Introduction
p. 15-50
Texte intégral
« Descartes refiere que los monos podrían hablar si quisieran, pero que han resuelto guardar silencio, para que no los obliguen a trabajar. Los bosquimanos de África del Sur creen que hubo un tiempo en que todos los animales podían hablar. Hochigan aborrecía los animales ; un día desapareció, y se llevó consigo ese don. »
Jorge Luis Borges, El libro de los seres imaginarios (paru sous le titre original Manual de zoología fantástica, Mexico, 1957).
1À l’ère du numérique, des ouvrages digitalisés et des bibliothèques en ligne, l’histoire du livre, de ses usages à sa matérialité, est devenue une question urgente. Durant le « règne du papier », sa matérialité allait de soi, on ne voyait pas le concept qui le sous-tendait. Comme l’écrit Michel Melot, « pour observer un bocal, dit-on, mieux vaut ne pas être un poisson1 ». Au contraire, aujourd’hui, la feuille, l’encre, la reliure, toute la gestualité liée à la lecture du livre papier (qu’il faut désormais distinguer de son alter ego digital) sont devenues l’objet d’une histoire propre et même, pour certains, de valeurs à défendre afin de le sauver d’une mort prochaine2. Mais qu’entend-on par « livre » ?
2Tout d’abord, il y a la vision minimale : le livre est un objet qui consiste en une feuille pliée sur laquelle des signes ont été inscrits. C’est le cas des leporellos poétiques de Michel Butor ou des ephemera de l’Ancien Régime. Ensuite, les tenants d’une histoire du livre attachés à l’analyse de ses propriétés matérielles entendent le livre non seulement comme un objet, mais aussi comme un processus éditorial. Le livre comprend alors toutes ses rééditions. De son editio princeps à ses rééditions tardives, la forme et le fond d’un livre peuvent se voir changés et légèrement modifiés en fonction des époques, de la réception du public ou des fonds investis par l’éditeur. Dans cette perspective, l’étude du livre comprend trois niveaux : la description d’un exemplaire, la comparaison des différents exemplaires appartenant à une édition et l’analyse de son statut symbolique. Pourquoi comparer des exemplaires au sein d’une même édition ? Durant l’Ancien Régime, des différences infimes peuvent apparaître entre un exemplaire et l’autre, dévoilant certains des mystères de sa fabrication, comme les marques d’usage sur le bord des gravures sur bois qui témoignent que les illustrations ont été regravées en cours d’édition parce que les matrices étaient trop usées. Après cette première comparaison entre les exemplaires d’une édition, on procède de même pour les rééditions plus tardives.
3Le livre, en tant que support, est bien distingué du texte, du message. En d’autres mots, le livre est un « lieu de savoirs », « un objet symbolique, à la fois trait identitaire, signe de reconnaissance, valeur d’échange, instrument de pouvoir et lien communautaire3 ». De nos jours, tout l’enjeu de l’histoire du livre est de trouver le moyen d’articuler la question de la matérialité du livre, de sa singularité et de son unicité, avec celle de son évolution en tant que forme matérielle et symbolique des savoirs.
4La multiplicité « des espaces du livre4 » n’est pas seulement une donnée qui s’observe comme un processus éditorial, dans la diachronie. Comme un Frankenstein, le livre peut consister en un corps recomposé de morceaux : durant la période moderne, il arrive ainsi souvent que les libraires – les éditeurs marchands-imprimeurs de l’époque5 – assemblent du matériel issu de différents processus éditoriaux pour former un ouvrage, réutilisant ainsi d’anciens fonds pour réaliser de nouveaux livres à mettre sur le marché6. Roger Chartier a montré que la frontière entre la « mise en texte » qui revient à l’auteur et la « mise en livre » de l’éditeur n’est pas nette et que les textes doivent être entendus comme « un monde d’objets et de “performances”7 », en se rapportant à la définition de Jorge Luis Borges pour qui :
« La littérature est chose inépuisable, pour la raison suffisante et simple qu’un seul livre l’est. Le livre n’est pas une entité close : c’est une relation, c’est un centre d’innombrables relations8. »
5Puisque la fabrique des savoirs aux xvie-xviiie siècles a pour lieu privilégié le livre imprimé, celles et ceux qui en déterminaient la forme propre – les acteurs selon l’acception étymologique du mot –, non seulement l’auteur pour le texte, mais aussi les libraires pour le livre, sans oublier les graveurs pour les illustrations, jouent un rôle central dans ce processus. L’histoire des idées et des formes, de l’évolution des champs de savoirs durant la Modernité ne doit donc pas systématiquement être appréhendée sur un mode linéaire, continu et abstrait, détaché de toutes contraintes matérielles. Car les savoirs sont parfois le fruit d’un travail de bricolage de la part de ces libraires qui, pressés par le temps, ont inventé de nouvelles combinaisons d’éléments, textes et images, à des fins commerciales. Par l’association de lots anciens et d’éléments revisités, ils ont moins cherché à créer du nouveau qu’à en donner l’illusion pour un public friand de nouveautés, par exemple grâce aux pages de titre des livres anciens où l’expression la plus fréquente est « revu et augmenté de nouveau ». Ce nonobstant, le remploi d’anciennes matrices n’est pas rare. Par conséquent, les supports matériels des textes peuvent dépendre de principes aléatoires, parfois même du hasard, dans le but de proposer au public un objet prétendument nouveau.
6Cette enquête part de l’étude d’un de ces livres recomposés, faits de textes et d’images créés indépendamment les uns des autres, que les bibliophiles désignent sous l’expression de volume truffé. En 1612, paraît à Lyon un livre intitulé : MYTHOLOGIE, C’EST A DIRE EXPLICATION DES FABLES, contenant les Genealogies des Dieux, les cerimonies de leurs Sacrifices, leurs Gestes ; advantures ; amours, et presque tous les preceptes de la Philosophie naturelle et moralle. Extraitte du Latin de NOEL LE COMTE reveuë, et augmentée de nouveau, et illustrée de figures. PAR I. DE MONTLYARD (cf. ill. 1-3 du cahier noir-blanc, ill. I du cahier couleur et fig. 1-2)9. Il s’agit de la traduction en français d’un auteur célèbre, Natale Conti, un humaniste lombard dont les écrits, compilations et traductions sont encore aujourd’hui recherchés des hellénistes. En revanche, le traducteur français, un certain Jean de Montlyard, est peu connu, de même que le libraire, Paul Frellon. Surtout, il s’agit de la première édition de Conti à n’avoir jamais été illustrée. Or la réalisation des illustrations utilisées par Frellon ne répond pas à l’attente générale qui voudrait qu’elles aient été gravées pour l’occasion. En menant mon enquête, j’ai constaté qu’elles ont été tirées d’une autre compilation de fables, réalisée par un autre auteur originaire de la péninsule Italienne : les Imagini de i dei degli antichi de Vincenzo Cartari. Le texte de Conti a donc été illustré à l’aide de gravures d’illustration tirées de l’œuvre de Cartari, à l’insu du public.
7De prime abord, on pourrait penser qu’il ne s’agit que d’une traduction mineure, en français, d’un ouvrage majeur, en latin, au sein de la grande histoire de la réception de la littérature antique gréco-romaine du Moyen Âge à la Modernité. Les spécialistes de la fable au xviie siècle en France connaissent bien cette traduction française de Conti, se référant souvent au fac-similé de l’édition de 1627 paru chez Garland en 197610. En outre, la littérature secondaire ne s’est pas arrêtée sur l’édition lyonnaise de 1612, sinon pour la mentionner comme la source d’une réédition parue en 1627 à Paris sous les auspices de Jean Baudoin.
8Pourquoi citer une réédition (1627) plutôt qu’une autre (1612) ? Plusieurs raisons peuvent être évoquées : tout d’abord, la réédition de 1627 est un bel objet, une édition de luxe ; ensuite, elle est associée à un personnage prestigieux, car Baudoin a fait partie de la première génération d’académiciens choisis par Richelieu. Ensuite, la réédition parisienne de 1627 est vite devenue un ouvrage incontournable en contexte francophone dans le domaine de la « mythologie », soit l’étude et l’interprétation des fables des Anciens. La Mythologie ou Explication des fables de Baudoin est un classique11.
Le « mythe mort » et la fable
9Dans les études sur la période moderne, le mot « fable12 » est couramment utilisé pour désigner les récits de personnages divins et héroïques tirés de l’Antiquité gréco-romaine et accompagnés d’interprétations allégoriques, le plus souvent de caractère moral. Des Ovides moralisés à La Fontaine, la fable se situe en dehors du régime de vraisemblance13 : il s’agit d’une zone franche où la frontière entre humain, animal et végétal peut être abolie, de même que les règles de pudeur. Tirant son origine des polythéismes antiques, à savoir de religions disparues, elle a joui d’un crédit certain auprès des humanistes ; ce n’est certainement pas une quelconque historiette. Fable (du latin fabula, favola en italien) est le seul mot utilisé par Natale Conti et Vincenzo Cartari, car le mot « mythe » n’existait pas dans les langues vernaculaires et il n’a été introduit qu’à la moitié du xviiie siècle, dans la veine de Christian Gottlob Heyne14. Ce dernier a en effet créé le mot latin mythus sur la base du substantif grec μῦθος, et a démontré que, contrairement à la fabula (c’est-à-dire au récit fictif qu’il rapproche du μυθικόν des Anciens), le mythus n’est ni une fiction, ni une création des poètes. Conti écrit néanmoins des Mythologiae sive explicationis fabularum libri decem, que Jean de Montlyard traduit Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables en français15. À leur époque, tout humaniste connaissait le mot grec μῦθος, ne serait-ce qu’à travers Platon ; il était donc parfaitement en mesure de comprendre le mot « mythologie » et donc le sujet de l’ouvrage, une science des « fables ». Dès le milieu du xviiie siècle et surtout avec l’émergence des disciplines anthropologiques au xixe siècle, fable et mythe se sont partagé le champ dans lequel la fable régnait naguère en maître. Avec les Lumières, le concept de fable s’est progressivement replié sur ses particularismes (géographique, autour de la Méditerranée ; historique, relatif à l’Antiquité ; générique, la fiction), tandis que celui de mythe s’est ouvert à une acception toujours plus large pour viser vers l’universalisme.
10Aujourd’hui, il est fréquent de situer la fable aux côtés du conte et de la légende. Le mythe, pour sa part, pose encore le problème de sa définition en fonction des domaines dans lesquels il est utilisé. Les historiennes et historiens de la littérature antique et moderne partent souvent des racines étymologiques de μῦθος et de ses significations dans la Grèce antique pour définir le mythe. D’autres en revanche, surtout en anthropologie culturelle et histoire des religions, ont cherché à l’extraire d’une perspective ethnocentriste grâce à une approche comparatiste, en considérant ses usages et fonctions spécifiques au sein de chaque contexte culturel et non en partant de l’Antiquité grecque16. Mais il ne s’agit là que d’une schématisation d’une question plus complexe, puisque le mythe est versatile et son acception peut être radicalement différente selon que l’approche soit structuraliste dans la veine de Claude Lévi-Strauss, philosophique avec Ernst Cassirer, anthropologique ritualiste avec James George Frazer, philologique avec Georges Dumézil, psychanalytique avec Sigmund Freud ou politique avec Roland Barthes17.
11Dans les études récentes, Conti et Cartari sont plutôt associés à la mythographie, un genre littéraire généralement défini comme un ensemble de compilations écrites, réalisées sous un régime politique centralisé (par exemple sous l’Empire romain d’Occident)18. Les premières attestations grecques du mot muthográphos remontent au iie siècle avant notre ère, chez Polybe. On le retrouve chez Diodore de Sicile et chez Plutarque dans sa Vie de Thésée19. L’usage antique de muthographía apparaît pour la première fois chez Strabon, au ier siècle avant notre ère20. Durant l’Antiquité gréco-romaine, les significations et les usages de muthográphos et de muthographía ne sont pas constants et varient d’un auteur à un autre. Il faut attendre le xviie siècle avant de trouver le premier usage du terme « mythographie » pour désigner a posteriori un ensemble de textes antiques : le recueil édité par Munker, suivi de celui de Van Staveren21. Celui-ci comprend les Fabulae et l’Astronomia d’Hygin, les Mythologiarum libri tres de Fulgence, les Narrationes fabularum Ovidianarum (alors attribuées à Lactance Placide) et le De imaginibus deorum libellus dit d’Albéric22. En 1831, Angelo Mai enrichit cette compilation, dans son troisième tome des Classici auctores e Vaticanis codicibus editi, de trois recueils médiévaux tirés d’un manuscrit et trouvés à la Bibliothèque du Vatican, dont les auteurs anonymes sont désignés comme Mythographes du Vatican I, II et III23.
