Introduction. Les savoirs ruraux : pour une histoire sensible des rationalités pratiques
p. 11-40
Texte intégral
1Seurlée, chabroutie, éterpe, taillot, band… Ces mots qui ne signifient rien pour nous aujourd’hui étaient pour les ruraux des siècles passés, le vocabulaire du quotidien. Nommant tantôt les résultats d’un travail spécifique dans les champs : la seurlée était le petit talus de terre formé par la charrue sur la limite d’une pièce, tantôt un lieu : la chabroutie était un pâturage réservé aux chèvres, tantôt un outil : l’éterpe était une sorte de houe et le taillot, un instrument voisin de la serpe, tantôt une pièce précise : le band reliait des deux parties d’un fléau… Ces mots font apparaître un paysage de labeur. Donner un nom au résultat d’un travail, à un outil démontre la capacité à analyser les situations. La connaissance n’est pas absente de cet environnement. Ainsi avoir le « biais » désigne en occitan, l’intelligence du corps qui sait appréhender une situation et apporter le bon geste. La transmission de ces termes d’une génération à l’autre est soulignée par Marcel Lachiver, l’historien chasseur des mots du passé :
« la France est restée, jusqu’à l’immédiat après-guerre, un pays où chaque enfant de paysan tirait son savoir, ses pratiques, de l’observation des anciens. À douze ans, quand il quittait l’école primaire qu’il n’avait pas toujours assidûment fréquentée, il connaissait tous les gestes de la pratique agricole ; il avait appris par “voir faire et entendre dire”, en aidant ses parents1 ».
2Les sensibilités qui caractérisent le savoir du monde rural ont largement été peintes par les romanciers. Dans les années 1980, Ronald Hubscher s’est employé à inventorier les portraits de paysans offerts par la littérature française. Du « roman noir de la paysannerie » à l’origine d’un malaise paysan profond, finalement combattu par la création de héros positifs tout au long des xixe-xxe siècles, se cultivent les mythes2. Ces portraits en disent beaucoup sur la place des paysans dans la société française mais peu sur leurs savoirs. En fait, les historiens semblent s’inscrire dans les pas de Jules Michelet qui décrit en 1846 le paysan par son travail :
« Le paysan en guenilles arrive avec sa pièce d’or, et il acquiert un bout de terre. Mystère étrange ; il faut que cet homme ait un trésor caché… Il en a un, en effet : le travail persistant, la sobriété et le jeûne. Dieu semble avoir donné pour patrimoine à cette indestructible race le don de travailler, de combattre, au besoin sans manger, de vivre d’espérance, de gaîté rigoureuse3. »
3De la sueur, de la persévérance, parfois un peu de joie ; mais de savoir, point. Or, la diversité des cultures et des paysages ruraux indique, au contraire, une adaptation infinie des connaissances. Ainsi, cet ouvrage a l’ambition de dégager le grand continent obscur des savoirs ruraux à la lumière des sciences humaines.
Essai de définition
4Les savoirs que nous voulons caractériser renvoient ici à des modalités d’appréhension du monde se déployant des opérations scientifiques les plus réflexives aux rationalités pratiques les plus ordinaires. La caractérisation de l’environnement rural par les acteurs et actrices, la constitution de typologies des êtres et des choses, l’élaboration de nomenclatures, la circulation d’informations, de matériaux et de données, la maîtrise de certains effets techniques, la capacité à reproduire des gestes, des procédures, des expériences, l’optimisation des conduites dans le sens d’une félicité sociale, ainsi que la description d’un ordre du monde constituent quelques-uns des traits essentiels de ce que nous entendons par savoir. L’important est de considérer toutes les opérations cognitives, pratiques, conceptuelles, ancrées comme relevant d’une même disponibilité rationnelle. Il faut ici en revenir à un socle anthropologique des perceptions, des catégorisations, des distributions des entités considérées4. Les savoirs sont d’abord des modalités d’approche somatique du monde : l’apprentissage, l’expérience, la manipulation (des symboles et des objets) exigent un engagement du corps et une mise à l’épreuve des sens5. Ce sont également les capacités à produire une certaine efficacité (pratique et cognitive) qui permettent de caractériser des savoirs6. Dans ce vaste ensemble, les sciences apparaissent comme un secteur particulier, définissant des règles spécifiques de probation, un corps de contraintes fortes (collégialité, critique, administration de la preuve, normes) et une référence aux principes d’objectivité et de rationalité. Dans le domaine agricole, l’usage du terme « agronomie » n’est pas sans poser problème. Gilles Denis distingue ainsi l’émergence, au xixe siècle des sciences agronomiques systématisées des modalités précédentes de savoirs sans ambition disciplinaire7. Mais un certain nombre d’antiquisants et de médiévistes, comme Jean-Louis Gaudin, assurent qu’il faut considérer l’agronomie comme un corpus de savoirs théoriques et de pratiques empiriques qui ne réduit pas à un processus de disciplinarisation contemporain. Dans l’ouvrage, nous laisserons à la notion d’agronomie sa force épistémique tensive, en considérant pour chaque époque les points d’appui épistémiques qu’elle mobilise8.
