Chapitre X. Flou de bougé : retour historique
p. 321-358
Texte intégral
« Exprimer la vie »
1La force expressive du mouvement, telle que Man Ray et Breton l’expérimentent dans Explosante fixe, est pressentie dès l’invention de la photographie. En 1852, Henri de Lacretelle admire une scène de marché photographiée par Charles Nègre en ces termes :
« Son objectif va aussi vite que le mouvement. Il a saisi avec une hardiesse incroyable une scène de marché qui avait lieu sur le quai en face du sien. Les portefaix marchent, les marchands élèvent les bras, la volaille frissonne sous la main qui la saisit. Ils ont tous laissé leur image exacte dans la chambre obscure de M. Nègre plus rapidement que leur ombre sur le pavé. C’est la vie elle-même1… »
2Depuis le xixe siècle, à des périodes et dans des contextes très différents, cette captation de « la vie elle-même » fait l’objet de recherches multiples. En 1852, cette quête ne passe pas encore par le flou, mais par la captation sur le cliché de mouvements naturels et vivants à la représentation desquels les spectateurs contemporains ne sont pas encore habitués.
3Dans cette quête de la représentation de la « vie », le flou prend à la fin du xixe siècle une place de plus en plus importante, comme l’explique Émile Giard en 1896 : « [U]n léger flou n’est pas désagréable pour exprimer la vie ou le mouvement2. » Il s’agit pour le photographe de réussir à capter le mouvement, non pour l’arrêter de manière trop nette, mais dans le but d’en montrer la temporalité et la mobilité, dans un flou qui exprime ces deux dimensions. En 1904, Frédéric Dillaye en explique le principe, qu’il attache à la tradition picturale et dont il précise la grande difficulté technique :
« La vie, c’est l’état d’activité de la substance organisée. Le mouvement s’offre comme une manifestation de cette activité ; manifestation visuelle, donc reproductible par les arts graphiques. Par conséquent, la représentation du mouvement, dans l’œuvre picturale, exprimera la vie. Mais qui dit mouvement, dit translation ; qui dit peindre, dit fixer. Comment le mouvement fixé peut-il fournir l’expression de la vie ? Difficilement3. »
4Comment, en effet, parvenir à exprimer le mouvement – signe de vie – alors même que l’image est fixe ?
5Ce problème se pose aux photographes dès les années 1880 et se prolonge jusqu’au milieu du xxe siècle. Parmi les différents flous, le mouvement occupe une place particulière tant d’un point de vue technique, par ses enjeux esthétiques, que par l’intérêt particulier que lui portent des photographes par ailleurs opposés au flou, comme Albert Londe au xixe siècle ou Daniel Masclet dès les années 1950. Il pose bien des problèmes similaires à ceux engendrés par le flou de mise au point, mais par certains aspects qui lui sont spécifiques il rompt aussi la grille d’analyse instaurée par celui-ci. Pour cette raison, deux chapitres lui sont entièrement consacrés. Le premier revient sur son histoire et sur les enjeux techniques qu’il engage ; le deuxième se concentre sur le changement radical de paradigme que le mouvement impose dans la perception et l’utilisation du flou dans la photographie.
Précision lexicale : flou de bougé et de mouvement
6D’un point de vue lexical, d’abord, précisons qu’au xixe siècle et jusque dans les années 1970 au moins, la différence que les dictionnaires contemporains marquent entre le flou de bougé et le flou de mouvement n’apparaît pas de manière aussi distincte. On tend en effet actuellement à distinguer le flou de mouvement – dû au déplacement du sujet au moment de la prise de vue – du flou de bougé – provoqué par le mouvement de l’appareil photographique. Les dictionnaires récents réservent en effet le « bougé » à l’effet produit par le mouvement de l’objectif, excluant celui du sujet – que l’on pourrait alors indiquer par l’expression « flou de mouvement », bien qu’ils ne la mentionnent pas4.
7Peu utilisée au xixe siècle, l’expression « flou de bougé » n’entre réellement en usage qu’à partir des années 1930, notamment dans L’Art de voir et la photographie que Marcel Natkin publie en 1935. Il y explique ce « qui n’est autre que le “bougé” » avec la description suivante : « Une voiture qui roule n’est jamais nette, ses formes ont pour ainsi dire des contours imprécis, et ses détails sont noyés dans l’ensemble, alors que le paysage dans lequel elle se déplace reste déterminé dans tous ses contours5. » Le « bougé » désigne bien le flou du sujet en déplacement, et non celui de l’appareil ici immobile et capable de capter nettement le paysage. Cette utilisation du « flou de bougé », indiquant de manière indistincte tant le mouvement du sujet que celui de l’appareil, s’observe jusqu’aux années 1970. Dans son ouvrage Photographisme publié en 1967, Henry Calba inclut dans son chapitre sur le « flou de bougé » à la fois les effets réalisés en déplaçant l’appareil et ceux produits par un sujet mobile devant un objectif fixe6. Le « bougé » exprime globalement le fait que quelque chose a bougé, qu’il s’agisse de l’objet photographié ou de l’appareil de prise de vue.
8Notons en outre la possibilité que le bougé et le flou de mouvement s’accumulent lors d’une même prise de vue. Tant l’appareil que le sujet photographié sont alors mobiles, avec deux conséquences possibles. Dans le premier cas, l’ensemble de l’image est brouillé, les deux flous s’étant accumulés lors de la pose. Dans le second cas, l’appareil est en mouvement, mais il suit le déplacement du sujet qui, en conséquence, apparaît net sur la photographie. Le rendu flou ne concerne alors que les éléments du réel restés immobiles en arrière-plan (ou en avant-plan) de celui-ci, créant un fond filé (fig. 65). Dans ce cas de figure, le sujet en mouvement peut également apparaître flou par endroit, comme le montre par exemple la photographie du Grand Prix de l’ACF prise par Jacques Henri Lartigue (fig. 45). Clément Chéroux a expliqué les trois ratés que subit cette image, à la fois floue, décadrée et déformée7. Si le corps de la voiture apparaît nettement, les roues prises dans un mouvement rotatif plus rapide et différent de la voiture elle-même sont quant à elles floues (en plus d’être déformées), n’étant pas synchronisées avec le mouvement de l’appareil.
L’émergence du flou de bougé
9Au xixe siècle, à la différence du « flou artistique » qui constitue toujours une forme difficile à obtenir et qui est recherché pour sa capacité à répondre à des exigences de composition classique, le flou de bougé surgit le plus souvent de manière involontaire sur l’image photographique. Il est l’un des premiers défauts que les observateurs remarquent dans les clichés – notamment dans le portrait qui exige une très grande immobilité. À l’inverse du flou pictorialiste, dont l’idéal est si élaboré qu’il semble inaccessible à la photographie, le bougé apparaît comme une forme inévitable et presque inhérente au médium. Dès 1850, il est considéré comme un défaut typique du photographe qui ne parvient pas à immobiliser son sujet ou son appareil. Jusque dans les années 1880, ce flou de bougé n’est présent dans la photographie, selon Michel Frizot, « que par méprise, c’est-à-dire non comme sujet avoué ou désiré, mais comme l’enregistrement inévitable d’une présence au demeurant peu gênante, sous forme de traînées, traces, fumées, fantômes8… » (fig. 44). Les passants sur les vues d’architectures ou dans les vues de Paris par Charles Marville ne sont pas photographiés dans le but d’en montrer le mouvement, mais parce qu’ils se trouvent à l’endroit de l’autre véritable sujet de la photographie. Le flou de bougé se manifeste, mais ne se recherche pas encore.
10La fixation nette du mouvement s’inscrit dans le projet de la photographie dès 1841, en particulier par les mots d’Arago qui détaille les nouvelles possibilités que promet le daguerréotype : « Le nouveau procédé permettra de copier des objets mobiles, tels que les arbres agités par le vent, les eaux courantes, la mer pendant la tempête, un navire à la voile, les nuages, une foule agitée et en marche9. » Les historiens s’accordent pourtant à penser que ce n’est qu’à partir de 1880 que les photographes ont commencé à chercher intentionnellement à représenter le mouvement. Michel Frizot rappelle qu’auparavant « bien peu de photographes se préoccupent de la question du mouvement. […] En fait, cette recherche n’est pas d’actualité, elle n’est pas présente à l’esprit parce que la technique usuelle n’y donne pas accès10 ». André Gunthert a montré que l’importance majeure de l’apparition du gélatino-bromure d’argent, inventé en 1871 par Richard Leach Maddox, ne suffit pas à expliquer le nouvel engouement pour la représentation du mouvement, qui n’apparaît véritablement qu’une quinzaine d’années plus tard11. Il faut en effet attendre les améliorations du procédé, ainsi que le perfectionnement des obturateurs au début des années 1880 – « qui permettent d’atteindre des temps de pose de l’ordre du centième de seconde12 ». Surtout, l’arrêt d’un mouvement sur une photographie confronte le spectateur à une perception totalement nouvelle du monde, car il découvre les positions les plus inattendues d’un cheval au galop ou d’un corps en train de sauter et de tomber. « La course à la vitesse des supports photographiques débouche sur un paradoxe : personne ne s’attendait à ce qu’un gain de rapidité, au lieu de traduire plus fidèlement le mouvement, engendre un étrange suspens visuel13. » Le temps nécessaire à l’homme pour s’habituer à cette nouvelle perception du monde est ainsi plus long que celui dévolu à l’amélioration des techniques. La photographie parvient à fixer des mouvements dès les années 1870. Il faut pourtant attendre pour que le photographe soit prêt à percevoir et à endosser cette nouvelle image de la réalité.
La netteté nécessaire à l’« instantané »
11Le mouvement intéresse d’abord la photographie scientifique, qui cherche à en fixer les différentes phases invisibles à l’œil nu. La recherche de l’instantané se fait dans le but d’enregistrer des positions et des attitudes jusqu’alors impossibles à fixer. Le temps de pose doit donc être suffisamment réduit pour que le mouvement se montre de manière nette. À la fin du xixe siècle, le calcul du temps de pose ouvre de nombreuses questions. Si Eadweard Muybridge estime en 1877 travailler au millième de seconde, rien n’explique la manière dont il a pu mesurer un instant aussi court. En outre, la fraction de seconde demeure une notion très abstraite qui ne se laisse pas facilement appréhender. Pour André Gunthert, c’est le résultat photographique lui-même, plus que la fraction de seconde annoncée par le photographe, qui permet d’évaluer la durée de l’exposition à la lumière : « S’il est difficile d’évaluer de façon sensible ce qu’est un 1/100 de seconde, l’image, elle, nous le montre14. » Dans les années 1880, la réduction du temps de pose permet l’apparition de « l’instantané », mais sa seule mesure scientifique ne suffit pas à déterminer ce nouveau type d’image, qui se définit autant par ses conditions techniques de réalisation que par son iconographie et ses caractéristiques visuelles. En somme, plutôt que de se définir a priori par rapport à son temps de pose, l’instantané s’affiche dans le résultat qu’il propose et qui doit répondre à certains critères bien précis.
