Chapitre XIII. L’invasion de 1707
p. 119-130
Texte intégral
La légende noire : Saint-Simon et la « trahison » de Fleury
1L’invasion de la Provence par les armées du duc de Savoie figure en solide place dans la légende noire de Fleury. Les accusations de trahison alléguées contre le cardinal ont leur source chez Saint-Simon. Comme le réquisitoire est étincelant, promis à une longue postérité, chez Michelet notamment, ce texte des Mémoires vaut d’être largement cité :
« L’évêque qui nous gouverne aujourd’hui si fort en plein et sans voile sous le nom de cardinal Fleury, le [le duc de Savoie] reçut dans sa maison épiscopale, comme il ne pouvait s’en empêcher. Il en fut comblé d’honneurs et de caresses, et l’enivra si parfaitement par ses civilités, que le pauvre homme, également fait pour tromper [et] pour être trompé, prit ses habits pontificaux, présenta l’eau bénite et l’encens, à la porte de sa cathédrale, à M. de Savoie, et y entonna le Te Deum pour l’occupation de Fréjus. Il y jouit quelques jours des caresses moqueuses de la reconnaissance de ce prince pour une action tellement contraire à son devoir et à son serment, qu’il n’aurait osé l’exiger. Le Roi en fut dans une telle colère, que Torcy, ami intime du prélat, eut toutes les peines imaginables à le détourner d’éclater. Fréjus, qui le sut, et qui après coup sentit sa faute et quelle peine il aurait d’en revenir auprès du Roi, trouva fort mauvais que Torcy ne la lui eût pas cachée, comme s’il eût été possible qu’une démarche si étrange et si publique, et dont M. de Savoie s’applaudissait, ne fût pas revenue de mille endroits ; et ce que Fréjus pardonna le moins au ministre fut la franchise avec laquelle il lui en parla, comme s’il eût pu s’en dispenser et comme ami, et comme tenant la place qu’il occupait. L’Évêque, flatté au dernier point des traitements personnels de M. de Savoie, le cultiva toujours depuis, et ce prince, par qui les choses les plus apparemment inutiles ne laissaient pas d’être ramassées, répondit toujours de manière à flatter la sottise d’un évêque frontière duquel il pouvait peut-être espérer de tirer quelque parti dans une autre occasion. Tout cela entre eux se passa toujours fort en secret, mais dévoua l’Évêque au Prince. Tout cela, joint à l’éloignement du Roi marqué pour lui, et à la peine extrême qu’il avait montrée à le faire évêque, n’était pas le chemin pour être choisi par lui précepteur de son successeur1. »
2On conçoit mal, en vérité, que Louis XIV ait, huit années plus tard, désigné l’évêque de Fréjus, coupable de félonie à son égard, précepteur du futur roi de France, sauf à penser qu’il ait été circonvenu sur son lit de mort, assiégé par Mme de Maintenon et les jésuites. Ceci, d’ailleurs, contre toute évidence car la désignation de Fleury in extremis dans un codicille, huit jours avant la mort du souverain, n’a rien d’une ultime concession arrachée à un agonisant déjà quasi inconscient : elle résulte plutôt, comme on verra plus loin, d’une manœuvre politique (et forcément politique dès lors qu’il s’agit de la cour), largement inspirée par Mme de Maintenon, acquiescée par le roi, et visant à modérer une influence redoutée comme prépondérante de la part du « parti jésuite ». En vis-à-vis du texte prestigieux cité plus haut, ce sont donc d’autres sources qu’il faut appeler à comparaître, émanées principalement des archives militaires de Vincennes : beaucoup prennent la forme, sous la plume de Fleury, d’un plaidoyer pro domo. Mais le contrepoint en est heureusement fourni par Chamillart, alors secrétaire d’État à la Guerre.
3Reprenons par conséquent la trame des évènements. 1707, c’est l’année où, pour la première fois depuis 1659, la France est menacée par l’invasion. Perdus la Rhénanie et l’allié bavarois, abandonnés le Milanais et Naples, pourtant espagnols depuis deux siècles, investie la Catalogne par l’archiduc habsbourgeois Charles (fils de Léopold Ier et prétendant lui-même à la succession des Rois catholiques contre Philippe V), le « pré carré » s’apprête à subir les assauts du prince Eugène et de Marlborough. Une offensive de grande envergure se prépare donc dans l’hiver 1706, non pas depuis la Flandre, encore toute hérissée des places-fortes de la ceinture de fer, mais à partir du Piémont, dont le duc, Victor-Amédée II de Savoie, flairant le vent tourner et fidèle à sa politique de bascule entre les grandes puissances qui encerclent ses terres alpines, a répudié l’amitié de Louis XIV et rejoint la Grande Alliance. Voici qui reporte le théâtre des opérations militaires sur la ligne des Alpes, face au Dauphiné, à portée du Rhône et de Lyon, et sur le Var, frontière naturelle de la Provence et du comté de Nice. Côté français, où le maréchal Catinat, glorieux vainqueur de La Marsalle, appuie de ses conseils le maréchal de Tessé, nouveau commandant de l’armée d’Italie (janvier 1707), c’est l’inquiétude pendant tout le printemps : l’ennemi se portera-t-il sur Grenoble ou sur la Provence pour menacer Toulon et son arsenal ? En hâte et dans le doute, le grand port de guerre et Marseille ont été fortifiés, tandis que Tessé établissait le gros de ses troupes à Sisteron, de manière à couvrir aussi bien le Dauphiné que la Provence. Début juillet, le doute n’est plus permis. L’ennemi est sur le Var le 6. Mais les alliés tardent à faire leur concentration sous le commandement du duc de Savoie, Victor-Amédée, qui s’est assuré le concours du prince Eugène et du prince de Hesse-Cassel. L’attaque repose en effet sur la combinaison d’une offensive terrestre et navale. Le 9 juillet 1707, la flotte anglo-hollandaise est à Nice. Deux jours plus tard, les Impériaux et les Savoisiens franchissent le Var sans rencontrer de résistance. Grasse et Cannes sont soumis à une imposition en nature. Dans Fréjus qui s’attend à l’arrivée des envahisseurs d’une heure à l’autre, c’est la consternation. Fleury demeure à son poste et ne quittera son diocèse que le 20 juillet, assuré des bonnes dispositions du duc de Savoie pour les habitants de la ville, ce départ ne lui attirant d’ailleurs aucun blâme de Versailles. En tout cas, les magistrats de la ville, d’après Ranchon il est vrai toujours soucieux d’exalter le cardinal, n’auraient pas eu ces scrupules, prêts à décamper n’eussent été les objurgations de l’évêque. Relativisons toutefois cet héroïsme, dans la mesure où il fut en partage avec l’évêque de Grasse qui persista à occuper son siège épiscopal sous la domination alliée.
