Chapitre VII. Flou social
p. 207-238
Texte intégral
Sociologie du flou
1En 1914, Robert Demachy abandonne la photographie. Son échec face aux théories puristes qu’Alfred Stieglitz développe aux États-Unis a été souligné : il ne parvient pas à envisager que la technique photographique puisse se concilier avec l’esthétique et, là où la Photo-Secession américaine voit dans le respect du médium photographique une nouvelle modernité artistique, il ne fait que déplorer la pauvreté d’un document qui ne peut se passer, selon lui, de l’intervention de l’artiste et de la retouche1. Son retrait de la scène artistique ne signale pas pour autant la fin du pictorialisme, qui se poursuit dans plusieurs pays d’Europe2. En France, on observe pendant les années 1920 et jusqu’à la fin de la décennie, des débats encore très vifs sur la manière d’atteindre le meilleur flou.
2Parallèlement à ce pictorialisme tardif se développe, grâce aux progrès techniques, une pratique « amateur » dont on date en général l’avènement à la première démocratisation de la photographie dans les années 1890. Cohabitent dès la fin du xixe siècle un art élitiste de la photographie – défendu par les pictorialistes – et une pratique « amateur », dont Clément Chéroux a montré la complexité, la diversité des classes sociales qu’elle concerne et, par conséquent, les conceptions variées de la photographie qu’elle recouvre3. Du flou apparaît aussi dans les clichés des amateurs, mais qui n’est pas de la même nature que celui défendu par les pictorialistes. Dans les années 1920, coexistent ainsi plusieurs usages et différentes conceptions du flou, selon le type d’amateurs ou d’esthètes qui en usent. Loin de soulever le seul débat esthétique, le flou engage aussi des enjeux de différenciation sociale, car la manière dont on l’évalue varie selon le type d’usage de la photographie qu’on défend, mais aussi selon sa position sociale. Le flou joue en effet un rôle dans la hiérarchie qui s’instaure entre les différentes pratiques photographiques : amateur, artistique et professionnelle. En outre, les débats montrent que le flou – la façon dont on le produit et dont on en parle – permet de se positionner socialement, dans une hiérarchie de classes.
3Bien avant l’invention de la photographie, la résonance sociale du « flou » se construit dans la tradition critique de la peinture. On a vu comment Marc-Antoine Laugier au xviiie siècle déjà assimile le mot « flou » à une parure sociale, dont on use plus pour afficher ses connaissances supposées, que pour véritablement décrire les qualités formelles d’une œuvre4. Dès le xviiie siècle, le terme constitue un marqueur social : issu des ateliers des peintres, son usage finit par être investi d’un pouvoir symbolique, permettant de distinguer les « connaisseurs » des autres, au point de s’en réclamer pour manifester un niveau de culture, pourtant souvent soupçonné de n’être qu’affecté. En 1829, Jacques-Nicolas Paillot de Montabert confirme que le terme perdure dans le vocabulaire artistique avant tout pour des questions d’étiquette sociale : à cette époque, malgré la difficulté à le définir et à le comprendre, le mot ne tombe pas dans l’oubli, car il garde l’écho d’un lexique de spécialiste dont on continue à user pour son emphase et son affectation5.
4La photographie a pour effet de provoquer une scission dans la valeur sociale attribuée au flou. Dès son invention, il est associé à l’échec. Défaillance technique ou faute de l’opérateur, le mot est repris pour désigner un manque qui entre en contradiction avec l’apparat social qu’il suggère historiquement. On a vu face à quelles difficultés la première critique photographique des années 1850 se trouve confrontée, tant le terme est pris dans des enjeux contradictoires. Il évoque l’art pictural à imiter tout en suggérant un échec qu’il s’agit d’éviter. D’un point de vue social, il garde l’empreinte d’un élitisme de spécialiste, mais il se double du timbre de la défaillance et du ratage dégradant. En effet, malgré le défaut technique qu’il désigne, le flou est aussi rapidement associé, dans la photographie, aux valeurs de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie.
5Bien qu’ils utilisent le terme de manière discrète, les défenseurs du calotype – et du flou – qui fondent la Société héliographique en 1851 constituent une élite de riches amateurs et de savants fortunés6. Le pictorialisme quant à lui se fonde en grande partie sur la sociabilité qu’il engendre. Les associations pictorialistes, entraînées par leur chef de file le « banquier défroqué Robert Demachy », se composent d’une « bourgeoisie qui mêle le monde des affaires et des rentiers à celui des avocats et fonctionnaires de ministères7 ». Michel Poivert estime que les pictorialistes affichent un « certain parisianisme8 » et Kevin Moore rappelle que, « [i]ssus de la haute société, ce sont des “snobs de la photographie”. Ils forment une phalange au sein de la communauté des amateurs avertis et ses membres se prétendent dotés d’une sensibilité artistique supérieure, alors qu’ils cherchent en réalité à préserver leur statut social9 ». Avant la Première Guerre mondiale, la photographie constitue un gage de distinction qui garantit à celui qui la pratique une certaine position sociale, comme le font le sport ou la fréquentation de soirées mondaines. Parmi ces amateurs fortunés, les pictorialistes se positionnent comme l’élite au sein même de l’élite – cherchant à faire de l’art – et le flou s’affiche comme la marque de cette appartenance singulière. La recherche du flou, parmi l’ensemble des amateurs de photographies, constitue aux yeux des pictorialistes une façon de se démarquer de manière encore plus illustre.
Pictorialisme tardif
6Dans cette perspective, le flou, en plus d’une conviction artistique, s’affiche comme une arme de défense sociale. On a vu l’importance du champ lexical associé au combat et à la guerre, utilisé par les pictorialistes, et en particulier par Constant Puyo dès les premières années du xxe siècle. Il faut interroger la vocation du flou à afficher et à protéger un élitisme de classe, au-delà des théories esthétiques qu’il engendre. Si le flou constitue un pivot d’argumentation majeur dans le débat du Paragone, entre la valeur de la photographie et celle de la peinture, il devient – avec encore plus de force dans les années 1920 – le catalyseur d’un conflit qui se déplace, mais de manière plus implicite, d’un premier souci esthétique à un enjeu majoritairement social. Il paraît en tout cas nécessaire d’interroger sous cet angle la persévérance avec laquelle certains photographes s’accrochent à un flou, dont on constate dès 1920 la stérilité des débats dont il fait l’objet.
7Dans les années 1920, le terme « flou » face auquel Constant Puyo exprimait son embarras en 1906 redevient central dans les débats. Président du Photo-Club de Paris dès 1921, Constant Puyo ne cessera de le défendre, dans une argumentation directement issue de celle qu’il avait élaborée vingt ans plus tôt pour promouvoir l’objectif anachromatique. Les nombreux articles qu’il publie avec ses acolytes jusqu’au début des années 1930 dans La Revue française de photographie – qui deviendra en 1926 La Revue française de photographie et cinématographie – témoignent de l’importance encore majeure du flou dans les débats menés par ce milieu photographique, très éloigné de celui des avant-gardes pourtant contemporain. Pendant une décennie, on discute de « la question du flou10 » sans jamais parvenir à la résoudre.
8Dès 1924 est relancé, pour sa XIXe édition, le Salon international d’art photographique, organisé à nouveau chaque année par la Société française de photographie. Y sont présentés les résultats des recherches techniques que les pictorialistes continuent de mener dans le but toujours similaire de parvenir à un flou judicieux, qui s’associe à la netteté pour l’atténuer. Ces expositions sont l’occasion d’affirmer la force du modèle pictorialiste. En 1924, on estime que « la Photographie s’est affranchie du souci d’exactitude, de précision minutieuse dans le détail qui fut sa vertu première en même temps que son péché originel et qui paraissait devoir la caractériser à jamais11 ». L’année suivante, on acclame même, peut-être un peu fort, l’avancée victorieuse de ce modèle pourtant archaïque :
« Tel qu’il est, le Salon de la Société française de 1925 marquera une date dans l’évolution de la photographie pictoriale. C’est la première fois depuis onze années que l’on sent le point mort nettement dépassé, et que l’on respire dans une grande enceinte d’art photographique une atmosphère revivifiée et pleine de promesses d’un nouveau printemps12. »
9On retrouve ici le sentiment d’un combat à mener de front, que les pictorialistes revendiquaient déjà vingt ans plus tôt.
10Le terrain de cette bataille reste celui de la technique, à laquelle La Revue française de photographie accorde une place importante. Ici, le flou ne peut être pensé en termes de hasard ou de jeu – comme le font de leur côté les avant-gardes – car c’est bien le contrôle de tous les paramètres auquel vise le photographe. Dès 1922, Constant Puyo s’oppose clairement à l’instantané et à l’automatisme, dont les surréalistes seront les fervents défenseurs : « Cet automatisme apparaît donc au photographe pictorial comme l’adversaire qu’il doit vaincre13. » Des séries d’articles parus en 1924 sur « Le négatif parfait – Comment l’obtenir », puis sur « La perfection de l’épreuve photographique – Comment y atteindre14 » montrent bien l’importance de ne rien laisser au hasard. Les photographes butent encore sur la question de l’objectif, dont on a vu l’incapacité de répondre à leurs exigences contradictoires, et, plutôt que de renoncer à leurs aspirations, désignent les opticiens comme responsables de leur lacune technique : « En attendant le miracle de voir un opticien avisé d’étudier un anachromatique spécial pour l’agrandissement, c’est-à-dire à court foyer, à grande ouverture et donnant un flou modéré, tout en ayant les qualités voulues d’anastigmatisme, il faut nous contenter de solutions pratiques, quoique imparfaites15 », déplore notamment Émile Genet. Face à cet « abandon » de la part des scientifiques, les photographes ne cessent d’inventer et de décrire des techniques, dont ils précisent toujours la valeur provisoire, car inaboutie :
« Servez-vous d’un 18 × 24 pour des têtes album normales, et avec une mise au point légèrement en avant, vous obtiendrez un cliché suffisamment présentable, se rapprochant de la réalité. Mais c’est un moyen empirique, ce sont de vieux outils qui, ayant fait leur temps, ont besoin de repos. Aussi, en attendant que Messieurs les opticiens veuillent bien nous construire l’objectif idéal, servons-nous des derniers nés, les objectifs d’artistes, genre Eidoscope d’Hermagis et autres, qui ne donnent “ni flou, ni net”16. »
11La plainte se poursuit en 1925 sous la plume de Constant Puyo : « En attendant que paraisse un anastigmat de ce genre – et sans doute on attendra longtemps –, il faudra bien se résigner à des solutions de fortune17. »
12Parmi celles-ci, certaines semblent plus satisfaisantes que d’autres. Le « procédé Artigue à deux plaques » apparaît dans La Revue française de photographie comme le plus abouti et le plus efficace. Il est présenté en 1921 et consiste à exposer deux plaques l’une derrière l’autre dans le même châssis, de manière à en obtenir une première nette et une deuxième plus floue, pour ensuite, au moment du tirage, les superposer en un seul et même négatif, de façon à reproduire sur le positif le mélange tant recherché de détails de la première plaque et d’enveloppement de la deuxième18. Bien que souvent citée au cours des années suivantes, cette technique paraît compliquée et coûteuse, de sorte que les recherches ne cessent de se poursuivre pour en découvrir d’autres19. « À ceux qui recherchent le moindre effort et ne veulent pas se lancer dans la pratique plus complexe du procédé à deux plaques », le comte de Dalmas propose en 1923 un procédé qui « consiste, en utilisant une simple plaque et un objectif corrigé quelconque à grande ouverture à augmenter brusquement le tirage de 2 ou 3 millimètres pendant les deux derniers cinquièmes de la pose20 ». La même année, on recommande d’autres techniques, allant de l’interposition d’un verre dépoli entre le papier et le négatif à une exposition multiple en modifiant l’ouverture du diaphragme21.
