Chapitre VII. La peur vêtue de rouge : la phoinikis des soldats spartiates et l’hypothèse de Phobos
p. 101-116
Texte intégral
1Le manteau ou la tunique militaire portés par les Spartiates au combat sont qualifiés dans nos sources de phoinikis. À Sparte, le terme désigne un vêtement militaire, de couleur « rouge », sans que l’on puisse clairement établir s’il s’agit d’un chitôn1, d’une exomide2, d’une chlamyde3, ou d’un himation4. Comme le rappelle François Chamoux, « le terme, il est vrai, signifie seulement un vêtement rouge, pourpre ou écarlate, couleur que désigne, dès l’époque homérique, l’adjectif phoinix5 ». L’adjectif φοῖνιξ, comme le substantif φοινικίς/ίδος qui en découle, conservent une ambiguïté de couleur qui a intrigué les modernes : s’agit-il d’une couleur pourpre ? ou bien d’une couleur rouge écarlate ? P. Chantraine, dans un article fondateur de 1972, revient sur plusieurs composés de φοῖνιξ et conclut que ce sont là « des termes se rapportant à une couleur rouge, mais n’évoquant pas toujours, ni nécessairement, la pourpre6 ».
2Or, le vêtement de couleur « rouge » porté par les Spartiates au combat est attesté par un dossier assez fourni de textes littéraires, depuis le ive siècle avant notre ère jusqu’au ive siècle de notre ère. Le dossier avait attiré l’attention d’un savant italien, Carlo Santaniello, et je suis moi-même revenu sur le sujet dans le colloque sur « L’Antiquité écarlate, le sang des Anciens7 ». Ma contribution avait pour but de m’interroger sur la nature de la couleur « rouge » portée au combat à Sparte, et je concluais que si les sources ne permettaient pas de trancher entre le pourpre et l’écarlate, néanmoins elles insistaient sur l’homologie de la couleur de la phoinikis avec la couleur du sang8.
3Chronologiquement, en effet, les deux premières mentions de la phoinikis, vêtement militaire de couleur « rouge » datent de l’époque classique : on les trouve respectivement chez Aristophane9 et chez Xénophon10. À partir du ive siècle, des attestations mettent en relation « phoinikis » et « sang ». On peut aisément mettre au jour une tradition remontant à Aristote expliquant que la phoinikis était de couleur « semblable à celle du sang ». Le témoignage d’Aristote est conservé dans une scholie aux Acharniens d’Aristophane : « Aristote rapporte dans sa Constitution des Lacédémoniens que les Lacédémoniens portaient des phoinikides à la guerre, d’une part parce que cela avait quelque chose de viril, d’autre part parce que la couleur étant semblable à celle du sang, cela les habituait à dédaigner les écoulements de sang11. » Par la suite, plusieurs auteurs reprennent avec des variations la définition aristotélicienne. Il est possible de récapituler les choses de manière synoptique dans un tableau de ces différents passages12.
Tableau 1. – Chronologie par auteurs des différentes raisons, dérivées d’Aristote, pour lesquelles les Lacédémoniens portaient des phoinikides au combat.
Donner à la tunique un aspect semblable au sang | Donner à la tunique un aspect solennel, viril, effrayant | Minimiser ou dissimuler les blessures sanglantes | Ne pas donner du courage à l’ennemi à la vue des blessures | Faire apparaître les taches sombres de sang | |
[Aristote], Lakedaimoniôn politeia, apud Scholie, Acharniens, 320 | X | X | X | ||
Valère Maxime, Faits et dits mémorables, II, 6, 2 (sous Tibère, ier s. de n. è.) | X | X | X | X | |
Plutarque, Institutions laconiennes, 24 (= Apophtegmes laconiens, 238f) [45-125 de n. è.] | X | X | X | ||
Élien, Histoire variée, VI, 6 (175-235 de n. è.) | X | X | X | ||
Philostrate, Lettres, 3 (170-249 de n. è.) | X | X | X | ||
Janarius Nepotianus, Abrégé de Valère Maxime, 15, 6 (iiie-ve s. de n. è.) | X | X | X | ||
Isidore de Séville, Étymologies, XIX, 22, 10 (560/70-636 de n. è.) | X | X | X |
4Aucune des variations plus ou moins tardives n’entame véritablement la cohérence du propos tenu par le philosophe dans la deuxième moitié du ive siècle. Valère Maxime, Plutarque et Philostrate reprennent à l’identique les trois idées selon lesquelles le rouge sert 1) à donner à la tunique un aspect semblable au sang, 2) à donner un aspect solennel, viril, effrayant et 3) à minimiser ou dissimuler les blessures sanglantes. Valère Maxime rajoute l’idée selon laquelle en dissimulant les blessures sanguines, la tunique rouge ne donne pas du courage à l’ennemi à la vue des blessures. Cette idée connexe de l’idée de la dissimulation des blessures est également reprise par Janarius Nepotianus et encore Isidore de Séville au viie siècle de notre ère. En revanche, ces deux derniers omettent l’idée selon laquelle la tunique sert à donner un aspect solennel, viril, effrayant. Au contraire de ces deux auteurs, Élien abandonne l’idée selon laquelle la couleur rouge sert à dissimuler le sang pour insister sur l’idée exactement inverse : en faisant apparaître les taches sombres de sang, qui coagulées, virent au marron noir, la tunique « rouge sang », de la couleur du sang oxygéné, se charge d’une apparence plus solennelle, virile et effrayante. En quelque sorte, Élien cherche à résoudre la contradiction aristotélicienne qui faisait de la tunique « rouge sang » à la fois un moyen de dissimulation et un moyen d’ostentation des taches de sang, en constatant que le sang change de couleur selon qu’il circule dans les veines, gicle du corps, et se coagule. En effet, la couleur du sang varie en fonction de son oxygénation. On ne peut définitivement choisir ni du côté du pourpre ni du côté de l’écarlate : la couleur du sang varie du violet (très oxygéné) au noir (coagulé), en passant par le rouge.
5Le présent ouvrage sur la Peur m’offre l’occasion de faire un détour par Phobos pour tenter d’expliquer les raisons pour lesquelles les Spartiates portaient un vêtement militaire couleur « rouge sang » à la guerre.
6En son temps, Paul Cartledge faisait remarquer à propos des vêtements militaires rouges portés par les Spartiates que « the short cloaks13 […] were dyed red […] perhaps because the colour was manly, magical and/or disguised bloodstains, but surely also because of the availability of the dye14 ».
7Avec l’esprit pragmatique qui caractérise les Anglo-saxons, Paul Cartledge terminait sa phrase par la question, essentielle, du modus operandi, des conditions de production artisanale de la tunique. Dans l’article précédemment cité, je me suis interrogé, à la suite d’autres auteurs, sur la manière dont on obtenait cette couleur « rouge sang » : sécrétions baveuses du murex, un mollusque marin vivant dans un coquillage que l’on trouve au large des côtes laconiennes, ou bien plutôt l’insecte parasite du chêne Kermès, qui broyé donne aussi une couleur rouge, plutôt rouge vif15 ? Mais ce ne sont pas là de vraies causes au phénomène, plutôt une contingence matérielle.
8En excellent lecteur des sources antiques, Paul Cartledge faisait également siennes les raisons invoquées par les auteurs du tableau à la suite d’Aristote : « aspect viril » d’une part, et « dissimulation des taches de sang » de l’autre. L’explication retenue par Cartledge est rationalisante : c’est l’explication d’Aristote, elle-même rationalisante.
9Pourtant, si l’on consent à relier les explications aristotéliciennes avec la notion de peur, deux aspects nouveaux surgissent : la maîtrise de la peur comme le fait d’imposer la peur. Lorsqu’Aristote indique « d’une part parce que cela avait quelque chose de viril », l’andreia qu’il mentionne est une qualité guerrière qui a pour but d’« impressionner », de « prendre l’ascendant psychologique sur l’ennemi », donc, d’une certaine manière d’imposer la peur. Lorsqu’Aristote indique « d’autre part parce que la couleur étant semblable à celle du sang, cela les habituait à dédaigner les écoulements de sang », il insiste à la fois sur l’idée de « donner l’illusion de ne pas être blessé » (dissimulation), mais aussi sur celle de « s’habituer au sang et aller de l’avant », donc, d’une autre manière, de maîtriser la peur de l’écoulement de son propre sang, la peur de la mort.
