Les modèles et les sources de la société agronomique de Blaison en Anjou dans les années 1770
p. 105-128
Texte intégral
1Le présent article reprend le dossier de la « société des Thesmophories » de Blaison1. Rappelons qu’il s’agit d’un territoire situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale de province comprenant un chef-lieu, une douzaine de hameaux et une quarantaine de fermes. La population approche le millier d’habitants dont peut-être un cinquième dans le bourg. Dans la région la propriété est accaparée par des rentiers du sol : nobles, ecclésiastiques, bourgeois et institutions religieuses. Les baux « à parts de fruits » installent les paysans dans des exploitations complètes nommées « closeries » et « métairies » qui diffèrent par leurs dimensions et parfois par une spécialisation viticole pour les closeries. Ce bourg de l’Ouest d’une banalité absolue a vu la création par quelques personnes des environs d’un cercle d’étude qui n’est pas tout à fait original pour l’époque mais qui se distingue par deux caractères au moins : il est situé dans un lieu vraiment très modeste et son dynamisme a atteint un niveau étonnant en 1776 et 1777. De plus, les « thesmophores » ont laissé de leur activité des archives qui ont permis d’en faire une étude assez complète. Cette petite chose est liée à des plus grandes dans la province, comme l’activité du bureau d’agriculture d’Angers, ainsi qu’à des plus grandes encore puisque l’agronomie et l’économie sont discutées partout en Europe dans les milieux savants et politiques. L’intention de cet article est d’exposer quels modèles et quelles sources ont pu inspirer ces petits bourgeois campagnards dans leur pratique associative et leurs écrits2.
Une petite chose qui témoigne sur davantage qu’elle-même
2Pour apprécier la valeur de ce corpus il faut rappeler que tout n’a pas été conservé des archives des sociétés royales d’agriculture et des académies au xviiie siècle. Celles qui ont laissé des archives ont permis que soient publiées des études toujours partielles pour Rennes (siège de la première société provinciale), Le Mans, Caen, Angers, Orléans et Alençon ; plus des synthèses anciennes sur l’aspect institutionnel et surtout l’œuvre monumentale d’André Bourde3. Il s’agit toujours des sociétés royales « autorisées » par le roi et dont les membres étaient d’une qualité choisie. Les petites sociétés savantes n’ont tout simplement rien laissé – sauf précisément celle de Blaison. On peut alors espérer que ces archives uniques témoignent pour davantage que la seule société des Thesmophories.
Une expérience courte mais riche
31775 (création) et 1776 et 1777 (activité documentée) sont des années tardives. L’intérêt des savants et des élites sociales pour l’agriculture est bien antérieur et il y eut même un effet de mode, une agromanie moquée par Voltaire : « Vers l’an 1750, la nation rassasiée de vers, de tragédies […] et de disputes théologiques […] se mit enfin à raisonner sur les blés4 ». Les publications sont nombreuses à partir du milieu du siècle et s’essoufflent deux décennies plus tard. Dans la province d’Anjou l’activité du marquis de Turbilly remonte aux années 1750-1760 et la création du bureau d’agriculture à Angers est de 17615. Quand ils s’engagent dans ce domaine, les thesmophores sont donc quelque peu en retard. En 1776 précisément, le marquis de Turbilly meurt à Paris, ruiné et oublié. Plusieurs périodiques cessent de paraître au début des années 1770. Les thesmophores sont donc des tard-venus mais peut-être illustrent-ils aussi un certain décalage avec les élites qui se désintéressent de l’agronomie au moment où elle atteint les bourgs et campagnes de l’Ouest.
4Toute trace d’activité des thesmophores disparaît après 1777. Il est possible que l’on soit face à un problème documentaire car cet objet historique n’existe que par les liasses qui témoignent de son activité et si elles n’avaient pas été apportées aux Archives départementales, jamais on n’aurait compris ce qu’il y avait derrière certaines annonces dans des périodiques. Rien ne prouve que la société ait été dissoute et peut-être a-t-elle duré en voulant moins faire parler d’elle6. Il reste que ces archives témoignent de l’existence d’une petite institution savante pendant au moins deux ans et d’une forme de sociabilité et d’une aspiration à être « utiles » très caractéristiques du xviiie siècle7. Elles attestent chez ces paisibles Angevins de multiples interrogations sur l’agriculture mais aussi sur l’ordre social et politique. Or nous savons que « l’ancien régime » va finir dans une douzaine d’années seulement8.
5Le dossier de quelques centimètres d’épaisseur est complété par des informations parues dans des gazettes et depuis notre livre (2010) nous avons fouillé les archives du principal correspondant des thesmophores sans rien retrouver de son côté9. On peut seulement ajouter aux archives un article de Célestin Port, premier « archiviste départemental » qui en 1869 dans la Revue d’Anjou apporte quelques détails sur le dépôt des documents par un nommé Malécot, héritier de l’un des membres de la société10. Sous la première cote (aujourd’hui 8D1) se trouvent des lettres et mémoires écrits pour soumettre deux projets qui étaient l’assèchement des marais de Grézillé et Chemelier, et la création d’une levée ou « turcie » (selon l’appellation régionale) pour compléter l’ensemble de digues qui protégeait déjà les basses vallées des crues de la Loire. Sous la cote 8D2 ont été rangés les programmes publiés par les thesmophores et les copies de plusieurs annonces parues dans des gazettes. Sous la cote 8D3 se trouve l’activité ordinaire de la société, à savoir des brouillons de lettres adressées par la société à des correspondants, ainsi que des lettres reçues par la société et surtout les mémoires qui répondent aux questions posées dans les programmes. C’est tout.
6À leur propre échelle, les membres de la société des Thesmophories de Blaison sont d’abord un groupe de parents, d’amis et de voisins qui ont constitué une société avec une orientation savante. À l’exemple d’une académie ou société royale d’agriculture, la petite société de Blaison s’est donné tout un programme trimestriel et annuel d’activités sous la forme de « questions » ou sujets d’étude à caractère agricole, économique et social, dont voici une présentation :
« Des personnes que l’amitié rassemble tout les mois, desirant joindre aux agréments de la société celui de leur instruction, se sont proposés d’augmenter le plaisir de se voir, par des questions relatives à leur état : en conséquences elles ont arrêté de discuter les questions suivantes dans leurs entrevues de janvier, février et mars 1776 […] Y a-t-il dans le produit beaucoup de différences entre la grande et la petite culture ? Deuxieme question. Quelle est la différence du coût entre ces deux cultures ? Troisieme question. La grande culture nuit-elle à la population11 ? En chercher les preuves dans les différentes élections de notre province. Février 1776. Premiere question. Dans la classe des prairies artificielles, quels sont les semis auxquels on doit donner la préférence relativement à nos terreins ? Deuxieme question. Est-il une maniere propre à dessécher les recoltes de ces prairies artificielles, pour en faire des fourrages d’hiver ? Troisieme question. Quel est, après le défrichement de ces prés artificiels, l’espece de semence qui peut le mieux convenir à la terre défrichée12 ? »
7Comme ils n’ont pas reçu assez de réponses à leurs « questions », les thesmophores ont fini par répondre eux-mêmes. Voulant dépasser leur cercle, ils sont allés au-devant d’autres, plus savants et plus importants. Ils ont voulu développer une correspondance avec des personnes de la haute société angevine, se faire connaître des autorités et même obtenir l’appui du gouvernement pour faire réaliser certains projets d’aménagements pour combattre les inondations et mettre en valeur de nouvelles terres. Ce sont des gens à la fois très enracinés dans leur petit pays et ouverts sur le monde par cette entreprise qui les fait participer à un certain mouvement culturel, économique et scientifique. Leurs « questions » recoupent les grandes interrogations posées un peu partout en France et à l’étranger. Ils sont cependant limités car ils s’appuient sur ce qu’ils connaissent le mieux et participent aux sujets généraux sous un angle angevin, notamment pour la viticulture, les prairies et l’élevage13. Ils le font comme il convient à cette époque, c’est-à-dire avec les nouvelles méthodes d’économétrie diffusées par les grands auteurs14. Mais ce sont des élèves originaux parce qu’ils se démarquent en défendant contre la « grande culture », les « bêcheurs » de chez eux et la « petite culture » pratiquée par des paysans qui travaillent sans charrue – la « grande » étant peut-être plus performante sur le plan économique mais destructrice sur le plan social et les thesmophores préférant une campagne pleine de familles modestes et occupées plutôt que de voir seulement quelques gros fermiers avec des chevaux de trait.
