Chapitre XVII. La peur à parts égales ? Pour une approche « symétrique » des relations entre Grecs et Égyptiens, avant Alexandre
p. 237-248
Texte intégral
1En 2011, Romain Bertrand, spécialiste de l’Indonésie moderne et contemporaine, a publié un ouvrage L’Histoire à parts égales qui a immédiatement suscité une avalanche de réactions, de comptes rendus et de débats, tant il paraissait renouveler l’historiographie des études coloniales. L’idée de départ est assez simple puisqu’il s’agit « d’écrire une histoire “symétrique” de la rencontre, à la fin du xvie et au début du xviie, entre Hollandais, Malais et Javanais » en utilisant, « dans la trame même du récit, si possible autant, mais surtout de même manière les documentations européennes (néerlandaises, britanniques et portugaises) et insulindiennes (malaises et javanaises)1 ». L’ambition du livre est de restituer la rencontre de 1596, entre Hollandais et Javanais, en effectuant une exploration symétrique qui confère « une égale dignité documentaire » aux deux parties, d’où le nom d’histoire symétrique, branche de l’histoire connectée2, appliqué à cette méthode.
2Si la réussite du projet de Romain Bertrand est, pour reprendre les termes de Philippe Minard, « éclatante3 », peut-elle être étendue à tous les cas de figure, à toutes les époques de rencontres civilisationnelles ? À travers le prisme de la peur, c’est à cette question méthodologique que cet article tentera de répondre, en étudiant les premiers temps de la rencontre entre Grecs et Égyptiens. Nous nous demanderons si les premiers contacts ont été marqués par la peur, de part et d’autre et, si oui, si celle-ci s’est atténuée avec l’installation, au moins à partir du règne de Psammétique Ier (664-601 av. n. è.), d’une communauté grecque en Égypte.
3Le projet de Romain Bertrand étant de conférer « une égale dignité documentaire » aux deux parties, il semble indispensable de commencer par faire le point sur les sources, égyptiennes comme grecques.
4La peur ressentie par les Grecs vis-à-vis de l’Égypte trouve un premier écho dans la littérature homérique. Certains passages de l’Odyssée rendent compte du caractère de terre lointaine et dangereuse attribué à l’Égypte4. D’une manière générale, c’est toute l’histoire du Protée homérique qui renvoie aux sentiments de peur et d’étrangeté attachés à l’Égypte5. En marge des terres connues, l’Égypte d’Homère se présente comme une terre d’exception, au caractère merveilleux. Proche du monde des morts et des pays fabuleux, l’Égypte en partage déjà certaines caractéristiques6.
5Terre pratiquement inaccessible, le pays du Nil semble, en outre, bien gardé des incursions étrangères, comme l’apprennent à leurs dépens, dans l’Odyssée, les compagnons du Pseudo-Crétois, rapidement appréhendés par les forces égyptiennes pour s’être conduits en pillards7. De même, chez Hérodote, Pâris-Alexandre, chassé par des vents contraires en Égypte, est vite saisi par le gardien de la bouche du fleuve, Thonis, au service du pharaon Protée8. Dans les deux épisodes9, néanmoins, la force égyptienne est compensée par une certaine bienveillance de la part de souverains, présentés, surtout en ce qui concerne le Protée hérodotéen, comme des figures de sagesse10.
6Ce n’est plus du tout le cas dans le mythe de Busiris, connu par certaines sources littéraires, comme le Pseudo-Apollodore11, mais surtout développé par l’imagerie des vases attiques et italiotes, entre le vie et le ive siècles avant notre ère, recensés par Véronique Mehl12. Comme l’a en particulier souligné Jean-Yves Carrez-Maratray13, Busiris, figure imaginaire créée par les Grecs14, peut être considéré comme un stéréotype effrayant du roi barbare xénophobe, châtié par le héros civilisateur grec15. Ce mythe donne de l’Égypte l’image d’un pays tellement inhospitalier qu’y accoster c’est signer son arrêt de mort. Pourtant, paradoxalement, il est à noter qu’il s’est développé à une époque où l’Égypte n’était plus une terre si lointaine et « inaccessible », puisqu’une communauté y était établie et avait même été favorisée par les souverains de la XXVIe dynastie saïte (664-525)16. Cela dit, dans une magistrale étude sur le sujet très controversé du sacrifice humain17, Jean Yoyotte a bien montré qu’il était possible que la pratique de l’anthropoctonie, sans doute assez rare aux époques historiques égyptiennes, ait été néanmoins quelque peu réactivée au cours de la Troisième Période Intermédiaire (1080-656) et n’ait été interdite qu’à partir du règne d’Amasis (570-526)18. Si tel était le cas, l’installation d’une communauté grecque en Égypte se serait faite alors que se pratiquaient encore de tels actes19. La condamnation grecque du sacrifice humain pratiqué par des Égyptiens reposerait donc peut-être sur une réalité. Le mythe de Busiris pose la question de la différence de perception qui pouvait exister vis-à-vis de l’Égypte entre les Grecs qui y résidaient et ceux qui la considéraient de loin. Le mythe s’est en effet essentiellement développé dans l’imagerie des vases attiques et italiotes, pour un public qui n’avait qu’une perception fantasmée de l’Égypte. Le motif n’apparaît jamais en Égypte même. Au contraire, la réfutation qu’en donne Hérodote, comme sa version du mythe de Protée, pourrait bien résulter des récits qu’il a pu recueillir auprès d’une communauté hellénique très reconnaissante à la dynastie saïte, et tout particulièrement à Amasis, le pharaon « philhellène ». La peur de l’Autre qui se lit à travers le mythe de Busiris peut donc être contrebalancée par la « version hérodotéenne » de Protée, qui manifeste une plus grande intégration de ces Grecs d’Égypte dans le pays du Nil.
