Chapitre IV. Flouterie, flouisme, flou artistique : variations sur le « flou » pictorialiste
p. 117-140
Texte intégral
1Dans l’histoire française de la conquête du flou par la photographie, le pictorialisme occupe une place centrale. Dans son article publié en 1897 dans la Revue des deux mondes, Robert de La Sizeranne, partisan du mouvement, établit très clairement son importance :
« Le flou est justement au net ce que l’espoir est à la satiété. Il est l’équivalent, en art, d’une des choses les plus aimées de la vie : cette délicieuse incertitude d’une âme où déjà pénétra l’espoir et où l’assurance n’est pas entrée encore ; où le désir qui commence d’apparaître comme réalisable n’a pas cessé d’être avivé par les obstacles à sa réalisation ; où tout se promet et où rien ne se donne, où tout se devine et où rien ne s’avoue ; où les figures et les paysages et le ciel et la terre et l’amour même apparaissent selon les incertaines suggestions de l’aube, et non selon la sèche définition des midis1. »
2On observe ici une évolution des valeurs traditionnellement attribuées au « flou » dans les textes sur la photographie. Généralement associé à l’erreur et à l’échec, il prend la couleur de l’espoir, de l’âme et du désir ; en somme, de tous les éléments que les artistes photographes reprochent à la photographie de manquer par excès de détails. Ainsi le flou, dans la photographie, commence-t-il à pouvoir se rapprocher, par réappropriation, des valeurs généralement attribuées à l’art pictural.
3Le succès du texte de La Sizeranne contribue à renforcer la conviction que le flou constitue un ingrédient indispensable à l’art. En 1904, Jean Frollo, reprenant presque les mêmes termes, confirme son aspect incontournable :
« Ce qu’on redoutait par-dessus tout, c’était l’indécis, le flou. Or, on sait quelle place le flou tient dans l’art contemporain. Suivant une juste et heureuse expression, il est en art l’équivalent d’une des choses les plus aimées de la vie : cette délicieuse incertitude d’une âme où déjà pénétra l’espoir et où l’assurance n’est pas encore entrée2. »
4Tout l’enjeu des photographes est de parvenir à produire ce flou, ingrédient apparemment indispensable pour qu’ils puissent alors prétendre à l’art. Avec le pictorialisme – dont Michel Poivert situe l’émergence au début des années 18903 – le flou, assumé en tant que tel, devient un pivot central de revendication.
Nouveaux usages du terme « flou »
5Avant d’en venir aux recherches esthétiques et techniques menées par les photographes sur le flou, il s’agit d’observer la manière dont le terme évolue dans son usage et dans sa définition. Les premiers écrits pictorialistes montrent que la perception du « flou » n’a pas beaucoup évolué depuis le milieu du xixe siècle, même si son statut équivoque est abordé de manière beaucoup plus explicite. Lorsqu’en 1892 et 1893 le comte d’Assche prend position dans Photo-gazette pour « la suppression des détails inutiles4 », le dilemme d’un flou schizophrène, tiraillé entre son acception picturale et son incompatibilité photographique, est toujours aussi vivace qu’en 1857. Peut-être – et sans doute est-ce l’acquis majeur des trois décennies écoulées – est-il seulement perçu de manière plus consciente et claire :
« Il ne s’agit pas […] de procéder par le flou et d’attribuer uniquement à ce flou une note artistique. En photographie, le mot flou désigne un défaut ; mais en peinture, d’après Littré, c’est une manière légère et fondue par opposition aux tons durs et secs. Quand nous disons flou c’est dans le bon sens que nous prenons ce mot, et nous opposons la qualité de douceur qu’il désigne aux découpages brutaux de l’objectif5. »
6Comme trente ans auparavant, le terme se confronte à sa propre contradiction : soit il désigne un défaut technique, soit il s’exclut du champ photographique. Le comte d’Assche assume quant à lui très ouvertement sa préférence pour un flou forgé au contact de la peinture. En 1890, la photographie a acquis un statut assez solide pour se confronter à une référence picturale. La notion de « flou » garde encore sa dualité, mais le recours avoué à la peinture n’est ainsi plus problématique pour tenter de réhabiliter la notion. Il semble d’ailleurs qu’il s’agisse de sa seule voie de salut, tant elle désigne, dans le langage photographique, un vice à éviter.
7Pendant la période pictorialiste, le mot continue à faire partie du vocabulaire critique de la peinture, voire du jargon snob des amateurs. En 1883, Ernest Bosc écrit :
« FLOU. ‒ Terme de peinture qui exprime un genre de dessin qui n’est pas arrêté d’une manière sèche et brutale. Certes un dessin nettement arrêté peut avoir beaucoup de valeur ; mais il n’a pas la grâce, la suavité et le charme d’un dessin un peu flou, surtout quand ce dernier est très correctement dessiné. La peinture flou [sic], qui a des touches si moelleuses et si brillantes, n’est prisée aujourd’hui que des véritables amateurs6. »
8En 1893, un article sur l’ornement déplore la pauvreté du lexique disponible pour décrire celui-ci, à l’inverse de la richesse du vocabulaire pictural, dont le « flou » apparaît comme un exemple typique : « Il n’y a même pas une langue pour parler de l’ornement comme on parle de la peinture, où la “pâte”, la “tonalité”, le “flou”, etc., mille autres expressions d’argot technique représentent si avantageusement les idées impossibles à concevoir ou difficiles à exprimer7. » Quatre ans plus tard, l’écrivain Henri Kéroul crée un personnage de roman très similaire à celui que Louis Reybaud avait inventé en 1842 dans Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale : avide de se faire reconnaître pour son niveau d’éducation, son héros utilise les termes typiques des connaisseurs – dont le « flou » – sans pourtant en comprendre le sens :
« Devant chaque toile, il allait, venait, revenait, s’approchait, se reculait, clignant de l’œil, hochant la tête, parlait flou, imbu, pleine pâte avec un aplomb qui n’avait d’égal que sa parfaite ignorance de la signification de ces mots techniques. À ce manège, il était facile de voir que le vieux était un amateur éclairé des beaux-arts8. »
9Parallèlement à son usage pictural, le terme entre progressivement dans le langage courant et n’appartient plus uniquement, comme au début du siècle, à un lexique de spécialistes avertis. On le retrouve en effet dans d’autres domaines, comme dans des contes littéraires et dans la critique du théâtre9. Le vocabulaire spécifique de la mode vestimentaire l’intègre aussi complètement, en le liant lui aussi à une onomatopée – « flou-flou » – déjà explicitée dans un dictionnaire en 1842 : « FLOU-FLOU, s. m. Bruit que fait un vêtement de soie, lorsqu’on marche10. » Fait de matières fines et fluides, le vêtement flou est souple et ne colle pas à la silhouette, à l’inverse du tailleur. Dans le mouvement du corps, l’habit ondule et masque la rudesse de ses contours. En 1875, Charles Blanc explique :
« Dans le vêtement, comme dans la peinture, il est des artistes qui aiment la précision du trait et l’expression qui s’attache à un dessin voulu et ressenti. D’autres préfèrent le flou, c’est-à-dire la vaguesse du contour, le dessin passé sur ses bords et fondu. Ceux-ci ont imaginé de défaire fil à fil la lisière du tissu, de manière qu’elle se terminât en divisions légères et mobiles qui perdissent le contour11. »
10Cet usage du terme dans la mode se répand largement à la fin du xixe siècle, comme on le constate dans les magazines spécialisés : « Les costumes tailleurs ne sont pas détrônés par les robes flou [sic], qui jouissent pourtant d’une certaine vogue12. » Désignant un style déstructuré, le « flou » s’applique également à la coiffure, par exemple lorsque les auteurs parlent d’un « chignon très-flou13 ».
Le « flou » devient optique
11S’il permet de décrire des objets aussi divers qu’une pensée, qu’un personnage de roman ou qu’une robe, « flou » devient également au tournant du xixe siècle le terme consacré pour décrire le phénomène optique, dont on a vu l’écart qui le séparait auparavant du flou pictural. À lire les traités d’optique et de physique du xixe siècle, on constate qu’une vision indistincte des objets n’est historiquement pas qualifiée de « flou », mais de « vague » ou de « confuse ». « La vision reste nette un peu en deçà et un peu au-delà de la vision distincte, entre certaines limites hors desquelles elle devient confuse14 », lit-on par exemple en 1865. En 1879 : « La petite région occupée par la tache jaune constitue le seul point de la rétine où se forment des images nettes ; en dehors, les images sont vagues et d’autant plus confuses qu’elles s’éloignent davantage de l’axe visuel15. » Lorsqu’elle ne permet pas de voir nettement les objets, la vision est « confuse », terme consacré pour cet usage au moins jusque vers 1890.