L’honneur est sauf
4Donc, le 17 juillet « sur les cinq heures du matin2 », l’ennemi est en vue de Fréjus, tout près de ses murs. « Ensuite3 », Victor-Amédée fait son entrée « par la porte Saint-François », sans tirer un coup de feu, avant de venir s’établir à l’évêché. Ranchon note de son côté :
« M. de Fleury parut devant luy [le duc] et remplit à son égard les devoirs et les formalités auxquelles on est contraint en pareil cas, mais il ménagea les droits de son légitime souverain dans les hommages forcés qu’il fut obligé de luy rendre4. »
5Quels sont ces « devoirs et formalités » et ces « hommages forcés » ? Pour Saint-Simon, nul doute que Fleury se soit compromis avec le vainqueur, célébrant un Te Deum en l’honneur des alliés. Calomnie du duc-mémorialiste, qui n’en était pas avare ? Le Te Deum, l’action de grâces antipatriotique ne sont confirmés nulle part. L’abbé Papon5, dans son Histoire générale de Provence, est plus disert sur cet épisode :
« Victor-Amédée, lorsqu’il étoit à Fréjus, eut occasion de connoître Hercule de Fleury, évêque de cette ville. Il aima la souplesse & l’aménité de son caractère, & cette politique sage, qu’il devoit un jour rendre si utile dans la place de premier ministre. Ce prince lui demanda le serment de fidélité : le prélat, trop habile pour faire précipitamment une démarche de cette importance, trouva des prétextes pour s’en dispenser, & eut le courage de lui dire : Votre Altesse Royale est bien persuadée que je ne manquerai jamais à ce que je dois à Louis-le-Grand, mon légitime & unique souverain : On assure qu’il ajouta, d’ailleurs ce ne seroit pas la peine de reconnoître Votre Altesse pour le peu de tems qu’elle a à séjourner en Provence. Ces dernières expressions, si peu conformes à l’idée qu’on a de la sagesse & de l’aménité du prélat, ont été sans doute imaginées par les auteurs, qui connoissoient moins bien que lui la manière fine & délicate dont on doit dire aux Princes les choses qui peuvent les blesser6. »
6Qui croire ? Il est certain que, demeuré non sans courage en sa ville, notre homme s’exposait à toutes les ambiguïtés d’une coexistence forcée avec un prince ennemi. De collaboration technique il était fatalement question, dans la mesure où le prélat justifiait sa présence par la protection qu’il était censé assurer aux habitants du diocèse : en tant qu’autorité religieuse incontestée, Victor-Amédée étant catholique de surcroît, Fleury se posait en interlocuteur régulier, prêt à négocier le montant de l’imposition, 20 000 livres, appliquée à Fréjus, ainsi qu’à en superviser la collecte, ceci avec l’espoir que cette coopération pratique gagnerait les bonnes grâces du duc de Savoie et éviterait tout risque de pillage. Au fond, les instances municipales et ecclésiastiques relayaient la loi du plus fort qui, de toute façon, trouverait toujours à s’appliquer7 : mieux valait dans ces conditions qu’elle s’exécutât de la façon la plus disciplinée possible, ce qui supposait en effet qu’elle ne fût pas contestée de la part des occupés. Tout le problème est de savoir si Fleury, allant au-delà de ce modus vivendi, a sciemment embrassé la cause adverse, autrement dit si, de technique qu’elle était, la collaboration est devenue politique sous la forme d’une allégeance au duc.
7Tout prouve pourtant le contraire, et si le futur cardinal s’est employé à vivre dans la moins mauvaise intelligence possible avec M. de Savoie, il est sûr qu’il n’a pas renié sa fidélité à son souverain légitime. On en veut pour témoignage une lettre de Chamillart à Fleury en date du 23 juillet où il n’est question que de sa bonne conduite, opposée à celle des Provençaux suspectés de s’être résignés un peu vite à leur nouveau maître8. La correspondance entre les deux hommes se poursuit inaltérée pendant toute l’invasion, jusqu’en septembre, sans qu’une ombre la traverse : pense-t-on que la colère royale, s’il faut en croire Saint-Simon, se fût apaisée si vite qu’il n’en transparût rien dans cet échange épistolaire ? En réalité, Louis XIV renouvelle sa confiance au prélat fin août : « Je suis infiniment touché, écrit Fleury à Chamillart le 21, de la bonté que le roi a eu d’estre satisfait de ma conduite, je n’ay iamais eu d’autre ambition que de lui plaire et de pouvoir etre quelque part dans l’honeur [sic] de son estime9. » En revanche, il est incontestable que notre évêque a su déployer toute son habileté pour se gagner le duc de Savoie. Le passage de Papon cité plus haut traduit bien l’atmosphère de cette rencontre : Fleury ne s’est pas raidi dans un patriotisme ombrageux autant qu’inutile pour le coup et a fait bon visage et bel esprit à l’occupant. « Souplesse », « habileté », « aménité », « prudence » sont les mots qui reviennent pour décrire son action durant ces quelques jours. Attitude tellement évidente aux yeux de Papon qu’elle dément la gouaille frondeuse (« pour le peu de tems qu’elle a à séjourner en Provence ») effectivement hors de mise chez Fleury, lequel s’efforce plutôt d’aplanir les tensions et, tout en préservant l’essentiel (sa fidélité à Louis XIV), tâche de limiter les rigueurs du vainqueur. En l’espèce, si ce n’est pas de l’hyper-patriotisme (mais l’héroïsme, ici, eût conduit à la destruction de Fréjus), ce n’est pas non plus du défaitisme. Fleury n’est pas Fénelon, aspirant de ses vœux publics à une paix inconditionnelle, même au prix d’un retour aux frontières de 1648.
