Chapitre VII. Les réseaux curiaux
p. 61-72
Texte intégral
Un abbé de cour dévot
1Dans cette brillante peinture, une seule ombre : la disparition de Marie-Thérèse, dès 1683. De nulle incidence sur les choix politiques de Louis XIV, la reine, irréprochablement dévote, en imposait par sa piété tout ibérique. On pourra indéfiniment spéculer sur les effets de son patronage concernant l’avancement d’André-Hercule si elle avait vécu plus longtemps. Il est vrai que la désignation à un évêché procédait aussi de considérations politiques, et il n’est pas dit que son crédit moral eût suffi à emporter la décision. Du moins notre Languedocien peut-il continuer à s’appuyer sur Bonsy. Mieux, il élargit le cercle de ses relations. Curieusement, le soutien qu’assurait d’Aguesseau à son oncle ne paraît pas s’être reporté sur lui. Signe de continuité en revanche, le successeur de d’Aguesseau en Languedoc (à partir de 1685, jusqu’en 1718), Nicolas de Lamoignon de Bâville, comptera parmi les relations du jeune ecclésiastique : non pas comme l’écrit Ranchon dès le début de sa montée à Paris, puisque Bâville, qui n’a jamais mis les pieds en Languedoc à cette date, ne semble avoir eu aucun contact avec les Fleury, mais plus vraisemblablement à partir de 1688-1689, dans des circonstances d’ailleurs déplaisantes pour André-Hercule1. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’une relation patron/client de nature à concurrencer sur le moment la fidélité due à Bonsy. Cependant, à plus long terme, cette accointance se révélera importante, en particulier lorsque le vieux prélat déclinant se verra supplanté par l’intendant dans le gouvernement du Languedoc au cours des années 1690. Administrateur à poigne, appliquant sans faiblesse l’édit de Fontainebleau et réprimant le soulèvement des « fanatiques » cévenols, Bâville a en effet pour lui l’oreille du roi, plus tard de Mme de Maintenon, des bases familiales impressionnantes dans la haute-robe (son père était premier président au parlement de Paris) que doublent d’intéressantes alliances (avec les Broglie notamment). Autant dire que Fleury se trouvera bien inspiré d’avoir ménagé une telle puissance lorsque le crédit de Bonsy viendra à s’étioler. À cet impératif de survie s’ajoute d’ailleurs l’intérêt bien compris de la famille restée en Languedoc. Assez prosaïquement, le désengagement qui s’effectue vis-à-vis du patron déchu doit se comprendre dans cette double perspective. En tous les cas, ces relations amicales perdureront avec les Lamoignon fort tard : quand Fleury s’enfuira (momentanément) de Versailles en 1721, c’est chez eux qu’il se rendra, en leur propriété de Bâville justement.
2Quant aux autres relations d’André-Hercule, il est plus difficile d’indiquer quelles logiques ont présidé à leur formation. Si l’on en croit Ranchon, cette sociabilité exubérante serait le produit des seules qualités personnelles du jeune chanoine :
« L’abbé de Fleury ne se contenta pas de s’ettre remply l’esprit de la doctrine de l’Église, et de l’avoir praemuny contre l’erreur ; il le cultiva encore par la lecture de l’histoire ancienne et moderne, et tacha de se former par la conversation et par cette connoissance du monde que l’on n’acquiert bien que par le commerce des hommes – et il porta dans le grand monde ces dispositions heureuses qui préviennent favorablement et qui font qu’on n’a besoin ny d’amis pour être introduit, ny de recommandations pour être agréablement reçus de tous2. »
3Passage intéressant, en ce qu’il brosse le tableau d’un abbé de cour, nullement scandaleux d’ailleurs, mais qui pratique plus volontiers les usages du monde qu’une dévotion forcenée. Le type en paraît plutôt commun, et l’on retrouverait chez le jeune Fléchier, méridional lui aussi (il est né en 1632 dans le Comtat), maints traits faisant songer à son cadet languedocien3. À proprement parler, il n’est pas question d’une vie licencieuse : on ne voit pas « l’abbé de Fleury » travailler à faire une fortune prodigieuse, non plus qu’à entretenir des maîtresses. Est-ce vertu ou seulement discrétion, mais les chroniques galantes du temps n’ont gardé l’écho d’aucune frasque. En tout et pour tout, une chanson ordurière du temps de son ministériat4, de perfides assertions sous la plume du président Bertin de Rocheret, « qui se délectait à noter sur un bout de papier les bruits scandaleux que recueillait son oreille attentive5 », sans oublier quelques vagues insinuations chez Saint-Simon. Ranchon évoque bien un « incident » survenu au sujet de l’abbesse de Fontevrault (Marie-Madeleine Gabrielle de Rochechouart de Mortemart, sœur de Mme de Montespan), mais tout aussitôt pour en disculper André-Hercule.
4Cela dit, Fleury est incontestablement partie prenante à cette société de cour, au moins par l’attrait profond qu’il éprouve pour son « commerce », entendons cette sociabilité consistant dans l’art du beau langage, de la saillie, de l’esprit qui moque et confond l’adversaire. Car André-Hercule sait se faire mordant à l’occasion, comme Ranchon le rappelle à plusieurs reprises. Témoin ce passage où notre bon abbé daube un riche partisan (son nom n’est pas mentionné, mais l’allusion était transparente aux contemporains) dont le patronyme comportait deux fois la lettre « L ». Ledit financier en supprime un pour alléguer une vague parenté avec une grande maison homonyme (qui n’avait qu’un seul « L ») : « il a tant volé qu’il a perdu les ailes6 ».