13Ces dix années de recherches techniques sur le flou tendent à constituer la preuve de l’échec pictorialiste, bien plus qu’elles ne donnent de nouvelles pistes réellement exploitables. Les points d’accroche demeurent ceux qui avaient dominé les débats pendant le premier pictorialisme, à savoir la recherche d’un flou qui se mêle aux détails et la possibilité de contrôler les différents degrés de flou dans l’image. Cette répétition du mouvement, trente-cinq ans après son avènement, montre que le combat ouvert en 1890 s’était bien mené sur des bases esthétiques qui n’en permettaient pas la victoire, au point que les techniques les plus empiriques et hasardeuses du milieu du xixe siècle sont à nouveau considérées avec sérieux. En 1921, le procédé développé par Antoine Claudet en 1866, qui consistait à multiplier les prises de vue sur une même plaque en faisant varier la mise au point, apparaît presque comme une solution moderne. On explique en effet :
« Il semble cependant que, à condition d’en limiter judicieusement l’emploi, et d’employer un objectif de distance focale assez longue pour n’utiliser qu’un angle très peu étendu, le premier mode opératoire de Claudet puisse fournir des résultats intéressants maintenant que l’on est moins sévère, en matière de netteté, que ne l’étaient les photographes d’il y a cinquante ans22. »
14Constant Puyo, pour sa part, en vient même à défendre le « flou de mise au point » qu’il avait fermement condamné vingt ans plus tôt pour marquer la différence avec le flou chromatique :
« [O]n réglera alors la netteté par le diaphragme, en se servant ainsi pour adoucir le trait du flou de mise au point. Il m’est arrivé de dire quelque mal du flou de mise au point ; c’est qu’il se montre généralement excessif, étant causé par des chutes brusques de netteté, lesquelles sont dues à l’emploi des grandes ouvertures relatives. Mais si on sait le doser, et on le peut aisément par le diaphragme, il se traduira en somme par l’élargissement du trait23. »
15Il faudra attendre les années 1930 pour que les défenseurs du flou pictorialiste deviennent réellement minoritaires au sein de La Revue française de photographie. Auparavant, les quelques avis divergent émis dans la revue ne modifient pas les termes du débat. En 1922, un dénommé G. Underberg s’affiche comme le grand défenseur révolutionnaire de la netteté : « Amateurs du flou, de ce fameux flou dit artistique dont on a tant abusé, ne lisez pas plus loin, car je vais battre en brèche à coup d’arguments vos belles et nébuleuses théories24. » Ses arguments, cependant, ne défendent pas un art d’avant-garde radicalement nouveau, mais s’appuient sur une théorie naturaliste dans la totale continuité du pictorialisme, à la différence près que l’œil selon lui voit net, et non pas flou :
« Nous voyons la nature avec notre œil… […] Or, celui-ci nous fait-il voir la nature nette ou floue ? Certains plans nets et d’autres flous ? Non ! Tout nous semble net, car l’œil a une facilité d’accommodation qui lui permet de tout voir avec une bonne netteté générale. Les lointains, les arrière-plans, ne sont pas flous, mais nets25. »
16Ce n’est qu’en 1930 qu’un article constate l’importance de la nouvelle photographie26. La même année, Constant Puyo, plutôt que de promouvoir positivement le flou, les objectifs anachromatiques et les tirages à interprétation, est contraint de tenter de « comprendre l’objectivisme27 », qui s’explique selon lui par la dégradation de l’apprentissage des photographes, dont l’œil n’est plus éduqué par la peinture, mais par la photographie et le cinéma dont la représentation n’est pas artistique par nature. En 1931, Georges Potonniée range de manière plus explicite Constant Puyo et son art pictorialiste dans le passé : « M. Puyo qui continue à répandre les bons exemples et la bonne parole, s’il compte toujours de nombreux disciples, n’a plus autant d’imitateurs. […] D’ailleurs, je suis de mon temps. Je ne m’attarde pas aux choses du passé et je salue l’avènement de la photographie objective28. »
17Les partisans du pictorialisme ne disparaissent pas pour autant totalement. En France et à l’étranger, notamment en Grande-Bretagne, on trouve des héritiers des premiers pictorialistes jusque dans les années 1950 au moins. On verra dans un autre chapitre le regain de leur influence dans les années 1940 et la manière dont leurs arguments seront à nouveau discutés, notamment dans la revue Le Photographe. Le journal publie en 1953 la traduction d’un article d’Helmut Gernsheim sur « l’évolution de la photographie picturale » dans lequel il précise la persistance des amateurs de ce courant, malgré un déclin de sa base fondatrice : « Si la photographie picturale dans son sens traditionnel est morte, elle trouve cependant encore maintenant ses défenseurs dans certains cercles et publications. C’est leur étude qui nous permet de mesurer le chemin parcouru et les possibilités mises à notre disposition pour explorer de nouveaux domaines29. »
Un débat sans fond
18Il faut ici souligner l’étrangeté du combat mené par le pictorialisme tardif des années 1920. On peut en effet être surpris par la durée de cette quête d’un flou illusoire, dont on a pendant quarante ans célébré la virtuosité technique, pour toujours finir par en déplorer l’insuffisance et la mollesse. Le retour aux « trucs » les plus empiriques par ceux qui les avaient le plus critiqués laisse l’impression curieuse d’un combat en perpétuel recommencement, comme vidé de son sens premier, et qu’il s’agirait alors de chercher ailleurs que dans ce qui semble explicitement débattu. Comment en effet expliquer que Constant Puyo ose en 1925 défendre le flou de mise au point, considéré vingt ans plus tôt comme « toujours condamnable en soi30 » et comme « un ennemi sournois31 » par l’ensemble des photographes qui se réclament d’un pictorialisme sérieux ? On peut d’autant plus s’étonner de la position que Puyo défend en 1925, qu’elle semble en complète contradiction avec la correction qu’il amène en 1924 dans la réédition de son ouvrage sur Les objectifs d’artistes. Il y précise au contraire que ce n’est pas le flou qui est condamnable dans son ensemble, mais bien « le flou, tel le flou de mise au point32 ».
19Cette contradiction témoigne d’un manque de consistance dans l’argumentation pictorialiste, qui se confirme par la position d’un autre auteur de La Revue française de photographie. On a mentionné plus haut l’article de G. Underberg qui condamnait le flou, mais en fait sans réelle conviction avant-gardiste. La posture révolutionnaire qu’il adopte en 1922 au profit de la netteté, alors même que son argumentation s’inscrit dans la plus pure tradition naturaliste et dans le respect complet du principe de l’imitation, témoigne plus d’une quête de reconnaissance et de distinction au sein même de la Revue que d’une véritable croyance esthétique. Cela se confirme encore à la lecture d’un article que le même auteur écrit en 1926 dans la revue Art et photo, publiée à Saint-Étienne pour un lectorat régional d’amateurs, et dans lequel il enseigne les règles de base de la photographie. Loin de défendre la netteté, il se positionne dans ce contexte comme le garant du véritable flou. Son texte vise à guider le photographe débutant « sur le chemin de l’art », tout en le mettant en garde contre la facilité afin qu’il maîtrise la technique avant de s’aventurer dans l’esthétique. Alors que dans La Revue française de photographie, il se positionne comme le pseudo-défenseur de la netteté, il se fait ici le garant d’un flou véritablement authentique à l’opposé d’un vulgaire « flou artistique33 ».
20Cette position vacillante, qui semble fluctuer en fonction du lectorat, mais qui toujours distingue l’auteur d’une pensée ou d’une pratique dominante, laisse penser que son combat, bien plus qu’esthétique, trouve sa raison d’être dans la nécessité de se démarquer des autres, d’exister en somme, quelle que soit l’opinion à adopter. Le flou ne constitue pas une fin en soi à atteindre, mais un moyen pour défendre un autre but implicite et peut-être plus difficile à assumer. Le combat mené par le pictorialisme au cours des années 1920 semble, du moins en partie, devoir être envisagé sous cet angle. Pourquoi en effet persister si longtemps à défendre un flou inatteignable, dont la promesse de triomphe se résout toujours dans un constat d’échec face à une technique résistante et des effets en dessous des attentes ? Cette longévité a de quoi surprendre, plus encore si l’on constate la répétitivité des techniques inventées, des arguments avancés, des résultats obtenus et des contradictions affichées par les auteurs.
Évolution technique et sociale de l’entre-deux-guerres
21Une partie de la réponse est peut-être donnée dans un article publié par La Revue française de photographie en 1926. L’auteur y constate l’évolution de « l’amateur » de photographie par rapport à celui d’avant 1914 :
« L’amateur photographe d’avant-guerre et celui de 1926 sont de natures très différentes. Autrefois, il se recrutait surtout parmi l’élite des dilettantes fortunés. La photographie était alors pour lui une dévotion et un agrément qu’il cumulait avec le sport et les réunions mondaines. […] L’amateur photographe de 1926 est pourvu d’occupations aussi absorbantes que quotidiennes : il est professeur, industriel, commerçant, notaire, agriculteur, ingénieur, attaché à une banque, à une administration, à un bureau. Il demande à la photographie non plus d’occuper sa journée, mais de le délasser de celle-ci, et d’être une détente dans la monotonie de sa vie de travail34. »
22L’auteur explicite ici à la fois l’évolution de la société et la transformation de la pratique de la photographie qui en résulte. En bref, la catégorie d’amateurs dont faisait partie le pictorialiste d’avant-guerre, issue d’une classe aisée, appartenant à une élite préservée, se trouve en 1926 menacée non seulement par l’évolution de la société, mais aussi par une démocratisation de la photographie qui devient accessible au professeur, à l’agriculteur et au simple employé d’administration. Les bouleversements qui s’opèrent à la suite de la Première Guerre mondiale ont pour conséquence de brouiller certains repères identitaires et sociaux. La guerre provoque une crise des identités sociales, déclassant certaines fortunes, entraînant parfois un nivellement du mode de vie au détriment des élites35. La prospérité économique des années 1920 favorise un accès plus large aux loisirs, et en particulier à la photographie. Après la guerre, la bourgeoisie s’ouvre à de « nouveaux riches », comme de petits industriels ayant prospéré pendant la guerre et des ingénieurs issus des grandes écoles : en résulte, au sein de la population, un accès plus large à la photographie et une multiplication des pratiques qui met en péril l’exception pictorialiste.