8D’emblée, il s’agit donc de pacifier les relations, d’élaborer un code de bonne conduite. Un dîner a lieu le 17 juillet, jour même de l’arrivée des Império-Savoisiens, ce dont Tessé et par conséquent Chamillart sont instantanément avertis dans une lettre incrédule – cet étonnement ne portant pas sur le dîner en lui-même, qui tient plutôt d’une pénible formalité, mais sur la rapide progression de l’ennemi qu’on n’attendait pas si tôt à Fréjus10. De l’avis de Ranchon comme de Papon, le climat est détendu, la discussion presque badine. Ce qui n’exclut pas d’y parler métaphysique : Pythagore, ainsi, premier des philosophes à reconnaître l’unicité de Dieu tiendrait cette vérité des prêtres de l’Égypte, empruntée par eux aux Juifs. De là, elle se serait ensuite transmise à Socrate et à Platon : bel exemple d’humanisme chrétien chez Fleury (ou chez Ranchon ?) qui fait se réconcilier harmonieusement la raison avec la foi, l’antiquité païenne avec l’Ancien Testament. Dans la foulée, notre évêque poursuivant sur ces cimes se met en peine de convertir au catholicisme le prince de Hesse-Cassel… qui embrassera « la vraie religion » en 1754, alors même qu’il sera devenu roi de Suède : lointaine conséquence d’une conversation tenue un soir d’été 1707 avec le futur premier ministre de Louis XV ? Charmés de ces préliminaires métaphysique et religieux, M. de Savoie et le prince Eugène n’ont plus qu’à rabattre de leurs prétentions : Fréjus sera épargnée du pillage, versera une indemnité de 20 000 livres, d’ailleurs réduite par la suite11. Le détail de cet entretien philosophico-politique est invérifiable, mais le ton général, accrédité par Papon et Ranchon, relève trop d’une civilité très « Grand Siècle » pour n’être pas pris en compte. En pleine guerre, des gens de bonne compagnie, pourtant ennemis, se rencontrent et, oubliant leurs différends politiques, prolongent l’atmosphère spirituelle des salons parisiens, jadis assidûment pratiqués par Fleury et Eugène. Le canon tonne, on débat cartésianisme, philosophie naturelle et dogme de l’Incarnation ; le vainqueur, oubliant un moment sa victoire, accueille à sa table le vaincu, promu au rang d’interlocuteur, donc d’égal, sinon même de maître de la conversation, comme c’est le cas dans la version livrée ici par Ranchon.
9On tient peut-être là une explication à la version saint-simonienne de la « trahison » du futur cardinal. Cette « décrispation » des rapports avec Victor-Amédée, si elle a pour effet dans l’immédiat de sauver Fréjus du pire, a pu, vue de Versailles, paraître un peu trop accommodante pour ne pas cacher quelque noire félonie de la part de son évêque. S’ajoute à ceci la fébrilité qui s’installe au cœur de l’État, l’exaspération de plus de deux années de revers ininterrompus, l’humiliation du royaume maintenant forcé dans ses propres retranchements. Chez Chamillart, écrasé de travail, le doute est tangible à travers les accusations portées contre les Provençaux : si l’ennemi progresse si vite, c’est que le peuple indocile pactise avec l’ennemi, livre ses réserves, veut détourner la tempête12. Le spectre de la trahison est partout, qui explique commodément le désastre en s’interdisant d’en reconnaître les vraies causes : supériorité du commandement ennemi, épuisement du pays en guerre quasi perpétuelle depuis 1689. Bref, la fameuse « souplesse » de Fleury, celle-là même qui sera à l’œuvre entre 1726 et 1743, peut bien avoir attiré en 1707 les mêmes commentaires désobligeants qu’elle recueillera souvent ultérieurement, accusant l’aménité épiscopale de n’être que faiblesse ou même pire. Avant qu’une lecture plus équilibrée de l’épisode fréjusien se soit imposée, les langues ont pu aller bon train, une certaine irritation poindre, pourquoi pas, chez le roi, ceci amplifié, déformé par l’écriture de Saint-Simon qui projette rétrospectivement sur 1707 tout le poids du ressentiment accumulé depuis sa mise à l’écart des affaires et l’irrésistible ascension du cardinal.