12Au xxe siècle, mythologie et mythographie se complètent en se faisant contraste, surtout sous la plume des historiens des religions après la Seconde Guerre mondiale : la mythologie faisant plutôt appel à l’oralité, à la liberté, à l’analogie et à la création, à l’inverse de la mythographie, qui renvoie alors plus souvent à l’écrit, à la norme, au pouvoir centralisé, voire à la disparition d’une culture24. Il faut bien avouer que la définition de la mythologie est complexe et pose les mêmes problèmes que celle du mythe ; on ne s’y arrêtera donc pas plus longtemps. On se contentera de signaler que l’usage de « mythologie » se rencontre plus fréquemment dans le domaine de l’ethno-anthropologie et celui de « mythographie », de l’histoire antique ou moderne. Ce qui les distingue avant tout, c’est la « mise en texte », puisque seule la mythographie est toujours présentée comme un récit écrit, cohérent, unifié (compilations, listes, encyclopédies) et parfois, bien que rarement, illustré.
13Dans Le Vent paraclet, Michel Tournier affirme que « les mythes, comme tout ce qui vit, ont besoin d’être irrigués et renouvelés sous peine de mort. Un mythe mort, ça s’appelle une allégorie25 ». Pour comprendre l’histoire de la fable et de la constitution d’un genre désigné comme mythographique, on ne peut pas faire l’impasse de l’allégorie. Solidaire de la fable, l’allégorie est souvent associée à des cultures « mortes » qui auraient cependant survécu sous forme écrite. Pour être plus précis, l’allégorie a deux acceptions : elle regroupe à la fois l’expression allégorique du point de vue de l’auteur et le travail d’interprétation allégorique des lecteurs et lectrices26. Chez Conti et Cartari, fable et allégorie sont indissociables27, en vertu d’une idée qui remonte à un vieux topos, une théorie de la fable presque aussi ancienne que les premiers récits grecs sur les dieux28.
14Selon cette théorie, les histoires des dieux, jugées immorales, ne peuvent être considérées comme vraies. Elles détiennent cependant un tréfonds de vérité auquel on peut accéder grâce à l’herméneutique. La métaphore de l’écorce et du noyau est courante pour distinguer le contenant (correspondant aux histoires invraisemblables des divinités païennes) du sens caché à l’intérieur29. Il n’est pas question de s’arrêter au scandale ou à la condamnation de récits jugés scabreux ou hérétiques, car la vérité doit être cherchée au-delà des apparences. Considérées comme vraies et fausses selon le point de vue adopté, les fables peuvent être réévaluées à chaque époque et selon chaque auteur, de la Grèce à Rome jusqu’au christianisme des Pères de l’Église. Les premiers auteurs chrétiens se sont emparés de cette théorie, pour la tourner à leur avantage et affirmer que les Anciens eux-mêmes n’ont pas cru à ces histoires. Toutefois, avec les chrétiens de l’Antiquité tardive, un problème chronologique s’ancre au cœur de la lecture allégorique des fables : la Révélation chrétienne a des antécédents qui ne sont pas chrétiens30. Pour résoudre ce contresens, les auteurs ont cherché à expliquer l’antériorité du christianisme sur le paganisme31 et ils ont vu dans l’Ancien Testament les « figures » du Nouveau, soit des motifs qui ont préfiguré la venue du fils de Dieu32. La prisca theologia ou la philosophie de la fable est un moyen pour préserver (tout en condamnant sa littéralité) un corpus de textes anciens et hérétiques et en justifier sa nécessaire et constante réévaluation.
15Pour Varron à en croire Augustin, la théologie est tripartite. Elle voit, derrière chaque fable, la possibilité d’une interprétation fabularis (« mythique »), naturalis (« naturelle ») ou civilis (« civile ») selon les termes varroniens33. Avec la diffusion d’une perspective empruntée à la lecture de la Bible, les interprétations anagogiques (relatives à l’histoire sainte) et historiques (dans une perspective évhémériste) sont ajoutées34. Loin de disparaître, la lecture allégorique des fables s’est poursuivie encore au Moyen Âge, par exemple dans les Ovides moralisés, chez les mythographes du Vatican et jusqu’aux xve-xvie siècles chez les successeurs de Boccace qui se réclament des Mythologiae de Fulgence, tels Georg Pictorius, Lilio Gregorio Giraldi, sans oublier Vincenzo Cartari. Natale Conti a cherché lui aussi à s’inscrire dans cette lignée en reprenant la structure du livre de Fulgence et en utilisant à son tour le mot mythologia comme titre pour son ouvrage (les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem)35.
16L’allégorie est aussi pensée comme une image ou comme un symbole permettant de graver dans la mémoire une idée commune à un groupe et immuable dans le temps. En tant que support mnémotechnique, elle est étudiée aux côtés de l’emblème et de l’héraldique36. La fable, le mythe et l’allégorie, qui se partagent le vaste champ allant de l’imaginaire à la religion, sont ainsi complémentaires en même temps qu’ils se confondent sous certains aspects, et qu’ils se concurrencent même parfois. Un ancien topos les a tous traversés, qui a trait à l’image. De l’Antiquité à l’époque moderne, la fable est offerte à l’usage des personnes illettrées et les auteurs en ont surtout recommandé la lecture aux « simples d’esprits », en particulier aux femmes et aux enfants. Suivant ce lieu commun, la fable est pensée comme une image et jugée plus facile à comprendre qu’un texte37. De l’image, on bascule rapidement vers l’image édifiante, de la représentation des vices et des vertus dans les chapiteaux romans aux illustrations de la Bible des pauvres. Aux xvie-xviie siècles, l’écrasante majorité des livres illustrés sont des livres religieux, ce qui n’est évidemment pas un hasard38. Or, dès la seconde moitié du xvie siècle, la forme du livre change à cause du rôle grandissant de l’image. Comme l’écrit Michel Pastoureau, « l’estampe tend à prendre une existence de plus en plus autonome vis-à-vis du livre […] et à le concurrencer dans son rôle de créateur et de diffuseur d’images documentaires39 ».
17Les xvie-xviie siècles représentent ainsi un tournant majeur pour l’histoire du livre et des lieux de savoir, avec l’essor des dictionnaires de fables, dont les plus célèbres sont ceux de Richelet, de Furetière et de l’Académie française. Le succès qu’ils rencontrent est le signe d’un changement profond dans les modes d’appréhension des savoirs sur l’Antiquité. Le dictionnaire n’est pas une glose médiévale : il ne fonctionne pas sur le modèle de la source encadrée de son commentaire. Le dictionnaire n’est ni une compilation, ni un texte pédagogique ou propédeutique. Le dictionnaire ne forme pas les esprits, il est un « outil de traduction » qui permet de passer d’une « langue à une autre », selon les mots de Jean Starobinski40. Les dictionnaires de fables permettent un repérage rapide afin de trouver l’histoire ou la signification d’une divinité, à l’inverse des longs développements des humanistes et de Conti en particulier. Starobinski a justement relevé que l’apparition de ces dictionnaires est corollaire de la réduction de la fable à un « lexique ». Pour lui, face au mythe, la fable s’est « amenuisée » entre le xviie et le xviiie siècle au point de devenir « la substance minimale d’un récit d’aventures et le prétexte d’une pédagogie facile, attentive à plaire ». Starobinski cite Natale Conti ainsi que Jean Baudoin. Il voit, derrière l’invention de ce nouveau langage fabulaire, superficiel, léger, divertissant, « une discipline obligée d’un honnête homme », rien de plus. L’invention d’un langage fabulaire standardisé face à l’essor de l’idée de mythe universel aurait donc débuté à la fin du xvie siècle et se serait manifestée dans les nouvelles formes de l’écrit et en particulier dans celle du dictionnaire, dont nous sommes encore aujourd’hui les héritiers et les héritières41.
18Les deux rééditions françaises de Conti mentionnées ci-dessus, à savoir la Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables parue à Lyon en 1612 et celle parue à Paris en 1627, ont pour arrière-plan le développement des dictionnaires de fables et, plus tard, des encyclopédies. Ce contexte doit être mis en relation avec le changement du statut du livre entre le xviie et le xviiie siècle et « l’apparition de l’écrivain » décrit par Michel Melot. Avec ce « triomphe », le collectionneur de livres n’est plus désigné, de manière péjorative, comme un « bibliomane », mais progressivement comme un « bibliophile42 ». Les livres, ces sommes de toutes les connaissances du monde, deviennent dès lors des « objets d’art » et voient leur entrée dans les « musées et les réserves des bibliothèques43 ».
Au service de l’iconologie
19Des définitions des concepts de fable, mythe et allégorie à la période moderne, il faut à présent en venir au parcours de l’historiographie. Conti et Cartari ont longtemps été ignorés de la recherche et ils n’ont fait l’objet d’un regain d’intérêt que ces dernières décennies avec la mise en place de plusieurs groupes de recherche44 et la publication de deux éditions critiques des Imagini de i dei degli antichi45, des Mythologiae sive explicationis fabularum libri decem de Conti46, du premier livre de la Mythologie ou Explication des fables de Baudoin47 ainsi que d’un recueil d’articles sur Cartari48. Cet intérêt tardif pour des auteurs majeurs comme Conti et Cartari s’explique par l’histoire des disciplines et notamment de l’histoire de l’art, comme il sera vu dans un instant. J’entends montrer que, loin d’être anecdotiques, les premières analyses des historiens de l’art ont marqué un passage décisif, voire le début d’une nouvelle ère. À partir de là, Cartari et les autres auteurs de compilations modernes ont figuré parmi les sources privilégiées de l’analyse iconologique mais, en même temps, la pratique de les citer sans en considérer les spécificités matérielles et historiques s’est largement répandue. La présentation du contexte de mise en place des sciences humaines comme disciplines académiques au xixe siècle et l’essor des études autour de la survivance des formes visuelles permettent de comprendre ce phénomène.
20Entre anthropologie culturelle et histoire de l’art, Aby Warburg a cherché à extraire l’étude de l’art, jusqu’alors cantonnée entre le marché de l’art et l’esthétique, de son ethnocentrisme, pour en faire une question plus large49. Warburg s’est intéressé à la « puissance mythopoïétique des images50 ». Pour lui, l’Antiquité « dionysiaque » (il n’a qu’une vingtaine d’années de plus que Friedrich Nietzsche) a survécu à travers l’histoire et a pleinement émergé à la Renaissance par le biais de la magie, de l’astrologie, des traditions hermétiques et arabes qui l’ont préservée durant des siècles51. Pour Warburg, l’image « cristallise » de façon significative une « culture52 ». En partant d’une période comme la Renaissance italienne (devenue le mythe de l’« invention d’une morale antichrétienne » après Jacob Burckardt et sa Civilisation de la Renaissance en Italie53), l’ikonologische Analyse de Warburg se construit autour d’une idée de l’art comme expression d’une philosophie, à savoir une conception particulière du monde. Dans son analyse du cycle de fresques astrologiques au palais Schifanoia de Ferrare, l’iconologie s’offre comme un moyen de suivre les formes d’un lieu et d’un temps à d’autres, d’observer les motifs des divinités antiques voyageant dans l’espace, de l’Orient à l’Occident, et dans le temps, de l’Antiquité à la Renaissance. Mais personne ne semble avoir été attentif au fait que, parmi les preuves qui ont permis à Warburg de passer de l’individuel au collectif, du niveau microhistorique à celui macrohistorique, d’un artiste à sa culture, figure le livre illustré de Vincenzo Cartari.
21Son premier essai paraît en 1893 sous le titre Sandro Botticelli ‘Geburt der Venus’ und ‘Frühling’. Eine Untersuchung über die Vorstellungen von der Antike in der Italienischen Frührenaissance54. Dans cette analyse de la ceinture portée par le Printemps dans la Naissance de Vénus, Warburg cite les Imagini de i dei de Vincenzo Cartari, ouvrage paru pour la première fois à Venise en 1556 chez Francesco Marcolini. Cette compilation savante de fables antiques gréco-romaines suivies de leurs diverses interprétations allégoriques est, dès l’édition de 1571, ornée d’illustrations commandées pour l’occasion. Ce type de manuel « prêt à l’emploi » précède l’invention des dictionnaires et, à une époque où tout bon humaniste doit maîtriser le corpus des textes antiques, il connaît un immense succès.
