Chapitre II. Héritage impérial et projet national
Mexico et la Californie (1821-1829)
p. 51-76
Texte intégral
1Le nouvel empire mexicain, qui devient république fédérale en 1823-1824, est confronté à de multiples chantiers en vue de faire de l’indépendance une réalité qui corresponde aux projets de ceux qui s’étaient battus pour elle. L’un des premiers d’entre eux est de faire reconnaître les frontières et l’étendue de la juridiction du nouveau gouvernement. La régence, le gouvernement, l’administration et le Congrès cherchent progressivement à définir une politique de la frontière qui corresponde à leur projet national, un projet moderne qui se distingue d’un « ancien régime » espagnol, vu comme archaïque. Cependant, ils le font avec une information incomplète, parfois inexacte, et au milieu d’autres urgences. Ils s’attachent à résoudre ensemble des problèmes qui ne sont pas toujours comparables ni compatibles malgré les apparences. Ils sont confrontés à la contradiction de vouloir réformer et organiser une province comme si celle-ci n’avait pas déjà ses propres pratiques et imaginaires politiques. Enfin, ils n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs souhaités.
Le Mexique indépendant et ses frontières
2Le processus de constitution géographique du Mexique à partir de la Nouvelle-Espagne pourrait paraître simple, puisque le nouveau pays englobe une grande partie de l’ancienne Amérique du Nord espagnole. De fait, l’objectif des insurgés était bien de regrouper toutes les provinces qui avaient été sous l’autorité, même distante et temporaire, de la vice-royauté et de sa capitale, Mexico. Mais, comme on l’a vu avec l’exemple de la Californie, ces différentes provinces n’avaient pas vécu le processus de l’indépendance de la même façon. De plus, les pratiques liées à la promulgation de la législation et de la Constitution de Cadix avaient mené à des formes d’autonomie locale relativement poussées. Pour les plus éloignées du centre en particulier, d’autres regroupements pouvaient faire concurrence au projet mexicain. Dans le Sud, le Guatemala, qui un temps se rattacha au Mexique, décida rapidement de poursuivre son chemin indépendamment (1823), une fragmentation qui vit d’autres exemples dans l’ancienne Amérique espagnole1. Dans le Nord, l’organisation coloniale tardive et à géométrie variable des « provinces intérieures », la proximité d’un autre État indépendant et expansionniste, les États-Unis, posaient à la fois la question du respect et de l’affirmation des frontières internationales et de l’héritage d’une conquête et d’une pacification espagnole inachevée.
Affirmer ses frontières en Haute-Californie
3Parmi les multiples priorités qui occupent les anciens meneurs insurgés devenus régence et gouvernement, celle de faire le compte des provinces effectivement comprises dans le nouveau pays et « démarquer, organiser et consolider ce nouvel empire que nous devons à la Providence (et aux qualités du général Iturbide2) ». Faire respecter ses frontières est en effet, comme l’a montré Marie-Jeanne Rossignol pour les États-Unis, l’un des outils pour affirmer son indépendance et faire reconnaître sa dignité de nation par les autres États souverains3. C’est d’autant plus crucial pour le Nord que le Mexique hérite des conflits frontaliers dans les régions du Texas et de la Louisiane, entre l’Espagne et les États-Unis, qui se sont temporairement résolus avec la signature du traité Adams-Onís en 1819. L’indépendance du Mexique renouvelle enfin les inquiétudes dans le Pacifique au sujet des Russes, qui hantaient régulièrement les correspondances coloniales : le gouverneur de Guadalajara (capitale du Nord) rappelle à l’automne 1822 que les Russes « ont démontré leur désir constant d’aller toujours plus vers le sud » et qu’« il faut présumer qu’ils l’envisagent d’autant plus en apprenant notre indépendance, qu’ils supposeront que nous sommes désorganisés ». De plus, « le gouvernement espagnol lui-même peut estimer qu’il lui serait avantageux de faire un traité avec la Russie en lui cédant les Californies », ce qui a déjà été d’actualité. Par contraste avec le Mexique et l’Espagne, la Russie semble en effet sortir renforcée des guerres napoléoniennes. En bref, il est urgent de s’assurer que les autres nations vont respecter les frontières revendiquées par le nouvel État indépendant. Le problème pour agir, c’est « qu’on ignore ce que pense le gouverneur [de Nouvelle-Californie] Pablo Vicente de Solá et quels peuvent être les craintes et les espoirs des habitants », bien que les nouvelles de l’indépendance et ses documents fondateurs leur aient été transmis. Les commerçants ou capitaines qui le connaissent pour l’avoir fréquenté pensent que le gouverneur Solá « voudra au moins rester neutre… tant qu’il ne sera pas contraint » mais qu’il n’est pas « probable qu’il veuille se mettre sous une autre protection, bien qu’il traite avec une relative bénignité et confiance les Russes4 ».
4En revanche, les informations rassemblées concordent sur le fait que les missionnaires seraient « opposés au [nouveau] système », même si un observateur a anticipé leur raisonnement et le choix déjà vu au chapitre précédent. Une fois ce risque identifié, le gouvernement s’interroge sur la conduite à tenir. Quelques-uns de ses informateurs préconisent l’envoi de l’armée pour éviter que la Californie soit « prise par surprise » par un « aventurier » ou une « compagnie marchande… avec quelques forces de son gouvernement5 ». En janvier 1822, le gouverneur de Guadalajara Andrade, juge qu’une expédition armée serait « nécessaire » pour « assurer ces territoires à notre Empire et nous libérer de la convoitise des Russes6 ». D’autres au contraire estiment que c’est la « dernière chose à envisager, du fait de son coût important ». Il serait plus utile, estime le commandant du port de San Blas, de poursuivre le travail de la campagne d’Iturbide, s’il n’a pas encore porté ses fruits, en envoyant d’abord « documents et papiers… en incluant des lettres avec les ordres du Prieur et du conseil supérieur du collège de San Fernando et quelques lettres pastorales des révérends diocésains ». Ces documents informeraient « le gouverneur, les capitaines, les officiers… le président des missions et les missionnaires… de l’intérêt que prend le gouvernement indépendant pour la conservation de tous les ordres qu’ils soient mendiants ou monacaux et les missions établies… pour la propagation de notre foi catholique », afin de conforter les missionnaires dans le raisonnement évoqué plus haut. Le commandant de San Blas n’est pas certain que ce procédé fonctionne, mais si devient nécessaire « une petite expédition militaire », « les esprits [seront préparés], l’opinion de ceux qui sont favorables à l’indépendance [aura pris] plus de force et nombre de ceux qui ne l’étaient pas le [seront devenus], au moins dans leur for intérieur » et ils « se manifesteront au grand jour et les adversaires seront vaincus sans difficulté7 ». C’est cette option que choisissent Iturbide et la régence, poursuivant de la sorte une méthode de négociation et de conviction qui avait permis de rallier autour du plan d’Iguala. On peut souligner que nulle part à ce stade il n’est question des Amérindiens dans ces discussions, bien qu’ils constituent la population majoritaire à la fois dans la région côtière où se trouvent les missions et les forts et surtout dans la région intérieure où des groupes comme les Yokuts, les Utes, les Mojaves et les Apaches vivent à distance de la colonisation. Il serait question d’eux seulement plus tard, dans les discussions sur le mode de colonisation, afin de trouver une alternative aux missions franciscaines. L’émissaire choisi l’est en fonction de ce qui est vu comme sa cible principale, les missionnaires : un chanoine d’une grande ville minière du Nord du Mexique, capitale des provinces intérieures orientales, Durango. Agustín Fernández de San Vicente part ainsi muni de « lettres accréditées de la part des prélats des missionnaires à la capitale » et l’évêque de Sonora, dont dépendent les Californies, reçoit l’ordre « d’écrire des lettres pastorales aux religieux des Californies pour les persuader de la justice incontestable sur laquelle s’appuie la cause de notre glorieuse émancipation et en leur rendant manifeste les avantages spirituels et temporels qui doivent en être la conséquence ». Ainsi les missionnaires seraient informés par les leurs (on a vu que c’était déjà le cas) de la « véritable nature de l’Empire », qui est présentée comme une « régénération politique » plutôt qu’une révolution. Le but affirmé est de mettre au même niveau d’information, et donc d’opinion, les Nouveaux-Californiens et le reste des Mexicains et de les associer ainsi à l’unanimité de l’indépendance8. Arrivé en Haute-Californie, le chanoine Fernández ne peut que constater que l’indépendance a été proclamée et reconnue. Il rassure cependant de nouveau les Californiens sur le projet d’appeler le roi d’Espagne Ferdinand VII sur le trône, ainsi que l’engagement de la régence à « soutenir le culte divin et améliorer le sort des missions de Californie, dont le bien-être avait été délaissé par les vice-rois d’une manière scandaleuse9 ».
5Le chanoine doit aussi vérifier sur place ce qu’il en est des Russes et des Nord-Américains dans la région et, « au moyen du nombre approprié d’exemplaires du Traité des frontières avec les États-Unis », « instruire les colons que la ligne de division ne doit pas dépasser le 42e degré [nord10] ». Une fois en Haute-Californie, il effectue donc une tournée d’inspection pour se rendre compte de l’importance de la présence russe et informer les résidents de leur infraction de la frontière, conduit par le commandant de San Francisco Argüello et le missionnaire Payeras11. Il trouve le petit fort de Ross, entrepôt de la compagnie russo-américaine, avec qui le commandant Argüello entretient de bonnes relations commerciales, leur vendant des céréales qui permettent de soutenir le cœur de la Russie américaine, beaucoup plus au nord, en Alaska. En l’absence d’une force militaire, le chanoine ne peut guère faire plus que de manifester l’intention du Mexique de faire respecter ses frontières. Son passage lui permet également de rendre compte au gouvernement de la relative faiblesse de la menace russe telle qu’il a pu la percevoir sur place.