7C’est du reste également ce qui semble apparaître des quelques sources épigraphiques locales provenant de cette communauté grecque d’Égypte20, dans laquelle il n’est jamais question non plus d’une quelconque peur, mais plutôt de la fierté, quand elles émanent de soldats, d’avoir été reconnus pour leur valeur21. L’inscription de la statue-cube de Pédôn est à ce titre tout à fait intéressante, même s’il ne faudrait pas généraliser un cas exceptionnel22. De même, les inscriptions grecques de Naucratis ne manifestent aucun sentiment de crainte de la part de la communauté grecque de l’emporion23. Le silence de ce type de sources sur un sentiment comme la peur n’a, cela dit, rien d’étonnant. Les sources qui permettent d’approcher – de manière imparfaite le plus souvent – les émotions sont généralement plutôt littéraires, philosophiques et parfois iconographiques24.
8S’il est néanmoins possible, grâce essentiellement aux sources littéraires, malgré les limites qui sont les leurs, de repérer la peur que pouvait inspirer l’Égypte avant l’installation d’une communauté grecque dans le pays des pharaons et même au-delà, en ce qui concerne les Grecs hors d’Égypte, comme le mythe de Busiris tend à le montrer, la quête du ressenti des Égyptiens eux-mêmes dans le cadre de cette rencontre est beaucoup plus ardue. Non seulement les sources égyptiennes ne sont pas très loquaces sur les rapports entre les habitants de la vallée du Nil et les Grecs, mais le terme même pour désigner ces derniers ne fait pas l’unanimité parmi les chercheurs, ce qui ne facilite pas notre recherche.
9Tous les égyptologues ne s’entendent en effet pas sur le sens du terme de Haou-nebou(t) [Ḥȝw-nbw] qui a, en outre, pu évoluer à travers les siècles25. Sans rentrer dans le détail des débats des spécialistes, il semble néanmoins possible de considérer qu’au premier millénaire le terme peut désigner « les Égéens, et, par extension, les Grecs26 ». C’est ainsi, par exemple, qu’on traduit généralement le terme dans l’inscription de l’appui dorsal de la statue de Neshor27, connue sous le nom de Statue Louvre A90, l’un des rares documents égyptiens qui pourraient nous intéresser pour notre sujet. Commandant des frontières de la mer, puis des pays du sud, sous les Saïtes, Neshor se vante, en effet, d’avoir permis de « repousser les étrangers rebellés contre le roi, ajoutant une anecdote le mettant aux prises avec des mercenaires récalcitrants28 », dont certains sont appelés Haou-nebou(t).
10Dans un article de 1884, Gaston Maspero traduit le passage en question ainsi :
« Après que vous [il s’agit des dieux Khnoum, Sati et Anouki] m’aviez jeté dans une localité rendue misérable par les mercenaires Amou, Ioniens, Bédouins, impies, [qui complotaient] dans leurs cœurs que je les envoyasse (litt. que je fisse aller) pour passer au désert Arabique dans leurs cœurs, comme sa Majesté redoutait les misères qu’ils faisaient, je confirmai leurs cœurs dans ce dessin, je ne les fis point passer en Nubie, mais je les fis arriver au lieu où était sa Majesté, si bien que Sa Majesté les massacra29. »
11S’il est bien question, dans ce passage, d’une certaine crainte des autorités égyptiennes face à une rébellion de mercenaires, parmi lesquels figureraient des Ioniens, ce sentiment n’a rien de spécifique aux Grecs et aurait été le même quelle que soit l’origine ethnique des révoltés.
12Ce type de source ne nous permet donc pas de faire une étude similaire, pour les Égyptiens, à celle que nous avons développée du côté grec grâce aux textes littéraires essentiellement, plus adaptés à ce type de recherche. Or, l’Égypte ne fournit aucun équivalent aux documents grecs qui nous ont permis d’approcher la peur que les Grecs avaient pu ressentir face au pays du Nil30. Un type de sources intéressantes auraient été les contes égyptiens31, mais, si la thématique de l’étranger n’en est pas absente32, on ne rencontre aucune allusion à des Grecs.
13Cette aporie doit-elle nous faire renoncer au projet d’une histoire à parts égales des commencements de la rencontre entre Grecs et Égyptiens, tout au moins dans le domaine des émotions – et en l’occurrence de celle de la peur ? Assurément pas !
14Romain Bertrand lui-même s’est en effet trouvé confronté à la non-mention de l’arrivée des premiers Hollandais à Banten dans les sources malaises ou javanaises. Or, il met en garde contre la tentation de réduire le monde de la rencontre à l’« archive de contact ». Son projet ne se résume pas à mettre en relation des sources émanant de part et d’autre. Poser un nouveau regard sur l’histoire de la rencontre entre Grecs et Égyptiens, dans la perspective d’une histoire connectée, c’est aussi tâcher de comprendre les conditions de production de celle-ci, en prenant en compte le bagage culturel des uns et des autres. Analyser, par exemple, la vision égyptienne du monde extérieur et des étrangers33 ou encore le caractère magique attribué par les Égyptiens à l’écrit ou aux images34, est indispensable pour comprendre le relatif silence des sources35. Bien sûr, cette ambition dépasse largement les possibilités d’un simple article, mais garder en tête l’importance de penser les deux mondes en parallèle peut néanmoins offrir des pistes stimulantes. En l’occurrence, cela passe aussi par un croisement de perspectives historiographiques, entre études égyptologiques et helléniques, qui ont trop longtemps évolué de manières autonomes, comme frappées d’autisme culturel.