23En outre, le pictorialiste, qui fonde sa supériorité sur une méthode de création artisanale, est de plus en plus isolé en raison des progrès techniques de la photographie et de son industrialisation au cours des années 1920. Grâce aux améliorations des techniques photographiques et de reproduction, la photographie se répand dans des domaines de plus en plus variés, qu’il s’agisse de la presse, de la publicité, de l’architecture, de la science ou de la politique. L’apparition des appareils compacts – le Leica en 1925 et le Rolleiflex en 1929 – accompagnés du format 24 × 36 mm rendent la pratique encore plus accessible aux amateurs les plus étrangers au médium. Comme le montre Kevin Moore dans son livre sur Jacques Henri Lartigue, le cadrage de l’image avec les appareils à main demeurait avant la Première Guerre mondiale une tâche relativement ardue, loin du « modèle du photographe “dansant” tel que l’incarne Cartier-Bresson (qui se retourne ici et se contorsionne là pour aboutir, comme par enchantement, à des compositions parfaites, à la fois instantanées et conformes aux paramètres qu’impose le négatif)36 ».
24Les progrès réalisés après la guerre tant sur la maniabilité des appareils que sur la sensibilité des films donnent, en 1931, l’idée d’une photographie véritablement accessible à tous, qui est même admise dans La Revue française de photographie et de cinématographie :
« L’automatisme, formule 1931, n’est pas du tout l’automatisme de 1910. Vous pouvez négliger la mise au point si bon vous semble, mais vous pouvez également l’utiliser rationnellement et tenir compte des exigences de la perspective aérienne, car le point peut être réglé sur toute distance entre quelques mètres et l’infini. […] En un mot, ce type d’appareil, quoique automatique, possède à peu près tous les organes d’un appareil très perfectionné et incite son propriétaire à faire œuvre intelligente au lieu de le transformer en véritable machine, comme son prédécesseur d’avant-guerre37. »
25En bref, « l’amateur se trouve maintenant équipé d’un matériel qui lui permet avec les appareils les plus simples de photographier toute l’année et par tous les temps38 », estime-t-on dans Arts et métiers graphiques.
Flou de distinction
26Ces changements dans l’accessibilité de la pratique photographique mettent en péril le territoire que l’élite pictorialiste s’était jusqu’alors réservé. André Rouillé a montré comment le choix qu’implique la théorie du sacrifice des détails – dont le flou pictorialiste est issu – induit déjà une conception aristocratique de l’art, que l’invention de la photographie vient bouleverser : « La théorie des sacrifices, si adaptée à la peinture, au dessin et à la gravure, et si contraire à la photographie, supporte une conception élitiste et aristocratique de l’art, antagoniste à ce que pourrait être l’utopie d’une vision démocratique, égalitaire, du monde et des choses39. » Car, à l’inverse du peintre qui sélectionne les plus beaux détails pour effacer les autres, « comme le soleil, la photographie ne hiérarchise pas, son regard sur le monde est démocratique : toutes les choses sont égales pour elle40 ». Dès 1890, le flou des premiers pictorialistes a pour ambition de contrer le caractère démocratique de la photographie. Ils cherchent à instaurer de la hiérarchie dans cette représentation photographique a priori si égalitaire.
27Avec la démocratisation grandissante au xxe siècle de la pratique photographique, la bataille des pictorialistes se poursuit et se transforme. On peut facilement supposer que le flou devienne un enjeu d’autant plus important qu’il demeure le seul bastion à défendre pour garantir l’exception sociale à laquelle ils s’étaient habitués, comme une sorte de village gaulois au sein d’une pratique photographique toujours plus répandue. Sous cet angle, il est possible de formuler l’hypothèse – plutôt que d’une naïveté de la part des pictorialistes face à un flou idéaliste, mais impossible – de la nécessité que ce même flou demeure techniquement inatteignable. Face à des procédés désormais accessibles à tous, l’impasse technique et esthétique dans laquelle les pictorialistes persistent à s’enfermer leur garantit paradoxalement l’absence de concurrents. Plutôt qu’un échec esthétique, on peut aussi envisager leur flou idéaliste comme un dernier repli de survie, et même imaginer qu’ils trouvent un intérêt à ce que leur quête incessante pour parvenir au « bon » flou n’aboutisse pas. En donnant à leur recherche un caractère éminemment compliqué et difficile, ils se positionnent comme les garants d’une photographie élitiste, dont le flou inatteignable assure de ne pouvoir être surpassé. Les questions techniques auxquelles leur quête impossible les confronte, les distinguent d’emblée de la masse des amateurs qui pratiquent la photographie sans avoir ni le temps ni l’intérêt d’en connaître les procédés. Avec un flou idéal et promis, mais pourtant techniquement impossible, ils peuvent se penser appartenir à une élite de happy few, qui seule détiendrait les clés d’un secret encore non dévoilé, et ils se donnent, ainsi, la certitude de ne pouvoir être égalés.
28Pierre Bourdieu a montré dans son ouvrage sur cet « art moyen » que les attitudes que les individus ont face à la photographie expriment aussi les rapports qu’ils entretiennent avec leur propre classe sociale et les autres classes41. Pour lui, la banalité de la photographie au sein de la société, ainsi que sa transversalité dans un grand nombre de catégories sociales, en font un objet d’analyse particulièrement pertinent pour observer les stratégies de distinction sociales des individus :
« Rien n’est moins rare que la photographie puisqu’il existe des appareils à bon marché et de manipulation facile et que l’inclination (et pas seulement l’aptitude) à en user n’est pas le produit d’un apprentissage ou d’une éducation. […] C’est ainsi que la photographie fournit une occasion privilégiée d’observer la logique de la recherche de la différence pour la différence, ou, si l’on veut, du snobisme qui vit les pratiques culturelles non point en elles-mêmes et pour elles-mêmes, mais comme une forme du rapport avec les groupes qui s’y adonnent42. »
29Son étude s’applique à la société des années 1960, mais l’on peut se permettre d’appliquer certaines de ces idées à l’entre-deux-guerres, tant les progrès techniques et l’accès toujours plus large à cette pratique font alors de la photographie un objet, si ce n’est encore banal, du moins très répandu.
30Dans cette recherche de la différence, le flou s’offre comme un outil extraordinairement fécond, car il peut être investi de valeurs différentes en fonction des individus qui le produisent ou le perçoivent. Pour les pictorialistes, tout l’enjeu se focalise sur le flou, en raison de son lien à la tradition picturale, de sa valeur « anti-photographique » qu’ils recherchent pour éloigner leurs œuvres du vulgaire document. La nécessité de lui donner une forme idéalisée et inatteignable – comme un Graal qu’eux seuls pourraient trouver – semble d’autant plus importante que, dans les années 1920, le « flou artistique » séduit de plus en plus d’amateurs soucieux d’ajouter un effet esthétique à leurs productions. Le modèle du flou pictorialiste attire l’attention de photographes qui, auparavant, ne s’y intéressaient pas, soit parce qu’ils ne l’appréciaient pas, soit parce qu’ils ne s’en estimaient pas à la hauteur. Tout en donnant du crédit au flou pictorialiste, le succès grandissant du « flou artistique » le met aussi en danger : il en devient la forme vulgarisée, et tend par conséquent à le discréditer.
Années 1920 : « flou artistique »
31En 1931, la revue L’Instantané – qui s’adresse à « tout amateur photographe » estime que le « “flou artistique” […] était la grande révélation vers 192143 ». L’expression en même temps que la catégorie esthétique qu’elle désigne prend en effet de l’importance au début des années 1920. L’article que G. Underberg publie en 1926 dans Art et photo témoigne de la nécessité de différencier le « bon » flou du « mauvais » flou. Mimant l’attitude de l’amateur débutant, il écrit : « “Moi aussi je vais faire des œuvres d’art”, se dit-il… “Je veux épater la galerie…” Et le voilà qui aborde tous les sujets les plus difficiles, les contre-jours, les éclairages frisants… Il se lance dans le flou artistique, ou du moins qu’il croit tel ; n’a-t-il pas lu et relu que le flou était artistique44 ? » Son texte montre l’évidence d’un flou devenu le « truc » de base pour faire de l’art ; en conséquence, il encourage le débutant à apprendre la technique pour faire, ensuite, un flou véritablement artistique.
32Le combat des pictorialistes dans les années 1920 renforce l’existence du « flou artistique » comme catégorie esthétique à part entière. On l’observe dans La Revue française de photographie et de cinématographie : plus encore qu’auparavant, le « flou » devient l’équivalent exact du « flou artistique », en dehors duquel il ne peut être pensé. L’expression apparaît souvent avec une majuscule, en italique ou entre guillemets, de manière à marquer la catégorie esthétique bien précise qu’elle désigne45. De 1922 à 1930, le terme « flou » est utilisé seul ou en association avec l’adjectif « artistique » de manière complètement indifférenciée, qu’il s’agisse d’articles ayant pour titre « Le flou artistique46 », « Nouveau procédé pour obtenir le flou artistique47 » ou « Le flou artistique en agrandissement48 ». L’expression devient, pour ainsi dire, « consacrée », et se prête par conséquent à la vulgarisation et à la simplification des idées pictorialistes. Le « flou artistique » désigne dès lors communément une façon d’ajouter un effet pour donner au tirage une esthétique assimilée à de l’art.
33La revue Art et photo donne d’ailleurs des conseils aux amateurs sur le « flou artistique ». La première recommandation donnée aux « débutants photographistes » demeure, dans un premier temps, « de ne plus avoir de clichés flous49 », car ils constituent toujours l’une des premières difficultés techniques à surmonter. En 1925, il s’agit de leur apprendre à contraster les fonds : « Évitez de prendre des portraits ou groupes avec le ciel comme fond, surtout lorsque celui-ci est clair. Il se produit généralement dans ce cas, un halo qui donne aux têtes un certain flou et un manque de vigueur50. » En 1927, la leçon se porte sur la photographie nocturne et l’importance d’une prise de vue sans mouvement : « Pour les longues poses nocturnes, il faut veiller avec un soin particulier à la stabilité de l’appareil ; s’il est monté sur un pied, que celui-ci soit de bonne qualité, car sans cette précaution le vent vous révélerait son existence par des flous désastreux51. » Dans un deuxième temps, dès lors que ces instructions élémentaires sont assimilées, il est aussi souvent conseillé d’« obtenir de petits effets artistiques en donnant un peu de flou à l’image52 ». On apprend en effet aux lecteurs que « quelquefois le flou donne un cachet artistique recherché de certains amateurs53 ».