12Deux d’entre eux sont fondamentaux : la captation d’un objet animé d’une part, et la netteté parfaite de sa représentation d’autre part. Pour Albert Londe,
« [s]ont du domaine de la photographie instantanée toutes les vues où il y a un mouvement quelconque : les sujets ou paysages animés, les vues d’eau et de mer, les animaux et, dans une certaine mesure, les portraits. Doivent être également rangées dans cette catégorie les vues d’objets immobiles, mais prises d’un véhicule quelconque, voiture, bateau, train, ballon, etc.15 ».
13En 1886, il publie la première étude sur la photographie instantanée, créant un nouveau genre basé sur l’arrêt du mouvement de manière figée, sans flou ni traînée. Il explique en effet que « [c]e qu’il faut chercher, c’est que ce déplacement ne soit pas visible sur le cliché16 ». Théorisé et défini par les tenants d’une photographie scientifique, utile à la connaissance et à la découverte visuelle d’objets jusque-là invisibles à l’œil nu, l’instantané ne peut exister que si sa netteté lui permet de remplir sa fonction. Dans l’objectif d’arrêter le mouvement pour en découvrir la succession des étapes – atteint par la chronophotographie –, l’instantané exige, pour se définir comme tel, une précision parfaite. En 1891, Georges Demenÿ admire qu’on arrive « à prendre, des attitudes d’un sujet en mouvement, cent images différentes pendant une seconde et comme le temps de pose est réduit à une fraction de millième de seconde, les images sont très nettes et ne présentent pas ce que l’on appelle le flou de vitesse17 ». Pour Étienne-Jules Marey d’ailleurs, « [o]n appelle généralement instantané tout obturateur qui donne un temps de pose assez bref pour que les objets en mouvement soient représentés dans l’épreuve avec des contours aussi nets que s’ils eussent été immobiles18 ». En somme, pour reprendre les termes de Michel Frizot c’est bien « le résultat de l’image qui impose la définition : un instantané se devra d’être tel qu’un sujet en mouvement apparaîtra avec netteté sur l’épreuve19 ».
14Pour les photographes qui cherchent à faire de l’art, cette netteté du mouvement pose problème. Leur regard perçoit la mobilité sous une forme qu’ils ne reconnaissent pas dans l’instantané, beaucoup trop précis à leurs yeux. En outre, à la fin du xixe siècle, le mouvement trouve une place de plus en plus importante dans le regard qui est posé sur le monde. Parmi les outils qui façonnent de manière fondamentalement nouvelle cette vision, le train joue un rôle central. La vitesse avec laquelle le train permet de voir le paysage en bouleverse complètement la perception, et les photographes tentent de l’immortaliser dès 1880. Cependant, un décalage s’instaure entre cette nouvelle impression du monde et le résultat photographique obtenu sur le tirage. L’instantanéité nouvellement acquise permet bien aux opérateurs d’immortaliser la nature observée par la fenêtre, mais le cliché obtenu ne révèle rien de plus que ce qu’une photographie posée devant un paysage n’aurait fait (fig. 42). Les obturateurs sont si perfectionnés qu’ils figent l’instant, sans laisser aucune trace du mouvement.
Fig. 42. – Paul Nadar, Pont de Maisons-Laffite, vue instantanée obtenue pendant la marche rapide d’un train, épreuve obtenue en 1882, tirage réalisé en 1884.
Épreuve sur papier albuminé, 15,1 × 10,4 cm.
© musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris, photo P. Faligot.
15Il en va de même pour la photographie d’un train en marche, comme le déplore Émile Giard en 1896 :
« [C]es miracles de promptitude demeurent souvent bien inutiles, témoin un train lancé à toute vapeur qui se reproduit exactement comme une suite de wagons au repos. Les expositions extrêmement courtes forment donc l’exception, et de plus elles ne s’obtiennent qu’au détriment de la netteté ou des détails. En effet, la plupart de ces silhouettes instantanées accusent l’insuffisance de la pose, plutôt que le déplacement de l’objet, et du reste un léger flou n’est pas désagréable pour exprimer la vie ou le mouvement20. »
16La photographie artistique appelle de ses vœux un certain flou qui permette de marquer le mouvement. Le terme « flou » est bien celui que Giard utilise pour expliciter son propos, auquel il ajoute : « Vous laisserez aux naïfs l’illusion de leurs obturateurs au 300e de seconde, et vous vous contenterez d’une vitesse dix fois moindre, mais largement suffisante dans la généralité des cas qui solliciteront votre objectif21. »
17Dès les années 1890, les écrits donnent une idée très claire de « ce que l’on appelle le flou de vitesse », selon les termes d’une conférence faite en 1891 sur « l’étude du mouvement de l’homme et des animaux au moyen de la photographie22 ». Les commentateurs en quête de photographie artistique réclament régulièrement du flou pour représenter le mouvement. En 1892, Alfred Maskell, dont les propos sont rapportés dans Photo-gazette, « est d’avis d’employer des obturateurs assez peu rapides pour laisser voir un léger flou dans certaines parties de l’image, par exemple les roues d’une voiture menée au trot23. » En 1900, L. Rèle partage la même opinion : « On ne poussera pas trop loin l’instantanéité afin de laisser deviner le mouvement par un très léger flou24. » En 1912, encore, on recommande de prendre « soin de ne pas employer une trop grande vitesse d’obturation, afin de ne pas, par la grande instantanéité, “figer” pour ainsi dire, l’arbre dans sa position penchée et afin d’obtenir, au contraire, cette légère impression de flou, que produisent sur notre rétine, les mouvements rapides perçus par notre vision25 ». D’emblée, le terme « flou » est celui qui convient pour caractériser la trace laissée sur le cliché par le déplacement de l’objet ; le même qui, dans l’exercice du portrait et de la scène posée, exprime le défaut technique et l’erreur du modèle qui n’a pas su rester suffisamment immobile.
Difficultés techniques et culturelles
18Jusqu’au début du xxe siècle, les appareils et les procédés à la disposition des photographes ne leur permettent pourtant pas de dominer le flou de bougé, qui demeure une forme extrêmement difficile à maîtriser. En 1895, on déplore qu’il n’y ait pas plus de clichés de ce genre :
« Il y a une idée assez répandue pour exprimer cette espèce de mouvement : c’est de prolonger suffisamment la pose pour donner une image floue. L’idée semble bonne, sauf cependant qu’il est des plus difficile d’avoir aucun contrôle défini sur les résultats. En fait, il semble que l’on ait obtenu remarquablement peu de résultats ou tout au moins on n’en a pas montré26. »
19Comme dans le flou de mise au point, le juste équilibre entre le net et le flou constitue la difficulté principale. Un auteur de Photo-gazette se heurte au problème à propos de deux clichés réalisés par Oscar Gustav Rejlander :
« Dans l’un le pied de la fileuse et les rayons de la roue étaient absolument nets, dans l’autre, où l’on avait posé plusieurs secondes, ces parties de la photographie étaient très floues et c’est pourtant cette seconde image qui donnait l’impression d’une photographie instantanée d’une fileuse travaillant. Il est certain que cette théorie est vraie, mais il est très difficile de l’appliquer, car, dans l’exemple d’une voiture que nous avons choisi, l’obturateur doit être assez rapide pour que la voiture soit nette tout en l’étant assez peu pour que les roues animées d’un mouvement plus rapide que la voiture viennent floues27. »
20Les obturateurs ne sont pas encore suffisamment perfectionnés pour garantir un temps de pose assez précis qui permette, sur la même image, de rendre nets certains mouvements tout en en laissant flous d’autres plus rapides.
21Les objectifs aussi posent problème, car sans possibilité de choisir et de doser le flou, on obtient une image trop uniforme. Or sans contraste entre la netteté et le flou, la sensation du mouvement se perd. Les photographes constatent en effet que si un cliché net ne dit rien du déplacement de l’objet, une image trop uniformément floue ne permet pas non plus de le distinguer, car aucun contraste n’isole le flou comme étant véritablement dû à la vitesse. « [S]i j’amène du flou dans les contours du sujet principal, j’amène également du flou dans tout le tableau. La relation de facture demeure la même entre les objets immobiles et l’objet mobile. J’ai une image moins nette, mais pas davantage la suggestion du mouvement28. »
22Surtout, au-delà de la question technique, c’est la difficulté à assumer le flou – généralement considéré comme un frein au progrès technique – qui empêche son émergence. On se souvient qu’au xixe siècle, le flou soulève un paradoxe, tant il semble pris au piège entre le sens péjoratif qu’il évoque – de l’erreur et du défaut techniques – et la nécessité de sa présence sur l’image pour permettre la mimêsis. On a déjà vu la quasi-impossibilité, pour les opérateurs de l’époque, de se départir de la connotation négative du flou, bien qu’ils réclament aussi sa présence pour sacrifier les détails, adoucir un cliché trop dur et montrer la perspective aérienne. Ils appellent un flou qu’ils sont par ailleurs contraints de rejeter, et se retrouvent face à un problème que la technique ne permet pas de résoudre. Au xixe siècle, une contradiction similaire se retrouve dans le cas particulier du flou de bougé. Clément Chéroux la résume en ces termes :
« [E]n plein essor de l’instantané, le flou que les photographes s’étaient évertués à chasser de leurs images réapparaît comme l’unique manifestation visible du mouvement. Accepter de le réintroduire dans l’épreuve, c’était aussi renier les plus récents progrès de la technique, c’était manquer volontairement son image – gageure que les photographes refuseront le plus souvent d’admettre jusque dans les années 1910-1920. En cette fin de xixe siècle, l’image rêvée est une image “ratée”29. »
23Comment, en effet, faire du flou de bougé un but, alors même que toute l’énergie de la majorité des photographes se concentre sur l’objectif inverse, à savoir la fixation nette de l’image sans résidu involontaire de bougé ?
Flou de bougé : le modèle historique de la peinture
24La peinture s’affiche ici encore comme la solution au problème et la référence à suivre. Il faut d’emblée insister sur ce point : à la fin du xixe siècle, les photographes trouvent dans la peinture le modèle esthétique d’une forme que leur propre technique permet pourtant de produire, mais selon eux de manière imparfaite. Depuis l’étude publiée par Aaron Scharf en 1968 sur les rapports entre l’art et la photographie, on a souvent insisté sur l’influence du flou photographique qui s’exerce au xixe siècle sur les peintres, notamment impressionnistes. Pour Scharf, ce nouvel élément visuel, « qui est une des innovations que l’on peut attribuer à la peinture impressionniste », était pourtant « banal dans les photographies avant le développement de plaques plus sensibles et d’obturateurs plus rapides30 ». Plus récemment, Wolfgang Ullrich a rappelé l’importance de la photographie, et de son flou, sur la peinture de James Whistler et Eugène Carrière31. L’argument est également repris en 2005 par Marc Wellmann qui, sous l’autorité de Scharf, rappelle que des œuvres comme Le Boulevard des Capucines, peint par Claude Monet en 1873 (fig. 43), et La Place de Clichy qu’Auguste Renoir réalise en 1880 sont devenues possibles grâce à la nouvelle manière dont la photographie, par son flou de bougé, immortalise le mouvement32. Fascinés par les clichés sur lesquels les déplacements des foules et des voitures se sont imprimés de manière souvent fortuite, les peintres y trouveraient une source d’inspiration que leur maîtrise technique leur permet d’emblée d’imiter, mais surtout de sublimer (fig. 44). La photographie resterait bien à leurs yeux ce document inférieur qui leur donne accès à de nouvelles perceptions, sans pour autant qu’elle ne puisse elle-même avoir de valeur artistique.