Uniformiser l’empire et les institutions
6Si le chanoine trouve l’indépendance déjà acceptée et proclamée en Nouvelle-Californie, ce sont très rapidement d’autres enjeux qui posent problème et donnent lieu à des débats entre l’envoyé du gouvernement et les personnes jusque-là en charge du gouvernement de la province. Le chanoine venait en effet affirmer l’autorité du nouveau gouvernement sur la province, même s’il mettait aussi en valeur quelques éléments de continuité. À ce titre, le choix de procéder à une deuxième cérémonie de proclamation de l’indépendance est éloquent. La démonstration des nouveaux symboles, notamment le drapeau tricolore des trois garanties, est là pour frapper les esprits, rendre visible la prise de possession et affirmer que c’est bien au gouvernement de donner le la à une province qui n’a reconnu l’indépendance que tardivement et du bout des lèvres. Nous verrons davantage dans le chapitre suivant comment le passage du chanoine en Nouvelle-Californie a effectivement été un moment important pour les Californien·ne·s dans leur représentation de ce que pouvait signifier l’indépendance. Dans un premier temps, voyons ici comment dès le départ se construit un conflit autour des formes de gouvernement et de colonisation de la province, et qui porte notamment, mais pas seulement, sur la question des missions. En effet, si le chanoine doit rassurer les missionnaires sur le soutien du gouvernement à la religion, il est aussi porteur de la troisième des garanties d’Iguala : l’égalité de tous les Mexicains. À l’opposé, le président des missions Mariano Payeras se promet « d’informer l’Empereur de ce qu’il en est vraiment des Indiens », qui ne « sont pas encore en disposition12 ». Le gouverneur ainsi que la majorité des officiers à la tête des forts de la Haute-Californie sont en accord avec lui pour trouver prématuré de donner la pleine citoyenneté aux Amérindiens christianisés et s’offusquent de ce qu’il semble être prêt, disent-ils, « à organiser un conseil provincial, avec seulement des Indiens s’il le faut13 ».
7Cette question du conseil provincial (diputacion), est en effet l’autre facette du problème qui oppose Fernández et les Californiens au sujet de l’organisation de la province. Au moment où il avait reçu la nouvelle du rétablissement de la Constitution de Cadix en 1820, le gouverneur Solá avait considéré qu’il n’y avait pas lieu d’en organiser un en Nouvelle-Californie, du fait que
« dans toute la province il n’y a pas plus de vingt-quatre mille cent quatre dix habitants, dont vingt et un mille quatre-vingt-seize nouveaux citoyens, néophytes des vingt missions de ladite province, les deux mille neuf cents restants étant les soldats des quatre compagnies présidiales, leurs femmes et enfants et les invalides et leurs femmes et enfants14 ».
8Pour lui, des citoyens inéduqués, militaires et Amérindiens soumis aux missionnaires doivent être loin de constituer le corps civique idéal. Mais Fernández affirme qu’il « est porteur d’un ordre explicite pour installer [le conseil provincial] ». En réalité, ses instructions le chargent « d’uniformiser » la Californie par rapport au reste de l’empire. De fait, la plupart des autres provinces mexicaines sont effectivement dotées d’un tel conseil provincial. C’est le résultat d’abord de l’application en Nouvelle-Espagne dès 1812 de la constitution de Cadix, par laquelle un certain nombre de territoires, les grandes provinces, obtiennent de tels conseils. On les voit se multiplier pendant la période révolutionnaire, au moment de la nouvelle promulgation de la constitution de Cadix et juste après l’indépendance, avec l’organisation de députations à des échelles de plus en plus locales. Ce sont ces entités gouvernées par des conseils qui deviennent dans les faits des provinces puis des États constitutifs de la fédération du Mexique en 1823-1824. Les institutions de l’Empire mexicain, en 1822, sont donc le résultat non seulement d’un feuilleté complexe de normes parfois contradictoires : constitution et législation de Cadix, législation et décrets pris depuis l’indépendance, mais aussi de pratiques révolutionnaires légalisées a posteriori. Les guerres et les révolutions avaient instauré des nouveautés plus ou moins formalisées par la loi et qui dépendaient de la manière dont les diverses régions avaient réagi à ces événements et aux nouvelles normes. L’institution qu’est le conseil provincial en est un excellent exemple. Dans le débat entre le chanoine Fernández et Solá, la position de chacun reflète l’ambiguïté institutionnelle qui règne en 1822 sur cette question. En effet, si la députation est une pratique générale, mentionnée dans les textes, la question du niveau où une députation doit s’organiser est floue et ne s’est en réalité clarifiée que par les pratiques. Alors qu’ailleurs en Nouvelle-Espagne la pratique a en effet été la réunion de tels conseils en réaction à la crise militaire et politique des années 1810, la pratique en Californie fut plutôt la réunion de conseils par le gouverneur, composés des commandants militaires et des autorités ecclésiastiques15.
9L’installation de la députation n’est donc pas seulement une question de légalité, mais une question de transformation des institutions et des pratiques, pour projeter la Nouvelle-Californie dans le nouveau régime de l’indépendance mexicaine et surtout pour la sortir de « l’archaïsme de l’ancien ». Un marchand habitué au commerce de la côte californienne, Narváez, essaie de convaincre ses interlocuteurs : « sans ces organes [de la députation et des conseils municipaux], rien n’avancerait et la province resterait dans la même ignorance ». Même s’« il est clair qu’il n’y a pas dans la province de sujet capable d’exercer le haut mandat de conseiller », « il faut bien commencer un jour, et ceux-ci vont se former et s’éduquer sur tous les aspects du développement de leur province ».
« Pour peu qu’ils s’y mettent maintenant, rassure-t-il, vous verrez comment d’ici peu d’années cette magnifique province prendra un nouvel aspect, qu’elle ne peut espérer avant un siècle si elle reste gouvernée par le même système du passé, inique, qui nous a fait verser tant de larmes en ancienne comme en nouvelle Espagne16. »
10Pablo Vicente de Solá, de la Guerra et les missionnaires ne sont pas convaincus, ce qui n’empêche pas Fernández de procéder à l’élection des membres du conseil. Tenant compte des arguments sur le faible nombre des candidats potentiels, il autorise les électeurs (élus à deux degrés par leur district) à s’élire eux-mêmes conseillers, ce qu’ils font largement (élections sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir). Concernant le gouvernorat, avant l’arrivée de Fernández, il était acquis parmi les officiers californiens que le successeur logique de Solá (élu député) serait l’officier le plus gradé présent dans la province, le commandant de Santa Barbara José de la Guerra17. Mais l’envoyé du gouvernement estime que, sa mission étant de s’assurer de la loyauté de la Californie, permettre à un officier né en Espagne et qui a professé sa loyauté à ce pays jusqu’au dernier moment – au point d’éviter semble-t-il d’être présent à Santa Barbara lorsqu’il fallut prêter serment – de prendre la tête du territoire serait enfreindre l’esprit de ses instructions18. La préférence de Fernández pour le rôle de « gefe politico y comandante militar » – la nouvelle dénomination du gouverneur – s’oriente plutôt vers le capitaine Argüello, commandant de la compagnie de San Francisco, le même qui avait élevé la voix en faveur de la reconnaissance de l’indépendance au printemps 1822. Fils d’un gouverneur par intérim et natif du pays, il peut sembler à Fernández un meilleur choix pour le gouvernorat que José de la Guerra19.
11Les officiers conservant leur préférence pour de la Guerra, qui fait presque l’unanimité parmi eux, Fernández doit imaginer d’avoir recours au nouveau conseil provincial pour faire élire le gefe politico, ce qui donne un important rôle politique à ce conseil et montre que le commandement de la province n’est plus simplement une affaire militaire. Or cette innovation paraît dangereuse : le fait qu’Argüello fasse campagne auprès des conseillers pour obtenir leur vote est perçu comme une manipulation : la compétition électorale n’est pas considérée comme légitime et tout juste élus, les conseillers sont déjà attaqués sur le plan de leur honnêteté20.
12Comme la critique contre les conseillers remet aussi en cause sa légitimité, Argüello défend la nouvelle institution avec vigueur dans une proclamation solennelle : « celui qui se rendra coupable en public ou en privé de manques de respect, critiques et médisances… sera châtié sévèrement ». Il y insiste sur le trouble à l’ordre public que de telles conversations occasionnent, semant le doute et la discorde21 : attaquer le conseil provincial ou les conseillers, c’est s’attaquer au gouvernement, à l’indépendance, faire preuve d’insubordination. Dans un contexte où la mention de l’adhésion à l’indépendance doit-être ajoutée aux feuilles de service des soldats demandant leur avancement ou leur mise à la retraite, la menace de la dénonciation comme opposant au régime prend un sens très concret22. En défendant les conseillers, et se présentant comme le premier d’entre eux, et président du conseil, il donne à la fois du poids à l’institution et affirme le lien qui les lie au gouvernement mexicain et leur donne l’autorité.
13On voit d’ores et déjà comment, avec les premières décisions du gouvernement à Mexico et le passage du chanoine Fernández, son envoyé, apparaît une volonté de reprise en main d’un territoire perçu comme n’ayant pas fait sa révolution. Cette reprise en main rencontre une forte opposition dans la mesure où les mesures envisagées vont à l’encontre de pratiques bien installées et jugées nécessaires par des acteurs locaux invoquant la spécificité des circonstances californiennes. Mais ces nouvelles ressources sont aussi saisies par certains et intégrées dans des rapports de forces locaux et préexistants.
Coloniser et développer le territoire national
14Nous avons vu dans la première partie de ce chapitre les efforts du gouvernement pour s’assurer du maintien de la Californie dans son territoire, y affirmer sa souveraineté et son projet politique nouveau. Au fil de leur enquête, gouvernement et employés reconstituent un stock de connaissances au sujet de la Californie. Le chanoine Fernández et le désormais député Solá, partis de Californie à la fin de l’année 1822 apportent des informations supplémentaires à leur arrivée à Mexico, probablement vers mai-juin 1823, soit précisément au moment d’une grave crise politique qui touche le nouvel empire23. Pendant le séjour du chanoine Fernández en Californie en effet, le 31 octobre 1822, Iturbide, empereur depuis le mois de mai suite à l’échec pour trouver un monarque européen, décide de dissoudre le Congrès constituant et de le remplacer par un conseil restreint de personnalités dociles issues de celui-ci. Cet événement, ainsi que plus globalement la cristallisation d’une opposition républicaine à Iturbide, conduit à une rébellion menée par les généraux Antonio López de Santa Anna et Vicente Guerrero, deux artisans de l’indépendance qui dans une proclamation publique, le plan de Casa Mata, demandent la réinstallation du Congrès24. Le 19 mars 1823 prend formellement fin le premier Empire avec l’abdication d’Iturbide. Une fois le gouvernement rassuré au sujet de la loyauté de la province, à partir du mois de juillet 1822, la question californienne se fait moins pressante, et lorsqu’elle est abordée au Congrès ou au sein des divers bureaux des ministères, c’est dans le contexte de questions plus larges, à l’échelle nationale ou régionale.
Une Californie sous l’empire de « l’ancien système »
15Dans les années 1820, qu’il s’agisse de connaissances étayées ou de représentations, la Californie semble depuis Mexico une province allégorique de l’ancien régime et du despotisme du fait de la présence sur son territoire à la fois des missionnaires espagnols et des Russes25. Ces représentations semblent confirmées par les faits : les Californiens n’ont-ils pas élu comme député leur ancien gouverneur espagnol, qui s’était opposé à l’indépendance ? Les membres du Congrès refusent de l’intégrer au sein de leur assemblée à ce titre, et en se souvenant de sa répression contre l’insurrection à Valladolid26. Par le choix d’un tel député, les Californiens se montrent particulièrement impropres à se gouverner.