5Nous avons fait le choix d’évoquer les savoirs dans leur diversité la plus large, parce qu’ils permettent de comprendre, dans un secteur précis du monde social, celui de la ruralité, la très grande variété des productions, des circulations et des restitutions savantes qui la concernait. L’enjeu est ainsi de considérer les savoirs des forestiers, des paysan·nes, des agronomes, des voyageur·euses, des éleveur·euses, des vétérinaires, des artisans, des expert·es, des producteur·trices de denrées, des arpenteurs, des érudits locaux, des extracteurs de minerais, des herboristes, des économistes. Nous nous situons donc dans la lignée des travaux qui ont mis en évidence les connaissances « ordinaires » : celles des accoucheuses dans les campagnes de Côte d’Or9, des gardes forestiers capables, d’un coup d’œil, d’évaluer les ressources ligneuses dans le Perche du xixe siècle10, du meunier frioulan du xvie siècle discourant sur l’ordre cosmologique du monde11, des paysans cathares de Montaillou, maîtrisant des ressources naturelles rares12.
6Les débats historiographiques, désormais anciens, sur les cultures populaires13, nous permettent de ne pas réifier les approches en termes de savoirs savants et de savoirs populaires. Ce qu’il importe de considérer ce ne sont pas les éventuels écarts entre les efficacités pratiques ou les différences entre les degrés de sophistication des connaissances produites, mais, bien davantage, les modalités de circulation, de diffusion, d’échange et d’articulation. Les savoirs sont d’abord faits d’emprunts, de croisements, de reprises, de reformulations, de cumulations, mais aussi d’oublis et de redécouvertes. Catherine Verna et Pere Benito, précisent très justement, qu’il n’est pas suffisant « d’examiner exclusivement des “savoirs dans les campagnes” mais aussi plus spécifiquement des “savoirs des campagnes”, élaborés et transmis dans un milieu rural, et qui ont parfois atteint l’espace urbain et ont même pu être récupérés, recherchés et adoptés par la ville14 ».
7Dans cet ouvrage, nous proposons d’explorer les évolutions temporelles d’un ensemble de rationalités pratiques, fournissant des appuis pour configurer l’environnement, en extraire des ressources, en décrire les particularités, en transformer les contours. Cette histoire fait la part belle aux sensibilités – elle tend, inexorablement vers cette « anthropologie sensorielle15 » esquissée par Alain Corbin.