15Or, dans cette perspective, nous allons voir que certains indices, certes ténus et dans certains cas discutables, peuvent émerger de sources inattendues36. Parce qu’il donne à entendre la voix de ses informateurs, lesquels peuvent être égyptiens37, Hérodote nous renseigne sur la façon distanciée dont les Égyptiens pouvaient envisager les Grecs, desquels, selon l’historien grec, ils répugnaient à adopter les usages38. Ainsi, en II, 41, explique-t-il que « ni Égyptien ni Égyptienne ne voudrait baiser un Grec sur la bouche, ni se servir du couteau d’un Grec ou de ses broches ou de son chaudron, ni manger de la chair d’un bœuf exempt des signes si elle a été découpée avec un couteau grec39 ». La raison donnée par l’historien grec est de nature religieuse, mais elle montre aussi l’écart qui pouvait exister entre deux communautés qui ne respectaient pas les mêmes tabous alimentaires40. De même, les différences de pratiques – et, par-delà, la crainte que cela peut engendrer de se mélanger – se lisent dans le passage consacré au devenir de la tête d’un animal sacrifié, selon le rite « égyptien » rapporté par Hérodote41. Sans prendre au pied de la lettre l’ensemble de la pratique du sacrifice décrite par l’historien grec, nous pouvons tout de même retenir de ce passage la singularité, plutôt négative, que pouvaient encore représenter les Grecs pour les Égyptiens, à l’époque du voyage d’Hérodote, soit vers la mi-ve siècle. Si, comme le fait remarquer Gaëlle Tallet, dans un remarquable article récent qui reprend l’ensemble de la description du « sacrifice » égyptien vu par Hérodote, ce passage peut traduire une certaine « insertion des marchands grecs dans le circuit de redistribution des temples […], résultat d’une démarche consciente, assumée des prêtres d’Égypte, sans doute de Memphis, dans le cas présent, qui y trouvent un intérêt économique », « de toute évidence, les Égyptiens montrent de la répugnance à se servir du couteau d’un Grec, de ses broches ou de ses chaudrons, c’est-à-dire des instruments de la thusia42 ».
16La difficulté des relations peut aussi se lire à travers un autre passage d’Hérodote, l’anecdote se rapportant à Ladiké43. Le fait qu’Amasis considère que sa nouvelle épouse cyrénéenne ait pu l’envouter a sans doute à voir avec la nature jugée « dangereuse » des femmes, dans bien des civilisations44, mais que cela concerne spécifiquement une Grecque n’est sans doute pas anodin. En relisant l’anecdote dans la perspective des contacts entre Égyptiens et Grecs – et des sentiments que ceux-ci peuvent engendrer –, il apparaît qu’elle peut même faire figure de véritable métaphore des relations entre Amasis et la communauté hellénique. Il faut rappeler, en effet, qu’Amasis n’est arrivé au pouvoir qu’après une guerre civile qui a abouti au renversement du souverain légitime, Apriès. Ce dernier s’était engagé dans une intervention en Libye45 qui se conclut par un véritable massacre des soldats égyptiens, face aux combattants grecs, comme nous le rapporte longuement Hérodote46. Amasis se serait appuyé sur un courant hostile aux Grecs pour renverser Apriès. La guerre civile a, en effet, sans doute été essentiellement une rivalité entre les deux forces47 qui constituaient l’armée de l’Égypte saïte : les makhimoi, d’un côté et, de l’autre, les mercenaires, la plupart grecs, qui étaient en train de s’imposer comme armée permanente et menaçaient les makhimoi de se voir exclus d’emplois ouvrant, semble-t-il, à des avantages importants. L’issue malheureuse de l’expédition libyenne n’a dû agir alors que comme un catalyseur, d’autant moins négligeable qu’une bonne partie des makhimoi à l’époque était peut-être encore d’origine libyenne et que les vainqueurs étaient grecs. La chute d’Apriès manifeste donc bien une peur que les Égyptiens – ou tout au moins les makhimoi – ont dû éprouver face à ces Grecs qui s’étaient si bien intégrés dans les rouages de l’armée qu’ils semblaient menacer leur propre maintien. La peur tourne même à la paranoïa, puisque, selon Hérodote, les makhimoi « se figuraient qu’il [Apriès] les avait envoyés de propos délibéré à un désastre certain, pour causer leur perte et régner lui-même avec plus de sécurité sur le reste de la population48 ». Or, si l’on suit toujours Hérodote, une fois arrivé au pouvoir, Amasis se transforma en pharaon « philhellène49 » ! Une étude plus fine de l’action du dernier grand souverain saïte montre que ses réformes peuvent aussi être vues comme une réponse aux revendications des makhimoi et de tous ceux qui étaient inquiets du poids croissant pris par les Grecs en Égypte. En effet, comme l’a démontré Alain Bresson, la concession d’Amasis à Naucratis est en réalité une remise en ordre de l’activité des commerçants grecs dans le Delta, qui avaient « pu se joindre aux bandes d’aventuriers grecs qui soutenaient Apriès, alors que la région, sinon la ville de Naucratis elle-même, semble avoir été le foyer initial du soulèvement50 ». D’une manière habile, Amasis a accompagné cette reprise en main d’avantages, en particulier religieux51, qui permettaient de s’attacher la communauté grecque, dont il avait besoin aussi bien pour le commerce que pour son armée, tout en satisfaisant sa base nationale. Comme nous pouvons le voir, l’anecdote de Ladiké peut bien illustrer l’évolution des relations entre Amasis et la communauté grecque, qu’en définitive, Amasis a réussi à soumettre.
17La peur face à une immigration grecque mal contrôlée, mal gérée, n’est pas nouvelle à l’époque d’Amasis et peut sans doute également se lire derrière les différents récits grecs faisant apparaître une interpellation rapide, et parfois musclée, d’Hellènes accostant dans le Delta. Il s’agit en effet d’un motif récurrent qui, comme nous l’avons vu, se retrouve aussi bien dans l’Odyssée que dans le récit hérodotéen. S’il peut traduire la peur des Grecs vis-à-vis de terres encore mal connues à l’époque à laquelle prennent place ces récits, il est désormais établi qu’il s’appuie sur une réalité de terrain, les Égyptiens ayant, dès le Nouvel Empire52 et plus encore au premier millénaire, compris le danger qui pouvait venir de la Méditerranée et cherché à contrôler les flux d’immigrants maritimes potentiels.