12À la fin du siècle, pourtant, « flou » fait progressivement son entrée dans le vocabulaire optique. Dans une thèse publiée en 1894 sur une maladie ophtalmique, on utilise majoritairement le terme « confus », mais on peut lire à propos d’un patient que « [l]es contours des objets lui semblent flous et peu distincts16 ». On retrouve la même année le terme en italique pour décrire « l’inégalité de perception17 », et de manière de plus en plus fréquente au début du xxe siècle dans la description optique de la vision. « À quels signes reconnaît-on que le besoin de lunettes commence à se faire sentir ? […] lorsque, de près, les objets apparaissent flous et comme couverts d’un nuage18 », écrit-on en 1901. « L’affection s’annonce par un affaiblissement de la vue, soit que le malade ait toujours un nuage devant les yeux, soit que les objets lui apparaissent flous et peu distincts19 », peut-on lire en 1903. Bien que la vision « confuse » continue à être d’usage, on intègre de plus en plus l’idée du « regard un peu flou des myopes20 ».
13On peut s’interroger sur l’influence jouée par la signification que prend le terme chez les premiers photographes – et par l’usage fréquent qu’ils en font ensuite – sur l’élargissement de son sens. Plusieurs éléments permettent de faire cette supposition, à commencer par la comparaison qui s’instaure entre le fonctionnement de l’œil et celui de l’appareil photographique. Le physiologiste allemand Hermann von Helmholtz les met par exemple en parallèle lorsqu’il parle des « éléments sensibles de la rétine, qui méritent ce nom tout aussi bien que les couches sensibles employées en photographies21 ». La comparaison est légion, et la photographie devient un outil didactique pour expliciter le rôle de la pupille, dont la dilatation est comparée à l’action du diaphragme « exactement comme en photographie22 », ou du cristallin, dont le pouvoir réfringent peut être modifié par l’œil « de la même façon que le photographe met au point avant de placer la plaque sensible23 ». On admet facilement que « [l]’œil [est] alors comparable à la machine du photographe, la rétine tenant la place de la plaque sensibilisée24 ».
14Or, on peut supposer qu’un glissement s’opère entre l’usage du « flou », pour qualifier les objets indistincts sur la plaque photographique, et l’utilisation de plus en plus fréquente du terme pour caractériser les images captées de manière confuse par la rétine. On l’observe, par exemple, dans un Traité de physique biologique publié en trois volumes entre 1901 et 1903, avec l’ambition de combler une lacune en réunissant la totalité des connaissances de l’époque, dans un « ouvrage d’ensemble sur la Physique biologique25 ». Notamment édité sous la direction d’Étienne-Jules Marey, le deuxième volume donne une large place à l’explication du fonctionnement optique de la photographie et de ses applications en science biologique dans cinq chapitres écrits par Albert Londe26. Dans ce volume, le terme « flou » trouve largement sa place pour qualifier les « images floues27 » obtenues en raison d’« une pose un peu longue » et il est expliqué pourquoi un « cliché obtenu sera net ou flou28 ». De manière générale, « confus » est le terme choisi pour qualifier une vision indistincte. La phrase « la vision est nette ou confuse » se retrouve à deux reprises, alors qu’on parle dans le même ouvrage d’un cliché « net ou flou29 ».
15Néanmoins, le chapitre consacré à « la formation des images sur la rétine » s’ouvre d’emblée sur une comparaison entre l’œil et la photographie : « Comme dans l’appareil photographique, il se forme dans l’intérieur de l’œil, par l’intermédiaire du système optique, une petite image renversée des objets environnants30. » Plus loin, l’explication de l’accommodation commence par une présentation du sujet dans la photographie – afin de démontrer l’importance de la profondeur de champ sans quoi « tous les objets situés en dehors de ce plan [fixe] paraîtraient flous » –, avant d’enchaîner sur le fonctionnement de l’œil dont la faculté d’accommodation « est facile à prouver » : il est capable de voir nettement soit les objets éloignés, soit les objets rapprochés « et lorsque les uns sont vus nettement, les autres sont flous31 ». Le parallèle entre le fonctionnement de l’appareil photographique et celui de la vision semble entraîner l’utilisation, pourtant exceptionnelle, du mot « flou » pour qualifier le phénomène qui se produit dans l’œil, comme si un glissement s’était opéré presque naturellement entre ces deux domaines scientifiques.
16L’ouvrage sur L’œil et l’objectif d’Adolphe-Louis Donnadieu publié en 1902 confirme ce rapprochement lexical. En réaction à l’idée communément admise en son temps que « l’œil et l’appareil photographique s’équivalent32 », l’auteur s’attache à démontrer les différences de fonctionnement qui les séparent. La comparaison qu’il fait tout au long de son étude l’amène à caractériser de la même manière ce que l’œil voit et ce que l’objectif perçoit. « [L]’objectif, tout comme l’œil, voit les points nets surtout par son centre […], les bords et les lointains sont flous33 », explique-t-il par exemple. Plus loin : « Dans son immobilité l’œil fixe un point qui se reproduit nettement sur la rétine, tout le reste est flou. Dans son immobilité l’objectif fixe un point qu’il imprime nettement sur la plaque sensible, tout le reste est flou34. » Le terme « flou » permet aussi bien de caractériser le regard que la photographie, alors que « vague » et « confus » sont presque absents de l’ouvrage. Naturaliste, Donnadieu est également un photographe expérimenté qui maîtrise de ce fait le langage technique du médium ; et l’on peut supposer que son ouvrage contribue à diffuser le terme « flou » dans le lexique optique. La porosité entre la terminologie de la photographie et celle de l’optique physiologique est d’autant plus probable, que la photographie est utilisée dans de nombreuses recherches médicales, entraînant un usage du terme « flou » dans toutes sortes de descriptions de maladies et d’organes, notamment de l’œil35.
Défaut technique dans le langage courant
17Désormais de plus en plus associé au phénomène optique, « flou » devient un terme plus fréquent et usuel. On le retrouve aussi dans le langage oral, comme en témoignent plusieurs associations de photographes amateurs. On découvre, par exemple, le terme dans les comptes rendus des séances de la Société des amateurs photographes de Paris en 1897 et 190536, ou dans la bouche de soi-disant tout-venant n’ayant aucune connaissance sur la photographie, dont les paroles sont rapportées dans le Bulletin mensuel du Photo-Club toulousain :
« Il est vraiment curieux de constater combien le bon goût photographique fait peu de progrès dans le public ; maintes fois, il m’est arrivé, montrant à de braves gens, patronnés eux aussi par sainte Véronique, des épreuves sur papier bromure à gros grain de m’entendre dire d’un petit air de commisération, agaçant au possible : “Oui, ce ne serait pas mal, mais votre papier est bien laid, c’est une épreuve ratée, sans doute ? et puis, voyez cet arbre, on ne distingue même pas les feuilles, et comme ces lointains sont flous37”. »
18Notons au passage que le « flou », qui continue à distinguer l’amateur de peinture pour sa (soi-disant) connaissance et son expertise, dévalue au contraire le commentaire sur la photographie comme un jugement d’ignorant.
19La banalisation du « flou » dans les discussions orales sur la photographie montre que sa compréhension auprès du public est de plus en plus immédiate. L’augmentation de l’emploi de la notion dans le langage commun renforce l’évidence de sa connotation négative, peut-être aussi due au fait qu’elle est désormais associée à un déficit de vision et à des maladies ophtalmiques. Selon Anne McCauley, la pratique de plus en plus courante de la photographie dans les années 1880 et 1890 établit un clivage auparavant inexistant entre la photographie populaire d’un côté, et les ambitions artistiques de l’autre38. Il s’agit dans ce cadre de délimiter un savoir-faire, et, au fur et à mesure que les photo-clubs font leur apparition un peu partout en France, le « flou » désigne de manière toujours plus immédiate un défaut basique à corriger, à savoir le manque de netteté. De la mauvaise qualité de la mise au point et de certains objectifs résulte ce que La Photographie – revue de vulgarisation qui ne s’adresse pas à un public de spécialistes – appelle même « l’effet désastreux du “flou photographique”, juxtaposition de petites taches circulaires que l’on remarque si souvent dans le fond des portraits exécutés en plein air39 ». La caractérisation du flou comme « photographique » témoigne à la fois de sa mauvaise réputation et de la manière dont il se distingue d’autres flous, notamment pictural. La mise au point reste un problème central puisque, comme le montre un article du Photo-Club toulousain, une « erreur, si légère soit-elle, amène un flou, c’est-à-dire, un manque de netteté qui nuit à l’effet produit40 ».