Fig. 43. – Claude Monet, Boulevard des Capucines, 1873-1874.
Huile sur toile, 80,3 × 60,3 cm. États-Unis, Kansas City, Nelson-Atkins Museum of Art.
Fig. 44. – F. J. Petiot-Groffier, Procession de la Fête-Dieu place Saint-Pierre à Chalon-sur-Saône, vers 1850.
Chalon-sur-Saône, Société d’histoire et d’archéologie.
25La photographie est sans doute observée par les peintres qui dépeignent le mouvement, cependant l’inverse est également vrai : en matière de mouvement, la peinture est souvent prise pour modèle par les photographes. De manière problématique, le flou de bougé, souvent produit malgré le photographe sur son image, échappe à son contrôle lorsqu’il souhaite le réaliser de manière intentionnelle et esthétique. Dès lors qu’il cherche à donner l’impression de mouvement, le fruit presque automatique de sa technique – mais qu’il perçoit le plus souvent comme une erreur – est considéré comme inabouti et sans grande valeur comparativement aux résultats obtenus par les peintres dans ce domaine. Les propos tenus par Léon Vidal en 1895 à ce sujet sont clairs :
« Imaginons qu’il [le peintre] ait à copier une voiture animée d’un mouvement rapide ; comment y parviendra-t-il ? Tout simplement en exécutant le corps de la voiture comme il est, mais en remplaçant les rayons des roues par une sorte de plan vague continu. Ce plan continu n’est, en réalité, que l’effet produit sur l’œil par la rapidité du mouvement de rotation. La photographie instantanée y voit autrement : elle immobilise la roue et elle nous montre les rayons de cette roue isolés les uns des autres33. »
26En 1900, la revue Art et photographie juge également la photographie inapte à représenter le mouvement, alors même que la peinture y parvient aisément :
« Le mouvement ! Voilà un facteur bien oublié par les photographes, n’ont-ils pas leurs obturateurs pour annihiler complètement le mouvement ? [… I]ls obtiennent des clichés où rien n’est bougé, c’est bien découpé, si net, si sec, que l’on s’imaginerait voir des photographies de décors de théâtre sur une toile blanche. Mieux vaut, croyez-moi, avoir un peu de bougé, un peu de flou qui modelant doucement les contours, vous donne un peu l’illusion du vent qui soufflait, vous rappelle le bruit des feuilles qui se frôlaient. C’est d’ailleurs ce que fait le peintre, travaillant à grands coups de brosse sans trop préciser les limites34. »
27En 1907, on rappelle encore que la photographie – en particulier la chronophotographie – ne peut que fournir un document instructif sur les positions créées dans le mouvement, mais qu’elle n’a pas la capacité d’en montrer l’effet bougé qui est annulé par la netteté de l’instantané. C’est bien la peinture que l’on charge, en s’aidant pourtant du document photographique, de donner cette impression artistique :
« [A]vec un instantané, feuilles, brindilles, ramures, troncs apparaissent avec la même netteté, et ce que nous verrons sur cette photographie, ce seront des arbres contournés, bizarres de forme, et non des arbres secoués par le vent, tandis que moins d’instantanéité nous donnerait l’effet recherché : la netteté des troncs, la demi-netteté des ramures, le flou, c’est-à-dire le fondu, le vaporeux, le léger des feuilles et des brindilles. [… L]es objets animés ne permettent de percevoir nettement que la phase préparatoire et la phase finale de leurs mouvements. Ce sont ces phases que le peintre, le sculpteur doivent s’attacher, de préférence, à représenter, et la chronophotographie a surtout pour rôle de leur fournir des attitudes artistiques nouvelles35. »
28Jusqu’au début du xxe siècle, le flou ne peut être positivement pensé que dans son intentionnalité, car la valeur artistique d’une œuvre ne peut dépendre du hasard, encore moins de l’erreur ; et elle n’augmente qu’à la condition que l’artiste reste maître de chaque paramètre de production. Or, si la technique photographique permet de capter le flou de bougé, elle ne garantit encore jamais qu’il ait été désiré, ou du moins qu’il corresponde pleinement au projet envisagé. Pour Frédéric Dillaye, seule la peinture est capable de suivre la règle, dont la connaissance est si nécessaire à l’art :
« [P]our que la suggestion soit bonne, il ne faut pas perdre de vue que la caractéristique du mouvement reste l’altération de la netteté. Cette netteté se montre en raison inverse de la vitesse de déplacement. C’est la règle. […] La photographie, en cela, peut-elle égaler la peinture ? On serait tenté de le croire, puisque nous venons de voir que la photographie aide le peintre à mieux voir. Il n’en est rien cependant36. »
29Malgré le caractère très photographique du flou de bougé, on préfère encore se soumettre dans ce domaine à l’autorité de la peinture qui possède les règles de la mimêsis et qui donne le cadre de référence pour évaluer la qualité de ce flou.
30Jusqu’au début du xxe siècle, la photographie est comme dépossédée par la peinture de l’une de ses plus grandes promesses, celle de représenter la vie, notamment grâce au flou de bougé. Au cours des siècles précédents, des peintres comme Vélasquez étaient déjà parvenus à donner l’impression du mouvement. Les photographies pleines de passants qui marchent, d’arbres dans le vent ou d’autres mouvements fortuits et involontaires confrontent néanmoins les artistes du xixe siècle à une nouvelle perception de cette énergie mobile. Révélée grâce à la photographie, sa représentation est pourtant d’abord confiée aux compétences du peintre, auxquelles le photographe ne peut qu’essayer de se mesurer. Seule la peinture, si l’on en croit Frédéric Dillaye en 1904, peut prétendre montrer la vie :
« Le peintre pourra donc toujours donner l’illusion de la vie par la reproduction franche d’un mouvement vrai, mais d’une exécution abrégée, conventionnelle, suggérant, par elle-même, une impression de déplacement. […] De ceci, il résulte que tout en représentant le mouvement avec une justesse parfaite, la photographie, à elle seule, reste sur la peinture en état d’infériorité pour nous fournir l’illusion picturale de la vie37. »
31Outre l’inachèvement technique de la photographie, c’est aussi l’incapacité culturelle de l’époque à envisager une photographie riche de ses propres atouts – insoumise et autonome face à la peinture – qui empêche le médium de s’approprier positivement son propre flou. Quoi que le cliché montre, quelle que soit la qualité du flou sur le tirage, la peinture impose sa supériorité et s’attribue – avec l’accord docile des photographes – le mérite du flou de bougé.
Dualité du flou « amateur » de Lartigue
32Pourtant, au moment où Dillaye tient ces propos, des photographies montrent déjà cette « vie » en mouvement, que des photographes des années 1960 comme Garry Winogrand mettront en avant. La production de Jacques Henri Lartigue en offre un bon exemple, puisqu’il est lui-même considéré par John Szarkowski comme le précurseur innocent de cette période américaine. Certaines images produites par Lartigue dans les années 1900 montrent que le refus de Dillaye d’accorder à la photographie la possibilité de « fournir l’illusion de la vie » s’explique aussi par une incapacité à apprécier le réel potentiel du flou photographique.
33Revendiqué par les artistes, le flou de bougé est historiquement dénigré par les amateurs avertis qui, à la suite d’Albert Londe, cherchent dans leurs excursions photographiques un instantané le plus net possible. Au cours des années 1900 à 1920, on peut néanmoins détecter parmi eux un nouvel intérêt pour le flou de bougé. L’œuvre de Lartigue permet de constater l’ambiguïté – entre l’intention et le défaut – qui plane encore sur le flou de bougé à cette époque. Kevin Moore a montré la complexité de la figure de Lartigue, longtemps perçu sous le seul angle que John Szarkowski a donné à son œuvre lorsqu’il le « découvre » en 1963 et organise sa première exposition monographique au musée d’Art moderne de New York38. Défini par Szarkowski comme l’« authentique primitif » innocent et naïf, précurseur inconnu et génial de la photographie américaine des années 1960, Lartigue est en réalité un amateur éclairé39. Fils d’Henri Lartigue, riche banquier passionné de photographie, il apprend la technique avec lui et subit l’influence de la culture visuelle de son temps. Passionné de sport, de voitures de course, de mode et de cinéma, il lit les magazines illustrés qui traitent de ces sujets et fréquente abondamment le cinéma qu’il pratique aussi en amateur.
34Partisan de l’instantané, de la captation du mouvement et des scènes insolites qu’il réalise avec sa famille et ses amis, il produit plusieurs photographies qui montrent des flous de bougé importants (fig. 23)40. Très prolixe dans les journaux intimes qu’il publie en 1975 et en 1986, Lartigue lui-même ne mentionne pas le flou et le bougé, qui n’apparaissent pas explicitement comme des éléments recherchés41. Néanmoins, l’analyse qu’en donne Kevin Moore montre toute l’ambivalence que présentent ces images, car le doute subsiste réellement sur les causes du flou. L’erreur et le défaut techniques se donnent comme première hypothèse, car le matériel de l’époque exige une maîtrise importante pour éviter de tels problèmes. On ne peut qu’admettre la possibilité de la maladresse de Lartigue, alors âgé de 8 à 14 ans. En outre, la culture à laquelle appartient son père, qui l’aide souvent dans ses premières prises de vue, n’admet en général pas de tels bougés. « Si on les juge d’après les standards de l’amateur averti, qu’il s’agisse des critères esthétiques ou des conventions typologiques qui régissent la production d’images, la plupart des premières photographies de Lartigue sont ratées : un véritable fiasco42 », estime Moore.
35Néanmoins, l’historien perçoit dans les deux photographies du Pont-de-l’Arche, réalisées en collaboration par Jacques Henri (qui a alors 8 et 9 ans) et son père, une intention liée à l’esprit espiègle, novateur et joueur de ce dernier43. Plus qu’un flou naïf et enfantin, il s’agirait alors plutôt d’une « farce visuelle44 » fréquente dans les récréations photographiques si appréciées des amateurs avertis. De la même manière, Le Grand Prix de l’ACF (fig. 45), pleinement attribuée à Jacques Henri, « apparaît comme une simple reprise de tropes existants45 » à cette époque qu’il s’agisse du décadrage, de la déformation des roues et des spectateurs, ou du flou. Également héritière de la photographie récréative, notamment avec son cadre penché, l’image adopte un flou que l’on perçoit à l’époque de plus en plus comme l’expression de la vie et du mouvement. On ne peut donc pas écarter la possibilité d’un flou de bougé volontaire et intentionnel ; non pas une maladresse attachante, mais une recherche qui montre, chez les amateurs, un nouvel intérêt pour le bougé.
Fig. 45. – Jacques Henri Lartigue, Grand Prix de l’Automobile-Club de France, 26 juin 1912 (légende de Lartigue), René Croquet sur une Théo Schneider de course, 1913.
© J. H. Lartigue © ministère de la Culture (France), MPP – AAJHL.