16C’est donc sans représentant haut-californien que le Congrès travaille, y compris sur des questions qui concernent la province. Afin de pallier cette difficulté, on rappelle pendant les débats que « chacun des députés représente toute la nation et est dans l’obligation de veiller à la félicité de toutes les provinces sans distinction ». Par conséquent « ils ne se trouvent pas dans l’obligation d’attendre des instructions » précise de chacune des provinces, d’autant plus que « leurs pouvoirs ne les lient pas à ces instructions ». Un député de Sinaloa (sur la côte Pacifique, avec laquelle les échanges avec la Californie sont les plus intenses), Martinez de la Vea, confirme « qu’il a l’instruction nécessaire de ces provinces [californiennes], par connaissance personnelle et par les relations qu’il avait eues et a toujours dans celles-ci ». Il pourrait ainsi « répondre à tous les doutes qui surviendraient27 ». Ce procédé a pour conséquence de permettre aux députés, conformément à l’image qu’ils se font de la lointaine province, de se fonder sur leur propre évaluation du bien de la Californie et de l’empire, et dans les faits de la gouverner sans participation aux délibérations d’un de ses représentants. La frontière nord est le lieu par excellence pour le gouvernement et les réformateurs pour projeter les promesses de l’indépendance. Les missionnaires et parfois les militaires sont les archétypes d’un ancien régime à dépasser, tandis que la Californie offre un laboratoire de leur volonté modernisatrice. On le verra cependant, sur les terrains les choses ne sont pas aussi faciles que dans les plans à distance.
17Si les missionnaires sont dénoncés comme des tenants de « l’ancien système », ce n’est pas seulement parce qu’on craint leur loyauté à l’Espagne au moment de l’indépendance. Dès les premiers temps de la période nationale, on reprend des arguments déjà énoncés au moment des réformes bourboniennes tout en critiquant la période coloniale pour mieux mettre en valeur ce qui peut être fait par le nouveau gouvernement. On souligne « le danger que courent nos possessions de la Haute Californie… qui restent dans l’état d’abandon répréhensible dans lequel le gouvernement péninsulaire [espagnol] les a considérées. […] Si le gouvernement ne se charge pas du développement de la Haute Californie… et n’augmente pas sa population en la mettant en état de se défendre et se protéger », « elle sera la proie des Russes, des Anglais ou des Nord-Américains ». À cette fin, il faut faire sortir la Californie d’un « ancien système », où « il n’a pas été permis au soldat de s’installer avec sa famille après la fin de son service par la concession d’un petit terrain afin qu’il développe l’élevage de bétail ». « Cette interdiction, indique-t-on, a été inévitablement du fait des missionnaires toujours jaloux de toute propriété qui ne tombe pas entre leurs mains28. » Dans la perspective de trouver des solutions différentes de l’ancien régime espagnol, ce sont des modèles étrangers qui sont évoqués du fait de leur apparent succès, à une époque, celle que les historiens ont appelé le « méridien impérial » où émergent de nombreux questionnements concernant l’avenir des empires après les révolutions29. Les deux exemples explicitement évoqués par le gouvernement ou les députés sont l’Angleterre et les États-Unis. La première, malgré l’indépendance des deuxièmes, a en effet trouvé des ressources pour renforcer et renouveler son empire, notamment en Australie et en Inde. Les États-Unis, eux, se trouvent dans une situation politique et territoriale proche du Mexique, notamment concernant les populations autochtones et semblent rencontrer un certain succès puisque depuis leur indépendance ils ont déjà admis une douzaine de nouveaux États. Les Mexicains sont du reste aux premières loges pour observer ce succès puisqu’il se produit à leurs portes, même s’ils s’en font un portrait idéalisé qui minimise les difficultés rencontrées et les conflits : par une « transformation quasi magique », « des déserts, constamment exposés aux invasions barbares se sont transformées en quelques années en provinces peuplées et florissantes », observe le ministre des relations intérieures et extérieures Lucas Alamán devant le Congrès pour inciter les députés à suivre ce modèle et « fournir à [leur]patrie de similaires avantages30 ». Les pratiques espagnoles, assimilées à la « conquête » par des « militaires cruels » ou des « missionnaires ignorants » sont condamnées au profit de nouvelles pratiques inspirées, à tort ou à raison, des Britanniques et Étatsuniens : alliances, commerce, « bienveillance et douceur » des missionnaires protestants31.
18Ainsi le ministre suggère en 1823 d’utiliser le « fonds pieux des Californies » pour toute politique de développement de la province et pas seulement pour le financement des missions (dont c’était la fonction initiale). Selon lui, « il est nécessaire de commencer à voir avec un intérêt nouveau la vaste et fertile péninsule des Californies » :
« Si le système des missions peut être considéré comme le plus approprié pour sortir de la barbarie les sauvages qui parcourent les bois sans aucune idée de religion et de culture intellectuelle, ce système n’est utile que pour mettre en place les premiers principes de la société et non pour conduire les hommes jusqu’à sa perfection. Rien n’est plus approprié pour l’atteindre que le ressort puissant de la propriété32. »
19Le projet d’Alamán est donc de privilégier la colonisation par la distribution de lopins de terre aux populations locales comme à des colons. Les premiers seraient civilisés et pacifiés grâce à l’un des outils favoris des libéraux, la propriété privée, et la présence croissante des seconds qui en profiterait également. Bien que d’un côté les artisans de l’indépendance mexicaine rejettent la colonisation espagnole, la colonisation intérieure, à l’initiative du gouvernement national, est favorisée. Ce qui peut sembler un paradoxe est en fait au cœur des questionnements du méridien impérial : si d’un côté les Américains (au sens large) critiquaient la « colonialisation » des monarchies, c’est-à-dire une infériorisation des territoires américains, subordonnés et mis au service des Européens, de l’autre le terme de « colonie » (au sens d’un établissement de colons) n’était pas complètement proscrit au moment des indépendances33. C’est effectivement ce que l’on constate avec le cas mexicain, qui montre également que ces débats ne touchaient pas seulement les formations impériales classiques mais aussi les héritiers des empires, les États-nations indépendants américains. Pour ses défenseurs, ce qui distinguerait la colonisation de peuplement des anciennes formes d’impérialisme, c’est qu’elle serait une forme de redistribution et non une forme d’extractivisme ou d’exploitation. Dans les débats concernant l’Algérie par exemple, par opposition aux colonies d’ancien régime, le « bon colon » devait aller en Algérie non pour s’enrichir rapidement par l’exploitation d’esclaves, mais, en fondant une colonie agricole à l’image des Grecs et des Romains, « agrandir leur propre pays34 ». Dans le cas de la frontière nord du Mexique, le remède pour rompre avec un modèle ancien et cruel de conversion, de pacification et de travail forcé pour « civiliser les Indiens barbares », serait « l’augmentation des habitants ». Bien qu’il s’agisse, contrairement à l’Algérie, d’une colonisation interne, en réalité les problèmes posés par une telle politique ne sont pas si différents, ce qui n’empêche pas les réponses de l’être. S’agissant du territoire national, le travail de légitimation est moindre, à la fois du point de vue de l’opinion intérieure et des relations internationales (même si les États-Unis auront beau jeu, un peu plus tard, d’affirmer que la faiblesse d’exploitation de ces territoires par le Mexique est un argument pour les lui prendre). Cependant, la Haute-Californie étant quasiment un territoire d’outre-mer, joignable presque uniquement par navire, les difficultés logistiques n’en sont pas tellement réduites. Mais comme ailleurs, un aspect majeur du débat est le recrutement des colons et de l’identification des meilleurs candidats. Le but principal est en effet de développer la province pour qu’elle contribue à l’enrichissement du pays et pour mieux l’y arrimer. Pour cela, deux solutions : des migrations internes, avec le recrutement de colons mexicains, ou l’immigration. Pour la première, le ministre propose de s’inspirer d’une pratique britannique, la déportation de condamnés, en faisant, comme eux avec l’Australie, de « la distance » un « avantage », pour éloigner les criminels et les transformer en « cultivateurs utiles à la Nation, de bons pères de famille, de bons résidents [vecinos] et enfin, de bons citoyens35 ».
20Cette solution a rencontré davantage d’opposition en Haute-Californie qu’au Mexique où, bien que certains aient pu considérer que les prisonniers ne feraient sans doute pas les meilleurs colons, on pouvait se résigner à une solution de facilité. On peut noter là encore que les mêmes débats parcouraient les sociétés britanniques et françaises concernant un tel recrutement : éloigner les indésirables était certes utile pour la métropole, mais ne garantissait pas le succès de la colonisation. Le ministre suggère aussi le recrutement de colons étrangers, peut être asiatiques, pour tirer profit des liens préexistants entre la monarchie espagnole et l’Asie ou des échanges qui se développent à cette époque entre les côtes américaine et asiatique du Pacifique36. Il espère aussi peut-être, du fait de la distance, que des colons d’une telle origine pourraient être moins dangereux pour l’intégrité du territoire national que des colons étatsuniens.
21Dans tous les cas, le ministre préconise une loi de colonisation afin de fixer les règles d’une telle installation, car entre-temps s’établissent de « nombreux étrangers qui n’observent aucun ordre et sans que la Nation en tire tout le profit qu’elle pourrait ». Or c’est bien l’enjeu, celui de développer « le riche commerce dont [la Californie] doit être un jour le centre » avec « la multitude et l’excellence de ses produits agricoles » et « les secours qu’elle peut donner », au profit de la nation mexicaine et non des « puissances étrangères » qui lui « portent des regards envieux37 ». L’encouragement de l’immigration pour développer le pays et en particulier ses frontières suggéré par Lucas Alamán ne fut pas sans susciter des débats. Si l’immigration permet de renforcer une population et donc l’occupation et le développement d’un territoire, elle recouvre aussi des enjeux raciaux et peut poser la question de la loyauté nationale. Ainsi, au Brésil ou encore en Argentine, l’immigration européenne fut promue aussi comme un moyen de blanchir la population. Le Mexique n’échappa pas à cette réflexion, mais concernant les zones périphériques, on se posait aussi la question de la pertinence d’accueillir en grand nombre des colons étatsuniens, qui avaient montré leur dynamisme mais dont la loyauté risquait d’être discutable, sans compter leur recours aux esclaves, une institution que le Mexique s’était engagé à abolir comme contraire à l’esprit de l’indépendance, mais qui se développait au Texas à la faveur de l’immigration étatsunienne38.