34Dans diverses revues, comme le Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie ou L’Informateur de la photographie, le « flou artistique » apparaît comme une catégorie suffisamment évidente et simple à comprendre pour être mentionnée sans autre forme d’explication. On trouve ainsi des articles sur différents dispositifs qui se prêtent « admirablement à l’obtention du flou artistique54 », sur « un procédé de “flou artistique”55 » ou des textes donnant une grande importance au « flou artistique56 » dans le cas par exemple des agrandissements. Suivant la tradition issue du xixe siècle, le flou artistique apparaît particulièrement important dans le genre du portrait. « Pendant la pose, le fond sera maintenu en mouvement léger pour éviter la netteté des dessins ou ramages de la toile ; ils seront ainsi invisibles, formant un flou artistique qui fera détacher le sujet57 », explique-t-on encore dans Art et photo en 1926.
Portrait professionnel
35L’expression, si elle est directement liée au pictorialisme, rappelle surtout la pratique commerciale qui se répand dès le début des années 1920 dans les studios de portrait. Le sujet fait l’objet de recherches et d’exposés, notamment en Grande-Bretagne avec la conférence donnée à Londres par Charles Aylett en 1922 sur « les effets spéciaux d’éclairage dans le portrait, et le flou dans le portrait professionnel58 » et rapportée dans L’Informateur de la photographie. En France, l’esthétique se développe notamment chez les frères Gaston et Lucien Manuel, qui ouvrent leur studio en 1919 à Paris (fig. 20). Elle devient rapidement la formule élémentaire du portrait et la renommée des célébrités qui s’y soumettent contribue à la faire connaître59. Afin d’idéaliser le modèle, les yeux, le nez et la bouche de ce dernier sont légèrement accentués avec plus de précision, alors que le reste du visage et du corps se dissipent dans un flou qui tend à confondre leurs contours avec le fond. Plusieurs studios ouvrent dans les années 1920 – en particulier ceux de Boris Lipnitzki en 1921 et d’Henri Martinie, actif entre 1920 et 1940 (fig. 21) – avant la création en 1934 du studio Harcourt, qui s’inspire alors largement de ce style désormais associé au « flou artistique ». Comme le raconte Christian Bouqueret, malgré la rupture de cette esthétique par certains studios – comme celui de Lucien Lorelle –, « des ateliers spécialisés dans le flou artistique continueront à prospérer tels Lipnitzki, Alban, Rudomine, le studio Mandel et coexisteront jusque dans les années 1940, répondant ainsi au goût que le large public se faisait du portrait photographique : un portrait édulcoré, retouché, enveloppé de nimbes60 ».
Fig. 20. – Studio G. L. Manuel Frères, Portait d’Auguste Béhal, vers 1920.
Photographie positive montée sur carton, 27,5 × 20 cm. Paris, Ville de Paris/Bibliothèque de l’hôtel de Ville/Studio G. L. Manuel frère.
Fig. 21. – Henri Martinie, Paul Valéry, vers 1925.
Épreuve gélatino-argentique, 21,5 × 16 cm.
© Henri Martinie – collections Photo Elysée.
36À partir des années 1930, bien que moins utilisé par les amateurs et les artistes, le « flou artistique » constitue une catégorie totalement intégrée au vocabulaire photographique. Les fabricants continuent à créer des objectifs dédiés à cet effet, en particulier pour le portrait, comme « l’objectif SOM Berthiot “Colors” étudié par le docteur Polak et spécialement employé pour le “Flou artistique”61 » présenté en 1932 à la IXe Exposition consacrée au commerce et à l’industrie photographique, Porte de Versailles. Apprécié ou non, le « flou artistique » figure parmi les possibles photographiques et n’en sera plus exclu jusqu’à l’époque contemporaine. Un manuel de 1950 consacre par exemple un chapitre entier aux « images à “flou artistique” », qui impliquent le « contrôle du degré de flou » grâce à l’emploi d’objectifs spéciaux et d’« écrans de flou62 » utilisés pour adoucir l’image. En 1994, l’expression figure dans la définition lexicale du « flou » pour désigner un effet recherché : « Flou. Manque de netteté de l’image, provenant soit d’une mise au point défectueuse à la projection, soit d’un effet délibéré à la prise de vue (flou artistique)63. »
37Cette inscription du « flou artistique » dans le vocabulaire stylistique de la photographie n’empêche pas, dans le courant des années 1930, un rejet de plus en plus marqué de cette esthétique. On constate en particulier ce désintérêt dans la revue L’Instantané : elle délaisse progressivement l’expression « flou artistique » pour revenir au simple « flou », qui désormais pourra exprimer positivement de nouveaux éléments visuels, en particulier la vitesse. En 1935, Marcel Natkin rappelle l’importance historique du photographe pictorialiste, l’associant pleinement à la création du « flou artistique » caractéristique du portrait. Il n’en exprime pas moins l’aspect dépassé de cette esthétique : « Accentuant certains détails au détriment d’autres, arrivant par la retouche à ces contours vagues, à ces détails mal définis, il obtint le “flou artistique” qui a donné le jour à nombre de portraits en vogue, il n’y a pas encore si longtemps64. » En 1938, narrant la préparation du film Partie de campagne réalisé en 1936 par Jean Renoir, l’acteur Jacques Brunius raconte qu’ils avaient « décidé de renoncer aux subtilités du flou artistique genre Manuel frères, décidé que les visages des acteurs ne seraient pas de guimauve65 ».
38Dans les années 1930, l’excès que suppose le « flou artistique » laisse progressivement place à une position médiane qui se résume dans la formule « flou-net ». Dans La Revue française de photographie et de cinématographie on explique en 1932 :
« La grande querelle des “flouistes” et des “nettistes” devait évoluer vers un compromis qui est encore à la mode et qu’on a baptisé du nom assez exact de “flou-net”. Le principe de différenciation de la netteté des plans étant conservé et le relief ainsi assuré, on donne une certaine enveloppe à l’image jugée trop sèche autrement et on y arrive par divers procédés66. »
39Les techniques du « flou-net » reprennent celles que les pictorialistes avaient déjà proposées pour estomper les images positives, notamment en mettant un filtre (plaque de verre dépoli ou tissu à mailles fines) sur le papier sensible ou en modifiant la mise au point au moment de la pose. Dans L’Instantané, on vante en 1935 les mérites de l’objectif Opale, « anastigmat spécialement étudié pour le flou-net67 », et l’on annonce les cours donnés par la Société française de photographie pour enseigner aux amateurs le « flou-net68 », notamment en 1937 et 1938. Bien qu’elle fasse référence à des procédés similaires à ceux utilisés pour obtenir le « flou artistique », la formule « flou-net » se donne comme plus technique et moins entachée d’excès et de superficialité. En 1942 pourtant, le but avoué du « flou-net » correspond encore à celui que s’étaient donné les pictorialistes : on l’applique toujours aux épreuves « afin de rapprocher leur aspect de celui des tableaux69 ».
Ambivalence des experts
40Dans les années 1920, l’institution du « flou artistique » comme catégorie crée un pont entre l’art pictorialiste et les amateurs, qui en usent parfois pour se distinguer au sein de leurs propres sphères culturelles. L’histoire récente de la photographie a montré l’importance de distinguer les différentes catégories d’amateurs qui émergent au tournant du xxe siècle. Dans son ouvrage sur Jacques Henri Lartigue, Kevin Moore en décrit trois : les « esthètes » – c’est-à-dire les pictorialistes dont on a déjà vu les particularités –, les amateurs « avertis » et les amateurs « de masse70 ». Clément Chéroux a quant à lui consacré une étude à deux types d’amateurs : les « experts » – qui correspondent aux photographes « avertis », dont les pictorialistes constituent un groupe particulier – et les « usagers71 », c’est-à-dire les photographes du dimanche. Si le rapport des « esthètes » au flou paraît relativement clair – mais il faudrait étudier les différences individuelles au sein du groupe pictorialiste afin de mieux préciser encore son rôle dans le jeu de la distinction –, il est plus difficile d’appréhender celui qu’entretiennent les experts et les usagers, car le flou ne constitue pas, pour eux, un point central d’argumentation. Il paraît pourtant important d’en tracer les grandes lignes, afin de saisir la richesse du point de vue qu’offre le flou pour observer l’histoire de la photographie et ses différentes pratiques.
41Dans leur rapport au flou, les « experts » apparaissent comme les amateurs les plus ambivalents et les plus susceptibles d’évolution et de changement. Cherchant sans cesse à se perfectionner, ils fréquentent les photo-clubs et lisent la presse spécialisée. Passionnés de techniques, ils cherchent à maîtriser leurs appareils photographiques aussi bien que les professionnels. Au contraire de ces derniers, ils n’en font pourtant pas leur métier, mais leur principale passion distractive. En 1967, un auteur qui se définit comme un « vieil amateur » donne une description de « l’amateur photographe averti » :
« [D]ifférent du “photographe du dimanche” aussi bien que du professionnel, [il] ne cherche dans la photographie que des satisfactions intellectuelles et affectives, à l’exclusion de tout but lucratif. […] L’ambition constante de cet amateur est de progresser sans cesse, de porter ses connaissances à un degré de perfection tel qu’il pourra dans toutes les circonstances les confronter à n’importe quelles autres, même s’il s’agit d’un partenaire dont c’est le métier72. »
42En raison de leur intérêt intense pour la technique, la position des amateurs « experts » et « avertis » constitue un bon indicateur de la manière dont le flou est perçu et reçu selon les époques. Généralement opposés au flou à la fin du xixe siècle, ils deviennent dans les années 1920 de plus en plus sensibles au « flou artistique », évolution qui s’explique par des facteurs tant techniques que culturels.