20Cette signification du mot se retrouve dans tous les dictionnaires qui évoquent le vocabulaire spécialisé de la photographie. En 1884, le terme « se dit en photographie d’une épreuve manquant de netteté, dont la mise au point a été manquée41 ». On lit en 1897 : « Flou : Se dit d’un phototype ou d’une photocopie dont les contours manquent de netteté, par suite d’une mauvaise mise au point42. » Deux ans plus tard, un dictionnaire multilingue confirme :
« Flou, image floue, image pas nette, image confuse, image brouillée. ‒ Allem. : verschwommenes bild. ‒ Angl. : fuzzy image. Ce défaut provient de : mise au point défectueuse, objectif de mauvaise qualité, chambre ayant bougé pendant la pose, sujet ayant bougé pendant la pose, etc. Ce défaut est très reconnaissable par le manque de netteté et par le dessin vague et peu arrêté de l’image43. »
21S’insérant dans les discussions de tous bords sur la photographie, « flou » est le plus souvent défini par la négative – par un manque – et se trouve directement assimilé à cette défaillance technique, qu’il s’agit d’éviter dans la pratique la plus courante du médium.
22Établi comme le mot spécifique pour désigner le déficit de netteté, il s’impose pourtant également pour décrire les ambitions pictorialistes. Pleinement intégré au vocabulaire photographique, le terme est beaucoup plus facilement utilisé par les partisans du flou de la fin du siècle que par leurs prédécesseurs. On le constate facilement en feuilletant les écrits de cette période qui mentionnent abondamment le mot. Il faut cependant insister sur le malaise qu’il amène encore avec lui, au moins jusqu’au début du xxe siècle. En 1897, Robert de La Sizeranne publie un article qui interroge : « La photographie est-elle un art ? » Pour répondre à cette question, l’auteur tente de réhabiliter la notion de « flou », mais son texte témoigne de l’énergie nécessaire pour contrer sa connotation négative : ce que les photographes ont « toujours considéré comme un défaut, c’est le flou, terme de mépris qui, dans leur langage, voue à l’exécration publique la grâce, l’indécision, la fraîcheur, ce que les artistes recherchent d’abord44 ». Le vocable entraîne avec lui sa part d’embarras, comme le montrent les textes du premier pictorialisme, qu’il s’agisse comme on l’a vu du comte d’Assche ou du Belge Léon Bovier qui le mentionne avec prudence, avec presque un peu honte45 : « Depuis quelques temps cependant, on remarque un mouvement nouveau et sérieux, un revirement marqué, en faveur de la nouvelle méthode que l’on appelle vulgairement du flou, et qui devrait être avec plus juste raison dénommée la méthode du vrai46. »
Jeux de mots et « flouisme »
23La difficulté à réhabiliter la notion se renforce encore par les différents jeux de mots et les extensions lexicales qu’elle subit. La brièveté monosyllabique du terme permet des transformations qui prêtent à la moquerie et au mépris. En 1895, en réponse à l’article de Léon Bovier qui défend le flou tout en craignant la vulgarité du mot, J. Coupé, offusqué par ces pratiques amateurs, s’écrie ironiquement : « Flouez ! Confrères, flouez ! C’est le seul moyen d’arriver au pinacle de l’art photographique… d’où on dégringole souvent, hélas47 ! » L’expression est reprise l’année d’après par la direction de L’Amateur photographe qui publie la polémique belge48. Considéré comme un faux trait artistique, le flou floue et trompe son public, et devient l’équivalent d’une duperie de mauvais goût49.
24Manipulé par les opposants au flou, le mot se prête également à des transformations sous la plume de ses défenseurs, qui souhaitent justement se distancer du flou à outrance, mal vu et méprisé, pour en défendre un autre respectable et maîtrisé. La distanciation par rapport au flou des épreuves anglo-saxonnes, souvent considéré comme excessif, joue en particulier un rôle prépondérant. Un jeu de mot anglais sera d’ailleurs utilisé, dès le début du xxe siècle, pour qualifier ces épreuves, réunies sous l’appellation « Fuzzy-Wuzzy School » faisant référence à un « n’importe quoi » farfelu et ridicule50. En 1895, Frédéric Dillaye condamne les « flouteries » de George Davison qu’il observe à l’Exposition du Photo-Club de Paris afin de montrer la supériorité de la production française :
« Oh ! Les phototypes ratés dont je parlais dans les considérations générales ! Non, je n’admets pas davantage les flouteries de M. Davison, je ne sais, je ne veux pas savoir si en Angleterre on s’extasie là-dessus, mais je parierais, sans crainte, que jamais en France on ne s’y extasiera. Cela ne se prête qu’à certains sujets, comme par exemple un coup de vent dont le flou voulu aide au rendu. Mais, en passage, ne remarquez-vous pas combien les flouistes sentent l’infériorité de leur doctrine en éprouvant le besoin d’étiqueter le plus souvent leurs œuvres de “coup de vent51” ! »
25Lorsqu’il est voulu et pratiqué de manière intentionnelle par l’artiste, le flou est en effet facilement associé à des « fouteries » – que Dillaye appelle « flouteries » –, des plaisanteries frivoles et expérimentales, qui renforcent également la connotation négative du terme « flou ». Ces soi-disant fantaisies photographiques sont regroupées et résumées dans le terme « flouisme », utilisé dès le début des années 1890 et qui ajoute une tonalité plus compliquée encore à la notion. Selon Michel Poivert, le mouvement pictorialiste – et plus particulièrement l’importance du flou dans la nouvelle revendication artistique – est notamment importé en France de Grande-Bretagne par l’intermédiaire du Belge Hector Colard52. Lorsqu’en 1891 ce dernier rapporte à l’Association belge de photographie les nouvelles tendances artistiques anglaises, il catégorise d’emblée les deux courants opposés par les termes « flouiste » et « nettiste53 ». Ces mots sont rapidement repris en France, notamment par le comte d’Assche en 1893 qui les utilise dans le titre d’un article publié dans Photo-gazette, puis dans de nombreux écrits et revues consacrés au sujet jusqu’au xxe siècle54. « Flouiste » a même son entrée dans le dictionnaire des arts graphiques de E. Desormes et d’Adrien Basile en 1897 : « Flouiste, adj : nom donné à une école de photographes partisans du flou en photographie ; l’opposé de flouiste est nettiste55. »
26Dès son apparition, le terme « flouisme » entraîne une forme de discrédit sur la pratique photographique qu’il désigne, car il est amalgamé aux expériences en tout genre – venant en particulier de Grande-Bretagne – qui visent à apporter du flou à l’image. Parfois surprenantes, elles sont facilement considérées comme futiles parce qu’elles s’éloignent d’une pratique sérieuse de la photographie. On pense au sténopé, au flou dû à une mise au point volontairement altérée, aux chiquenaudes données à l’appareil pendant la prise de vue ou aux balancements demandés au modèle. En 1894, un article publié dans La Photographie rapporte ces méthodes « flouistes », considérées comme des procédés « “fin de siècle” bizzaroïdes ou cocassiformes » :
« La méthode de William Newton consiste à interposer dans le châssis-presse, entre le phototype et la photocopie, une feuille de papier à décalquer, pendant l’insolation. Mme J. Cameron, pour produire ses grandes épreuves extra-floues, se servait d’objectifs ayant une aberration sphérique énorme, tels qu’un objectif simple à large ouverture. […] M. Claudet, lui, inventa de rapprocher et éloigner l’une de l’autre, pendant la pose, les combinaisons optiques de l’objectif double […]. On a proposé aussi d’attacher à l’objectif une corde retenue par le pied de l’opérateur, qu’on faisait vibrer pendant la pose au moyen d’un archet de violon. Voici un autre moyen encore plus bizarre : pendant la pose on fait brûler devant l’objectif une lampe à alcool ; d’après l’auteur de ce procédé : “les vibrations produites par la chaleur sur les rayons lumineux les faisaient rediffuser en enlevant la netteté de ceux-ci” […]. Une autre méthode, le procédé Denier de Saint-Pétersbourg, est tenue secrète et est à vendre. Les épreuves Denier ont, paraît-il, sur la vue de l’auteur de l’article du British Journal, un singulier effet : ses yeux se remplissent d’eau et sa tête se met à tourner ; il a, dit-il, une indigestion lacrymale56. »
27D’autres procédés peuvent encore être mentionnés, comme l’emploi d’un grillage placé dans l’objectif ou l’impression de l’épreuve en interposant entre le papier et le cliché une feuille de verre ou de celluloïd57. Ce folklorisme technique explique la difficulté des partisans les plus importants du flou à pleinement assumer le terme. Une pratique artistique sérieuse de la photographie ne peut se revendiquer de ces expériences présentées comme farfelues.