Un mémoire exemplaire
8Pour donner un exemple du type de travail des thesmophores, prenons le mémoire de Duvau répondant à la première question d’avril 1776 « Les propriétaires des grandes terres auraient-ils plus de profit à en arrenter à bled les terres, que de les affermer ? » lu en séance tenue chez Bréau le 22 avril 177615. On y trouve deux séries de calculs sur la « rende16 » et le « produit » selon plusieurs options. D’abord, si l’exploitation est louée complète :
« J’en supose une des meilleurs, composée a peu-près de 60 arpents de terres labourables, 25 arpents de prés et pâtures, et les maisons, granges, jardins etc. Je divise ces 60 arpents de terre en trois tiéres ce qui fait 20 arpents chacque, parce que notre usage est d’ensemencer un tiére en froment, un tiére en orge ou avoinne, et l’autre tiére que l’on tire à gueret affin d’y metre du froment l’année suivante. Cette metairie avec ses dependences peut étre affermée 800 #. Surquoy il convient déduire les grosses réparations qui surviennent aux logements et qui sont à la charge du propriétaire, que l’on peut estimer 20 # par an. Reste à 780 #. »
9Un calcul par unité de surface aboutit à un résultat différent :
« Ces 60 arpents de terre peuvent être arentée un boisseau de froment par boissellée, ce qui fait 600 boisseaux, qui à raison de 35 s. le boisseau qu’on peut l’estimer année comune. Reviennent à 1 050 #. Les prés et pâtures montant à 25 arpents pourraient être arentées moitié des terres, c’est-à-dire 6 ecuellées la boissellée, qui donneraient 125 bo[isseau]x f[romen]t au même prix. Reviennent à 218 # 15 s. Les logements et jardins vallent au moins de ferme ou de rente 80 #. »
10Le total de la seconde option est de 1348 # 15 s. d’où Toussaint Bréau déduit que le rapport serait supérieur de 568 # 15 s. à la première. Ne discutons pas les résultats, observons seulement la méthode17.
11Le thesmophore ajoute une dimension sociale en se demandant « à qui arenter ces terres, prés et pâtures » :
« Ge divise notre metairie en dix parts, de 6 arp[en]t chacune, que j’arente à dix particuliers, ce qui leur fait 20 boissellées par tiére, par consequant chacun d’eux aura par année 20 b[oisse]llée ensemencée en f[romen]t, 20 b[oisell]ée en orge ou avoinne et 20 b[oissell]ée qui seront en gueret, pour raison de quoy il devera 60 bo[isseau]x f[romen]t de rente par an […] Ces domaines étans fait valoir par un propriétaire18 (parce que le rentier le devient à cause de son arentement) seront sans doute bien mieux cultivés, que par un fermier ou colon, et peuvent raporter année commune 8 bo[isseau]x f[romen]t par b[oisse]lée. Ce qui ferait 160 bo[isseau]x cueilli dans 20 b[oisse]lés. Il en faut ôter 80 bo[isseau]x pour aquiter la rente et pour semer. Il reste à ce particulier 80 bo[isseau]x de froment et 180 bo[isseau]x d’orge que les 20 b[oissell]ée de terre ensemencée de cette éspèce de grain, peuvent raporter aussi année commune, à raison de 9 bo[isseau]x par b[oissell]ée. Il est donc visible que ce rentier à beaucoup plus d’avantage qu’un colon [un locataire incertain] qui ne fait pas si bien valoir qu’un propriétaire [un locataire de longue durée] ; je remarqué plusieurs fois, et je ne suis surement pas le seul, qu’il y a plus de deux bo[isseau]x de differance du produit d’une terre faite par la main du maître à celle du closier. Cepandant ce dernier il est obligé de donner à son maître la moitié du froment, de l’orge, de fournir de tout ou partie des semences, et enfin la moitié du profit de tous les bestiaux. Au contraire il reste à notre rentier presqu la moitié de son froment, toute son orge et les profits de bestiaux à l’entier. »
12Louer longtemps à dix bêcheurs serait plus avantageux pour le (vrai) propriétaire comme pour le paysan.
13Le thesmophore envisage en plus un avantage pour le peuplement :
« La maison du fermier dont je vien de parler peut etre composée de 8 personnes, 6 bœufs, 4 vaches, deux eleves19 et 50 a 60 moutons et brebis. Celles de nos rentiers peuvent l’etre de chacunes 4 per[sonne]s, 2 vaches, une eleve et 15 à 20 moutons. Ces 10 menage composent ensemble 40 personnes, et ont en bestiau 20 vaches, 10 eleves et plus de 150 moutons, voila donc 32 personnes, 16 vaches, 8 eleves et plus environ d’un cent de moutons de plus que chez notre fermier ou meteïer. »
14Enfin le thesmophore évoque l’intérêt de l’État : « Quand à l’imposition de la taille […] Il est toujours à presumer que dix ménages quelques petits qu’ils soient, en suportent plus proportion gardée qu’un seul. » Ici Duvau dit bien qu’il ne veut pas aller de ce côté – le fisc, le gouvernement, etc. – alors qu’ils seront plus hardis dans leurs derniers mois d’activité.
Des comptes invérifiables
15Les comptes ont beaucoup d’importance dans les travaux de l’époque, comme dans ceux des thesmophores, mais ils posent de gros problèmes et aucun historien économiste n’a voulu participer au livre de 2010.
16Reprenons l’exemple du mémoire qui répond aux interrogations « Seroit-il plus profitable d’herbager les prés que de les garder à foin ? » et « Est-il plus avantageux de mettre en culture des terrains sujets aux inondations que d’en faire des pâtures ? ». Un thesmophore confronte les résultats d’une prairie vouée au foin et d’une prairie servant à « herbager » des bestiaux20. La base est qu’« une presrie de cinquante arpants peut produire année commune cent charretée de foin qui pourront valoir trante livres [la charretée] prise sur [le] lieu », d’où 60 livres à l’arpent ; moins les frais de fauche et de transport estimés à 6 livres par charretée ou 12 livres à l’arpent ; reste 48 livres soit pour 50 arpents 2 400 livres « sans courir aucun risque ». La difficulté soulevée par l’auteur est que les transports à longue distance, notamment vers les villes, supposent de pouvoir atteindre une rivière pour mettre le foin « en grosse barge ». Mais c’est là que le bénéfice sera le plus élevé. Surtout si l’on peut « atandre une disette [de foin] pour sans procurer la vente ». La deuxième spéculation consiste à « arbager [les] 50 arpent [pour] metre cinquante bœufs qui pouront donner cinquante livres par bœuf de benefice » ; d’où un « capital » de 2 500 livres. La difficulté est cette fois qu’il faut engager des « avances » : acheter des bêtes à 150 livres la pièce, soit 7 500 livres immobilisées. Il retire donc 375 livres « pour l’insterai de l’argent » (qui aurait pu être placé ailleurs et à 5 %) et ramène le bénéfice à 2 125 livres. De plus, il y a un risque de mortalité des bestiaux. D’un côté, 2 125 livres et un risque. D’un autre côté, 2 400 livres et, affirme-t-il « sans aucun risque ».
17Tout historien ruraliste est gourmand de tels raisonnements et de tels chiffres. Mais comment ignorer que le thesmophore avait d’abord estimé la production à 55 charretées de foin avant de barrer « cinq[uan]te cinq » pour écrire « cent » ? Ce n’est pas le seul chiffre corrigé dans les mémoires. Alors où est la vérité si un thesmophore n’est pas sûr de ses comptes ? Jean-Louis Guitteny a essayé d’évaluer la pertinence des mémoires et, à partir des baux conservés dans le fonds du notariat Malécot, il a lui-même procédé comme un thesmophore et voulu savoir si l’on pouvait donner raison ou tort aux thesmophores qui critiquent à toute occasion le bail à part de fruits21. Après ses conclusions nous avons repris les comptes en changeant deux variables : les prix et les rendements. Soit trois essais – un thesmophore, Guitteny et Follain – et trois résultats différents.
18Comme l’écrit Jean-Louis Guitteny : « ces calculs restent de l’ordre de la généralité et peuvent souffrir la contradiction ». C’est le cas pour tous les mémoires chiffrés des thesmophores, comme c’est aussi le cas pour tous les comptes des grands auteurs du xviiie siècle et il n’y a pas de solution aux problèmes posés par leurs comptes22.