36D’abord redécouvertes aux États-Unis grâce à John Szarkowski46, puis à Richard Avedon qui publie en 1970 la première monographie de son œuvre47, les images de Lartigue seront surtout connues en France à partir des années 1970. Elles apparaissent dans la première grande rétrospective organisée par Robert Delpire en 1975 au musée des Arts décoratifs de Paris, puis de plus en plus fréquemment par la suite, avant que Le Grand Prix de l’ACF ne devienne une image iconique de l’histoire de la photographie48. On peut sans doute imputer leur renommée, outre le succès plus global que reçoit Lartigue lui-même, à l’engouement dans les années 1960 et 1970 pour le flou de bougé. Perçu comme une erreur ou du moins comme une inattention de Lartigue, ce flou est d’abord imputé au hasard : le récit qui se construit à leur sujet raconte la manière dont un bougé totalement déprécié au début du siècle et perçu comme une faute naïve et touchante peut, soixante ans plus tard, recevoir la considération qu’il mérite. Néanmoins, à la suite de Kevin Moore, il faut aussi émettre l’hypothèse d’une culture du début du siècle de plus en plus ouverte à un bougé intentionnel. Historiquement discrédité parmi les amateurs, il envahit les magazines et le cinéma qu’ils apprécient. On peut percevoir dans l’œuvre de Lartigue les prémices de l’intérêt grandissant que ces amateurs manifesteront pour le bougé dès les années 1930. Pendant la jeunesse de Lartigue, il n’est pas encore véritablement discuté par les amateurs, mais certaines de leurs photographies révèlent un intérêt à son sujet.
De Rodin au futurisme : quête philosophique, frein technique
37Au début du xxe siècle, les recherches artistiques sur le flou de bougé en France restent relativement marginales. Le succès grandissant de la danseuse américaine Loïe Fuller, qui s’installe à Paris en 1892, inspire de nombreux artistes dont Henri de Toulouse-Lautrec en 189349. L’étude que mène le peintre pour représenter l’énergie et le mouvement de sa danse serpentine, dans une ligne mouvante et évanescente, trouve quelques échos chez les photographes. Les œuvres produites témoignent pourtant encore de la difficulté technique à surmonter : lorsqu’elles ne sont pas trop sombres ou réalisées dans un flou de bougé peu uniforme sur l’ensemble des voiles de la robe de la danseuse, elles sont produites grâce à une technique pigmentaire permettant de retravailler le tirage.
38Les photographies de la danseuse par Eugène Druet, vers 1900, montrent un flou de bougé parmi les plus aboutis (fig. 46). Proche d’Auguste Rodin dans ces mêmes années, dont il photographie beaucoup de sculptures, il est peut-être influencé par les réflexions du sculpteur sur la représentation du mouvement. En 1911, ce dernier explique que dans cette tâche, l’artiste :
« figure le passage d’une pose à une autre : il indique comment insensiblement la première glisse à la seconde. Dans son œuvre, on discerne encore une partie de ce qui fut et l’on découvre en partie ce qui va être. […] Si, en effet, dans les photographies les personnages, quoique saisis en pleine action, semblent soudain figés dans l’air, c’est que toutes les parties de leur corps étant reproduites exactement au même vingtième ou au même quarantième de seconde, il n’y a pas là, comme dans l’art, déroulement du geste50 ».
Fig. 46. – Eugène Druet, Loie Fuller dansant, vers 1900.
Épreuve gélatino-argentique, 40 × 30 cm. Musée Rodin, Paris.
© musée Rodin, Paris © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) © image RMN-GP.
39La méconnaissance technique de Rodin – qui ne sait pas que la vitesse d’obturation qu’il évoque ne fige pas tant les objets qu’elle ne les floute – ne doit pas masquer le rôle joué par le sculpteur dans l’intérêt grandissant de certains photographes pour la captation floue du mouvement. À en croire le critique d’art Camille Mauclair, le flou de Druet – perçu comme excessif aux yeux du public – constitue justement l’élément qui permet à ses œuvres d’approcher l’âme de la sculpture de Rodin : « Les photos de Druet n’ont pu servir que très peu pour la publication parce qu’elles sont trop floues. Ce qui précisément crée autour des marbres qu’elles reproduisent l’atmosphère de rêve qu’il faut51. »
40Proche d’Eugène Druet et de Loïe Fuller dès le début du siècle, malgré une brouille passagère entre 1903 et 1906, le sculpteur fréquente aussi l’artiste italien Medardo Rosso – alors très peu connu en France – qui mène des recherches sur la manière de rendre l’effet d’immatérialité de ses œuvres sculpturales. Comme l’explique Giovanni Lista, « pour lui, la photographie d’une sculpture se devait de recourir au flou et à d’autres procédés irréalisants, afin d’obtenir une image évanescente qu’il fallait regarder “en clignant des yeux”52 ». En froid lui aussi avec Rodin en 1903, il témoigne de préoccupations très proches de son homologue français, que la critique de l’époque dit avoir été très influencé par l’Italien. En 1904, Rosso expose au Salon d’automne de Paris ses sculptures en vis-à-vis de leurs reproductions photographiques. Pour le critique Louis Vauxcelles, qui publie en 1904 un compte rendu dans le journal Gil Blas, « Rodin […] a profité largement de l’enseignement de Rosso53 ». Qu’il résume ainsi :
« Selon l’esthétique de Medardo Rosso, “rien en sculpture, comme en peinture, ne saurait s’isoler, tout dépendant de l’ambiance du sujet”. On ne doit pas plus tourner autour d’une œuvre sculptée, qu’on ne retourne un tableau pour voir ce qu’il y a derrière la toile. Aussi, Rosso, insoucieux du détail, du fini, du fignolage, des “trous à percer pour faire le regard des yeux”, ne se préoccupe que de donner la vie, résumer l’humanité, exprimer la profondeur ou la délicatesse des sentiments ; il méprise l’inutile accessoire, le détail d’une étoffe chiffonnée minutieusement54. »
41Rosso partage avec un certain nombre de photographes ce souci de représenter « la vie », et avec eux l’idée que le flou doit pouvoir répondre à ce besoin. Selon Giovanni Lista, le Salon d’automne de 1904 est aussi le moment où Loïe Fuller :
« reconnut dans les photographies de Rosso la seule possibilité pour elle d’exalter, par l’image photographique, l’effet d’irréel de ses danses. Une année plus tard, elle entreprenait en effet d’utiliser le flou et le “bougé” dans une série de photographies censées rendre la dimension la plus insaisissable de sa danse au voile. C’était la première fois que l’œil mécanique de l’appareil photographique s’approchait autant de la vérité de ce tourbillonnement de formes et de lumières qu’étaient les danses fullériennes55 ».
42Techniquement, pourtant, les limites sont encore tangibles. Le flou des photographies de Rosso n’est pas produit de manière directe, mais par des effets de cache et d’effacement partiel de l’image. Il retravaille ses photographies dans la chambre noire, et les rephotographie à plusieurs reprises, induisant ainsi un flou de plus en plus marqué. Ses compatriotes Anton Giulio et Arturo Bragaglia recourent à de mêmes astuces techniques dans leurs recherches centrées sur le mouvement (fig. 47). Issus du groupe futuriste dont ils seront exclus en 1913, ils sont les premiers à faire du flou de mouvement l’enjeu central de leurs recherches. En 1911, ils inventent le « photodynamisme » dans le but de prolonger dans la photographie les recherches du peintre Umberto Boccioni. Nourris des recherches futuristes, ils fréquentent également le cinéma avec lequel ils sont familiers puisque leur père est directeur général dès 1909 des studios Cines. Selon Giovanni Lista, l’idée de travailler sur le mouvement leur vient pourtant de France56. Vers 1910, ils découvrent à Rome la sculpture L’Homme qui marche d’Auguste Rodin, de même que son texte intitulé « Représentation du mouvement dans l’art57 ». Ils ne s’accordent pourtant pas totalement à la pensée de Rodin – pour qui le geste est le mieux représenté lorsque l’artiste associe les deux positions du début et de la fin du mouvement – car pour eux la sensation dynamique ne provient pas de « la synthèse conçue comme l’arrêt et l’union de deux moments dans le temps, mais [de] la trajectoire – la partie réelle et principale du mouvement58 ».
Fig. 47. – Anton Giulio Bragaglia, Change of Position, 1911.
Tirage gélatino-argentique, 12,8 × 17,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art.
43Ils n’adhèrent pas non plus totalement aux préceptes d’Étienne-Jules Marey et de sa chronophotographie, dont résulte selon eux une représentation analytique et figée du mouvement, car, bien qu’influencés par Marey, ils cherchent pour leur part à montrer l’impression psychique ressentie dans la mobilité. Dans son projet scientifique, Marey ne s’intéresse pas au flou en tant que tel. Il apparaît dans plusieurs de ses études comme le résultat de sa recherche ; mais son ambition vise généralement à fixer l’image la plus nette possible des différentes phases d’un mouvement, de manière à en comprendre la composition. Étienne-Jules Marey souhaite retranscrire sur le cliché chaque phase d’un mouvement régulier et continu, en somme permettre « à l’œil de saisir nettement des phénomènes qui, autrement, lui échapp[ent]59 ». L’histoire a surtout retenu de Marey sa volonté d’éviter de « confondre les images » expliquant qu’« on peut tirer des images chronophotographiques recueillies sur pellicule mobile des épures absolument nettes et dépourvues de confusion60 ». La chronophotographie sur plaque fixe – qu’il développe dès 1882 avant qu’il n’invente la chronophotographie sur bande mobile en 1888 – témoigne pourtant de son usage intentionnel du flou de bougé inscrit dans des temps de poses longs, permettant de faire voir, en surimpression, les différentes étapes du mouvement autant que la trainée du bougé (fig. 48)61.
Fig. 48. – Étienne-Jules Marey, Chronophotographie, 1894.
Tirage gélatino-argentique d’après négatif sur verre, 16,3 × 20,2 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art.
44Ignorant cet aspect important du travail de Marey, les Bragaglia se positionnent en opposition au Français, affichant bien moins un intérêt pour la décomposition du mouvement que pour l’expression de sa continuité. Ils s’intéressent aux gestes brusques et à leurs composantes pulsionnelles, énergétiques et émotionnelles, et pour eux, seule la forme dématérialisée permet d’exprimer le dynamisme. Techniquement pourtant, le flou de leurs images n’est pas le résultat d’un bougé capté de manière régulière, car l’écrasement du mouvement dans un flou trop confus ne les satisfait pas :
« Quand une photographie est si floue et si plate qu’elle ne procure pas la sensation de temps dans le temps des images, détruites par le mouvement ou trop bougées, alors l’épreuve est une photographie bougée. Elle est donc mal réussie, et bien loin de la photodynamique qui, au contraire, même dans la synthèse de trajectoire, doit posséder, toujours profonde et perceptible, l’anatomie du geste, puisqu’elle a comme but la sensation dynamique62. »
45Ainsi, le flou de bougé – risquant d’être trop confus et brouillé – ne suffit-il pas à exprimer le dynamisme du mouvement. En outre, les artistes affichent une certaine retenue par rapport à la notion de « flou », qui leur paraît peut-être trop vulgaire et face à laquelle ils affichent une distance qui témoigne encore de sa mauvaise réputation63. Les artistes construisent donc leurs images d’une manière réfléchie et codée, demandant à leurs modèles de bouger de manière saccadée, pour produire un effet construit mais néanmoins apparemment homogène :
« La technique utilisée consistait à construire formellement l’image, non plus à la capter, mais à organiser la progression du geste à travers une succession de plans juxtaposés, qui se fondaient les uns avec les autres de façon homogène, afin de transmettre le mouvement lui-même et aussi ce qui se passait pendant le mouvement. En évitant le doublement de Marey, l’image photodynamique semble prise entre la disparition de la forme et sa multiplication dématérialisée64. »
46Suivant les préceptes futuristes, qui préconisent une communication forte avec la société, ils produisent rapidement des cartes postales qui permettent de diffuser ce nouvel art photographique précurseur des avant-gardes des années 1920 et 1930.