18Le personnage hérodotéen de Thonis53 est un bon exemple de la possible retranscription légendaire de certaines réalités dans le processus de la rencontre entre Grecs et Égyptiens. Présenté métaphoriquement par Hérodote comme le gardien de la bouche canopique du Nil pour le compte du pharaon légendaire Protée, Thonis renvoie à une place portuaire, dont le site a été retrouvé, en 2000, par l’équipe de l’Institut européen d’archéologie sous-marine, dirigée par Franck Goddio54. Le personnage hérodotéen de Thonis apparaît dans le long récit consacré à l’aventure égyptienne d’Hélène. Cette version parallèle du mythe affirmait que Pâris-Alexandre aurait été dérouté par des vents contraires, « dans la région d’Égypte où sont la bouche du Nil appelée maintenant Canopique et les Tarichées55 ». Or, les serviteurs d’Alexandre se réfugièrent, en suppliants, dans un sanctuaire consacré à Héraclès et rapportèrent ses méfaits – le rapt d’Hélène. Thonis en informa son maître, le pharaon Protée qui décida de garder Hélène jusqu’à ce que Ménélas vienne la rechercher. Grâce aux récentes fouilles sous-marines, il est possible de mieux comprendre comment le récit légendaire hérodotéen autour du personnage de Thonis transpose de manière symbolique une réalité concrète. Thonis (T-Hôné) est en effet le nom égyptien que portait un emporion situé à l’embouchure de la branche canopique du Nil56. Les Grecs donnèrent plus tard au site le nom d’Hérakleion, en raison d’un sanctuaire dédié à Héraclès, culte qui, là encore, trouve un écho dans le récit hérotodéen. Il constituait sans doute la porte d’entrée pour les Grecs qui voulaient accéder à l’Égypte57 – et le Thonis hérodotéen fait en quelque sorte figure de « préposé à la porte des pays étrangers », titre rencontré dans de nombreuses inscriptions58. Pour Jean Yoyotte59, l’emporion de Thonis remonterait sans doute au viiie s. ou, tout au moins, au début du viie siècle avant notre ère, donc avant le règne de Psammétique et la date traditionnellement admise de l’arrivée des Grecs en Égypte60.
19Dans sa thèse, Dominique Barcat défend l’idée de relations régulières entre l’Égypte et le monde grec, bien avant l’embauche des fameux « hommes de bronze » par Psammétique Ier. Plus précisément, l’analyse de certains passages « égyptiens » de l’Odyssée61 tendrait à donner des indices de « la présence des Grecs dans le Delta aux alentours de 700 avant J.-C.62 ». Dominique Barcat pense même pouvoir dater les collaborations entre Grecs et Égyptiens « dès le règne de Néchao Ier, le père de Psammétique, voire dès le temps de Tefnakht63 ». La chercheuse distingue alors deux périodes : une première caractérisée par « l’attitude égyptienne vis-à-vis des Grecs qui correspond à la Troisième Période Intermédiaire et durant laquelle les Grecs ne jouissaient d’aucune reconnaissance officielle de la part des autorités égyptiennes, et une seconde dont on peut situer le début entre 680 et 665 où la présence des Grecs était encouragée pour ce qu’ils pouvaient apporter à l’Égypte sur le plan commercial et militaire64 ». Mais, comme nous l’avons vu avec l’épisode de l’arrivée au pouvoir d’Amasis, le fait que la présence grecque ait été « encouragée » par le pouvoir ne veut pas dire la suppression de toutes les peurs liées à l’arrivée de nouveaux migrants. Celles-ci ont juste changé de nature et peut-être de public. La peur que nous pouvons lire à travers Hérodote n’est plus celle qu’aurait éprouvée le pouvoir, mais celle de la population égyptienne ou, tout au moins, d’une partie de celle-ci.
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20Comme nous venons de le montrer, la documentation littéraire grecque – et en particulier Hérodote, historien « connecté » avant l’heure – peut palier les silences des sources égyptiennes, encore que celles-ci ne soient pas totalement muettes, puisque l’apparition, par exemple, d’un « préposé à la porte des pays étrangers » traduit bien une préoccupation du pouvoir face à de nouvelles menaces potentielles. Mais, pour bien comprendre comment s’est effectuée la rencontre, il paraît indispensable de se défaire d’un regard trop hellénocentré, même quand on étudie des textes grecs. Le livre de Romain Bertrand – et au-delà l’histoire connectée – ouvre donc de riches perspectives pour qui s’intéresse aux mobilités dans le monde antique et plus particulièrement aux relations entre Grecs et Égyptiens. Cette démarche rejoint, en outre, l’impulsion donnée aux achaemenid studies, par Pierre Briant qui prône depuis un certain temps déjà une histoire des Perses qui ne dépend plus des seules sources grecques, mais s’appuie également sur les très nombreuses sources orientales65. Cette vision de l’histoire antique, moins hellénocentrée, commence à être largement adoptée, en dehors des seules études achéménides66. Il ne faudrait pas pour autant « jeter le bébé avec l’eau du bain » et considérer que les sources grecques n’ont plus rien à nous dire ! Hérodote, parce qu’il intègre la voix de ses informateurs locaux, reste, par exemple, d’une grande richesse, même dans une optique qui cherche à revaloriser les points de vue non grecs.
Notes de bas de page
1 R. Bertrand, L’Histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident (xvie-xviie siècle), Paris, Seuil, 2011, p. 14.
2 Sur l’histoire connectée, voir également les travaux de Sanjay Subrahmanyam, en particulier S. Subrahmanyam, « Connected Histories: Notes Towards a Reconfiguration of Early Modern Eurasia », dans V. Lieberman (dir.), Beyond Binary Histories. Re-imagining Eurasia to c. 1830, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1999, p. 289-316. Pour une présentation de ce courant de l’histoire globale, voir C. Douki et P. Minard, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? Introduction », RHMC, 54/4bis, 2007, p. 7-21.
3 P. Minard, « Pour l’histoire connectée », La Vie des idées, 4 avril 2012, [http://www.laviedesidees.fr/Pour-l-histoire-connectee.html] (erreur en 2023). Le livre de Romain Bertrand a, du reste, reçu le grand prix 2012 des Rendez-vous de l’histoire de Blois.
4 Voir, par exemple, Homère, Odyssée, III, 318-322 ou IV, 481-483. Dominique Barcat (Les Contacts entre l’Égypte et le monde égéen aux époques géométrique et orientalisante [env. 900-env. 600 avant J.-C.] : « question homérique » et modalités d’une rencontre de l’altérité, thèse de doctorat, université Paris XIII, 2015, p. 60) fait toutefois remarquer que « si l’Égypte est lointaine et le voyage un périple hardi, c’est surtout parce qu’il est difficile d’en revenir. En effet, il n’était pas possible de parcourir de très longues distances contre le vent, malgré le fait que les navires homériques, comme ceux du viiie siècle, fussent des navires que l’on pouvait actionner à la rame, et même si les marins savaient louvoyer ». Elle note tout de même, dans son travail, « la construction par les Grecs d’une histoire mythifiée prenant toujours comme référence l’image primordiale d’une Égypte difficile d’accès, fascinante et inquiétante » (p. 85).