À la poursuite des Impériaux
10D’ailleurs, notre prélat ne s’attarde pas longtemps. Ayant reçu des assurances positives de Victor-Amédée sur le sort réservé à son diocèse, il obtient un laisser-passer pour Aix « afin que si Toulon succomboit, il put se retirer dans l’intérieur du Royaume et ne fût pas contraint de prêter le serment de fidélité à aucun autre prince qu’au Roy son maître13 » (25 juillet). Ce départ de Fréjus vient encore, s’il était besoin, contredire la thèse saint-simonienne : quel besoin aurait eu un évêque traître à son roi d’aller se jeter dans la gueule du loup (français en l’occurrence) ? Le 27, il est donc à Aix, poursuivant sa correspondance avec Chamillart. Ses lettres sont moins celles d’un évêque que d’un espion renseignant le ministère des mouvements de troupe ennemis. On est loin en tout cas de la douceur supposée du sage vieillard dans ces lignes où il est question d’un capitaine ennemi du nom de Cotta, originaire de Nice :
« s’il tombe iamais entre nos mains, il mérite bien d’estre puni. Il obligea un prêtre de mon diocèse de lui donner à manger et à boire en disant mille sottises de la nation et il n’a pas tenu à lui qu’on ne nous ait pas traittés avec la dernière dureté. Il a une seur religieuse dans un de mes couvents qui ne vaut guère mieux que lui14 ».
11Est-ce bien le même homme qui, quelques jours plus tôt, alors que le duc de Savoie quittait Fréjus dans l’intention de « faire tous ses efforts pour prendre Toulon ou pour y périr », prononçait ces mots, irréprochables pour Louis XIV autant que subtilement courtisans pour le souverain ennemi : « et moy, Prince, je vay lever les mains au Ciel et luy adresser mes vœux pour que ny l’un ny l’autre n’arrive15 » ? Humilié au spectacle de l’armée étrangère qui s’enfonce dans le royaume, ému par les malheurs de la guerre qu’il rencontre pour la première fois, peut-être aussi inquiet de la réception qu’on a pu faire à Versailles des nouvelles concernant son attitude durant l’occupation de Fréjus (s’il est vrai que les accusations de Saint-Simon aient quelque fondement), il arbore désormais une humeur martiale qui n’est pas même exempte d’une certaine fièvre patriotique (« disant mille sottises de la nation »). Utile, il entend l’être d’abord par son réseau d’informateurs, dont la mise en œuvre nous vaut ce savoureux rapport sur les projets des alliés :
« Cavalier est à la suite de M. de Savoye qu’il est venu joindre de Barcelonne avec la flotte, n’estant pas encore guéry d’un coup de sabre qu’il receut à Almansa, il logeoit à Fréjus chez un homme qui ne manque pas de sens, et qui m’en avertit, je luy dit de luy faire bonne chère, de le louer beaucoup parce que je scay qu’il est fort vain, de faire mesme semblant de craindre ses projets pour le faire parler, et cela reussit. Voicy ce qu’en trois jours de temps il en a pu tirer. Belcassel a une patente de général de la princesse Anne et doit commander tout le débarquement, il y a sur la flotte les débris de son régiment et de celuy de Cavalier qui furent détruits à Almansa. Il y a de quoy armer quinze ou vingt mil hommes, des pioches, des pelles, des affûts pour du canon, de la poudre et autres munitions, et ils peuvent débarquer de la flotte quatre ou cinq mil hommes de la marine qui passent pour les meilleures troupes d’Angleterre. Ils comptent avec les fanatiques de se saisir de la Camargue et d’avoir ainsy la mer, le Rhosne et la Durance d’ou il ne sera pas facile de les débusquer, il ne s’expliqua point sur le temps ny le lieu de débarquement, à l’esgard de la force de M. de Savoye, ils disent tous dans l’armée qu’ils sont quarante mil hommes mais un capitaine de Piedmont à qui je fis quelque plaisir dans le temps qu’il estoit prisonnier en Provence, et qui m’en a marqué une grande reconnoissance, m’a dit qu’il estoit vray que le fond de quarante mil hommes y estoit, mais qu’ils n’estoient pas complets, et qu’ils attendoient six ou septs [sic] mil hommes de recreue16. »
12Passage peu ordinaire, dépouillé de l’habituelle onction épiscopale, où il ne manque pas même une sorte d’agent double. Sur le fond, l’information est exacte : Cavalier, le célèbre chef camisard qui avait fait son traité avec Villars en 1704, a depuis repris du service auprès des Provinces-Unies et de l’Angleterre. Avec les maigres troupes huguenotes qu’il a pu rapatrier de son odyssée languedocienne, il participe à la bataille d’Almansa (remportée le 25 avril 1707 par Berwick sur les troupes anglo-autrichiennes de l’archiduc, et qui sauve par la même occasion l’Espagne bourbonienne) où il paie de sa personne. Remis de ses 12 blessures, pas une de moins, il passe au service de Victor-Amédée II. Le 13 juillet, il a rejoint l’armée savoisienne, est admis à la table du duc17. Sa présence a valeur de symbole : il s’agit, une fois Toulon et Marseille tombées, de donner la main aux protestants du Languedoc. Menace peut-être exagérée par les ministres du roi (encore que nullement chimérique, comme en témoignera un débarquement anglais à Sète en 1710), mais qui prend chez eux une dimension obsessionnelle, tant ils sont persuadés des liaisons qui existent entre Savoie et les Cévenols18.