47Qu’il s’agisse de Medardo Rosso ou des frères Bragaglia, plusieurs recherches artistiques centrées sur le bougé prennent place en Italie, dans un échange très fécond avec la France. Selon Wolfgang Ullrich, Eugène Druet aurait peut-être influencé les frères Bragaglia65, qui sont aussi marqués tant par la sculpture de Rodin que par le Français Henri Bergson. Sur ce sujet, l’importance du philosophe est grande. À la fin du xixe siècle, sa pensée fait déjà écho, selon Michel Poivert, à l’art pictorialiste66 ; mais il s’agit plus là d’une réflexion sur « l’esthétique de la statique » des photographes amateurs qui se dessine à partir de son Essai sur les données immédiates de la conscience publié en 1889. Pour les futuristes, l’intérêt réside plutôt dans sa réflexion sur le mouvement, dans la manière dont il le conçoit au sein d’une continuité infinie et insécable que la pensée humaine ne parvient pas à saisir tant elle isole des instants et fige des idées. Pour Bergson en effet, il ne faut pas que penser le temps, mais aussi la durée ; pas seulement le mouvement, mais aussi la mobilité :
« Le mouvement, en tant que passage d’un point à un autre, est une synthèse mentale, un processus psychique et par suite inétendu. […] Telle est précisément l’idée que nous nous faisons du mouvement quand nous pensons à lui seul, quand nous extrayons de ce mouvement, en quelque sorte, la mobilité. […] Un geste rapide qu’on accomplit les yeux fermés se présentera à la conscience sous forme de sensation purement qualitative67. »
48En 1913, le peintre Umberto Boccioni s’appuie sur Matière et mémoire pour fonder son propos futuriste : « Toute division de la matière en corps indépendants aux contours absolument déterminés est une division artificielle », ce à quoi il ajoute : « Tout mouvement en tant que passage d’un repos à un repos est absolument indivisible68. » La pensée de Bergson laisse ainsi son empreinte sur le développement conceptuel du flou de bougé. Selon Georges Didi-Huberman, elle se perçoit aussi plus tard dans Explosante fixe de Man Ray qui agit de la même façon que les Dissolving Views de William Turner admirées par Bergson : « Il renonce à s’élever au-dessus de sa perception du mouvement exécuté par la danseuse […] ; au contraire, il s’y enfonce et, donc, la creuse […] pour mieux l’élargir69. »
Sport des années 1930 : le « bougé » flou et net
49À partir des années 1930, l’amélioration des émulsions et l’apparition des appareils de petits formats offrent un nouvel élan à la quête du flou de bougé, qui intéresse de plus en plus largement les photographes, artistes, professionnels et amateurs. En 1935, pour Marcel Natkin, « point n’est besoin d’être, comme le prétendent certains traités, un physicien distingué, un habile technicien en optique et mécanique. […] Le secret de la popularité de la photographie réside précisément dans le fait que sa technique est devenue relativement simple70 ». Les nouvelles possibilités techniques offertes par le Leica et le Rolleiflex engagent de plus en plus de photographes à vouloir exprimer la vie, ou, comme le raconte en 1935 Pierre Boucher à Rémy Duval, à « se satisfaire d’un rapide coup d’œil, saisir les mouvements en plein vol, capter la vie dans ce qu’elle offre de plus mouvant, de plus insaisissable71… ». Cette ambition ne cessera dès lors de prendre une importance proportionnelle au succès de la photographie de reportage et de l’illustration de presse. Avant l’émergence du courant humaniste pendant la décennie suivante apparaît la volonté de plus en plus prégnante de parvenir à retranscrire par la photographie l’élan vital contenu dans le mouvement. Le flou devient un moyen particulièrement prisé pour remplir cette tâche. Alors qu’auparavant les discussions portaient surtout sur le « flou artistique », tant dans le cinéma que pour les photographes amateurs, l’intérêt se déplace au cours des années 1930 presque exclusivement vers le bougé, qui constitue le nouveau défi du flou, tant technique qu’esthétique.
50Dès les années 1930, les amateurs d’une part et les reporters de presse d’autre part sont les premiers à véritablement rechercher le flou de mouvement. En lisant le magazine Vu, on constate en effet l’importance de cette « nouvelle esthétique » de la vitesse à laquelle une double page est consacrée en 1932 (fig. 49)72. Qu’il s’agisse d’illustrer les sports d’hiver comme le ski (fig. 50)73, de montrer une corrida (fig. 51)74, la vitesse du train75, ou de faire voir les événements de l’actualité brûlante76, les articles abondent en photographies dans lesquelles le flou de bougé occupe une place majeure.
Fig. 49. – « Vitesse, Nouvelle esthétique », Vu, no 238, 5 octobre 1932, p. 1608-1609.
Collections Bibliothèque Photo Elysée-mudac, Lausanne.
Fig. 50. – « Ski… », Vu, no 208, 9 mars 1932, p. 304-305.
Collections Bibliothèque Photo Elysée-mudac, Lausanne.
Fig. 51. – « La vengeance du taureau », Vu, no 420, 13 mai 1936, p. 550-551.
Collections Bibliothèque Photo Elysée-mudac, Lausanne.
51D’un point de vue lexical, le « bougé » d’abord, puis le « filé » à partir des années 1950 entrent plus clairement dans le vocabulaire photographique. Le « bougé » désigne généralement le mouvement de l’appareil, et le « filé » celui du sujet, mais les usages des deux mots se confondent aussi parfois. Cette évolution est importante, car elle donne pour la première fois à la photographie des termes qui lui sont propres pour désigner le flou. Michel Makarius l’explique très justement :
« Les deux principales expressions photographiques du mouvement, le bougé et le filé, désignent respectivement le mouvement de l’appareil et du sujet. Elles confèrent au flou une signification inédite, cette fois sans aucune attache avec la peinture, en même temps qu’elles inaugurent une perception de la réalité radicalement nouvelle77. »
52Ces termes sont d’emblée dépourvus de la tradition critique du « flou » et permettent en conséquence de poser de nouvelles bases à son usage photographique.
53Dans la recherche de nouveaux sujets, dans le cadre des loisirs ou pour des comptes rendus de magazines, les photographes s’intéressent en particulier au sport, qui devient le lieu de toutes les expérimentations pour tester leurs capacités. Pour Marcel Natkin, c’est bien dans ce domaine que le « “bougé” si méprisé des débutants, reprend […] toute sa valeur78 ». Toujours considéré comme un défaut primaire par l’amateur usager, le flou dit « de bougé » occupe de plus en plus l’amateur expert qui cherche à photographier le dynamisme qui l’entoure. Natkin aborde la question et pose le problème :
« Supposons qu’un grand quotidien envoie un reporter photographier le gagnant d’un raid automobile. S’il apporte au journal une image donnant bien l’illusion du mouvement, mais où le sujet est bougé, le public, ne pouvant distinguer ni la tête ni le numéro du gagnant, sera incapable de l’identifier, et, en dépit de son zèle, notre reporter n’aura pas fait œuvre utile. S’il opère, par contre, en très grand instantané donnant une photographie parfaitement nette, l’épreuve ne rendra pas l’impression du mouvement79. »
54Le défi principal consiste à arrêter l’image dans un flou suffisamment maîtrisé pour qu’il permette de distinguer l’objet tout en donnant à voir le mouvement, imperceptible dans le cas d’une netteté parfaite. On retrouve ici la recherche au long cours d’un flou qui s’allie habilement à la netteté, permettant à l’un et à l’autre de remplir leurs fonctions réciproques.
55Les recommandations et les recherches pour atteindre le meilleur bougé se multiplient, et abordent toute une série de questions très concrètes sur le sujet. Dans les années 1930, le problème des objectifs est moins présent qu’au début du siècle. Dans la continuité des recherches menées depuis 1880, les débats abordent principalement la question du temps de pose, qui doit être restreint afin de capter le mouvement sans le figer de manière trop instantanée. Les auteurs s’accordent généralement autour du cinquantième et du centième de seconde pour réaliser le flou de bougé. Pour La Revue française de photographie et de cinématographie, « [l]’instantané n’exige guère une vitesse d’obturateur supérieure au 1/50 de seconde, tout au moins pour le résultat recherché » de ce flou particulier80. La revue L’Instantané rappelle quant à elle les « excellents résultats obtenus d’autos en course faisant du 100 kilomètres à l’heure au moyen d’appareils n’ayant que trois vitesses d’instantanés et au 1/50 de seconde81 ». Pour Natkin, le « bougé » s’obtient à une vitesse un peu plus rapide, car « [i]l suffira pour l’obtenir de poser un peu plus que le temps nécessaire, par exemple 1/100 de seconde au lieu de 1/50082 ». Dans tous les cas, on recommande des temps de pose qui ne se situent pas en dessous du vingt-cinquième de seconde – au risque d’obtenir un flou trop prononcé83 – et qui ne dépassent pas le deux cent cinquantième de seconde, car il s’agit de la limite « pour obtenir nettement des mouvements rapides84 ».