Les modèles des thesmophores
19Voilà maintenant les questions auxquelles on peut apporter des réponses : quels modèles ont inspiré les thesmophores, quelles lectures ont-ils faites, où ont-ils appris à raisonner et à calculer, qui les a conseillés ? Vers 1870 l’archiviste et historien Célestin Port avait laissé courir son imagination :
« Il était une fois dans notre Arcadie d’outre-Loire23, – c’est Blaison que je veux dire, – un petit groupe de braves gens […] bourgeois ou demi-campagnards, maîtres pourtant chacun d’un petit domaine, et, par raison comme par goût, étudiant au point de vue de leur bourse la raison de l’impôt et du revenu […] “J’ai la Gazette ; apportez le Mercure.” Un plus avisé arrivait avec quelque volume de Quesnay, l’édit nouveau de Turgot, le premier livre de Necker, l’Inégalité de Rousseau, un livret de l’Ami des hommes. Les esprits s’échauffaient ! Les cœurs se montaient ! Le progrès ! La liberté ! Le monde en marche et déjà sur le bord d’un horizon inconnu ! La patrie en travail d’une société nouvelle ! – et tout finissait par quelque plaisanterie. “Mais nous voici des savants finis ! Nous parlons, nous raisonnons comme une académie ! Si nous l’écrivions à la Gazette ?”. Ils étaient huit ! Huit hommes de cœur et de raison, s’aimant de bonne amitié, sûrs d’eux-mêmes et de leurs voisins, marchant résolument d’un même pas, en se sentant les coudes, vers un même but sans qu’aucun recule ! Mais, il me semble, il n’en faudrait pas davantage pour conquérir le monde ! – ils n’allèrent pas si loin ! Ils l’écrivirent à la Gazette. »
20Célestin Port n’hésite pas à donner aux thesmophores des références et des lectures savantes : « J’ai la Gazette ; apportez le Mercure », Quesnay, Necker, Rousseau, Mirabeau… Mais avons-nous la moindre preuve que les thesmophores ont connu, détenu et lu ces livres ? Selon Célestin Port les thesmophores lecteurs de la Gazette agissent aussi comme des correspondants puisqu’ils lui écrivent. Or c’est contredit par les archives car l’envoi du programme à la Gazette d’agriculture a été une initiative de Charles de Butré24. Laissons là cette œuvre d’imagination et essayons de comprendre comment une demi-douzaine de petits bourgeois de Blaison ont pu se trouver des modèles d’organisation et des sources d’information et d’inspiration.
21Au xviiie siècle, les gens de Lettres, les savants et la bonne société philosophent et s’informent des questions littéraires et esthétiques, savantes et techniques, voire même politiques. Les lieux et formes sont variés – depuis les académies provinciales jusqu’aux loges maçonniques – ainsi que les échelles de fonctionnement, depuis les capitales européennes jusqu’aux chambres de lectures limitées à quelques personnes. La société des Thesmophories s’inscrit parmi ces modèles, même si elle est aux plus bas niveaux de la république des Lettres. Dans le contexte angevin, deux grands modèles sont donnés à eux comme à toute la province : l’Académie créée à la fin du xviie siècle et le plus récent bureau angevin de la Société royale d’agriculture de la généralité de Tours.
L’Académie
22Les statuts de l’académie royale d’Angers (1685) autorisent trente académiciens « ordinaires » c’est-à-dire « titulaires » qui sont les principaux magistrats de la ville et des personnes de qualité supérieure. Le talent y compte moins que la position dans la société. Le projet « culturel » de l’académie d’Angers est défini dans les statuts de 1685 et confirmé ou infléchi à chaque allocution de la séance inaugurale : « La science des belles lettres […] la parfaite intelligence des poètes et des orateurs […] fait l’occupation de l’assemblée » et secondairement elle « embrasse la connoissance des langues et de l’histoire, de la philosophie, des mathématiques…25. » Les statuts prévoient aussi des domaines interdits ou qui ne seront abordés qu’avec précaution. L’Académie procède par séances « ordinaires » réservées aux trente membres et par séances « publiques » qui sont ouvertes seulement à des « personnes de condition » expressément invitées.
23Après une période de dépérissement dans les années 1730 et 1740, la situation est un peu rétablie mais le nombre des séances reste faible et l’Académie ne parvient pas à obtenir l’accord du Roi pour conserver son statut tout en procédant à des changements significatifs quant à son organisation et son projet. En 1760 enfin, elle change son nom en « Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts d’Angers » et les académiciens déclarent maintenant vouloir entendre des conférences relatives aux arts « méchaniques » et « civils ». Elle s’intéresse davantage aux sciences, mais par exemple, entre 1747 et 1783, 19 communications sont relatives à la botanique et aux animaux et 3 seulement sont consacrées à l’agriculture. C’est que l’Académie peut s’intéresser aux sciences « naturelles » comme la botanique mais pas aux sujets très pratiques. L’absentéisme des académiciens est combattu par les officiers et l’Académie se revitalise en s’ouvrant à des membres « associés » dits « étrangers » (à partir de 1747) et « associés résidents » (à partir de 1762) pour « s’associer des savans qui puissent travailler de concert » avec les académiciens26. On dit que les séances sont plus ouvertes que par le passé, mais il n’y a pas de sources pour comprendre vraiment qui peut y assister. À défaut, des comptes rendus sont publiés dans les Affiches d’Angers voire dans le Mercure27. Enfin l’Académie relance les concours en posant au public des « questions » qui sont « relatives au bien général, à l’agriculture, au commerce, aux arts et aux manufactures » mais c’est postérieurement à la période d’activité des thesmophores28. Et surtout, nous ne pouvons pas savoir si un thesmophore a pu se faire admettre dans le public des séances.
La Société royale d’agriculture
24L’autre modèle est le bureau d’agriculture d’Angers qui est l’expression même du courant de pensée agronomique et économique propre au xviiie siècle. Une action gouvernementale est portée par Henri Léonard J.-B. Bertin, intendant du Roussillon (1749) puis de Lyon (1754) et Contrôleur général des finances de 1759 à 1763 puis secrétaire d’État surnuméraire et détaché du contrôle général des finances, avec des attributions comprenant entre autres l’agriculture. L’Anjou est en plus marqué par la gloire agronomique du marquis de Turbilly, ami et conseiller de Bertin29. Son Mémoire sur les défrichements… (1760) est imprimé sur ordre du ministre et envoyé à tous les intendants de province. Turbilly inspire aussi la circulaire aux intendants du 22 août 1760 sur la création des sociétés d’agriculture.
25Après Rennes en 1757, Angers aurait pu avoir très vite sa propre société agronomique, mais alors que des Angevins l’avaient presque créée, leur initiative a rencontré les directives gouvernementales. La tutelle des intendants induit une organisation dans le cadre des généralités administrées par eux, alors que la généralité de Tours comprend les trois provinces du Maine, de l’Anjou et de la Touraine et trois villes capitales dont aucune ne peut être autorisée à créer sa propre société. La solution retenue consiste à créer trois bureaux de la même société. Angers a donc le sien, tourné vers « l’instruction » du « cultivateur » qui grâce aux conseils pourra « augmenter l’abondance dans les terrains fertiles et la faire naître dans ceux qui paroissent moins propres à la culture30 ».
26Les débuts sont prometteurs. On voit le bureau – comme l’Académie – passer des annonces dans les Affiches d’Angers qui rendent compte aussi de certaines des séances. Un questionnaire est imprimé et distribué dans toute la province. Les membres se répartissent une vingtaine de sujets d’étude tels que les labours (messieurs de Turbilly et de Cessart), les ustensiles du labourage (messieurs de Longueil, de Turbilly, Parent de Villeneuve et de Cessart) les engrais et amendements, ou encore les prairies naturelles et artificielles, pour présenter plus tard des rapports. Le bureau a vingt membres et des « associés » en nombre illimité, mais entre l’ouverture et l’entre-soi, les membres choisissent la fermeture à des candidats pas assez honorables, considérant que les meilleurs auteurs sont forcément des curés ou des gentilshommes… Au temps des thesmophores, le directeur est Pocquet de Livonnière, conseiller au présidial d’Angers et auteur du Traité des fiefs, puis Rogue, auteur d’un traité de droit commercial, puis le chanoine Louet en 1777-1778. Grâce à des listes de membres titulaires et associés nous savons que leur profil est au-dessus de celui des thesmophores. À cause de cette fermeture ou pour quelque autre raison, le bureau ne tient pas ses promesses. L’enquête générale n’a aucun résultat connu, le bureau n’organise pas de concours ni d’expériences, pas plus qu’il n’a de ferme modèle et il ne publie pas31. Au moins l’agronomie figure-t-elle désormais parmi les disciplines reconnues par la bonne société angevine.
27Aussitôt créés, les thesmophores se mettent en relation avec la société royale d’agriculture et plus précisément avec le doyen Cotelle, un religieux qui est depuis 1764 le secrétaire perpétuel du bureau32. C’est pour eux une relation institutionnelle flatteuse. Le 16 février 1776 Cotelle écrit à Malécot « avocat en parlement, et procureur fiscal de la baronnie de Blaison à Blaison » donc en choisissant bien son correspondant parmi les thesmophores :
« Le bureau d’agriculture étably à Angers verra toujours avec une vraye satisfaction des citoyens patriotes et eclairés se reunir en société pour l’instruction des cultivateurs dans les campagnes dans l’économie rural. Et pour les progrès de l’agriculture, il seroit à désirer que celles que vous venez de former, monsieur, trouvast des imitateurs, et quelles se multipliassent dans nos provinces. Le goust de la culture et de tout ce qui y est relatif, en se repandant de proche en proche, deviendroit le goust dominant, et il en resulteroit un avantage reel en faveur du bien public et particulier. Notre société â applaudy, monsieur, au projet que vous avez formé. Elle s’empressera mesme de vous communiquer les memoires qu’elle à répandû dans le public, et qui sont insérés dans les gazettes et les journaux de l’agriculture, ainsy que ceux qui luy ont été addressés par les autres sociétés du royaume et des pays étrangers à la France33. Elle recevra avec le mesme plaisir les observations et les mémoires qui seront le fruit de vos assemblées patriotiques et les repandra dans le public lorsqu’ils contriburont à son instruction […] je me réjouis d’avance de devenir l’organe d’une correspondance qui en enrichissant le public du fruit de vos observations et de vos experiences me fournira l’occasion de vous renouveller les sentiments respectueux avec lesquels j’ay l’honneur d’être, monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur34… »
28Le doyen Cotelle dit aussi la « surprise » des membres du bureau quand il a été informé « en recevant votre prospectus » et si le bureau donne comme une approbation à leur initiative et émet le vœu que la société de Blaison « trouv[e] des imitateurs », il n’est question d’aucune forme d’affiliation ni d’encouragement et de coordination d’un réseau35.