28Ces dernières prennent en outre une existence réelle et durable par leur regroupement sous le terme « flouisme », qui, par l’ajout du suffixe « -isme », permet de créer un mouvement par sa simple désignation. Anna Boschetti a montré le danger de la dénomination par des « -ismes » qui, « en rassemblant sous une étiquette unique un ensemble de pratiques et de représentations qui pouvaient être en fait fortement discordantes, produisait l’image d’une tendance collective unitaire58 ». Pour les opposants au flou, tous les photographes qui le pratiquent pourront être classés dans cette nouvelle catégorie, et ainsi plus facilement décrédibilisés. Car, si le terme « flouisme » désigne parfois un courant artistique de manière purement descriptive et sans connotation de dédain, il tend à accentuer la méfiance et l’incrédulité face au flou59. Pour Bernard Jolibert, « la pensée en “isme” est le plus souvent une pensée en confrontation, en contradiction60 ». Elle permet en effet une simplification des idées, qui facilite la moquerie et la dépréciation. Il suffit de se souvenir de l’« impressionnisme », désigné ainsi deux décennies avant le flouisme, qui avait servi la raillerie du journaliste Louis Leroy dans Le Charivari face au tableau Impression, soleil levant de Claude Monet61. Le suffixe « -isme » évoque la dérision suscitée par certains courants artistiques, et permet, par son simple usage, d’associer plusieurs artistes pour démontrer la prétention de leur art tout en le décrédibilisant. En 1904, la manière dont Frédéric Dillaye se sert du « -isme » pour déprécier le mouvement montre clairement que le suffixe constitue un obstacle à sa reconnaissance artistique :
« De là, le nettisme qui réclame le sujet net, depuis le premier plan jusqu’à l’infini ; ou le flouisme, exigeant une déperdition complète de netteté, mettant tous les plans hors du foyer, quelle que soit leur situation. Pour donner à ces deux modes de procéder les gants d’un travail profondément raisonné, on a clamé que les nettistes faisaient du réalisme et crié bien haut que les flouistes se complaisaient dans l’impressionnisme. À mon avis, tous ces différents ismes sont, à tout prendre, de simples barbarismes, artistiquement parlant62. »
29L’embarras s’intensifie encore au début du xxe siècle pour les défenseurs des objectifs « anachromatiques » et du « flou chromatique », qui marqueront une vraie rupture dans l’histoire du flou pictorialiste et dont nous verrons plus loin l’importance. Afin de donner une assise sérieuse et scientifique à ces nouveaux procédés, Jean Leclerc de Pulligny et Constant Puyo n’auront de cesse de se démarquer d’un « flouisme » amateur, maladroit et méprisable. Dans l’article qu’il publie dans le Bulletin du Photo-Club de Paris en 1902 pour présenter son nouveau procédé, Leclerc de Pulligny se distancie clairement des « systèmes adoptés63 » alors par les « flouistes ». En 1904, Léon Bovier évoque aussi « les amusantes quêtes de jadis des “nettistes” et des “flouistes”64 », pour défendre la démarche d’artistes comme Constant Puyo et pour disqualifier par un certain dédain le flou expérimental du premier pictorialisme. En 1907, Constant Puyo lui-même doit encore se justifier à ce sujet : « Il nous faut un dessin ferme, même fin (et j’espère qu’après cette déclaration on ne me rangera plus dans les flouistes), de telle sorte que les traits du visage soient nets65. » L’année d’après Frédéric Dillaye exprime l’empreinte durable des pratiques « flouistes » sur l’usage du mot « flou », apparemment si fortement entaché qu’il risque de discréditer toutes les techniques qui pourraient s’en réclamer :
« Les travailleurs d’avant-garde ont appelé à la rescousse le flou de mise au point et tous autres trucs pouvant l’accentuer encore. Procédés révolutionnaires qui, outrancés comme tous les procédés de ce genre, ont jeté le désarroi dans la masse des gens de bonne volonté. Aussi, prennent-ils la garde de méfiance contre l’anachromat, dès qu’on leur affirme que son flou chromatique conserve la ligne en l’estompant et simplifie les surfaces sans les amener à la confusion. Le terme flou y suffit, les empêchant de se résoudre à essayer par eux-mêmes. […] En vain leur direz-vous que le type originel de ces reproductions ne provient pas d’un anachromat. Le flou est là, suffisant à motiver leur haro fulminant ou ironique66. »
30Au début du xxe siècle, Dillaye témoigne bien de la conscience aigüe qu’il a du problème posé par le terme « flou ». Il ne perçoit cependant peut-être pas la profondeur historique des jugements faits à son sujet, qui remonte à la tradition critique de la peinture.
Tradition critique picturale réactivée
31On peut supposer que le bagage critique encombrant que le mot charrie encore avec lui en 1908 doit notamment sa persistance à son ancrage ancien dans les discours artistiques sur la peinture. Frédéric Dillaye se limite pour sa part à évoquer le domaine photographique, et accuse le flouisme et les diverses « flouteries » de compliquer la reconnaissance d’un flou réellement photographique. Il n’est cependant pas inutile de rappeler ici l’héritage légué par la critique picturale, depuis le xviiie siècle au moins, pour expliquer la solidité de certains préjugés face au flou, qui ne se laissent pas facilement repousser. Les théoriciens et les défenseurs du pictorialisme ne réalisent peut-être pas qu’ils se confrontent à une problématique aux racines profondes, qui trouvent ses sources dans l’histoire de l’art classique. De nombreux poncifs de la critique du flou sont issus des écrits sur la peinture et sont réactivés à l’époque pictorialiste avec beaucoup de force. Les photographes sont alors incapables de s’en affranchir pour user librement de la notion. Le pictorialisme français ne parvient pas à se libérer de son assujettissement à la peinture, comme si, irrémédiablement, le flou appartenait aux peintres67. Du premier pictorialisme à celui de la maturité, les mêmes théories issues de la peinture sont constamment réaffirmées, dans la continuité directe des premiers artistes photographes comme Henri de La Blanchère que les pictorialistes ne mentionnent pourtant pas68.
32Il est en effet frappant de constater la similitude entre les termes qui jalonnent les textes sur la photographie pictorialiste et ceux utilisés pour caractériser le flou dans la peinture. On retrouve mot pour mot certaines expressions consacrées pour qualifier l’exagération ou au contraire le bon dosage du flou dans les œuvres. Comme dans la pratique picturale des siècles précédents, l’excès constitue à l’époque pictorialiste l’un des dangers majeurs de l’usage du flou. On condamne les flous outranciers des photographies anglo-saxonnes – les exagérations « fuzzy wuzzy » –, comme on critiquait vers 1830 en France les peintures vagues et confuses de l’Anglais Thomas Lawrence. Le flou excessif inquiète toujours autant en 1908 qu’à l’époque de la publication du dictionnaire de Watelet en 1792. Puisque, comme l’explique Michel Poivert, l’ensemble des discours des amateurs en France « vise au refus des “exagérations”69 » – notamment en réaction face aux productions anglaises puis américaines –, on critique autant la « sécheresse70 » que le mauvais « flou poussé jusqu’à la mollesse71 », par exemple, constaté dans une épreuve de M. Maitland en 1897. De 1890 à 1910, les théories sur le flou évoluent. Des doctrines naturalistes, elles passent aux préceptes symbolistes. Les procédés et les techniques ne cessent de se renouveler. Cependant, les termes du débat et la délimitation d’un flou acceptable ne changent pas. En 1906 encore, Constant Puyo et Leclerc de Pulligny, dans leur défense du flou chromatique, critiquent l’image « molle » où « le flou n’est obtenu qu’aux dépens de la vigueur72 ». Pendant toute la période pictorialiste, on réclame un « flou sans exagération73 », « des images exactes sans sécheresse, détaillées sans minutie74 » ; en bref, un « flou raisonné75 », « judicieusement » et « intelligemment76 » employé, « un flou très habile et qui cependant […] laisse aux lignes et au modelé toutes leurs valeurs77 ». On cherche, comme alors dans la peinture, ce « juste milieu78 » qui permette une « combinaison de netteté et de flou dans un même tableau79 » et, en somme, de « [p]rendre un peu de chaque extrême et mélanger le tout80 » afin d’« abandonner de l’école nettiste sans tout emprunter à l’école flouiste81 ». La critique, finalement, n’est jamais très loin de la première description d’André Félibien de 1676, qui avait ancré dans la définition du terme l’importance de la « douceur d’un ouvrage ». « De la douceur, voilà la note juste82 », estime Albert Reyner en 1900, c’est-à-dire quelque chose proche du flou, mais qui ne peut toujours pas être qualifié ainsi en raison de la lourdeur du terme. « De la douceur sans flou réel83 », réclame-t-on en effet en 1897 ainsi qu’« une superbe douceur, mais [dont] on ne pouvait dire que ce fût un véritable flou84 ».