22Cependant, dans l’économie du texte de Warburg, Cartari fait simplement office de preuve dans le discours et permet le passage du particulier, les Imagini de i dei, au général, « les érudits de la Renaissance » :
« Le passage suivant, pris à Vincenzo Cartari dans les Imagini dei Dei, nous montre que d’autres érudits de la Renaissance se sont représenté la ceinture de fleurs comme un attribut de la déesse du printemps […]. Cette érudition pêle-mêle démontre au moins une chose : les deux citations d’Ovide constituent les sources principales55. »
23Chez Warburg, les Imagini de Cartari servent à repérer les idées d’un groupe (une époque, une culture, etc.) et le savoir que ce groupe partage. Leur étude permet d’éclairer une œuvre particulière, en l’occurrence le tableau de Botticelli et d’appréhender un aspect général du siècle qui l’a produit, le Quattrocento florentin56. Il faut souligner que Cartari est largement postérieur à Botticelli puisque soixante-dix années environ les séparent ; mais peu importe à Warburg. La raison en est que le livre illustré, qui sert de preuve à la démonstration iconologique (« nous montre que… »), est entendu comme le symptôme d’une vaste période et fonctionne comme « diagnostic » ou « support de l’expression d’une mémoire sociale57 » pour remonter « aux attitudes de fond de la civilisation de la Renaissance58 ». Les fondements de cette méthode, qui prend le livre illustré comme témoin d’une culture au sens large, se retrouvent dans le mot choisi par Warburg, « iconologie », emprunté à Cesare Ripa et à son Iconologia, publiée pour la première fois en 1593. Il est à noter que Cesare Ripa est l’un des plus célèbres et importants successeurs de Vincenzo Cartari, ayant pour source principale les Imagini de i dei degli antichi59. Les débuts des études iconologiques au xxe siècle apparaissent dès lors comme fortement liés à la réception de livres illustrés du xvie siècle, en l’occurrence Ripa et Cartari60. Or, en omettant toutes les propriétés matérielles du livre, les différentes étapes éditoriales, les remplois d’un livre à l’autre, Warburg l’a en quelque sorte désincarné. Et c’est justement ce livre désincarné qui a servi dès lors de preuve pour la méthode iconologique.
24Après Warburg et d’autres historiens de l’art comme Émile Mâle61, Erwin Panofsky a poursuivi l’entreprise de réflexion autour du problème de la survivance, de l’iconologie et des compilations illustrées de fables et allégories du xvie siècle. Dans l’introduction de ses Studies in Iconology parues en 1939, il propose une méthode de lecture des œuvres d’art fondée sur la redécouverte de Ripa et les écrits de Warburg62 :
« Le mot d’iconologie est emprunté, on le sait, au titre célèbre de Cesare Ripa, Iconologia, publié en 1593 et destiné, non seulement aux peintres et aux sculpteurs, mais “aux orateurs, prédicateurs et poètes”. Le terme réapparaît çà et là en Europe, surtout après que A. Warburg […] eut publié son célèbre essai sur les fresques du palais Schifanoia une “ikonologische Analyse”63. »
25Pour Panofsky, l’analyse d’une œuvre d’art repose sur la distinction entre trois niveaux de sens : la signification primaire et naturelle de l’image (les formes pures), la signification secondaire ou conventionnelle, dite encore « iconographique » (l’identification des motifs), et la signification intrinsèque ou le contenu, l’« iconologie » (l’œuvre d’art comme « symptôme » d’une civilisation, comme le Kunstwollen de Riegl64). L’idée de survivance de Warburg cède sa place à celle d’influence65. Panofsky se sert lui aussi des compilations modernes de fables antiques : Vincenzo Cartari parmi d’autres, ainsi que Natale Conti, l’auteur des Mythologiae sive explicationis fabularum libri decem (Venise, Comin Da Trino, 1567).
26Les livres de Conti et Cartari ont deux fonctions dans le discours de Panofsky66 : soit ils représentent une opinion ou une connaissance généralement répandue comme chez Warburg67, soit ils incarnent l’héritage polythéiste antique. Par exemple, l’analyse iconographique des jeunes mariés dans un tableau du Titien (Allégorie conjugale, dite à tort Allégorie d’Alphonse d’Avalos, vers 1530, Paris, Musée du Louvre) amène Panofsky à montrer ses liens avec une version du mythe de Mars et Vénus. D’après celle-ci, il ne serait pas incongru de représenter un couple honnête sous les traits des amants mythiques, en vertu d’une version du mythe dans laquelle Mars et Vénus sont présentés comme des époux légitimes. Il poursuit en précisant que cette version découle d’une « ancienne tradition » qui « subsista, sous une forme quelque peu altérée jusque dans la mythographie de la basse Antiquité et du Moyen Âge, et dans les textes les plus érudits de la Renaissance68 ». Chez Panofsky, les compilations anciennes de fables sont ainsi réparties entre la « mythographie » de l’Antiquité et du Moyen Âge et les « textes les plus érudits » de la Renaissance parmi lesquels « Natalis Comes » (Natale Conti). Conti et Cartari sont plutôt cités en note de bas de page et ils n’apparaissent qu’à deux reprises dans le corps principal du texte : d’abord, dans le passage consacré à la représentation des fleuves infernaux chez les néoplatoniciens (« Et si répandue fut cette interprétation des quatre fleuves souterrains, qu’on la trouve jusque dans les Imagini de Cartari69 »), puis au sujet de l’interprétation néoplatonicienne de l’Intellect70.
27De plus, Panofsky cite les ouvrages des mythographes et érudits modernes avec un manque de rigueur historique qui ne lui ressemble guère : les Mythologiae sive explicationis fabularum libri decem de Conti ne portent ni date, ni lieu d’impression ; quant aux Imagini de i dei de Cartari, la légende de l’illustration reproduite dans le chapitre sur l’« Amour aveugle » n’indique que la date de 1584 (ill. 4). Or, il n’existe aucune édition de Cartari parue en 1584, tandis que la gravure d’Éros et Antéros fait partie des illustrations regravées après 1571 (ill. 5) par Filippo Ferroverde pour une autre réédition de Cartari réalisée à Padoue (Padoue, Pietro Paolo Tozzi, 1615, cf. ill. 6, 6a).
Ill. 4. Planche avec Éros, détail, in Erwin Panofsky, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1967, ill. 6.
Ill. 5. Giuseppe Porta (dessin) et Bolognino Zaltieri (exécution-édition), Éros et Antéros, détail, gravure sur cuivre, in Vincenzo Cartari, Imagini de i dei, Venise, F. Ziletti [et V. Valgrisi], 1571, p. 504.
Paris, Bibliothèque nationale de France, Res J 78824.
Ill. 6. Vincenzo Cartari, Imagini de gli dei, Padoue, P. P. Tozzi, 1615, p. 442.
Los Angeles, Getty Research Institute.
Ill. 6a. Filippo Ferroverde, Éros et Antéros, in Vincenzo Cartari, Imagini de gli dei, op. cit., 1615, p. 442.
28Comme Warburg avant lui, Panofsky ne semble guère s’intéresser aux livres anciens, qu’il ne cite pas pour eux-mêmes, mais en tant que relais pour comprendre ou incarner autre chose : un artiste, une période, une culture71. Le problème de cette approche est que, pour proposer un discours universel sur la forme, Warburg et ses successeurs iconologues ont amputé le livre de tout ce qui en faisait un objet particulier, de son histoire à sa matérialité. Conti et Cartari ont permis de restituer ce que toute personne érudite aurait certainement dû connaître de l’Antiquité, tandis que Warburg et Panofsky n’ont pas porté d’attention à la forme du livre, ni à son contexte de production et de réception, ni aux différences d’une édition à l’autre, du rapport entre le texte et l’image, etc. Depuis Warburg, lecteur d’Ernst Cassirer, et Panofsky, le livre de Cartari s’est dissous dans son époque en même temps qu’il s’est mis à l’incarner. Tout ce qui fait du livre une production contingente a donc été écarté au profit d’un discours sur la forme pure. Ce faisant, une technique occidentale qui était aussi un symbole du christianisme moderne (le livre comme synecdoque de la Bible) a été considérée comme un médium neutre du savoir. De plus, l’iconologie développée à la suite de Warburg n’a pas prolongé ses travaux en anthropologie culturelle, dans la veine de sa conférence sur le rituel du serpent chez les Hopis de Walpi en Arizona ni ses recherches en anthropologie visuelle, à partir de son projet d’atlas Mnemosyne72. La réception des études de Warburg est donc marquée par la séparation toujours plus nette des études en histoire et en anthropologie, en même temps que par la subordination des études textuelles aux études visuelles, qu’elles portent sur des objets occidentaux ou extra-occidentaux.
Conti et Cartari, les derniers des mythographes
29Toutes les études récentes sur Conti et Cartari ont été menées à l’aune de l’histoire occidentale et non de l’anthropologie, pour les raisons historiographiques évoquées plus haut, et elles se situent toutes directement et explicitement dans la lignée de Jean Seznec, un proche d’Henri Focillon, élève d’Émile Mâle et grand lecteur d’Erwin Panofsky, qui a introduit les thèses warburgiennes en France73. C’est donc avec Seznec que ce parcours historiographique mérite d’être poursuivi.
30Depuis son mémoire de licence, Seznec s’est intéressé aux dieux « païens » du xvie siècle74. En 1931, il présente une thèse de doctorat en Sorbonne dirigée par Émile Mâle sur les « fresques mythologiques dans les Palais Italiens au xvie siècle – dans leurs rapports, particulièrement, avec les traités d’Iconographie75 ». Entre 1930 et 1931, Seznec publie deux articles respectivement intitulés « Érudits et graveurs au xvie siècle » et « Un essai de mythologie comparée au xviie siècle », qui traitent de Vincenzo Cartari parmi d’autres auteurs76. Mais les ambitions de Seznec dépassent largement l’étude des xvie-xviie siècles. Dans une lettre du 28 novembre 1937 au directeur de l’École française de Rome de l’époque, Jérôme Carcopino, il décrit en ces termes son nouveau projet :
« J’ai commencé à Rome en 1929 une thèse qui touche à sa fin ; elle sera prête au printemps pour l’impression : l’Institut Warburg de Londres me l’a demandée pour la publier dans ses Studien zum Nachleben der Antike. Il s’agit de la survivance des dieux antiques au Moyen Âge, dans la culture et dans l’art ; du rôle de cette tradition médiévale dans la Renaissance italienne, et de sa fortune dans l’humanisme européen77. »
31Son ouvrage intitulé The Survival of the Pagan Gods paraît pour la première fois en 1940, à Londres, comme onzième volume de la série « Studies of the Warburg Institute ». Il est réédité à plusieurs reprises entre 1953 et 1972 et traduit dans plusieurs langues, du japonais au français. Seznec cherche à dresser l’histoire de la « mythographie », de sa naissance à son « déclin ». Avant la parution du livre de Seznec, la mythographie désignait un groupe d’auteurs antiques, tardo-antiques et médiévaux, mais pas modernes. Seznec ne s’arrête cependant pas sur les origines du mot muthográphos qui, comme cela a été vu précédemment, sont antiques. Ainsi, sans présenter l’histoire de l’idée ni celle du mot « mythographie », qui ne renvoie alors qu’à l’Antiquité (grecque, romaine et tardive) et au Moyen Âge, Seznec cherche à lui donner un sens nouveau en l’étendant à la Renaissance. Comme Edgar Wind78, il pense que le paganisme antique s’est poursuivi au Moyen Âge et à la Renaissance, caché à l’intérieur de « vieux symboles79 ». Seznec réfute donc l’idée d’une rupture entre le Moyen Âge et la Renaissance ainsi que celle d’une renaissance de l’Antiquité durant la Modernité et défend au contraire celle de « survivance80 ». Quelque chose d’essentiel aurait survécu selon lui chez les mythographes « modernes » (y compris Conti et Cartari), transmis depuis l’Antiquité et disparu après eux, non pas le simple « souvenir des anciens dieux », déjà conservé dans des « foyers d’humanisme médiéval », mais un « système d’idées » bien vivant81. Dans ce contexte, les images jouent un rôle particulier, celui de « témoins » :
« […] elles permettent d’apercevoir ou de rétablir la continuité d’une tradition, et d’en suivre pour ainsi dire à la trace tous les prolongements. L’iconographie, en un mot, nous sert constamment d’auxiliaire à l’histoire des idées82. »
32Dans la perspective de Seznec, ce ne sont pas seulement des motifs isolés, textes ou images, qui « survécurent » à l’Antiquité, mais bien de véritables « systèmes d’idées83 ». Pour lui, la mythographie s’offre comme le lieu de la conservation d’un savoir précis qui lui est propre. Tout en citant Bernard Le Bouyer de Fontenelle et son Histoire des Oracles, Seznec définit cette « mentalité primitive84 » conservée par les mythographes à travers la quête d’explication des origines des dieux, qui se décline de plusieurs façons85.
33Ceci étant, Seznec a peu d’estime pour les mythographes modernes, Conti, Cartari ainsi que Lilio Gregorio Giraldi, car il considère qu’ils représentent le déclin du genre mythographique et qu’ils annoncent la fin de la « survivance des dieux antiques » en Occident. Il ne semble pas supporter l’idée que, malgré la « documentation infiniment précieuse » qu’ils ont eue « à leur portée86 », ils se seraient contentés de consulter les sources textuelles transmises au travers des livres imprimés modernes, comme celui de Peter Apian87, sans utiliser la documentation archéologique. Dans son texte, Seznec présente comme contrepoint à l’ouvrage de Cartari celui de Guillaume Du Choul, le Discours de la Religion des anciens romains (Lyon, Guillaume Rouillé, 1556). Ce « très bel ouvrage […] mérite une mention spéciale » pour ses illustrations, alors attribuées à Bernard Salomon (le « Petit Bernard »)88. Plus loin, Seznec répète que les illustrations de Cartari, qu’il attribue à un certain Bolognino Zaltieri sur lequel nous nous arrêterons plus longuement dans la suite de cette enquête, « reposent sur des textes et non sur des monuments figurés89 ». Selon Seznec, le fait qu’elles « ne s’inspirent pas une seule fois de l’antique » crée un « effet désastreux90 ». De surcroît, Zaltieri, le graveur de Cartari, est jugé « médiocre », incapable de « rendre le plus faible reflet de la Grèce » alors qu’à la même époque des artistes de « Botticelli à Mantegna jusqu’à Raphaël et Titien, ont plus d’une fois tenté de reconstituer ou de ressusciter des chefs-d’œuvre de l’art antique91 ».