56La deuxième préoccupation principale au sujet du flou de bougé concerne la direction de l’objet en mouvement par rapport à l’objectif. Lorsque le mouvement se fait en direction ou en s’éloignant de l’objectif, le flou obtenu est peu prononcé, alors qu’il s’imprime de manière beaucoup plus importante dans le cas d’un déplacement parallèle au cadrage. Pour le photographe qui souhaite obtenir une image nette, « un sujet en mouvement doit être pris quand il s’approche ou s’éloigne de l’appareil, mais jamais passant par le travers85 ». Dans le cas précis d’un match de football, on estime que « les joueurs venant sur l’appareil ou en diagonale donnent de meilleurs instantanés que ceux passant par le travers86 », qui risquent d’être difficilement reconnaissables, car trop flous. Et c’est finalement le mouvement diagonal par rapport à l’objectif qui garantit un flou bien dosé :
« Plus le sujet se dirigera vers l’appareil ou s’en éloignera directement, moins l’on risquera d’avoir des effets de bougé sur le cliché, par contre inutile d’essayer d’enregistrer nettement un sujet qui passe en vitesse par le travers de l’appareil. Il faut déclencher dans l’instant où le sujet vient obliquement sur l’appareil87. »
57Afin de résoudre le dilemme d’une photographie qui puisse montrer le flou de vitesse tout en permettant de distinguer nettement les traits du sportif ou de la voiture, une autre solution s’impose – souvent la plus recommandée. Elle consiste à reporter le flou sur l’arrière-plan de l’image, de manière à obtenir un objet en mouvement net, en même temps que la suggestion du déplacement dans le fond bougé (fig. 65). Dans L’Instantané par exemple, on apprécie les photographies de voitures de course avec des arrière-plans « terriblement flous » qui ne donnent « que mieux l’impression de vitesse88 ». La difficulté technique consiste à déplacer son appareil photographique de manière à suivre le mouvement photographié. Marcel Natkin se charge d’en expliquer le principe :
« Une voiture “bougée” sur un fond net correspond bien à la vision du spectateur qui regarde la course, mais la sensation éprouvée par le coureur est essentiellement différente, car elle réside dans le “bougé” du paysage. Notre reporter aura donc atteint son but s’il présente une photographie où la voiture, parfaitement nette, se détache sur un fond “bougé”. À cet effet, il se déplacera avec son appareil pendant la prise de vue, c’est-à-dire que lui-même suivra la voiture89. »
58Cette astuce est connue depuis le début du xxe siècle, mais elle paraît très compliquée à mettre en œuvre. En 1904, Frédéric Dillaye reproche aux objectifs de l’époque de ne pas permettre de la réaliser :
« Si vos yeux suivent l’objet en mouvement, ce seront les objets environnants et le fond qui subiront un déplacement virtuel et perdront de ce chef toute netteté. Il faut donc limiter le champ de netteté de l’objectif exactement à l’objet qui se meut. Quand cet objet devient de tout premier plan, comme dans un portrait ou une figure d’étude, le champ de netteté devrait être limité à la partie du corps qui fait le mouvement. Nous rentrons dans le cas de la perspective d’accommodation. Or, nous avons vu que nos objectifs ne nous la donnent qu’imparfaitement90. »
59Malgré l’amélioration du matériel et des procédés, on continue en 1936 à juger cette stratégie difficile à réaliser : « [C]ela donne bien l’impression du mouvement et nous ne devons pas cacher que c’est assez difficile à réussir91. » En 1957, la technique est si connue qu’elle est citée dans le « dictionnaire photographique » que la revue Camera met à disposition de ses lecteurs : « Le sujet sera net, mais l’arrière-plan plus ou moins flou, ce qui accentue encore l’effet de mouvement du sujet92. »
60Quel que soit le perfectionnement de la technique à la disposition du photographe, ce procédé impose une difficulté, car il demande au photographe de se déplacer et de suivre le mouvement avec son appareil. Il permet d’esquisser l’image d’un photographe talentueux et mobile, se déplaçant lui-même pour capter nettement la voiture à pleine vitesse, qui fait écho à la nouvelle figure du reporter qui émerge à cette époque. Dans les années 1930, le déplacement devient un enjeu de plus en plus important pour le photographe qui souhaite capter et exprimer « la vie elle-même », et en particulier les événements que les journaux illustrés révèlent de plus en plus grâce à la photographie. Pour Natkin d’ailleurs, « [c]e genre de photographie, où le fond est flou et la voiture nette, est très courant ; on le trouve facilement en parcourant nos quotidiens et nos illustrés93 ».
Engouement des années 1950
61Bien que de plus en plus fréquemment utilisé, notamment dans la presse, le mouvement et le flou de bougé restent un défi pendant de nombreuses années. Après le frein imposé par la Seconde Guerre mondiale dans l’évolution de la technique, les photographes s’intéressent à nouveau à la question, et de plus en plus intensément au début des années 1950. Timidement utilisé dans les années 1950, le mot « filé » sera le terme consacré dans les années 1960 comme on le constate notamment dans Photo cinéma magazine ou Jeune photographie94.
62Dans les expositions artistiques, le mouvement demeure un sujet très apprécié. En 1950, le Ve Salon national de photographie, qui se tient à la Bibliothèque nationale depuis 1946 et s’adresse tant à des amateurs qu’à des professionnels, porte sur le thème de « l’expression et le mouvement95 ». En 1956, Daniel Masclet se plaint même de l’omniprésence du mouvement dans la photographie, qui semble être le seul défi auquel s’attèle la jeune génération qu’il observe à la photokina de Cologne : « L’exposition des “jeunes” m’a un peu déçu, même celle des deux des USA, qui semblent n’apercevoir dans la photographie que le moyen de fixer le mouvement ! Certes, elle permet bien cela, mais ce n’est pas tout, et c’est loin d’être suffisant96. »
63Daniel Masclet, fervent admirateur d’Otto Steinert et de sa « photographie subjective », défend pourtant volontiers l’importance du mouvement, qui peut selon lui prendre des formes très variées. Autorité parmi les plus influentes en France et auteur de nombreux articles pour les professionnels dans Le Photographe, comme pour les amateurs dans Photo cinéma magazine, il défend de manière générale une photographie la plus nette possible. À ses yeux, le flou trouve pourtant sa place lorsqu’il s’agit de mouvement. Invité en décembre 1953 à participer à une semaine de conférences organisée par Steinert à l’École des arts et métiers de Sarrebruck, il explique la richesse expressive que le mouvement offre dans la photographie :
« [L]a photographie est un art “de surface” et non “de durée”. Elle ne représentera donc pas le mouvement, mais le suggérera seulement, par le choix heureux de l’instant adéquat. Aussi la transcription du mouvement peut aller de la netteté presque complète jusqu’au flou de bougé accentué, représentant la double notion “Temps-Espace”97. »
64Malgré le succès de cette forme, le flou de bougé demeure un défi technique important. L’évolution des négatifs et des appareils ne résout pas totalement la difficulté, car l’amélioration des films, désormais très sensibles, permet de fixer de manière plus nette encore le mouvement. À propos des « possibilités des films ultra-sensibles », la revue Camera remarque en 1957 qu’ils compliquent parfois l’expression du mouvement et de la vie :
« Les photographes, particulièrement les fanatiques du grain le plus fin, de l’extrême netteté et de la reproduction de tous les détails dans n’importe quelle prise de vue, éléments qui ne sont réalisables qu’avec un support, devraient se libérer de ces dogmes – trop souvent admis comme critères de l’œuvre photographique – car ils paralysent le mouvement et la vie98. »
65L’évolution des flashs contrarie également la production du flou de bougé, au point de faire regretter en 1956 une technique plus archaïque :
« Si l’on examine les photographies de danseurs prises par maints reporters à l’aide d’un flash électronique d’extrême rapidité, on s’aperçoit qu’elles sont bien moins suggestives du mouvement que certaines admirables images, d’Ilse Bing, par exemple, prises jadis avec des temps de pose beaucoup moins rapides99. »
66Pour résoudre ces nouveaux problèmes, on conseille par exemple « l’emploi de filtres colorés denses accouplés ou non à un filtre gris neutre100 » qui réduit la sensibilité du film et permet ainsi à un temps de pose rapide de correspondre à une exposition plus longue.
67Dans les années 1950, le bougé demeure délicat à réaliser et, dans Le Photographe, on met en garde les professionnels contre la difficulté technique qu’il représente, car « il s’agit là d’un procédé instable dont l’application est restreinte101 ». En 1960 encore, dans Camera, la difficulté – voire la nouveauté – du procédé est mise en avant :
« [L]es photographes d’idées avancées se sont mis à explorer un domaine généralement dénigré jusqu’ici : la prise de vue d’un mouvement en cours, avec une exposition assez longue pour pouvoir capter non seulement une phase unique, mais plusieurs de celles dont le mouvement se compose. Cette technique – déconseillée sinon défendue dans les manuels photographiques – permet de représenter un mouvement de manière à créer dans notre œil la sensation de sa mobilité, de sa beauté et de son rythme. […] Il faut évidemment être parfaitement au courant des questions en matière de sensibilité du film et de diaphragme pour pouvoir choisir le temps de pose exact qui permettra d’obtenir l’effet désiré102. »
68Malgré les recherches menées depuis de nombreuses années sur la question, les discussions des années 1950 s’apparentent beaucoup à celles que les photographes tenaient déjà à la fin du xixe siècle. En 1953, un article publié dans Le Photographe et dans Photo cinéma magazine déplore, comme soixante ans auparavant, les mouvements rigides et figés par l’instantané :
« Combien d’orateurs, de chevaux au galop, de “types” en action photographiés en instantanés ultrarapides, paraissent raides, tronçonnés, incomplets, ressemblant à des automates qui attendent le tour de manivelle qui leur ferait accomplir la fin du mouvement esquissé pour les libérer de leur immobilité103. »
69Le procédé du « filé » n’apparaît pas encore comme une évidence aux yeux des commentateurs. Encore hésitant face aux possibilités offertes par l’appareil photographique, un autre auteur de Photo cinéma magazine prend pour référence le modèle pictural auquel il accorde à nouveau une apparente supériorité : « Le dessinateur qui représente une voiture de course en vitesse use de différents “trucs” pour augmenter l’impression de vitesse […]. La photo moderne va-t-elle être en reste ? », se demande-t-il en 1954 avant d’enchaîner de manière catégorique : « Pas du tout, elle a, pour exprimer la vitesse avec non moins de bonheur, le flou de filage par vitesse d’obturation lente104. » La question et la nécessité d’une réponse, bien qu’évidente, témoignent de l’incertitude face au flou de bougé. Perçu comme novateur, on applaudit comme s’il s’agissait d’une découverte, « l’idée de laisser l’image floue pendant la prise de vue, et par le mouvement et le déplacement même du sujet105 » qu’ont notamment eue René-Jacques, Lucien Lorelle et Willy Ronis.
Spontanéité du reportage
70La difficulté technique du bougé interroge. Car, dès les années 1950, ce flou exprime aussi une forme de spontanéité : le photographe de reportage ne l’ignore pas et le laisse apparaître dans des prises de vue où l’instinct du bon moment prime sur le contrôle technique parfait. Le Rolleiflex et le Leica deviennent les symboles d’une photographie totalement inscrite dans le mouvement, et qui l’arrête pour en montrer la richesse et la fugacité. Henri Cartier-Bresson est rapidement considéré comme le représentant de ce nouveau paradigme, comme le reconnaît Pierre Mac Orlan :
« Dans cette mobilité inexorable qui anime nos décors, la présence de l’homme qui sait se servir d’un appareil photographique est un obstacle intelligent à la mobilité de l’existence humaine. Le Rolleiflex arrête la vie pendant quelques secondes sur un témoignage qui restera émouvant pour nous et notre descendance. […] Henri Cartier-Bresson est un créateur de vie imaginaire qui réunit parfaitement trois qualités essentielles : le réflexe de la main qui libère l’objectif, l’œil prompt et l’instinct du moment cardinal106. »
71Le mythe de l’« instant décisif » qui domine la renommée de Cartier-Bresson se construit sur un héritage habité par les figures essentielles de cette spontanéité – véritable ou feinte – qui permet de faire croire à une photographie marquée de manière presque évidente par l’événement et la vie qui passe devant elle. Proche dans les années 1930 des surréalistes, il retient de leur pratique la nécessité de se fier au hasard de la révélation et de la surprise : « C’est au surréalisme que je dois allégeance, car il m’a appris à laisser l’objectif photographique fouiller dans les gravats de l’inconscient et du hasard107. » Or, le flou constitue l’une des formes produites par l’appareil du photographe lorsqu’il « fouille dans les gravats de l’inconscient et du hasard ».