22L’ensemble des problématiques liées à la frontière nord est en effet polarisé par la question du Texas, et peut s’avérer en décalage avec les enjeux californiens. C’est là encore un héritage de la monarchie : la genèse de la politique d’immigration et de colonisation mexicaine est en effet à situer dans le cadre d’une concession faite à l’entrepreneur de colonisation étatsunien Moses Austin en janvier 1821, soit juste avant l’indépendance, dans le but de consolider le Texas contre les Comanches. Après l’indépendance, la province de Coahuila et Texas confirme la concession en signant un contrat avec le même Austin. Le langage des contrats et des lois élaborés à l’échelle locale sont ensuite repris dans le décret impérial de régulation de l’immigration de janvier 1823, et le séjour du fils de Moses Austin, Stephen, à Mexico n’y était pas étranger ; il s’agit en effet pour lui de faire valider la concession de son père, dans les mêmes termes39. Ce décret est le fruit du travail d’une commission sur la colonisation du Congrès constituant, focalisé sur le cas du Texas40. La chute d’Iturbide rendit caduque ce règlement, mais le nouveau Congrès Constituant travailla sur une nouvelle loi, votée le 18 août 1824. Afin de rendre possible cette immigration qui est dans les faits celle de planteurs venant avec leurs esclaves, une série d’aménagements à l’interdiction de l’esclavage fut adoptée dans les années 1820, à l’échelle fédérale et de l’État de Coahuila y Tejas. Alors que dans les débats sur la colonisation nouvelle l’esclavage est en général un point de débat incontournable, on constate au Mexique un évitement de cette question. Le Mexique avait eu des esclaves noirs dès le début de la période coloniale, et même s’ils n’avaient pas eu la même importance que dans d’autres colonies, ils représentaient un nombre significatif, notamment dans les régions côtières et dans le Nord, un phénomène qui s’accentua avec la colonisation étatsunienne au Texas. Pendant l’insurrection, les meneurs indépendantistes s’engagèrent plutôt contre, des décrets d’abolition étant pris dès 1810. À l’indépendance, les documents fondateurs vont dans ce sens (même si, comme on le voit aux États-Unis, les discours sur l’égalité et la liberté ne suffisent en rien), la traite est rapidement abolie tandis que les esclaves de plus de 14 ans sont affranchis et la plupart des États fédérés abolissent formellement l’institution. Pour résumer, l’abolition de l’esclavage n’est pas un thème qui est mis sur le devant de la scène dans le débat public, parce que pour la plupart des territoires la question ne se pose plus, alors qu’au Texas elle se pose de manière aiguë, confrontant les dirigeants mexicains à la difficulté de ne pas vouloir affirmer de manière trop retentissante le caractère pionnier de leur abolitionnisme (et donc de leur caractère libéral et moderne) avant les années 1840, alors même que le Mexique devient l’un des échappatoires des esclaves étatsuniens fugitifs41.
23La loi de colonisation, conçue, donc, pour le Texas, ne réglait pas la question californienne ; malgré l’apparence d’enjeux proches autour de la défense de la frontière nord, ce qui y posait problème était différent, du fait de la place des missions dans la question foncière. La loi statuait en effet que les terres des corporations (et donc des missions) ne pouvaient être colonisées, car elles n’étaient pas publiques. Si le modèle étatsunien d’une colonisation par l’acquisition par l’État fédéral des terres amérindiennes semble attractif, il ne fonctionne pas en l’état pour le Mexique où les Amérindiens, citoyens, sont toujours réputés propriétaires en commun de leur terre. La solution de faire cohabiter colons et Amérindiens pour développer la frontière est donc souhaitable et idéale du point de vue du gouvernement mais rencontre des difficultés dans son application. Si cela est envisageable au Texas et au Nouveau Mexique où les missions n’occupent pas un rôle de premier plan, les missionnaires constituent paradoxalement (puisqu’ils sont vus comme l’emblème du système colonial) un obstacle à la colonisation en Californie comme défenseurs de la propriété foncière des Amérindiens qu’ils ont christianisés. Si la sécularisation des missions n’est pas en théorie une solution au problème, puisque les terres devraient être distribuées aux Amérindiens, elle pourrait du moins lever le verrou du contrôle des missionnaires et donner les clés du foncier au gouvernement. Il faut donc institutionnaliser le pouvoir du gouvernement de Mexico sur cette province et ses terres, ce qui est fait entre autres par la création du statut de « Territoire » dans la constitution fédérale de 1824.
Le « Territoire » constitutionnel : un statut colonial ?
24Nous avons vu que la Californie est perçue comme une province encore sous « l’ancien système », dont le représentant se voit interdit de siéger au Congrès du fait de son opposition à l’indépendance. Au moment où le Mexique travaille sur une constitution fédérale, que faire de cette frontière, et qu’est-ce que cela nous révèle sur le fédéralisme mexicain ? Les historiens sont revenus largement sur l’interprétation qui faisait de la constitution fédérale de 1824 une simple copie de la constitution des États-Unis, sous l’influence de l’ambassadeur des États-Unis Joel Poinsett. En effet, ils ont remis en avant le rôle des provinces pour faire adopter le fédéralisme42. Néanmoins, il est un point sur lequel l’emprunt au modèle étatsunien est tout à fait explicite, c’est celui de l’introduction de la notion de « territoire » constitutionnel.
25Cette notion apparaît lors de la discussion de l’article 7 de l’Acte constitutif qui énumère les États reconnus et y ajoute des « territoires », « immédiatement sujets aux pouvoirs suprêmes [de la Fédération43] », dont les Californies. Chaque État doit être approuvé nominativement pour entrer dans cette liste, ce qui pose d’emblée la question des critères pour être accepté comme tel. On pourrait penser que comme dans le cas des colonies étatsuniennes, la transition de colonie (ou province) à État était passablement évidente ; en réalité, même pour les États-Unis la question s’est posée ponctuellement, avec des divisions d’États intervenues dans les premières années de l’indépendance, sans oublier la question de leurs terres situées à l’ouest qui finissent dans le giron fédéral. Dans le cas mexicain, l’indépendance étant déclarée à l’issue du processus et notamment après toute une période de réorganisation de la monarchie pendant les troubles révolutionnaires, la vacance du pouvoir et l’application différenciée de la Constitution de Cadix suivant les provinces, la question de ce qui fait un État n’est pas si évidente. Dans certains cas, les députés doivent trancher entre plusieurs propositions concurrentes. Quant aux Californies, elles mettent en évidence la complexité de penser le rapport à ces provinces qui ne se sont pas constituées comme États et ne correspondent donc pas au modèle du pacte fédéral d’États souverains. Elles obligent à se poser la question de ce qui fait un État idéal, sa taille, sa cohérence et sa solidarité interne, par contraste avec l’idée d’une communauté naturelle et indisponible, habituelle dans la monarchie pour penser aux pueblos.
26Dans le projet initial soumis par le gouvernement, les Californies sont rattachées à un État d’Occident (issu de la division militaire des Provincias Internas de Occidente). Certains députés, comme Ramos Arizpe, y sont favorables pour rendre cet ensemble plus résistant contre les ambitions russes ou d’autres puissances étrangères sur la région. La réunion des Californies à Sonora et Sinaloa permettrait « qu’ensemble elles forment un État robuste et qu’elles aient un gouvernement proche, capable de veiller sur la sécurité et la prospérité de ces régions ». Mais, ajoute-t-il, la « confédération, intéressée par ces questions, et principalement pour éviter toute invasion étrangère pourra, et même devra aider cet État avec le nécessaire pour payer les troupes et pour les travaux nécessaires à son développement ». Un autre député propose une variante, avec la formation de deux États (Sonora-Alta California et Sinaloa-Baja California) afin que chacune des provinces plus développées (Sonora et Sinaloa) puisse respectivement prêter secours à celles qui l’étaient moins (les Californies). Ces deux solutions permettent de n’avoir que des États au sein de la fédération. La défense des frontières, une attribution fédérale, implique néanmoins une responsabilité de cet échelon.
27Pour d’autres, ni la Sonora, ni la Sinaloa ne sont elles-mêmes suffisamment fortes pour soutenir les Californies. Aussi, le député (et futur vice-président) Gómez Farías propose-t-il d’en faire des « territoires directement soumis au gouvernement de la fédération, jusqu’à ce qu’elles aient les qualités requises pour être des États, comme c’est la pratique en Amérique du Nord44 ». Ce député, un républicain et fédéraliste qui défendait par ailleurs la souveraineté pleine des États au sein du pacte fédéral, préconisait ici un statut sous tutelle du gouvernement fédéral, d’une part parce qu’il était aussi par ailleurs un fervent défenseur de l’intégrité du territoire et de l’encadrement de l’immigration, et d’autre part parce qu’il était un admirateur des États-Unis.
28Les contemporains et les historiens postérieurs ont longtemps relevé les similitudes entre la constitution fédérale mexicaine de 1824 et celle de leur voisin septentrional. Leurs arguments reposaient à la fois sur une comparaison des constitutions, sur un diagnostic d’échec a posteriori de la part des politiciens modérés, qu’ils expliquaient par une constitution importée et inadaptée, et sur l’influence qu’aurait eu l’envoyé des États-Unis à Mexico, Joel Poinsett45. Plus récemment, on a montré les logiques propres de l’adoption du fédéralisme au Mexique, notamment comme héritage de l’assemblage monarchique d’ancien régime (ce qui est parfois appelé la « constitution historique ») et des pratiques issues de l’adoption de la constitution de Cadix, de l’acéphalie des guerres et des désordres de l’insurrection46. Le débat parlementaire que nous venons d’évoquer permet d’envisager une position intermédiaire : il montre en effet que sans qu’on puisse considérer que la constitution des États-Unis ait joué le rôle de calque, les parlementaires et le gouvernement mexicains ont décidé de tirer parti d’une expérience qui les précédait et d’étudier les solutions expérimentées par d’autres empires cherchant à développer leurs marges et qui rencontraient un certain succès, qu’il s’agisse de l’Angleterre ou des États-Unis. Cela étant, ils s’en font souvent des représentations idéalisées par des connaissances limitées. Par exemple, si on prend le débat sur les Territoires et la colonisation, Alamán comme Gómez Farías ou Ramos Arizpe semblent ignorer les problèmes qu’ont pu poser ces questions et qui pourtant ont traversé l’histoire des jeunes États-Unis au moins jusqu’à la guerre de Sécession, au sujet de la souveraineté dans les Territoires notamment.