8Le terme « rural » renvoie d’abord à un espace distinct des formations urbaines – délimitées un temps par des remparts. Toutefois, à y regarder de près, cette différence tend à s’estomper dans la période contemporaine. La ruralité ne se limite pas aux activités agricoles – bien qu’historiquement celles-ci soient dominantes. Bernard Kayser conçoit l’espace rural en partant d’une approche géographique qui combine une dispersion démographique, des structures économiques fondées sur les ressources agricoles et forestières ainsi que des formes culturelles spécifiques16. L’ancrage spatial se combine avec une étude de l’environnement dans son ensemble. Dans sa magistrale introduction à la tétralogie Histoire de la France rurale dirigée par Georges Duby et Armand Wallon, Georges Bertrand plaidait pour une compréhension fine des articulations entre « évolution socio-économique de la vie rurale » et « dynamique propre de son environnement agro-écologique17 ». Le rapport à l’environnement, « les relations entre la société rurale et son milieu écologique » façonnent des « agrosystèmes18 » dont les configurations évoluent dans le temps. L’analyse peut ainsi se déployer à partir d’une série d’articulations concrètes entre des manifestations climatiques, des manières de concevoir la croissance végétale ou l’organisation du bétail, des façons de structurer un ordre social, des constitutions de répertoires de symboles. Georges Bertrand distingue ainsi de grandes nappes historiques (i. e. le « modèle climacique préagricole », le « temps des clairières » pour la période allant « jusqu’à la fin du haut Moyen Âge », les « fronts pionniers agricoles et la mutation écologique » correspondant aux « défrichements qui se développent du xie au xiiie siècle », l’« espace agricole fini » du xiiie siècle, l’« espace emblavé et borné », marquant l’époque moderne, « les débuts de la croissance agricole au xviiie siècle », et enfin l’« espace agricole régionalisée19 »). Cette schématisation invite à considérer la ruralité comme un ensemble de relations avec ce que les différentes sociétés considèrent comme la « nature ». Il ne s’agit pas de réifier des catégories comme la nature ou la société, labiles selon les époques, mais, bien d’avantage, dans le sillage des propositions de Philippe Descola, de considérer les modalités de désignation, d’indexation des êtres et des choses, comme le produit d’un rapport singulier au monde20. L’anthropologue désigne ainsi le totémisme (associant la continuité des apparences physiques et celle de l’intériorité), l’analogisme (qui articule des physicalités et des intériorités distincts), l’animisme (pour lequel s’organise une différence des aspects physiques et une continuité de l’intériorité) et le naturalisme (accordant la primauté à la commune physicalité des êtres et des choses ainsi qu’à la disparité des intériorités) comme les quatre grandes ontologies, ces différentes façons d’envisager l’environnement des êtres humains. Dans les études rassemblées ici, ce sont principalement les configurations naturaliste et analogique qui dominent. Elles permettent de penser des formations de savoir qui, distribuées dans des espaces sociaux très différents mais prenant les campagnes pour objet ou pour point d’application, sont organisées de façon très proche. Entre l’érudit local, l’accoucheuse, le laboureur, la lavandière et l’agronome, une certaine unité des manières de considérer l’ordre de la nature émerge qui, pour une période donnée, solidarise des modes de connaissances. À l’inverse, lorsque les différences ontologiques sont plus aiguës dans les strates sociales, ce sont les conditions de commensurabilité des discours et des pratiques qui s’évanouissent.
9La ruralité renvoie donc à des arrangements complexes, mouvants entre des sociétés humaines dispersées sur le territoire et une certaine manière d’envisager le monde naturel et les relations aux autres. Dans un article de synthèse publié en 1983 dans les Études rurales, Georges Duby pointait cet élargissement de la notion de ruralité grâce aux avancées d’une ethnologie intéressée par les sociétés agricoles européennes et aux propositions d’une « géographie agraire » intégrant dans l’analyse les paysages, l’économie, « la disposition des pouvoirs dans le corps social, la façon de se représenter le monde, le système de valeur et jusqu’à la morale21 ». Il s’agit donc de redéployer, sur l’espace disséminé des campagnes, les interrogations relatives aux façons de connaître et de comprendre le monde naturel et social, et les relations qui s’y nouent.
10Cette publication limite son objet au cas de la France – dans sa configuration territoriale fluctuante au cours du temps – afin de ne pas étendre, jusqu’à l’orée de l’intelligible, les domaines de comparaison. Un seul article – celui d’Éric Chancellier –, portant sur le xxe siècle, concerne les États-Unis et témoigne d’une globalisation très contemporaine des questions relatives aux savoirs ruraux. Le chronotope retenu commence avec le Moyen Âge, qui correspond à un équilibre identifiable entre un certain type de gouvernement et de savoir impliqués dans la réduction des effets de la famine par la rationalisation des rapports à la nature dans les espaces ruraux22. Il s’étend jusqu’à nos jours, où la notion de risque (souvent cantonnée aux aires industrielles) implique désormais les zones campanaires et exigent la production de connaissances nouvelles23.
11L’ouvrage a donc pour objectif d’explorer, sur une relative longue durée, les manifestations les plus diverses des savoirs produits sur/pour les espaces ruraux. Il s’agit de systématiser l’étude de ces connaissances spécifiques, qui n’apparaissent le plus souvent que de façon fragmentaire dans l’historiographie ; ou bien qui sont détachées de leurs conditions épistémiques et matérielles d’existence. Précisément, il importe de retracer les lignes de force des travaux de références sur la ruralité pour saisir les différentes façons dont les savoirs ont été envisagés. L’enjeu est à la fois de récapituler les connaissances disponibles, mais également de pointer les limites d’approches qui ne systématisent pas nécessairement la notion de savoirs ruraux.
