázquez, Mexico, Colegio de México/Centro de Estudios Históricos, 1998, p. 171-182 ; Morelli Federica, « Entre ancien et nouveau régime », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 59, no 4, 2004, p. 775.
54 Fowler Will, Forceful Negotiations. The Origins of the Pronunciamiento in Nineteenth-Century Mexico, Lincoln, University of Nebraska Press, 2011.
55 Demélas Marie-Danielle, « Retour sur la pratique du pronunciamiento », art. cité.
56 Vallejo, t. 2, p. 148-149.
57 JNE, t. 100, p. 186-188, S. Argüello à C. A. Carrillo, 1831. Un exemple de la surveillance des opposants : DHC Vallejo, t. 1, p. 304.
58 Son attitude lors des sessions du conseil territorial où il siège en janvier-février 1832 semble aller dans ce sens. LR, t. 1, p. 175.
59 Vallejo, t. 2, p. 148-149 ; DHC Pico, 1er décembre 1831. La reconstitution la plus détaillée (et probablement la plus romancée) est de Vallejo, qui n’était pas présent. Elle met en avant l’importance de la proclamation de l’ex-commandant militaire Echeandía pour la troupe de San Diego, et le vivat au peuple ne vient qu’en second.
60 Sánchez J. R., p. 7. Citation en titre : Osio Antonio María, The History of Alta California, op. cit., p. 111.
61 Ibid., p. 109.
62 Avila, p. 13.
63 Phelps Robert, « On Comic Opera Revolutions: Maneuver Theory and the Art of War in Mexican California, 1821-45 », California History, vol. 84, no 1, 2006, p. 44.
64 Fernández, p. 65.
65 Sánchez J. R., p. 21.
66 Vallejo, t. 2, p. 151.
67 Boronda J. C., p. 17.
68 Alvarado, t. 2, p. 181.
69 LR, t. 1, p. 202-210.
70 LR, t. 1, p. 205. Echeandía avait déjà donné une opinion guère favorable de Pico en 1829, qui lui rappelle pourtant que l’instruction n’est pas requise par la loi pour être élu conseiller ou gouverneur.
71 LR, t. 1, p. 210.
72 Osio Antonio María, The History of Alta California, op. cit., p. 114.
73 DHC Vallejo, t. 1, no 306.
74 Bandini, proclamation du 22 mars 1831 ; DHC Vallejo, t. 1, no 303A.
75 DHC Pico, 15 octobre 1831.
76 DHC Vallejo, t. 1, 303.
77 HHB3, p. 181-214 en particulier p. 198, n. 33, p. 208, n. 46 et p. 212, n. 56. Au-delà des évidents Alvarado, Bandini, Osio, Pico, sujet aussi traité par J. Avila, Amador, Boronda, Castro, Galindo, Fernandez, Larios, Lugo, Machado, Ord, Perez, J. Pico, I. Pico de Avila, Pinto, Rodriguez, Sánchez, E. de la Torre, Valdes, Valle, J. J. Vallejo.
78 Valle, p. 6.
79 Pubols Louise, The Father of All, op. cit.
80 Muchembled Robert, Une histoire de la violence. De la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, Le Seuil, 2008 ; Jablonka Ivan et Bantigny Ludivine, Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France xixe-xxie siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2009 ; Corbin Alain, Vigarello Georges et Courtine Jean-Jacques, Histoire de la virilité, le xixe siècle, op. cit.
81 Weber Max, Économie et société, Paris, Plon, 1971 ; Bernadou Vanessa, Blanc Félix, Laignoux Raphaëlle et Roa Bastos Francisco, Que faire du charisme ? Retours sur une notion de Max Weber, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
82 Phelps Robert, « On Comic Opera Revolutions », art. cité ; González Michael, « War and the Making of History: The Case of Mexican California, 1821-1846 », California History, vol. 86, no 2, 2009, p. 5-25 et 65-68 ; González Michael, « “With the God of Battles I Can Destroy All Such Villains”: War, Religion, and the Impact of Islam on Spanish and Mexican California, 1769-1846 », California History, vol. 90, no 1, 2012, p. 18-39 et 62-66.