33Comme dans la peinture, le flou ne peut être réussi qu’à la condition d’une très grande maîtrise, à laquelle seuls quelques artistes chevronnés parviennent. Il s’agit en effet d’un flou « qui demande une très grande habitude de l’œil et une certaine somme de connaissances artistiques85 ». Par conséquent, le risque est grand pour les artistes de second plan de produire des copies ratées, à l’image des mauvais imitateurs du Corrège et de Prud’hon. L’argument revient en particulier avec beaucoup de virulence au sujet des travaux de Robert Demachy et de Constant Puyo, qui s’affichent comme les maîtres du pictorialisme de la maturité. Lorsqu’en 1904, le Salon du Photo-Club de Paris est pour la première fois inauguré dans les locaux du Petit Palais, la polémique est lancée sur l’usage abusif de la gomme bichromatée86. Très critique face au flou qu’il observe dans les expositions de photographie, Rodolphe Archibald Reiss ne rejette pas en bloc ces productions, mais uniquement les abus et les mauvais usages du flou : « La gomme bichromatée peut, dans les mains d’un habile et consciencieux opérateur, rendre de très bons services. […] Mais malheureusement, ce procédé se prête aussi admirablement au trucage87. »
34L’année d’après, H. Würtz s’insurge également contre les « images floues et d’un aspect peu séduisant, pour ne pas dire pis, quand l’appareil a été manié par un profane ; il est juste d’ajouter qu’entre les mains des maîtres, et particulièrement du commandant Puyo lui-même, ces objectifs donnent d’excellents résultats […]. Où le maître plane, la troupe des élèves patauge88 ». En somme, comme le résume le photographe René Le Bègue, qui répond aux critiques du docteur Reiss, « [c]e n’est pas le procédé qu’il faut critiquer, ce sont ceux qui ne savent pas s’en servir89 ». Alfred Liégard reprend cette citation dans La Gazette du photographe amateur précisant que « [s]i le flou peut donner à une image un caractère artistique, il ne s’ensuit pas que tout ce qui sera flou devra être artistique90 ». Il met déjà en garde contre la facilité d’un « flou artistique » qui deviendra, dans les années 1920, le moyen le plus simple pour les amateurs d’ajouter un effet à une image sans pourtant être engagés dans une démarche artistique au long court.
« Flou artistique »
35Par l’importance qu’il donne au flou, le pictorialisme, tout en permettant au terme d’entrer complètement dans le discours sur la photographie, va paradoxalement à l’encontre de sa reconnaissance photographique. La nécessité absolue d’en produire pour permettre à un cliché d’être perçu comme de l’art renforce la méfiance à son égard. On a vu comment, dès l’invention du médium, les critiques pouvaient douter de l’intention d’un artiste à produire du flou, dont on suspectait qu’il provienne d’un accident technique. Au moment du pictorialisme, cette suspicion demeure, et se double même d’un scepticisme face au flou absolument et délibérément voulu. La question n’est alors plus tant de savoir s’il a été choisi par le photographe, que de déterminer s’il ne constitue pas de la poudre aux yeux. Dans la suite de la polémique lancée par le docteur Reiss, E. Trutat s’insurge contre les « barbouilleurs prétentieux », car « il ne suffit pas de faire flou, de faire noir, d’enlever la moitié d’une image ou de la colloquer dans un encadrement immense pour faire une photographie d’art91 ».
36Comme à l’époque de Thomas Lawrence au début du xixe siècle, le flou pâtit de la mode qu’il génère. Les défenseurs du flou comme ses détracteurs, mettent en garde contre une tendance d’époque qui fait douter de ses réels fondements artistiques. En 1903, Louis Fréminet prévient :
« Ne jugeons pas en bloc ; ne disons pas d’une photographie qu’elle est artistique uniquement parce qu’elle est floue, et ne méconnaissons pas la valeur d’une autre assez nette si elle possède de réelles qualités. Oh non ! Laissons aux snobs, moutons de Panurge, cette façon de juger en se basant simplement sur la mode, qui, je ne le conteste pas, est en ce moment à l’école flouiste92. »
37Un an plus tard, le Suisse Reiss écrit à propos de la réception par le public des œuvres exposées à l’Exposition du Photo-Club de Paris : « Il y a quelques années, le jugement de tout le monde aurait été : “sous-exposition formidable !” Aujourd’hui, par snobisme et parce que c’est la mode, on trouve cela très beau et tout à fait artistique93. »
38Progressivement, la notion de « flou artistique » fait son entrée sur la scène photographique, désignant une catégorie d’œuvres dont le flou est un effet de style. La formule apparaît à plusieurs reprises dans les écrits de l’époque pictorialiste94. Elle peut même être mentionnée dans le titre d’un article ou soulignée en italique, ce qui lui donne une existence propre, comme une catégorie à part entière95 : « Employez de préférence un objectif à court foyer, pour éviter un tirage exagéré de la chambre : diaphragmer fortement et poser longuement pour obtenir tous les détails, car ici le flou artistique n’est admissible d’aucune façon96 » recommande par exemple le Photo-Club toulousain en 1906 pour photographier les fleurs. L’expression désigne parfois de manière très précise et descriptive – notamment dans la Revue photographique de l’Ouest en 1907 et en 191097 – le flou chromatique des anachromats, en particulier dans les œuvres de Constant Puyo. Jusqu’à aujourd’hui, la formule exprime sans connotation négative un « effet délibéré à la prise de vue98 », et émerge dans le discours sur la photographie à l’époque pictorialiste.
39Elle se teinte cependant aussi d’un accent ironique, laissant justement entendre que ce flou n’a rien de véritablement artistique. Aujourd’hui, l’expression s’est imposée dans le langage courant et s’emploie, par extension, de façon péjorative et « ironiquement […] pour une exposition d’idées dans un discours, etc., laissant alors entendre que l’orateur, l’auteur laisse prudemment dans le vague certains points99 ». À l’époque pictorialiste, le photographe est suspecté de laisser prudemment dans le vague son cliché, afin de masquer sa médiocrité. Soupçon déjà présent face au flou pictural, il est évoqué dès 1895 par Frédéric Dillaye dans le Bulletin du Photo-Club de Paris :
« Si, tout à l’heure, j’ai pesté contre le pignochage de ceux qui se croient artistes au premier chef dès qu’ils se montrent bons ouvriers de laboratoire, par esprit de symétrie, ou d’antithèse, comme vous voudrez, je pesterai encore contre ceux qui font le contraire. Sous prétexte de brumes, brouillards, ou d’autres désignations de même farine, il y en a certains qui ont eu l’audace de se figurer que nous prendrions pour de l’art des photocopies provenant de leurs phototypes ratés. Comme c’est commode ! Mon image est grise, veule, mal venue… tiens, tiens ! si j’intitulais cela brouillard…, j’embrouillarderais peut-être le jury… et je passerais pour un artiste100… »
40Le flou hérite d’une mauvaise réputation qui le place toujours dans la position du coupable : on le soupçonne a priori de frivolité, de tromperie, d’amusements flouistes sans légitimité. Sa défense se fait dans le Bulletin du Photo-Club de Paris, sous la plume de George Davison :
« Dans un des articles parus ici, l’auteur semble prétendre que beaucoup d’exposants veulent imiter une catégorie de peintres qui dissimulent leur incapacité en produisant des œuvres qu’il qualifie d’images vagues. Cette assertion nous paraît dépasser toutes limites et nous ne nous donnerons même pas la peine de la discuter ; elle montre cependant combien on comprend encore peu les efforts artistiques de certains photographes101. »
41Rappelons la manière dont on condamnait au xviiie siècle la superficialité du flou rococo qui masquait, comme une coquetterie, l’insuffisance du dessin de certains peintres médiocres. Le soupçon de faire croire, par le filtre du flou, à une œuvre d’art – pour en fait masquer un manque de savoir-faire –, continue de planer sur les photographes qui en usent. Ne pratiquent-ils pas « le trucage au détriment de la technique102 », comme le suspecte le Suisse Reiss ? Dans les arts graphiques également, le flou « bien propre à dissimuler chez leurs auteurs l’insuffisance du dessin et l’ignorance du modelé103 », éveille encore à cette époque la méfiance. À en croire Georges Wernert, en 1908 dans Le Magasin pittoresque, le fléau est général et dépasse d’ailleurs le seul domaine photographique :
« À une époque où l’on dissimule sous l’impuissance de la forme le vide de l’esprit ; où les esquisses d’ateliers agrandies pompeusement passent pour géniales ; où le flou des choses mal construites recueille les bravos des snobs ; où les esthètes raillent plaisamment […] ces pompiers d’Ingres, de Cabanel et de Bouguereau, il est bon de retrouver quelques sincères, épris de saine tradition, et sachant dessiner tout simplement une main ou un pied104. »
42Cette méfiance s’installe aussi avec la mise sur le marché d’objectifs simples à utiliser, et permettant de faire du flou plus facilement. Les opticiens se penchent sur le problème et commercialisent des optiques « non achromatisées » – c’est-à-dire qui ne sont pas corrigées du défaut d’aberration chromatique – comme la « trousse artistique » de la maison Demaria ou, en 1895, le « soft focus » du fabricant Dallmeyer105. En France, en 1905, Leclerc de Pulligny produit son propre objectif. En 1908, Marseille-revue photographique publie une annonce pour un objectif simple, vendu à Paris, baptisé « L’artistique », dont le slogan explique qu’il « donne la diffusion des lignes et un modelé flou sans aucune correction de mise au point106 ». Plus facilement reproductible, grâce à des objectifs prévus à cet effet, le flou peut être pratiqué sans le savoir-faire revendiqué par les ténors du pictorialisme. Sa qualité artisanale diminue, proportionnellement à l’amélioration des optiques, qui augmente les possibilités de produire du flou avec la photographie, mais qui amoindrit comparativement sa réelle reconnaissance artistique. Ce qui apparaissait comme une denrée rare devient plus facilement accessible et le « flou artistique », par là même, douteux et sujet à suspicion.