5 Si, comme le remarque Christian Froidefond (Le Mirage égyptien dans la littérature grecque d’Homère à Aristote, Gap, Ophrys, 1971, p. 68), « l’épisode de Protée reflète bien les appréhensions des navigateurs grecs face aux dangers de la côte égyptienne », il souligne aussi la place à part de l’Égypte dans l’œkoumène odysséen : aux confins du monde connu, « les Vieux de la Mer gardent le secret des passes, et la proximité du monde des morts fait d’eux des prophètes » (p. 39). Sur le Protée homérique, voir aussi D. Barcat, op. cit., p. 97-101, qui souligne les liens entre Vieux de la Mer et monde des morts.
6 T. Haziza, Le Kaléidoscope hérodotéen. Images, imaginaire et représentations de l’Égypte à travers le livre II d’Hérodote, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 45-48.
7 Homère, Odyssée, XIV, 265-270 (trad. V. Bérard, CUF).
8 Hérodote, II, 113-115. Pour une analyse de ce passage et, surtout, du Protée hérodotéen, voir T. Haziza, « Hérodote contre l’opinion : Busiris vs Protée », dans A. Queyrel Bottineau (dir.), La Représentation négative de l’autre dans l’Antiquité, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014, p. 101-115 (avec références bibliographiques).
9 Je n’inclus pas le récit hérodotéen de l’arrivée des « hommes de bronze » (II, 152), souvent comparé à l’épisode du Pseudo-Crétois, dans la mesure où il n’est pas directement question dans le texte de la manière dont sont appréhendés les pillards grecs qui vont être employés comme mercenaires. On peut même penser que Psammétique n’a été en mesure d’en venir à bout qu’à l’aide de « grandes promesses ». Dans la mesure où l’histoire tend à montrer l’importance des mercenaires grecs (et cariens) dans la reprise en main de l’Égypte par Psammétique, il aurait été de toute façon mal venu que ce dernier ait pu appréhender, avec facilité, ce groupe d’Hellènes.
10 Sur la sagesse de Protée, voir en particulier, J. Boulogne, « La leçon de Protée », Uranie, 5, 1995, p. 9-32.
11 Pseudo-Apollodore, II, 5, 11 et IV, 27, 3. Il s’agit de la version la plus complète. Les autres sources littéraires concernant Busiris sont généralement plus parcellaires. Les principales sont : Phérécyde, 3, fr. 17 (éd. F. Jacoby) ; Hérodote, II, 45 ; Isocrate, Busiris, 5 ; Diodore de Sicile, IV, 18, 1 ; Hygin, Fables, XXXI ; Ovide, L’Art d’aimer, I, 645-650 ; Plutarque, Parallèles grecs et romains, Œuvres morales, 315BC ; De la malignité d’Hérodote, Œuvres morales, 857A ; Orose, Contre les païens, I, 11 ; Macrobe, Saturnales, VI, 7. Sur les sources classiques concernant le mythe de Busiris, voir J. G. Griffiths, « Human Sacrifices in Egypt: The Classical Evidence », ASAE, 48, 1948, p. 409-423.
12 « Le corpus de Busiris est composé de 35 vases entre les années 550 et les années 330 (cf. tableau), essentiellement des céramiques attiques à figures rouges du ve s. av. J.-C., à une période où Héraklès est encore en vogue, mais dans une moindre proportion qu’au vie s. av. J.-C. La réapparition dans la céramique italiote au ive s. av. J.-C. correspond par contre à un regain d’intérêt pour le héros chez les peintres » (V. Mehl, « La norme sacrificielle en images : Héraklès chez Busiris », dans P. Brulé [dir.], La Norme en matière religieuse en Grèce ancienne, Liège, Presses universitaires de Liège, 2009, p. 171-187, ici p. 173). Pour une étude de ce corpus, voir également J.-L. Durand et F. Lissarrague, « Héros cru ou hôte cuit : histoire quasi cannibale d’Héraklès chez Busiris », dans F. Thelamon et F. Lissarrague (dir.), Image et céramique grecque, Rouen, Publications de l’université, 1983, p. 153-167 (repris dans J.-L. Durand, Sacrifice et labour en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1986, p. 103-143).
13 J.-Y. Carrez-Maratray, « Bousiris, le pharaon inexistant et le stéréotype grec du roi juste », dans M. Grandière et M. Molin (dir.), Le Stéréotype, outil de régulations sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 201-212.
14 Remarquons, du reste, avec J.-Y. Carrez-Maratray (ibid., p. 202), que son « absence dans la liste de Manéthon » semble bien corroborrer une création purement grecque.
15 Voir aussi C. Jourdain-Annequin, Héraclès aux portes du soir, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 504.
16 Sur les Grecs en Égypte sous les Saïtes, voir la récente synthèse commode, avec renvois bibliographiques, dans G. Tallet, La Splendeur des dieux : quatre études iconographiques sur l’hellénisme égyptien, vol. 1, Leyde/Boston, Brill, 2021, p. 16-43.
17 J. Yoyotte, « Héra d’Héliopolis et le sacrifice humain », EPHE, Section des sciences religieuses. Annuaires, 89, 1980-1981, 1980, p. 31-102.
18 Ibid., p. 102 : « On supposera […] que la Troisième Période Intermédiaire aura remis en usage une vieille coutume tombée en désuétude […]. L’exécution rituelle d’êtres humains et leur crémation dans le “brasier de Mout-qui-porte-son-frère” a pu survivre à l’époque saïte, pour être finalement abolie par Amasis dans la seconde moitié du vie siècle. »
19 On a également invoqué l’idée que le mythe pouvait renvoyer aux souvenirs plus anciens des premiers rapports entre Grecs et Égyptiens (cf. C. Froidefond, op. cit., p. 179).