13Replié à Aix, Fleury a donc tout loisir d’observer les suites de la campagne. Tandis que Savoie arrive devant Toulon le 26 juillet, défendue par M. de Goisbriand, Tessé fait mouvement sur Aubagne, que ravitaille diligemment l’intendant de Provence, Lebret. Les mesures prises pour sauver le port de guerre sont radicales : la « bourgeoisie » (entendons la population) est obligée de quitter la ville. L’auteur anonyme de l’avertissement introductif aux pièces sur le siège19 assure d’ailleurs qu’elle était composée « pour la plupart de race de matelots et de bandits », de bouches inutiles (60 000 femmes et enfants, ce qui paraît exagéré), de toute façon gagnée à un déplorable « esprit républicain par la singularité des opinions ». Le comte de Grignan, lieutenant-général pour la Provence, et l’ingénieur Lozières d’Astier ont fait diligence et mis a profit le répit que leur assurait la progression ennemie, qui est loin d’avoir été foudroyante. Dans l’ensemble, le dispositif défensif tient. L’arrivée de Tessé le 6 août permet aux Français de reprendre une à une les positions qu’ils avaient dû abandonner. Le 22 août, après un dernier bombardement, les ennemis se replient, craignant d’être enveloppés. Toulon n’est donc pas tombée, la victoire est incontestable (10 000 tués, blessés ou déserteurs chez l’ennemi20) mais elle a un goût amer : 2 vaisseaux brûlés par les Anglo-Hollandais, 53 échoués volontairement. La plupart ne reprendront pas la mer et la flotte française déserte la Méditerranée jusqu’à la fin des hostilités. Quant à la retraite du duc de Savoie, elle s’effectue en bon ordre, malgré les prières de Fleury au Ciel21. Faveur du maréchal de Tessé, il est autorisé à rejoindre l’armée française qui talonne l’ennemi replié vers Fréjus par Cuers et Brignolles, dans l’espoir, dit-il de ses ouailles, « de les préserver du fer22 ». Dans l’esprit de Fleury, l’adversaire n’évacue pas le pays conquis, il en est chassé manu militari : « Il y a cinq jours, monsieur, que je suis à la guerre », écrit-il, martial, à Chauvelin vers le 27 août23. Il accompagne le marquis de Caylus24 (un fils de Mme de Caylus, l’une de ses protectrices) à l’avant-garde, impatient d’en découdre avec un adversaire que l’on escarmouche sans se livrer à fond. Voici en quels termes vengeurs il évoque la retraite ennemie :
« Nous sommes toujours arrivés trois heures après les ennemis dans ces lieux dont ils viennent de décamper, mande-t-il à Chauvelin dans cette même lettre, et s’il [le marquis de Caylus] eut quelques compagnies de grenadiers avec lui, seurement il eut écorné leur arrière-garde, qui en avoit un bon nombre et un gros corps de cavalerie. La bonne volonté ne lui manquait pas […] car tout le monde marchoit volontiers sous ses ordres et je n’ay guère veu d’officiers plus estimés : en arrivant à un village à deux lieues d’ici que nous trouvâmes entièrement brûlé, il s’avisa de faire battre a tous les tambours de sa petite trouppe la marche des Suisses et r[oy]al infanterie. J’ai sceu depuis ici que les ennemis en avoient été fort effraiés et qu’on éveilla Mr le prince Eugène à minuit pour lui apprendre cette nouvelle. Les Suisses surtout les étonnoient fort, ne pouvant comprendre d’où ils venoient et Mr de Savoie fit tenir les chevaux touts [sic] prêts pour partir deux heures après. Mr le prince Eugène ne partit qu’à six heures du matin et Mr le prince de Hesse qui faisoit l’arrière-garde à neuf avec une grande précipitation. Leur peur étoit grande et ils ne la cachèrent pas. Elle fut cause de ce que cette ville ne fut pas brûlée, car quelques [sic] ordres que Mr de Savoie et Eugène eussent donné de l’épargner, les houssards ne lui eussent peut-être pas fait plus de quartier qu’aux autres lieux de leur passage s’ils n’eussent esté advertis que M. de Cailus venoit sur eux avec 2 000 chevaux25. »
14Fréjus outragée, mais nullement martyrisée, libérée par Caylus et son évêque qui, sans pouvoir se comparer aux cardinaux de Sourdis et de Richelieu, fait une honnête figure militaire, au moins sur le papier : ces lignes rappellent que décidément l’infanterie est bien la reine des batailles, et que Fréjus, où Fleury est rentré le 1er septembre, s’en est tirée à bon compte, comme le prélat le reconnaît dans une autre lettre du 14 septembre. Certes, « cette ville aussi bien que toute la campagne sont absolument ruinées26 », en proie à la famine du fait des réquisitions des envahisseurs. Mais les maisons sont debout, épargnées par l’incendie redouté. C’est un heureux contraste avec Cannes, méthodiquement brûlée par l’ennemi en retraite : « Ils pillent, tuent et violent, prophanent les églises et brûlent après la contribution paiée. On n’a iamais veu des inhumanités et une perfidie pareille. C’est par ordre qu’ils le font27… » Exagérations ? Aucunement : M. de Savoie a bien l’intention de faire un désert du chemin qu’il emprunte. Pour les Impériaux, c’est la pareille qu’ils rendent à Louvois28 et aux Français, jadis auteurs de la même politique de terre brûlée dans le Palatinat. Ces déprédations ont l’inconvénient pour la soldatesque coupable de faire se dresser contre elle la population locale. Hélas, relève Fleury, les milices locales ont des aptitudes militaires fort limitées et ne font guère de mal à une armée strictement encadrée29. Peu de faits d’armes notables : une attaque des paysans de Bagnols dans les bois de l’Esterel, qui a coûté 30 chevaux ou mulets et 20 soldats aux troupes en retraite, au prix de 2 tués et 4 prisonniers30, fort en danger d’être pendus malgré les efforts de notre évêque qui les a fait réclamer sans grande illusion « comme des soldats garde cotes31 » ; un pâtre « d’un village de Mordrucelle », du nom de Lallian, s’est emparé d’un étendard « ou il y a pour devise une colonne avec ces paroles : semper immobilis ». Fleury, qui tient à se poser en protecteur de ses Provençaux passablement méprisés par Chamillart, n’a pas son pareil pour rehausser l’exploit qu’il relate : « apparemment », note-t-il, le drapeau appartenait au général Fell, « qui est d’une branche de la maison Colonne [Colonna] établie en Allemagne ». Le trophée de choix a été remis au maréchal de Tessé, « et je crois qu’il eut esté mieux de le laisser dans l’église du lieu qui est belle pour servir de monument, qui eut contribué à encourager les habitants dans quelque autre occasion32 ». Fleury se verrait-il en tapissier des églises de son diocèse, ornées des dépouilles ennemies ? Il y a en tout cas chez lui un bellicisme bon marché, une surenchère martiale qui fait volontiers fi des réalités militaires : « Vous aurés appris, monsieur, que les ennemis, écrit-il à Chamillart le 4 septembre, achevèrent de passer le Var jeudi, le matin33 », et, ajoute-t-il assez perfidement, « sans perte ni inquiétude et il faut aparemment qu’on n’ait pas pu faire mieux34 ». Cet « aparemment » vaut réquisitoire contre l’attentisme de Tessé, Fleury ne s’étant pas déjà fait faute d’alerter Versailles sur le sourd climat de défiance qui entourait le maréchal35, lequel n’a certes pas le génie d’Eugène de Savoie mais se sort au total plutôt bien de l’épreuve. Toulon a tenu, et la Provence est reconquise, ce qui est l’essentiel : Tessé le temporisateur se souvient de ses classiques et de la débâcle de Turin pour risquer en un seul combat le fruit de toute une campagne.