29Au terme de cette partie, notre impression est que les thesmophores n’ont pu assister à rien et n’ont pu apprendre de ces modèles que par certaines lectures.
Les sources des thesmophores
30En France la littérature agronomique originale renaît avec le Traité de la culture des terres de Duhamel du Monceau (1re édition : 1750) et surtout ses Éléments d’agriculture (1756 et 1762) portés par des expériences réalisées dans son domaine du Gâtinais. Les auteurs et parutions se multiplient alors et des gazettes spécifiques sont créées. Les plus grands succès du xviiie siècle sont La Nouvelle maison rustique… (1re édition en 1700, 12e et 13e en 1798 et 1804) et les deux livres de Duhamel du Monceau (1762)36. Dans les mêmes années, l’économie rurale est centrale dans la pensée des « Économistes » ou « physiocrates » : Pierre Samuel du Pont de Nemours, le docteur François Quesnay et le marquis de Mirabeau. Au second plan on trouve entre autres Charles de Butré. Plusieurs ouvrages des années 1760 diffusent leur doctrine, soutenue par un appareil « arithmétique » sans lequel rien ne ferait preuve. L’abbé Nicolas Baudeau fait paraître en 1765 le premier numéro des Éphémérides du citoyen ou chronique de l’esprit national dont il reste longtemps le principal auteur et qui dure jusqu’en 1772.
31On pourrait étendre la liste, mais qu’ont lu les thesmophores ? Faute de citations dans leurs mémoires – et faute d’inventaires après décès, hélas ! – on peut tout imaginer, depuis la possession d’un exemplaire du plus ancien Maison rustique… de Charles Estienne et Jean Liébault (1re édition 1567 et dernière édition 1702) jusqu’à celle d’un Mémoire sur les défrichements… (1760) du marquis de Turbilly, en passant par des copies manuscrites personnelles de livres imprimés. Un thesmophore dans le premier mémoire du corpus (1er janvier 1776) dit exposer une opinion contraire à celles des « écrits modernes » et « des écrivains célèbres » – mais lesquels ? Dans un autre, Malécot est d’abord dans le vague quand il évoque « plusieurs traités de la culture des vignes » (les a-t-il seulement lus ?) puis il cite le livre « de Mr. Bidet de l’académie d’agriculture de Florence […] en deux volûme imprimés en 1759 » et l’on sait aussitôt comment il l’a connu : « monsieur de Longueil à bien voulu me le prêter37 ». Le compte rendu de lecture du thesmophore est assez peu respectueux : « ennuyeux par une foulle de détailles connus de tout le monde ou particuliers aux païs dont lui sont venus les mémoire qui lui ont servi à faire ce traité de la culture de la vigne » et pas assez théorique, ne fournissant pas « des raisons phisiques » fondamentales et intangibles pour comprendre le vin.
32On peut penser aussi qu’ils ont pu avoir accès à des ouvrages généraux comme l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d’Alembert (17 volumes de textes de 1751 à 1772) ou à des périodiques comme les Trimestres de la Société royale d’agriculture ou le mensuel Journal oeconomique […] sur l’agriculture, les arts, le commerce… (43 volumes de 1751 à 1772). À moins que les thesmophores n’aient jamais rien lu de tout cela, et seulement des almanachs et le périodique régional : les Affiches d’Angers38.
Les Affiches d’Angers, miroir d’une province
33Imprimées à partir de 1773, les Affiches et toutes les publications de la même espèce ont pour modèle la Gazette de Renaudot. Cette « feuille » (pliée pour donner quatre pages) est hebdomadaire et bon marché. C’est un organe conservateur qui proteste à toute occasion de sa fidélité au roi et aux autorités. Dans le no 17 du 23 avril 1779 par exemple, les Affiches rappellent « la loi que nous nous sommes prescrite de ne rien inscrire dans nos feuilles concernant les affaires politiques ». C’est d’abord un journal d’annonces pour les gens qui ont de l’argent à placer et qui veulent tout savoir des biens qui se négocient ; d’où l’importance d’être abonné. On y trouve aussi des avis de spectacles, des résumés de textes de loi, des avis de souscription et parution, comme dans le no 23 du 7 juin 1776 et dans le no 24 le prospectus « du Précis historique des séances de la société royale d’agriculture au bureau du Mans » publié en deux moitiés car les Affiches ne publient jamais de textes longs. Dans le même no 23 une rubrique « Avis intéressants » présente deux méthodes, l’une employée dans le « Landgraviat de Hesse-Cassel » pour étouffer les incendies de cheminée, l’autre « trouvée [par] un agronome de Nuremberg » pour tuer les « puces de terre [qui] font souvent un ravage étonnant dans les jardins ». Le numéro présente encore un « Problème d’arithmétique » posé par une succession39. Le contenu des Affiches est donc très varié.
34On peut admettre que la lecture des Affiches permettait à des gens comme les thesmophores de savoir ce qui se passait à l’Académie et au bureau d’agriculture, sans être membre et sans assister aux séances. Mais le style des Affiches renseigne davantage sur la forme que sur le fond. Ainsi, dans le no 24 du 17 juin 1774 le compte rendu de la séance publique de l’Académie royale rapporte que « M. Gastineau, professeur en droit […] fit l’ouverture de la séance par un discours » dont les Affiches disent les intentions, louent la forme « avec autant de vérité dans les principes que justesse & d’harmonie dans les expressions » mais pas les arguments. Sur un autre orateur il est écrit « excellente dissertation […]. La profondeur des recherches & le stile de ce discours furent admirés des auditeurs » mais le vrai contenu n’est pas diffusé par les Affiches. Dans le no 22 du 26 novembre 1773 le compte rendu des séances publiques de la Société royale d’agriculture évoque le rapport du secrétaire « de toutes les affaires survenues pendant le temps des vacances, ainsi que des réponses qu’il avoit faites » et la lecture « d’un mémoire instructif sur la pêche du poisson, principalement sur celle du saumon, telle qu’elle se pratique aux Ponts-de-Cé », mémoire qui répondait à « plusieurs questions proposées à la société par M. Duhamel du Monceau, de l’Académie des Sciences de Paris ». On évoque aussi la lecture « de la description d’une charrue propre à détruire les mauvaises herbes des terres labourables, inventée depuis peu par le sieur Tessier », un « laboureur » d’une paroisse de la vallée d’Anjou. Mais si l’on « assure qu’elle a rempli parfaitement les vues de l’inventeur dans l’expérience qui en a été faite en présence de plusieurs cultivateurs » on comprend bien que tout cela ne fait que donner envie sans être suffisant. Un lecteur intéressé devra forcément compléter son information ou se rendre à Saint-Philbert-du-Peuple pour y rencontrer ce monsieur Tessier.
35Quelquefois les Affiches publient un article assez long et qui donne même des leçons de méthodologie. Ainsi dans le no 37 du 16 septembre 1774, sous un titre « Agriculture », est publié un long « Extrait d’un mémoire de M. Gouge, secrétaire perpétuel de la Société royale d’agriculture au bureau de Laon, sur la récolte des avoines ». Or cet article a pu inspirer les réflexions et le mode d’écriture des thesmophores40. Les Affiches qui ne peuvent pas être regardées aujourd’hui comme une publication de référence, ni savante, ni agricole, ont fort bien pu être la source principale des thesmophores, tant sur les questions que l’on peut se poser que sur les méthodes pour les traiter, que sur les réponses que l’on peut rédiger – sans jamais rien lire de la littérature agronomique de premier rang.