5Quand Ranchon s’extasie sur la virtuosité verbale et les manières du cardinal en ses jeunes années, c’est donc une certaine préciosité qu’il dépeint, laquelle fait sa part belle à l’érudition historique et littéraire, et, sur un mode léger, ambitionne d’atteindre le rare et le délicat. De là cette inflation métaphorique, qui transfigure la banale réalité et la dévie sur un registre badin : le couvent des carmélites à Paris où se retirent la duchesse de La Vallière (en 1674), le duc d’Épernon et Mme de Vigens devient ainsi « la maison des dépits amoureux7 » ; l’austère carrosse de l’évêque de Mirepoix, augustinien farouche qui appellera plus tard de la bulle Unigenitus, un « carrosse de Carthage », allusion recherchée « au canon de ce concile sur le luxe des Éveques8 ». Très précieux encore, ce mot sur la dispute née entre M. de Gomberville qui « avoit fait un livre pour abolir le Car » et Voiture, défenseur de la conjonction de coordination : « en abolissant ce mot, remarquait le fin Fleury, on s’en prenoit à l’authorité de nos Roix, car tel est notre plaisir9 ».
6Cette faconde a toutefois son revers. Louis XIV, même dans le tumulte d’une jeunesse dissipée relativement aux choses de la chair, souhaitait chez les ecclésiastiques une certaine modestie dont notre abbé ne donnait visiblement pas l’exemple le plus probant. Bien entouré, Fleury l’était indubitablement. Trop même si l’on en croit un passage éclairant de Saint-Simon : « Il [Louis XIV] n’estimait pas sa conduite, et disait qu’il était trop dissipé, trop dans les bonnes compagnies, et que trop de gens lui parlaient pour lui10. » Passons sur la « dissipation » qui recouvre une civilité, disons… exubérante, mais point nécessairement fornicatrice. La suite, par contre, est plus intéressante. Le roi déteste qu’on lui force la main et refuse que Fleury lui soit imposé. Ce n’est pas forcément antipathie pour son aumônier. La nomination à l’évêché interviendra en temps et heure voulus, selon le bon plaisir du monarque. La patience, après tout, est la qualité première du courtisan.
7Il y a donc chez André-Hercule trace de ce bel esprit qui, aux dires de Ranchon, subjugue les habitués des hôtels à prétention intellectuelle que sont ceux de la duchesse de Bouillon ou du cardinal de Forbin Janson, lui gagne de nombreuses amitiés à la ville comme à la cour chez les beaux esprits (en particulier l’abbé de Polignac – futur cardinal et latiniste distingué, dont on reparlera) et l’estime « des princesses et des dames de la qualité11 ». Ici émergent quelques noms de cette nébuleuse féminine, mentionnés par Saint-Simon comme par Ranchon : la duchesse de Chevreuse et sa fille, Mmes de Lévis, de Dangeau, de Saint-Géran, de Caylus, la maréchale de Villeroy, Mme de Béringhen (fille aînée du duc d’Aumont) et son époux (Jacques-Louis, mort en 1723, et premier écuyer de Louis XIV). Parmi ces dames, toutes n’ont assurément pas la réputation d’une vertu sans défaut : la comtesse de Saint-Géran (1655-1733), bien que veuve, mène joyeuse vie. « Charmante d’esprit et de corps12 », elle avait largement dispensé ses grâces et avait été aimée de Seignelay. Détail curieux, Saint-Simon note qu’elle « mangeait avec un goût exquis et la délicatesse et la propreté la plus poussée13 » : l’art de se tenir à table entre dans les canons de la séduction en cette fin du xviie siècle, sûr témoignage, a contrario, que la civilité n’a pas encore conquis un empire absolu. Installée en permanence à la cour, introduite dans les meilleures sociétés, liée à Mme de Sévigné, elle est aussi une habituée des soupers de Mme la Duchesse14, qui, dûment arrosés, se prolongent fort tard dans la nuit. Colère du prince de Condé (le mari de Mme la Duchesse) et de son fils, « M. le Duc », las de faire les frais de ces bruyantes agapes. Le roi gronde ces dames, qui promettent de cesser… et récidivent. Survient alors (en 1696) l’ordre de s’éloigner de la cour. Mme de Saint-Géran choisit de faire retraite au couvent de Bellefonds à Rouen, dont l’une de ses parentes est abbesse. La vertu, propre à reconquérir le roi, sait opportunément s’allier aux commodités d’une parentèle fournie. Dans l’atmosphère dévote où plonge Versailles, ces paroles, répétées aux quatre vents ont un sûr effet : « Elle dit qu’ayant eu le malheur de déplaire au Roi, il n’y avait pour elle qu’un couvent ; et cela fut fort approuvé15. » Lisons cet épisode comme un beau témoignage de finesse courtisane : dans sa retraite normande, notre comtesse s’achète une conduite ; ses nombreux amis intercèdent pour elle depuis Versailles ; enfin, le roi la rappelle en 1699.