34Les illustrations de Cartari sont jugées laides du point de vue esthétique. Ni païens ni contemporains, les trois mythographes ont participé au mouvement de « vulgarisation » des paganismes antiques et, en recyclant un savoir désuet et de seconde main, l’ont perverti92. La décadence de la mythographie annonce ainsi la fin des « paganismes modernes ». La démarche de Seznec se veut définitive : faire le point sur des auteurs méconnus, les inscrire dans une tradition et faire le tour complet de leur étude, en pointant leurs limites et leurs insuffisances.
35Seznec signale un problème supplémentaire qui tient aux débats théoriques autour de l’idée même de mythologie. Il insiste en effet sur l’idée que la « mythologie antique » est composée non seulement des dieux « olympiens » grecs mais aussi des « divinités barbares ou pseudo-antiques93 ». La fin du « paganisme » en Europe aurait vu naître une tradition « syncrétique » qui a mélangé les cultes occidentaux et orientaux94. Dans les manuels de Giraldi, Conti et Cartari, la « confusion » règne selon Seznec, la représentation des dieux étant fondée sur des descriptions textuelles plutôt qu’archéologiques95 et, en même temps, les mythographes modernes ont empilé diverses traditions écrites sans ordre géographique ou historique96. Les traités médiévaux et, surtout, les mythographies modernes italiennes sont si « désordonnées » qu’elles font figurer, aux côtés des dieux grecs et orientaux, des « dieux Mexicains et Japonais97 ». Seznec ajoute encore que : « Cette fois, l’Olympe, débordé de toutes parts, se transforme en pandémonium98 ». Pour conclure son chapitre consacré à Giraldi, Conti et Cartari, Seznec affirme : « Au total, cette mythologie, pour la caractériser sommairement, est à la fois livresque et barbare : à ce titre, elle est doublement anti-esthétique99 ». Pour discréditer les mythographes modernes, Seznec leur reproche donc d’avoir mêlé dieux « barbares » et dieux grecs, l’Orient et l’Occident. Il oppose la laideur des uns à la beauté des autres, en se référant à Ernest Renan et à une Grèce dont l’ancienne religion serait fondée sur « le sens de la beauté100 ».
36Conti et Cartari apparaissent dès lors comme les derniers des mythographes, ce qui pourrait faire penser à l’image alors répandue du dernier des Mohicans. Bien que la disparition des peuples autochtones dans les Amériques n’ait évidemment rien à voir avec l’humanisme moderne, cette analogie n’est pas dépourvue de sens. Elle concerne moins les liens entre Mohicans et mythographes que les catégories épistémologiques à travers lesquelles ceux-ci ont été étudiés, aussi bien les mythographes que les Mohicans ayant été rattachés au « polythéisme » au temps de Seznec, le premier, extra-européen, le second, moderne.
37L’histoire de la « survivance » renvoie à celle de la « superstition101 », puisque le mot latin superstes signifie « témoin » ou « survivant102 ». Avec la diffusion du relativisme culturel dans les sciences humaines au xixe siècle, le mot « superstition » a progressivement disparu pour céder sa place à la « survivance ». À cette époque, la réflexion anthropologique est conditionnée par les écoles évolutionnistes : la recherche de l’origine du sentiment religieux, avec James George Frazer sur la magie et l’animisme par exemple103, a amené un souci de classification et de comparatisme en quête de similitudes104. Ce concept de « survivance » doit beaucoup à Edward B. Tylor, l’ethnologue britannique pionnier de la discipline qui, dans son Primitive culture, développe largement la question du survival105. Avec l’application du système darwinien à la Kulturwissenschaft, « sélection » et « survivance » apparaissaient comme corollaires : la survivance devient dès lors une question de résistance106. Pour le dire en d’autres mots, l’idée se diffuse que la survivance des mythes à travers les âges est une forme de résistance au temps et à la disparition de cultures. Cette idée se retrouve, par exemple, dans un essai comparatiste sur la « mythologie des images » de Charles Clermont-Ganneau publié en 1880 que Warburg a lu attentivement107. Un dernier exemple, qui ne concerne pas directement Conti et Cartari, permettra néanmoins de saisir l’objet polémique qui sous-tend tout discours théorique autour de la mythographie à partir de Jean Seznec.
38Huit ans après la Survivance des dieux antiques de Seznec paraît un article de Roger Bastide sur les « Amériques noires », qui précède de quelques années son ouvrage de référence sur le candomblé brésilien108. L’étude ethnologique de Bastide traite des esclaves noirs déportés dans les Amériques qui auraient « emport[é] dans leurs cœurs des morceaux de ces Afriques vivaces, tenaces… », selon les mots de Lucien Febvre dans la préface. Febvre inscrit la recherche de Bastide au sein des débats actuels de l’anthropologie culturelle sur la survivance en utilisant l’expression les « Afriques persistantes109 ». Pour Bastide, le « problème afro-américain » doit être appréhendé, d’un côté à partir de l’origine d’une culture (la « diversité des civilisations africaines originelles »), et de l’autre, de son évolution après les « perturbations […] sous l’action destructrice de la civilisation blanche110 ». Face au régime esclavagiste, ces groupes originaires d’Afrique subsaharienne débarqués sur le continent américain auraient réagi de deux façons : par la « résistance » ou l’« assimilation ». Relire Seznec à l’aune de Bastide permet ainsi de constater que le schème de pensée est le même puisque Seznec considère les « mythographes modernes » en fonction d’une religion originelle, héritée de l’Antiquité gréco-romaine, et de leur capacité de résistance vis-à-vis de la christianisation progressive de l’Europe.
39Bastide poursuit en affirmant que « les religions africaines se sont maintenues dans les pays catholiques », tout en relevant la difficulté de démêler les pratiques « originelles » de celles résultant de mélanges111. Face aux persécutions religieuses aux Amériques, les cultes africains ont su se « maintenir » (ce verbe est utilisé à plusieurs reprises) en se « cachant sous le masque du catholicisme112 ». Les dieux orixás n’ont pas été confondus avec les saints catholiques : « Ainsi le catholicisme laisse subsister, dans certains centres, la religion africaine presque dans sa pureté native et il n’est nul besoin, dans ces conditions, de réinterpréter l’Afrique en termes catholiques113 ». Pour expliquer ce phénomène, il résume la théorie de la « mentalité primitive » de Lucien Lévy-Bruhl en décrivant un système religieux qui divise la nature en « compartiments étanches » au sein desquels chaque dieu correspond à un jour de la semaine, un animal ou une couleur par exemple. Pour lui, les saints catholiques ont été introduits dans ce système de « correspondances mystiques » sans jamais l’altérer ni se mêler aux croyances originelles114.
40La comparaison quelque peu audacieuse de Bastide et Seznec permet de pointer l’idée commune de survivance qui les réunit. Les polythéismes occidentaux modernes et extra-occidentaux contemporains, décrits par Seznec et Bastide posent le problème de la figure. Car c’est bien l’opération de dissociation du contenu et du contenant (ou du noyau et de l’écorce pour utiliser la métaphore antique) qui a permis de les penser séparément et d’envisager que le second puisse survivre au premier. L’analyse croisée de Seznec et Bastide permet de constater qu’ils considèrent tous deux que des « cultures » polythéistes ont persisté, intactes, à l’intérieur de systèmes religieux fondés sur un réseau de « correspondances » grâce à leur structure figurative (nature, dieu païen, personnage biblique ou catholique). Pour l’un comme pour l’autre, ces polythéismes, qu’ils soient « antiques » ou « primitifs », se sont vus menacés par un empire catholique (l’Église de la Contre-Réforme ou le colonialisme portugais) – Bastide insiste sur la distinction entre catholicisme et protestantisme. Cette idée commune de survivance pose en filigrane le problème de la résistance à un pouvoir centralisateur et normalisateur, destructeur de cultures, inscrit dans l’histoire du catholicisme.
Le livre
41Les spécialistes des « paganismes modernes » ou, comme il est plutôt d’usage de les désigner aujourd’hui, de la réception de l’Antiquité entre la fin du Moyen Âge et l’Ancien Régime, regardent rarement les différences entre une édition et sa réédition, entre un lot d’illustrations et ses impressions postérieures. Pour ces interprètes, ce sont les sources textuelles mobilisées par les compilateurs modernes sur les mythes ainsi que la manière dont elles sont agencées au sein du discours de l’auteur qui importent. Entre l’édition lyonnaise de la Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables de 1612 et la parisienne de 1627, quelle différence y a-t-il, dans la mesure où les citations antiques sont les mêmes à quelques exceptions près ? En adoptant cette perspective, les propriétés matérielles du livre sont reléguées au second plan et les illustrations pas même envisagées. Mon enquête menée dans la perspective de l’anthropologie historique viendra montrer que l’étude de la Modernité ne peut pas passer à côté de deux disciplines qui sont loin d’être secondaires, l’histoire matérielle du livre et l’histoire de la gravure d’illustration ; et ce, en dépit du fait que la plupart des livres ne sont pas dotés d’illustrations in-texte à cette période.
42L’étude du livre demeure en priorité l’apanage des bibliophiles et force est de constater qu’il est encore peu fréquent de nos jours que le texte soit clairement distingué du livre, que les spécialistes d’histoire de l’art s’intéressent peu (voire pas du tout) aux différences matérielles entre une édition et l’autre, aux divers ornements du livre115 et qu’il n’existe pas de chaires d’études sur la fabrique du papier, des reliures, du réseau des acteurs du livre. C’est pourquoi mon ouvrage est le fruit non seulement d’un travail documentaire, mais aussi des nombreux échanges avec des libraires antiquaires, bibliothécaires, conservatrices et conservateurs, directrices et directeurs de bibliothèques, ces garants de savoirs sur le livre ancien qui ne figurent pas toujours dans les manuels d’histoire ou dans les auditoriums des universités.
43Il existe une discipline qui s’est construite spécialement autour de l’étude des livres imprimés avant la parution de L’Apparition du livre de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin en 1958116 : la bibliographie matérielle, définie par Dominique Varry comme « une archéologie du livre imprimé [qui] s’intéresse à la façon dont le livre, en tant qu’objet porteur d’un texte a pu être fabriqué et transmis117 ». Le mot « bibliographie » est à entendre ici en tant que science du corps du livre (nombre d’éditions, papier, caractère typographique, etc.)118 et il est attesté dès la fin du xviiie siècle avec cette acception : les bibliothécaires donnent des cours de « bibliographie » dans les écoles centrales des départements, dans le but d’enseigner « tout à la fois de l’histoire littéraire, de l’histoire du livre, et des techniques documentaires119 ». Après le xixe siècle et les travaux de Joseph Ames120 et Henry Bradschaw121, la New Bibliography se met en place en tant que discipline autour d’un groupe de philologues anglo-saxons modernistes. Ces derniers, confrontés aux problèmes posés par l’œuvre de Shakespeare – dont il n’existe pas de manuscrit autographe mais seulement des supports imprimés –, ont dû mettre en place des méthodes à la fois d’analyse des livres imprimés et de repérage des faux122. À partir de là, deux courants majeurs se sont dessinés : l’un inspiré par Fredson Bowers et l’autre par Donald Francis McKenzie. Dans les années quarante, Bowers crée, aux États-Unis, une école dont la méthode est appelée bibliographie analytique123 et, en 1972, paraît le manuel de référence de Philip Gaskell, New Introduction to Bibliography124.
44En 1969, Donald Francis McKenzie écrit un article qui chamboule le petit monde des bibliophiles : « Printers of the Mind : Some Notes on Bibliographical Theories and Printing-House Practices125 ». Il ne s’agit plus, comme chez Bowers, de cantonner les analyses à des considérations logiques126, mais plutôt de tenir compte du « facteur humain ». McKenzie ouvre la voie pour une étude du livre sous le signe de l’anthropologie historique et de la sociologie. Ce nouveau type d’étude bibliographique ne se contente pas de la prise en compte d’un seul objet sur lequel elle concentre toute son attention, mais elle cherche plutôt à se référer à une multitude d’exemplaires qu’elle approche selon différents points de vue127. Dans son ouvrage suivant, Bibliography and the Sociology of Texts (1986), McKenzie reprend certaines thèses de Marshall McLuhan en insistant sur la nécessité de distinguer le texte de son support et de rappeler que « forms effect meaning128 », c’est-à-dire que le médium (le livre, par exemple) a un effet sur le message dont il est le support (le texte). C’est pourquoi, il affirme que « la bibliographie se doit de réfléchir aux rapports qui s’établissent nécessairement entre la forme, la fonction et la signification symbolique129 ». Entre histoire et anthropologie, ce souci d’exhaustivité a pour but de tenir compte de la « notion d’histoire », l’étude de toutes les éditions d’un texte permettant d’appréhender les « processus de transmission130 ». Les « transformations textuelles » viennent ainsi éclairer le rôle de ces « nouveaux lecteurs [qui] créent des textes nouveaux dont les nouvelles significations dépendent directement de leurs nouvelles formes131 ». La bibliographie apparaît dès lors comme la discipline de l’étude des « textes en tant que formes conservées, ainsi que leurs processus de transmission, de la production à la réception132 ». Les spécialistes du livre après McKenzie n’envisagent plus l’imprimerie durant la période moderne comme une forme figée ; au contraire, ils la considèrent comme un médium traversé de mille mouvements, en constante reconfiguration133.