10Paul Cartledge pressent sans doute la part de la peur dans l’explication aristotélicienne. Il invoque une assez mystérieuse raison « magique » (magical) au fait que l’on teignait en rouge les vêtements militaires à Sparte. C’est une façon simple, mais efficace de verser du côté de la religion. C’est une intuition que nous livre ici Paul Cartledge, qui n’est étayée par aucun des passages du tableau dépendant d’Aristote. Pourtant, il nous semble que la couleur rouge du vêtement militaire possède indéniablement une puissance singulière. C’est cette puissance, « magique » ou « religieuse », liée à la peur, que je voudrais aborder dans les quelques pages qui suivent. Pour cela, nous nous contenterons de formuler trois séries de remarques, en tentant d’introduire la divinité Phobos dans notre raisonnement.
11Rappelons que Phobos est une divinité attestée à Sparte, mais aussi ailleurs dans le monde grec et romain16. À Sparte, c’est à la fois une divinité17, mais aussi un pathêma18, selon l’expression de Plutarque qui dans un passage de la Vie de Cléomène19 nous indique l’existence d’un sanctuaire, le lien de la divinité avec les éphores et cette pratique de l’abstraction des états du corps, pratique garante de la cohésion sociale, car exigeant la maîtrise de soi de la part des Spartiates. C’est le versant politique de Phobos. Mais Phobos n’est pas qu’une divinité cantonnée dans un sanctuaire à Sparte : il est le fils d’Arès le Destructeur. Il est le dieu « altéré de sang », selon la jolie formule de Marie-Madeleine Mactoux20, le dieu du carnage qui met en déroute. Avec Arès, son père, et Deimos, son frère, il « bouscule les bataillons compacts des guerriers dans la mêlée effroyable » selon Hésiode21. Il est une de ces divinités essentielles de la guerre qui ont pourtant laissé bien peu de traces. Or, le paradoxe spartiate réside dans le fait que Phobos, présent au cœur de la cité de Sparte, est étrangement absent du champ de bataille.
12La phoinikis, ce vêtement rouge-sang porté par les Spartiates au combat ne pourrait-il pas avoir un lien avec Phobos ?
Première série de remarques : la valeur funéraire de la phoinikis
13Le vêtement couleur rouge sang porté par les soldats à Sparte possède une valeur funéraire incontestable. La porter, c’est se relier au monde de la mort et des morts. Dans un passage célèbre de la Vie de Lycurgue, elle apparaît comme un élément indispensable pour l’inhumation en kallei (en beauté) du Spartiate mort dignement à la guerre. Ainsi, lorsqu’il revient sur la législation funéraire imposée par le législateur mythique aux Spartiates, Plutarque indique que :
« Ensuite, il [Lycurgue] défendit de rien enterrer avec le mort ; on se contentait d’envelopper le cadavre dans une phoinikis et des feuilles d’olivier. Il n’était pas permis d’inscrire sur le tombeau les noms des morts, excepté ceux des hommes tombés à la guerre et des femmes mortes hiérai22. »
14Être enterré dans sa tunique militaire est la conséquence logique de la belle mort acquise au combat23. Alors qu’ailleurs en Grèce, la coutume habituelle était d’entourer le corps de bandelettes et de l’envelopper dans un linceul, en l’ornant de divers objets de valeur, à Sparte, le linceul peut prendre la forme de la phoinikis, que l’on doit interpréter alors davantage comme un manteau militaire que comme une tunique. Selon Plutarque, toutes les funérailles de soldats morts à la guerre s’accompagnent de trois éléments : de la tunique rouge sang, des branches d’olivier et de l’inscription du nom du mort. Les tombes non anonymes étaient le privilège de tous les morts au combat24, ce dont on trouve indirectement confirmation lors d’un épisode que l’on situe durant la deuxième guerre de Messénie. À cette date, sous le commandement de Tyrtée, les Spartiates avaient inscrit leurs noms sur de petites scytales et les avaient attachées à leur bras, afin qu’en cas de mort, ils fussent reconnus par leurs familiers25. Si l’on suit Plutarque, dont les sources sur Sparte étaient précises, on peut conclure que la phoinikis, que tout soldat-citoyen de plein droit possédait, accompagnait son propriétaire dans la tombe.
15Néanmoins, un passage d’Élien fait de la phoinikis un élément distinctif lors des funérailles des Spartiates morts à la guerre :
« On couronnait de branches d’olivier (thallois, θαλλοὶς) et d’autres arbres, ceux qui avaient péri en combattant vaillamment : leur mort était célébrée par un éloge. Pour ceux qui s’étaient fait remarquer par des actions extraordinaires de bravoure, on les enterrait avec distinction, couverts d’une phoinikis26. »
16Comme le fait remarquer R. Flacelière : « Élien distingue ici deux catégories de funérailles pour les guerriers morts au combat, et les thalloi (θαλλοί) de son texte semblent bien désigner la même chose que les phylla elaias (φύλλα ἐλαίας) de Plutarque27. » Cela permet d’établir une distinction entre les types de combattants : il y aurait ceux qui sont morts bravement, ou bellement, car comment un Spartiate pourrait-il mourir autrement ; et, au-dessus des premiers, ceux qui ont accompli des exploits extraordinaires, et qui selon Élien, recevraient l’honneur de la phoinikis. Il est tentant de rapprocher ces derniers des hirees (ΙΡΕΕΣ) qui apparaissent dans une glose d’Hésychios28, c’est-à-dire ceux qui peut-être se sont particulièrement illustrés au combat et qui appartiennent donc de ce fait aux aristoi29. Revenant sur ces deux textes, Nicolas Richer conclut qu’« un citoyen spartiate pourrait avoir droit à l’un des trois rituels funéraires différents selon la façon dont il est mort : autrement qu’au combat, en combattant bravement, en accomplissant les plus grands exploits ». Nous souscrivons à cette déduction. Mais la tradition rapportée par Élien diverge de celle rapportée par Plutarque. Chez celui-ci, c’est la gravure du nom qui distingue les morts au combat des autres, chez celui-là, c’est l’ensevelissement dans la phoinikis qui sert à individualiser ceux qui sont morts en accomplissant les plus grands exploits à la guerre de ceux qui se sont contentés d’y mourir « bravement ». Il y a bien là deux traditions différentes, sans que l’on puisse privilégier l’une par rapport à l’autre : est-ce le fait que les pratiques ont évolué dans le temps et que les propos de Plutarque et d’Élien ne se rapportent pas à la même époque30 ?
17Deux extraits consécutifs de l’Anthologie palatine, l’un attribué à Philippe de Thessalonique31, l’autre à Antiphilos de Byzance32 permettent d’éclairer les choses. Ces deux épigrammes se rapportent aux funérailles de Léonidas, qui résista valeureusement aux coups de boutoir de l’armée achéménide lors de la célèbre bataille des Thermopyles de septembre 480. Les deux épigrammes sont en parfaite contradiction avec le récit d’Hérodote. Celui-ci indique en effet que Xerxès, retrouvant le cadavre de Léonidas, « lui fit couper la tête et ordonna de la fixer à un pieu33 ».
18Au contraire, Philippe de Thessalonique, insiste sur le fait que revêtir la phoinikis permettait à Léonidas d’accéder à l’Hadès tout en s’adressant au Grand Roi :
« Ayant contemplé le grand corps de Léonidas qui s’était offert à la mort, Xerxès le revêtait d’un manteau de pourpre, mais du milieu des morts même, voici ce que lui clama le grand héros de Sparte : “je ne veux pas d’un salaire dû aux traîtres. Un bouclier pour moi est le grand ornement d’une tombe. Loin de moi les présents des Perses ; j’irai dans l’Hadès même en Lacédémonien”34. »
19La scène est très théâtrale et le dialogue imaginaire. Le « salaire dû au traître » correspond sans aucun doute à l’outrage que Xerxès a fait subir au corps de Léonidas, tel que nous le rapporte Hérodote. Le poète réécrit l’histoire, indique ce qui aurait dû être et pare cette réécriture des atours de la vérité historique. Toutefois, il semble que cette vérité soit altérée : le bouclier, pour intéressante que soit cette mention dans le rapport des Spartiates à la guerre, n’a, semble-t-il, jamais constitué une pièce de la sépulture. De même, la référence au « manteau pourpre » est ambiguë : l’expression employée est Ξέρξης ἐχλαίνου φάρεϊ πορφυρέῳ, « Xerxès l’a revêtu d’une pièce d’étoffe pourpre ». Le pharos peut désigner selon les contextes le manteau35 ou le linceul36. Le terme porphyréôi diffère de phoinix : il s’agit peut-être simplement d’un renvoi au vocabulaire homérique37. Il est tout à fait possible de voir dans le manteau pourpre de Léonidas, non la pourpre royale, mais le manteau rouge sang des Spartiates.