8Exception qui confirme la règle cependant. Et d’ailleurs, dans le cas de la comtesse de Saint-Géran, c’est plus dissipation que licence véritable, Saint-Simon et Mme de Maintenon lui gardant estime et amitié. Demeure en effet l’impression qu’André-Hercule « cible » volontiers le groupe des « dévotes » – à la mode de la cour s’entend, des mœurs inattaquables n’excluant pas une vie sociale brillante. Des affinités entre elles et lui sont incontestables. Un physique avantageux prédispose en sa faveur, sur quoi insiste lourdement Saint-Simon (« sa figure adoucit les esprits »). Disons également qu’un parallèle s’impose entre ce jeune prêtre, qui guette un gros bénéfice et n’en trouve pas, et ces jolies jeunes femmes, qui consacrent leurs pensées à Dieu sans mépriser pour autant les hommages platoniques (?) que des messieurs bien disposés adressent à leur esprit et à leur aimable minois. Dans tous les cas, un égal dépit de ne pouvoir s’avancer, irrémédiable dans le cas des dames (sinon par procuration, via le mari et les enfants), qui prend son mal en patience dans la soumission aux volontés du Très-Haut ou s’étourdit dans les afféteries d’une préciosité un peu superficielle. Cette civilité exquise est bien d’abord l’affaire des femmes, qui prennent là leur revanche sur une position normalement subalterne : envers éclatant d’une certaine misère morale, et non empire absolu du sexe faible sur la société comme le croyaient il y a un siècle les frères Goncourt. Mouvement d’ailleurs conforme au processus culturel, alors en cours, de discipline pulsionnelle : les salons éduquent les ardeurs d’une aristocratie encore très fruste au temps d’Henri IV. Il est difficile de ne pas voir dans ce jeu de séduction une entreprise de sublimation où le bel esprit se substitue à la brutale concupiscence du premier âge bourbonien. Les plaisirs de la conversation en modèrent sans doute les effets, mais ne la suppriment pas. Sous-jacent à l’« honnêteté » des propos et des gestes, il y a toujours place pour l’obscur et l’inavouable des passions. Lorsque le marquis d’Argenson déclare de Fleury qu’il « avait été amoureux en jeunesse16 » de Mme de Lévis, n’espérons pas, évidemment, trancher entre la calomnie (nullement impossible, le marquis haïssant le cardinal) et le simple rapport d’un fait avéré. La dernière hypothèse n’est pas invraisemblable et rend bien compte d’une certaine ambiguïté où évolue un abbé de cour, plutôt bien fait de sa personne, point trop sot, et entouré de dames désœuvrées. La cour est le centre des tentations, chaudron des ambitions et concupiscences très humaines, où l’habitude de certaines accointances féminines, même demeurées chastes et pures, peut, auprès d’un roi glissant à la dévotion l’âge venant, conduire à quelque fâcheux contretemps dans le déroulement d’une honnête carrière : André-Hercule aura l’occasion de s’en convaincre dans peu de temps.
Des réseaux divers : les Colbert, Noailles, Villeroy (1670-1690)
9Ensemble disparate que ce cercle de relations ? Certes, mais il n’est toutefois pas dépourvu d’une certaine cohérence. On remarquera ainsi une prédilection marquée pour les colbertides comme l’indiquent ces lignes de Saint-Simon :
« Fleury, respectueux, et d’un esprit et d’une humeur qui avoit su plaire, d’une figure qui plaisoit peut-être encore plus, d’une modestie, d’une circonspection, d’une profession qui rassuroit, gagna toujours du terrain, et il eut la fortune et l’entregent d’être d’abord souffert, puis admis dans les meilleures compagnies de la cour, et de se faire des protecteurs ou des amis illustres des personnages principaux, en hommes et en femmes, dans le ministère et dans les premières places ou dans le premier crédit. Il étoit reçu chez M. de Seignelay ; il ne bougeoit de chez M. de Croissy, puis de chez M. de Pomponne et M. de Torcy, où, à la vérité, il étoit, comme ailleurs, sans conséquence et suppléoit souvent aux sonnettes avant qu’on en eût l’invention17. »
10Si l’on s’applique à suivre l’ordre de ce texte, ce sont Seignelay et Croissy qui se rencontrent les premiers sur le chemin d’André-Hercule. Ceci au bon moment, en pleine décennie 1680, lorsque Seignelay, fils du Grand Colbert, secrétaire d’État à la Marine depuis 1683, est à son apogée – hélas pour peu de temps puisqu’il s’éteint dès 1690. La protection de Croissy (1625-1696), frère puîné de Jean-Baptiste, est plus remarquable encore : secrétaire d’État aux Affaires étrangères depuis 1679 en remplacement de Pomponne (1618-1699), il est également ministre d’État (c’est-à-dire qu’il a ses entrées au Conseil d’en haut), faisant figure de chef du lignage depuis 1683. Le positionnement de Fleury est donc nettement anti-Le Tellier : aspirations déjà pacifiques d’André-Hercule ? Mais, tout en détestant cordialement Louvois, qui le lui rend bien, Seignelay est un auxiliaire zélé de la brutale politique des Réunions qui battent leur plein dans la décennie 1680, violent et sanguin comme son grand rival, aux antipodes, par conséquent, du style apaisé du futur cardinal. La fidélité aux Colbert se poursuit après la disparition de Croissy (1696), et se reporte, en l’occurrence, sur son fils Torcy (1665-1746), la sollicitude paternelle lui ayant obtenu la survivance de la charge de secrétaire d’État aux Affaires étrangères dès 1689. La pérennisation des Colbert au pouvoir s’effectue de pair avec le retour en force de Pomponne qui, après sa réintégration au conseil en 1691, partage avec le jeune Torcy la direction des Affaires étrangères. Détestables 15 ans plus tôt18, les relations Colbert-Arnauld se normalisent en 1696 lorsque Torcy épouse la seconde fille de Pomponne, Catherine-Félicité. Morts Seignelay puis Croissy, c’est donc le duo Torcy-Pomponne qui prend sous son aile André-Hercule dans les années 1690. D’après Ranchon19, Fleury aurait gagné l’estime de Pomponne en raison de sa conduite irréprochable : assertion plausible, quand on sait que le secrétaire d’État ne passait pas spécialement pour un débauché. L’entrée dans la mouvance des Arnauld-Colbert vaut certificat de bonnes mœurs. Les façons diplomatiques des deux hommes, courtoises et policées, sont cette fois plus en rapport avec le caractère du Languedocien qui a vu le tandem à l’œuvre lors des négociations préparatoires à la paix modérée de Ryswick (1697). Tant qu’à suppléer aux sonnettes (dixit Saint-Simon), il n’est pas non plus exclu qu’André-Hercule se soit tout bonnement instruit et fortifié de l’expérience diplomatique de ses protecteurs. Qui plus est, Torcy avait reçu une éducation soignée, connaissait (banalement) le latin mais aussi le grec, et avait soutenu une thèse de philosophie en sa jeunesse : de quoi favoriser un rapprochement avec Fleury qui partageait avec lui le goût des belles-lettres. Avec Torcy et Pomponne, c’est aussi l’irruption dans la carrière de notre homme d’un certain esprit jansénisant. Pomponne, on le sait, neveu du Grand Arnauld, avait été l’élève de Barcos20 et avait frayé avec les dévots qui entouraient Fouquet (dont l’arrestation lui valut même d’être exilé à Verdun en 1662-1663). Torcy n’était pas non plus exempt de cette sensibilité augustinienne : son grand-père, Joachim Béraud, était un « janséniste notoire21 ».