36Un autre aspect des Affiches est qu’elles permettent d’être imprimé et lu quel que soit son domaine. En effet dans les années 1770 l’agriculture n’est pas moins présente dans les Affiches que les Belles Lettres et le sujet n’en disparaît jamais, aussi loin que nous avons regardé dans les années 1780. De plus, les typographes jouent sur la taille des caractères pour mettre de plus en plus de textes dans leur « feuille ». Une condition pour être édité est d’imiter le style des Affiches41. Mais le plus souvent, le propos est enrobé dans un style assez peu supportable qui est exactement celui de l’abbé Ollivier, l’un des rares contributeurs auquel on permet de signer ses articles. Ollivier écrit sur un peu tout – dont l’agriculture – et il est donné aux abonnés des Affiches comme le modèle des bons auteurs42. Un sujet agricole comme ceux traités par les thesmophores dans leurs mémoires avait donc sa place dans les Affiches à condition d’être rédigé assez bien, « simplement » et « utilement » comme on le demande aux auteurs. Ainsi l’article « sur l’usage très-nuisible de mener paître les bestiaux dans les prairies » (no 19 du 21 mai 1774), celui sur « une machine propre à arracher les chaumes » (no 38 du 23 septembre 1774) ou encore celui sur la « manière d’enchausser ou de chauler les grains […] d’après des expériences réitérées, faites […] en différentes provinces du royaume » (no 40 du 7 octobre 1774) aurait pu être rédigé par un thesmophore. Un problème est que les articles sont anonymes43, comme dans beaucoup de publications de ce temps.
Les thesmophores dans les Affiches d’Angers
37On sait que les thesmophores ont fait paraître leurs programmes dans les Affiches44. Ils ont aussi donné collectivement un article. Mais si l’un d’eux a été publié comme auteur anonyme nous ne le savons pas – sans doute aurait-on eu quelque trace dans les archives de la société pour 1776 et 1777, mais avant et après, nous ne pouvons pas le savoir.
38La publication des thesmophores dans les Affiches est aussi la seule preuve qu’ils ont pratiqué une agronomie expérimentale. En effet les thesmophores s’ils ont retenu de leurs sources l’importance de l’expérimentation, préfèrent procéder sur le papier seulement. Ainsi dans le mémoire présenté le 1er janvier 1776 « Pour traiter sainement [la question] il faut suposer d’abord deux terreins d’un fond égal » mais le thesmophore procède par calculs théoriques en prenant deux hypothèses de résultats qui ne font pas preuve – la seule excuse qu’on peut lui trouver étant que des grands auteurs ne procèdent pas autrement à cette époque. Pour juin 1776 les thesmophores interrogent sur les engrais et proposent une expérimentation : « Peut-on déterminer la propriété de chaque fumier ou engrais par leur degré de chaleur et leurs sels, et les classer rélativement au besoin de chaque graine ? » Or ces questions sont les seules de la première année qui n’ont reçu aucune réponse, car le protocole expérimental, dont ils avaient bien compris la nécessité, dépassait soit leurs compétences, soit leur envie. Ils espèrent plutôt « que quelques personnes le voulussent tenter » et fassent part « de leurs observations45 ». Pour décembre 1776, les Thesmophores prévoient aussi une expérience possible qui leur paraît « intéressant[e] pour le bien de l’humanité […] afin de donner au public les résultats importants de ces épreuves ». Mais rien de ce que les thesmophores écrivent n’a de réalité pratique, sauf une fois dans une lettre adressée aux Affiches d’Angers :
« Les personnes qui composent la susdite société, ont découvert une propriété interressante dans la plante, connue sous le nom d’herbe à soie, qui nous a été apportée des Indes, depuis douze à quinze ans. On s’étoit mal-à-propos imaginé que sa soie étoit contenue dans la capsule, ou espéce de cocon qui porte la graine, mais qui n’a pas d’autre propriété que de donner cette graine enveloppée d’un duvet fort court, & qu’il est fort difficile de filer : un des membres de cette société s’est assuré, par expérience, que la soie que produit cette plante est sur la paille ou chenevotte, comme au chanvre, prodigieusement abondante, & de la longueur de la plante ; elle est magnifique & on en peut espérer les plus grands avantages en la cultivant avec soin : elle est vivace, on la coupe vers la fin de novembre, & et on la met rouir à l’eau ou dans l’herbe, comme le chanvre ; mais comme l’espece d’écorce charnue qui couvre les fibrilles soyeuses, ne les quitte pas aisément, on la met au débouilli comme la soie, & l’on obtient la plus belle filasse. »
39Cette expérience a été publiée dans le no 13 de l’année 1776 (29 mars). La gazette angevine a donc été sensible à un texte exotique sur une plante américaine du type Yucca mais ce n’est pas à la gloire des thesmophores car ils n’ont rien trouvé qui n’était déjà connu des gens qui lisent les bons livres, voire même seulement l’Encyclopédie46.
40Ainsi devons-nous conclure que les thesmophores qui n’ont probablement jamais assisté aux séances de l’Académie et du bureau, ne semblent pas non plus avoir été de grands lecteurs, sinon des Affiches d’Angers.
De l’importance des relations personnelles
41C’est finalement de personne à personne que les thesmophores semblent avoir appris le plus, et notamment grâce à leurs relations avec le marquis de Longueil et avec l’« économiste » Charles de Butré.
Le marquis de Longueil, un voisin bienveillant
42Les thesmophores ont une relation privilégiée avec un voisin, le marquis Henri-Charles de Longueil, seigneur (entre autres) d’un domaine à Blaison et membre des deux institutions culturelles et savantes angevines. Il joue le jeu du programme du 1er trimestre 1776 en communiquant aux thesmophores un mémoire « anonyme » auquel ils répondent par une lettre « [À] M. de Longüeil de l’Académie des sciences et de la Société roiale d’agriculture d’Angers, à son château de la Gerondiére à Blaison » où « la société de Blaison » le remercie :
« M. Malécot le j[eun]e vient de nous lire un mémoire sur nos trois questions de janvier […] Sans être agronomes et encore moins littérateurs, nous aurion aisément reconu aux recherches et aux observations et au stile de ce mémoire savant, un homme consommé dans tous les genres. Mais notre surprise et notre réconnaissance ont étés sans bornes, lorsque notre confrere nous a apris que vous étiés l’auteur de cet ouvrage. Nous n’osions esperer, monsieur, d’être honorés dès notre naissance, de l’atention d’un homme de qualité couroné des lauriers de Mars47 et de l’olive de Minerve, et notre amour-propre ne pouvait être plus délicieusement flaté. Daignés, monsieur, continuer de nous honorer de vos lumiéres pour exciter notre zêle […] Nous ne cherchions d’abord qu’à nous instruire en nous amusant, mais nos amusement deviendront des ocupations sérieuses, s’ils méritent votre atention…48 »
43Le secrétaire Duvau avait d’abord personnalisé la lettre (« Je suis… ») et une autre fois Malécot le jeune a affiché une proximité obtenue du marquis : « M. de Longueil m’a fait l’honeur de me dire l’expérience suivante… » et « M. de Longueil m’a permis de le citer49 ». C’est que la relation est flatteuse50. On relève aussi dans une dernière lettre du marquis dans les archives, une réaction bienveillante à des maladresses de la société, ou seulement de Duvau, qui lui avait fait une réponse agronomique un peu abrupte :
« Tout bon cytoyen doit participer a votre zele pour le bien general, et c’est en agitant les questions utiles, en les discutant par ecrit qu’on s’eclaire respectivement, que la lumiere se repand de proche en proche, et qu’on parvient à faire plus qu’on avait prevu ; la question que j’ay traittée m’avait souvent occupé, et meritait de l’être plus en grand. M. Malecot y a suppléé par une memoire dans lequel j’ay remarque que l’abondance de son sujet, dont il était parfaitement le maitre, l’emportait souvent, et la facilité de son stile montre aprés qu’il n’avait pas besoin de chercher pour bien dire. Je l’ai fort exorté a allonger ce trés bon memoire, ou les vües utiles ne sont quelques fois qu’indiquées, et a le donner ensuitte au public, soit par la voye des journaux soit imprimé seul. Et si j’en juge par moy même je ne doute pas qu’il ne soit très bien accueilli. »
44À cette occasion le marquis de Longueil leur fait d’ailleurs la leçon sur les codes sociaux, y compris entre savants : même sûr de son résultat, on respecte l’auteur, et d’autant plus selon son rang. Mais avec bienveillance, il les encourage et recommande à Malécot d’aller jusqu’à écrire tout un ouvrage.
M. de Butré, un « vrai savant »
45Les thesmophores ont publié leurs programmes pour obtenir des réponses écrites et ils espèrent davantage. C’est pourquoi ils adressent des courriers motivés et des mémoires à des institutions et à des savants51. Ils écrivent aussi des lettres « de courtoisie » et ils font preuve d’une audace certaine en s’adressant au nom des Angevins au contrôleur général du royaume pour le féliciter de sa nomination52. On imagine leur joie, quand ils ont reçu de lui un mot de réponse.