45Aucun bibliographe ou spécialiste du livre ne s’est jamais penché sur Conti et Cartari, en dépit de leur importance pour l’histoire du livre imprimé et de l’illustration au xvie siècle. En voyageant dans les principales bibliothèques européennes, de nombreuses éditions et rééditions de Conti et de Cartari peuvent être consultées, ce qui permet de mesurer l’ampleur de ce phénomène éditorial qui comprend plus de vingt rééditions dans toute l’Europe, entre les années 1550 et 1650. L’observation de ce vaste corpus permet également de constater que, parmi toutes les éditions et rééditions recensées, la Mythologie, c’est-à-dire Explication des Fables (Lyon, Paul Frellon, 1612) ressort du lot. Tout d’abord, il s’agit d’une histoire à la fois inédite et facile à raconter, même amusante d’un certain point de vue. En 1612, un libraire lyonnais décide d’éditer la quatrième version française du best-seller de Natale Conti, la Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables. Pour ce faire, il l’orne de 71 gravures sur bois qu’il tire du fond de ses placards et qui ont été réalisées au départ pour les Imagini de i dei de Vincenzo Cartari. Rappelons qu’avant cela, l’ouvrage de Conti n’a jamais été illustré. À cette époque, il est fréquent qu’un éditeur réutilise d’anciens fonds d’illustrations dans le but de rentabiliser son édition. L’illustration ajoute de la valeur au texte. Paul Frellon ne dit donc naturellement rien de cette supercherie, lui qui cherche à mettre sur le marché le produit le plus attractif à moindres frais. Pourtant, sans le savoir, Frellon est à l’origine d’une des éditions les plus diffusées de la Mythologie, la réédition parisienne de 1627, dont se serviront notamment les membres l’Académie française dès les années 1630 et que la plupart des chercheuses et chercheurs continuent de consulter encore aujourd’hui. Une grande partie des motifs iconographiques qui se trouvent dans la réédition hybride lyonnaise de Cartari et Conti ont ainsi été repris, avec quelques remaniements, par les graveurs de l’édition parisienne de Baudoin, et ont longtemps servi de modèles à des artistes, auteurs et poètes134. La conséquence est qu’un livre bricolé à la hâte dans une officine à Lyon a donné lieu, quinze ans plus tard, à un livre intimement lié à l’institutionnalisation des savoirs et à la normalisation du langage fabulaire au début du xviie siècle en France. Ainsi, à travers cette étude de la Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables de 1612, il sera question d’évaluer le rôle de la pratique des remplois d’illustrations dans la production des savoirs et d’utiliser le concept de bricolage pour analyser leur évolution au tournant du xviie siècle.
46Chez Baudoin l’académicien, les illustrations de la traduction française de Conti font mine d’avoir survécu au temps, d’être universelles, en dépit du fait qu’elles sont le fruit d’un bricolage hasardeux, effectué par un autre libraire une décennie plus tôt. La Mythologie de 1627 donne l’impression que Conti a toujours été illustré, alors que ce sont des gravures de remploi qui l’ornent, en l’occurrence tirées de Cartari. Les finitions de cet assemblage ne sont pas visibles sans une observation à la loupe.
47L’association du texte de Conti et des illustrations de Cartari marque une étape importante dans la réception de l’Antiquité durant la Modernité, au moment de l’invention des dictionnaires de fables. C’est la raison pour laquelle l’histoire de la fable de la Renaissance à la Contre-Réforme doit être appréhendée à l’aune de la bibliographie matérielle. D’une édition à l’autre, en les regardant à la loupe, les dieux des Anciens semblent en constante métamorphose. Dès lors, l’histoire laisse apparaître des saccades, des ruptures, des discontinuités, c’est-à-dire, finalement, des interstices qui mettent en évidence le fait que les savoirs bougent, se refaçonnent. À partir de là, différents mouvements de l’histoire peuvent être distingués. Ces différences observées au niveau microhistorique doivent être inscrites dans des contextes précis qui en expliquent les causes et les conséquences. Cette recherche n’a pas pour but de définir ou de redéfinir la mythographie, la pertinence de l’attribution de Conti et Cartari au genre mythographique ou la continuité entre les sources antiques et le discours moderne. Cela a déjà été entrepris et je renvoie aux études effectuées dans ce sens, présentées plus haut. Pour ma part, je propose plutôt une approche qui permette de réévaluer ce corpus de textes et d’images en partant de la matérialité des livres, afin de repenser, à rebours, la vieille idée de « survivance » et de délimiter un moment d’intenses remaniements, adaptations, changements de fond. Il s’agira moins de se pencher sur le passé reculé, l’Antiquité gréco-romaine, que de montrer comment se construit un regard sur le passé durant la Modernité. La nature de ces modifications, qui concernent tant la forme du livre que le texte, dépend du contexte de production et des dialogues entre centres éditoriaux européens, de la péninsule Italienne à la France jusqu’à des petites républiques comme Genève. Du texte à l’image, il sera donc question de présenter différentes pratiques de traduction, voire d’altérations des sources antiques ou humanistes en fonction des nouveaux contextes éditoriaux, en mettant en exergue l’impact du protestantisme ou du catholicisme sur la forme des savoirs. Il sera montré comment certains acteurs du livre ont même tenté de faire passer subtilement, à travers la voix des auteurs ou artistes qu’ils reprennent ou traduisent, des penchants personnels ou religieux alors interdits. Se dessinent ainsi les contours de nouvelles formes de subversions face à la pression due aux guerres de Religion, à la centralisation du pouvoir monarchique français, à la réforme de l’image dans le monde catholique ainsi qu’aux voyages outre-Atlantique.
48Texte et image ne seront donc pas analysés en fonction d’une origine commune, d’une idée primordiale, mais au contraire envisagés dans une constante tension, en conflit, voire en léger décalage. Dans les premières éditions de Conti et Cartari, le texte, ouvert et « polysémique », peut donner accès à tous les types de savoirs ; et l’image qui lui est subordonnée a une fonction mnémotechnique135. À partir des rééditions des années 1600, l’image prend le pas sur le texte, elle s’autonomise et s’uniformise ; sa fonction n’est plus seulement de se graver dans la mémoire des lecteurs et lectrices. Au contraire, progressivement, elle devient univoque et se codifie. De plus, dans le domaine des antiquaires (précurseurs des archéologues) et des naturalistes, elle acquiert la fonction de preuve et en devient, de fait, un élément central des savoirs sur le passé, sur l’ailleurs et sur la nature. Cette enquête sera ainsi l’occasion d’aborder le problème plus général du statut de l’illustration dans le discours littéraire et scientifique, pour en arriver à la représentation des dieux et des monstres exotiques, qui annonce le début de l’histoire comparée des religions.
49Dans la première partie, il sera question de proposer une étude à l’échelle des individus qui ont participé à la fabrication matérielle de chacune des composantes du livre, du texte aux ornements, en mettant l’accent sur les rouages de son industrie, afin de contrebalancer une vision éthérée ou simpliste de la production des savoirs, de l’imaginaire occidental sur le passé et sur l’ailleurs. En suivant le fil des protagonistes des premières éditions de Conti et Cartari pour en arriver à ceux de la Mythologie de 1612, des acteurs secondaires de l’histoire seront également mis au jour, parmi lesquels certains oubliés ou méconnus : Jean de Montlyard, le traducteur français, Paul Frellon, le libraire et Pierre Eskrich, le graveur supposé. Il s’agira aussi de se pencher sur d’autres personnages, connus ou pas, de cette histoire : à Venise, Giuseppe Porta et Bolognino Zaltieri ; en France, Léonard Gaultier, Thomas de Leu et Jean de Serres parmi d’autres. Des réseaux internationaux pourront ainsi être mis en lumière, en particulier entre Genève et Lyon à la fin du xvie siècle et au début du xviie siècle.
50Dans la seconde partie, l’analyse du contexte sociohistorique très particulier sera poursuivie au regard des textes et images irénistes gallicans qui circulent entre Genève et Lyon. Loin d’être des reproductions fidèles, la traduction du texte de Conti par Montlyard et les différentes versions des illustrations de Cartari permettront de présenter différentes formes de traduction, du texte à l’image, face au problème de la censure et aux persécutions religieuses. L’étude de la réception de Conti et Cartari à travers celle de la Mythologie de 1612 permettra ensuite de développer la thématique des allégories dites laides et de la fonction mnémonique des monstres au xvie siècle. En bref, l’analyse du remploi des illustrations de dieux antiques aux faciès monstrueux pour orner le texte de Conti, loin de nous ramener aux représentants orientaux surgis dans un système religieux purement grec et romain, montrera comment le regard sur l’Antiquité se déplace dès les années 1620, comment forme et fond peuvent parfois se dissocier et comment certains monstres ont pu passer d’un régime à l’autre, par exemple de la caricature religieuse aux sciences naturelles. Dans la conclusion, il sera montré que, loin d’être un épisode marginal de l’histoire, la postérité de la Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables de 1612 est manifeste jusqu’au xviiie siècle, dans les dictionnaires de fables comme dans la littérature scientifique et de voyage.
Notes de bas de page
1 Melot Michel, Livre, Paris, L’œil neuf, 2006, p. 18.
2 Cf. Bon François, Après le livre, Paris, Seuil, 2011 ; Grousset Alain et Delaisse Carl, Et s’il n’y avait plus de livres ?, Paris, Hachette, 2012.
3 Jacob Christian, « Introduction », in Christian Jacob (dir.), Lieux de savoirs. Espaces et communautés, Paris, Albin Michel, 2007, p. 20.
4 Cf. Milon Alain et Perelman Marc (dir.), Le livre et ses espaces, Paris, Presses de l’université Paris X-Nanterre, 2007.
5 Chartier Roger, « Du livre aux lires », in Roger Chartier (dir.), Pratiques de lecture [1985], Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque », 2e éd., 1993, p. 79-113. À propos de l’industrie du livre à Lyon, Davis écrit : « Les chefs de file de l’industrie du livre sont les grands marchands-libraires ; grâce à leurs capitaux, ils payent les livres imprimés par les maîtres-imprimeurs et leurs ouvriers, puis les commercialisent, avec d’autres ouvrages, dans le reste de l’Europe », Davis Natalie Zemon, « Le monde de l’imprimerie humaniste : Lyon », in Roger Chartier et Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition française, t. I, Le Livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du xviie siècle, Paris, Fayard/Cercle de la librairie, 1983, p. 255.
6 Tran Trung, « Défaire et refaire l’image : l’illustration imprimée à l’épreuve de sa “reproductibilité technique” », Textimage : L’image répétée (Actes du colloque de Victoria, juin 2011), octobre, 2012, [http://revue-textimage.com/conferencier/01_image_repetee/tran1.html] ; Tran Trung, « L’image dans l’espace visuel et textuel des narrations illustrées de la Renaissance : morphologie du livre, topographie du texte et parcours de lecture », in Alain Milon et Marc Perelman (dir.), op. cit., p. 85-107, [https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pupo/480?lang=fr] ; Tran Trung, « Quand l’image refait figure », en collaboration avec Leplatre Olivier, in Alain Milon et Marc Perelman (dir.), op. cit., [http://revue-textimage.com/conferencier/01_image_repetee/prolegomenes1.html].
7 Chartier Roger, « Matérialité du texte et attentes de lecture. Concordances ou discordances ? », Lumen, no 36, 2017, p. 1-20, [https://0-www-erudit-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fr/revues/lumen/2017-v36-lumen02702/1037851ar/].
