Introduction à la cinquième partie
p. 245-246
Texte intégral
1L’ombre de Napoléon plane incontestablement sur l’Europe du xixe siècle et bien sûr particulièrement sur la France, où le sacre du 2 décembre 1804, immortalisé par David, a obsédé les politiques pendant cinq décennies. Pour beaucoup l’exécution de Louis XVI marque la fin de la royauté de droit divin. Ceux qui souhaitaient la restaurer pouvaient-ils remettre en scène le sacre ancestral ? Napoléon avait cassé les codes. La légitimité procédait désormais de la Nation. Napoléon changea de lieu et bouleversa le rituel. Il entra dans Notre-Dame de Paris avec la couronne de lauriers, le manteau, le sceptre et la main de justice, pour bien signifier qu’il était déjà empereur, par plébiscite et sénatus-consulte. Il ne voulait pas paraître « en chemise » comme le roi de France, et encore moins se prosterner pendant le chant des litanies. C’était trop d’humilité devant la croix de l’autel. Pour ne pas quitter ses beaux habits, il fut seulement oint sur la tête et les deux mains (trois onctions au lieu de neuf, évidemment sans le recours à la Sainte Ampoule, brisée en 1793) et l’impératrice pareillement, aussitôt après lui. Le pape, conciliant, bénit les insignes qu’il lui donna, à l’exception de la couronne fermée. Napoléon la prit lui-même pour se la poser sur la tête, à la place de la couronne de lauriers, puis il couronna sa femme. À la fin de la cérémonie Pie VII se retira dans la sacristie pour faire mine de ne pas entendre l’empereur prêter le « serment constitutionnel » : garantie de l’intégrité des territoires de la République (et de ses récentes conquêtes), de l’égalité des droits, de l’irrévocabilité de la vente des Biens nationaux (en grande partie les biens de l’Église confisqués en 1790), de la liberté des cultes, la garantie du Concordat, certes, mais aussi des articles organiques rajoutés unilatéralement par la France, qui réintroduisaient le gallicanisme en asservissant le clergé à l’État.
2Le rêve d’Empire dura dix ans. En 1814 Louis XVIII remonta sur le trône… en la 19e année de son règne. C’est bien là le cœur du problème juridique et politique analysé par Jean-François Gicquel, qui reconsidère les explications traditionnelles avancées pour la non-célébration d’un sacre. Prudente intelligence dans un contexte compliqué, handicap physique sans doute, mais surtout pleine et entière conscience de son rang. Il ne pouvait plus y avoir de sacre sans serment à la Charte, instrument d’une royauté contractuelle attentatoire à sa légitimité. Celle-ci, par principe dynastique, remontait à 1795, à la mort de Louis XVII, et dans ces circonstances tragiques il avait été sacré in pectore, comme on le dit des cardinaux honorés secrètement de la pourpre.
3Charles X n’avait ni la même subtilité ni les mêmes scrupules. Il tenait à une cérémonie grandiose dans la cathédrale de Reims, pour réaffirmer la légitimité du régime, quitte à raccourcir et aménager le rituel pour tenir compte des réalités nouvelles. Pour assurer au sacre un écho national, le gouvernement a ordonné des fêtes publiques dans tout le pays ; François-Xavier Martischang en donne l’illustration en Lorraine. Comme la célébration avait lieu traditionnellement un dimanche, le premier temps fort de ce 29 mai 1825 devait être une messe solennelle en présence des officiels en costume, avec une homélie de circonstance. Drapeaux blancs et fleurs de lis, guirlandes et lampions, donnaient au moindre village un air de fête. Réjouissances populaires, amnistie des délits mineurs et secours aux indigents devaient rassembler les Français autour du souverain bienfaisant. Cela a tenu cinq ans.
4Le sacre de Charles X fut le 76e et dernier de l’histoire de France (rois et reines confondus). Louis-Philippe, roi des Français, ne fut pas couronné et ne prit même pas la pose en costume royal, se contentant de son uniforme de général. Napoléon III n’eut pas le même déni, nous rappelle François Lormant. Porté au trône par un plébiscite le 2 décembre 1852, jour anniversaire explicite, il commanda en 1855 un portrait officiel en costume de sacre, mais de la cérémonie il ne garda que les 101 coups de canons.
5Clairement les temps avaient changé et il n’y avait plus guère que l’Angleterre qui pouvait faire semblant de l’ignorer, avec pompes et circonstances. Partout ailleurs en Europe les monarchies, désormais constitutionnelles, ont dû s’adapter aux nouveautés politiques. Thomas Niklas prend l’exemple des États de la Confédération germanique, influencés par le modèle français de serment de fidélité à la Constitution… qui remonte à Napoléon Ier. La prestation de serment et le discours du trône s’imposent alors comme les actes initiatiques du règne, toujours en vigueur de nos jours dans les pays européens qui n’ont pas adopté le régime républicain. Un cas particulier – et sans lendemain – est celui de la Prusse. En 1861 Guillaume Ier a voulu renouer avec l’acte fondateur de son royaume, en 1701, quand le prince-électeur Frédéric III de Brandebourg s’était couronné sous le nom de Frédéric Ier de Prusse, au château de Königsberg, le bien nommé. Guillaume a pris lui-même la couronne posée sur l’autel de la chapelle et s’est présenté à l’assemblée avec épée et sceptre. Le projet d’un couronnement à Cologne en 1871, après la proclamation de l’Empire allemand, est resté sans suite ; Guillaume II s’est contenté d’un discours du trône. Toute idée de légitimité divine était évacuée. Pouvait-il en être autrement dans une Europe « désenchantée » et laïcisée ?
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