46Leur plaisir est évident aussi quand ils répondent par lettre à Charles de Butré : « Il est glorieux pour nous d’être dès notre naissance en correspondance avec un savant, qui veut bien prendre la peine de nous encourager et de nous instruire53. » C’est grâce à un ecclésiastique, le père Renaud de Chavagnes, qui se rend régulièrement à Tours, que cette relation a été nouée. Pour eux, de Butré est un membre de la Société royale d’agriculture de Tours, où il réside, ainsi que membre des sociétés de Paris et Orléans54. Il encourage les thesmophores, notamment dans sa lettre du 15 janvier 1776, mais il les incite aussi à modérer leurs entreprises (ce qu’ils feront en adoptant pour 1777 un programme plus raisonnable) et il leur donne des conseils méthodologiques :
« La société amicale et patriotique que vous venez de former, présente des vues, et des recherches d’une utilité trop réelle pour ne pas mériter l’approbation de tous les citoyens éclairés qui s’occupent du bien public. Les questions que vous proposez sont des plus importantes, car elles intéressent également l’économie rurale et politique. Leur solution doit apprendre à tous les économes de la nation, les moyens de s’occuper avantageusement et de se communiquer les objets de leurs travaux, afin de profiter par là des connoissances qui peuvent leurs manifester les opérations les plus fructueuses. Vos trois prémières questions bien traitées, suffiroient pour vous occuper votre 1ère année. Vous y demandez la différence de la grande et petite culture, en produit, avances, et population. C’est assurément présenter l’objet dans son point essentiel. Mais auparavant il seroit nécessaire de bien caractériser ces deux especes de culture, afin de ne leurs attribuer que ce qui est uniquement de chaque genre particulier, et qu’on ne dise point vaguement que la grande ou la petite culture sont plus avantageuses, sans auparavant avoir bien désigné ce qu’on entend sous ces deux diverses dénominations ; et il faut tacher de parler un langage uniforme afin de ne pas nous cantonner par provinces55. »
47Dans la même lettre, de Butré attire leur attention sur son grand œuvre : « J’ai donné en 1767 un ouvrage assez étendu sur la comparaison de ces deux cultures qui a été imprimé dans les Éphémérides du citoyen vol 9, 10 et 11. Depuis ce temps j’ai fait des recherches sur cet objet, et je vais faire imprimer un ouvrage plus complet, où on trouvera les détails les plus circonstanciés sur tout ce qui concerne ces deux cultures… » C’est impressionnant pour les thesmophores mais l’ouvrage ne sera jamais terminé.
48Les thesmophores ne savent pas vraiment qui est de Butré mais ils pensent avoir noué une relation « avec un savant, qui veut bien prendre la peine de nous encourager et de nous instruire ». Ayant reçu la première lettre, ils répondent le 14 février et se mettent à débattre. Monsieur de Butré répond poste pour poste56. Les thesmophores envoient une petite lettre en mars, et une importante le 2 avril57. Charles de Butré répond le 25 avril58. On échange des idées et des arguments. De Butré les entretient même de questions économiques et politiques, auxquelles ils répondent en allant plus loin que dans leurs mémoires. Il exprime plusieurs fois son admiration à l’égard de leur entreprise et il envoie de lui-même un exemplaire de leur programme de questions à la Gazette d’agriculture à Paris :
« J’ai reçu, monsieur, d’hier seulement le paquet que vous m’avez envoyé, sur le champ j’ai fait passé à l’auteur de la Gazette d’agriculture un programme de votre second trimestre afin de rendre publique votre digne association et faire connoitre quelle s’occupe des objets les plus utiles et les plus interressants, et qu’elle puisse servir d’émule à d’autres sociétés, dont il seroit fort avantageux qu’il y en eut de pareilles dans toutes les provinces59. »
49Malheureusement, ils perdent vite contact. C’est que Charles de Butré n’est pas ou n’est plus un ligérien. Depuis 1774 il est employé en Allemagne dans le margraviat de Bade et c’est son intérêt pour les « provinces de petite culture » qui l’amène en 1775 à Tours, d’où il écrit aux thesmophores la lettre du 15 janvier 1776, dans laquelle il évoque « des recherches sur cet objet ». La période où il correspond avec les thesmophores correspond donc à un séjour d’étude qui n’était pas fait pour durer. Sa dernière lettre datée de Tours est du mois de septembre 1776 (archives des thesmophores) puis ses propres archives (conservées à Strasbourg) attestent qu’il a signé début octobre une quittance à Karlsruhe. Telle n’était peut-être pas son intention, mais il semble bien que de Butré ne soit plus jamais revenu en Touraine et ni lui ni les thesmophores n’ont voulu ou pu reprendre la correspondance.
50Ce personnage a quand même beaucoup apporté aux thesmophores et les thesmophores lui ont peut-être inspiré une initiative en terre germanique. Dans une lettre adressée à Mirabeau, Charles de Butré raconte en effet avoir établi en Bade-Wurtemberg une petite société économique comprenant quatre membres et qui a tenu déjà deux réunions : « nous ne sommes encore que quatre, de mes trois associés deux que j’ai endoctriné sont jeunes et ardents et l’un surtout sera en état d’écrire sur la science, le 3e connaissait déjà la science60 ». Quand de Butré écrit « nous nous assemblons chez moi une fois par semaine nous discourons et faisons des lectures, nous avons déjà tenus deux assemblées », comment ne pas penser à la société de Blaison ?
Conclusion
51Chercher quels modèles et quelles sources expliquent l’aventure des thesmophores de Blaison n’aboutit pas à des résultats clairs. Il semble qu’ils n’ont pu assister à rien mais ils ont su quand même comment fonctionnaient l’Académie et le bureau d’agriculture. Il semble aussi qu’ils n’ont pas lu grand-chose – en tout cas pas des lectures de première importance – mais par des biais inconnus et par une publication secondaire comme les Affiches d’Angers ils ont eu connaissance des grandes questions sur l’agriculture et ils ont appris comment donner des réponses conformes à la science agronomique et économique de leur temps.
52Quand ils argumentent avec le marquis de Longueil et surtout avec monsieur de Butré, ils discutent les chiffres et les arguments parce qu’ils sont assez pénétrés d’un esprit scientifique pour considérer que seuls comptent les faits et non l’identité de celui qui avance des chiffres. Il est arrivé aussi que du Cormier et un autre thesmophore (non identifié) donnent des réponses opposées à une même question en mars et avril 1777 et donc la société a dû discuter de leurs statistiques. Un Commeau Delaroche écrit difficilement le français et fait toujours très court. Mais quand il répond à la 2e question de novembre 1776 il donne des réponses très pratiques, qui sentent l’homme de terrain, en même temps qu’il montre qu’il sait bien calculer comme le veut la science agronomique. S’il écrit mal, il travaille bien, car dans sa réponse à la première question de mai 1776 son texte, si mal orthographié soit-il, pose le problème en introduction, développe des arguments et tire une conclusion. Parfaitement construit, son mémoire donne l’essentiel sans effets de style.
53Et pourtant il y a encore plus mystérieux que les thesmophores : la réponse aux questions de février 1776 sur les prairies artificielles reçue par la société sous la forme d’une lettre anonyme, datée d’Angers, qui est fascinante par l’écart entre l’écriture qui est épouvantable et la pensée qui est très juste61. Nous ne savons pas comment des gens ont pu acquérir des savoirs aussi incomplets et une audace qui leur permette d’espérer « en metre quelque chose dans les afiche d’Angers » ce qui « pourois me faire conoitre au cas que je peu aitre de quelque utilité pour l’ar de l’agricultures ou dans l’ar veterinaires62. » Loin d’œuvrer gratuitement pour la science, cet anonyme a comme les thesmophores une grande soif de reconnaissance sociale et culturelle. C’est là que les thesmophores de 1776-1777 ont été déçus – sauf Malécot le jeune mais plus tard. En effet lors de la suppression du bureau d’agriculture en 1793 Louis Joseph Malécot apparaît parmi les vingt membres restants comme un « associé », en même temps qu’il est devenu officier municipal de Blaison, avant d’accéder à une magistrature au tribunal de district de Vihiers.
Reproduction de la Gazette d’agriculture no 8 du 27 janvier 1776 où Charles de Butré a de sa propre initiative fait publier l’annonce que les thesmophores de Blaison lui avaient adressée.


Notes de bas de page
1 Follain Antoine, « Les comptes fantastiques des Thesmophores de la société d’agriculture de Blaison en Anjou », in Jean-François Chauvard, Isabelle Laboulais et Christine Lebeau (dir.), Les fruits de la récolte. Études offertes à Jean-Michel Boehler, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, p. 119-134 et Follain Antoine (dir.), Une société agronomique au xviiie siècle : les Thesmophores de Blaison en Anjou, Dijon, EUD, 2010. Voir notamment Follain Antoine et Trenit Clément, « Un cercle dans l’air du temps », p. 9-55 ; et Fleith-Schweiger Carole, Follain Antoine et Trenit Clément, « Les activités des Thesmophores. Travaux et correspondance de la société agronomique de Blaison en Anjou (1776-1777) », p. 139-180, et sur la structure agraire et sociale Maillard Brigitte, « Les “bêcheurs” ligériens au xviiie siècle », p. 193-206 et Guitteny Jean-Louis, « L’espace des Thesmophores. Étude des baux conservés dans les archives du notariat Malécot à Blaison », p. 207-236.