20 On peut penser aux inscriptions grecques gravées, vers 591 av. n. è., sur les jambes des colosses d’Abou Simbel. Sur ces inscriptions, voir, par exemple, D. Agut-Labordère, « Plus que des mercenaires ! L’intégration des hommes de guerre grecs au service de la monarchie saïte », dans L. Martinez-Sève (dir.), Les Diasporas grecques du viiie à la fin du iiie siècle av. J.-C., Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012, p. 293-306.
21 Pour une présentation des sources locales, en particulier épigraphiques, provenant de ou mentionnant la communauté grecque d’Égypte avant Alexandre, voir G. Vittmann, Ägypten und die Fremden im ersten vorchristlichen Jahrtausend, Mayence, Philipp von Zabern, 2003, et S. Pasek, Griechenland und Ägypten im Kontext der vorderorientalischen Großmächte, Munich, Martin Meidenbauer, 2011.
22 Il s’agit d’une petite statue de facture égyptienne, de 21 cm, en pierre sombre et dure – sans doute du basalte –, brisée à la tête et au socle. La statue porte une inscription grecque boustrophédon, gravée, comme cela est habituel dans ce type de statuaire, sur le bas de la robe portée par le sujet. La figuration de Pédôn relève des canons égyptiens : port d’une grande perruque lisse et d’une petite barbe de section carrée, représentation assise à terre, avec les genoux relevés devant elle et les bras croisés au-dessus. Pour la publication de l’inscription, voir M. Ç. Şahin, « Zwei Inschriften aus dem südwestilichen Kleinasien », EA, 10, 1987, p. 1-2, pl. 25 ; à compléter par O. Masson et J. Yoyotte, « Une inscription ionienne mentionnant Psammétique Ier », EA, 11, 1988, p. 171-180. Voir aussi, pour la transcription du texte grec, M. Lejeune, « Information relative à une inscription ionienne sur une statue-cube de l’Égypte saïte », CRAI, 132/3, 1988, p. 523-525.
23 Voir S. Pasek, op. cit., en particulier p. 230-237.
24 Arnaud Fossier, par exemple, aborde cet aspect pour l’histoire médiévale : A. Fossier, « Un “emotional turn” en histoire ? », nonfiction.fr, jeudi 07 octobre 2010, [https://www.nonfiction.fr/article-3832-un_emotional_turn_en_histoire.htm].
25 Sur les Haou-nebou(t), voir, entre autres, les diverses propositions et la bibliographie données par : P. Montet, « Le nom des Grecs en ancien égyptien et l’antiquité des Grecs en Égypte », RA, 28, 1947, p. 129-144 ; C. Favard-Meeks, « Le Delta égyptien et la mer jusqu’à la fondation d’Alexandrie », SAK, 16, 1989, p. 39-63 ; C. Vandersleyen, « Les étrangers dans le Delta égyptien », AOB (L), 16, 2002, p. 23-30, et W. Berni et A. Chiappelli, Haou-Nebout. I popoli del mare, Bologne, Pendragon, 2008.
26 A. Coyette, « La campagne nubienne de Psammétique II », dans C. Karlshausen et C. Obsomer (dir.), De la Nubie à Qadech. La guerre dans l’Égypte ancienne, Bruxelles, Safran, 2016, p. 279, qui renvoie à A. Rowe, « New Light on Objects Belonging to the Generals Potasimto and Amasis in the Egyptian Museum », ASAE, 38, 1938, p. 187 et 189. C’est aussi la conclusion de Christine Favard-Meeks : « l’équivalence “Grand-Vert”-Méditerranée n’est vraiment certaine qu’avec les textes égypto-grecs tandis que “Haou-nebout”-monde égéen est fort probable dès l’époque saïte » (C. Favard-Meeks, art. cité, p. 62-63).
27 Cette statue a donné lieu à de nombreux commentaires depuis sa publication, en 1874, par P. Pierret. Pour une présentation des principales références bibliographiques sur cette statue et son inscription, nous renvoyons à J. Heise, Erinnern und Gedenken. Aspekte der biographischen Inschriften der ägyptischen Spätzeit, Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck & Ruprecht, 2007, p. 193-194 ; à O. Perdu, « Neshor brisé, reconstitué et restauré (statue Louvre A90) », dans D. Valbelle et J.-M. Yoyotte (dir.), Statues égyptiennes et kouchites démembrées et reconstituées, Paris, PUPS, 2011, p. 53-64, et à K. Jansen-Winkeln, Inschriften der Spätzeit. 4. Die 26. Dynastie, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 2014, p. 408-410, no 147. Nous remercions Sépideh Qaheri pour son aide dans la recherche bibliographique sur cette statue, tout comme Olivier Perdu pour ses précieuses remarques.
28 O. Perdu, « Neshor à Mendès sous Apriès », BSFE, 118, 1990, p. 38-49, 40-42.
29 G. Maspero, « Notes sur quelques points de Grammaire et d’Histoire », ZÄS, 22, 1984, p. 78-93, 89.
30 Notons, par ailleurs, que « Ramsès III est le dernier souverain égyptien à avoir fait rédiger des listes de peuples qui ne soient pas exclusivement militaires » (N. Grimal, « Peuples, États et cités. Enquête sur la cartographie géopolitique égyptienne », dans D. Michaelides, V. Kassianidou et R. S. Merrillees [dir.], Egypt and Cyprus in Antiquity, Oxford/Oakville, Oxford Books, 2009, p. 9-22, 10). Avec cette disparition, c’est une source sur les constantes et l’évolution des relations géopolitiques, du moins, comme le souligne Nicolas Grimal, « telles que les Égyptiens les percevaient », qui nous échappe.
31 Voir, par exemple, les traductions françaises de certains d’entre eux dans G. Lefebvre, Romans et contes égyptiens de l’époque pharaonique, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient, 1988 (1949), ou P. Grandet, Contes de l’Égypte ancienne, Paris, Hachette, 1998.