20De son côté, Antiphilos de Byzance met en scène de manière plus dialoguée encore les propos de Xerxès et de Léonidas, mort. Mais son propos a évolué au point de donner un nouveau sens au dialogue :
« “Ce manteau de pourpre, ô Léonidas, t’est donné par Xerxès, qui admire tes exploits valeureux.
— Je n’en veux pas, c’est la récompense des traîtres. Que mon bouclier me couvre, même mort. La richesse n’est pas mon linceul.
— Mais tu as péri. Pourquoi même chez les morts, haïr à ce point les Perses ?
— Elle ne périt pas, la passion de la liberté38 !” »
21En effet, le manteau de pourpre et le bouclier réapparaissent, avec en plus cette idée de la liberté que Léonidas a défendue aux Thermopyles contre le despote perse. Seul le bouclier conserve une valeur positive : il sert à couvrir le cadavre. Le manteau de pourpre est, quant à lui, rejeté du côté à la fois de la royauté et de la richesse. Et par un curieux renversement, « la récompense des traîtres » devient justement le fait d’être enveloppé de ce linceul « pourpre », alors que Philippe de Thessalonique ne disait rien de tel. J’ai tendance à penser que les deux épigrammes autour des funérailles revisitées de Léonidas s’appuient sur des pratiques funéraires réelles, mais soit mal comprises, soit tombées partiellement ou complètement en désuétude à l’époque de la rédaction des poèmes. Il est vrai que Philippe de Thessalonique est de peu postérieur à Antiphilos de Byzance. La tradition littéraire dont ils font usage, dans ce qui pouvait apparaître comme une série de variations autour d’un thème imposé dans un concours poétique, pouvait remonter à l’époque hellénistique ou plus tôt encore. Philippe de Thessalonique avait pris la succession de Méléagre de Gadara (ca. 140-ca. 60 av. n. è.) dans ce projet de compilation d’épigrammes de natures très variées.
22Un passage de la Vie de Cléomène semble confirmer à l’époque hellénistique la pratique des funérailles en phoinikidi des soldats morts au combat. Toutefois, là encore, l’identité du défunt amène à s’interroger sur le degré de diffusion de la pratique. Depuis 229, l’Agiade Cléomène, l’un des deux rois de Sparte, mène une politique d’expansionnisme territorial dans le Péloponnèse au détriment du koinon des Achéens. En 227, il défait les Achéens près du mont Lykaion en Arcadie, mais Aratos s’empare de Mantinée39. Peu après, Cléomène défait à nouveau les Achéens à la bataille rangée de Ladokeia (ou Leuctra) près de Mégalopolis40 : c’est à cette occasion que meurt Lydiadas, qui en 235 avait abdiqué de sa tyrannie sur la cité arcadienne, voisine de Sparte et fait adhérer sa cité au koinon des Achéens :
« 5. Enhardis par ces succès, les Lacédémoniens se jetèrent à grands cris sur les Achéens et mirent en déroute leur armée entière. 6. Beaucoup furent tués ; Cléomène les rendit en vertu d’une convention, sauf Lydiadas dont le corps, sur son ordre, lui fut apporté : il le revêtit d’un manteau de pourpre, lui mit une couronne sur la tête et le fit déposer, ainsi paré, à la porte de Mégalopolis. 7. C’est ce Lydiadas qui, après avoir abdiqué la tyrannie et rendu la liberté à ses concitoyens, avait fait entrer sa ville dans la Confédération achéenne41. »
23Lydiadas de Mégalopolis fut l’un des 11 (?) stratèges de la Ligue achéenne qu’il dirigea donc à trois reprises, en 234-233, en 232-231 et en 230-229. Le récit des honneurs funéraires que lui accorde Cléomène est assez surprenant. Gabriele Marasco considère qu’il faut dépasser la vision, présente chez Plutarque, de la grandeur d’âme du roi de Sparte plein de reconnaissance envers un ennemi qui s’est bien battu. Certes, Cléomène perdait là son meilleur ennemi, et comme l’a déjà dit F. W. Walbank, « had no reason to be glad at the death of Lydiades, who had always pressed for the very war he himself desired42 ». Mais la véritable raison était sans doute ailleurs. Les honneurs avaient vraisemblablement pour but de rallier la cité de Mégalopolis, qui venait d’intégrer le koinon des Achéens. Ailleurs, Plutarque indique qu’Aratos, en raison de sa politique attentiste, avait été responsable de la mort de Lydiadas43. G. Marasco attribue la couleur pourpre du manteau au symbole royal et considère le geste de Cléomène à l’égard de Lydiadas comme dicté par une volonté de propagande : « Il fatto poiche Cleomene adornasse il cadavere di Lidiada con la porpora e la corona, che erano insegne esteriori della regalità, dimostra che il suo gesto aveva finalità propagandistiche44. » Nous suivons le savant italien pour ce qui est de la « finalité de propagande », mais nous nous en séparons pour ce qui est de l’interprétation strictement « royale » de la pourpre. Pour G. Marasco, l’exaltation de l’idéal monarchique défendu par Cléomène s’opposerait à l’exaltation anti-tyrannique promue par les Achéens, ce qui avait valu à Lydiadas d’abdiquer sa tyrannie afin de permettre à sa cité d’intégrer le koinon en 235. Il y aurait concurrence de deux visions du pouvoir : le « monarchisme » spartiate, qui tendrait à réveiller le passé tyrannique d’un certain nombre de cités entrées dans le koinon des Achéens, et la vision plus « démocratique » des Achéens45. Cette vision de la τῶν Ἀχαιῶν δημοκρατία est explicitement défendue par Polybe46. Mais l’on sait également que Polybe a tendance à jeter du côté de la tyrannie, tout opposant à la cause achéenne et à considérer que l’État fédéral achéen incarne l’aboutissement institutionnel de la démocratie47. Gabriele Marasco suit cette tradition historiographique, déjà présente dans l’Antiquité. Il n’établit, en revanche, aucun rapprochement avec les honneurs funéraires des soldats morts aux combats décrits par Xénophon. C’est pourtant bien selon la manière décrite par Xénophon que le Mégalopolitain Lydiadas reçoit des honneurs funèbres « à la Spartiate ». Il s’agit là d’un acte de propagande. Mais plutôt que d’y voir la reconnaissance de la nature royale (ou tyrannique) de Lydiadas, il me semble que l’on pourrait tout aussi bien considérer cet acte comme la volonté d’englober Mégalopolis au sein d’un État territorial lacédémonien. Lydiadas avait fait le choix pour sa cité, de son vivant, d’intégrer le koinon des Achéens, dont il devint l’un des dirigeants. Cléomène manifeste que dans la mort, il fait du défunt un Spartiate, dans la logique d’anaplèrôsis qui vise à augmenter le corps civique spartiate48, et à une date, où il compte peut-être bien proposer aux Mégalopolitains restés enfermés à l’intérieur des murailles, de rejoindre le giron lacédémonien.
24Qu’elle s’adresse à tous les morts au combat (Plutarque) ou aux meilleurs d’entre eux (Élien), la phoinikis est le linceul lui-même, celui que l’on porte toute sa vie. Cette bien étrange proximité avec la mort ne doit pas surprendre à Sparte. Par le même passage de Plutarque, on sait que la coutume était d’enterrer les morts en polei49. Plutarque indique que cela avait pour but de supprimer toute crainte superstitieuse et d’habituer les jeunes afin de « leur ôter la peur et l’horreur de la mort et l’idée qu’elle souillait ceux qui touchaient un corps mort ou passaient à travers une rangée de tombeaux50 ». La non-inhumation des morts à l’intérieur des enceintes urbaines est la pratique habituelle, et Sparte apparaît avec Mégare ou Tarente comme une exception51. Par ailleurs, sur le champ de bataille, les Spartiates se préparaient à mourir : Hérodote nous rappelle que les Spartiates se peignent les cheveux afin de devenir de « beaux morts », pour paraphraser Nicole Loraux52.