2 Un aspect non traité ici mais très présent dans le livre est leurs questions posées aux paysans pour comprendre leurs pratiques. Voir notamment le mémoire présenté le 2 avril 1777. « Un terrain également propre à la culture du blé & des chanvres ou lins, serait-il plus productif, ensemencé en froment qu’en chanvre ou lin ? » Archives départementales du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 33. C’est là qu’un thesmophores se fait expliquer une spéculation sur le lin dans des terres sujettes aux inondations : « La raison, monsieur, en est simple, me répondit le païsan et la voici. Si l’on païe douze francs par boissellée de terre et que la rivière emporte pendant deux années vos espérances, c’est 24 # de ferme, et autant pour la culture, cela fait 48 ; et sur ce pied, 24 # pour la troisième année c’est 72 # que dont le fermier est en avance. Si le tems est propre à cette troisiême année […] cette boissellée de terre doit doner en lin une récolte sure de cent francs. » et donc une année réussie sur trois est suffisante et deux années font une très bonne affaire. Le thesmophore confirme ensuite les prix.
3 Justin Émile, Les sociétés royales d’agriculture au xviiie siècle (1757-1793), Saint-Lô, chez l’auteur, 1935 ; Labiche E., Les sociétés d’agriculture au xviiie siècle, Paris, F. Pichon et Durand-Auzias, 1908 ; Bourde André-J., Agronomes et agronomie en France au xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 1967. Voir aussi Knittel Fabien, « Agronomie et sociétés savantes agricoles (xviiie-xixe siècles). Une mise en perspective de la société des Thesmophores », in Follain Antoine (dir.), Une société agronomique…, op. cit., p. 251-266.
4 Dictionnaire philosophique portatif…, 1764, article « Blé » (multiples éditions). Voltaire se moque de la multiplication des agromaniaques mais l’article a pour vrai sujet la libération exagérée à ses yeux du commerce des grains. Cette « maladie à la mode » a aussi lassé le critique littéraire Melchior Grimm à cause d’une « multitude énorme d’ouvrages de toute espèce qui en traitent », dont les auteurs et les libraires « tirent bon parti » mais pas les cultivateurs. Grimm tient avec ses amis Diderot et l’abbé Raynal une chronique de la vie intellectuelle parisienne de 1753 à 1773. Il est aussi critique littéraire dans le Mercure.
5 Uzureau François, « La Société royale d’Agriculture d’Angers (1761-1793) », Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, 1914, p. 43-82. Le titre est trompeur car il n’y a pas d’archives pour traiter toutes ces années. La réalité correspond à ce travail : Delanoë Sylvie, Les débuts de la société d’agriculture d’Angers (1760-1761), mémoire de Maîtrise de l’université d’Angers, 2000.
6 Il est sûr que les thesmophores ont été déçus et mêmes blessés par l’échec de leur projet d’assèchement, cf. leur lettre au contrôleur général du royaume : Une société agronomique…, op. cit., p. 134-137 et Derex Jean-Michel, « Regard critique sur les projets d’aménagement et de dessèchement soumis aux autorités », in Follain A., Une société agronomique…, op. cit., p. 181-192. Voir aussi Fleith-Schweiger Carole, Follain Antoine et Trenit Clément, « Les activités des Thesmophores. Travaux et correspondance de la société agronomique de Blaison en Anjou (1776-1777) », art. cité, les sections « Trop d’efforts pour peu des succès » et « Des amateurs sincères ou des assoiffés de reconnaissance déçus de ne pas l’obtenir ? », p. 173-179. Le thesmophore Malécot s’est aussi essayé à des travaux littéraires, p. 175-177.
7 « Utilité, le mot est partout repris. Il guide les tâches savantes qu’une frontière mal tracée sépare des techniques […]. Il justifie la conquête agronomique, l’intérêt commercial et industriel, la réflexion réformatrice […] Cette philosophie utilitaire apparaît très tôt [début xviiie siècle] concours, publications, travaux, lui font atteindre un public élargi […] Les finalités sont le bien public […] et la promotion des talents… », in Roche Daniel, Le siècle des lumières en province. Académies et académiciens provinciaux 1680-1789, Paris/La Haye, Mouton, 1978, p. 383 ; « bien public » est ici défini comme « l’harmonisation des intérêts de l’État, des groupes sociaux et des individus ».
8 Bianchi Serge, « Les idées politiques et sociales des Thesmophores », in Follain Antoine (dir.), Une société agronomique…, op. cit., p. 267-273. Le sujet mériterait davantage, cf. les comptes rendus du livre par Patrick Fournier, in Histoire & Sociétés Rurales no 33, 2010, p. 244-246, Jean-Pierre Jessenne, in Annales historiques de la Révolution française, no 367, 2012, p. 220-222, et Jean-Michel Boehler, in Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2012, no 3, p. 179-181. Rappelons que le corpus entier est à la disposition des chercheurs : Follain Antoine et Trenit Clément, « Projets, questions et mémoires de la société des Thesmophores de Blaison. Textes transcrits et annotés », in Follain Antoine (dir.), Une société agronomique…, op. cit., p. 57-137.
9 Les archives de Charles de Butré sont conservées aux Archives municipales de Strasbourg. Nous les avons entièrement indexées avec des étudiants mais, si le résultat est définitif sur la correspondance, il reste beaucoup de travail à faire sur les manuscrits, où peut-être se trouvent des inédits car nous n’avons pas eu le temps de comparer les imprimés de Charles de Butré avec les centaines de pages écrites de sa main.
10 Port Célestin, « Les Thesmophories de Blaison (1775-1777) », Revue d’Anjou, juillet-décembre 1869, p. 340-353.
11 Ils y reviennent pour avril 1776 : « Si la culture manuelle ne fait pas tant de riches que la grande culture, ne fait-elle pas plus d’heureux ? »
12 Comme le niveau d’écriture des thesmophores leur a peut-être coûté la reconnaissance qu’ils espéraient atteindre, nous avons tenu à les éditer exactement, sans rien corriger et en gardant même leurs corrections.
13 Ils ignorent largement les autres pays et régions. Dans un mémoire à propos de la culture du lin et du chanvre est évoqué « l’anglais notre rival et quelque fois notre supérieur… », Archives départementales du Maine-et-Loire, 8D3, séance du 2 avril 1777. C’est plutôt un lieu commun sur la rivalité commerciale qu’une mention des auteurs anglais dans le domaine agricole. Sur l’exemple de la viticulture voir Mekechvili Teona et Musset Benoît, « Les Thesmophores et la vigne, entre Loire et Layon », in Follain Antoine (dir.), Une société agronomique…, op. cit., p. 237-250. Benoît Musset y démontre que les thesmophores ignorent la viticulture la plus moderne et ce qui se fait dans les autres régions.
14 En plus du mémoire donné plus bas en exemple, voir la réponse à de Butré (14 février 1776) p. 70-72 ; le mémoire de Duvau du 22 avril 1776, p. 81-83 ; le mémoire de Bréau le premier septembre 1776, p. 99-100 ; le mémoire de Delaroche en novembre 1776, p. 107-108 ; les mémoires de Malécot le jeune en septembre et octobre 1777, p. 121-127.
15 Archives départementales du Maine-et-Loire, 8D3, p. c., 13.
16 Le profit ; ce que rend.
17 Par exemple : pourquoi quelqu’un louerait-il la maison et les dépendances seules ?
18 Sic. Comprendre un paysan qui travaille pour lui-même. Noter le flou des conditions d’exploitation et l’absence de référence au métayage (bail « à part de fruits ») et au fermage ainsi qu’à la durée des baux.
19 Même signification que « la suite » dans d’autres mémoires. Il s’agit des veaux.
20 Archives départementales (AD) du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 27. Mémoire de monsieur Delaroche en réponse à la 2e question du mois de novembre 1776.
21 Guitteny Jean-Louis, « L’espace des Thesmophores… », art. cité, section « Rémunérer les acteurs ».
22 Rappelons que vers la fin des années 1760 et au début des années 1770 les grands auteurs se disputent dans des articles des Éphémérides du citoyen et du Journal de l’agriculture notamment à partir des tableaux de Quesnay et donc ce sont les chiffres mêmes qui sont contestés, lesquels soutiennent l’argumentation des physiocrates.
23 Région rurale de la Grèce antique, devenue un mythe dans la poésie bucolique latine et hellénique, le pays du bonheur, le pays idéal, peuplé de bergers vivant en harmonie avec la nature. Les travaux d’André Delaporte ont montré qu’au xviiie siècle cette représentation de l’âge d’or arcadien peut être associée à certaines spéculations philosophiques. Pour parler des agronomes de Blaison qui ont adopté pour leur société un nom tiré de l’antiquité, Célestin Port commence donc dans le même registre. Voir Delaporte André, Bergers d’Arcadie, le mythe de l’Âge d’Or dans la littérature française du xviiie siècle, Puiseaux, éd. Pardès, 1988.