32 Sur ce thème, nous renvoyons en particulier au mémoire de master, soutenu sous notre direction par M. Hernandez, La Représentation de l’étranger dans les contes égyptiens, mémoire de master 2, université de Caen, 2016, ainsi qu’entre autres à A. Loprieno, « Le signe littéraire : pour une géographie de la fiction égyptienne », dans A. Loprieno, La Pensée et l’écriture. Pour une analyse sémiotique de la culture égyptienne, Paris, Cybèle, 2001, p. 51-88, et I. Venturini, « La perception de l’étranger dans les contes de l’Égypte du Nouvel Empire », dans D. Nourrisson et Y. Perrin (dir.), Le Barbare, l’étranger : images de l’autre, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2005, p. 17-31.
33 Sur ce point, outre les références déjà mentionnées se rapportant à la vision de l’étranger dans les contes égyptiens, voir aussi D. Valbelle, Les Neuf Arcs. L’Égyptien et les étrangers de la Préhistoire à la conquête d’Alexandre, Paris, Armand Colin, 1990.
34 Voir par exemple D. Farout, « Images ou hiéroglyphes ? », Pallas, 93, 2013, p. 19-52 (en particulier p. 27).
35 Ce silence peut, du reste, être en soi significatif d’une certaine manière de gérer le rapport à l’étranger.
36 Sur la question de l’audibilité de la voix des Égyptiens et de la manière dont il est possible de chercher à la faire entendre, malgré tout, voir pour l’époque lagide R. S. Bagnall, « Decolonizing Ptolemaic Egypt », dans P. A. Cartledge, P. Garnsey et E. S. Gruen (dir.), Hellenistic Constructs: Essays in Culture, History and Historiography, Berkeley, University of California Press, 1997, p. 225-241, et I. S. Moyer, Egypt and the Limits of Hellenism, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
37 Sur la question, très discutée mais de plus en plus revalorisée, de la place des sources locales dans l’appréhension de l’Égypte par Hérodote, nous renvoyons à T. Haziza, op. cit., ainsi qu’à L. Coulon et al. (dir.), Hérodote et l’Égypte. Regards croisés sur le livre II de l’Enquête d’Hérodote, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2013 (en particulier les contributions de J. F. Quack et de L. Postel, p. 63-88 et 89-118) et, en complément de cette publication, T. Haziza, « Hérodote et l’Égypte : quelques réflexions à propos d’un ouvrage récent », REA, 116, 2014, 2, p. 727-744.
38 Hérodote, II, 91 : « Les Égyptiens répugnent à adopter les usages des Grecs, et, pour tout dire d’un mot, ils ne veulent adopter ceux d’aucun autre peuple » (trad. P.-E. Legrand, CUF).
39 Trad. P.-E. Legrand, CUF. Voir W. Helck, « Die Ägypter und die Fremden », Saeculum, 15, 1964, p. 103-115.
40 Sur la question des tabous égyptiens, voir LÄ, s.v. « Tabu » (P. J. Frandsen, 1986), VI, col. 135-142 ; P. Montet, « Le fruit défendu », Kêmi, 11, 1950, p. 85-116 ; D. B. Redford (dir.), The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt, t. III, Le Caire, The American University Press, 2001, s.v. « Taboo » (P. J. Frandsen), p. 345-346, et, dernièrement, Y. Volokhine, Le Porc en Égypte ancienne : mythes et histoire à l’origine des interdits alimentaires, Liège, Presses universitaires de Liège, 2014. Sur cette question dans le livre II d’Hérodote, voir T. Haziza, op. cit., p. 260-268.
41 Hérodote, II, 39 (trad. P.-E. Legrand, CUF) : « Ils amènent l’animal marqué près de l’autel où ils sacrifient, ils allument du feu ; puis, à côté, ils versent sur la victime des libations de vin en invoquant le dieu, et ils l’égorgent ; quand elle est égorgée, ils lui coupent la tête. Le corps de la bête est dépouillé ; la tête coupée est emportée, chargée de malédictions ; là où il y a un marché et des commerçants grecs fixés dans le pays, on la porte au marché et on la vend ; s’il n’y a pas de Grecs présents, on la jette dans le fleuve. La formule qu’on emploie en maudissant les têtes des victimes est que, si quelque malheur menace d’arriver à ceux qui sacrifient ou à l’Égypte entière, il se détourne sur elle. »
42 G. Tallet, « La cuisine du sacrifice des Grecs d’Égypte durant la Première Domination Perse (Hérodote, Histoires II, 39) », dans P. Collombert et al., Questionner le Sphinx. Mélanges offerts à Christiane Zivie-Coche, vol. 2 (Bibliothèque d’étude, 178), Le Caire, IFAO, 2021, p. 757-789 (p. 788-789 pour la citation).
43 Hérodote, II, 181.
44 Sur cet aspect, voir T. Haziza, op. cit., p. 228-230.
45 Pour les relations entre l’Égypte et les Libyens sur l’ensemble du premier millénaire, voir G. Vittmann, op. cit., p. 1-20.
46 Hérodote, II, 161-163, 169 et IV, 159. Je renvoie, pour ce qui suit, à mon article : T. Haziza, « Ladiké et Phérétimé : deux Cyrénéennes en Égypte (Hérodote, II, 181 et IV, 165-167 ; 200-205) », dans C. Chandezon et al. (dir.), L’Hellénisme, d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Mélanges offerts à André Laronde à l’occasion de son 70e anniversaire, Paris, De Boccard, 2013, p. 311-324.
47 Pour une analyse des fractures internes possibles au sein de l’armée égyptienne entre Grecs et indigènes, à la Basse Époque, voir D. Agut-Labordère, « Les frontières intérieures de la société militaire égyptienne : l’invasion de l’Égypte par Artaxerxès III à travers Diodore XVI. 46.4-51.3 », Transeuphratène, 35, 2008, p. 17-27.
48 Hérodote, II, 161 (trad. P.-E. Legrand, CUF).
49 Hérodote, II, 178 (trad. P.-E. Legrand, CUF) : « Ami des Grecs, Amasis donna à quelques-uns d’entre eux des marques de sa bienveillance… » (Φιλέλλην δὲ γενόμενος ὁ ῎Αμασίς ἄλλα τε ἐς Ἑλλήνων μετεξετέρους ἀπεδέξατο).