11Est-ce à dire qu’André-Hercule fut influencé par ce contexte religieux ? Il ne semble pas, mais son immersion dans un tel milieu lui a permis d’être remarqué favorablement par le cardinal de Noailles, ceci lui ouvrant à terme l’accès à l’épiscopat. Autre conséquence, nullement négligeable : en raison du mariage de Jeanne-Marie Colbert (sœur de Seignelay) en 1667 avec le duc de Chevreuse, Fleury se trouvait au contact du conseiller officieux de Louis XIV, ami, de surcroît, de Mme de Maintenon, lui aussi dévot, mais très éloigné pour sa part de toute faiblesse janséniste – ce qui après tout n’était pas sans intérêt pour notre ecclésiastique, recentrant son image qui aurait pu avoir à souffrir plus tard d’une certaine compromission avec l’« hérésie ». Saint-Simon dit donc vrai quand il évoque les amitiés du jeune Fleury (« dans les premières places ou dans le premier crédit ») ; à condition toutefois de ne pas exagérer l’importance de ces accointances éventuellement génératrices de disgrâce. Le crédit de Chevreuse, ainsi, se réduit considérablement avec l’affaire quiétiste, dès 1694-1699. Le duc se compromet alors avec Mme Guyon et Fénelon, s’attirant la tenace défiance de Mme de Maintenon. Rude coup pour Chevreuse, sa femme et sa belle-sœur (la duchesse de Mortemart, également Colbert), toutes deux ardemment guyonistes… De ce côté-ci, donc, de coupables amitiés pouvaient se révéler dangereuses. Fleury sut heureusement ne pas sombrer avec la « querelle du pur amour », qu’il n’avait suivie d’ailleurs que de très loin, en la déplorant au surplus malgré son estime pour Fénelon. De cette incursion parmi les Chevreuse, tout ne disparaîtra toutefois pas. L’amitié de Mme de Lévis (1678-1734), fille du duc, ne l’abandonnera jamais, notamment durant les débuts difficiles de la Régence. De fait, elle joue un rôle qui n’est pas négligeable à la cour du Roi-Soleil déclinant, en très bons termes avec Mme de Maintenon, laquelle n’avait pourtant pas peu contribué au déclin de son père. Pour Fleury, à très long terme, c’est une tête de pont en direction des orléanistes puisqu’elle contribuera (avec Saint-Simon et la duchesse de Villeroy, entre autres) à faire aboutir en 1710 le projet de mariage entre le duc de Berry (fils du Grand Dauphin) et Mlle de Valois (Marie-Louise-Élisabeth d’Orléans, 1695-1719, fille du futur Régent). Très liée par ailleurs aux Saint-Simon (en particulier la duchesse de Saint-Simon qui lui doit en partie sa place de dame d’honneur attachée à la duchesse de Berry), elle contribuera à négocier en douceur la transition post-louis-quatorzienne qui aurait fort bien pu être fatale aux ambitions de l’ancien évêque de Fréjus. Soutien total donc, qui pourrait éventuellement inspirer les commérages. Il n’en est toutefois rien si l’on en croit Saint-Simon dont la plume acerbe, dans le cas contraire, ne se fut pas fait faute de relever le libertinage du cardinal22. Enfin, détail piquant, sa fille (Marie-Françoise, 1698-1728) épousera en 1722 le marquis de Castries alors veuf de Mlle de Vivonne, entrant du coup dans la famille du cardinal de Bonsy, le patron des jeunes années.
12Doté de pareils protecteurs, on pourrait donc croire le chemin tout tracé pour Fleury, le plus gros fait avant l’obtention imminente du bénéfice épiscopal. En réalité, si les « amis » sont nombreux, le tableau ne doit pas faire illusion. La tribu Colbert n’est pas seule en lice dans la conquête des faveurs royales, même si la concurrence que lui opposaient Louvois et ses alliés s’est réduite, faute de combattants : le secrétaire d’État à la Guerre s’éteint en 1691, d’ailleurs à la veille d’une disgrâce peut-être définitive et jamais son fils, Barbezieux (mort en 1701), ne parviendra à rendre aux Le Tellier leur lustre de jadis. Les années 1690 sont d’ailleurs une fin de cycle, où disparaît la seconde génération (et les rescapés de la première : Croissy), entraînant un certain flottement, mais passager puisque Torcy succède à Pomponne pour les Affaires étrangères en 1699 et que Desmaretz (un neveu de l’illustrissime contrôleur général) aura en charge la périlleuse mission de faire tenir les finances du royaume au plus critique de la guerre de Succession d’Espagne (1708-1715).