24 Le programme de la société des Thesmophories est dans le no 8 du 27 janvier 1776 de la Gazette d’agriculture, commerce, arts et finances (sous ce titre de 1769 à 1783) qui édite en plus un supplément mensuel, le Journal de l’agriculture…
25 Bibliothèque municipale d’Angers 1261 (1032) Recueil des pièces relatives à l’Académie d’Angers, p. 19-25.
26 Bibliothèque municipale d’Angers 1261 (1032) p. 227.
27 Voir Lebrun François, « Une source de l’histoire sociale : la presse provinciale à la fin de l’Ancien Régime, les Affiches d’Angers, 1773-1789 », Le Mouvement social, no 40, 1962, p. 56-73. Le Mercure de France (1724) est l’évolution du Mercure Galant fondé en 1672. C’est d’abord une revue mondaine.
28 Bibliothèque municipale d’Angers 1262 (1033) p. 120. En 1785 par exemple, un sujet sur la rivière Authion est inspiré et doté par le comte de Provence : « Quels seraient les moyens les plus simples & les moins dispendieux d’empêcher les débordements de l’Authion & stagnation de ses eaux, même de rendre cette rivière navigable dans une partie de son cours ? » Louis-Stanislas-Xavier, frère cadet de Louis XVI, dit « Monsieur », est comte de Provence et doté d’autres possessions et revenus au titre de son apanage parmi lesquels la province d’Anjou. Au concours de 1785 sont reçus trois mémoires mais les commissaires préfèrent reporter à 1786 la remise éventuelle du prix, dans l’attente d’autres réponses de meilleure qualité. Les « enfants trouvés » (1787) et la navigation et le commerce de Loire (1788) sont aussi des sujets éloignés de « la parfaite intelligence des poètes et des orateurs » en quoi consistait l’esprit purement littéraire de l’ancien projet académique.
29 Voir surtout Veyret Patrick, Le marquis de Turbilly, artisan de la Révolution agricole du xviiie siècle, Angers, Chambre de l’agriculture de Maine-et-Loire, 1970 et « Le Marquis de Turbilly (1717-1776) artisan de la révolution agricole du xviiie siècle », Les Cahiers du Baugeois, numéro spécial, septembre 2000. Les publications anciennes ont un caractère hagiographique.
30 « Registre de la Société d’agriculture, de commerce et des arts », Bibliothèque municipale d’Angers ms. 1263 (1034) fo 4.
31 Nous avons seulement connaissance de deux concours dans les années 1780, cf. les Affiches d’Angers du 2 mai 1784.
32 Les thesmophores aussi se sont donné un « secrétaire ».
33 Nous ne savons pas si les thesmophores ont reçu quelque chose mais si cela avait été le cas, sans doute aurions-nous dans les archives le brouillon d’une lettre de remerciement.
34 AD du Maine-et-Loire, 8D3, p. c., 9.
35 C’est au xixe siècle que seront encouragés les comices agricoles coordonnés au niveau des départements. Voir Follain Antoine, « Un cercle dans l’air du temps… », art. cité, p. 43.
36 Moriceau Jean-Marc, La Terre et les Paysans aux xviie et xviiie siècles. Guide d’histoire agraire, Rennes, AHSR, 1999, p. 58-62.
37 AD du Maine-et-Loire, 8D3 réponse de Malécot l’aîné à la 3e question de mai 1776. Il s’agit de l’ouvrage de Nicolas Bidet, patronné par Duhamel du Monceau : Traité sur la nature et sur la culture de la vigne, sur le vin, la façon de le faire et la manière de le bien gouverner, à l’usage des differens vignobles du royaume de France, effectivement paru en 1759. Voir Mekechvili Teona et Musset Benoît, « Les Thesmophores et la vigne… », art. cité.
38 Lebrun François, « Une source de l’histoire sociale : la presse provinciale à la fin de l’Ancien Régime, les Affiches d’Angers, 1773-1789 », art. cité.
39 Il s’agit bien d’un exercice de calcul où la succession n’est qu’un énoncé, et non d’une information juridique puisque le droit successoral n’a pas d’uniformité dans le royaume. Cet article est emprunté aux Affiches de Perpignan car pas moins de 70 à 80 publications portent le nom d’Affiches dans le royaume et celles d’Angers empruntent à d’autres gazettes des petits textes ou des articles entiers, comme les autres peuvent piller la gazette d’Angers.
40 L’auteur expose un problème posé par des techniques traditionnelles, démontre une erreur de compréhension en Picardie, rapporte l’expérience contraire des Bretons et des Bas-Normands, donne plusieurs autres preuves et rapporte des expériences pratiques et parachève sa démonstration par le rapport de ses propres expériences menées durant trois ans.
41 Comme celui de l’« Observation sur les poux du bled » qui attaque directement en deux phrases : « Les poux du bled, Pediculi granarii, se nourrissent du grain le plus mûr & le plus gros ; ils causent une perte considérable dans des provinces entières. Sans examiner leur structure & leur propagation, je passe d’un trait rapide au moyen de les détruire… », Affiches d’Angers no 34 du 22 août 1777.
42 Ce prêtre conservateur et méprisant envers les paysans, est d’autant plus intéressant qu’il est très différent des thesmophores. Sa personne comme ses écrits attestent que l’agriculture, l’utilité et le patriotisme ne sont pas distincts d’une certaine vision de l’ordre politique et social. L’abbé Ollivier sera l’un des premiers prêtres réfractaires du département de « Mayenne-et-Loire » en 1792.
43 Un périodique n’a véritablement qu’un seul « auteur » qui est le directeur de la gazette, lequel s’approprie tout ce qu’il publie parce qu’il en porte la responsabilité devant les autorités judiciaires et administratives. Ce n’est pas propre aux Affiches : dans les publications nationales les grands physiocrates signent par une lettre majuscule dont le code est connu depuis longtemps par les historiens.
44 Dans les no 22 du 22 mars 1776, no 13 du 29 mars et no 31 du 2 août.
45 Les engrais sont une question importante et donc les thesmophores ont raison de participer aux débats du xviiie siècle mais il n’y aura pas d’avancées scientifiques avant le xixe siècle. « Nos connoissances devroient être arrivées à leur dernier terme ; cependant le vrai est que nous sommes encore peu avancés » écrit l’auteur du Nouveau cours d’agriculture paru en 1809.
46 L’abbé Antoine François Prévost, in Histoire générale des voyages ou Nouvelle collection de toutes les relations de voyage par mer et par terre qui ont été publiées jusqu’à présent dans les différentes langues de toutes les nations connues… publiée à Paris chez Didot (1re éd. 1749-1761) décrit suffisamment la plante, la manière de la traiter et l’usage qu’on en fait : « le même que le chanvre ».
47 Comme tout jeune noble d’épée, le marquis a servi dans l’armée.
48 AD du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 8. Brouillon de lettre à monsieur de Longueil du 14 février 1776.
49 AD du Maine-et-Loire, 8D3, réponse à la 2e question de février 1776.
50 Rappelons au contraire que les thesmophores n’ont pas fait d’adhérents : ils ne répondent pas à celui qui leur envoie une réponse aux questions de février 1776 et qui écrit encore plus mal que le plus mauvais des thesmophores et ils ne donnent pas suite à une relation possible avec un M. Lenormand auquel on leur suggère d’envoyer « une lettre d’agrégé », cf. Follain Antoine, « Un cercle dans l’air du temps… », art. cité, p. 54.
51 Voir Derex Jean-Michel, « Les travaux pratiques des Thesmophores… », art. cité.
52 Archives départementales du Maine-et-Loire, 8D3, brouillon de lettre, p. c. 25. Il s’agit de Louis Gabriel Taboureau des Réaux, contrôleur général des finances du 21 octobre 1776 au 29 juin 1777. Réponse du ministre : archives départementales du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 29.
53 AD du Maine-et-Loire, 8D3, réponse à monsieur de Butré, le 14 février 1776.
54 Il est connu des historiens comme disciple des principaux physiocrates mais en 1776 il a pris ses distances avec les grandes controverses. De Butré continue de travailler, d’écrire et de correspondre avec des personnages importants, comme Mirabeau.
55 Première lettre de M. de Butré datée du 15 janvier 1776 à Tours, en réponse à la formation de la Société et à ses questions du 1er trimestre, Archives départementales du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 4.
56 AD du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 10. Deuxième lettre de monsieur de Butré à Tours le 29 février 1776.
57 AD du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 11. Brouillon d’une lettre en réponse à monsieur de Butré datée du 2 avril 1776. Elle mentionne la petite, dont le brouillon n’est pas conservé.
58 AD du Maine-et-Loire, 8D3, p. c. 15. Troisième lettre de monsieur de Butré à Tours le 25 avril 1776.
59 Infra Document 4.
60 Fonds Charles de Butré, ms 836. Mirabeau est l’un de ses principaux correspondants.
61 AD du Maine-et-Loire, 8D3, p. c., 16. Le texte complet est édité p. 89-91.
62 L’auteur les prend pour plus influents qu’ils ne sont et espère être publié grâce à eux.
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