43En 1910, dans un article intitulé « De l’influence de la peinture sur la photographie. Quelques mots sur le flou », Georges Salles reprend la formule de « flou artistique » pour mettre en garde contre son abus possible par les photographes : « Certains opérateurs qui n’aiment pas plus charger leurs épaules d’un appareil, pouvant leur permettre l’emploi de plusieurs combinaisons d’un objectif […], appliquent, quand ils veulent faire de la photographie artistique, le flou à tout propos et surtout hors de propos107. » Par facilité et fainéantise, des photographes renoncent à une technique complexe, nécessitant un matériel plus lourd et un temps de travail plus long, au profit d’un seul objectif et d’un « flou artistique » trivial. Partisan du pictorialisme, l’auteur de l’article dénonce pourtant l’abus de flou et la mauvaise voie que la photographie a prise.
« Sa voie logique n’est pas encore trouvée »
44Du « flouisme » au « flou artistique », un espace se crée pendant la période pictorialiste pour laisser la possibilité à un flou photographique d’émerger. La notion entre de plain-pied dans le débat sur la photographie, qui s’en empare pour tenter de se l’approprier. Le simple fait que la notion de « flou artistique » soit utilisée au sujet de la technique photographique, montre l’évolution des mentalités depuis le milieu du xixe siècle. Les critiques, les débats et les jeux de mots témoignent cependant du poids que le terme porte avec lui, et de la difficulté à l’évoquer sans réveiller des présupposés, des accusations et des jugements, formés au cours de l’histoire critique de la peinture, puis de la photographie. Des portes s’entrouvrent, qui ne se laissent pas franchir facilement. Le « flouisme » constitue bien un mouvement artistique absolument photographique, et totalement élaboré autour du flou. Mais son apparition va de pair avec son dénigrement, et le terme est presque inventé pour être relégué au rang des expériences excentriques, donc marginales, et sans validité réelle. Le « flou artistique », quant à lui, offre de nouvelles perspectives, l’expression désignant dans certains cas un flou purement photographique – celui produit par les anachromats. Il est pourtant également rapidement discrédité, parce que trop à la mode et suspecté de cacher de piètres artistes.
45Malgré les efforts pictorialistes, le flou ne parvient pas à s’imposer dans la photographie comme un moyen artistique suffisamment respectable. Entaché par son passé critique, il est encore complètement dépendant de sa définition picturale, et ne peut se penser qu’à travers le regard du peintre. Dans le bilan mitigé qu’il dresse en 1910 de la production pictorialiste, Georges Salles dénonce la soumission encore trop importante de la photographie à la peinture :
« [O]n peut se risquer à dire que par la force des choses, la photographie trouvant toute tracée la voie indiquée par la peinture l’a suivie, cela parce qu’elle est venue la dernière. […] [S]i l’art photographique actuel a trop vécu, jusqu’à ce jour, d’emprunt à la peinture, qu’on le lui pardonne et qu’on lui fasse crédit puisque […] sa voie logique n’est pas encore trouvée et qu’il n’est pas encore né à sa vie indépendante108. »
46En 1910, l’abondance des recherches pictorialistes ne permettent pas encore de concevoir le flou indépendamment de la peinture. Sauf à être un défaut technique, le flou photographique peine à trouver une existence propre.
Notes de bas de page
1 La Sizeranne Robert de, « La photographie est-elle un art ? », Revue des deux mondes, t. 144, 1897, p. 564-595.
2 Frollo Jean, « Un art qui naît », Gazette du photographe amateur, no 135, juin 1904, p. 95-99.
3 Poivert Michel, « Les débuts de la photographie pictorialiste en France et ses rapports avec la photographie britannique », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1990, p. 215-226.
4 Assche comte d’, « Du choix des moyens en photographie », Photo-gazette, 25 novembre 1892, p. 30-32.
5 Id., « Du choix des moyens en photographie (suite) », Photo-gazette, 25 mars 1893, p. 93-96.
6 Bosc Ernest, Dictionnaire de l’art, de la curiosité et du bibelot, Paris, Firmin Didot, 1883, p. 338-339.
7 Mouton Eugène, « L’esthétique de l’ornement », Le Livre et l’image : revue documentaire illustrée mensuelle, août 1893, p. 137-149.
8 Kéroul Henri, « Une victime d’amour. Deuxième partie », Les Romans inédits, Paris, 1897, p. 171-173. Comme on pouvait déjà en trouver au tournant du siècle, on lit aussi en 1891 une critique ironique et acerbe des prétendus « connaisseurs » qui utilisent un jargon d’initiés, dont le « flou » fait partie : « Et nous lisons de nouveau avec une admiration contenue les articles spéciaux des salonniers, des critiques d’art, de ces pontifes qui sont chargés de nous initier, nous profanes, à la science du beau, et qui ont le droit de nous éblouir par des aperçus sur la lumière, la tâche, l’ombre, le flamboiement, la gamme des tons, le flou, le vaporeux, la patte, le vécu, le moderne, le plein air, et tout cet argot nécessaire dans la partie » (O’Monroy Richard, « Courrier de Paris », L’Univers illustré, année 34, no 1887, 23 mai 1891, p. 250-251).
9 On le constate en feuilletant plusieurs revues et écrits de l’époque, qui mentionnent le « flou » dans divers contextes. Dans un conte littéraire : « Je voudrais me recueillir, obtenir une dernière pensée lucide, solennelle, avant l’instant fatal… Tout est flottant, indécis, flou, dans ma tête, qui va tomber » (Danville Gaston, « Contes d’au-delà : Le rêve de la mort », Le Mercure de France, t. 5, no 29, mai 1892, p. 46-53). À propos d’une pièce de théâtre : « Les personnages sont flous, le style est faible » (Agenais Léon d’, « La semaine parisienne », L’Europe artiste, année 40, nos 1-2, 10 janvier 1892, p. 1).
10 Wailly François de, Nouveau vocabulaire français, op. cit., p. 389.
11 Blanc Charles, L’art dans la parure et dans le vêtement, Paris, Loones, 1875, p. 261-262.
12 Anon., « Courrier de la mode », Le Monde artiste : théâtre, musique, beaux-arts, littérature, 1er juillet 1894, p. 364. À propos du rapport entre le collant proche du corps et le flou plus ample : « La mode, qui est au collant, l’est aussi au “flou”, et le flou est une chose extrêmement subtile, qui met de l’illusion là où la réalité manque : c’est la suprême ressource de celles qui veulent laisser croire à “quelque chose” sous le fuyant de la ligne. La mode actuelle a résolu ce problème insoluble : allier deux choses très dissemblables, le collant et le flou » (Camille, « La Semaine élégante », Le Matin : derniers télégrammes de la nuit, 1er mai 1899, p. 3).
13 Grandfort Marie de, « Courrier de la mode », La Fantaisie parisienne : littérature, théâtre, musique et modes, 15 octobre 1875, p. 6-8.