13En profondeur, il y a transformation de la structure politique à partir de 1691. Disparus Colbert et Louvois, chefs des deux clans rivaux entre lesquels se distribuait savamment la faveur royale, c’est la pratique traditionnelle du clientélisme ministériel qui s’en trouve radicalement modifiée23.
14Les largesses du roi continuent bien à irriguer la cour en empruntant les réseaux d’« amis » et de « dévoués », mais les clientèles sont frappées de dispersion, d’éclatement. C’est là, au fond, le terme ultime de l’évolution engagée en 1661 : l’exercice personnel du pouvoir alors hautement revendiqué par le jeune roi substituait à l’intermédiaire obligé du « principal ministre » un jeu d’équilibre entre les « tribus » Colbert et Le Tellier, qui assurait au souverain une singulière marge de manœuvre. Les disparitions des deux grands patrons majeurs, en 1683 et 1691, signifient la fin de cette structuration duale. Sous le roi, une poussière de réseaux rattachés à quelques ministres (Pontchartrain, Chamillart), conseillers (Chevreuse), grands (Villeroy). Chacun, pris séparément, représente peu de choses. Cette atomisation sert la toute-puissance du monarque. Sa traduction politique, c’est l’abaissement du Conseil d’en haut et la généralisation du travail à la « liasse », ou « travail du roi », tête-à-tête entre Louis XIV et un ou deux ministres24.
15Plaçons-nous maintenant du point de vue d’un ambitieux, à hauteur de la décennie 1690, et tâchons d’intégrer à sa trajectoire cette dislocation des grandes clientèles : il ne s’agit plus de prendre pied dans l’une ou l’autre des mouvances maintenant défuntes, d’être « Colbert » ou « Le Tellier » ; il s’agit désormais de ratisser large, de multiplier les amitiés sans espérer qu’aucune puisse s’avérer décisive. De là, chez notre aumônier, ce pullulement des protecteurs sollicités, cette extrême fluidité du patronage. Ce n’est pas seulement instabilité caractérielle ou désir de parvenir à tout prix : la logique distributive du pouvoir l’exige. D’ailleurs, l’entregent d’André-Hercule ne paraît pas devoir aller bien loin auprès des Colbert. Saint-Simon, contestable mais toujours précieux, force peut-être le trait quand il réduit son rôle à suppléer « aux sonnettes avant qu’on en eût l’invention », mais on ne voit pas que, par la suite, ses puissants amis aient joué beaucoup en sa faveur. Par contre, et c’est là une perspective d’avenir, l’amitié dont l’honore la duchesse de Chevreuse l’annexe d’une certaine façon à la mouvance maintenoniste : Chevreuse et sa sœur, la duchesse de Beauvillier, sont les protectrices de Mme Guyon (depuis 1687-1688 environ) qui, présentée à l’épouse royale, a eu l’heur de lui plaire. Les faveurs de Mme de Maintenon ne se démentent donc pas, au moins jusqu’au dénouement final de la crise quiétiste (1699), qui signe, on l’a dit, la rupture définitive avec les duchesses, embourbées dans la querelle du pur amour. La protection des colbertides se révélant plus brillante que solide, Fleury devrait-il se résigner à une existence obscure, dépourvue de vastes perspectives ? Nullement, car il sait aussi pouvoir compter sur le maréchal de Villeroy, animateur d’une petite société où l’on relève les noms de la maréchale (Marie-Marguerite, une Cossé-Brissac de naissance, 1648-1708), point sotte et même assez habile pour se faufiler dans le labyrinthe versaillais, les Dangeau (le mémorialiste et son épouse – celle-ci première dame du palais au mariage du duc de Bourgogne25, grande amie de Mme de Lévis), sans oublier Mme de Caylus, un temps maîtresse de Villeroy. Petit cercle, mais familier du roi et de son épouse secrète : le maréchal-duc est un ami d’enfance de Louis XIV et son père fut gouverneur du roi. L’homme est une tête creuse et vaniteuse mais a de l’allure et voue à son maître un culte intransigeant qui se reportera, plus tard, sur le petit Louis XV. Dans le microcosme versaillais, c’est une puissance importante, solidement entée sur la tige prolifique et ministérielle des Neufville, s’appuyant sur de solides bases dans le Lyonnais dont il est gouverneur, comme jadis son père, premier duc et pair de la famille (1663), et son grand-père (Charles de Neufville, marquis d’Alincourt, 1566-1642). Un familier du roi, un domestique même si l’on donne à ce mot son sens primitif : entendons par là que son crédit provient davantage de l’affection royale que de l’exercice de responsabilités politiques ou de ses lumières propres. Dépourvu d’envergure, il fait un maréchal de France (depuis 1693) calamiteux pendant la guerre de Succession d’Espagne, pris à Crémone (1702), écrasé à Ramillies (1706). Son rôle est cependant d’importance pour Fleury : sa femme et lui le suivent sans doute dès les années 1680, de conserve avec Mme de Dangeau (1664-1736), mais bien avant Mme de Lévis (1678-1734), née vingt-cinq ans après André-Hercule. L’inaltérable affection que lui témoigne Louis XIV et sa longévité à la cour serviront le futur cardinal qui pouvait se prévaloir de l’ancienneté de leurs relations. Faut-il, dans ces conditions, s’étonner de cette sorte de traité passé entre les deux hommes au début de la Régence, le gouverneur et le précepteur du petit roi se promettant mutuelle assistance dans une conjoncture difficile ? Alliance qui, telle qu’elle nous est décrite par Saint-Simon, relève du jeu clientéliste ordinaire26. Après Bonsy, après le cardinal de Noailles (dont on va reparler maintenant), Villeroy est donc le troisième patron de Fleury (entre 1715 et 1722).