Deuxième série de remarques : une valeur apotropaïque attachée à la phoinikis ?
25À Sparte, la proximité avec le sang, sur le champ de bataille, était non seulement réelle, comme pour toutes les armées grecques, mais en plus, elle était exaltée. On sait que, de génération en génération, les Spartiates se transmettaient les valeurs consignées dès la fin du viie siècle dans les poèmes parénétiques de Tyrtée. L’élégie 9, conservée par Stobée53, citée, résumée et commentée par Platon54, dont on s’accorde qu’elle nous livre les principaux éléments de l’idéal aristocratique guerrier spartiate, dans sa dimension à la fois physique et sociale55, contient un passage qui insiste sur la mort sanglante :
« car un homme ne se montre pas valeureux à la guerre,
à moins qu’il ne supporte de voir la mort sanglante
et ne s’attaque de près aux ennemis56 ».
26Considérant que l’apprentissage à la guerre s’effectuait non seulement par des pratiques physiques, mais aussi par un conditionnement psychologique, Nicolas Richer rapproche ce passage de « la conscience de la nécessité d’être maître de soi que la sacralisation des pathêmata, des états physiques du corps, pouvait instiller à chacun57 ». Selon l’expression de Plutarque58, les pathêmata sont à Sparte des abstractions d’états physiques du corps et l’on peut considérer qu’elles ont été « sacralisées » à Sparte, selon l’expression de N. Richer. Ces pathêmata, dont on peut dresser la liste à travers nos sources sont « Phobos (ou Effroi, puisque le mot est masculin), Aidôs, la Pudeur ou la Retenue, Hypnos, le Sommeil, Thanatos, la Mort (ou Trépas), Gélôs, le Rire, Éros, l’Amour, Limos, La Faim ou la Famine59 ». Les différents cultes aux abstractions divinisées des états physiques du corps, qui pourraient remonter au milieu du vie siècle, à l’époque où se met en place une certaine austérité spartiate, avaient pour finalité sociale de contraindre les Spartiates à une soumission éthique et religieuse à la loi60. Phobos est l’un de ces pathêmata. À Sparte, en tant que pathêma, il « est d’un usage interne à la communauté, et il contribue à y faire régner la discipline61 ». En d’autres termes, Phobos à l’intérieur de Sparte contribue à préparer les Spartiates à la guerre, notamment à soutenir la mort sanglante, ce qui est affaire de discipline.
27Cette remarque est juste, mais elle ne reflète, me semble-t-il qu’une face du phénomène. Phobos est également invoqué à la guerre, sur le champ de bataille. Phobos possède une ambivalence constitutive, relevée en son temps par Marie-Madeleine Mactoux. Se refusant à voir simplement dans Phobos « l’expression de cette peur collective et omniprésente […] concrétisation d’une angoisse primitive, aggravée par la peur religieuse d’une pollution contagieuse », propice à toutes les disciplines et tous les embrigadements, M.-M. Mactoux considère la « réalité divine complexe que la transcription [du terme Phobos] par Peur fige dans une dimension réductrice62 ». Car Phobos comporte deux facettes sémiologiques, que la traduction systématique par « Peur » tend à réduire à une seule. Il y a deux manières de comprendre Phobos, l’une active, l’autre passive. Ce que M.-M. Mactoux explique de la manière sémiologique suivante : « Effroi ou Déroute, dont les connotations orientent davantage vers la sème-action : on met des ennemis en déroute. Peur, en revanche, infléchit le sens vers la sème-passion : on éprouve de la peur63. »
28Dès lors, sur le champ de bataille, on peut se poser la question de savoir quelle est la part de la « maîtrise de soi », sous-tendue par Phobos-Peur constitutif de la discipline communautaire, et la part de la « protection » contre les influences maléfiques et garantie par Phobos-Effroi au combat, l’Effroi étant bien entendu tourné vers les ennemis. Dans ce deuxième cas, la tunique rouge possède peut-être une valeur apotropaïque liée à sa couleur semblable à celle du sang. Il s’agirait là d’un moyen de soustraire son porteur au mauvais sort qu’il pourrait rencontrer sur le champ de bataille, en affichant justement la couleur du sang qui sera versé.
29On doit alors s’interroger sur la conception grecque du sang versé à la guerre. Le dossier est difficile, car il est faiblement documenté. Sa difficulté réside également dans le fait qu’il a un lien avec la question centrale de la souillure. Contrairement au sang versé dans un crime, l’opinion commune est de considérer que le sang versé à la guerre ne souille pas64. Dans sa tragédie, Euripide, fait dire à Ion qu’« on reste katharos quand on tue un ennemi65 ». Dans ses Lois, Platon précise que « si, lors d’une stasis ou autre cas dans le même genre, un frère tue son frère au combat, en se défendant contre lui, il restera sans souillure, comme s’il avait tué un ennemi (polemion) à la guerre66 ». La question de la souillure à la guerre a été récemment reprise par Bernard Eck67. Comme l’a bien montré cet auteur, la souillure est bel et bien attestée dans le contexte de la tuerie guerrière dans l’épopée homérique. La question reste certes débattue68. Néanmoins, il est sûr que l’on ne peut pas simplement se contenter de conclure, comme le faisait Robert Parker, que « le sang versé dans la bataille pouvait être simplement lavé69 ». De quel sang faudrait-il se purifier ? Du sien propre ? Ou bien de celui de l’ennemi70 ? Dans cette perspective, la tunique rouge sang constitue peut-être un moyen de se protéger de la contamination de son propre sang et/ou du sang ennemi en affichant la menace de contaminer l’ennemi de son sang. Et si l’on fait abstraction de la notion de souillure, la tunique rouge sang peut tout simplement constituer un moyen d’endosser un état, celui du blessé ou du mort, pour mieux se protéger de la blessure et de la mort et ne pas hésiter à aller au contact de l’ennemi, qu’il convient d’ensanglanter.
30Nous formulons l’hypothèse que la phoinikis, la tunique rouge-sang, pouvait précisément revêtir l’aspect apotropaïque permettant à Phobos-Effroi de se déchaîner afin de déclencher la déroute chez l’ennemi.
Troisième série de remarques : significations et modalités des invocations et du culte de Phobos à la guerre
31Étudier les significations et les modalités des invocations et du culte de Phobos à la guerre relève d’une gageure, puisque nous ne possédons que très peu d’attestations, toutes extérieures au contexte spartiate, certaines relevant de guerres mythiques.
32L’attestation la plus intéressante est constituée par quelques vers du prologue des Sept contre Thèbes d’Eschyle. On y trouve le détail du culte qui associe Arès, Enyo et Phobos et la signification que les desservants de ce culte en donnent. Au début de la pièce d’Eschyle, le Messager prévient le Thébain Étéocle de l’attaque imminente des Sept contre Thèbes :
« Étéocle, roi puissant des Cadméens,
Je viens t’apporter de sûres nouvelles :
Moi-même j’ai vu l’armée des ennemis,
J’ai été témoin de leurs dispositions.
Sept chefs, guerriers fougueux, immolent un taureau ;
Le sang de la victime est reçu dans le noir bouclier ;
Tous y plongent la main, tous ils jurent
Par le dieu Arès, par Enyo, par Phobos, assoiffé de sang (καὶ φιλαίματον Φόβον),
ou de renverser Thèbes,
de saccager la ville des Cadméens,
ou de périr, d’arroser cette terre de leur sang71. »
33Dans le sacrifice d’enagismos fait à Phobos, on ne peut que constater l’omniprésence du sang : sang du taureau, victime de sacrifice qui dans un contexte éphébique verse du côté de la virilité72 ; sang des hommes que l’on jure de faire couler chez l’ennemi ou bien de voir couler de son propre corps sur la terre du champ de bataille. Il y a dans ce serment passé comme la dimension d’un lien (katadesmos) qui vise à détruire l’ennemi et une dimension religieuse qui nous semble assez proche de cette terra (plus ou moins) incognita de la religion grecque qu’est la magie73. Le Phobos invoqué par les Sept devant Thèbes est dit φιλαίματον, « qui aime le sang », « assoiffé de sang ». Il constitue un trio fonctionnel avec Arès son père et la déesse Enyo74, dont on peut penser qu’ils agissent de concert sur le champ de bataille, comme cela est le cas d’autres divinités75. On ressent à travers la puissance poétique d’Eschyle, mais aussi dans le rite et ses enjeux, la possibilité de déchaîner des forces destructrices majeures, dirigées contre une cité, et une ville assiégée.