Reconstructions
15L’ennemi repoussé hors des frontières du royaume, il incombe maintenant à l’évêque de Fréjus de venir en aide à ses diocésains, éprouvés par les réquisitions du duc de Savoie et le passage des armées. Encore ne faut-il pas trop noircir le tableau. Sur les 397 492 livres extorquées aux Provençaux par l’ennemi dans ce funeste été 1707, Fréjus ne contribue que pour 11 767 livres36. C’est peu comparé à ce que supportèrent les autres villes d’une importance équivalente : Hyères, Grasse, Draguignan, Saint-Tropez sont respectivement à 43 461 livres, 36 900 livres, 25 000 livres, 16 000 livres. Fleury s’était bel et bien révélé comme le meilleur des palladiums. La réaction du roi est prompte : la capitation est abaissée de 200 000 livres, le don gratuit des communautés est réduit pour 1708, 1709, 171037. L’intendant fait diligence de son côté. La correspondance entre Lebret et Chamillart est l’écho de cette activité fiévreuse. Dès septembre, Lebret, de son propre mouvement, a ordonné d’acheminer 1 700 quintaux de blés de manière à « pourvoir à la subsistance des habitants des vigueries de Brignolles, Toulon, Hyères et Draguignan », la distribution devant s’effectuer selon les bons soins des évêques de Toulon et de Fréjus38. Bâville, de son côté, expédie depuis le Languedoc 40 000 quintaux « à la coste de Provence », à Toulon, Antibes et Fréjus39. Fin novembre, 40 000 quintaux supplémentaires sont chargés à Toulouse pour être conduits par le canal des deux Mers jusqu’à Agde et Toulon40. En décembre, on constate que les besoins ont été surestimés de 16 000 quintaux41. S’il y a rareté, c’est d’argent, non de blé : les Provençaux partent chez les Barbaresques en acheter pour le vendre au royaume de Valence42. Autant dire que la situation, préoccupante sur le moment, s’est rapidement rétablie.
16Tout au long de cette période, Fleury apparaît de plus en plus comme le chef du canton fréjusien, évêque administrateur, autant sinon plus qu’autorité spirituelle. Ses talents d’organisateur ont hélas d’ailleurs matière à s’employer. Les années qui suivent l’invasion sont sombres. C’est d’abord le « grand hyver » de 1709 qui massacre les oliveraies. Fleury réagit en assouplissant la législation sur les fêtes, autorisant les fidèles à travailler certains jours chômés. En témoignent les ordonnances du 7 mai 1710 et du 13 avril 1712 : la première autorise à travailler « tant a la campagne, que dans les villes et villages » dix jours normalement chômés, mais avec obligation d’entendre la messe43 ; la seconde lève même cette dernière restriction44. Fleury n’eut guère à se forcer : ses initiatives ponctuelles rencontraient un mouvement profond de réduction du nombre des fêtes, sous l’effet de deux logiques – celle de l’État mercantiliste soucieux d’accroître la production nationale, gage de puissance, et celle de l’Église désireuse d’éliminer des festivités aux origines plus que douteuses. Le coup hivernal de 1709 est donc rude. Là encore cependant, et comme deux ans plus tôt, on doit se garder de noircir excessivement. La situation n’a en effet rien de comparable à celle qui se rencontre au même moment dans le Bassin parisien. Le prix des grains grimpe, il y a disette mais non pas famine. Les arrivages d’outre-mer compensent le déficit frumentaire. « Pratiquement, on ne meurt jamais de faim sur les rives de la Méditerranée45. » Dès le printemps 1710, la crise est surmontée46. Elle a cependant laissé des traces ; la paupérisation est réelle. Fleury y est confronté et se plaint de la grande quantité de voleurs, des enfants surtout, que « la débauche des familles » aurait réduits à cette triste condition. Les solutions préconisées ne pèchent pas par une excessive charité chrétienne. Certes, l’évêque a scrupule à fournir la chiourme des galères :
« Il me semble, monsieur, confie-t-il à Chamillart le 1er décembre 1709, comme j’ay desia eu l’honeur de vous le mander une fois, qu’on pourroit s’en défaire par une voie plus douce. Je commencerois par les mettre en prison et continuerois contre eux la procédure. Il y a plusieurs officiers qui travaillent à leurs recrues, et ils trouveroient beaucoup de facilité à les enroller47. »
17Les temps sont durs, les hommes aussi. Le point de vue du cardinal était-il d’ailleurs le pire qui fut ? Rejoindre l’armée, c’était après tout la garantie de manger à peu près à sa faim. Les pauvres délinquants auraient de surcroît l’intérêt de contribuer à la défense du royaume… Zélé pour le roi, Fleury l’est donc, et même assez férocement si l’on en croit cette longue lettre écrite à Desmarets « vers 1710 » après qu’un commissaire eut châtié plusieurs faux-monnayeurs à Draguignan48 :