Le progrès, l’innovation et la révolution : des mots qui excluent
12Longtemps l’historiographie de la ruralité s’est concentrée sur la notion de progrès. Les nombreuses études montrant un monde rural dominé par la faim, la malnutrition, la difficulté à obtenir des récoltes sinon abondantes, du moins régulières, expliquent, au moins en partie, pourquoi le progrès a été constitué en allant de soi par les études sur les campagnes. Emmanuel Le Roy Ladurie considérait ainsi, dans les années 1970, l’histoire de la « civilisation rurale » comme essentiellement « stratigraphique : l’apport spécifique qu’elle reçoit de chaque siècle ou groupe de siècles, et de chaque millénaire, n’est pas annulé, mais il est simplement recouvert, ou tout au plus érodé, et maintenant, par l’apport des périodes ultérieures24 ». Le même insistait dans sa thèse analysant les pratiques des paysans du Languedoc, sur l’introduction limitée d’instruments capables d’améliorer les récoltes : « malgré ces menus progrès, pas question, dans ce Languedoc des faucilles, d’adopter la faux pour les blés, même au xviiie siècle25. » Le progrès constitue alors une catégorie peu interrogée, une sorte d’évidence pour comprendre les logiques d’évolution des mondes ruraux. Dans cette perspective, les savoirs sont considérés comme des instruments d’une dynamique qui les dépassent et dans laquelle ils jouent un rôle déterminé par l’optimisation des ressources. Peu à peu cependant, les historien·ne·s désassemblent les perceptions anciennes du progrès et le récit que l’on peut produire des processus à l’œuvre. C’est ainsi que Jacques Mulluez dans ses « réflexions sur les progrès de l’agriculture de 1750 à 1850 » revisitait notamment le deuxième volume de la classique Histoire de la France rurale dans lequel il apparaît « très clairement que le progrès agricole, pour les historiens de maintenant comme pour les agronomes d’hier, est synonyme de recul et corrélativement de progrès de l’élevage […]26 ». Or, sur cette période bien précise, Mulliez constate que
« prisonniers de nos sources – la quasi-totalité des renseignements concernant les techniques agricoles proviennent précisément, d’une manière ou d’une autre des tenants de l’agriculture nouvelle – nous avons tendance à suivre sur leur terrain les agronomes et les administrateurs dans leur condamnation de l’agriculture ancienne sans nous rendre compte que leur manière de voir procède de leur formation, que la façon dont ils appréhendent la réalité, la manière dont ils veulent l’infléchir, tiennent le plus souvent à une vision abstraite, quasi idéologique des choses, sans nous rendre compte enfin que cette vision, cautionnée, imposée par la jeune science agronomique, se plaque plus ou moins bien sur une réalité infiniment plus complexe que la chaîne logique dans laquelle se renferme le programme de l’agriculture nouvelle27 ».
13À suivre trop servilement les discours savants, les historien·ne·s courent le risque non seulement de ratifier une certaine vision des transformations agricoles, mais encore de négliger des connaissances qui n’appartiennent pas au monde de l’agronomie. Les spécialistes de l’histoire moderne, particulièrement confronté·es à cette difficulté, ont produit de nouvelles enquêtes, intégrant une définition plus large des savoirs et considérant désormais le progrès comme une notion problématique en elle-même. C’est le cas notamment de Jean-Marc Moriceau qui, sans renoncer à comprendre les logiques d’évolution de l’agriculture, examine à nouveaux frais la seconde moitié du xviiie siècle et la question des jachères, véritable laboratoire de la problématique du progrès – et des savoirs qui lui sont associés. Il pointe des « transformations décisives » qui « ne furent pas remises en cause ultérieurement », marquant le « démarrage d’un processus de changement cumulatif, très sensible dans la seconde moitié du xviiie siècle, même si tous les effets ne s’en feraient sentir qu’entre 1830 et 187028 ». Toutefois, dans ce grand mouvement, les savoirs agronomiques ne sont plus qu’un élément parmi bien d’autres (comme la nécessaire « spécialisation29 », ou « la convergence des facteurs d’innovation30 »). La notion de progrès est réarticulée à des catégories pratiques plus nombreuses, et donc, potentiellement à d’autres formes de savoirs que les seuls traités d’agronomie. Cette ouverture s’est, par la suite, confirmée dans d’autres études. Ainsi, François Vuilliod s’est-il intéressé à la notion de « progrès agricole par l’exemple » en détaillant la façon dont de grands propriétaires de la Manche tentent, au début du xixe siècle, d’impulser des transformations dans les pratiques. L’historien montre en particulier que c’est moins « l’esprit de routine des agriculteurs » qui aurait bloqué un