34Dans sa Vie de Thésée, Plutarque décrit une situation qui n’est pas très différente, mais néanmoins inversée. La cité d’Athènes est submergée par une invasion d’Amazones. L’heure est grave. Une partie d’entre elles campent même au cœur de la ville : « Pendant longtemps les deux parties hésitèrent et tardèrent à engager l’action ; mais à la fin, Thésée, après avoir, sur l’ordre d’un oracle, sacrifié à Phobos, les attaqua76. »
35Le cas mythique de Thèbes diffère assez peu du cas mythique athénien sous Thésée : une tension provoquée par le face à face de deux armées nécessite sa résolution par l’engagement meurtrier dans la bataille. Il n’y a pas d’autres alternatives. Invoquer Phobos, c’est accepter la guerre et sa conséquence première, la mort. Thésée est aidé de la divinité dans la mesure où c’est un oracle qui lui indique le sacrifice à accomplir. Suit un récit fondateur pour le calendrier et la topographie religieuse d’Athènes : la bataille ayant lieu en Boédromion, les Athéniens offrent encore les sacrifices des Boédromia, en l’honneur d’Apollon Boédromios ; l’Attique historique (encore du temps de Plutarque) conserve les tombeaux des Athéniens et des Amazones qui furent tués77. Le mythe justifiant des comportements historiques, on peut penser que la signification des invocations et du culte à Phobos était comparable de l’époque archaïque à l’époque hellénistique.
36Pour notre propos, l’inscription, datée du milieu du ve siècle, et retrouvée à Sélinonte78, fondation des Mégariens de Sicile et de Grèce vers le dernier tiers du viie siècle79, présente un intérêt. Dans cette grande inscription dédicatoire, les Sélinontins commencent par énumérer les dieux à qui ils doivent la victoire, sans indiquer le nom des vaincus. Phobos figure au deuxième rang, après Zeus et avant Héraclès, une des grandes divinités doriennes de Sélinonte. Jean Pouilloux avance l’hypothèse selon laquelle l’énumération correspondrait à l’ordre topographique des temples devant lesquels les sacrifices sont effectués sur l’acropole de Sélinonte80, ce qui constituerait la deuxième attestation d’un sanctuaire de Phobos dans le monde grec. Mais l’on peut s’interroger avec M.-M. Mactoux sur la réalité d’un tel sanctuaire81 et préférer voir en Phobos un dieu invoqué avant la bataille, dans le camp ou bien sur le champ de bataille.
37Plutarque rappelle ainsi qu’Alexandre le Grand sacrifie à Phobos avant un combat décisif82, tout comme Thésée ou les Sept contre Thèbes. Alexandre l’accomplit avant la bataille de Gaugamèles, avant d’affronter l’armée de Darios III, à un moment important de sa conquête. Sphagiazomai est le verbe employé comme pour le sacrifice de Thésée et pareillement pour l’enagismos des Sept. Il s’agit d’une offrande de sang dont on sait qu’elle a pour but de lier le desservant à la divinité83. Le sacrifice d’Alexandre, qui est historique, conserve un aspect exceptionnel. Plutarque dit en effet que : « De son côté, Alexandre, tandis que les Macédoniens dormaient, demeura devant sa tente avec son devin Aristandros pour accomplir certains rites secrets (ἱερουργίας τινὰς ἀπορρήτους ἱερουργούμενος) et sacrifier à Phobos (καὶ τῷ Φόβῳ σφαγιαζόμενος)84. »
38L’expression ἱερουργίας τινὰς ἀπορρήτους ἱερουργούμενος en dit long sur le caractère spécialisé et difficilement compréhensible par le commun des mortels des rites mis en jeu par le devin Aristandros. Nocturne, la cérémonie est plus hermétique que secrète, puisqu’elle se déroule devant la tente d’Alexandre. Il est probable que les gestes et pratiques mis en œuvre étaient peu fréquents. Par ailleurs, seul le roi semble s’y prêter, accompagné d’un spécialiste qui le guide dans les démarches rituelles à accomplir. Le roi seul invoque Phobos, ce qui individualise son rôle au sein de l’armée. Ses soldats dorment avant le combat.
39À ce faisceau assez cohérent, il convient d’ajouter un passage, apparemment discordant, moins par sa date d’écriture tardive (à une époque un peu postérieure à celle de Plutarque) que parce qu’il se réfère au monde romain hellénistique. Dans son Livre carthaginois (Libykhê), Appien indique qu’en 203, projetant d’attaquer les camps carthaginois de Syphax et d’Asdrubal, Scipion l’Africain fut lui-même surpris par une attaque carthaginoise85.
« Sur ces mots, après avoir renvoyé les officiers faire prendre les armes aux soldats, il sacrifia lui-même à l’Audace et à la Peur (ἐθύετο Τόλμη καὶ Φόβῳ) : il pensait conjurer ainsi toute panique née de la nuit et voir son armée animée de la plus grande intrépidité et <…> (μηδὲν ὡς ἐν νυκτὶ πανικόν οἱ γενέσθαι, ἀλλὰ τὸν στρατὸν αὐτῷ θρασύτατον μάλιστα ὀφθῆναι)86. »
40Le verbe désignant le sacrifice se réfère à la pratique de la thusia et non à celle de l’enagismos, ce qui n’est pas cohérent avec les attestations précédentes. Tolmè/Tolma est une abstraction divinisée dont on possède assez peu de parallèles87. En revanche, le contexte de la nuit comme la finalité des invocations et du culte sont cohérents avec les passages précédents. On est avant la bataille, à un moment décisif. Il s’agit de « conjurer la panique (panikos) née de la nuit » : le sacrifice a une valeur apotropaïque. Avec la protection des deux divinités, « l’armée se montrera plus intrépide ». Grâce à l’aide des deux divinités, la panique pourra être portée dans les rangs de l’armée ennemie.
⁂
41Phobos à la guerre apparaît donc bien comme Peur dirigée vers les ennemis, c’est-à-dire l’Effroi, la Peur-Fuite, la Déroute. De ce point de vue, Phobos présente des analogies fonctionnelles avec Pan, une autre divinité péloponnésienne, plus spécifiquement arcadienne, mais nous laisserons de côté la question épineuse des liens entre les deux divinités88. Si la tunique rouge sang a un lien avec Phobos – si tel est bien le cas, pour ce qui se présente pour l’instant comme une hypothèse – c’est qu’elle a pour but de provoquer la peur chez l’ennemi, avant même de maîtriser la peur chez les Spartiates. Il arrive que des Spartiates soient pris de tremblement au combat, saisis par la peur, mais c’est là, me semble-t-il, un aspect différent que je laisse volontairement de côté89. Phobos m’intéresse davantage en tant qu’Effroi propagé dans les lignes ennemies pendant le combat, ce qui constitue l’élément déclencheur essentiel de la victoire. Le rôle de cette peur panique qui saisit la phalange ennemie, la démobilise et la débande, a été souligné par plusieurs savants, notamment par V. D. Hanson90, qui avait été précédé sur ce point par Charles Ardant du Picq dès 188091. Ce dernier avait insisté sur le fait que la puissance d’une armée repose avant tout sur sa valeur morale et que la cause principale d’une défaite militaire réside dans la rupture psychologique qui précède le désordre, la confusion et la panique92. Mais je me demande si Phobos n’a pas aussi pour but d’enthousiasmer les soldats à aller au combat, au-devant de la mort, au contact du sang qui coule. Les valeurs funéraires et apotropaïques de la phoinikis en seraient des adjuvants. D’une terreur à l’autre un étrange effet de miroir semble parfois confondre les adversaires.