50 A. Bresson, La Cité marchande, Bordeaux, Ausonius, 2000, en particulier p. 19 et 56. Sur le statut égyptien de Naucratis, voir également les propositions de D. Agut-Labordère, « Le statut égyptien de Naucratis », dans C. Feyel et al. (dir.), Communautés locales et pouvoir central dans l’Orient hellénistique et romain, Nancy, ADRA, 2012, p. 353-373.
51 Voir Hérodote, II, 178-179. Sur ce passage, voir les remarques de V. Pirenne-Delforge, Le Polythéisme grec à l’épreuve d’Hérodote, Paris, Collège de France/Les Belles Lettres, 2020, p. 104-109.
52 Pour le Nouvel Empire, voir en particulier l’inscription autobiographique d’Amenhotep fils de Hapou, qui mentionne sous le règne d’Aménophis III, le danger que représente la côte septentrionale : « J’ai fait de même (i. e. placer des troupes) aux rives des bouches du Nil, fermées par mes soldats sauf pour les équipages de la marine royale. » Statue JE 583 (= CG 835), l. 14. Pour le texte et la traduction, voir A. Varille, Inscriptions concernant l’architecte Amenhotep fils de Hapou, Le Caire, IFAO, 1968, p. 37 et 41.
53 Hérodote, II, 113.
54 À ce propos, voir J. Yoyotte, « Le second affichage du décret de l’an 2 de Nekhtnebef et la découverte de Thônis-Héracléion », Égypte, 2001, 24, p. 24-34, et D. Favre, « Thônis-Héracléion : poste douanier et emporion », dans F. Goddio (dir.), Trésors engloutis d’Égypte. Catalogue de l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, Seuil, 2006, p. 194-203. Sur les emporia existant en Égypte à la Basse Époque, autres que Naucratis, voir aussi J.-Y. Carrez-Maratray, « Réflexions sur l’accès des Grecs au littoral égyptien aux époques saïte et perse », Topoi, 12-13, 2005, p. 193-205, et J.-Y. Carrez-Maratray et C. Defernez, « L’angle oriental du Delta : les Grecs avant Alexandre », dans P. Ballet (dir.), Grecs et Romains en Égypte. Territoires, espaces de la vie et de la mort, objets de prestige et du quotidien, Le Caire, IFAO, 2012, p. 31-45.
55 Hérodote, II, 113 (trad. P.-E. Legrand, CUF).
56 Sur ce site, voir en particulier D. Robinson et F. Goddio (dir.), Thonis-Heracleion in Context, Oxford, Oxford Center for Maritime Archaeology, 2015.
57 La surveillance égyptienne du littoral égyptien peut se lire également dans le nom de « guette de Persée », mentionné par Hérodote, Euripide et Strabon et donné certainement à un promontoire situé à l’ouest de l’extrémité occidentale du Delta, comme l’a montré Jean-Yves Carrez-Maratray (Paralia. Recherches sur la côte du Delta égyptien d’après la documentation grecque et latine [viie s. av./viie s. apr. J.-C.], 2005, t. I, p. 135-136 ; dossier d’HDR inédit, cité par Dominique Barcat). Cette dernière (D. Barcat, op. cit., p. 83-84) rappelle à son propos que « malgré l’homonymie, le nom de cette guette ne doit rien au héros, puisqu’il s’agirait plutôt de l’adaptation grecque du mot égyptien Pȝ wrš qui signifie “le veilleur” (cf. S. Sauneron, « Villes et légendes d’Égypte. XI. Persée de Chemmis », BIFAO, 64, 1966, p. 190-191, 190, n. 1). Ainsi, si l’on s’en tient à cette hypothèse, le nom même de ce promontoire témoignerait de son utilisation par les Égyptiens comme un poste de surveillance permettant de voir arriver les navires avant même leur entrée dans les eaux du Nil ». Pour Alain Zivie (« Pharos », dans C. Zivie-Coche et I. Guermeur [dir.], « Parcourir l’éternité », Hommages à Jean Yoyotte, t. II (Bibliothèque de l’École des hautes études, Sciences religieuses, 156), Turnhout, Brepols, 2012, p. 1123-1134), le terme égyptien de Pȝ wrš pourrait également être à l’origine du nom de Pharos.
58 Sur ce titre, voir surtout G. Posener, « Les douanes de la Méditerranée dans l’Égypte saïte », RPh, 21, 1947, p. 117-131. Pour des exemples de personnages égyptiens l’ayant porté, voir en particulier H. de Meulenaere, Le Surnom égyptien à la Basse Époque, Leyde, Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten, 1966, p. 14, no 42 (« préposé à la porte des pays étrangers de la Grande Verte », « préposé à la porte des pays étrangers méridionaux ») et p. 20, no 64 (« préposé à la porte des pays étrangers des Libyens », « préposé à la porte des pays étrangers des Asiatiques »).
59 J. Yoyotte, « Le second affichage », art. cité, p. 27.
60 C’est aussi l’avis de Franck Goddio et de David Favre qui indiquent que « les fouilles sous-marines ne cessent de préciser un peu plus chaque année la topographie d’Héracléion d’Égypte et son rôle, attesté par les textes anciens, de poste de police-frontière, de poste de douane, de port de commerce, où passaient les produits importés par les Grecs – installés depuis le viiie siècle av. J.-C. sur les lagunes littorales à l’embouchure de l’ancienne branche canopique du Nil ouverte sur la mer » (F. Goddio et D. Favre, Osiris. Mystères engloutis d’Égypte, Paris, Flammarion, 2015, p. 77).
61 En particulier, Homère, Odyssée, IV, 221-232.
62 D. Barcat, op. cit., p. 111. L’auteure appuie particulièrement son raisonnement, pour ce point, sur l’article de J. Yoyotte, « Le second affichage », art. cité.
63 D. Barcat, op. cit., p. 151.
64 Ibid.
65 Voir, entre autres, P. Briant, Darius dans l’ombre d’Alexandre, Paris, Fayard, 2003, et Alexandre : exégèse des lieux communs, Paris, Gallimard, 2016.
66 Écrit pour le colloque d’Athènes de 2017, cet article n’a pu être complété qu’à la marge, pour tenir compte des publications récentes.
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