éventuel progrès, qu’une « faiblesse générale de leurs moyens financiers, due à la très petite taille moyenne des exploitations […]31 ». C’est donc le processus de « diffusion » des connaissances nouvelles via des « expositions et des concours locaux32 » que s’enracine ici le désir de progrès. Toutefois, dans un premier temps, c’est l’« élite économique et sociale33 » des campagnes qui est visée. Il faut imaginer « une lente densification de l’effort pédagogique, de la part des associations professionnelles, de l’instruction publique ou du Conseil général34 » pour que se diffuse plus largement un idéal de progrès. L’articulation entre les notions de savoir et de progrès dans les espaces ruraux a permis aux historien·nes de réexaminer (et souvent de relativiser) les mécanismes de circulation des connaissances. Philippe Grandcoing a ainsi étudié les fermes modèles du Limousin au xixe siècle en constatant les faibles effets de ces témoins architecturaux d’un futur désirable pour les paysans35. Par ailleurs, le regard longtemps concentré sur les institutions publiques a laissé de côté d’autres acteurs à l’initiative de transformations profondes et de circulation des savoirs. Ainsi, les industries alimentaires qui transforment un produit agricole en produit consommable ont une importance capitale dans la circulation des savoirs ruraux en privilégiant par exemple, la qualité d’un produit au détriment d’un autre36.
14La notion de progrès est parfois même un obstacle à la compréhension historienne des manières de connaître dans les espaces ruraux. Fixe dans son déploiement temporel, orienté dans les objets qu’il offre à l’analyse, construit par les représentants des catégories sociales les plus élevées, le progrès nie parfois les spécificités des situations particulières ainsi que les assemblages plus complexes entre formes de savoirs traditionnels et matrices élitaires des connaissances37. Brigitte Maillard a ainsi mis en exergue, dans son étude des structures agraires de Touraine au xviiie siècle, la prédominance d’une certaine solidarité entre les différentes classes sociales quant à la perpétuation « des équilibres traditionnels […] ; en ce domaine on ne peut opposer seigneurs et grands propriétaires favorables au “progrès” et paysans accrochés à leur routine38 ».
15La « révolution agricole » est un autre syntagme longtemps considéré comme une évidence historienne, mais qui fait désormais l’objet de réévaluations critiques. Il s’agit de caractériser une transformation importante dans les pratiques, les rendements, les productions, mais également les savoirs (lato sensu) mobilisés. Une nouvelle fois, la période moderne a été la plus propice aux débats. Marc Bloch dans son ouvrage sur les Caractères originaux de l’histoire rurale française, publié en 1931, évoquait une « révolution technique39 », la fin de la jachère, qui était également une « révolution agricole40 ». Dans cette « histoire des techniques » que retrace le cofondateur des Annales, la révolution en question s’enracine dans une série de lieux très variés : « bureaux ministériels », « bureaux d’intendance », « sociétés d’agriculture », ou encore « propriété intelligemment exploitée41 ». La révolution agricole moderne que décrit Marc Bloch est d’abord une transformation élitaire et ne progresse que par imprégnation lente42. Sorte d’évidence d’une mutation globale, quoiqu’échelonnée, la révolution agricole constitue ici une dynamique historique dans laquelle les savoirs sont principalement le produit d’une élite convaincue. Toutefois cette perspective quasi-mécanique des transformations agricoles à l’époque moderne a, elle aussi, été profondément remise en cause.
16D’abord, le type de savoirs mobilisés pour caractériser l’amélioration des rendements au xviiie siècle et la relative maîtrise des conditions de productions ont été réévalués par François Sigaut dans une perspective d’histoire des techniques. Il réfute ainsi l’idée que la jachère ait été déterminante dans ce qu’on a appelé une révolution agricole à la fin de l’époque moderne. C’est davantage le recours aux machines (l’historien étudie le cas du tarare qui sert à séparer les grains) qui permet d’expliquer les transformations à l’œuvre. Sigaut conclut même qu’« [i]l est abusif de parler de “révolution agricole” avant 1830 ou 1840, même en Angleterre. Et s’il y a eu des changements importants auparavant, ces changements commencent dès le xvie siècle, peut-être dès le xve, et ils intéressent, sous des formes et avec des chronologies diverses, la plupart des régions d’Europe43 ». Ce sont donc les savoirs liés aux machines – et notamment des « inventions […] obscures », car « sans prestige » et « mal connues44 » – qui auraient été déterminants dans l’évolution historique constatée.