Notes de bas de page
1 Sur toutes ces pièces de vêtement, cf. G. Losfeld, L’Art grec et le vêtement, Paris, De Boccard, 1994. Le chitôn est une tunique, longue ou courte, portée principalement comme vêtement de dessous. Il est attaché sur les deux épaules de différentes manières (agrafes, points de couture ou petit cordon). Des chitônes rouges sont représentés portés sous des cuirasses par Richard Hook dans N. Sekunda, The Spartan Army, Oxford, Osprey, 1998, ill. B, D, E ; ou portés seuls (ibid., ill. G) ; cf. aussi le dessin de Steve Noon dans D. C. Campbell, Spartan Warrior, 735-331 BC, Oxford, Osprey, 2012, p. 64, qui différencie bien chitôn et exomide.
2 L’exomide est une pièce de tissu courte, drapée autour du torse, attachée au-dessus de l’épaule gauche par une fibule, qui laisse l’épaule droite nue (exô = dehors, ômos = épaule) et est resserrée autour de la taille par une ceinture ; c’est le vêtement de travail par excellence, utilisé aussi par les soldats. Des exomides rouges, portées seules, sont représentées (e.g.) par R. Hook dans N. Sekunda, op. cit., ill. I, J, K et L ; par A. Hook dans N. Sekunda, Greek Hoplite, 480-323 BC, Weapons, Armour, Tactics, Oxford, Osprey, 2000, ill. G et H ; par S. Noon dans D. C. Campbell, op. cit., p. 64 et 83.
3 La chlamyde est un vêtement de forme rectangulaire agrafé sur l’épaule, de nature assez grossière et de proportions plus réduites que celles de l’himation. Portée sur la tunique, elle s’arrête au genou et ne couvre pas tout le corps, cf. la représentation par R. Hook dans N. Sekunda, op. cit., ill. L (« Lakedaimonian cavalery man »).
4 L’himation est un rectangle de laine de vaste dimension (environ 2 mètres sur 3), suffisamment ample pour envelopper tout le corps. À l’imitation d’une statuette du début du ve siècle représentant un hoplite drapé, un himation rouge est attribué par Richard Hook, dans N. Sekunda, op. cit., ill. F, à chacun des membres de la famille royale présents à Platées en 479, à savoir Pausanias et Euryanax ; cf. aussi P. Connolly, Greece and Rome at War, Londres, Macdonald Phoebus Ltd, 1981, p. 45 qui donne l’illustration d’un hoplite spartiate, avec chiton, porté sous une cuirasse, et himation.
5 F. Chamoux, « La prophétesse Martha », dans Mélanges d’Histoire ancienne offerts à William Seston, Paris, Publications de la Sorbonne, 1974, p. 83.
6 P. Chantraine, « À propos du nom des Phéniciens et des noms de la pourpre », StudClas, 14, 1972, p. 7-15, dont les conclusions sont reprises par J. Taillardat, « 1 — phoinix », dans P. Chantraine, DELG, IV/2, Paris, Klincksieck, 1999 (1980), p. 1217, et aussi par A. Grand-Clément, La Fabrique des couleurs. Histoire du paysage sensible des Grecs anciens, viiie-début du ve s. av. n. è., Paris, De Boccard, 2011, qui constitue la synthèse indispensable sur la perception, la représentation et la symbolique des couleurs dans le monde grec antique.
7 Organisé à Lorient les 25 et 26 septembre 2014.
8 J.-C. Couvenhes, « Le rouge porté au combat à Sparte : une couleur sang, mais laquelle ? », dans L. Bodiou et V. Mehl (dir.), L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 61-74, où l’on trouvera les références aux travaux de C. Santaniello.
9 Aristophane, Lysistrata, 1140.
10 Xénophon, Constitution des Lacédémoniens, XI, 3.
11 Aristote, fr. 542 (éd. V. Rose, Aristotelis qui ferebantur librorum fragmenta, Leipzig, Teubner, 1886).
12 J.-C. Couvenhes, art. cité, p. 69.
13 Par cette expression, P. Cartledge identifie le vêtement militaire rouge des Spartiates au seul chitôn.
14 P. Cartledge, « Hoplites and Heroes. Sparta’s Contribution to the Technique of Ancient Warfare », JHS, 97, 1977, p. 15 et n. 38 : « peut-être à cause du fait que cette couleur était virile, magique et/ou permettait de dissimuler les tâches de sang, mais sûrement aussi en raison de la disponibilité du colorant ».
15 J.-C. Couvenhes, art. cité, p. 70-74. La garance a été utilisée à Corinthe et Athènes au ive s. av. n. è. mais n’est pas attestée à Sparte.
16 Sur Phobos, la synthèse la plus réussie reste celle de E. Bernert, « Phobos », RE, XX, 1941, col. 309-318.
17 M.-M. Mactoux, « Phobos à Sparte », RHR, 210, 1993, p. 259-304.
18 Sur les pathêmata, on renverra à N. Richer, Les Éphores. Études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (viiie-iiie siècles avant Jésus-Christ), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 217-234, et La Religion des Spartiates : croyances et cultes dans l’Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 45-105 : chapitre ii : « Les pathêmata. La sacralisation des différentes formes de la maîtrise de soi. » Cf. aussi N. Richer, Sparte. Cité des arts, des armées et des lois, Paris, Perrin, 2018, p. 238-239.
19 Plutarque, Vie de Cléomène, 9, 1.
20 M.-M. Mactoux, art. cité, p. 295, qui compare Phobos à Artémis Orthia dans son désir de sang : « Phobos, divinité chthonienne, puissance sanguinaire altérée de sang, appartient à la même sphère religieuse que la sauvage Artémis. »
21 Hésiode, Théogonie, 935-936.
22 Plutarque, Vie de Lycurgue, 27, 2-3 (éd. et trad. R. Flacelière, É. Chambry et M. Juneaux, CUF). Plutarque, Apophtegmes laconiens (Institutions), 18, Œuvres morales, 238D, répète le passage uniquement pour les hommes, précisant qu’il supprima aussi « les deuils et les lamentations ». Héraclide Lembos, fr. 2, 8 (éd. K. Müller, FHG II, Paris, 1848, p. 211 = M. R. Dilts (éd.), Heraclides Lembi Excerpta Politiarum, Durham, 1971, exc. 13) indique le caractère « sans valeur et égales pour tous » des tombes spartiates.
23 N. Loraux, « La “Belle Mort” spartiate », Ktèma, 2, 1977, p. 105-120.
24 C’est ce que l’on peut voir directement au tombeau des Spartiates au Céramique à Athènes, dans le contexte de la libération des Trente en 404. En 1930, on y a retrouvé, 13 squelettes signalés par une inscription lacunaire (IG II2, 11678) portant l’entête ΛΑ[ΚΕΔΑΙΜΟΝΙΟΙ] et la mention de deux polémarques, Chairon et Thibrachos, ainsi que de L[akratès], vraisemblablement le vainqueur à Olympie (cf. Xénophon, Helléniques, II, 4, 33 qui mentionne les trois noms ; Lysias, Oraison funèbre, 63). Les dépouilles des trois hommes, dont deux sont des officiers, semblent avoir été réunies dans une chambre à part ; cf. F. Ruzé et J. Christien, Sparte : géographie, mythes et histoire, Paris, Armand Colin, 20172 (2007), p. 246 et n. 1 pour ce contexte. Je remercie Jenny Wallensten d’avoir attiré mon attention sur cette attestation hors de Laconie qui me semble néanmoins relever de la même logique laconienne.
25 Diodore de Sicile, VIII, 27, 2 ; repris par Polyen, Stratagèmes, I, 17, et Justin, III, 5, 10-11 ; cf. N. Richer, « Aspects des funérailles à Sparte », CCG, 5, 1994, p. 56, n. 25.
26 Élien, Histoire variée, VI, 6 (trad. personnelle).
27 R. Flacelière, « Sur quelques passages des Vies de Plutarque. II. Lycurgue – Numa », REG, 61, 1948, p. 404 ; dans cet article, l’auteur revient au paragraphe 9 sur « Les funérailles spartiates : Lycurgue XXVII, 2-3 » (p. 403-405).
28 H. Diels, « Herodot IX, 85 und die Iranes », Klio, 13, 1913, p. 314 (repris dans M. P. Nilsson, Opuscula Selecta, vol. 2, Lund, C. W. K. Gleerup, 1952, p. 870).