72En 1933, Henri Cartier-Bresson est exposé pour la première fois dans la galerie new-yorkaise de Julien Levy. Sur le carton d’invitation, le galeriste publie une lettre fictive envoyée par son pseudonyme Peter Lloyd. Ce dernier explique la « révolution » que représente le fait de défendre cette photographie : spontanée et « fruste », elle apparaît aux antipodes de la perfection technique alors pratiquée aux États-Unis par des artistes comme Alfred Stieglitz et Paul Strand108. Il écrit :
« Je me demande […] quel impact peut avoir une telle proposition sur le public new-yorkais. Je suis moi-même “emballé” par l’énergie et la grande valeur de la démarche de Cartier-Bresson, mais l’essentiel de cette démarche apparaît si rustre et fruste, si dénuée de charme que je crains qu’elle ne se condamne elle-même immanquablement à un regard superficiel. […] Des photographies brutes contre la popularité grandissante d’une photographie aseptisée ? Dites que c’est une exposition de photographie immorale… de photographie équivoque, ambivalente, antiplastique, fortuite. Oui ! Appelez-la photographie anti-graphique109. »
73Réalisée dans les prémices de la carrière de Cartier-Bresson, alors qu’il est très largement influencé par le surréalisme, l’exposition présente des œuvres dont le flou marque cette « brutalité » si nouvelle et rafraîchissante – ou choquante – aux yeux de Levy. Ainsi le flou constitue-t-il l’une des pierres d’achoppement sur laquelle le public américain, inhabitué à une telle liberté, buterait et dont Julien Levy se sert pour mettre en avant l’originalité de l’œuvre de Cartier-Bresson.
74L’idée d’une photographie « fortuite », héritée du surréalisme, contribue à construire le mythe qui caractérise le style d’Henri Cartier-Bresson : une photographie spontanée – paradoxalement extrêmement maîtrisée et construite –, qui donnera à ses reportages la force d’évidence de la vie. Admirateur de Lartigue, Cartier-Bresson aime la joie, l’innocence et l’éblouissement qu’il décèle dans ses photographies110. Face au réel, il prône la posture authentique qu’il perçoit chez son aîné. Tous les éléments captés par la photographie, dont il veut préserver l’intégrité sans recadrage ni retouche, doivent être le témoignage sincère du monde et de sa perception par le photographe. « Restons dans le réel, restons dans l’authentique ! Car l’authenticité est sans doute la plus grande des vertus de la photographie111 », explique-t-il à Daniel Masclet en 1951. Cartier-Bresson est le photographe de cette pulsion de vie, déjà perçue par André Breton dans Explosante fixe, qui constitue la base de sa praxis : « Je ne suis pas plus photographe qu’aquafortiste ou aquarelliste… Je suis un paquet de nerfs qui attend le moment, et cela monte, monte, monte, et cela éclate, c’est une joie physique, danse temps et espace réunis Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! […] Voir est un tout112. » Henri Cartier-Bresson ne cessera de dire son amour pour la vie, plus que pour la photographie elle-même.
75Dans ce contexte, le flou de bougé – dont on a vu la maîtrise technique qu’il exige – exprime en même temps la spontanéité, l’instinct et la vie qui jaillit. En 1948, Cartier-Bresson photographie en Inde le Mahatma Gandhi, moins de deux heures avant son assassinat. Plus tard, il explique au sujet de l’image qu’il capte alors :
« [J]e me servais de l’objectif Leica Summarex 85 mm f/15, un pied sur le dossier d’une chaise et l’autre pied un peu n’importe où. Je n’étais pas en équilibre. C’était en Inde, au moment où Gandhi allait rompre son dernier jeûne, avant sa mort. J’ai pu faire ma photo, qui était floue (prise au 1/15 de seconde). Mais elle était assez bonne, je pense. Harper’s Bazaar en a fait une double page113. »
76Le bougé témoigne de la position instable du photographe au moment de sa prise de vue, de la vie qui l’entoure et qui l’empêche de fixer plus nettement son sujet. Il n’est pas ici question de difficulté technique ; le photographe explique au contraire comment ce flou révèle de manière spontanée un moment unique qu’il est parvenu à immortaliser. Loin de la mythologie de l’erreur prônée par Man Ray, le flou de bougé de Cartier-Bresson devient – parmi d’autres – le signe maîtrisé d’une surprise que le photographe a su capter. L’obstacle technique semble même se faire oublier par la manière dont il s’intègre à une pratique dont Cartier-Bresson souhaite volontairement masquer la complexité :
« Nous voyons et faisons voir dans une sorte de témoignage le monde qui nous entoure et c’est l’événement par sa fonction propre qui provoque le rythme organique des formes. Quant à la façon de s’exprimer, il y a mille et un moyens de distiller ce qui nous a séduits. Laissons donc à l’ineffable toute sa fraîcheur et n’en parlons plus114… »
77Dans les années 1950, le bougé apparaît encore comme un élément novateur, techniquement difficile, et significatif d’une photographie qui se distingue de la pratique la plus commune. Intégré à la palette du photographe qui connaît son métier, le bougé exprime à la fois sa spontanéité et sa virtuosité.
Notes de bas de page
1 Lacretelle Henri de, « Revue photographique », La Lumière, no 10, 28 février 1852, p. 37.
2 Giard Émile, Lettres sur la photographie, op. cit., p. 182.
3 Dillaye Frédéric, « L’illusion picturale et la photographie », Les Nouveautés photographiques. Complément annuel à la théorie, la pratique et l’art en photographie, Paris, Librairie illustrée/Jules Tallandier, 1904-1905, p. 154-176.
4 Voir Dictionnaire mondial de la photographie des origines à nos jours, op. cit., p. 91 et Florent Jacques (dir.), Le Petit Larousse illustré 2014, Paris, Larousse, 2013, p. 172 : « BOUGÉ n.m PHOTOGR. Mouvement de l’appareil photo au moment du déclenchement, qui produit une image floue. »
5 Natkin Marcel, L’Art de voir et la photographie, op. cit., p. 50. Nous soulignons.
6 Calba Henry, Photographisme, Paris, Photographie Nouvelle, 1967, p. 120.
7 Chéroux Clément, « Panégyrique de l’accident photographique », in Photographies/histoires parallèles. Collection du Musée Nicéphore Niépce, cat. expo., Paris/Chalon-sur-Saône, Somogy, 2001, p. 39-43.
8 Frizot Michel, « Un instant, s’il vous plaît… », in Le Temps d’un mouvement. Aventures et mésaventures de l’instant photographique, Paris, Centre national de la photographie, 1986, p. 7-13.
9 Arago François, « Communication de François Arago », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t. 12, janvier 1841, p. 23.
10 Frizot Michel, « Tout le temps devant soi », in Le Temps d’un mouvement, op. cit., p. 15-16.
11 Gunthert André, « Photographie et temporalité. Histoire culturelle du temps de pose », Images Re-vues, hors-série 1, 2008, mis en ligne le 22 avril 2011, [https://imagesrevues.revues.org/743], consulté le 16 avril 2022.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Ibid.
15 Londe Albert, La photographie moderne, op. cit., p. 167.
16 Londe Albert, La photographie instantanée : théorie et pratique, Paris, Gauthier-Villars, 1886, p. 126.
17 Demenÿ Georges, « Conférence par G. Demeny [sic] sur l’étude du mouvement de l’homme et des animaux au moyen de la photographie, faite au Photo-club de Paris, le 4 février 1891 », Bulletin du Photo-Club de Paris, 1891, p. 74-76.
18 Marey Étienne-Jules, Le Mouvement, Paris, G. Masson, 1894, p. 14.
19 Frizot Michel, « Un instant, s’il vous plaît… », in Le Temps d’un mouvement, op. cit., p. 7-13.
20 Giard Émile, Lettres sur la photographie, op. cit., p. 182.
21 Ibid.
22 Demenÿ Georges, « Conférence par M. G. Demeny [sic] sur l’étude du mouvement de l’homme et des animaux au moyen de la photographie, faite au Photo-club de Paris, le 4 février 1891 », art. cité.
23 Anon., « Revue de journaux. Instantanées », Photo-gazette, 25 mai 1892, p. 137.
24 Rèle L., « Les paysages (suite) », Art et photographie. Revue photographique, artistique, littéraire, organe officiel de la Société photographique de Roubaix, 1er novembre 1900, p. 81-82.
25 Salles Georges, « Crisomanes. – La photographie en hiver », Revue photographique de l’Ouest, année 7, no 12, décembre 1912, p. 180-183.
26 Briant Rowland, « Du mouvement arrêté et de la pose vivante », Bulletin de l’Association belge de photographie, année 2, vol. 22, no 2, 1895, p. 121-130 (conférence faite le 24 octobre 1894 au « Photographic Salon »).
27 Anon., « Revue de journaux. Instantanées », art. cité.
28 Dillaye Frédéric, « L’illusion picturale et la photographie », art. cité.
29 Chéroux Clément, « Vues du train », Études photographiques, 1er novembre 1996, mis en ligne le 18 novembre 2002, [https://etudesphotographiques.revues.org/101], consulté le 16 avril 2022.
30 Scharf Aaron, Art and Photography, op. cit., p. 170. Nous traduisons.
31 Ullrich Wolfgang, Die Geschichte der Unshärfe, op. cit., p. 33.
32 Wellmann Marc, Die Entdeckung der Unschärfe in Optik und Malerei, op. cit., p. 18-19.
33 Vidal Léon, « L’influence de la photo sur la vision », Bulletin du Photo-Club de Paris, 1895, p. 229-234.
34 Rèle L., « Les paysages (suite) », art. cité.
35 Banet-Rivet M. P., « La représentation du mouvement et de la vie », Revue des deux mondes, t. 40, 1er août 1907, p. 590-621.
36 Dillaye Frédéric, « L’illusion picturale et la photographie », art. cité.
37 Ibid.
38 The Photographs of Jacques Henri Lartigue, exposition du 1er juillet au 3 novembre 1963, New York, MoMA.
39 Moore Kevin, Jacques Henri Lartigue : l’invention d’un artiste, op. cit.
40 Avant l’image devenue culte du Grand Prix de l’ACF, on peut mentionner Le Pont-de-l’Arche (1902), Le Pont-de-l’Arche, Zissou, Robert, Louis… et moi (1903), Mon chat Zizi (1904), Bouboutte, Rouzat (1908), À Luna-Park, le toboggan : l’arrivée (1909) et James et Rico, Rouzat (1910).
41 Lartigue Jacques Henri, Mémoires sans mémoire, Paris, Robert Laffont, 1975 ; Lartigue Jacques Henri, L’Œil de la mémoire, 1932-1985, Paris, Éditions Carrère/Michel Lafon, 1986.
42 Moore Kevin, Jacques Henri Lartigue : l’invention d’un artiste, op. cit., p. 50.
43 Ibid., p. 56-60.
44 Ibid., p. 59.
45 Ibid., p. 116.
46 The Photographs of Jacques Henri Lartigue, New York, Museum of Modern Art, 1963. Les photographies du Grand Prix de l’ACF (fig. 45) ainsi que le portrait flou d’Henri Lartigue (fig. 54), père de Jacques Henri et qu’il publie pour la première fois en 1954 dans Point de vue, Images du monde, figurent dans cette édition.
47 Avedon Richard, Feitler Bea et Lartigue Jacques Henri, Diary of a Century, New York, Viking Press, 1970. Au sujet de la reconnaissance de Lartigue par Avedon, voir Le Galliard Marianne, « Jacques Henri Lartigue dans l’air du temps (1966-1967) », Études photographiques, no 32, printemps 2015, mis en ligne le 9 avril 2015, [https://etudesphotographiques.revues.org/3508], consulté le 16 avril 2022.