29Les parlementaires mexicains optent pour cette solution du « Territoire » pour chacune des Californies (qui deviennent respectivement Haute et Basse dans la liste des États et Territoires de la fédération) mais cette décision n’épuise pas le débat, justement sur cette question de la souveraineté et de la représentation. Certains députés mettent en avant que ce sont bien les États, souverains, qui constituent la nation et en sont membres dans un cadre fédéral et non les citoyens. Dans cette perspective, les Territoires ne devraient pas particulièrement jouir des mêmes droits, notamment celui d’envoyer des députés au Congrès. D’autres soulignent au contraire que les droits des citoyens de ces Territoires devraient être égaux aux citoyens des États. Ortiz de la Torre, représentant de la Basse-Californie, invoque le précédent impérial, quand les provinces américaines avaient envoyé des représentants en Espagne sans être déjà des États. On lui rétorque que ce n’est pas comparable, car les provinces n’avaient pas ce droit en soi, mais dans le cadre d’un pacte social, désormais renouvelé dans le cadre de la république fédérale mexicaine. Afin de répondre à l’accusation d’inégalité qui semble viser le statut même de Territoire, ils sont comparés à des enfants mineurs, dont le gouvernement fédéral aurait la tutelle (par opposition au modèle féodal du vassal)47.
30Ces débats rappellent tout à fait ceux qui ont traversé le Congrès étatsunien dans les années 1784-1787 au sujet des territoires à l’ouest des ex-colonies que ces dernières, devenues États, avaient cédées au domaine public fédéral. Comme au Mexique, les parlementaires avaient d’abord tenu à s’assurer que ces territoires pussent jouir, au moins à terme, d’une forme d’égalité avec les États initiaux. Cela correspondait à leurs idéaux politiques, mais aussi, pensaient-ils, était-ce un moyen d’inciter les colons à s’y installer. Dans les premières ordonnances, les territoires à l’ouest étaient donc considérés eux aussi comme des États dès les premiers établissements de colons. Cependant, il apparut rapidement aux parlementaires que la priorité des personnes qui faisaient le projet de s’installer sur place était principalement leur sécurité et l’assurance que leurs titres de propriété seraient reconnus et effectifs, ce qui impliquait en retour d’y organiser une forme de gouvernement dès le départ, envisagée explicitement comme « temporairement colonial ». L’objectif restait d’atteindre un statut d’égalité dès que la population serait suffisante. Au-delà du principe, les membres de la commission chargée de réfléchir sur le sujet, ainsi que les observateurs et les parlementaires, se posaient la question de la dimension concrète de cette égalité, en termes de taille et de seuils de population par exemple. Plus les seuils étaient élevés, plus longue serait la période temporaire de gouvernement par le Congrès, mais des seuils trop bas seraient à l’origine d’États inégaux aux premiers car moins peuplés.
31À partir de 1786, on commence donc à concevoir l’idée d’une étape précédant celle d’État : l’établissement de colons ne suffit pas à faire État. On constate en effet que, par exemple, le Nord de l’Ohio est loin de se peupler aussi rapidement que les territoires occidentaux les plus proches des anciennes colonies, ruinant ainsi les plans d’enrichissement de la fédération par une vente lucrative des terres fédérales. Le peuplement de l’Ouest étatsunien n’était donc pas aussi « magique » que ne l’imaginait Lucas Alamán et le choix du statut « temporairement colonial » était une solution aux difficultés de peuplement dans l’Ohio, dues en partie à des lourdeurs administratives mais surtout à la légèreté d’un État là où il paraissait particulièrement nécessaire, notamment à cause de la présence des « sauvages », qu’ils soient autochtones ou Euro-américains48. C’est donc bien le même dilemme que se posent les Mexicains et les Étatsuniens : d’un côté, s’assurer de la construction d’un nouvel État qui corresponde à leur vision politique, de l’autre, s’assurer du développement et donc du peuplement de leur territoire. Si dans un premier temps, le rôle de l’État fédéral paraît indispensable, ce choix de la tutelle territoriale n’est pas sans introduire des ambiguïtés que nous pourrons constater en Haute-Californie mais dont les États-Unis ne sont pas exempts, comme le montrent un certain nombre de résistances liées au statut de Territoire, qu’on constate dès 1788 et tout au long du xixe siècle.
32Au départ, dans la constitution fédérale mexicaine, les Territoires ne sont pas dotés d’une constitution propre, comme c’est le cas des États fédérés. Afin de travailler plus précisément aux modalités de la transition vers le nouveau régime, le gouvernement réunit une commission sur le développement de la Californie (Junta de Fomento de Californias) dont ce serait le rôle. Cette commission est un héritage de la période coloniale, ressuscité en compagnie du rapport rédigé par Francisco de Paula Tamariz sur la Californie qui date de 181449. Au sein de la Commission, qui comprend vingt membres et deux secrétaires, on trouve des grands hommes de l’indépendance mexicaine ayant participé par exemple aux travaux des Cortes à Cadix en 1812-1814, aux Congrès constituants après l’indépendance, ou encore aux commissions de colonisation. S’y ajoutent des bons connaisseurs de la Californie : d’une part, justement, l’auteur du rapport de 1814, Francisco de Paula Tamariz, et d’autre part l’ex-gouverneur Pablo Vicente de Solá, qui vient de se faire refuser l’entrée au Congrès en tant que député, ou encore des experts de la frontière nord, ayant occupé des postes en Sonora ou à la tête des Provinces intérieures de l’Ouest, et un ex-habilitado general.
33Comme son nom l’indique, la commission doit faire des propositions larges pour développer et tirer profit de ce territoire dont les observateurs s’accordent à faire l’éloge. On ne cherche donc pas à dessiner un système de gouvernement pour tous les Territoires constitutionnels à la fois comme l’Ordonnance du Nord-Ouest étatsunienne. Au contraire, le gouvernement adopte une démarche ciblée, marquant l’importance de ce territoire aux yeux du gouvernement, mais disons-le d’emblée, cette démarche volontariste rencontre ses limites : les propositions de la commission ne sont jamais transformées en législation. Dans l’attente, puis en l’absence d’une constitution propre conçue par cette commission (et non par les Hauts-Californiens), le gouvernement fédéral joua malgré tout tant bien que mal son rôle de tutelle. Le territoire était dirigé par un gouverneur, appelé désormais jefe politico, nommé par le gouvernement mexicain. Il s’agissait d’un militaire gradé, car la fonction était toujours associée à celle de commandant militaire des troupes des compagnies basées dans les forts, comme pendant la période coloniale du reste. Il n’était pas nommé pour une période donnée, le gouvernement décidait de son rappel et de la nomination de son successeur.
34Le premier gouverneur titulaire de la Californie mexicaine est nommé au mois de janvier 1825, peu après la remise de la proposition d’instructions pour celui-ci par la Commission. Le premier choix des membres de la Junta était l’auteur du rapport de 1814 sur la Californie, le navigateur Tamariz, mais son origine espagnole a pu constituer un obstacle à sa candidature auprès du gouvernement50. La nomination de José María Echeandía, l’un des fondateurs du collège des ingénieurs militaires mexicains, suggère que le gouvernement comptait sur ses compétences pour améliorer les fortifications, nécessité fréquemment plaidée par les gouverneurs et les visiteurs, ainsi que d’arpenter des terres peu connues ou d’améliorer les voies de communication51. Nous verrons dans les prochains chapitres son rôle important pour définir les contours d’une Haute-Californie mexicaine.
35La politique mexicaine des premières années met en évidence d’une part la volonté de rupture par rapport à la période coloniale, et d’autre part les impératifs de construction territoriale. Le gouvernement, les députés et les auteurs de rapports désiraient promouvoir une immigration qui permette de renforcer l’intégration du territoire. Mais les difficultés rencontrées en Californie pour remplir ce programme pensé à Mexico agrandit le fossé entre les attentes du gouvernement et les réalisations sur place, mettant ainsi en évidence les limites du pouvoir central et les nécessités de composer localement.
Que faire des missionnaires espagnols dans la République ?
36À partir de 1825, après un soulagement temporaire à Mexico au sujet de la Californie, le problème de la loyauté de ce territoire se pose à nouveau, lorsque les missionnaires refusent de prêter serment à la constitution républicaine, ou même de célébrer des messes à l’occasion de sa proclamation et pour les fêtes nationales. Cette décision va à l’encontre de l’attitude et des ordres de leurs supérieurs du collège de San Fernando, mais est à interpréter à l’aune des développements à la fois locaux et nationaux entre 1822 et 1825. Pour les missionnaires californiens, prêter serment à la république est vu comme une forme de parjure par rapport à leur engagement envers le roi d’Espagne ; de plus, la République est perçue comme ennemie de la religion52.
Garder le contrôle
37Dès 1822 les missionnaires constatent que leur marge de manœuvre et leur autonomie risquent d’être réduites par les nouvelles institutions et pratiques mises en place par le chanoine Fernández. Nous le reverrons plus en détail dans le chapitre suivant, mais les Californiens, notamment les populations autochtones, virent immédiatement comment faire évoluer les pratiques des missionnaires, et notamment les châtiments corporels, en s’appuyant sur le nouveau gouvernement. L’organisation d’élections et du conseil provincial avait aussi été décidée, comme on l’a vu, contre l’avis des officiers locaux et des missionnaires. Le commandement militaire avait toujours essayé de se mêler des décisions concernant les missions, mais l’organisation de la députation donne une nouvelle ressource au gouverneur pour cela, comme l’illustre l’affaire du déplacement de la mission de San Francisco. Lors de son passage, le chanoine avait décidé avec le préfet des missions Mariano Payeras et le gouverneur Argüello de déplacer la mission de San Francisco car le site était jugé trop stérile et insalubre53. L’application de la Constitution de Cadix et la législation de l’époque suggèrent de faire valider le changement par le conseil provincial, qui est en charge de la supervision des missions dans les « territoires outre-mer ». Le père Altimira, en charge de la mission, présente donc le projet de transfert au conseil provincial le 23 mars 1823. Il s’agit non seulement de déplacer la mission de San Francisco mais également une mission annexe, l’assistance de San Rafael, située plus au nord et qui en dépend. Mais le missionnaire responsable de cette assistance, le père Amorós, s’oppose quant à lui à ce déplacement en soulignant l’engagement pris auprès des populations locales. Bien que cela ait été fait sur proposition d’Altimira, le missionnaire rend responsable de cette décision le gouverneur et le conseil provincial54. En retour, le gouverneur en fait une question de respect des autorités : « L’autorité politique, appuie-t-il, ne peut pas être ainsi méprisée55. » On voit bien une crispation autour de la prise de décision et du contrôle des missions.
38Les réformes envisagées par le commissaire du gouvernement Fernández puis le gouverneur Argüello et le conseil provincial engagent les missionnaires à élaborer leur stratégie de réponse à la nouvelle situation. Les missionnaires prennent le parti, dans leur discours du moins, de ne pas rejeter en bloc les nouvelles institutions mais cherchent soit à démontrer en quoi elles ne touchent pas leurs prérogatives, soit à les utiliser, ainsi que les nouveaux idéaux proclamés, à leur avantage. Ils développent trois fils argumentaires liés à la nouvelle situation issue de l’indépendance : 1) la réforme des missions est du ressort du gouvernement supérieur et non du gouvernement local comme cela est prétendu ; 2) les Indiens, devenus citoyens, ont d’autant plus le droit à la protection de leurs terres (par le biais des missions) ; 3) l’indépendance ne change en rien la situation locale, c’est-à-dire la menace des attaques et révoltes autochtones en Californie.