29 N. Richer, Sparte, op. cit., p. 242.
30 Contrairement à N. Richer, art. cité, p. 56, il ne me semble pas que l’on puisse tirer du silence d’Élien sur les tombes non anonymes le fait que « les tombes non anonymes étaient le privilège de tous les morts au combat ». Il ne me semble pas que l’on puisse trouver là « une confirmation de Plutarque ». En revanche, le rapprochement que N. Richer opère p. 56, n. 25, avec le passage de Diodore de Sicile, VIII, 27, 2 (cité supra, n. 25) nous apparaît très probant.
31 Philippe de Thessalonique est un poète et écrivain grec du ier siècle de notre ère, auteur de 72 épigrammes recensés dans l’Anthologie palatine, dont il fut l’un des éditeurs sous le nom de La Guirlande de Philippe.
32 Antiphilos de Byzance est également un poète grec du ier siècle de notre ère, mais peut-être antérieur d’une génération (?), auteur d’une cinquantaine d’épigrammes dans l’état de l’Anthologie palatine produit par Philippe de Thessalonique.
33 Hérodote, VII, 238.
34 Anthologie Palatine, IX, 293 de Philippe de Thessalonique (trad. G. Soury, CUF).
35 Hérodote, II, 122 ; IX, 109.
36 Iliade, XVIII, 353 ; XXIV, 580 ; Sophocle, Ajax, 916 ; Bion de Smyrne, I, 3, 72.
37 Il est possible que cela fasse également allusion à la manière dont le manteau était coloré à partir du murex.
38 Anthologie Palatine, IX, 294 d’Antiphilos de Byzance (trad. G. Soury, CUF).
39 Polybe, II, 51 ; Plutarque, Vie d’Aratos, 36 ; Vie de Cléomène, 5.
40 Polybe, II, 51 ; Plutarque, Vie d’Aratos, 36-37 ; Vie de Cléomène, 6.
41 Plutarque, Vie de Cléomène, 6, 5-7 (trad. R. Flacelière et É. Chambry, CUF).
42 F. W. Walbank, Aratos of Sicyon, Cambridge, Cambridge University Press, 1933, p. 83.
43 Plutarque, Vie d’Aratos, 37, 5. En 35, 7, Plutarque avait déjà rappelé que les deux hommes avaient été directement en concurrence lors de l’élection à la stratégie pour l’année 227.
44 G. Marasco, Commento alle biografie Plutarchee di Agide e di Cleomene, t. II, Rome, Edizioni dell’Ateneo, 1981, p. 409-410, qui renvoie à E. Bikerman, Institutions des Séleucides, Paris, Geuthner, 1938, p. 32, et D. Musti, « Il re, la corte, i funzionai », dans R. Bianchi Bandinelli (dir.), Storia e civiltà dei Greci. La società ellenistica. Quadro politico, t. I, Milan, Bompiani, 1977, p. 288-307, 293. La courte étude de M. Reinhold, History of Purple as a Status Symbol in Antiquity (Latomus, 116), Bruxelles, Latomus, 1970, ne s’attache en quelques pages qu’à la « pourpre » royale sous Alexandre et les royaumes hellénistiques (p. 29-36) et ignore la question spartiate dans les quelques pages consacrées aux cités grecques (p. 22-28).
45 G. Marasco défend également cette thèse dans son article « Storia e propaganda durante la guerra cleomenica. Un episodio del iii sec. A.C. », RSI, 92, 1980, p. 23-27.
46 Polybe, II, 44, 5-6 : « C’est ainsi que Lydiadas de Mégalopolis, du vivant même de Démétrius et de son propre mouvement, prévoyant habilement et sagement l’avenir, avait déposé la tyrannie et adhéré à la Confédération nationale ; Aristomachos, tyran d’Argos, Xénon, tyran d’Hermione, et Cléonymos, tyran de Phlious, déposant alors le pouvoir absolu, s’agrégèrent à la démocratie achéenne. »
47 A. Rémy, « Polybe et le Πολίτευμα de la Confédération achéenne », BAGB, 2008/1, p. 101-125.
48 Sur ce sujet, voir en dernier lieu : G. Hoffmann, « Anaplèrôsis et agôgè au temps des rois Agis IV (244-241) et Cléomène III (235-222) », dans J. Christien et B. Legras (dir.), Sparte hellénistique, ive-iiie siècles avant notre ère (DHA, suppl. 11), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2014, p. 111-127.
49 Plutarque, Vie de Lycurgue, 27, 1 ; cf. supra, n. 22.
50 Ibid., 27, 2. Cf. N. Richer, La Religion, op. cit., p. 88-89.
51 L. Moulinier, Le Pur et l’impur dans la pensée des Grecs, d’Homère à Aristote (Études et commentaires, 12), Paris, Klincksieck, 1952, p. 76-81 ; D. C. Kurtz et J. Boardman, Greek Burial Customs, Londres, Thames and Hudson, 1971, p. 181, et R. Parker, Miasma: Pollution and Purification in Early Greek Religion, Oxford, Clarendon Press, 1996 (1983), p. 70-73.
52 Hérodote, VII, 208 et 209 ; interrogé par Xerxès par cette pratique, Démarate répond : « Telle est leur coutume : quand ils sont au moment d’exposer leur vie, ils prennent soin de leur chevelure » (209) [trad. P.-E. Legrand, CUF]. Sur les pratiques du kalos thanatos, N. Loraux, art. cité, p. 119.
53 Stobée, IV, 9.
54 Platon, Lois, I, 629-630 et II, 660e-661a.
55 E. Lévy, Sparte. Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Paris, Seuil, 2003, p. 38-45, qui donne une bonne traduction et un commentaire.
56 Tyrtée, fr. 9, 10-12 (éd. C. Prato, Tirteo, Rome, Ed. dell’Ateneo, 1968 = fr. 2, 10-12 éd. M. L. West, Iambi et Elegi Graeci ante Alexandrum cantati, Oxford, Oxford University Press, 19922).
57 N. Richer, Sparte, op. cit., p. 252.
58 Plutarque, Vie de Cléomène, 9, 1.
59 N. Richer, Sparte, op. cit., p. 238 et n. 93 pour les références aux textes.
60 Le poète Simonide, cité par Plutarque, Vie d’Agésilas, 1, 3, caractérise Sparte comme une cité « dompteuse de mortels (damasimbrotos) » ; la même idée se retrouve chez Isocrate, Archidamos, 59.
61 N. Richer, La Religion, op. cit., p. 69, qui souligne, à partir de Platon, Lois, I, 647a, que Phobos est parfaitement distingué d’Aidôs (Retenue), distinction qu’il développe p. 68-77.
62 M.-M. Mactoux, art. cité, p. 267.
63 Ibid.
64 Cf. les remarques de P. Brulé, « Nul sang blanc, sang plus épais que l’eau, bon vin fait bon sang, sang de navet, sang des proches n’est pas de l’eau, bon sang ne peut mentir, bonne éducation fait bon sang… », dans L. Bodiou et V. Mehl (dir.), op. cit., p. 9-14.
65 Euripide, Ion, 1334.
66 Platon, Lois, IX, 869c.
67 B. Eck, La Mort rouge. Homicide, guerre et souillure en Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
68 La question de la souillure à la guerre reste discutée dans les comptes-rendus de l’ouvrage novateur de Bernard Eck : cf. P. Payen, REA, 115, 2013, p. 165-174 ; E. Scheid-Tissinier, AC, 84, 2015, p. 421-424, et P. Borgeaud, RHR, 3, 2016, p. 423-425.
69 R. Parker, op. cit., p. 113 : « blood shed in the battle could simply be washed off ».
70 À ma connaissance, la question reste à traiter. Des sources nombreuses, notamment des règlements, attestent du fait que le contact avec le sang empêchait une personne d’entrer dans un sanctuaire : un meurtrier, une personne après le décès d’un proche, une femme après un accouchement, un avortement ou une fausse couche ; sur tout cela, on se reportera aux études de T. Wächter, Reinheitsvorschriften im grieschischen Kult, Giessen, Alfred Töpelmann, 1910 ; L. Moulinier, op. cit. ; R. Parker, op. cit. ; A. Bendlin, « Purity and Pollution », dans D. Ogden (dir.), A Companion to Greek Religion, Oxford, Blackwell, 2007, p. 178-189. L’écoulement du sang et ses conséquences religieuses et sociales est davantage étudié du côté des femmes : cf. en dernier lieu, M. Augier, « Le sang menstruel dans les prescriptions cathartiques », dans L. Bodiou et V. Mehl (dir.), op. cit., p. 95-111.