17Ce n’est pas seulement les soubassements techniques de la notion de révolution agricole que Marie-Jeanne Tits-Dieuaide remet en cause, mais l’idée même qu’une révolution puisse avoir lieu dans ce domaine. S’intéressant à la Flandre et au Brabant entre le xive et le xvie siècle, l’historienne montre que les « [r]endements élevés », la « diversité des cultures » ainsi que la « disparition ou presque, en bien des lieux de la jachère » constituaient « les caractéristiques frappantes de l’agriculture flamande à une époque où les campagnes d’Europe, sauf sans doute celles de Lombardie, connaissaient des moissons maigres et composées surtout de céréales, tandis que la jachère y était obligatoire une année sur deux, ou, au mieux sur trois45 ». L’enjeu est de comprendre comment émergent de nouveaux savoirs qui permettent des améliorations sensibles dans la production agricole. Les éventuelles connaissances instrumentales nous sont inconnues ; en revanche, il est possible de mieux saisir les « méthodes utilisées non seulement pour régénérer le sol mais aussi pour en accroître la fertilité initiale46 ». Les savoirs rassemblés ne consistaient pas en une rupture majeure, mais au contraire dans un lent travail d’appropriation de connaissances et « de leur application, au fil des ans, par des générations successives de paysans laborieux47 ». C’est donc l’« obstination à recueillir et à utiliser toutes les sources possibles d’engrais » qui caractérisent les « paysans de Flandre et de Brabant48 ». De plus, ce n’est pas la mobilisation d’un seul type de savoir qui importe, mais l’articulation d’une gamme variée de connaissances. Ainsi, la production d’engrais passe par la fabrication de fumier, et nécessite « une transformation des méthodes d’élevage49 » mais aussi un renouveau de la « production fourragère50 ». De cet assemblage de savoirs hétérogènes et modestes, il ne peut être déduit une transformation radicale des modes de production :
« [u]ne agriculture sans engrais chimiques et sans tracteurs n’est pas condamnée par essence à l’immobilisme et à la médiocrité mais, limitée aux moyens qui sont les siens, elle ne peut pas connaître de révolution au sens strict, c’est-à-dire de transformation assez soudaine qui engendre des progrès rapides, spectaculaires et durables : tel paraît être le double enseignement transmis par l’histoire de l’agriculture flamande51 ».
18Dans la réévaluation de la notion de « révolution agricole », les caractéristiques des savoirs ruraux sont essentielles. Leur émergence (qui n’est pas nécessairement liée à une évolution rapide ou à un effet technique), la conjonction environnementale, démographique et sociale du moment, ainsi que la modestie des résultats obtenus constituent les traits saillants de mutations qui tiennent moins à des avancées agronomiques diffusées par les élites qu’à des remaniements lents de pratiques ordinaires.
19L’innovation est une catégorie problématique en ce qui concerne les savoirs ruraux, précisément parce qu’elle implique l’idée d’une rupture, de l’introduction nécessaire de savoirs originaux – ce qui peut réduire le champ d’analyse aux manifestations de connaissances les plus visibles ou les plus disponibles dans les archives. Elle n’en demeure pas moins une notion intéressante pour penser les modalités d’évolution des pratiques, appuyées sur des connaissances précises. Centrée sur les techniques, l’étude de Jean-Marie Pesez détaille les effets des transformations matérielles de l’outillage. Ainsi, « [l’]évolution morphologique » de la faucille « accompagne […] un progrès technologique, d’une part, dans un meilleur aciérage du tranchant, et d’autre part dans la recherche d’un outil bien balancé qu’on puisse tenir bien en main : au bout de l’évolution, on trouve le volant des grands terroirs céréales, tandis qu’apparaît un outil qui a, lui, toutes chances d’être nouveau quand on le repère en Flandre à la fin du Moyen Âge : la serpe (ou le piquet) […]52 ». Cependant, trop focalisée sur les aspects techniques, cette histoire des innovations agraires délaisse les conditions sociales, culturelles, économiques et politiques dans lesquelles ces objets prennent place.