14 Breton de Champ Paul, Traité du lever des plans et de l’arpentage : précédé d’une introduction qui renferme des notions sur l’emploi pratique des logarithmes, la trigonométrie, l’algèbre et l’optique, Paris, Gauthier-Villars, 1865, p. 120.
15 Moitessier Albert, Éléments de physique appliquée à la médecine et à la physiologie, Paris, G. Masson, 1879, p. 362.
16 Gault Fernand, Neuromyélite optique aiguë : thèse présentée à la Faculté de médecine, Lyon, A. Rey, 1894, p. 77.
17 Bué Hector-Joseph (dit Alphonse), Le magnétisme curatif : psycho-physiologie, Paris, Chamuel, 1894, p. 279.
18 Pansier Pierre, Histoire des lunettes, Paris, A. Maloine, 1901, p. 83.
19 Faure Auguste, De la neuromyélite optique aiguë, Lyon, Imprimerie de P. Legendre & Cie, 1903, p. 31.
20 Daulnoye Pierre, « Le lieutenant de Témazan », Le Correspondant : revue mensuelle : religion, philosophie, politique…, Paris, V.-A. Waille, 1907, p. 67-96.
21 Helmholtz Hermann von, Optique physiologique, op. cit., p. 290.
22 Drouin Alphonse, De la pupille : anatomie, physiologie, sémiologie, Le Mans, Imprimerie Albert Drouin, 1876, p. 61.
23 Retterer Édouard, Anatomie et physiologie animales, Paris, Hachette, 1896 (2e éd.), p. 332.
24 Bert Paul, Leçons de zoologie, Paris, G. Masson, 1881, p. 359.
25 Arsonval Jacques-Arsène d’, Chauveau Auguste, Gariel Charles-Marie et Marey Étienne-Jules (dir.), Traité de physique biologique, t. 1, Paris, Masson et Cie, 1901-1903, p. v.
26 Ibid., t. 2, p. 141-186.
27 Ibid., p. 679.
28 Ibid., p. 189.
29 Ibid., p. 602 et 610. Voir aussi p. 608 et 695.
30 Ibid., p. 481.
31 Ibid., p. 496.
32 Donnadieu Adolphe-Louis, L’œil et l’objectif. Étude comparée de la vision naturelle et de la vision artificielle, Paris, C. Mendel, 1902, p. 2.
33 Ibid., p. 33.
34 Ibid., p. 36.
35 « [L]a pupille est elle-même légèrement voilée, floue, rougeâtre » (Mardellis Alcibiade, Étude anatomo-pathologique et clinique des lésions du nerf optique dans les fractures de la base du crâne, Lyon, A. Rey, 1900, p. 68). Le terme « flou » est aussi utilisé dans d’autres descriptions médicales, notamment de maladies de la peau (Chatelain Elie, Précis iconographique des maladies de la peau, Paris, A. Maloine, 1893, p. 372) ou du poumon (Camus Jean et Pagniez Philippe, « Considérations sur la non-spécificité des lésions tuberculeuses », Journal de physiologie et de pathologie générale, mai 1906, p. 480-493).
36 Brault Maxime, « Société des amateurs photographes de Paris. Séance du 23 septembre 1897 », L’Écho photographique, année 3, no 7, septembre 1897, p. 105-107 ; id., « Compte rendu de la séance du 9 mars 1905 », L’Écho photographique, année 11, no 3, mars 1905, p. 18-20. En 1897, le terme décrit le défaut de certains phototypes voilés, alors qu’en 1905, « donner un certain flou » signifie « adoucir une image, […] tirer une épreuve douce d’un cliché ».
37 Dauphin André, « La photographie et le public », Bulletin mensuel du Photo-Club toulousain, année 10, série 2, no 20, novembre 1905, p. 108-109.
38 McCauley Anne, « En dehors de l’art », Études photographiques, 16 mai 2005, mis en ligne le 4 juin 2005, [https://etudesphotographiques.revues.org/742], consulté le 15 avril 2022.
39 Anon., « L’agrandissement », La Photographie, t. 11, mai 1899, p. 65.
40 C. Ph., « La photographie », Journal mensuel du Photo-Club toulousain, année 2, no 4, 15 janvier 1897, p. 2.
41 Adeline Jules, Lexique des termes d’art, op. cit., p. 209.
42 Desormes E. et Basile Adrien, Polylexique méthodique. Dictionnaire des arts graphiques, t. 2, Angers, Lachèse et Cie, 1897-1899, p. 73. Le terme se trouve dans la section 4 consacrée à la « chimie photographique ». Voir aussi Naudet G., « Négatifs flous », La Photographie, février 1905, p. 41-43.
43 Guerronnan Anthony, Dictionnaire synonymique français, allemand, anglais, italien et latin des mots techniques et scientifiques employés en photographie, Paris, Gauthier-Villars, 1895, p. 484.
44 La Sizeranne Robert de, « La photographie est-elle un art ? », art. cité.
45 Assche comte d’, « Du choix des moyens en photographie (suite) », art. cité, p. 93-96.
46 Bovier Léon, « Du flou en photographie », L’Amateur photographe, décembre 1895, p. 613-616 ; repris du Bulletin de l’Association belge de photographie, année 22, vol. 22, no 11, 1895, p. 694-697.
47 Coupé J., « Du net en photographie », Bulletin de l’Association belge de photographie, année 22, vol. 22, no 12, 1895, p. 763-767.
48 Anon., « Du net en photographie », L’Amateur photographe, no 2, 1896, p. 13-16.
49 L’étymologie du terme « flouer » n’est pas liée au « flou » car il serait une variante de « frouer “tricher au jeu”, ancien français froer, du latin fraudare » (Rey-Debove Josette et Rey Alain [dir.], Le Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2014, p. 1062).
50 Peterson Christian A., After the Photo-Secession: American Pictorial Photography, 1910-1955, New York/Londres, The Minneapolis Institute of Arts/W.W. Norton & Co., 1997, p. 25. Si Christian Peterson s’intéresse à la production d’après 1910, on constate que le terme est déjà utilisé dans le Bulletin de l’Association belge de photographie en 1901 par H. d’Arcy Power qui évoque « le flou, que les Américains baptisent de fuzzywuzzyisme » (Power H. d’Arcy, « L’art, la photographie et le bon sens », Bulletin de l’Association belge de photographie, année 28, vol. 28, no 9, 1901, p. 528-533).
51 Dillaye Frédéric, « Études critiques sur l’exposition d’art photographique », Bulletin du Photo-Club de Paris, 1895, p. 129-140.
52 Poivert Michel, La photographie pictorialiste en France 1892-1914, thèse d’histoire de l’art, dir. José Vovelle, université Paris 1 – UFR 03, 1992, p. 54-57.
53 Colard Hector, « La vérité dans l’art photographique », Bulletin de l’Association belge de photographie, no 1, 1892, p. 35-53.
54 Assche comte d’, « Nettistes et flouistes. Les théories du Dr Emerson », Photo-gazette, 25 août 1893, p. 188-190.
55 Desormes E. et Basile Adrien, Polylexique méthodique. Dictionnaire des arts graphiques, t. 2, op. cit., p. 73.
56 Harmand Gustave, « L’école des flouistes. Méthodes pour obtenir la diffusion », La Photographie, janvier 1894, p. 3-4.
57 Dawson George, « Le flou artistique », Photo-gazette, 25 juillet 1895, p. 166-167.
58 Boschetti Anna, Ismes. Du réalisme au postmodernisme, Paris, CNRS Éditions, coll. « Culture & Société », 2014, p. 5.
59 « Flouisme » est utilisé de manière neutre notamment in Bertin L., « L’encadrement des photographies », Le Photogramme, vol. 3, no 5, mai 1899, p. 73-74 ; Dillaye Frédéric, La théorie, la pratique et l’art en photographie. L’art en photographie avec le procédé au gélatino-bromure d’argent, Paris, Librairie illustrée, Jules Tallandier, 1909 (1891), p. 23 ; Londe Albert, La photographie moderne : traité pratique de la photographie et de ses applications à l’industrie et à la science, Paris, G. Masson, 1896 (1888), p. 114.
60 Jolibert Bernard, De l’usage des mots en « -isme » en philosophie, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 10.
61 Leroy Louis, « L’exposition des impressionnistes », Le Charivari, 25 avril 1874, n. p.
62 Dillaye Frédéric, « Nettisme, flouisme, réalisme, impressionnisme…, barbarismes », Bulletin de l’Association belge de photographie, année 31, vol. 31, no 3, 1904, p. 146-152.