8 Borges Jorge Luis, Enquêtes [1957], Paris, Gallimard, 1986, p. 208.
9 Le présent ouvrage est le résultat des recherches que j’ai menées sur l’édition de 1612 de la Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables et sur les spécifités de la traduction de Montlyard dans le cadre, entre autres, de la rédaction d’un mémoire de Master en 2011, puis d’une thèse de doctorat de 2011 à 2017 à l’université de Genève. Il n’existait alors pas d’études sur ce sujet, c’est pourquoi je me permets de renvoyer à mes premières publications : Petrella Sara, « La traduction française de la Mythologie de N. Conti par J. de Montlyard : représentation textuelle et iconographie de Bacchus », Asdiwal. Revue genevoise d’anthropologie et d’histoire des religions, no 7, 2012, p. 173-178, [https://www.persee.fr/doc/asdi_1662-4653_2011_num_6_1_965?q=petrella+sara] ; Petrella Sara, « Enquête autour d’un livre hybride : La première édition illustrée de la Mythologie… de Natale Conti », Péristyle. Référentiel thématique (Histoire de l’art, patrimoine bâti et art décoratif), 27 mai 2013, [https://www.peristyle.ch/publication/8200-enquete-autour-dun-livre-hybride] ; Petrella Sara, « Jean Baudoin et la réception des mythographies italiennes au xviie s. », in Marie-Christine Pioffet et Anne-Élisabeth Spica (dir.), S’exprimer autrement : poétique et enjeux de l’allégorie au xviie siècle, Tübingen, Narr, 2016, p. 105-122 ; Petrella Sara, « Dieux en métamorphose : Regards croisés sur la Mythologie, c’est-à-dire Explication des fables (Lyon, 1612) », Asdiwal. Revue genevoise d’anthropologie et d’histoire des religions, no 12, 2017, p. 175-180, [https://www.persee.fr/doc/asdi_1662-4653_2017_num_12_1_1090] ; Petrella Sara, « Intermédiaires du livre entre Genève et Lyon au xviie siècle : le cas de Jean de Montlyard », in Mathilde Bombart, Sylvain Cornic, Edwige Keller-Rahbé et Michèle Rosellini (dir.), À qui lira. Littérature, livre et librairie en France au xviie siècle, Tübingen, Narr, 2020, p. 315-324.
10 Conti Natale et Baudoin Jean, Mythologie : Paris, 1627, New York/London, Garland, 1976.
11 Quondam Amedeo, Forma del vivere. L’etica del gentiluomo e i moralisti italiani, Bologna, Il Mulino, 2010, p. 114.
12 La fable ou le « fabuleux », Gaillard Aurélia, Fables, mythes, contes. L’esthétique de la fable et du fabuleux (1660-1724), Paris, Honoré Champion, 1996.
13 Sur la question de la fable et de la vraisemblance, je me permets de renvoyer à la réflexion que j’ai proposée dans : Petrella Sara, « Les satyres ne peuvent être homme ! Quelques considérations vray-semblables de François Hédelin concernant les satyres », S&F : Web rivista di scienza e filosofia, no 7, 2012, p. 97-107, [http://www.scienzaefilosofia.com/wp-content/uploads/2018/03/res632065_09-PETRELLA.pdf].
14 Graziani Françoise, « Mythologia, Genealogia, Archaiologia. Fonction paléontologique de la mythologie », Kernos, no 19, 2006, p. 206. Il est à noter que des réflexions sur le μῦθος se trouvent avant Heyne, par ex. chez Giambattista Vico, Scienza nuova (1730), cf. Calame Claude, Qu’est-ce que la mythologie grecque ?, Paris, Gallimard, 2015 ; Borgeaud Philippe, « Mythe et émotion. Quelques idées anciennes », in Ueli Dill et Christine Walde (dir.), Ancient Mythe/Antike Mythen Media, Transformations and Sense-Constructions/Medien, Transformationen und Konstruktionen, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2009, p. 415-431 ; Pinchard Bruno, « Science ou allégorie ? Le débat entre Bacon et Vico », Noesis, no 8, 2005, [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/129].
15 La traduction du titre de Conti (qui signifie littéralement « les dix livres de la mythologie, ou explication des fables où il est démontré que sont contenus presque tous les enseignements de la philosophie naturelle et morale ») par Montlyard est fidèle, tandis que Baudoin le modifie légèrement pour la réédition parisienne de 1627 (Mythologie ou Explication des fables), Graziani Françoise, « “Les mystérieux secrets de la Physique et de la Morale”. Polymathie et polysémie dans la Mythologie de Conti », in Arnaud Zucker, Jacqueline Fabre-Serris, Jean-Yves Tilliette et Gisèle Besson (dir.), Lire les mythes. Formes, usages et visées des pratiques mythographiques de l’Antiquité à la Renaissance, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p. 263-286.
16 Barbu Daniel, « Du mythe et de la comparaison : Persée et Asdiwal », inédit.
17 Lincoln Bruce, Theorizing Myth. Narrative, Ideology, and Scholarship, Chicago/London, The University Chicago Press, 1999.
18 « Il y a, en Occident, une conscience malheureuse de la mythologie, depuis que les romantiques se sont convaincus que l’expérience première de l’esprit implique un langage primitif, celui du mythe, à la fois parole et chant jaillis de la familiarité du contact immédiat avec le monde. Et aussitôt, ils se heurtent à la mythographie venue du monde gréco-romain : la mythologie inimitable, enveloppée de la gangue textuelle de traités dont le genre érudit relève d’une tradition lettrée depuis l’âge hellénistique jusqu’au xviiie siècle par le relais de Boccace et de Noël Conti à la Renaissance », Detienne Marcel, L’invention de la mythologie, Paris, Gallimard, 1981, p. 225. Cf. Borgeaud Philippe, « La mémoire éclatée. À propos de quelques croyances relatives au mythe », in Pierre Gisel et Jean-Marc Tétaz (dir.), Théories de la religion, Genève, Labor et Fides, 2002, p. 216.
19 Wendel Carl, « Mythographie », in Friedrich von Pauly et Georg Wissowa (dir.), Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaften, vol. 16, Stuttgart, J. B. Metzier-A. Druckenmüller, 1935, col. 1353-1374 ; Besson Gisèle, Fabre-Serris Jacqueline, Graziani Françoise, Tilliette Jean-Yves, Zucker Arnaud, « Introduction », in Arnaud Zucker, Jacqueline Fabre-Serris, Jean-Yves Tilliette et Gisèle Besson (dir.), op. cit., p. 7 ; Calame Claude, « Les Rédacteurs grecs d’enquêtes sur le passé héroïque : ni mythographes, ni mythographie », Kernos, no 29, 2016, p. 403-414 ; Calame Claude, Poétique des mythes dans la Grèce antique, Paris, Hachette, 2000.
20 Patterson Lee E., « Geographers As Mythographers : The Case Of Strabo », in Stephen M. Trzaskoma et R. Scott Smith, Writing Myth : Mythography In The Ancient World, Louvain/Paris/Walpole, Peeters, 2013, p. 201-222 ; Lozat Mélanie, « La catégorie du « mythe » (mũthos) dans le discours de Strabon », Pallas, no 118, 2022, p. 215-229.
21 Munker Th. (dir.), Mythographi Latini, Amstelodami, 1681 ; Van Staveren A. (dir.), Auctores mythographi Latini, A., Lugduni Batavorun, 1741 (réimprimé en 1747).
22 Zorzetti Nevio et Berlioz Jacques, « Introduction », in Nevio Zorzetti et Jacques Berlioz (dir.), Le premier mythographe du Vatican, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. VII-LIX.
23 Classici auctores e Vaticanis codicibus editi, Roma, Angelo Mai, 1831. Cette édition a été revue par Georg H. Bode sous le titre Scriptores rerum mythicarum Latini tres Romanae nuper reperti, Celle, 1834. Sur les mythographes du Vatican, cf. Kulcsár Péter (dir.), Mythographi Vaticani I et II, Turnhout, Brepols, 1987 ; Dain Philippe, Mythographe du Vatican III. Traduction et commentaire, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2005.
24 Jacob Christian, « Le savoir mythographique (note critique) », Annales Histoire, Sciences sociales, no 49, 1994/2, p. 419-428 ; Borgeaud Philippe, « La mémoire éclatée. À propos de quelques croyances relatives au mythe », art. cité ; Vernant Jean-Pierre, « Raisons du mythe » [1974], in Jean-Pierre Vernant, Œuvres I, Paris, Seuil, 2007, p. 765-809 ; Calame Claude, « Les Rédacteurs grecs d’enquêtes sur le passé héroïque : ni mythographes, ni mythographie », art. cité.
25 Tournier Michel, Le Vent paraclet, Paris, Gallimard, 1977, p. 193. Je remercie Arnaud Zucker qui m’a rendue attentive à ce passage.
26 Pépin Jean, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes [1958], Paris, Aubier, 1976, p. 44.
27 Chevrolet Teresa, L’idée de la fable. Théories de la fiction poétique à la Renaissance, Genève, Droz, 2007 ; Pioffet Marie-Christine et Spica Anne-Elisabeth (dir.), S’exprimer autrement : poétique et enjeux de l’allégorie au xviie siècle, op. cit.
28 Veyne Paul, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Seuil, 1983.
29 Nativel Colette (dir.), Le noyau et l’écorce, Paris, Somogy, 2009. Durant le Moyen Âge, cette métaphore est courante et l’image du noyau (du fruit ou de la noix) qui peut être mangé sert à illustrer la fonction didactique de la fable, déjà exprimée par Horace dans l’Art poétique, cf. Lucken Christopher, « Dans l’hiver de la lecture. Le temps de la fable », Littérature, no 148, 2007/4, p. 98-120, [https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-litterature-2007-4-page-98.htm].
30 Borgeaud Philippe, Aux origines de l’histoire des religions, Paris, Seuil, 2004.
31 L’une des théories les plus répandues à la Renaissance est celle de l’imitation diabolique, selon laquelle les Grecs et les Romains se seraient laissé berner par le diable qui, à l’aide de prodiges et tours extraordinaires, les aurait poussé à inventer les premières formes de cultes païens (les « idolâtries »), Borgeaud Philippe, Exercices de mythologie, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 87 sqq.
32 Auerbach Éric, Figura [1944], trad. et préface Marc André Bernier, Paris, Belin, 1993.
33 Cf. Pépin Jean, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, op. cit.
34 Du nom d’Évhémère, il s’agit d’une théorie selon laquelle les divinités du panthéon gréco-romain sont des êtres humains qui ont fait l’objet d’un culte suite aux bienfaits qu’ils ont apportés à l’humanité.
35 Carman Garner Barbara, « Francis Bacon, Natalis Comes and the Mythological Tradition », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, no 33, 1970, p. 264-291 ; Wolff Étienne (éd.), Fulgence, Mythologies, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013 ; Guichard-Tesson Françoise, « Natale Conti et les Mythologiae, sive explicationum fabularum libri decem (1583). L’ancrage médiéval d’une œuvre renaissante », Figura, 2011 : Humanistes italiens et imprimés de l’Italie de la Renaissance dans les Collections de l’UQÀM, [http://oic.uqam.ca/fr/articles/natale-conti-et-les-mythologiae-sive-explicationum-fabularum-libri-decem-1583-lancrage].
36 Rossi Paolo, Clavis universalis. Arti della memoria e logica combinatoria da Lullo a Leibniz, Milano/Napoli, Ricciardi, 1960 ; Yates Frances A., The Art of Memory, London, Routledge and Kegan Paul, 1966 ; Bolzoni Lina, La stanza della memoria. Modelli Letterari e iconografici nell’età della stampa, Torino, Einaudi, 1995. Cf. aussi Hartt Frédéric, Muraro Michelangelo et Warburg Aby M., Symboles de la Renaissance, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1982.
37 Spica Anne-Élisabeth, « Le fabuliste et l’imagier », Pratiques, no 91, 1996, p. 113-124 ; Spica Anne-Élisabeth, « L’allégorie, “figure” et “image” », in Marie-Christine Pioffet et Anne-Élisabeth Spica (dir.), S’exprimer autrement : poétique et enjeux de l’allégorie au xviie siècle, op. cit., p. 23-49. Sur l’image-symbole, cf. Gombrich Ernst Hans, Symbolic images, London, Phaidon, 1972.
38 Pastoureau Michel, « L’illustration du livre : comprendre ou rêver », in Henri-Jean Martin et Roger Chartier (dir.), Histoire de l’édition française, op. cit., I, p. 505.
39 Ibid., p. 518.
40 Starobinski Jean, « Fable et la mythologie aux xviie et xviiie siècles », in Jean Starobinski, Le remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris, Gallimard, 1989, p. 233-262.
41 C’est ce qui amène des chercheurs comme Concetto Nicosia à pointer, avec la génération de Conti et Cartari, le passage de la « mythographie » à l’« iconographie », entendue comme une science des images, Nicosia Concetto, « Dalla mitografia all’iconologia. L’origine rinascimentale della scienza delle immagini », Rara volumina, vol. XI, 2004/1-2, p. 85-105.
42 Melot Michel, Livre, op. cit., p. 149.
43 Ibid., p. 154.
44 Dans le cadre du projet soutenu par l’université de Bologne, un site Internet dédié à Cartari a été créé, [http://dinamico2.unibg.it/cartari/index.html] et le réseau de recherche international Polymnia sur la mythographie de l’Antiquité à la période moderne a donné lieu à la publication d’actes de colloques (Zucker Arnaud, Fabre-Serris Jacqueline, Tilliette Jean-Yves et Besson Gisèle (dir.), Lire les mythes. Formes, usages et visées des pratiques mythographiques de l’Antiquité à la Renaissance, op. cit.) et d’une revue en ligne (Polymnia, [http://polymnia.recherche.univ-lille3.fr/]).