39D’après eux, au-delà du changement nominal, c’est au niveau de la monarchie que s’est organisé le système des missions en Californie, et c’est donc au nouveau pouvoir national qui en est l’héritier de prendre la main, une manière de temporiser et d’éloigner la décision des colons et vétérans qui d’après eux veulent acquérir les terres et siègent au conseil provincial. Afin de contourner le texte législatif qui donne à ce conseil un rôle dans la supervision des missions d’outre-mer, les missionnaires l’interprètent dans un sens limitatif : il a le devoir de veiller et faire des propositions, mais c’est au gouvernement mexicain qu’il appartient de prendre les décisions en dernier ressort56.
40Ensuite, pour les missionnaires, l’indépendance, en faisant des populations autochtones des citoyens, renforce plutôt qu’elle n’affaiblit les revendications des missions, qui se présentent comme les protectrices de leurs droits, et ce malgré l’hostilité des gouvernements à ce mode de colonisation. Par exemple, un des arguments du père Sarría à Argüello pour s’opposer à la fondation d’un fort à Sonoma est que les néophytes, en théorie désormais des citoyens libres et égaux, allaient être forcés de quitter leurs terres57. Les missionnaires s’appuient donc sur une argumentation politique et une défense de leurs droits et de ceux qu’ils ont convertis, en utilisant à la fois les anciennes coutumes et les nouveautés.
41Enfin, ils rappellent pragmatiquement que sans l’institution missionnaire, la Haute-Californie risquerait de ne plus rester sous contrôle mexicain bien longtemps. Un soulèvement Chumash dans la région de Santa Barbara en 1824 est l’occasion d’en faire la démonstration. Cette révolte voit l’alliance des néophytes de trois missions et d’Amérindiens du groupe Yokut (dans la vallée centrale) pour mettre fin à la domination européenne dans la région. En vertu de cet exemple, il serait dangereux pour la province mexicaine de mettre fin au système des missions, le seul à même de préserver l’ordre, de contrôler les populations locales et de les faire produire. Nous évoquerons le sens de ce soulèvement du point de vue des Amérindiens au chapitre suivant, mais cette révolte, ainsi que la multiplication des attaques au début des années 1820 est à l’origine d’une peur renouvelée des colons, soldats et missionnaires pour la sauvegarde de leurs établissements en Californie.
Les missionnaires contre la république
42C’est dans ce contexte que les nouvelles du soulèvement contre l’empereur et de la campagne pour l’organisation d’une république commencent à arriver en Californie. En effet, la correspondance continue avec le collège de San Fernando permet aux missionnaires de suivre les événements, et les conséquences qu’en tirent leurs frères au cœur de la tourmente : le soulèvement est rien moins « qu’une furieuse bourrasque » contre « l’Église de Dieu », d’autant plus furieuse que les « philosophes et libéraux » abondent. Le plus inquiétant selon eux ? « Le cri de République » lancé à Vera Cruz, « Dieu nous préserve » ! On voit combien le mot de république charrie avec lui de menaces contre la religion. Dans ce marasme, « la plus fortunée est sans aucun doute cette Péninsule [de Californie58] » : la hiérarchie des missionnaires californiens les prie alors de profiter de leur situation comparativement enviable en faisant quelques compromis acceptables par leur conscience afin de préserver leur œuvre.
43Néanmoins, ceux-ci ne perçoivent pas leur situation de la même façon, vu leur bras de fer récent avec le gouverneur Argüello au sujet de l’assistance San Rafael. Aussi, quand la nouvelle de la proclamation de la république arrive en Haute-Californie, le président des missions de Haute-Californie, Vicente Sarria, annonce-t-il au gouverneur sa décision de ne pas prêter serment à la constitution fédérale, tout en précisant qu’il laisse libre chaque missionnaire de décider selon sa conscience. Bien que les autres missionnaires, en particulier à San Diego, se montrent également réticents, le conflit à ce moment-là se concentre sur sa personne. Il est visé par une procédure d’expulsion, ordonnée par le ministre des Affaires ecclésiastiques. Le collège fait tout pour le faire changer d’avis, en le mettant en garde contre « les maux graves qui pourraient arriver aux missions, aux missionnaires et à tous les habitants de la Province59 » si les franciscains californiens s’obstinent à ne pas prêter le serment. Ils doivent s’estimer heureux, écrit-il, « qu’avec tous les changements de gouvernement depuis 1821 [ils] ne se trouvent pas pris dans les horreurs d’une terrible anarchie comme cela aurait très bien pu arriver, mais qu’[ils] aient, grâce à Dieu, un gouvernement catholique parfaitement constitué et qui chaque jour va en se consolidant60 ». Dès lors il invite ses frères à imiter « Jésus, les apôtres, les premiers fidèles de l’Église et les Papes et d’obéir aux puissances supérieures actuellement établies ». La stratégie du collège, depuis l’indépendance, est en effet de donner des gages de loyauté afin de conserver une certaine influence politique, voire de préserver son existence même et dans le cas qui nous occupe, temporiser la sécularisation des missions61. Et rappelle-t-il, regretter l’indépendance de l’Espagne ne saurait être une solution : « tout s’y fait dévorer : nous verrons les ordres réguliers plus affligés, plus angoissés, plus persécutés, interdits tous les habits, une multitude de couvents supprimés, et en un mot, que le projet est d’en finir avec eux ». Enfin, partir de Californie et rentrer à Mexico ne réglerait rien non plus : « Il est clair que ceux-là se trompent en croyant qu’ils trouveront un meilleur sort au Collège, ou ailleurs62. » Quant aux objections invoquées, on y répond sans mal : un de leurs arguments est de ne pas avoir à participer à une guerre éventuelle contre le roi à qui ils ont précédemment prêté serment, le gardien leur rappelle que les missionnaires, en tant qu’ecclésiastiques, ne portent pas les armes, et donc qu’ils ne pourraient pas se trouver dans une telle situation.
44Dans le même temps, le Collège tente de persuader le gouvernement que le refus des missionnaires de prêter serment ne remet pas en cause leur loyauté : c’est leur « consternation », qui les « conduit à refuser de prêter serment », mais « ils n’ont jamais désobéi aux ordres d’aucune autorité de la fédération et peut-être même qu’ils obéiront mieux que d’autres qui ont prêté serment, et qu’ils auraient juré s’ils étaient au collège63 ». Lorsqu’ils se défendent de leur choix, les missionnaires évoquent volontiers leur attachement à leur origine espagnole et à la figure de Ferdinand VII, tout en minorant la déloyauté de cette invocation. Ils valorisent au contraire leur obéissance et leur respect de serments antérieurs :
« Je suis depuis que je suis né en Espagne, Espagnol. Je n’ai prêté serment à l’indépendance de ces royaumes à la seule condition de leur fidélité au Roi d’Espagne. J’ai réfléchi longtemps au sujet du serment qu’on m’ordonne de faire, et j’ai décidé de ne pas prêter serment ni à la constitution ni à l’Acte Constitutif desdits États-Unis Mexicains. Pour autant, je m’engage à obéir à ce qu’on m’ordonne, tant que ce ne sera pas contraire aux résolutions de ma conscience64. »
45Le choix des missionnaires est alors de se placer hors du corps politique et d’arguer qu’ils sont exclus de la citoyenneté « par leur profession », en « état de liberté naturelle » et que par conséquent « sans vouloir offenser la Dignité Suprême du Gouvernement » et n’ayant « pas participé à la rédaction de ladite Constitution » il leur « semble qu’ils peuvent « ne pas se conformer à une loi dans laquelle [ils n’ont] pas eu la moindre part65 » ! Narciso Durán dans ce passage s’appuie astucieusement sur Rousseau et les philosophes français – dont il interdisait la lecture – pour justifier son refus de prêter serment à la constitution66. Sur la bonne quarantaine de missionnaires californiens, une minorité (de 8 à 9) décide de prêter ce serment, suivant en cela les recommandations de leur collège et prenant acte que la constitution s’engage à promouvoir la religion catholique. Ils ne témoignent pas d’un enthousiasme particulier, mais désirent « rendre à César ce qui est à César67 ». La majorité au contraire suit le président des missions et refuse non seulement de jurer mais de célébrer des messes à l’occasion des fêtes nationales. Certains missionnaires changent d’avis sur le serment entre l’été et la fin de l’automne. Dans leur cas, les projets de réforme du premier gouverneur républicain Echeandía, notamment l’émancipation de certains néophytes estimés capables de le faire (et aussi ceux qui étaient les travailleurs les plus qualifiés) le 25 juillet 1826, ou encore la fréquentation des officiers et agents mexicains venus avec Echeandía a pu les convaincre que la république fédérale n’était pas leur alliée. En effet, bien que les missionnaires protestent de leur obéissance et que le Collège affirme que leur refus tient plus de la politique que de la loyauté, cette interprétation fut loin de convaincre gouvernement fédéral ou les employés publics, et ce d’autant moins dans le contexte de la montée d’un courant hispanophobe et d’une crainte de reconquête espagnole68.
Faire sans les missionnaires en Californie : un vœu pieu
46Dès l’indépendance, les gouvernants à Mexico se méfient des missionnaires. Le projet de reprendre en main la frontière en général et la Californie en particulier pour y promouvoir un régime plus adéquat à l’évolution politique les conduisent, comme nous l’avons vu, à souhaiter la fin du système des missions. Le refus d’un grand nombre de missionnaires de prêter serment à la république rend d’autant plus urgente une réforme, sur laquelle travaille justement la commission de développement de la Californie. Les premiers documents qu’elle produit manifestent l’hostilité envers le système des missions mais admettent la nécessité d’une réforme graduelle, une suppression brutale n’étant pas sans risque. Ils rappellent les origines de la perte de contrôle du gouvernement sur la Californie lorsqu’un certain nombre de prérogatives furent accordées aux missionnaires par le roi d’Espagne. La commission exprime le souhait que les groupes amérindiens restés indépendants ne soient pas « civilisés » par le même système, mais par des relations diplomatiques et le commerce, dans l’espoir que les guerres et autres calamités les forceront à gagner les établissements et ainsi renforcer la population mexicaine de la Californie. L’idéal est toujours celui d’une conversion et de l’inclusion des populations autochtones dans la république, mais en gardant le contrôle. Notamment, la commission insiste sur l’enjeu foncier : elle affirme les droits de propriété des néophytes et non des missions, une piste pour contourner la protection des propriétés des corporations inscrite dans la loi de colonisation et conduire à une distribution des terres en lots privés, où les néophytes seraient prioritaires, mais à laquelle auraient aussi accès les colons. La solution proposée est la continuité des communautés sous leur forme, mais avec une séparation de la direction spirituelle, toujours assurée par les missionnaires, et de la direction économique (appelée politique), prise en charge par le gouvernement – ce qu’on appelait également les « temporalités » car elles correspondaient au pouvoir temporel par opposition au pouvoir spirituel. Les travaux de la commission traduisent donc une évolution par rapport aux débats parlementaires : d’une part, ils prennent acte du pouvoir réel des missionnaires ; d’autre part, ils restituent l’existence d’une société locale en Californie, et avancent l’idée d’un droit partagé des colons et des néophytes sur les terres des missions, ce que ne permettait pas la simple approche via la sécularisation des missions69.