83 DHC Vallejo, t. 1, no 287D.
84 Le soulèvement mené par Estanislao à partir de 1827 dura trois ans avant d’être réprimé violemment par Vallejo.
85 Valle, p. 6.
86 Alvarado, t. 2, chap. 21, p. 189. Voir aussi Engelhardt, t. 3, p. 416-417 et Geary Gerald Joseph, The Secularization of the California Missions (1810-1846), Washington, Catholic University of America, 1934.
87 Osio Antonio María, The History of Alta California, op. cit., p. 114-116.
88 Alvarado, t. 2, chap. 20, p. 178. Le passage de simple adjectif au gentilé revendiqué se lit dans notre choix de la minuscule ou majuscule à Californio.
89 González, p. 21.
90 Pitt Leonard, The Decline of the Californios, op. cit., p. 7.
91 Voss Barbara L., « From Casta to Californio: Social Identity and the Archaeology of Culture Contact », American Anthropologist, vol. 107, no 3, 2005, p. 461-474 ; The Archaeology of Ethnogenesis. Race and Sexuality in Colonial San Francisco, Berkeley, University of California Press, 2008.
92 Torres-Rouff David S., Making Los Angeles. Race, Space, and Municipal Power, 1822-1890, thèse de doctorat en histoire, sous la dir. de Paul Spickard, University of California, Santa Barbara, 2006, p. 73 ; Monroy Douglas, Thrown Among Strangers, op. cit., p. 162 ; sur l’émergence d’un nationalisme californien, voir aussi Sánchez Rosaura, Telling Identities, op. cit., p. 236.
93 Pubols Louise, « Hijos del pais: Learning to be Californios », art. cité, p. 155.
94 Le terme « californio » est impropre en Castillan. DLG Family Archives, pères Amorós et Cabot, 23 avril 1817. Il désignait aussi couramment les populations autochtones : California Missions and Church misc., no 12, Durán 31 décembre 1831, note 18 à l’article 13. DHC DLG, t. 4, p. 197.
95 Lettre ouverte de Bandini du 10 octobre 1831 en réponse à la proclamation de Victoria du 21 septembre 1831 dans DHC Bandini.
96 DHC Bandini, 22 mars 1832, p. 1-2. Repris par Echeandía DSP, p. 64, 28 juillet 1832.
97 Sánchez Rosaura, Telling Identities, op. cit., p. 229.
98 Chanet Jean-François, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996 ; Thiesse Anne-Marie, La création des identités nationales. Europe xviiie-xxe siècle, Paris, Le Seuil, 1999.
99 Alvarado, t. 2, p. 167 et 182.
100 Pico, p. 25.
101 Sepúlveda Ignacio, Memoranda historica, p. 1 ; Lynch Daniel, « Southern California Chivalry: Southerners, Californios, and the Forging of an Unlikely Alliance », California History, vol. 91, no 3, novembre 2014, p. 60-62.
102 Pubols Louise, « Hijos del pais: Learning to be Californios », art. cité, p. 174.
103 DHC Vallejo, t. 1, no 277.
104 Liste dans HHB3, p. 221-223 ; Schlesinger Arthur M., The Age of Jackson, Boston/Londres, Little, Brown and Co., 1994 ; Wilentz Sean, « Slavery, Antislavery and Jacksonian Democracy », The Market Revolution in America. Social, Political, and Religious Expressions, 1800-1880, Charlottesville, University Press of Virginia, 1996, p. 202-223 ; Richards Leonard L., The Slave Power. The Free North and Southern Domination, 1780-1860, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2000.
105 Guardino Peter F., The Time of Liberty, op. cit. ; Ríos Zúñiga Rosalina, « Contención del movimiento: prensa y asociaciones cívicas en Zacatecas, 1824-1833 », Historia Mexicana, vol. 52, no 1, 2002, p. 103-161.
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Le 11 septembre chilien
Le coup d’État à l'épreuve du temps, 1973-2013
Jimena Paz Obregón Iturra et Jorge R. Muñoz (dir.)
2016
Des Indiens rebelles face à leurs juges
Espagnols et Araucans-Mapuches dans le Chili colonial, fin XVIIe siècle
Jimena Paz Obregón Iturra
2015
Capitales rêvées, capitales abandonnées
Considérations sur la mobilité des capitales dans les Amériques (XVIIe-XXe siècle)
Laurent Vidal (dir.)
2014
L’imprimé dans la construction de la vie politique
Brésil, Europe et Amériques (XVIIIe-XXe siècle)
Eleina de Freitas Dutra et Jean-Yves Mollier (dir.)
2016