« Je m’y rendis deux jours après lui pour rassurer un peu la ville, qui était extrêmement effrayée. L’exécution qu’on y a faite d’un avocat et de deux effigies, aussi bien que le supplice de deux maréchaux, y a imprimé une grande terreur et corrigea les coupables. […] Je puis bien vous assurer que j’ai eu le service du roi pour principal motif, aussi bien que tous MM. les commissaires. S’ils eussent usé de toute la rigueur de la justice, ils eussent dépeuplé et ruiné Draguignan. C’étaient tous misérables qui eussent fui sur les frontières de pays étrangers, où ils eussent travaillé, et ils auraient laissé un grand nombre d’enfants à la mendicité. Il ne reste pas un outil de fausse fabrique qui ne soit remis, et je veillerai de façon, sur ces gens-là, qu’il n’y aura rien à en appréhender. J’espère qu’avant la fin du mois j’aurai fait remettre plus de douze mille livres au fermier du domaine ; il y en a tel qui a payé, quoiqu’il n’eût pas billonné quinze louis. J’ai accommodé aussi le maire alternatif avec les consuls, qui ont payé les frais d’une procédure, et ils sont en paix présentement. »
18La fin de la lettre est tout aussi expéditive s’agissant de la contrebande des blés :
« Le transport des blés, c’est un mal qu’on n’arrêtera que par une justice un peu militaire, et je prends la liberté de vous dire que vous feriez bien d’en charger M. d’Artagnan pour cette frontière ; il est sur les lieux, et on le craint. Mon zèle pour le service m’oblige à vous donner cet avis. Si j’avais l’honneur d’être auprès de vous, je vous en dirai les raisons. »
19Intéressant témoignage, en contrepoint à la douceur légendaire du cardinal. L’homme sait être dur et ne répugne pas à l’usage de la manière forte : c’est un trait qu’il faudra garder à l’esprit quand on en viendra à l’ascension versaillaise après 1715. D’autre part, ce genre de missive ne contribue pas peu à entretenir une certaine publicité personnelle dans les cercles gouvernementaux. Par Chamillart et Desmarets, on atteint Mme de Maintenon et, qui sait, le roi. En tout cas, l’abbé de cour de jadis est bien mort. L’évêque-frontière se mue quasiment en chef de guerre. On l’a vu en 1707 ; c’est encore plus vrai en 1710 où, en juillet, des troupes ennemies sont signalées devant Monaco (qui tient pour la France). Grignan envoie 100 soldats des troupes de marine à Fréjus pour la garde des batteries du golfe, à l’approche de 9 vaisseaux anglais et hollandais49. Fleury coordonne la résistance locale et pare au plus pressé. Il semble bien que son rôle ait été décisif. C’est sous son inspiration que fut dépêchée à Agay (Saint-Agulf) la garde-côte chargée de prêter main-forte aux 3 canons qui défendaient le port où s’étaient réfugiées 20 tartanes – lesquelles, remplies de blé, étaient poursuivies par 5 navires anglais50. Fleury avait donc contribué à sauver Fréjus de la disette. Dûment répercutés, son loyalisme et son patriotisme corrigeaient, si besoin était, les rumeurs de trahison dont Saint-Simon se fait l’écho complaisant.
20Le bilan de l’évêque était donc des plus honorables. Bon serviteur de Dieu, il ne l’avait pas moins été du roi. On comprend mieux dans ces conditions le choix de Louis XIV en 1715. Mais ces qualités de sérieux et de zèle auraient-elles été suffisantes pour faire monter Fleury à Versailles ? La plupart des prélats du royaume auraient justement pu prétendre partager ces vertus avec Fleury. D’autres paramètres entrèrent donc en ligne de compte : rebondissement des affaires jansénistes, jeu des clientèles. Quittons maintenant le théâtre de Provence, devenu décidément trop petit pour Fleury.
Notes de bas de page
1 Saint-Simon, 1983-1988, t. III, p. 9-10.
2 Girardin, 1729, t. I, p. 269.
3 Ibid.
4 Ranchon, fol. 88.
5 Jean-Pierre Papon (1734-1803), oratorien (de 1752 à 1784) ; son histoire de la Provence repose sur un travail archivistique important : il fréquenta en particulier les archives du royaume de Naples (jadis possédées par les comtes de Provence).
6 Papon, 1777-1786, t. IV, p. 617-618.
7 Dès le 13 juillet, les consuls de Grasse, Vence, Cannes et Fréjus s’étaient rendus auprès du duc de Savoie « pour traiter de la contribution ». « Ce prince exigea principalement des vivres, et promit de ne faire aucun tort aux habitants, pourvu qu’ils ne prissent pas les armes » (Mémoires militaires…, 1835-1862, t. VII, p. 113).
8 SHD, série A1, no 2041, pièce 255 : « Si tous les habitans du paÿs étoient capables de profiter de votre exemple et avoient la même fermeté que vous, on pourroit se flatter de voir répéter une seconde fois la destinée de l’armée de Charles Quint. »
9 SHD, A1, 2042, pièce 236.
10 SHD, A1, 2041, pièce 221, lettre de M. de Vauvré (intendant de la Marine) à Tessé, depuis Toulon, le 19 juillet 1707 : « Une lettre de Fréjus du 17 dit que ce soir-là, M l’évesque de Fréjus y avoit disné et soupé avec M le Duc de Savoye, et M le Prince Eugène ce qui n’est pas possible, à moins qu’ils n’y fussent venus avec leur cavalerie qui n’est que de 900 chevaux, puisque l’armée n’estoit pas arrivée à Grasse le 16 à quatre heures après midy. »
11 Ranchon, fol. 89-92.
12 Chamillart à Fleury, 23 juillet 1707 : « Il y a si longtems que vos Provençaux ne connoissent plus la guerre que j’apréhende qu’ils ne trouvent de vivres et de subsistances à donner à l’armée de M de Savoye dans les lieux où ils laisseront mourir de faim les troupes du Roy. Rien ne m’a fait plus de peine que ce que j’ay appris des habitans de Cannes qui travaillèrent avec toute la diligence possible à préparer 10 m[ille] rations de pain et de fourrages pour l’armée ennemie. S’ils trouvoient partout les mêmes facilités, ils pourroient arriver à Toulon avant le Ma[récha]l de Tessé » (SHD, A1, no 2041, pièce 255).