45 Lennon Madeline, « Cartari’s Imagini: Emblematic References in the Relationship of Text and Image », Emblematica, no 3, fall, 1988/2, p. 263-282 ; Volpi Caterina (éd.), Le immagini degli dèi di Vincenzo Cartari, Roma, De Luca, 1996 ; Mulryan John (éd.), Vincenzo Cartari’s Images of the Gods of the Ancients: The First Italian Mythography, Tempe (Arizona), ACMRS, 2012.
46 Mulryan John et Brown Steven (éd.), Natale Conti’s Mythologiae, Tempe (Arizona), ACMRS, 2006.
47 Baudoin Jean, La Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I (1627), Céline Bohnert et Rachel Darmon (éd.), Reims, Epure, coll. « Héritages Critiques », 2020.
48 Maffei Sonia (dir.), Vincenzo Cartari e le direzioni del mito nel Cinquecento, Roma, GB EditoriA, 2013.
49 Didi-Huberman Georges, L’image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002, p. 47.
50 Ibid.
51 Bazin Germain, Histoire de l’histoire de l’art de Vasari à nos jours, Paris, A. Michel, 1986, p. 215. Cf. entre autres Gombrich Ernst Hans, Aby Warburg, An Intellectual Biography, London, Warburg Institue, 1970.
52 Didi-Huberman Georges, L’image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, op. cit., p. 48.
53 Ibid., p. 72 sqq.
54 Paru pour la première fois chez Leopold Voss, à Hambourg et Leipzig.
55 Warburg Aby, La Naissance de Vénus et le Printemps de Sandro Botticelli. Étude des représentations de l’Antiquité dans la première Renaissance italienne, trad. Laure Cahen-Maurel, Paris, Éd. Allia, 2007, p. 24-25.
56 Rampley Matthew, « From Symbol to Allegory: Aby Warburg’s Theory of Art », The Art Bulletin Magazine, no 79, 1997/1, p. 41-55.
57 Warnke Martin, « Aby Warburg (1866-1929) », Histoire et théories de l’art. De Winckelmann à Panofsky, Paris, PUG, 1994, p. 130.
58 Ginzburg Carlo, « De Warburg à Gombrich », Mythes, Emblèmes, traces. Morphologie et histoire, trad. Monique Aymard, Christian Paoloni, Elsa Bonan et Martine Sancini-Vignet, Paris, Flammarion, 1989, p. 43.
59 Maffei Sonia, « Introduzione », in Cesare Ripa, Iconologia, Sonia Maffei et Paolo Procaccioli (dir.), Torino, Einaudi, 2012 et Nicosia Concetto, « Dalla mitografia all’iconologia. L’origine rinascimentale della scienza delle immagini », art. cité.
60 Un recueil des principales recherches de Warburg paraît après sa mort en 1932, Warburg Aby, Gesammelte Schriften, Leipzig, B. G. Teubner, 1932, cf. Bazin Germain, Histoire de l’histoire de l’art de Vasari à nos jours, op. cit., p. 217.
61 Spécialiste de l’art religieux médiéval, directeur de l’École française de Rome de 1923 à 1937, Émile Mâle serait littéralement tombé sur Cesare Ripa et l’aurait découvert par hasard lors d’une de ses expéditions à la bibliothèque du Collège romain (Collegio Romano). À partir de cette découverte, Mâle rédige son article fondateur, Mâle Émile, « La clé des allégories peintes et sculptées au xviie et xviiie siècles », Revue des deux mondes, no 39, 1927/2, p. 108. Il le décrit ainsi : « Au lieu de feuilleter Ripa, je commençai à le lire avec la plus grande attention, et je ne tardai pas à m’apercevoir que, Ripa à la main, je pouvais expliquer la plupart des allégories qui ornent les palais et les églises de Rome », ibid., p. 109. En n’oubliant pas la dette de Ripa envers les Hieroglyphica de Pierio Valeriano mais sans jamais citer les Imagini de Cartari, Mâle cherche à montrer que l’Iconologia, cette « encyclopédie des abstractions figurées », a servi de modèle à de nombreux artistes et a permis d’établir une « tradition ». Mâle va donc plus loin par rapport à Warburg en faisant du livre illustré, non seulement un témoin, mais aussi l’un des moteurs de l’histoire de l’art. Pour lui, Ripa ne s’est pas contenté de réunir des textes et des illustrations, il a « ressuscit[é] les antiques divinités de la nature », ibid., p. 119. L’idée de survivance est présente, par exemple lorsqu’il désigne Ripa « comme un païen de la Renaissance, [qui] décrivit le cortège triomphal des dieux montés sur leurs chars ». Pour Mâle, le livre illustré de la fin du xvie siècle, et en particulier l’Iconologia de Cesare Ripa, permet non seulement de décoder une culture mais aussi de préserver l’héritage antique qui a trouvé le moyen de survivre à travers le temps par ce biais.
62 Panofsky Erwin, Studies in Iconology, New York, Oxford University Press, 1939, trad. Claude Herbette et Bernard Teyssèdre, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1967, rééd. en 1980, 1995.
63 Panofsky Erwin, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, op. cit., p. 3-4.
64 Riegl Aloïs, Questions de style, fondements d’une histoire de l’ornementation, Henri-Alexis Baatsch, trad. Françoise Rolland, Paris, Éd. Hazan, 2002.
65 Didi-Huberman Georges, L’image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, op. cit., p. 96.
66 Natale Conti est cité in Panofsky Erwin, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, op. cit., p. 179, 181, 237, 298, 302 et Vincenzo Cartari in ibid., p. 111, 118, 121, 181, 182, 198, 221, 237, 241, 288.
67 Par exemple, il les mentionne en note de bas de page, pour justifier une thèse développée dans le corps du texte : il affirme qu’il existait deux manières de distinguer l’amour céleste et l’amour profane et que « certains auteurs la réduisent à une simple différence entre sentiment “honnête” et “déshonnête” ». La note portant le numéro 2 renvoie à Equila et à Cartari, dont quelques expressions sont citées et commentées, Panofsky Erwin, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, op. cit., p. 221.
68 Panofsky Erwin, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, op. cit., p. 236-237.
69 Ibid., p. 288.
70 Ibid., p. 298.
71 C’est ce qu’Ernst Gombrich désigne comme la « dictionary fallacy », à savoir le danger des analyses iconographiques qui s’arrêtent au moment où la source est repérée, sans accorder d’importance à ses particularités spécifiques, Gombrich Ernst Hans, Symbolic Images: Studies in the Art of the Renaissance, op. cit. Cf. Harbison Craig, « Iconography and Iconology », in Bernhard Ridderbos, Anne Van Buren et Henk Van Veen (dir.), Early Netherlandish Paintings. Rediscovery, Receptionand Research, Los Angeles, Getty Publications, 2005, p. 392.
72 Warburg Aby, « A Lecture on Serpent Ritual », trad. W. F. Mainland, Journal of the Warburg Institute, no 2, April, 1939/4, p. 277-292 et Steinberg Michael P., « Aby Warburg and the Secularization of the Image », in Peter E. Gordon et John p. McCormick (dir.), Weimar Thought: A Contested Legacy, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 316-338.
73 Graziani Françoise, « Préface. Jean Seznec et la tradition mythographique », in Rembrandt Duits et François Quiviger (dir.), Images of the Pagan Gods. Papers of a Conference in Memory of Jean Seznec, London/Torino, The Warburg Institute/Nino Aragno Editore, 2009, p. xii et Tchernia-Blanchard Marie, « Résonances warburgiennes en France dans les années 1930. La survivance de l’antique chez Jean Adhémar et Jean Seznec », Images Re-vues, série 4, 2013, [http://imagesrevues.revues.org/2917].
74 « J’ai remis à M. Mâle mon travail sur les Dieux antiques à la fin de la Renaissance. Il s’en est montré satisfait, et m’a vivement engagé à le continuer pour le transformer en thèse », Lettre de Seznec à Saxl, 31 juillet 1931, cf. Sears Elizabeth, « Seznec, Saxl and La Survivance des dieux antiques », in Rembrandt Duits et François Quiviger (dir.), Images of the Pagan Gods. Papers of a Conference in Memory of Jean Seznec, op. cit., p. 10. Seznec donne le titre exact de son mémoire, « Iconographie des Dieux antiques en Italie pendant le 16e siècle », dans une lettre du 16 mai 1930 à Saxl, reproduite par Sears Elizabeth, « Seznec, Saxl and La Survivance des dieux antiques », art. cité, p. 15. Durant l’été 1930 – quelques mois après la mort d’Aby Warburg – Seznec, alors âgé de vingt-cinq ans, entame une correspondance qui dure des années avec Fritz Saxl, l’historien de l’art et responsable de la bibliothèque déplacée durant la Seconde Guerre mondiale de Berlin à Londres, autour de laquelle s’est développé le Warburg Institute, ibid., p. 10.
75 Wia GC – Seznec, 29 mai 1930. Lettre reproduite in ibid., p. 3-20.
76 Seznec Jean, « Érudits et graveurs au xvie siècle », Mélanges d’archéologie et d’histoire, no 47, 1930, p. 118-137 ; Seznec Jean, « Un essai de mythologie comparée au début du xviie siècle », Mélanges d’archéologie et d’histoire, no 48, 1931, p. 268-281.
77 Sears Elizabeth, « Seznec, Saxl and La Survivance des dieux antiques », art. cité, p. 4.
78 Wind Edgar, Pagan Mysteries in the Renaissance, London, Faber, 1958. Jusque dans les années 1980, l’expression « religions du paganisme au xvie siècle » est fréquente, cf. Laplanche François, « Les religions du paganisme antique dans l’Europe chrétienne, tendances actuelles de la recherche ; présentation générale des xvie et xviie siècles », in Chantal Grell et François Laplanche (dir.), Les religions du paganisme dans l’Europe chrétienne du xvie-xviiie siècles, Paris, PUPS, 1987, p. 11-36.
79 Ibid., p. 11.
80 « On s’aperçoit surtout que l’Antiquité païenne, loin de “re-naître” dans l’Italie du xve siècle, avait survécu dans la culture et dans l’art médiéval ; les dieux eux-mêmes ne ressuscitent pas ; car jamais ils n’ont disparu de la mémoire et de l’imagination des hommes », Seznec Jean, La survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance [1939], Paris, Flammarion, 1980, p. 9.
81 « Nous n’avons pas pris pour centre de notre étude ces foyers d’humanisme médiéval où la lecture des textes antiques et la vue des vestiges de l’art païen entretenaient dans l’esprit des clercs et dans l’imagination des artistes le souvenir des anciens dieux ; sur la question ainsi posée, et limitée à la France, la thèse de M. Jean Adhémar a récemment apporté les plus intéressantes précisions. Nous envisageons le problème sous un angle différent ; nous cherchons à démontrer que les dieux ont survécu, au Moyen Âge, dans des systèmes d’idées déjà constitués à la fin du monde païen. », ibid., p. 9.
82 Ibid., p. 12.
83 Ibid., p. 8.
84 Ibid., p. 9.
85 « […] ou bien, les mythes sont la relation, plus ou moins dénaturée, de faits historiques, dont les auteurs furent de simples hommes, élevés au rang des immortels ; ou bien, ils expriment la combinaison ou la lutte des puissances élémentaires dont est constitué l’univers : et les dieux sont alors des symboles cosmiques ; ou bien, ils ne sont que le revêtement fabuleux d’idées morales et philosophiques – et les dieux, dans ce cas, sont des allégories », ibid., p. 10.