48 Cette photographie est publiée en double page par Richard Avedon et Jacques Henri Lartigue en 1970 (Avedon Richard, Feitler Bea et Lartigue Jacques Henri, op. cit., n. p.), en double page par Robert Delpire éditeur dans Lartigue : 8 × 80, cat. expo., Paris, musée des Arts décoratifs, 1975, p. 86-87. Elle est choisie comme image de couverture pour le volume consacré à Lartigue dans la collection « Photo Poche » (Jacques Henri Lartigue, Paris, Centre national de la photographie, coll. « Photo Poche », 1983). À ce sujet, voir aussi Chéroux Clément, « Panégyrique de l’accident photographique », in Photographies/histoires parallèles, op. cit., p. 39-43.
49 Lista Giovanni, Loïe Fuller. Danseuse de la Belle Époque, Paris, Stock/Éditions d’art Somogy, 1994, p. 144.
50 Rodin Auguste, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Paris, Bernard Grasset, 1911, p. 47-51.
51 Lettre de Camille Mauclair à Rodin, sans date, archives du musée Rodin. Cité par Pinet Hélène, Les Photographes de Rodin, op. cit., p. 33.
52 Lista Giovanni, Loïe Fuller, op. cit., p. 452.
53 Vauxcelles Louis, « Notes d’art. Au Salon d’automne. Le sculpteur Medardo Rosso », Gil Blas, 31 octobre 1904, n. p.
54 Ibid.
55 Lista Giovanni, Loïe Fuller, op. cit., p. 453.
56 Id., Futurism and Photography, Londres, Merrel Publishers Ltd, Estorick Collection of Modern Italian Art, 2001, p. 21.
57 Rodin Auguste, L’Art, op. cit.
58 Bragaglia Anton Giulio, Fotodinamismo futurista, Rome, Nalato Editore, 1913, p. 39 ; cité in Lista Giovanni, Futurism and Photography, op. cit., p. 26. Nous traduisons.
59 Marey Étienne-Jules, La chronophotographie, Paris, Gauthier-Villars, 1899, p. 31.
60 Ibid., p. 37.
61 À ce sujet, voir Chik Caroline, L’image paradoxale. Fixité et mouvement, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011, p. 87-95.
62 Anton Giulio Bragaglia, cité par Lista Giovanni, « L’ombre du geste », in Raymond Bellour (dir.), Le Temps d’un mouvement. Aventures et mésaventures de l’instant photographique, Paris, Centre national de la photographie, 1986, p. 60.
63 Braun Marta, « Fantasmes des vivants et des morts », Études photographiques, no 1, novembre 1996, mis en ligne le 18 novembre 2002, [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesphotographiques/100], consulté le 30 avril 2022.
64 Lista Giovanni, Futurism and Photography, op. cit., p. 24. Nous traduisons.
65 Ullrich Wolfgang, Die Geschichte der Unshärfe, op. cit., p. 82.
66 Poivert Michel, « Le sacrifice du présent, pictorialisme et modernité », Études photographiques, no 8, novembre 2000, p. 92-110.
67 Bergson Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), in Œuvres, A. Robinet (éd.), Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 74-75.
68 Boccioni Umberto, « Fondamento plastico delle scultura e pittura futuriste », Lacerba, no 61, 15 mars 1913, p. 51-52.
69 Didi-Huberman Georges, « L’espace danse. Étoile de mer. Explosante fixe », art. cité.
70 Natkin Marcel, L’Art de voir et la photographie, op. cit., p. 3.
71 Duval Rémy, « Pierre Boucher », Arts et métiers graphiques, vol. 9, no 49, 15 octobre 1935, p. 46.
72 Anon., « Vitesse, Nouvelle esthétique », Vu, no 238, 5 octobre 1932, p. 1608-1609.
73 Anon., « Ski… », Vu, no 208, 9 mars 1932, p. 304-305.
74 Anon., « La vengeance du taureau », Vu, no 420, 13 mai 1936, p. 550-551.
75 Anon., « 100 ans de photographie », Vu, no 566, 18 janvier 1939, p. 82-83.
76 Anon., « Veillée d’armes tragique », Vu, hors-série Pas d’anarchie !, 8 février 1934, p. 8-9.
77 Makarius Michel, Une histoire du flou, op. cit., p. 105.
78 Natkin Marcel, L’Art de voir et la photographie, op. cit., p. 50.
79 Ibid.
80 Anon., « L’écho des revues. À propos des instantanés », La Revue française de photographie et de cinématographie, no 274, 15 mai 1931, p. 159.
81 Bernard R., « Revue du petit format », L’Instantané, année 6, no 67, décembre 1935, p. 171.
82 Natkin Marcel, L’Art de voir et la photographie, op. cit., p. 50.
83 Anon., « Couronnement-exposition, mai 1935-mai 1937 », L’Instantané, année 7, no 84, mai 1937, p. 279-281.
84 Anon., « L’instantané rapide », L’Instantané, année 7, no 77, octobre 1936, p. 115.
85 Anon., « Couronnement-exposition, mai 1935-mai 1937 », art. cité.
86 Anon., « Football et photographie d’amateur », L’Instantané, année 7, no 82, mai 1937, p. 228.
87 Anon., « L’instantané rapide », art. cité.
88 Bernard R., « Revue du petit format », décembre 1935, art. cité.
89 Natkin Marcel, L’Art de voir et la photographie, op. cit., p. 50.
90 Dillaye Frédéric, « L’illusion picturale et la photographie », art. cité.
91 Anon., « L’instantané rapide », art. cité.
92 F. H., « Dictionnaire photographique de Camera. Temps de pose minimum pour des prises de vues de sujets animés », Camera, année 36, no 5, mai 1957, p. 229.
93 Natkin Marcel, L’Art de voir et la photographie, op. cit., p. 50.
94 En 1954, on conseille à l’amateur de voitures et de photographie « d’être de son temps » grâce au « “filage” [qui] exprime volontairement le mouvement, qu’il s’agisse de danseurs, piétons, autos, avions, chemins de fer » (Delarue-Nouvellière, « Auto et Photo », Photo cinéma magazine, no 637, novembre 1954, p. 222-226). Voir aussi Leroy Jean, « À propos de quelques photographies. Salon international de Bordeaux », Photo cinéma magazine, no 758, décembre 1964, p. 383-391 ; Leroy Jean, « Coupe de France 1966 », Photo cinéma magazine, no 774, avril 1966, p. 82-87 ; Monod Blaise, « Une question », Jeune photographie, no 51, août-septembre-octobre 1964, p. 8-10.
95 Annonce du Ve Salon national de la photographie, Le Photographe, no 714, 20 février 1950, n. p.
96 Masclet Daniel, « Impressions d’un photographe sur la photokina », Le Photographe, no 874, 20 octobre 1956, p. 449-453.
97 Id., « La semaine photographique de l’école des beaux-arts de la Sarre », Le Photographe, no 813, 5 avril 1954, p. 170-173.
98 Paysan Klaus, « Possibilités des films ultra-sensibles », Camera, année 36, no 2, février 1957, p. 73-76.
99 Roubier Jean, La photographie et le cinéma d’amateur, Paris, Librairie Larousse, 1956, p. 131.
100 « Le 1/100 à 1:8, vitesse courante, correspond au 1/12 à 1:22. Le 1/12 devient 1/3 de sec. avec un filtre orange 4×, 1 sec. avec un filtre 12× » (Delarue-Nouvellière, « Auto et Photo », art. cité).
101 Auradon J. M., « L’épreuve d’exposition », Le Photographe, no 799, 5 septembre 1953, p. 337-339. Publié sous le titre de « Murmures sur les expositions », in Photo cinéma magazine, no 621, juillet 1953, p. 122-126.
102 F. H., « Représentation photographique du mouvement », Camera, année 39, no 11, novembre 1960, p. 39-41.
103 Auradon J. M., « L’épreuve d’exposition », art. cité.
104 Delarue-Nouvellière, « Auto et Photo », art. cité.
105 Auradon J. M., « L’épreuve d’exposition », art. cité.
106 Mac Orlan Pierre, « La photographie et la poésie du monde », in Écrits sur la photographie, op. cit., p. 119-123 ; paru in Le Mercure de France, février 1953, p. 305-308.
107 Cartier-Bresson Henri, L’imaginaire d’après nature, Montpellier, Fata Morgana, 1996, p. 68. Initialement publié in André Breton roi soleil, Montpellier, Fata Morgana, coll. « Hôtel du Grand Miroir », 1995.
108 À ce sujet, voir Documentary & anti-graphic photographs by Cartier-Bresson, Walker Evans & Alvarez Bravo : une reconstruction de l’exposition de 1935 à la Galerie Julien Levy de New York, cat. expo., Göttingen, Steidl/Fondation Henri Cartier-Bresson/musée de l’Elysée, 2004.
109 Cité et traduit in Documentary & anti-graphic photographs by Cartier-Bresson, Walker Evans & Alvarez Bravo, op. cit., p. 14. Julien Levy publie également cette lettre dans le livre qui accompagne l’exposition sur le surréalisme qu’il organise en 1936 : « I wonder how our public in New York may be affected by such an exhibition as you propose? I myself am “emballé” by the vigour and importance of Cartier-Bresson’s idea, but an essential part of that idea is such a rude and crude, such an unattractive presence, that I am afraid it must invariably condemn itself to the superficial observer. […] Septic photographs as opposed to the mounting popularity of the antiseptic photograph? Call the exhibition amoral photography… equivocal, ambivalent, anti-plastic, accidental photography. Call it anti-graphic photography » (Levy Julien, Surrealism, New York, The Black Sun Press/Arno/Worldwide, 1968 [1936], p. 61).
110 Cartier-Bresson Henri, « “La chose capitale, c’est le regard”, Entretien avec Alain Desvergnes (1979) », in « Voir est un tout ». Entretiens et conversations (1951-1998), éd. établie par Clément Chéroux et Julie Jones, Paris, Éditions du Centre Georges-Pompidou, 2013, p. 71-88. Entretien audio d’Henri Cartier-Bresson avec Alain Desvergnes, diffusé à l’occasion d’une projection de ses photographies pendant une soirée des Rencontres d’Arles au Théâtre antique, en juillet 1979.
111 Id., « “Un reporter…”, entretien avec Daniel Masclet », in « Voir est un tout », op. cit., p. 7-11. Publication initiale : « Un reporter… Henri Cartier-Bresson. Interview de Daniel Masclet du Groupe des XV », Photo-France, no 7, mai 1951, p. 28-33.
112 Id., « “Nul ne peut entrer ici s’il n’est pas géomètre”, entretien avec Yves Bourde (1974) », in « Voir est un tout », op. cit., p. 61-70. Publication initiale : Bourde Yves, « Un entretien avec Henri Cartier-Bresson. “Nul ne peut entrer ici s’il n’est pas géomètre” », Le Monde, no 1350, 5 septembre 1974, p. 13.
113 Id., « “C’est très difficile, la photographie”, entretien avec Richard L. Simon », in op. cit., p. 13-29. Document tapuscrit annoté, conservé dans les archives de Richard L. Simon, New York.
114 Id., Images à la sauvette, Göttingen, Steidl, 2014 (1952), n. p.
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