13 Ibid., fol. 94.
14 SHD, 2043, pièce 39, lettre de Fleury à Chamillart, 4 septembre 1707.
15 Ranchon, fol. 88.
16 SHD, 2041, pièce 297, lettre de Fleury à Chamillart, 27 juillet 1707.
17 Bosc, 1985-1993, t. V, p. 675.
18 Ibid., p. 704, 717-720.
19 SHD, 2042, fol. 4.
20 Mémoires militaires…, 1835-1862, t. VII, p. 152.
21 « Dieu veuille que leur défaite leur soit aussi funeste que celle de Charles Quint. » SHD, 2042, pièce 236, lettre de Fleury à Chamillart, 21 août 1707.
22 Ibid.
23 Ibid., 2043, pièce 64. La lettre n’est pas datée, il est seulement indiqué qu’elle est parvenue à Versailles le 6 septembre. Comme l’ennemi a levé son bagage devant Toulon le 22 août, on peut penser que les cinq jours de guerre dont parle Fleury courent de cette date au 27. Cette conjecture est confirmée par les Mémoires militaires : Caylus est au Muy le 26, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Fréjus, devançant le gros de Tessé à Lorgues (un peu à l’ouest de Draguignan). Le lendemain l’ennemi repasse l’Estérel (Mémoires militaires…, 1835-1862, t. VII, p. 154-155).
24 Claude Abraham de Thubières de Grimoard de Pestels de Lévis (1672-1759), marquis de Caylus, aura une carrière essentiellement ibérique : il sera fait duc et grand d’Espagne en 1742.
25 SHD, 2043, pièce 64.
26 Ibid. Ajoutons à cette liste Pignans, Le Luc, Vidauban, Le Muy, La Motte, Roquebrune, en partie brûlés et pillés.
27 Ibid.
28 … à Louvois et à Villars : les Français ayant protesté de ce que « les troupes ennemis [sic] brûloient et pilloient les lieux où elles passoient comme s’ils ne les avoient pas mis à contribution », il fut répondu au maréchal de Villars « que l’on faisoit le même traitement en Provence qu’il avoit fait à Ulm et dans tous les lieux où il a estably sa contribution » (Chamillart à Tessé, cité dans Bosc, 1985-1993, t. V, p. 773).
29 Gourdon observe que des dragons flanquent les ailes de l’armée ennemie « pour dissuader les soldats de quitter leur poste » (SHD, 2043, pièce 40). De fait, constate Fleury, « nous n’avons pas trouvé un seul traineur ni maraudeur de leur infanterie » (ibid., pièce 64, lettre à Chamillart, vers le 27 août 1707).
30 Les Mémoires militaires parlent de « plus de cinq cents hommes tués » (Mémoires militaires…, 1835-1862, t. VII, p. 155).
31 SHD, 2043, pièce 39, Fleury à Chamillart, 4 septembre 1707.
32 Ibid.
33 Dans la nuit du 30 au 31 août en fait (Mémoires militaires…, 1835-1862, t. VII, p. 157).
34 SHD, 2043, pièce 39. Nous soulignons.
35 « Je crois donc qu’il est essentiel que vous scachiez qu’on n’a aucune complaisance pour le général, que tout le pais marque même un grand mépris pour lui, et que tous les officiers généraux sont très mécontents de ses projets et de sa conduitte » (Fleury à Chamillart, 1er août 1707, SHD, 2042, pièce 8).
36 « État des contributions auxquelles les comm[unau]tez de Provence furent taxées pend la camp[agn]e de 1707 et de ce qui en a été payé » (Lebret au chancelier Voysin, Aix, 29 avril 1715 ; BnF, Fr. 8904, fol. 510-511).
37 Chamillart à Lebret, 19 octobre 1707 et 20 décembre 1707 (BnF, Fr. 8886, fol. 197 et fol. 435).
38 Chamillart confirme à Lebret le 15 septembre 1707 que le roi a approuvé son initiative (ibid., fol. 23).
39 Chamillart à Lebret, 2 octobre 1707 ; Bâville à Lebret, 4 novembre 1707 (ibid., fol. 95 et 131).
40 Lettre du munitionnaire Legendre à Chamillart, 22 novembre 1707 (ibid., fol. 365-366).
41 Lebret à Chamillart, 5 décembre 1707 (ibid., fol. 409).
42 Ibid.
43 ADV, 1 G 55, fol. 71ro.
44 Ibid., fol. 71vo.
45 Lachiver, 1991, p. 426.
46 En avril, Desmarets note que la Provence exporte du blé vers le Dauphiné (BnF, Fr. 8892, fol. 65ro et fol. 68ro). Le 21 mai, il avertit Lebret que le convoi que devait conduire le Malouin Magon n’a plus lieu d’être et qu’il sera vraisemblablement détourné vers l’Espagne (fol. 185ro).
47 SHD, A1, 2143, pièce 308.
48 Elle est citée par M. de Sars (Sars, 1942, p. 37-38) qui, comme à son habitude, n’indique pas ses sources.
49 Grignan à Lebret depuis Marseille, 27 juillet 1710 (BnF, Fr. 8892, fol. 390-391).
50 Agay, 1991.
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