43Parmi les « experts », présents dès l’invention de la photographie, coexistent plusieurs tendances, dont celle du pictorialisme étudié plus haut. Les membres de cette dernière mis à part, les experts aiment en général l’instantané, la photographie excursionniste et les jeux photographiques73. Très bons connaisseurs des procédés, la plupart des amateurs « experts » du tournant du xxe siècle ne pratiquent pas une photographie archaïque et « dégénérée » – comme le font les pictorialistes. Leurs sujets ne se limitent pas au répertoire classique de la peinture comme le paysage et le portrait, mais s’ouvrent à d’autres possibilités, qu’il s’agisse de sport, de feux d’artifice ou d’autres loisirs. Le flou, pour eux, constitue d’abord un défaut technique à éviter et à corriger. Selon Kevin Moore, s’aventurer sur le terrain du flou, tel que les pictorialistes l’envisagent, les mettrait même en danger au sein de leur propre groupe, qui pourrait critiquer leur prétention à être un esthète : « [C]eux-ci risquent de s’exposer au ridicule à vouloir outrepasser les frontières de leur catégorie sociale d’origine en essayant de produire des photographies artistiques. “Faire le monsieur” : voilà l’accusation que la plupart des amateurs avertis veulent à tout prix éviter74. »
44Dans les différents manuels de photographie de la fin du xixe siècle, la netteté du cliché apparaît ainsi le plus souvent comme une qualité évidente à rechercher. Albert Londe, très estimé de cette classe d’amateurs, pense en effet que la « photographie moderne » requiert « toute la perfection technique, surtout en ce qui concerne la netteté75 ». Émile Giard, qui écrit en 1896 les Lettres sur la photographie spécialement écrites pour la jeunesse des écoles et les gens du monde, considère quant à lui que la première qualité du médium est sa capacité à révéler des détails insoupçonnés à l’œil nu76. Le flou, pour ces amateurs, se révèle vraiment intéressant dans deux situations seulement, à commencer par la représentation du mouvement et de la vitesse, à laquelle deux chapitres seront consacrés plus loin. En effet, comme le rappelle Clément Chéroux, l’amateur expert se tourne « vers les sujets rapides et mobiles, parce qu’ils sont avant tout l’occasion d’éprouver sa maîtrise photographique77 ». Il recherche en outre le flou pour adoucir l’arrière-plan, dans un souci de réalisme. Émile Giard estime par exemple que « la vérité demande avant tout l’importance bien accusée des premiers plans, puis le flou progressif de la profondeur, abstraction faite des meilleures conditions de pureté atmosphérique78 ». Il concède que les négatifs obtenus avec un appareil sans objectif – que les pictorialistes pour leur part affectionnent – « ont un flou qui ne manque pas d’un certain cachet artistique », mais il insiste surtout sur l’inintérêt du sténopé : « [C]e n’est guère le desideratum des amateurs, et je n’en fais mention qu’à titre de curiosité79. »
Photographie récréative et spirite
45Le flou n’est pas plus admis dans la pratique la plus récréative de la photographie, à laquelle les amateurs s’adonnent souvent et dont on connaît aujourd’hui l’importance dans l’histoire de la photographie et des avant-gardes en particulier80. Cette photographie implique des expérimentations tant dans le domaine technique que dans celui de la prise de vue : surimpressions, tirages sur des matières inhabituelles comme des tissus ou des coquilles d’œufs, expositions multiples et déformations photographiques de tous genres (par exemple avec des miroirs, des points de vue inhabituels et des objectifs à courte focale). Tout en impliquant une grande connaissance technique – au point, selon Clément Chéroux, d’être un moyen d’instruction ludique pour les amateurs –, cette pratique s’amuse des règles et en joue volontairement. Pour ces amateurs de la fin du xixe siècle et du début du suivant, le jeu, qui offre pourtant l’espace de liberté le plus important, ne suffit pas à éliminer la résistance et le refus du flou. Les deux ouvrages principaux qui visent à guider l’amateur dans le divertissement photographique ne mentionnent en effet le flou que comme un défaut à éviter. Dans Les récréations photographiques d’Albert Bergeret, le terme n’est utilisé qu’une seule fois : l’auteur prévient les photographes que l’atmosphère de l’air ne suffit pas à excuser l’éventuel flou produit dans les prises de vue lointaines81. Charles Chaplot, qui publie en 1904 son ouvrage sur La photographie récréative et fantaisiste, condamne également le flou dans toutes les situations, qu’il s’agisse de la photographie rapprochée de fleurs, de la photographie de paysage ou de nuit82.
46Chaplot ne l’admet que pour le cas très spécifique de la photographie spirite, qui est initiée en France par Édouard Isidore Buguet. En 1874, ce photographe tente résolument de tromper son public en réalisant des surimpressions qu’il fait passer pour des preuves de l’existence de spectres. Il est accusé et condamné pour fraude l’année suivante. Cette pratique intéresse pourtant les amateurs experts qui s’en inspirent pour jouer avec la fascination et l’imaginaire suscités par les fantômes83. Les trucs pour rendre le meilleur effet sont ainsi donnés aux photographes qui souhaitent tenter l’expérience. Le flou y trouve une place spécifique, puisqu’il fonde, par son aspect indistinct et vaporeux, la matière même que l’on attribue à l’occulte (fig. 22). Parmi les conseils de Chaplot aux amateurs, il ne paraît en effet recommandable que dans ce cas précis :
« On fait poser le spectre à la place qu’il occupera dans la scène. Il faut avoir soin de marquer son contour sur la glace dépolie au moyen d’un crayon. Quand il a été mis au point, on change un peu ce point pour avoir du flou ; on diaphragme fortement, et on tire au moyen d’un éclair faible de magnésium. De cette façon, on obtient sur la plaque une trace suffisante de spectre84. »
Fig. 22. – Anonyme, Photographie spirite (médium et spectre de femme), vers 1910.
Aristotype au collodion, 14 × 9,8 cm. Paris, musée d’Orsay.
© RMN – Grand Palais, Hervé Lewandowski.
47Pour les experts, le flou constitue bien une supercherie, dans tous les sens du terme : leurre d’artiste dans le cas de la photographie pictorialiste, il est une escroquerie pour celui qui serait tenté de faire croire aux spectres qu’il feint de photographier.
Le flou comme effet secondaire
48L’erreur que constitue le flou aux yeux des amateurs experts ne leur permet pas de reconnaître que nombre d’images qu’ils produisent en comportent pourtant, mais d’une autre nature que le flou pictorialiste. Dans le cas de la photographie récréative, leurs expérimentations de prises de vue en plongées ou en contre-plongées donnent à voir des flous marqués dans les premiers plans, de même que les nombreuses images déformées d’où transparaît un flou inévitable. Plusieurs photographies de Jacques Henri Lartigue – dont Kevin Moore a montré la filiation, par son père, à la tradition des amateurs experts85 – sont à ce titre intéressantes : on y voit surtout des flous de bougé et de mouvement (fig. 23) – sur lesquels nous reviendrons dans un autre chapitre – mais aussi des flous liés à de premiers plans très rapprochés. Selon Kevin Moore, ils ne peuvent être considérés comme des erreurs techniques et témoignent d’une recherche, ou du moins d’un jeu photographique. L’intérêt des amateurs ne semble pas porté vers le flou, mais bien vers le jeu et l’expérimentation, dont il résulte – mais comme effet secondaire seulement.
Fig. 23. – Jacques Henri Lartigue, Villa Les Marronniers, Châtel-Guyon, 1905.
Photographies J. H. Lartigue.
© ministère de la Culture (France), MPP – AAJHL.
49Surtout, on mesure à quel point le flou constitue un signe ostentatoire d’appartenance sociale. On pourrait presque le comparer aux signes vestimentaires – comme auparavant la lavallière – qui étiquettent d’emblée un individu. Tant l’usage du flou que de la netteté classe les auteurs dans des catégories sociales bien définies. Ils constituent des indices sur la façon dont les photographes souhaitent qu’on les perçoive socialement et sur la lecture qu’ils veulent qu’on fasse de leurs images. Pour Pierre Bourdieu, la difficulté pour les artistes photographes réside dans la manière d’indiquer dans la photographie elle-même son statut d’œuvre d’art, afin d’éviter qu’elle ne soit perçue au même niveau que la masse des photographies produites :
« La façon même dont les esthètes présentent leurs photographies témoigne d’efforts divers pour les donner comme spécifiques et susciter par-là, chez le public, des attitudes différentes de celles qu’il adopte d’ordinaire. Ainsi le choix d’un format particulier, la présentation de photographies collées sur bois, la destruction des négatifs pour donner au cliché l’“aura” d’œuvre unique, le choix enfin de sujets exceptionnels, qu’il s’agisse de sujet “insignifiants” ou de sujets nobles ou poétiquement valorisés, n’ont pas d’autre but que de souligner l’étrangeté des photographies et, par-là, de susciter une lecture elle-même exceptionnelle86. »
50Pour les pictorialistes, le flou est un moyen de souligner l’exceptionnalité de leurs œuvres, alors que vers 1900, les amateurs experts s’en éloignent justement – sauf dans les quelques cas mentionnés – pour éviter de se distinguer trop fortement de leur groupe.
51Après la guerre, dans les années 1920, le rapport au flou des amateurs experts se transforme. On le constate particulièrement bien dans le Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie de Paris, publié de 1897 à 1935. Le terme n’est pratiquement jamais mentionné au xixe siècle et apparaît de manière très sporadique pendant la première décennie du xxe siècle. L’excès et l’exagération qu’il suppose se manifestent alors assez clairement : on parle des « fanatiques du flou87 », on précise ne pas être « un ennemi du flou88 » tout en recommandant une précaution extrême dans son traitement, on se « désol[e] à la pensée d’obtenir du flou89 ». Au cours de la décennie suivante, le terme n’apparaît qu’une seule fois en 1914, mais il refait surface avec plus de force entre 1924 et 1930 avec une occurrence de deux à cinq fois par année90. Dès lors, il est presque toujours associé à l’adjectif « artistique », ce qui n’est jamais le cas avant 1923. Cela coïncide, en février 1924, avec la nomination à la présidence de la Société d’excursions des amateurs de photographie de Paris, d’Henry Bourée, grand partisan du flou artistique.
52Dans les années 1920, les amateurs experts partagent leurs loisirs entre le cinéma, le théâtre et la photographie. Influencés par les portraits de personnalités réalisés dans les studios professionnels avec du « flou artistique », ils constituent la plus grande partie du lectorat des magazines, tant généralistes que spécialisés dans la photographie, et s’imprègnent par conséquent de toutes ces influences. En 1930 encore, un article vante les moyens les plus élémentaires de produire du flou dans la revue L’Instantané qui s’adresse à « tout amateur photographe » :
« Puisque la mode est au flou, sacrifiez à la mode et tâchez de serrer de près la vie dans une raisonnable imprécision. Cela se réalise soit par la mise au point, soit par des trucs ou des procédés. Nous avons établi des œuvres d’art ou estimées telles, par exemple, en agitant un peu l’appareil sur son pied ; point trop toutefois, ce qui superposerait, sans agréable relief, les visages du même individu ; d’autres effets de vaporeux modelage, en voilant d’une gaze légère l’objectif91. »
53Au cours des années 1920, le « flou artistique » imprègne considérablement le contexte visuel dans lequel baignent les amateurs avertis, qu’il s’agisse des portraits de studio ou du cinéma d’avant-garde, abordé plus loin. Ils lisent les revues, fréquentent le théâtre et le cinéma, et sont confrontés aux portraits d’acteurs et de personnalités diverses. En outre, le bouleversement économique provoqué par la guerre brouille les catégories sociales, de sorte que le flou artistique auparavant interdit à l’amateur averti, car hors de sa portée sociale, lui devient progressivement accessible. L’importance grandissante du flou artistique dans différents domaines dans les années 1920 met en danger les pictorialistes. Ces derniers redoublent d’efforts pour trouver un flou idéal et ainsi se distinguer des experts qui, pour leur part, se satisfont des techniques à leur disposition sans véritablement chercher à les améliorer. La distinction des pictorialistes passe aussi par la quête d’une excellence idéaliste qui leur permettrait de dépasser un flou artistique devenu presque banal.