16Enfin, les Noailles, chez qui Fleury a ses entrées, dès la décennie 1680 semble-t-il27. Pari sur l’avenir qui s’avérera particulièrement fructueux, ce lignage ayant pour lui d’être prolifique, d’investir massivement l’Église (Louis-Antoine, cardinal et archevêque de Paris) et l’armée (Annes-Jules, maréchal de France pendant la guerre de Succession d’Espagne) en attendant les ministères durant la Régence. « C’était une tribu qui entraînait bien des gens », note Saint-Simon admiratif, pourtant habitué de ce genre d’ascension s’effectuant à l’échelle de toute une « maison28 ». Cette montée en puissance resterait incompréhensible si n’était en œuvre une intelligente stratégie matrimoniale : alliances avec les Gramont (1687), Coetquen (1696), d’Estrées, La Vallière (1698) et, point culminant, en cette même année 1698, mariage du comte d’Ayen (Adrien-Maurice, futur duc de Noailles, 1678-1766) avec une nièce de Mme de Maintenon29. Ce que Fleury perdait donc de ce côté avec l’amitié de Mme de Chevreuse, devenue encombrante par suite de sympathies féneloniennes par trop marquées, il le récupère, en somme, par les Noailles, « raccrochant » pour ainsi dire la veuve Scarron, condition sine qua non pour entrer dans les faveurs du roi. Ce rapprochement avec Mme de Maintenon ne s’accompagnait toutefois d’aucune rupture avec la duchesse de Chevreuse et sa fille, Mme de Lévis, « celle de toutes [ses amies], remarque le duc de Luynes au sujet de Fleury, pour laquelle il a toujours conservé le plus d’estime, de goût et de confiance30 », quitte d’ailleurs à faire jaser. Décisif pour l’avenir, le patronage noailliste demeure toutefois mystérieux en ses origines. Il ne suffit pas, en effet, que Fleury ait régalé de bons mots la compagnie pour conquérir l’estime des principaux du lignage, et au premier chef celle de Louis-Antoine, pour lors évêque de Cahors (1679) puis de Châlons (1680), bientôt promis à l’archevêché de Paris en 1695, et au cardinalat en 1700. Ledit évêque se signale déjà par un augustinisme prononcé : il faut croire, manifestement, que ses sentiments ne se choquaient pas de la doctrine de Fleury. Si l’on ajoute, suivant en cela Ranchon, qu’André-Hercule était plutôt bien vu de Bossuet, il y a là autant d’indices plaidant en faveur d’un positionnement qui n’est pas précisément « jésuitique » – présomption encore renforcée par quelques solides antécédents (le collège d’Harcourt, Saint-Magloire, malgré un hypothétique passage par Clermont), qui n’ont pu aller bien évidemment que droit au cœur de Noailles. Nul doute, enfin, que la participation d’André-Hercule à la grande assemblée de 1682 n’ait conforté chez lui un a priori favorable.
17De fait, les jésuites sont bel et bien absents de cette « première vie » du Languedocien (jusqu’en 1715, date de sa nomination comme précepteur du futur Louis XV). Saint-Simon est éloquent sur ce point, l’exemptant du reproche de jésuitisme durant son épiscopat – il est vrai pour mieux l’accabler ensuite31. Cette absence ne vaut d’ailleurs pas condamnation de la part de Fleury qui prend grand soin de ne pas se commettre avec les « jansénistes32 » et collaborera d’ailleurs plus tard sans problème avec les jésuites de Fréjus. Mais, vers 1680-1690, sans procéder une fois encore d’une hostilité véritable, cette indépendance dont fait preuve le futur cardinal vis-à-vis des loyolistes est un préalable qui a manifestement joué dans la protection de Noailles à la fin du siècle – sans oublier non plus que les divergences théologiques sont, pour l’heure, occultées par la continuation de la paix clémentine et se révéleront seulement à partir de 1705. Ajoutons que le tableau serait incomplet si l’élément féminin était absent des amitiés noaillistes d’André-Hercule. Celui-ci s’est en effet gagné dans les années 1690 l’estime de la maréchale, belle-sœur du cardinal : Marie-Françoise, née de Bournonville (1656-1748), est le type même de la maîtresse femme, aucunement épuisée par ses couches à répétition (au nombre de 2133), forte d’un entregent redoutable lequel, d’ailleurs, inquiète quelque peu le roi. Cette mater familias qui prend énergiquement en main les destinées de la maison sitôt disparu son époux (1708), réussissant au passage quelques belles alliances, exercera une heureuse influence sur Fleury, d’abord au moment de sa nomination à Fréjus puis durant la Régence, en amortissant les dissentiments profonds survenus alors entre l’ancien évêque de Fréjus et l’archevêque de Paris à l’occasion de la bulle Unigenitus34.
Une situation précaire en réalité
18Ce tableau brossé de la cour vers 1690, quelles perspectives se dégagent pour Fleury ? Dans l’immédiat, son rôle est nul. La charge d’aumônier ordinaire du roi donne bien accès au souverain, mais de façon discontinue (un trimestre par an) : condition nécessaire mais pas suffisante pour « arriver ». En fait, André-Hercule est refoulé tout à la périphérie du système domestique, incapable par lui-même de peser à la cour. Ce qui compte à cette date, ce sont les réseaux, les filières intégrées par le Languedocien.