63 Leclerc de Pulligny Jean, « Le flou chromatique », Bulletin du Photo-Club de Paris, no 134, mars 1902, p. 77-102.
64 Bovier Léon, « Quelques considérations sur l’art photographique », Le Photogramme, vol. 8, no 6, juin 1904, p. 103-106.
65 Puyo Constant, « Propos sur l’optique », La Revue de photographie, no 10, 15 octobre 1907, p. 289-301.
66 Dillaye Frédéric, « Les fantômes des anachromats », Les Nouveautés photographiques. Complément annuel à la théorie, la pratique et l’art en photographie, Paris, Librairie illustrée/Jules Tallandier, 1908, p. 54-64.
67 Les arguments des pictorialistes, en 1890 et plus tard encore, sont presque les mêmes que ceux de Francis Wey en 1850. Pour s’apparenter à l’art, la photographie doit obéir au principe de la ressemblance et non de la stricte imitation, elle doit laisser place à l’interprétation de la nature selon les principes enseignés par les peintres. Michel Poivert rappelle cependant l’évolution théorique entre ces deux époques, qui se situe dans « la dimension positiviste de l’argumentation. Quand Wey parlait de “divine inspiration”, les photographes de la fin du siècle préfèrent un langage teinté de psychophysiologie : la vision humaine est désormais reliée aux sentiments par les “sensations”. Si l’univers théorique de référence des pictorialistes français est ancré dans les débats de 1850 qui cherchaient à réfuter le réalisme comme un art inféodé au concept usé de l’imitation, il emprunte donc aussi à l’imaginaire scientifique qui baigne la modernité de la fin du siècle » (Poivert Michel, « Robert Demachy, un photographe entre deux modernités », in La Banque Seillière-Demachy, une dynastie familiale au centre du négoce, de la finance et des arts, cat. expo., exposition au musée de l’Armée, Hôtel national des Invalides du 27.1.99-14.2.99, Paris, Perrin/FHHB, 1999, p. 197-211).
68 Les pictorialistes français, au contraire des Anglais, sont « amnésiques », selon un terme de Michel Poivert, et ne mentionnent presque jamais aucune filiation avec leurs prédécesseurs. Les pictorialistes anglais font quant à eux fréquemment explicitement référence à Julia Margaret Cameron et David Octavius Hill (Poivert Michel, La photographie pictorialiste en France, op. cit., p. 85-86).
69 Poivert Michel, « Les débuts de la photographie pictorialiste en France et ses rapports avec la photographie britannique », art. cité.
70 Reyner Albert, « Avant-plans et premiers plans », Bulletin du Photo-Club de Paris, no 116, septembre 1900, p. 306-310.
71 R. T. D., « Le Salon de photographie, suite et fin », Bulletin du Photo-Club de Paris, année 7, avril 1897, p. 173-191.
72 Puyo Constant et Leclerc de Pulligny Jean, Les objectifs d’artistes, Paris, Photo-Club de Paris, 1906, p. 15.
73 R. T. D., « Le Salon de photographie, suite et fin », art. cité. Voir aussi Sabat J.-B., « Le VIe Salon d’art photographique », Marseille Photo-revue, année 3, no 9, 1er septembre 1908, p. 137-143 : « Une série de beaux paysages bien pris, assez flous sans exagération. »
74 Dillaye Frédéric, « Études critiques sur l’exposition d’art photographique », Bulletin du Photo-Club de Paris, 1895, p. 97-101.
75 Rèle L., « Net ou flou ? », Art et photographie. Revue photographique, artistique, littéraire, organe officiel de la Société photographique de Roubaix, 25 août 1900, p. 49-50.
76 Anon., « L’exposition d’art photographique de Dunkerque », Bulletin de la Société photographique du Nord de la France, décembre 1897, p. 168-175.
77 Dillaye Frédéric, « Études critiques sur le premier salon d’art photographique », Bulletin du Photo-Club de Paris, 1894, p. 33-43.
78 Rèle L., « Net ou flou ? », art. cité.
79 F. H.-L., « La diffusion et le flou en photographie », La Photographie, juin-juillet 1906, p. 88-89.
80 Dillaye Frédéric, La théorie, la pratique et l’art en photographie, op. cit., p. 24.
81 Fréminet Louis, « Du flou en photographie », Gazette du photographe amateur, Bordeaux, no 128, novembre 1903, p. 173-176.
82 Reyner Albert, « Avant-plans et premiers plans », art. cité.
83 Burton W. K., « Comment l’on peut obtenir des épreuves moins nettes de négatifs nets », Gazette du photographe amateur, no 55, octobre 1897, p. 151-156.
84 Ibid.
85 Dufaure F., « Compte rendu de l’Exposition internationale de photographie, 15-31 mai 1901 », Journal mensuel du Photo-Club toulousain, année 6, no 54, 30 septembre 1901, p. 1-3.
86 Poivert Michel, La photographie pictorialiste en France, op. cit., p. 196.
87 Reiss Rodolphe Archibald, « Où allons-nous ? », Revue suisse de photographie, année 16, janvier 1904, p. 1-6. Article repris in Le Photogramme : Docteur Reiss R.-A., « Où allons-nous ? », Le Photogramme, mai 1904, vol. 8, no 5, p. 90-91.
88 Würtz H., « Objectifs nouveaux », Bulletin de la Société photographique, décembre 1905, p. 150-156.
89 Le Bègue René, « Sur la vérité en photographie », Photo-revue, no 10, 6 mars 1904, p. 77-78.
90 Liégard Alfred, « La question de l’art en photographie », Gazette du photographe amateur, no 135, juin 1904, p. 87-90.
91 Trutat E., « Objectif et trou d’aiguille », Le Photogramme, no 9, vol. 8, septembre 1904, p. 161-168.
92 Fréminet Louis, « Du flou en photographie », art. cité.
93 Reiss Rodolphe Archibald, « Où allons-nous ? », art. cité.
94 H. V., « Utilisation de la diffraction (inflexion) de la lumière pour l’obtention du flou », Bulletin de l’Association belge de photographie, année 21, vol. 21, no 7, 1894, p. 508-509 ; Salles Georges, « De l’influence de la peinture sur la photographie. Quelques mots sur le flou », Revue photographique de l’Ouest, année 5, no 4, avril 1910, p. 53-57.
95 Dawson George, « Le flou artistique », art. cité.
96 Anon., « La photographie des fleurs », Bulletin mensuel du Photo-Club toulousain, série 2, no 24, mars 1906, p. 152-153.
97 Chaumont E., « Chronique de la photographie », Revue photographique de l’Ouest, année 2, no 2, février 1907, p. 15-19. « Un autre fait qui frappe, après examen et étude comparée des quatre cent soixante-dix-neuf épreuves exposées, c’est qu’il existe toujours deux écoles opposées et discutées, celle du net et celle du flou. Mais le flou artistique, à peine perceptible, et le franchement net apparaissent de beaucoup l’emporter, cette année, sur le flou voulu et recherché » (id., « Lettre de Paris : le XIIIe Salon du Photo-club », Revue photographique de l’Ouest, année 4, no 5, mai 1909, p. 71-74). Le « flou voulu et recherché » désigne les exagérations floues, alors que le « flou artistique » désigne le flou subtil de Constant Puyo.
98 Dictionnaire mondial de la photographie des origines à nos jours, Paris, Larousse, 1994, p. 236.
99 Souriau Étienne, Vocabulaire d’esthétique, op. cit., p. 791.
100 Dillaye Frédéric, « Études critiques sur l’exposition d’art photographique », art. cité, p. 97-101.
101 Davison George, « Le Salon photographique de Paris », Bulletin du Photo-Club de Paris, 1897, p. 204.
102 Reiss Rodolphe Archibald, « Où allons-nous ? », Revue suisse de photographie, art. cité.
103 Dacier Émile, « Graveurs contemporains : Émile Lequeux », La Revue de l’art ancien et moderne, année 12, t. 24, no 136, 1908, p. 91-96.
104 Wernert Georges, « Gustave Surand, peintre », Le Magasin pittoresque, année 76, série 3, t. 9, 1908, p. 267-268 (à propos du peintre Gustave Surand).
105 Voir Poivert Michel, La photographie pictorialiste en France, op. cit., p. 292 ; Young Russ, « A Brief History of Soft Focus Lenses », The Photo Historian, nos 141-142, été 2003, p. 24-36. L’objectif soft focus est déjà commercialisé par Dallmeyer en 1866 et l’opticien le ressort en 1895 à la demande de l’amateur viennois Bergheim.
106 Marseille-revue photographique, no 12, décembre 1908, n. p.
107 Salles Georges, « De l’influence de la peinture sur la photographie. Quelques mots sur le flou », art. cité.
108 Ibid.
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