Inconsistance des usagers
54La troisième catégorie d’amateurs – les usagers – témoigne d’un rapport encore différent au flou. Elle apparaît avec la première démocratisation de la photographie, qui suit vers 1890 la diffusion de la plaque sèche et du procédé au gélatino-bromure d’argent. Au début du xxe siècle, elle regroupe les « amateurs du dimanche » qui évoluent dans le cercle familial et qui ne se rassemblent pas dans des associations. Plus que pour l’art, le jeu ou l’expérimentation technique, ils pratiquent la photographie pour sa valeur de mémoire et de souvenir. Pour cet amateur, une bonne photographie est celle qui rappelle le mieux la personne ou le moment vécu. En 1926, la revue Cinéa explique : « Vous possédez à peu près tous un appareil. Qu’en faites-vous ? Portraits de famille, panoramas, scènes gaies ou pittoresques, souvenirs de vacances, etc. La photo critérium sera celle qui fera s’exclamer devant un portrait : “Comme c’est lui, l’on dirait qu’il vit”. Ou devant un paysage. “C’est bien cela, l’on distingue tous les détails”92. »
55L’usager perçoit a priori le flou comme un défaut de base, et les photographies qui en comportent comme des ratés. Il ne s’intéresse pas pour autant à la technique, car pour lui, comme le rappelle Clément Chéroux, « l’enregistrement du bon moment prime sur la prouesse opératoire93 ». Sans préoccupation esthétique, il ne porte pas non plus d’intérêt au flou pictorialiste. L’usager est le public cible de la firme Kodak, qui dès 1888 se vantait de permettre au photographe de ne faire qu’appuyer sur le bouton, alors que l’entreprise se chargeait du développement et du tirage. Là où l’expert cherche des sujets qui lui permettent d’éprouver ses capacités techniques – comme des objets en mouvement ou lointains –, l’usager revient au sujet photographique en tant que tel.
56Le manque d’éducation technique, sous tous ses aspects, caractérise surtout l’usager. Au contraire des amateurs experts, les bases esthétiques des usagers n’évoluent presque pas au fil du temps. La recherche artistique n’est pas leur priorité et ils restent par conséquent relativement imperméables à l’évolution stylistique de l’art photographique. Leurs principes se limitent aux notions élémentaires de l’utilisation d’un appareil et les règles auxquelles ils se plient sont très semblables, que ce soit au début du xxe siècle, en 1920 ou en 1960. Les fautes photographiques de base qu’ils cherchent à éviter, n’évoluent pas beaucoup du xixe siècle à l’époque contemporaine : le flou, le sujet mal cadré ou l’objet involontaire incorporé dans l’image demeurent, de tout temps, des défauts94. En 1965, Pierre Bourdieu rappelle au sujet des photographes usagers de son époque, que leur éducation photographique se limite en général au mode d’emploi de leur appareil et aux conseils des autres usagers. Ne connaissant rien des procédés photographiques, du développement et des méthodes pour tirer les épreuves, l’usager n’est pas non plus instruit sur les possibilités techniques qu’offre la photographie :
« [I]l est vrai […] que les principes élémentaires de la technique populaire, véhiculés par les marchands ou les autres amateurs, consistent surtout en interdits (ne pas bouger, ne pas tenir l’appareil obliquement, ne pas photographier à contre-jour ou dans de mauvaises conditions de luminosité) qui sont généralement confirmés par l’expérience en raison de la mauvaise qualité des appareils utilisés et du défaut de compétence technique. […] Une autre esthétique pourra rechercher intentionnellement les images floues ou bougées que l’esthétique populaire rejette comme maladroites ou manquées95. »
57Pour l’usager, le flou est bien un défaut à éviter, mais ses connaissances techniques sont si limitées qu’il n’est en mesure ni de tenir un discours à son sujet – au contraire des experts – ni, la plupart du temps, de l’éviter – ce que la maîtrise technique des experts leur permet de faire. Dans les revues, on constate que les professionnels et les amateurs avertis s’agacent régulièrement de l’inculture des usagers. Le flou apparaît à leurs yeux comme l’erreur la plus irritante, non seulement parce qu’il s’agit d’une forme qu’ils tentent de maîtriser depuis près d’un siècle, mais aussi parce qu’elle porte le discrédit sur la technique photographique. Dans les années 1920 et 1930, les articles se multiplient pour dénoncer la bêtise des usagers incapables de bien manier leurs appareils et qui, en outre, reprochent à leur matériel d’être inadéquat, sans se rendre compte qu’ils ne savent pas s’en servir. Le flou devient le lieu d’une lutte des classes qui divise les photographes éduqués des amateurs ignorants, les premiers cherchant à se différencier des seconds de manière à éviter toute confusion entre eux. Les professionnels et les experts s’appliquent aussi à valoriser la création photographique pour repousser le discrédit, a priori, porté sur une technique mécanique, généralement jugée hors du champ artistique. En produisant du flou et en accusant leurs appareils de ce défaut, les usagers mettent en danger la reconnaissance du médium, car ils font croire à une technique inaboutie et sans valeur.
58Le bougé, plus que le flou de mise au point, cristallise les crispations. Dès la fin du xixe siècle, et de manière de plus en plus prononcée dans les années 1920 et 1930, le mouvement constitue un enjeu de taille pour les experts et les professionnels qui cherchent à le capter. L’invention des petits formats renforce l’intérêt pour la photographie de la vitesse, notamment dans le sport, mais elle multiplie aussi les possibilités de bougés involontaires en raison d’appareils plus mobiles. Dans les revues, de nombreux textes montrent la manière dont les professionnels et les experts s’appuient sur le flou pour jeter le discrédit sur la pratique des amateurs du dimanche. En 1922, on raconte dans Les Potins de Paris l’histoire d’une vieille dame photographe « qui ne ménage pas ses conseils aux clients et que désole, comme un échec personnel, toute imperfection constatée dans les essais d’amateurs96 ». Le récit met en scène l’agacement de cette professionnelle face aux photographies que lui amènent trois hommes un peu arrogants et amateurs de corrida : « Plus fiers que d’Artagnan, ils déposent leurs bobines sur le comptoir et la dame y inscrit leur nom […]. Quand elle apporte les clichés développés, leurs dents se cachent. C’est un désastre… Tout est flou, tout est “bougé…”97. » Face au mépris de la photographe qui les rend responsables de ce flou, les trois amateurs se dérobent : « “Vous ne tenez pas votre appareil assez immobile !”, expliqua la dame. “C’est la vache qui a bougé !” répondent-ils en chœur. Et ils s’en vont en pestant98. »
59En 1931, le flou cristallise le même conflit entre experts et usagers. Dans La Revue française de photographie et de cinématographie, un auteur s’énerve du fait que les amateurs usagers font porter la responsabilité de leurs erreurs au matériel technique, alors même qu’ils ne savent pas s’en servir et qu’ils ne connaissent pas les bases élémentaires de la photographie :
« L’insuccès a toujours été la bête noire de l’amateur photographe. […] “Appuyez sur le bouton, nous ferons le reste”. Oui, mais cela n’empêche nullement le pauvre amateur inexpérimenté d’accumuler encore sottise sur sottise, moins nombreuses certes, puisque son travail personnel se trouve réduit considérablement, n’ayant plus à s’occuper que de la prise de vue. Malheureusement pour lui, cette prise de vue a une importance capitale et son influence sur le résultat final est telle qu’elle est capable de réduire à néant l’intervention habile du développeur et du tireur. […] En se donnant la peine d’examiner attentivement les insuccès, ainsi que leurs causes, on est étonné de constater que le facteur personnel joue un rôle autrement important que le facteur matériel. Cette ignorance des causes incite les amateurs, accablés sous le poids des insuccès, à accuser à tort appareil, produits, etc.99. »
60Pour expliciter son propos, l’auteur poursuit par un exemple d’« insuccès » qu’il trouve dans le flou et qui constitue manifestement pour lui la faute la plus classique de l’usager :
« En veut-on un exemple typique ? Un amateur constate que ses clichés présentent un flou extrêmement désagréable, flou ne pouvant provenir d’une erreur de mise au point, l’appareil étant à mise au point fixe [sic]. Soyez persuadés qu’il est convaincu de la défectuosité de son appareil ou plutôt de l’objectif “qui ne donne pas net”. Pensera-t-il un seul instant qu’il pourrait bien être la cause de ce flou ? Il pratique couramment l’instantané sans se munir d’un pied, ignorant que son coup de pouce brutal secoue l’appareil à l’instant précis où la plaque reçoit son exposition, courte, c’est possible, mais encore trop prolongée pour qu’elle puisse supporter sans dommage un ébranlement provenant de la main ou de l’ensemble du corps, ébranlement se traduisant sur la surface sensible par une image floue100. »
61La même colère à l’encontre de l’usager et de son incompréhension du flou de bougé est exprimée, en 1931 également, dans L’Instantané :
« Le débutant ayant bien suivi nos conseils ou ceux du manuel joint à l’appareil qu’il aura acheté ou reçu, c’est-à-dire : ouvert l’appareil avec soin, bien cadré l’image dans le viseur, fait la mise au point, vérifié la distance, la vitesse de l’obturateur, l’ouverture du diaphragme et le parfait aplomb, verrait tout cela rendu inutile par un malheureux coup de doigt trop nerveusement donné ? Hélas ! Le seul fait de bouger même imperceptiblement l’appareil au déclenchement rend toute l’image floue ! […] Je ne me lasserai pas de revenir sur l’attention qu’il faut apporter dans l’exécution et la manœuvre des appareils photographiques […]. Le lecteur qui m’écrit que son appareil lui donne d’excellents résultats, mais que certaines fois l’image est complètement floue ou toute noire, je le prierai de faire son examen de conscience101. »
62Le perfectionnement du matériel photographique qui se fait tout au long du xxe siècle ne modifie pas ce rapport inculte de l’amateur usager au flou. Malgré des appareils toujours plus automatiques, cette erreur de base persiste à discréditer l’amateur aux yeux des spécialistes. En 1971, dans la revue Photographie nouvelle, le flou – de mise au point cette fois – donne à nouveau l’occasion de critiquer la méconnaissance des principes élémentaires de la photographie dont fait preuve l’amateur du dimanche :
« L’amateurus vulgaris, lui, met au point sur l’infini, d’office […] S’il songe à introduire un premier plan dans son image […], il obtiendra sur son épreuve un flou insupportable de son premier plan, flou qu’il n’aura pas vu dans le viseur, car ce n’est pas l’œil qui voit, mais le cerveau, lequel corrige les comptes rendus optiques de l’œil. Notre amateur rangera donc avec mélancolie cette mauvaise image dans le carton des photos ratées102. »
63Du manque complet d’éducation technique des usagers, autorisé par une industrie photographique toujours plus performante, résulte une sorte de retour du flou comme défaut. Là où le perfectionnement technique avait permis de le dominer, l’inculture des usagers le ramène sur le devant de la scène. Alors que près d’un siècle avait été nécessaire pour développer des objectifs adaptés, des appareils maniables, des émulsions qui permettent l’instantané, et, en particulier, de dominer le flou si gênant à la photographie, la démocratisation de la pratique opère un retour à des images « abîmées » par des flous non maîtrisés. Dans son ouvrage consacré aux erreurs photographiques, Clément Chéroux rappelle qu’« avec le développement de l’amateurisme à la fin du xixe siècle, la fréquence des erreurs augmente, occasionnant une très nette recrudescence des flous, des fantômes et des dédoublements, des films voilés ou abîmés103 ».