86 Ibid., p. 218.
87 Apian Peter, Inscriptiones sacrosanctae vetustatis, Ingolstadt, P. Apian, 1534.
88 Seznec Jean, La survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance, op. cit., p. 219.
89 Ibid., p. 226.
90 Ibid.
91 Ibid., p. 227.
92 Chez Seznec, les mythographies du xvie siècle jouent le rôle d’« intermédiaires dans la vulgarisation des traditions religieuses de l’Antiquité », ibid., p. 199. Il les inscrit dans un contexte où les lettrés et les artistes, plutôt que de lire directement les sources antiques, privilégient l’étude des manuels mythographiques. Le problème consiste dans le fait que ceux-ci contiennent des « informations de seconde main » qui, d’après Seznec, n’offrent pas « une image correcte de l’Antiquité classique » car trop « tributaires du Moyen Âge […] qu’ils prolongent en réalité ». À ce propos, Seznec cite Jules Michelet : « L’imprimerie n’a guère servi d’abord qu’à propager et à éterniser des livres barbares… Si l’on publie l’Antiquité, on publie et l’on republie bien autrement le Moyen Âge, surtout ses livres de classe, ses Sommes, ses abrégés », ibid., p. 203. Chez Seznec, la citation de Michelet est légèrement différente de l’originale : « L’imprimerie, bienfait immense qui va centupler pour l’homme les moyens de la liberté, sert d’abord, il faut le dire, à propager les ouvrages qui, depuis trois cents ans, ont le plus efficacement entravé la Renaissance. Elle multiplie à l’infini les scolastiques et les mystiques. Si elle imprime Tacite, elle inonde les bibliothèques de Duns Scot et de saint Thomas ; elle publie, elle éternise les cent glossateurs du Lombard qu’on délaissait dans la poussière. Submergées des livres barbares du Moyen Âge qu’on exhume à la fois, les écoles subissent une déplorable recrudescence d’absurdités théologiques », Michelet Jules, Histoire de France au xvie siècle. Renaissance, Paris, Chamerot, 1855, p. 93-94. Puisqu’ils utilisent les mêmes sources médiévales, les derniers représentants du courant mythographique se valent tous et le contenu de leurs ouvrages est jugé équivalent : « Il n’y a pas lieu, croyons-nous, d’analyser séparément l’Histoire des Dieux, la Mythologie et les Images ; car les ressemblances entre ces trois traités l’emportent de beaucoup sur leurs différences », Seznec Jean, La survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance, op. cit., p. 208. Toutefois, Seznec remarque également que chacun de ces trois auteurs a sa manière propre de présenter la matière mythographique : Giraldi, en « savant et philosophe », s’attache plutôt aux noms des dieux et à leurs étymologies, Conti, le « philosophe », à l’« interprétation approfondie des fables » et Cartari, l’« iconographe », à la description des dieux, ibid., p. 209. Il n’empêche pour autant que leurs ouvrages respectifs n’apporteraient « aucune nouveauté essentielle ». « Au contraire », affirme Seznec, « ce que nous y retrouvons, dans des proportions variables, mais chez tous les trois, ce sont les matériaux, les méthodes et les images mêmes du passé », ibid.
93 Ibid., p. 211.
94 Ibid., p. 212.
95 Ibid., p. 211.
96 « Pour se reconnaître au milieu de cette foule bariolée, il eût fallu l’ordonner, l’organiser selon la géographie et l’histoire. Mais le sens historique, plus encore que le sens critique, fait défaut à nos mythographes. Ils ne tiennent compte ni des lieux, ni des époques ; ils mêlent tous les dieux, d’où qu’ils viennent, les plus anciens et les plus récents », ibid., p. 216-217.
97 Il s’agit de l’édition padouane de 1615 auquel Seznec a consacré un article, cf. Seznec Jean, « Un essai de mythologie comparée au début du xviie siècle », art. cité.
98 Seznec Jean, La survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance, op. cit., p. 215.
99 Ibid., p. 228.
100 L’article paraît pour la première fois dans la Revue des Deux Mondes, en 1853. On le trouve à présent dans Renan Ernest, Études d’histoire religieuse, suivi de Nouvelles études d’histoire religieuse, Henriette Psichari (éd.), Paris, Gallimard, 1992, p. 35-78. Sur Renan et la question de l’orientalisme, cf. Laurens Henry (dir.), Ernest Renan. La science, la religion, la République, Paris, O. Jacob, 2013. Il est curieux de constater que Seznec ne cite pas Winckelman mais Focillon (L’art des sculpteurs romans, 1931) et, juste avant l’allusion à Renan, fait référence à Flaubert, La Tentation de Saint Antoine, dans une note de bas de page où il affirme que défile « sous les yeux du saint ermite un grand nombre des dieux orientaux représentés chez Cartari ».
101 Borgeaud Philippe, « Une rumeur bien entretenue : le retour de(s) Dieu(x) », in Daniel Barbu et Philippe Matthey (dir.), Exercices d’histoire des religions. Comparaison, rites, mythes et émotions, Leiden, Brill, 2016, p. 115. Cf. Schmitt Jean-Claude, « Les superstitions », in Jacques Le Goff et René Rémond (dir.), Histoire de la France religieuse, t. I, Paris, Seuil, 1988, p. 417-551 ; Belmont Nicole, « Superstition et religion populaire », in Michel Izard et Pierre Smith (dir.), La fonction symbolique, Paris, Gallimard, 1979, p. 53-70 et Saintyves Pierre, « Les origines de la méthode comparative et la naissance du folklore. Des superstitions aux survivances », Revue de l’histoire des religions, no 105, 1932, p. 44-70.
102 Cf. Didi-Huberman Georges, L’image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, op. cit.
103 Cf. Frazer James George, Le rameau d’or, Nicole Belmont, Michel Izard, Pierre Sayn et Henri Peyre (éd.), Paris, R. Laffont, 4 vol., 1981.
104 Kilani Mondher, Introduction à l’anthropologie [1989], Lausanne, Éd. Payot, 1996, p. 256 sqq.
105 Tylor Edward B., Primitive Culture. Researches into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Language, Art and Custom, London, J. Murray, 1873. Cf. Didi-Huberman Georges, L’image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, op. cit., p. 52 sqq.
106 Didi-Huberman Georges, « The Surviving Image: Aby Warburg and Tylorian Anthropology », Oxford Art Journal, no 25, 2002/1, p. 67.
107 Cet orientaliste, à la fois archéologue et épigraphe, publie en 1880 un essai intitulé, L’imagerie phénicienne et la mythologie iconologique chez les Grecs, dans lequel il cherche à dépasser la définition de l’image comme « traduction plastique » de mots et de textes, Clermont-Ganneau Charles, La coupe phénicienne de Palestrina, Paris, E. Leroux, 1880. Le texte paraît deux ans plus tôt sous la forme d’articles, Clermont-Ganneau Charles, « Mythologie iconographique », Revue critique d’Histoire et de Littérature, 1878, p. 215-223 et p. 232-240 ainsi que « La coupe phénicienne de Palestrina et l’une des origines de l’art et de la mythologie hellénique », Journal asiatique, no 2, février-mars, 1878. Pour Clermont-Ganneau, il existe deux types de mythologie, la première, « auriculaire », et la seconde, « oculaire ». Le « visuel » acquiert une place à part entière dans les études mythologiques, car une analyse comparative de cette mythologie oculaire permettrait de comprendre, ou mieux de rendre « sensibles aux yeux », les systèmes de croyances des peuples de l’Antiquité, leurs mélanges et interpénétrations au fil du temps. Selon cette logique, l’image garde la trace des peuples antiques qui l’ont façonnée, de leur développement et de leurs « mélanges ». Des éléments particuliers, iconiques et textuels sont considérés comme des relais parfaitement fidèles entre le passé reculé des objets étudiés et le présent de l’historien. Chez Clermont-Ganneau, la mythologie et l’iconologie sont liées, cf. Recht Roland, « L’iconologie avant Warburg. L’orientaliste Charles Clermont-Ganneau et la mythologie des images », Images Re-vues, Hors-série 4, 2013, [http://imagesrevues.revues.org/2898].
108 Bastide Roger, « Dans les Amériques noires : Afrique ou Europe », Annales, no 4, 3e année, 1948, p. 409-426 ; Bastide Roger, Le candomblé de Bahia, Paris-La Haye, Mouton, 1958.
109 Bastide Roger, « Dans les Amériques noires : Afrique ou Europe », art. cité, p. 409.
110 Ibid., p. 410.
111 Ibid., p. 421.
112 Ibid., p. 422.
113 Ibid., p. 425.
114 Ibid., p. 424.
115 En histoire du livre, on distingue les illustrations d’ornement (page de titre gravée, frontispice, illustrations in-texte) et les ornements typographiques (bandeau, fleuron, lettrine, etc.).
116 Mellot Jean-Dominique, « Présentation », in Mathilde Bombart, Sylvain Cornic, Edwige Keller-Rahbé et Michèle Rosellini (dir.), À qui lira. Littérature, livre et librairie en France au xviie siècle, op. cit., p. 16.
117 Varry Dominique, Introduction à la bibliographie matérielle : une archéologie du livre imprimé (1454 – vers 1830), 2011, [http://dominique-varry.enssib.fr/].
118 « Science du bibliographe, en tant qu’elle est connaissance approfondie de tout ce qui a trait aux livres, périodiques, etc. (nombre d’éditions, présentation, reliure, qualité du papier, prix, etc.) », « Bibliographie », Trésor de la langue française, en ligne.
119 Varry Dominique, Introduction à la bibliographie matérielle : une archéologie du livre imprimé (1454 – vers 1830), op. cit.
120 Hartwell Horne Thomas, An Introduction to the Study of Bibliography, London, G. Woodfall, T. Cadell, W. Davies, Strand, 1814.
121 Bradschaw Henry, A Classified Index of the Fifteenth Century Books in the Collection of M. M. J. Meyer, Which Were Sold a Ghent in November 1869, London, Macmillan and Co, 1870.
122 Gilmont Jean-François, Le livre et ses secrets, Genève, Droz, 2003, p. 90.
123 Pour ce professeur de littérature, la tâche du bibliographe consiste en une étude des signes écrits ou imprimés qui couvrent les papiers ou les parchemins des livres. Toutes ces données doivent correspondre à une logique purement mathématique et, comme l’écrit Jean-François Gilmont, « un excès de minutie le rend fort indigeste », Gilmont Jean-François, Le livre et ses secrets, op. cit., p. 90.
124 Gaskell Philip, A New Introduction to Bibliography, Oxford, Clarendon Press, 1972.
125 McKenzie Donald Francis, « Printers of the Mind: Some Notes on Bibliographical Theories and Printing-House Practices », Studies in Bibliography, no 22, 1969, p. 1-75.
126 McKenzie considère que la « bibliographie analytique » pratiquée par Bowers est « sélective » et intéressée à l’étude exclusive d’un exemplaire, raison pour laquelle elle doit être « abandonnée » au profit d’une étude « non élitiste, non canonique, sans exclusion » de tous les exemplaires connus, cf. McKenzie Donald Francis, Bibliography and the Sociology of Texts, London, British Library, 1986 ainsi que la traduction française McKenzie Donald Francis, La bibliographie matérielle et la sociologie des textes, trad. Roger Chartier, Paris, Cercle de la Libraire, 1991, p. 53 et p. 94.
127 Varry Dominique, Introduction à la bibliographie matérielle : une archéologie du livre imprimé (1454 – vers 1830), op. cit.
128 McKenzie Donald Francis, La bibliographie matérielle et la sociologie des textes, op. cit., p. 13. McLuhan Marshall, Understanding Media: The Extensions of Man [1964], Cambridge, The MIT Press, 1994.
129 McKenzie Donald Francis, La bibliographie matérielle et la sociologie des textes, op. cit., p. 27.
130 Ibid., p. 36.
131 Ibid., p. 53.
132 Ibid., p. 30.
133 L’expression anglaise « physical bibliography » est traduite en français par « bibliographie matérielle » et son acception est devenue unanime depuis 1996 et la parution d’un article de Roger Laufer, Laufer Roger, « Pour une description scientifique du livre en tant qu’objet matériel », Australian Journal of French Studies, no 3, 1966/3, p. 252-272, [https://0-online-liverpooluniversitypress-co-uk.catalogue.libraries.london.ac.uk/doi/abs/10.3828/AJFS.3.3.252], cf. Varry Dominique, Introduction à la bibliographie matérielle : une archéologie du livre imprimé (1454 – vers 1830), op. cit. En ce qui concerne les études en bibliographie matérielle en France ou dans la francophonie, cf. Martin Henri-Jean et Chartier Roger (dir.), Histoire de l’édition française, en collaboration avec J.-P. Vivet, 4 vol., Paris, Cercle de la libraire, 1983-1986 ; Veyrin-Forrer Jeanne, La lettre et le texte. Trente années d’histoire du livre, Paris, Collection de l’E. N. S. de Jeunes filles, 1987 ; Laufer Roger, Introduction à la textologie, Paris, Librairie Larousse, 1972 ; Gilmont Jean-François, Le livre et ses secrets, op. cit. ; Varry Dominique, Introduction à la bibliographie matérielle : une archéologie du livre imprimé (1454 – vers 1830), op. cit. ; Holtz Grégoire (dir.), Nouveaux aspects de la culture de l’imprimé. Questions et perspectives (xve-xviie siècles), Genève, Droz, 2014 ; Varry Dominique (dir.), 50 ans d’histoire du livre (1958-2008), Lyon, Presses de l’ENSSIB, 2015.
134 Cf. Bar Virginie, Dictionnaire iconologique. Les allégories et les symboles de Cesare Ripa et Jean Baudoin, Dijon, Faton, 1999 ; Bar Virginie, La peinture allégorique au Grand siècle, Dijon, Faton, 2003.
135 La mythographie est définie à travers l’idée de polysémie par Françoise Graziani, notamment dans Graziani Françoise, « Mythe et allégorie ou l’arrière-pensée des poètes », in Pierre Cazier (dir.), Mythe et création, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1994, p. 145-157 ; Graziani Françoise, « La poétique de la fable : entre inventio et dispositio », Dix-septième siècle, no 182, 1994, p. 83-93 ; Graziani Françoise, « Les mystérieux secrets de la Physique et de la Morale », art. cité ainsi que par Darmon Rachel, « Traités sur les dieux et pratiques mythographiques de la première Modernité : tradition et actualisation », Polymnia, no 2, 2016, p. 163-188.
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