19Bonsy, d’abord. Hélas, les années 1680 s’avèrent détestables pour le cardinal qui perd toute chance de devenir ministre. Le repli s’effectue sur le Languedoc, où il continue à jouer le rôle d’intermédiaire obligé, en sa qualité de président-né des États, entre le roi et les sujets de la province. Ce n’est certes pas négligeable, mais la forteresse languedocienne a cessé d’être inexpugnable, entamée depuis l’arrivée en 1685 du nouvel intendant, Bâville. Entreprenant, ambitieux, ce dernier l’est sans conteste. Ajoutons de la part du prélat de grossières erreurs, une incompréhension flagrante du climat versaillais. Premier faux pas, Bonsy entretient au vu et au su de tous une maîtresse, Mme de Ganges. Tout à sa passion montpelliéraine, il la couvre de présents, détournant au passage quelque argent public35. Double scandale, aussitôt répercuté, amplifié par Bâville. Enfin, l’archevêque, bon connaisseur de sa province, n’ignore pas le poids, notamment économique, des huguenots. D’ailleurs nullement obsédé par les questions de doctrine, il ne manifeste aucun zèle à multiplier les conversions. En somme, Bonsy reprend à son compte la vieille tradition montmorencyenne de défenseur des libertés du Languedoc, sorte de régionalisme empirique qui regarde avec méfiance les ordres descendus de Versailles. Cette circonspection finalement assez sage, si l’on pense à la catastrophe cévenole (qui éclate en 1702, mais dont les prodromes sont perceptibles dès 1688), produit un effet évidemment détestable dans l’esprit du roi. Dès lors, c’est la chute libre, interrompue passagèrement en 1693, lorsque le prélat marie son neveu, Castries, avec Mlle de Vivonne, nièce de Mme de Montespan. En pure perte d’ailleurs : quand il disparaît en 1703, son crédit s’est réduit à néant depuis longtemps.
20Restent les Noailles. Leur fortune commence après 1690. Les Noailles, c’est-à-dire, dans la perspective ecclésiale qui est celle de Fleury, Louis-Antoine de Noailles, pour l’heure évêque de Châlons. On a dit plus haut quels motifs lui avaient fait accueillir favorablement André-Hercule. Cette entrée progressive dans la mouvance noailliste serait cependant de peu d’effet si le patron pressenti ne connaissait lui-même (et la maison d’où il sort) une ascension rapide. Ce qui est le cas, pour des raisons qui tiennent à la fois à la stratégie lignagère adoptée (des alliances tous azimuts, rendues possibles par un crédit déjà sensible et le nombre, impressionnant, de partis à marier) et à la trajectoire particulière du cardinal-archevêque. Des qualités incontestables, une vertu édifiante, une solide culture théologique font de lui un représentant éminent de la Réforme catholique qui, au tournant du siècle, porte tous ses fruits dans le haut-clergé. Mais, comme toujours, la réussite d’un homme ou d’une famille ne peut se déprendre d’une certaine conjoncture. Pour l’heure, un augustinisme prononcé, quoique toujours un peu suspect de jansénisme, ne constitue pas un obstacle insurmontable aux faveurs du roi. Au contraire même, dans la mesure où il s’allie à un gallicanisme farouche, comme c’est en effet le cas ici, bienvenu dans le rude conflit franco-romain inauguré par l’assemblée du clergé en 1682. Il s’y ajoute enfin la protection de Mme de Maintenon qui a pu juger de la parfaite orthodoxie de Noailles dans l’affaire quiétiste dont Fénelon, autrefois très en faveur, ne s’est pas relevé : ce dernier écarté, Bossuet déclinant, les allées sont maintenant ouvertes pour Noailles. Entre la crise du pur amour (1694, date des conférences d’Issy) et le réveil de l’interminable question janséniste (via le Nouveau Testament de Quesnel36 qui concentre l’attention royale à partir de 1703), s’ouvre donc une « fenêtre » d’une dizaine d’années correctement exploitée par notre prélat. La chronologie a son importance ici, y compris pour Fleury. Comptons bien : s’intercalent six ou sept années où sa position devient vulnérable, au moment où la fidélité à Bonsy se révèle de plus en plus compromettante à la fin des années 1680, alors même que la protection de Noailles ne lui est pas encore assurée (deuxième moitié des années 1690). C’est dans cet intervalle en creux que se produit, assez logiquement, une première éclipse.
Notes de bas de page
1 Il est en effet exilé à Montpellier à cette date (voir infra).
2 Ranchon, fol. 10.
3 Fléchier est un habitué de la ruelle de Mme de Scudéry dans les années 1660, il fréquente probablement aussi l’hôtel de Rambouillet à cette date. L’hôtel était, dit Saint-Simon, une « espèce d’académie de galanterie, de vertu et de science ; car toutes ces choses-là s’accommodaient alors merveilleusement ensemble » (Delacroix, 1883, cité p. 33). Comme André-Hercule, le futur évêque de Nîmes s’adonne aux joies des belles-lettres, aux plaisirs de la conversation, plaide pour un « féminisme » qui a tôt fait de lui gagner les suffrages de ces dames (« Et puis notre abbé avait des doctrines charmantes sur la femme en général, sur la part que la Providence lui a faite dans la distribution de ses dons ou de ses châtiments ; sur la part moins libérale que lui laisse l’homme dans la société », ibid., p. 34).