64Ce flou est en outre d’un tout autre type que celui des pictorialistes et du « flou artistique ». Celui produit par les amateurs esthètes et experts suit des principes artistiques très traditionnels ; il est le fruit de recherches assidues et d’une maîtrise technique importante. En outre, il peut être « réussi » ou « raté » en fonction de son intensité, de la place qu’il prend dans l’image, ainsi que de son subtil dosage avec les détails. Enfin, il est la marque de l’intention du photographe, qui a passé du temps à soigner cet aspect particulier de son tirage. Le flou des usagers ne s’apparente quant à lui à aucune volonté d’art. Jamais intentionnel, il n’est le résultat que du hasard et constitue une erreur. En outre, il est produit par une technique très basique, et non par des objectifs élaborés, des agrandissements travaillés ou des procédés compliqués.
65La grande nouveauté qu’amènent aussi les usagers réside dans l’intérêt secondaire qu’ils accordent au flou. Tant les esthètes que les experts ont un avis éclairé sur le sujet : ils défendent le flou ou le rejettent pour des raisons qu’ils sont capables de justifier et d’argumenter. Des articles et des ouvrages sont publiés tant par les uns que par les autres, dans lesquels le flou est toujours mentionné soit pour le ranger simplement du côté du défaut technique, soit pour apporter à son sujet un développement plus fourni et nuancé. De leur côté, les usagers ne tiennent pas au sujet du flou de discours qui leur est propre. Surtout, si le flou constitue bien un défaut à éviter, il n’est pas nécessairement rédhibitoire dans l’image, car la valeur affective de la photographie prime sur sa qualité formelle. Pour Clément Chéroux, l’album de l’usager « est empli de petits clichés, souvent flous ou mal cadrés. C’est le royaume du snapshot104 ». Il ajoute ailleurs que la « tolérance vis-à-vis du mauvais cliché d’un proche est encore renforcée par la rareté de ses représentations photographiques105 ». En somme, pour les usagers, la valeur affective de l’image et le lien du photographe au sujet priment sur sa force esthétique. Une erreur comme le flou paraît ainsi secondaire, d’autant plus que la photographie, dans les années 1920, n’est pas assez répandue pour permettre à n’importe quel cliché raté d’être remplacé. Au contraire de la technologique numérique, chaque photographie argentique implique le coût du négatif et de son développement, réduisant la liberté de refaire sans autre arrière-pensée une image pour la simple raison qu’elle ne correspond pas exactement aux attentes. En outre, le photographe amateur ne voit pas nécessairement le flou au moment de la prise de vue, puisqu’il doit attendre le tirage pour le découvrir, le poussant ainsi à conserver certaines images même légèrement ratées.
Les différents régimes du flou amateur
66Les différents régimes du flou existent depuis le xixe siècle, mais ils s’accentuent avec l’importance croissante de la photographie amateur. Les développements techniques, l’évolution de la société, la démocratisation de la photographie posent les bases d’un bouleversement profond du rapport au flou dans la photographie. Les années 1920 voient coexister, en parallèle, de nombreuses sortes de flous. Celui des pictorialistes est clairement assumé et revendiqué. Il s’inscrit dans la tradition de la mimêsis picturale et indique – voire défend – un élitisme de classe. Il émane en outre d’une recherche technique assidue et s’affiche comme profondément anti-photographique, c’est-à-dire comme un rempart à la prétendue pauvreté de l’image photographique de base.
67Les amateurs experts entretiennent un rapport plus complexe à ce flou « pictural ». S’ils le rejettent clairement au début du xxe siècle, ils admettent progressivement le « flou artistique » qui découle des recherches pictorialistes. Le principe de base d’une bonne image demeure néanmoins la netteté. En parallèle aux images qui incluent du « flou artistique » s’en dégagent d’autres, qui révèlent un autre type de flou, résultat de leurs jeux et de leurs expérimentations photographiques. Ces flous, souvent visuellement plus localisés que l’enveloppement pictorialiste, s’apparentent à des effets secondaires de cadrages expérimentaux ou d’instantanés d’objets en mouvement. Néanmoins, ceux-ci ne sont jamais assumés et recherchés comme tels par les experts ; ils semblent simplement découler de leurs différentes recherches formelles, sans que l’on puisse clairement définir si, malgré tout, ils l’apprécient ou non.
68Les usagers – photographes du dimanche – n’ont quant à eux aucun discours sur la photographie, et par conséquent sur le flou. Si ce dernier leur apparaît comme un défaut de base, leur inculture technique opère un retour du flou dans des images souvent ratées, mais qu’ils apprécient néanmoins pour leur valeur sentimentale. Avec eux, la crispation des débats qu’engendre le flou perd de son intensité, car il devient un critère de jugement secondaire par rapport à l’affection du photographe pour son sujet. On peut donc même imaginer que le flou, comme erreur, puisse apparaître comme attachant, par sa simple association avec le moment vécu ou la personne photographiée. En outre, dans cette pratique amateur, le flou est le résultat du hasard ; il n’est jamais recherché, mais il se trouve être là, sous des formes très variées.
Notes de bas de page
1 À ce sujet, voir notamment Poivert Michel, « Robert Demachy, un photographe entre deux modernités », in La Banque Seillière-Demachy, op. cit., p. 197-211.
2 Le pictorialisme se poursuit jusque dans les années 1930, voire 1950, notamment en France, en Italie et en Belgique. À ce sujet, voir notamment Faure-Conorton Julien, Visions d’Artistes : photographies pictorialistes, 1890-1960, cat. expo., Cabourg/Chalon-sur-Saône, Cahiers du Temps/musée Nicéphore Niépce, 2018 ; Bouqueret Christian, Des Années folles aux années noires. La Nouvelle Vision photographique en France, 1920-1940, Paris, Marval, 1997.
3 Chéroux Clément, « L’expert et l’usager. Ubiquité de l’amateurisme photographique », Vernaculaires. Essais d’histoire de la photographie, Paris, Le Point du jour, 2013, p. 81-97.
4 Laugier Marc-Antoine, Manière de bien juger des ouvrages de peinture, op. cit., p. 8.
5 Paillot de Montabert Jacques-Nicolas, Traité complet de la peinture, t. 1, op. cit., p. 115.
6 Gunthert André, « L’institution d’une culture photographique. Une aristocratie de la photographie (1847-1861) », in André Gunthert et Michel Poivert (dir.), L’art de la photographie des origines à nos jours, Paris, Citadelles-Mazenod, 2007, p. 64-101.
7 Poivert Michel, « La photographie française en 1900 : l’échec du “pictorialisme” », art. cité.
8 Ibid.
9 Moore Kevin, Jacques Henri Lartigue : l’invention d’un artiste, trad. de l’américain par Thomas Constantinesco, Paris, Éditions Textuel, 2012, p. 33.
10 Anon., « La question du flou », La Revue française de photographie et de cinématographie, no 255, 1er août 1930, p. 243. Voir notamment Deconcloit M. J., « Un portrait doit-il être net ou flou ? », La Revue française de photographie, no 49, 1er janvier 1923, p. 8-9 ; Genet Émile, « Amélioration de rendu anastigmatique dans le paysage », La Revue française de photographie, no 89, 15 septembre 1923, p. 221-222.
11 Thomas Robert, « XIXe Salon international de photographie de Paris », La Revue française de photographie, no 117, 1er novembre 1924, p. 276-277.
12 Santeul C. de, « Le XXe Salon de photographie », La Revue française de photographie, no 144, 15 décembre 1925, p. 338-339.
13 Puyo Constant, « Les objectifs anachromatiques pour artiste », La Revue française de photographie, no 65, 1er septembre 1922, p. 193-195.
14 Série d’articles du docteur B. T. J. Glover parus de janvier à septembre 1924 dans La Revue française de photographie.
15 Genet Émile, « Les agrandissements », La Revue française de photographie, no 157, 1er juillet 1926, p. 170-173.
16 Deconcloit M. J., « Un portrait doit-il être net ou flou ? », art. cité.
17 Puyo Constant, « Causerie sur le paysage. L’instrument photographique », La Revue française de photographie, no 124, 15 février 1925, p. 37-40.
18 Quatreboeufs M. L., « Une nouvelle technique en photographie artistique », La Revue française de photographie, no 44, 15 octobre 1921, p. 229-230.
19 En 1925, Constant Puyo passe en revue certains « moyens de fortune destinés à brouiller la vision implacable de l’objectif. De ces moyens, un des plus récents, assez ingénieux, mais également assez coûteux, est le “procédé Artigue à deux plaques”, l’une donnant la netteté, l’autre l’enveloppe » (Puyo Constant, « La photographie d’amateur », La Revue française de photographie, no 135, 1er août 1925, p. 208-210).
20 Dalmas comte de, « Nouveau procédé pour obtenir le flou artistique dans le portrait », La Revue française de photographie, no 85, 1er juillet 1923, p. 169-170.
21 Voir Bourée Henry, « Note sur un procédé de tirage artistique », La Revue française de photographie, no 87, 1er août 1923, p. 187-188 ; Genet Émile, « Amélioration de rendu anastigmatique dans le paysage », art. cité.
22 Anon., « Le flou artistique », La Revue française de photographie, no 55, 1er avril 1922, p. 81-82.
23 Puyo Constant, « Causerie sur le paysage. L’instrument photographique », art. cité.
24 Underberg G., « Le choix de l’objectif : La question des foyers », La Revue française de photographie, no 60, 15 juin 1922, p. 133-135.
25 Ibid.
26 Santeul C. de, « Un Salon bien moderne : Le Salon de photographie de 1930 », La Revue française de photographie et de cinématographie, no 260, 1er octobre 1930, p. 309-312.