47Au problème spécifique posé par le refus des missionnaires de prêter serment sur la constitution s’ajoute l’application de la loi d’expulsion des Espagnols votée en 1827. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais la deuxième moitié des années 1820 voit en effet la montée de l’hispanophobie au Mexique, en raison notamment du refus de l’Espagne de reconnaître l’indépendance de son ancienne colonie et même d’efforts pour la reconquérir. Dans ce contexte, un certain mouvement d’opinion commença à considérer tous les Espagnols comme des conspirateurs potentiels. Les plus modérés jugeaient imprudent de les maintenir à des postes stratégiques. Mais l’arrivée au pouvoir des personnalités portées par le mouvement le plus remonté contre les Espagnols à partir de 1827-1829 se traduisit ainsi par le vote de deux lois d’expulsion. Cependant, au lieu de donner des ressources légales supplémentaires au gouvernement pour se débarrasser des missionnaires réfractaires, ces lois mirent encore plus en évidence ses difficultés pour se faire obéir en Haute-Californie. En octobre 1827, le gouverneur Echeandía admettait que Sarría, le président des missions qui avait le premier refusé de prêter serment, n’était toujours pas parti de Californie, officiellement faute de navire pour le transporter. En réalité, si le président partait, les autres risqueraient de le suivre et de créer par conséquent un vide dangereux70. On dut se résoudre à ne pas les expulser avant l’arrivée de nouveaux missionnaires.
48La solution envisagée à plus ou moins court terme dans les bureaux ministériels était en effet le remplacement des missionnaires espagnols par des missionnaires nés au Mexique et fidèles à la république, bien que l’objectif fixé par le gouvernement fût de mettre fin au système des missions. Ils se trouvent donc dans l’obligation paradoxale de devoir déployer des efforts importants pour recruter des missionnaires au moment même où ils souhaiteraient s’en passer. Car il s’avère difficile de trouver de telles recrues pour se rendre « dans des pays si reculés et dépourvus » : le gouvernement « ne peut pas forcer les religieux contre leur volonté », et les convaincre demanderait « des dépenses qui leur donnent d’autres avantages capables de les stimuler et de compenser les privations auxquelles ils s’assujettissent ». Le collège d’origine ne pouvant fournir ces recrues, en mars 1828 il fut acté que celui du Zacatecas prendrait la relève, les missionnaires californiens étant dès lors autorisés à partir, à la condition de ne rien emporter de valeur des missions71.
49Ces tribulations mettent en évidence les difficultés de l’administration centrale à trouver les ressources pour faire appliquer ses décisions, malgré une volonté politique affirmée. Le gouvernement territorial comme fédéral se trouvent dans la situation paradoxale de craindre une fuite des missionnaires qu’ils cherchent à expulser.
La voix au chapître Réformer la Californie avec les missionnaires
50Malgré la pression nationaliste et hispanophobe, on constate que le gouvernement est obligé de s’accommoder de la présence des missionnaires et de coopérer avec eux comme avec une force d’opposition politique, aussi bien localement que nationalement. Les missionnaires, de leur côté, cherchent à s’imposer comme des interlocuteurs incontournables dans la conception des politiques concernant la Californie. C’est particulièrement évident sur place, ce qui provoque l’ire de certains observateurs de la politique du gouverneur, surtout des employés publics ou officiers venus du Mexique, mais aussi de certains Californiens. Le gouverneur obéit en cela aux instructions d’un de ses ministres de tutelle : « cette [réforme] doit être œuvre de politique plutôt que d’autorité ; il importe de ne pas contrarier ouvertement les missionnaires dont l’influence offensée pourrait causer des maux plus grands, mais d’avancer petit à petit72 ». Aussi le gouverneur Echeandía, arrivé en 1826, consulte-t-il les missionnaires, afin de préparer un premier plan d’émancipation pour certains néophytes. À cette occasion ils font mine d’être coopératifs tout en opposant des arguments catégoriques contre l’émancipation ponctuelle et plus largement la sécularisation. Leur maîtrise de l’argumentaire libéral et leur faculté à renvoyer les agents du gouvernement à leurs propres contradictions est fascinante. Au sujet de l’émancipation des travailleurs qualifiés, le président des missions Durán démontre qu’elle conduirait à l’impasse les missions qui, dépourvues de leurs meilleurs artisans, se trouveraient ruinées et devraient alors libérer leurs néophytes, ce que ne souhaitent pas les autorités en l’absence de plan de secours pour les encadrer73. Il affirme également que l’achat d’un navire national pour approvisionner la Haute-Californie n’obéirait pas à des principes libéraux et il propose à la place que chaque mission dispose d’une telle embarcation pour commercialiser ses surplus74.
51Enfin, et surtout, les missionnaires s’opposent aux plans de colonisation, car selon eux les populations autochtones qui travaillent dans les missions, et qui ont acquis des droits de citoyens avec l’indépendance, seraient alors spoliées de la propriété de leurs terres, puisque les projets prévoient un partage des terres entre autochtones et colons. Pour d’autres missionnaires, la perspective de la sécularisation n’est acceptable que si d’autres missions sont fondées vers l’intérieur des terres, dans la vallée centrale encore sous contrôle autochtone, notamment Yokut. En soulignant ces contradictions et en dénonçant le manque de connaissance (et de consultation) des locaux, les missionnaires se posent donc en défenseurs des droits du territoire et de ses nouveaux citoyens tout en défendant le modèle en vigueur, le seul qui puisse fonctionner selon eux. Ils esquissent donc une critique du gouvernement mexicain et de sa volonté colonisatrice qui entre en contradiction avec les idéaux professés de fédéralisme, de souveraineté locale et d’égalité.
52La réponse des missionnaires aux politiques fédérales permet de dépasser le récit facile de missionnaires réactionnaires et engoncés dans le passé. Au contraire, leur correspondance témoigne d’une inventivité et d’une adaptabilité remarquables aux nouveaux argumentaires. La réalité est que les missionnaires apportent des traits caractéristiques à la politisation des Californiens : la conscience d’une particularité du projet californien, fondé sur les missions ; la fierté d’une terre promise ; et la méfiance par rapport aux projets « bureaucratiques » élaborés par le gouvernement. Leurs raisonnements en font des maîtres de rhétorique et d’argumentation pour les Californiens qui les écoutent à la chaire. Pour autant, cette rhétorique est moins efficace auprès du gouvernement que la menace d’une interruption de l’approvisionnement aux presidios au moment même d’une révolte indienne dans trois missions de Californie centrale simultanément, afin de prouver leur caractère indispensable.
⁂
53À sa mise en place, le gouvernement indépendant à Mexico à partir de l’automne 1821 a la volonté de pacifier et d’administrer un territoire hérité de l’empire espagnol en Amérique du Nord. L’ensemble des provinces dépendant de Mexico pendant le régime colonial n’ont pas le même statut vis-à-vis de ce nouveau gouvernement : certaines se sont soulevées en faveur de l’indépendance de longue date, d’autres, au moment de la campagne d’Iturbide en 1820, d’autres encore ont été conquises militairement par l’armée des « Trois Garanties », enfin certaines, comme la Californie, sont restées relativement à l’écart. Les informations rassemblées par le nouveau gouvernement sur la Californie l’identifient comme une terre riche en potentiel, et centrale dans l’affirmation du pouvoir territorial mexicain en Amérique du Nord ; les missionnaires, au lieu d’être considérés comme des personnes clefs pour tenir la province, sont rapidement identifiés comme des obstacles dans cette double perspective, puisqu’on considère que leur loyauté au roi d’Espagne met en péril la frontière, et que leur monopole sur la terre et les autochtones empêche le développement de la Californie et l’exploitation d’un potentiel qui bénéficierait au Mexique. La volonté du gouvernement de reprendre en main le projet californien et d’adapter l’héritage colonial au projet national se heurte à deux limites principales : d’une part, en principe, l’affirmation de la citoyenneté des Indiens et de leur droit de propriété avec l’indépendance puis la souveraineté des États avec la république fédérale ; d’autre part, en pratique, l’influence et le pouvoir réels des missionnaires sur le terrain. Malgré leur politique anti-espagnole et opposée à une influence trop grande de l’Église, les gouvernements libéraux-radicaux sous la présidence de Guadalupe Victoria puis sous celle de Guerrero ne parviennent pas à imposer une application stricte de la loi d’expulsion en Californie, et échouent même longtemps à trouver des remplaçants aux missionnaires déloyaux. Il faut donc composer avec eux en attendant. Le cas californien montre les limites de la puissance de l’État fédéral et nuance la radicalité des principes par la modération des actions lorsque nécessité fait loi.
Notes de bas de page
1 Mena Sajid Alfredo Herrera, « Espacios y opinión pública durante la anexión del Reino de Guatemala a México: San Salvador, 1821 », LiminaR. Estudios Sociales y Humanísticos, vol. 17, no 1, 7 janvier 2019, p. 15-32.
2 PI, vol. 23 et exp. 14.
3 Rossignol Marie-Jeanne, Le ferment nationaliste. Aux origines de la politique extérieure des États-Unis : 1789-1812, Paris, Belin, 1994, p. 35.
4 PI, vol. 23, exp. 13 et 16.
5 PI, vol. 23, exp. 13, 17 et 23.
6 PI, vol. 23, exp. 26.
7 PI, vol. 23, exp. 12.
8 PI, vol. 23, exp. 19-21 ; Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 107.
9 Vallejo, t. 2, p. 206.
10 PI, vol. 23, exp. 19.
11 Payeras Mariano, Writings of Mariano Payeras, Santa Barbara, Bellerophon Books, 1995.
12 California Mission and Church misc. [C-C 241], no 10, 6 décembre 1822.
13 PR, t. 11, p. 80.
14 LR, t. 1, p. 8-9 ; PR, t. 11, p. 78.
15 PI, vol. 23, exp. 19 et 20 ; Benson Nettie Lee, The provincial deputation in Mexico, op. cit.
16 DHC DLG, t. 5, p. 119.
17 DHC DLG, t. 4, no 32, p. 39 ; HHB2, p. 454 ; LR, t. 1, p. 6-10.
18 DHC DLG, t. 1, p. 168 ; t. 3, p. 6 ; t. 5, p. 135.
19 HHB2, p. 466 ; DSP Ben Mil, t. 64, p. 318. Fernández ne s’oppose pas à l’élection de Pablo Vicente de Solá député, qui certes a eu lieu avant son arrivée. Vu sa position au sujet de De la Guerra, il est étrange qu’il n’ait pas prévu le refus de l’admission de Solá au Congrès en 1823 (voir infra).