4 « Batards du card. de Fleury » (BnF, Dossier bleu 272, fol. 4) : « Le Sr du Pech / Le card. son père luy fit donner un employ dans les poudres, puis fermier général, se tüe en duel avec un autre fermier général. / Marche des mousquetaires […] / Battez tambours, jouez hautsbois / Fleury pour nous donner des loix / d’un de ses batards a fait choix / Oh ! le grand homme que voilà ! / Il fait honneur à son papa / et vive la chaize a caca / Les beaux neveux, les jolis fils / Rocozel, Narbonne, et Fleury / Fontanieu, Belle-Isle [sic] et Muy / Oh ! Les grands hommes que voilà / Ils font honneur à leur papa / et vive la chaize à caca. » Le marquis d’Argenson fait également allusion à cette chanson dans son journal (21 juin 1741) : « Le pauvre cardinal s’enferme et pleure tout seul ; il a obtenu très sottement qu’on fît officier des mousquetaires un sien bâtard, nommé Lachaise ; chacun le fuit, personne n’a pu le recevoir dans sa compagnie. On a fait une chanson sur cela, et sur les autres prétendus bâtards et neveux, comme Fontanieu, Muy, etc. ; elle finit par ce refrain : la chaise à caca ; on la lui a envoyée à lui-même » (Argenson, 1859, t. III, p. 317-318).
5 Sars, 1942, p. 24.
6 Ranchon, fol. 70.
7 Ibid., fol. 13.
8 Ibid.
9 Ibid., fol. 13-14.
10 Saint-Simon, 1983-1988, t. I, p. 571.
11 Ranchon, fol. 15.
12 Saint-Simon, 1983-1988, t. I, p. 281.
13 Ibid., t. I, p. 350.
14 Mme la duchesse douairière, autrement dit Mlle de Nantes avant son mariage en 1685 avec Louis de Bourbon (petit-fils du Grand Condé). Elle était la fille de Louis XIV et de Mme de Montespan.
15 Saint-Simon, 1983-1988, t. I, p. 350.
16 Argenson, 1859, t. II, p. 138.
17 Saint-Simon, 1983-1988, t. I, p. 572.
18 Secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1671 à 1679, Pomponne avait été supplanté à ce poste par Colbert de Croissy.
19 Ranchon, fol. 22.
20 Barcos était lui-même neveu de Saint-Cyran.
21 Bluche, 1990, p. 1520, article « Torcy ».
22 « C’était une femme de beaucoup d’esprit, vive à l’excès, toujours passionnée, et ne voyant ni gens ni choses qu’à travers la passion, qui, en bien ou en mal, la possédait sur les choses ou sur les personnes. Elle s’était donc coiffée de Monsieur de Fréjus, en vérité jusqu’à la folie, en vérité aussi en tout bien et honneur ; car cette femme, avec tous ses transports d’affection, était foncièrement pétrie d’honneur, de vertu, de religion et de toute bienséance » (Saint-Simon, 1983-1988, t. VII, p. 519).
23 « Au lieu d’un système pyramidal dans lequel le monarque ne communique qu’avec un nombre restreint de collaborateurs, qui transmettent les ordres à leurs subordonnés, Louis choisit délibérément un système “en râteau”, dans lequel les grands commis comme les ministres ont à lui rendre compte personnellement » (Petitfils, 1995, p. 519).
24 Ibid.
25 Saint-Simon, 1983-1988, t. VI, p. 85. Au surplus, Mme de Maintenon a fait donner les honneurs du Louvre aux Dangeau : « Ces honneurs du Louvre qui ne sont rien autre chose que le privilège d’entrer dans son carrosse, ou en chaise avec des porteurs de sa livrée, dans la cour réservée où il n’entre que les carrosses et les porteurs en livrée des gens titrés » (ibid.).
26 « il [Villeroy] dit que Fréjus et lui s’étaient promis l’un à l’autre, dès les premiers temps de la Régence, une indissoluble union, et que si, par des troubles et des évènements qui ne se pouvaient prévoir, et qui n’étaient que trop communs dans le cours des régences, on entreprenait d’ôter l’un d’eux auprès du Roi sans que l’autre pût l’en empêcher, et sans lui toucher, cet autre se retirerait sur-le-champ, et ne reprendrait jamais sa place que celle de l’autre ne fût rendue, et en même temps… » (Saint-Simon, 1983-1988, t. VIII, p. 492).
27 Ranchon, fol. 10-11.
28 Saint-Simon, 1983-1988, t. III, p. 82.
29 Françoise-Charlotte-Amable d’Aubigné (1684-1739). Suivent, en 1703, 1707, 1713, trois mariages : avec le marquis de Beaumanoir ; M. de Gondrin, fils du duc d’Antin, petit-fils de Mme de Montespan ; le fils du maréchal de Châteaurenaud. En 1716, épousailles avec le marquis de Louvois (petit-fils du ministre). Veuve de M. de Gondrin, la sixième fille de la maréchale épousera en 1723 le comte de Toulouse.
30 Luynes, 1860-1865, t. V, p. 239.
31 « Peu aimé des jésuites et lié avec la meilleure compagnie, il ne s’était pas contraint de blâmer l’Inquisition et la tyrannie qui s’exerçait sur le jansénisme, et avait toujours laissé son diocèse en paix. L’idée d’être précepteur le fit changer de conduite… » (Saint-Simon, 1983-1988, t. V, p. 153).
32 Fleury aurait ainsi refusé à la fin des années 1670 un bénéfice « considérable » offert par l’archevêque de Reims, Le Tellier, hostile aux jésuites puis, moins d’une dizaine d’années plus tard, aurait décliné l’amitié des abbés de Louvois et de Caumartin pour le même motif (Ranchon, fol. 16 et 35).
33 Sur ces 21 enfants, 13 survécurent, dont 9 filles (Bertin, 1975, p. 226).
34 Ranchon, fol. 148.
35 « Il était accusé de ne lui rien refuser, et, comme il disposait dans les états, et hors leur tenue, de beaucoup de choses pécuniaires, et de bien des emplois de toutes les sortes, Mme de Ganges était accusée de s’y enrichir, et il y en avait bien quelque chose » (Saint-Simon, 1983-1988, t. II, p. 339).
36 Quesnel, 1696.
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