27 Puyo Constant, « Pour comprendre l’objectivisme », La Revue française de photographie et de cinématographie, no 256, 15 août 1930, p. 248-251.
28 Potonniée Georges, « L’exposition d’art photographique Demachy et Puyo », La Revue française de photographie, no 269, 15 février 1931, p. 65-66.
29 Gernsheim Helmut, « L’évolution de la photographie picturale », Le Photographe, no 784, 20 janvier 1953, p. 19-21 ; article extrait de Photography Year Book, 1953.
30 Dillaye Frédéric, « L’objectif d’artiste pour le portrait », art. cité.
31 Leclerc de Pulligny Jean, « Le flou chromatique », Bulletin du Photo-Club de Paris, art. cité.
32 Puyo Constant et Leclerc de Pulligny Jean, Les objectifs d’artistes, op. cit., 1924, p. 18.
33 Underberg G., « Sur le chemin de l’art », Art et photo, année 3, no 31, avril 1926, p. 88-91.
34 Santeul C. de, « Le renouveau photographique », La Revue française de photographie, no 159, 15 août 1926, p. 216-217.
35 Salson Philippe, « Des identités sociales en crise. Les effets de l’occupation militaire dans le champ social à travers les journaux de civils de l’Aisne », in François Bouloc, Rémy Cazaly et André Loez (dir.), Identités troublées 1914-1918, Toulouse, Éditions Privat, 2011, p. 355-368.
36 Kevin Moore explique : « Sur les appareils à main, le cadreur s’apparente à un mécanisme absurde et fragile : fixé à l’extérieur au moyen de charnières il pendouille comme quelque chose que l’on aurait oublié d’attacher. Pour composer une image, il faut se fier à un œilleton à peine plus grand que le chas d’une aiguille et monté à l’arrière de l’appareil, dans l’alignement d’un cadre en métal ou en fil de fer qui lui se déplie sur le devant. La visée, dont le défi consiste à placer l’œilleton au centre du sujet, fait davantage penser à une partie de chasse qu’à de la photographie » (Moore Kevin, Jacques Henri Lartigue : l’invention d’un artiste, op. cit., p. 78).
37 M. J., « Les deux conceptions de l’automatisme », La Revue française de photographie et de cinématographie, no 274, 15 mai 1931, p. 152-154.
38 Lanot F. de, « Remarques de l’année photographique », Arts et métiers graphiques, numéro spécial « Photographie 1931 », 1931, p. 131-152.
39 Rouillé André, La photographie, op. cit., p. 67.
40 Ibid., p. 66.
41 Bourdieu Pierre (dir.), Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965, p. 27.
42 Ibid., p. 73-74.
43 O. G., « Femmes allemandes et paysages français au Salon d’art photographique », L’Instantané. Journal mensuel de tout amateur photographe, no 12, 1er mai 1931, n. p.
44 Underberg G., « Sur le chemin de l’art », art. cité.
45 Voir notamment Bourée Henry, « Note sur un procédé de tirage artistique », art. cité : « en donnant à volonté au positif le degré de flou artistique désiré » ; Genet Émile, « Les agrandissements », art. cité : « pour l’obtention du “flou artistique” ».
46 Anon., « Le flou artistique », art. cité.
47 Dalmas comte de, « Nouveau procédé pour obtenir le flou artistique dans le portrait », art. cité.
48 Anon., « Le flou artistique en agrandissement », La Revue française de photographie et de cinématographie, vol. 11, no 242, 15 janvier 1930, p. 19-23.
49 Anon., « Photo-Télémètre, de Heyde », Art et photo, no 12, septembre 1924, p. x.
50 Gonon Ely, « Conseils aux débutants photographistes », Art et photo, année 2, no 19, avril 1925, p. 80.
51 Remay G., « La photographie nocturne », Art et photo, année 5, no 50, novembre 1927, p. 29-31.
52 Anon., « La photographie de la neige », Art et photo, année 5, no 51, décembre 1927, p. 48.
53 Anon., « Sténopé par petit diaphragme », Art et photo : revue mensuelle illustrée, année 5, no 59, août 1928, p. 166.
54 Anon., « Nouveautés. Autopulsive Soullier », L’Informateur de la photographie, no 51, mai 1925, p. 90-91.
55 Bourée Henry, « Sur un procédé de “flou artistique” », Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie, no 230, janvier 1924, p. 5-7.
56 Id., « Les agrandissements », Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie, no 255, juin 1926, p. 214-217.
57 Guibert A., « Amateurs et amateurs », Art et photo, année 3, no 36, septembre 1926, p. 176-178. A. Guibert précise qu’il signe « de Dijon ».
58 Anon., « Congrès de l’Association des photographes professionnels de Grande-Bretagne et d’Irlande », L’Informateur de la photographie, no 21, novembre 1922, p. 131.
59 En 1924, plus de 2 000 célébrités se sont faites photographiés dans le studio des frères Manuel, dont Colette et Cocteau par exemple (voir Denoyelle Françoise, Studio Harcourt, Paris, Nicolas Chaudun, 2012, p. 32).
60 Bouqueret Christian, La Nouvelle Photographie en France 1919-1939, cat. expo., musée de la Ville de Poitiers et de la Société des antiquaires de l’Ouest, 1986, p. 18.
61 Anon., « Après la IXe Exposition de photographie », L’Instantané. Journal mensuel de tout amateur photographe, année 2, no 22, mars 1932, p. 275-282.
62 Croy O. R., L’art complet du tirage et de l’agrandissement, Paris, Éditions Prisma, 1950, p. 75-88.
63 Dictionnaire mondial de la photographie des origines à nos jours, op. cit., p. 236.
64 Natkin Marcel, L’Art de voir et la photographie, Paris, Éditions Tiranty, 1935, p. 8.
65 Brunius Jacques B., « Photographie et photographie de cinéma », Arts métiers graphiques, supplément « Photographie 1938 », 1938, n. p.
66 Bourée Henry, « L’art et le goût », La Revue française de photographie et de cinématographie, no 299, 1er juin 1932, p. 164-166.
67 Lanot F. de, « La XIIe Exposition », L’Instantané, avril 1935, p. 275-282.
68 L’Instantané, no 81, février 1937, n. p. ; L’Instantané, no 93, février 1938, n. p.
69 Anon., « Tirage d’images en flou-net », Le Photographe, no 548, 5 août 1942, p. 130.
70 Moore Kevin, Jacques Henri Lartigue : l’invention d’un artiste, op. cit., p. 31-36.
71 Chéroux Clément, « L’expert et l’usager. Ubiquité de l’amateurisme photographique », dans Vernaculaires. Essais d’histoire de la photographie, op. cit., p. 81-97.
72 Laurentie docteur, « Les propos du vieil amateur. Considération sur l’appareil photographique (suite) », Photographie nouvelle, no 27, janvier 1967, p. 26-30.
73 À ce propos, voir Chéroux Clément, Avant l’avant-garde. Du jeu en photographie, 1890-1940, Paris, Éditions Textuel, 2015, p. 34.
74 Moore Kevin, Jacques Henri Lartigue : l’invention d’un artiste, op. cit., p. 35-36.
75 Londe Albert, La photographie moderne, op. cit., p. 656.
76 Giard raconte par exemple avec admiration comment un portrait photographique a pu révéler à une dame, par les détails du visage qu’elle n’avait pas vu elle-même, qu’elle souffrait de la petite vérole (p. 15-16) [Giard Émile, Lettres sur la photographie spécialement écrites pour la jeunesse des écoles et les gens du monde, Paris, Charles Mendel, 1896].
77 Chéroux Clément, « L’expert et l’usager. Ubiquité de l’amateurisme photographique », dans Vernaculaires. Essais d’histoire de la photographie, op. cit., p. 81-97.
78 Giard Émile, Lettres sur la photographie, op. cit., p. 228.
79 Ibid., p. 15.
80 À ce sujet, voir Chéroux Clément, Avant l’avant-garde, op. cit.
81 Bergeret Albert et Dourin Félix, Les récréations photographiques, Paris, C. Mendel, 1891, p. 116-117.
82 Chaplot Charles, La photographie récréative et fantaisiste. Recueil de divertissements, trucs, passe-temps photographiques, Paris, C. Mendel, 1904, p. 127-128.
83 Voir Chéroux Clément et Fischer Andreas, Le Troisième Œil. La photographie de l’occulte, cat. expo., Paris, Gallimard, 2004, p. 51.
84 Chaplot Charles, La photographie récréative et fantaisiste, op. cit., p. 127-128.
85 Moore Kevin, Jacques Henri Lartigue : l’invention d’un artiste, op. cit.
86 Bourdieu Pierre (dir.), Un art moyen, op. cit., p. 237.
87 G. R., « Compte rendu de l’excursion à Écouen », Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie, no 45, mai 1901, p. 55-56.
88 Anon., « Bibliographie. La Revue de photographie », Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie, no 67, juillet 1903, p. 113.
89 A. R., « Compte rendu de l’excursion aux ruines du Château du Vivier », Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie, no 96, juin 1906, p. 89-90.
90 Anon., « Compte rendu de la séance du mardi 30 décembre 1913 », Bulletin de la Société d’excursions des amateurs de photographie, no 171, janvier 1914, p. 2-8.
91 Roux-Parassac Émile, « Mes photos », L’Instantané. Journal mensuel de tout amateur photographe, no 5, 1er octobre 1930, p. 99-101.
92 Heymann Claude, « Photographie », Cinéa, no 75, 15 décembre 1926, p. 9-10.
93 Chéroux Clément, « L’expert et l’usager. Ubiquité de l’amateurisme photographique », dans Vernaculaires. Essais d’histoire de la photographie, op. cit., p. 81-97.
94 Id., Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique, Crisnée, Yellow Now, 2003, p. 37-40.
95 Bourdieu Pierre (dir.), Un art moyen, op. cit., p. 115.
96 Anon., « Et la pose, alors ?… », Les Potins de Paris, année 6, no 41, 22 août 1922, p. 7.
97 Ibid.
98 Ibid.
99 Anon., « Pour les jeunes. Les causes d’insuccès », La Revue française de photographie et de cinématographie, vol. 12, no 266, 15 janvier 1931, p. 22-26.
100 Ibid.
101 Lanot F. de, « Initiation à la photo », L’Instantané. Journal mensuel de tout amateur photographe, no 9, février 1931, p. 230-231.
102 Lagrange M., « Propos d’un amateur minable et repentant », Photographie nouvelle, no 51, juin 1971, p. 26-30.
103 Chéroux Clément, Fautographie, op. cit., p. 28.
104 Id., « L’expert et l’usager. Ubiquité de l’amateurisme photographique », in Vernaculaires. Essais d’histoire de la photographie, op. cit., p. 81-97.
105 Id., Fautographie, op. cit., p. 49.
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