20 DHC DLG, t. 5, p. 119 ; t. 6, p. 111, 113 et 126.
21 DHC Vallejo, t. 1, p. 50.
22 Un exemple : DSP Benicia Military, p. 156, 22 novembre 1825.
23 DHC DLG, t. 4, p. 104, Solá à de la Guerra, 10 avril 1823 ; HHB2, p. 485.
24 Benson Nettie Lee, « The Plan of Casa Mata », The Hispanic American Historical Review, vol. 25, no 1, 1945, p. 45-56 ; Anna Timothy E., The Mexican Empire of Iturbide, Lincoln, University of Nebraska Press, 1990 ; Hamnett Brian R., Roots of Insurgency. Mexican Regions, 1750-1824, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.
25 Bustamante Carlos María de, Diario histórico de México, 1822-1848, Mexico, El Colegio de México/Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social, 2001, 6 février 1823, p. 149.
26 Ibid., 12 juin 1823, p. 248 ; Gazeta de la Regencia de España e Indias, Madrid, Imprenta Real, no 19, 1812, p. 169-170.
27 Aguila Mexicana, 13 janvier 1824, session du 10 janvier 1824.
28 PI, vol. 23, exp. 14 et 18.
29 L’expression vient de Bayly C. A., Imperial Meridian. The British Empire and the World 1780-1830, Londres/New York, Routledge, 1989 ; elle a été reprise notamment par Thibaud Clément, « Après l’esclavage. “Colonisation nouvelle” et méridien impérial en Amérique hispanique (1780-1860) », La colonisation nouvelle (fin xviiie-début xixe siècle), Paris, L’Harmattan, 2018, p. 109-152.
30 Alamán Lucas, Memoria que el secretario de Estado y del Despacho de relaciones esteriores e interiores presenta al Soberano Congreso Constituyente, Imprenta del Supremo Gobierno, Mexico, Mexico, Imprenta del Supremo Gobierno, 1823, p. 52.
31 Comisión de Relaciones Exteriores, Naciones bárbaras de las indias. Anglo-americanos. Dictamen presentado a la soberana junta gubernativa del imperio mexicano por la comisión de relaciones exteriores en 29 de diciembre de 1821, primero de la independencia, Mexico, Vargas Rea, 1944, p. 12 ; Ortiz Tadeo, Resumen de la estadística del Imperio Mexicano, 1822, Mexico, UNAM, 1991, p. 21.
32 Alamán Lucas, Memoria, op. cit., p. 32.
33 Sur les débats dans la monarchie espagnole avant les indépendances, voir Castejon Philippe, « Colonia, entre appropriation et rejet : la naissance d’un concept (de la fin des années 1750 aux révolutions hispaniques) », Mélanges de la Casa de Velázquez, no 431, 2013, p. 251-271 ; en Espagne après les indépendances, voir Fradera Josep María, Colonias para después de un imperio, Barcelone, Edicions Bellaterra, 2005 ; et La nación imperial: derechos, representación y ciudadanía en los imperios de Gran Bretaña, Francia, España y Estados Unidos (1750-1918), Barcelone, Edhasa, 2015. En général : Stoler Ann Laura, McGranahan Carole et Perdue Peter C., Imperial formations, Santa Fe/Oxford, School for Advanced Research Press, 2007, p. 3. Sur le colonialisme de peuplement : Wolfe Patrick, Settler Colonialism and the Transformation of Anthropology. The Politics and Poetics of an Ethnographic Event, Londres/New York, Cassell, 1999 ; Weaver John C., The Great Land Rush and the Making of the Modern World, 1650-1900, Montreal, McGill-Queen’s University Press, 2003 ; Veracini Lorenzo, « “Settler Colonialism”: Career of a Concept », The Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 41, no 2, 2013, p. 313-333.
34 Jean-Baptiste Say, cité par Sessions Jennifer, « Le paradoxe des émigrants indésirables pendant la monarchie de Juillet, ou les origines de l´émigration assistée vers l´Algérie », Revue d’histoire du xixe siècle, vol. 41, no 2, 3 janvier 2011, p. 64.
35 Alamán Lucas, Memoria, op. cit., p. 33.
36 L’immigration asiatique, notamment vers les anciennes sociétés esclavagistes mais plus globalement dans les foyers d’industrialisation se développa un peu plus tard dans le siècle, notamment après les abolitions de l’esclavage en Grande-Bretagne et en France, souvent sous la forme de travailleurs engagés Singaravelou Pierre, « Des empires en mouvements ? Impacts et limites des migrations coloniales », Les empires coloniaux, xixe-xxe siècle, Paris, Éditions Points, 2013, p. 146-158. En Californie, elle se produisit à l’occasion de la ruée vers l’or à partir de 1849 : Ngai Mae My, « Chinese Gold Miners and the “Chinese Question” in Nineteenth-Century California and Victoria », The Journal of American History, vol. 101, no 4, 2015, p. 1082-1105.
37 Alamán Lucas, Memoria, op. cit., p. 32 et 52.
38 Ortiz Tadeo, Resumen, op. cit., p. 21 ; Hernández José Angel, Mexican American Colonization during the Nineteenth Century. A History of the U.S.-Mexico Borderlands, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 40 et 52 ; Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 104.
39 Hernández José Angel, Colonization, op. cit., p. 55 ; Reséndez Andrés, Changing National Identities at the Frontier. Texas and New Mexico, 1800-1850, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2005, p. 65.
40 Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 112.
41 Ballesteros Paez María Dolores, « Los “otros” Mexicanos. La visión de los intelectuales decimonónicos de los Afrodescendientes », Tzintzun Tzintzun, vol. 65, 2017, p. 150-179 ; Delgadillo Núñez Jorge E., « La esclavitud, la abolición y los afrodescendientes: memoria histórica y construcción de identidades en la prensa mexicana, 1840-1860 », Historia Mexicana, vol. 69, 2(274), 2019, p. 743-788 ; Baumgartner Alice L., South to Freedom. Runaway Slaves to Mexico and the Road to the Civil War, New York, Basic Books, 2020.
42 Costeloe Michael P., La Primera República Federal de México, 1824-1835. Un estudio de los partidos políticos en el México independiente, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1975 ; Anna Timothy E., “Inventing Mexico”, op. cit.
43 Acta Constitutiva, art. 7, 31 janvier 1824.
44 Aguila Mexicana, no 274, 13 janvier 1824.
45 Hale Charles A., Mexican Liberalism in the Age of Mora, 1821-1853, New Haven, Yale University Press, 1968.
46 Benson Nettie Lee, « Texas as Viewed from Mexico, 1820-1834 », The Southwestern Historical Quarterly, vol. 90, no 3, 1987, p. 219-291.
47 Aguila Mexicana, 8 juillet 1824 ; López González Georgina, « Los debates en torno a la creación de los territorios federales en el Congreso Constituyente de 1823-1824 », Anuario de Historia de América Latina, no 42, 2005, p. 321-343.
48 Onuf Peter S., Statehood and Union. A History of the Northwest Ordinance, Bloomington, Indiana University Press, 1987, p. 58.
49 Reynolds Keld J., « Principal Actions of the California Junta De Fomento 1825-1827 », California Historical Society Quarterly, décembre 1945, vol. 24, no 4 ; vol. 25, nos 1 et 4.
50 Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 116.
51 On s’inspire en cela du modèle français : Alder Ken, Engineering the Revolution. Arms and Enlightenment in France, 1763-1815, Princeton, Princeton University Press, 1997 ; Chavarri Juan N., El heróico Colegio Militar en la historia de México, Mexico, Libro Mex, 1960, p. 20-31.
52 Titre de cette sous-partie en référence à un ouvrage sur le Chili où l’autrice s’interroge sur la place de l’Église dans cette république : Serrano Sol, Qué hacer con Dios en la república? Política y secularización en Chile (1845-1885), Santiago, Fondo de Cultura Económica, 2008.
53 DR, t. 1, p. 32 ; HHB2, p. 496.
54 AASF, no 1447, Amorós à Argüello, 19 mai 1823.
55 DR, t. 1, p. 42-46.
56 CML, vol. 1, San Francisco, Fr. José Señan, 14 août 1823.
57 AASF, Sarría à Argüello, 5 septembre 1823.
58 SB, index [C-C 17] Fr. Agustín, 1er janvier 1823. Texte souligné dans l’original.
59 JNE, t. 30, 21 juillet 1825.
60 SB, index, ibid.
61 JNE, t. 30, p. 159, Baldomero Lopez, 20 juillet 1824.
62 SB, index, ibid.
63 JNE, t. 44½, 18 novembre 1826.
64 Californias, t. 18, ex. 24.
65 Ibid., Narciso Durán.
66 La distinction entre citoyens actifs et passifs peut venir de Siéyès et des débats de la Monarchie constituante. L’allusion à l’état de liberté naturelle se réfère surtout à Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau tandis que la loi comme expression de la volonté générale peut venir de Rousseau aussi bien que de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. En somme, Narciso Durán connaît très bien les classiques du constitutionnalisme.
67 Californias, t. 18, exp. 24 ; Juramento religiosos, Juan Amorós.
68 JNE, t. 44½, 9 juillet 1825 ; 20 juillet 1825 ; JNE, t. 52, 4 décembre 1826, gardien au ministre des Affaires religieuses ; 9 décembre 1826, ministre au Gardien ; 9 juin 1827.
69 GSS, c. 68, exp. 29. Cette doctrine de la commission sur le droit partagé à la terre des colons et des autochtones est réaffirmée dans la proposition de déclinaison de la loi de colonisation pour la Californie. Junta de Fomento de Californias, Plan para el arreglo de las misiones de los territorios de la alta y de baja California propuesto por la junta de fomento de aquella peninsula, Mexico, Imp. de Galvan á cargo de Mariano Arevalo, 1827 ; Reynolds Keld J., « Principal Actions of the California Junta De Fomento 1825-1827 », art. cité, p. 305.
70 JNE, t. 44½, Gobierno de California, 4 novembre 1828.
71 JNE, t. 52, 1er mai 1827, p. 121.
72 SP MC, t. 2, p. 42 ; HHB2, p. 101 ; Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 125.
73 Californias, t. 18, Durán à Echeandía, 16 février 1827 ; Hutchinson C. Alan, Frontier Settlement, op. cit., p. 129.
74 JNE, t. 44½, p. 89-123.
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