71 Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 39-48 (trad. P. Mazon, Paris, CUF, 1920).
72 Alors que l’étude classique de J.-L. Durand, Sacrifice et labour en Grèce ancienne : essai d’anthropologie religieuse, Paris/Rome, La Découverte, École française de Rome, 1986, nous semble ne pas toujours faire la distinction entre bœuf et taureau, on se reportera aux analyses de V. Mehl, « Le beau et la bête. Initiation et maîtrise des victimes sacrificielles », dans F. Prost et J. Wilgaux (dir.), Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 209-223, sur le taureau comme victime de sacrifice dans un contexte agonistique et initiatique, mais non militaire.
73 Sur la magie grecque en général, la defixio et les « dieux qui médusent » en particulier, on se contentera de renvoyer à M. Carastro, La Cité des mages. Penser la magie en Grèce ancienne, Grenoble, Jérôme Millon, 2006. Cf. aussi A. Moreau et J.-C. Turpin (dir.), La Magie, t. I : Du monde babylonien au monde hellénistique, Montpellier, Presses universitaires du Mirail, 2000 (ainsi que le t. IV, Bibliographie générale, sous la direction de P. Brillet et A. Moreau).
74 Sur Enyo, mère, sœur, ou femme d’Arès, on se reportera à R. Michael Gais, « Enyo 1 », LIMC, III, 1986, p. 747-748. Enyo, « destructrice de villes (ptoliporthos) » (Iliade, V, 592-593), est également associée à Arès et Enyalios dans le serment du ive siècle, retrouvé sur une stèle d’Acharnes, des éphèbes athéniens (SEG XXI, 629 ; cf. L. Robert, Études épigraphiques et philologiques, Paris, Honoré Champion, 1938, p. 293-301, 296).
75 On doit à V. Cuche, Les Dieux au combat. Guerre et intervention divines en Grèce à l’époque classique, thèse de doctorat, université Paris-Nanterre-La Défense, 2010 (encore inédite), d’avoir montré à travers les sources, principalement littéraires, que quatre divinités (Zeus, Déméter, Athéna et Poséidon) « travaillaient en équipe » sur de nombreux champs de bataille de l’époque classique. L’auteur note l’absence, paradoxale, d’Arès dans les récits de bataille, alors qu’il est attesté par l’iconographie et de nombreux lieux de cultes (sur cette vitalité d’Arès, cf. M. Jost, « Les divinités de la guerre », dans F. Prost [dir.], Armées et sociétés dans la Grèce classique, Paris, Errance, 1999, p. 163-178, 163-164), considérant que « Phobos échappe à ce silence puisqu’on le retrouve en bonne position dans l’inscription triomphale de Sélinonte » (p. 622).
76 Plutarque, Vie de Thésée, 27, 2 (trad. R. Flacelière, É. Chambry et M. Juneaux, CUF).
77 Sur tout cela, on pourra encore consulter avec profit L. Deubner, Attische Feste, Berlin, 1969 (1932), et W. Judeich, Topograhie von Athen, Munich, C. H. Beck, 1931.
78 IG XIV, 268 ; M. T. Manni Piraino, Iscrizioni greche lapidarie del Museo di Palermo (ΣΙΚΕΛΙΚΑ, VI), Palerme, S. F. Flaccovio, 1973, p. 73-79, no 49 et pl. XXXIX.
79 Sur la fondation : A. Robu, « Les fondations mégariennes de Sicile : origine des colons et appropriation du territoire », Cahiers Mondes anciens, 2, 2011, [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/mondesanciens/549].
80 J. Pouilloux, « W. M. Calder III, The inscription from temple G at Selinus (Duke University, Greek, Roman and Byzantine Monographs, 4), 1963 », REA, 66, 1964, p. 215.
81 M-M. Mactoux, art. cité, p. 261-262, conteste à Phobos sa place de « grand dieu du Panthéon local (sc. de Sélinonte) », préférant voir dans le formulaire initial des divinités le fait que « [le] métadiscours [qui s’y déploie…], opposant Zeus et les autres dieux, dote Phobos d’un rôle liminaire et médiateur ».
82 Plutarque, Vie d’Alexandre, 39, 9.
83 Sur l’enagismos, nous nous contenterons de renvoyer à J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Paris, Picard, 19922 (1958), et à G. Ekroth, The Sacrificial Rituals of Greek Hero-Cults in the Archaic to the Early Hellenistic Period (Kernos, suppl. 12), Liège, Presses universitaires de Liège, 2002.
84 Plutarque, Vie d’Alexandre, 39, 9 (trad. É. Chambry et R. Flacelière, CUF).
85 Les commentateurs ont relevé qu’Appien dramatise volontairement et expose une situation inverse à celle des deux versions, concordantes, car tributaires l’une de l’autre, de Polybe, XIV, 2, 1-3, 5 et Tite Live, XXX, 4, 10-5, 1). P. Goukowsky (éd. trad.), Appien, Histoire romaine, tome IV, livre VII, Le Livre africain, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 2001, p. 140, note : « Chez Polybe et Tite Live, c’est Scipion qui a pris toute l’initiative, et qui va attaquer nuitamment les camps ennemis et les incendier, alors qu’il n’est lui-même sous le coup d’aucune menace. Ici (sc. chez Appien), le proconsul doit réagir dans l’urgence – d’où ce conseil tenu en pleine nuit avec ses officiers – à l’imminence d’une attaque. »
86 Appien, VIII (ΛΙΒΥΚΗ), 21 (trad. P. Goukowsky, CUF).
87 Plutarque, Isis et d’Osiris, Œuvres morales, 381F, qui fait référence à un contexte d’abstractions pythagoriciennes et Anthologie Palatine, IX, 29 ; cf. K. Ziegler, « Tolma », RE, VI, A 2, col. 1679-1681.
88 N. Richer, La Religion, op. cit., p. 108-122 (« Annexe I. Phobos et Pan. Les origines possibles du culte de Phobos à Sparte ») considère que Phobos pourrait dériver de Pan, « l’abandon de Pan thériomorphe au profit du pathêma Phobos [semblant] relever de ce contexte où un citoyen de Sparte doit pleinement maîtriser sa personne pour servir au mieux la collectivité » (p. 122) ; alors que E. Bernert, art. cité, col. 313, et C. Gallini, « La follia panica », SMSR, 32, 1961, p. 205-236 (spéc. p. 211 et 236) estiment que Pan dérive de Phobos. Pour P. Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan (Bibliotheca Helvetica Romana, 17), Genève, Institut suisse de Rome, 1979, p. 152, « il paraît difficile d’affirmer que l’un supplanta l’autre », compte tenu du fait que l’on trouve des attestations des deux cultes, avec la même fonction, à même époque.
89 Le dossier des trembleurs à Sparte est étayé par des études relativement nombreuses : en dernier lieu, nous renvoyons à J. Ducat, « The Spartan “Tremblers” », dans S. Hodkinson et A. Powell (dir.), Sparta & War, Swansea, The Classical Press of Wales, 2006, p. 1-55. Il y a un lien entre la phoinikis et le trembleur, mais il est secondaire : c’est ce que met en avant, de manière amusante, Aristophane, La Paix, 1171-1178, en se moquant d’un taxiarque athénien vêtu d’une phoinikis.
90 V. D. Hanson, Le Modèle occidental de la guerre, trad. A. Billault, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 135-144.
91 C. Ardant du Picq, Études sur le combat, Paris, Champ libre, 1978 (1880).
92 Ibid., p. 131 : « À Wagram, 1809, victoire napoléonienne, sur 22 000 combattants, 3 000 à peine ont atteint leur position, les 19 000 autres ? Ils étaient tombés, s’étaient couchés en route, avaient fait le mort. » Les propositions du colonel Charles Ardant du Picq, qui avait une expérience du terrain, ont été particulièrement bien accueillies par les chercheurs anglo-saxons à la suite des travaux de John Keegan et de ses épigones ; en France, M. Goya, Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Paris, Tallandier, 2015, contribue à réhabiliter son devancier.
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