20Ce sont donc les modes d’innovation qui ont intéressé les historien·ne·s de la ruralité. Ainsi, Martine Cocaud, examinant les « cadres de la rénovation agricole en Ille-et-Vilaine dans la première du xixe siècle », restitue le feuilleté social des campagnes bretonnes. L’historienne montre que « les bases de l’innovation agricole viennent d’une part de quelques rares agronomes locaux nobles ou bourgeois qui, outre leur savoir, animent les associations souhaitées par l’administration et jouent pleinement le rôle de courroies de transmission53 ». Les « grands propriétaires non exploitants » sont peu impliqués. Au milieu du xixe siècle, les « propriétaires exploitants et les fermiers » suppléent le premier « élan agronomique », « prennent leur sort en mains et utilisent les facilités qui leur sont offertes par l’administration, ils participent aux concours, ils achètent du matériel et sont souvent primés54 ». Ce sont les « écarts sociaux » et « le niveau culturel55 » (notamment la capacité à lire) qui déterminent l’appropriation et l’exploitation des nouveautés. Si bien que la notion d’innovation ne peut être détachée des strates sociales de la société ; elle permet de repérer la formation d’une « élite agricole56 ».
21Les novations techniques peuvent également être prises dans des mutations plus globales encore, lorsqu’elles intègrent de véritables politiques à valence nationale. Fabien Knittel explique, à propos des travaux techniques de Mathieu Dombasle, que les conditions spécifiques de la Révolution et de l’Empire (tout particulièrement le Blocus et les transformations du « commerce du sucre de betteraves ») ont pesé dans la réception des innovations et dans leur démonétisation57.
22On mesure donc combien les catégories de progrès, de révolution agricole et d’innovation sont problématiques pour constituer une histoire des savoirs ruraux58. D’abord, elles ne sont centrées que le secteur strictement agricole de la ruralité – ce qui constitue une limite importante des champs de connaissance existants dans les campagnes. Ensuite, ces différentes notions mobilisent souvent des analyses réductrices du point de vue des rapports sociaux, des conditions économiques, des pratiques matérielles ou des cadres politiques. Enfin, elles renvoient à une forme scientiste de chronologie, qui voit dans l’avènement de connaissances élitaires le déroulement attendu du processus savant. Toutefois, les mises à l’épreuve plus récentes de ces catégories permettent de leur conserver une certaine opérationnalité historienne : il reste intéressant de saisir les tensions qui peuvent surgir dans l’émergence de processus qualifiés par les acteurs·trices d’innovants, ou de révolutionnaires.
De la « routine » à la légitimation : une hiérarchie
23La « routine » est le qualificatif le mieux partagé par les contemporains pour décrire le travail dans les campagnes. Dérivé de route, le mot a subi des évolutions de sens radicales. D’abord évoqué au xvie siècle comme « un savoir-faire acquis par une pratique prolongée », il a pris au début du xviiie siècle, un sens péjoratif pour évoquer une action « accomplie par habitude, machinalement », pour désigner à la fin du xviiie siècle « un conservatisme borné, ensemble des tendances s’opposant à l’innovation59 ». Les quelques définitions du Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey en disent long sur l’exclusion progressive du savoir acquis par la répétition. La routine est donc depuis le xviiie siècle, l’envers de l’innovation et à la lumière de ces définitions, les savoirs ruraux nourris de gestes quotidiens répétés sont, de fait, marginalisés. Or, leur foisonnement – qu’il s’agisse de savoirs produits dans les campagnes ou bien les prenant pour objet – implique des relations hiérarchisées selon les lieux d’énonciation. Les conditions socio-épistémiques d’affirmation de connaissances centrées sur les espaces ruraux déterminent des processus de légitimation.
24Les arènes de production et de réception des savoirs délimitent aussi bien des polarités étendues que des espaces plus socialement plus ouverts dans l’appréhension des connaissances. Ici, les archives disponibles jouent un rôle considérable dans la visibilisation des corpus de savoirs, puisque les compétences scripturaires ainsi que la maîtrise des circuits éditoriaux ont donné aux productions éditoriales élitaires une surface d’expression très vaste. À l’inverse, les savoirs oraux, échangés sans être inscrits sur des supports stables, n’ont donné lieu qu’à des saisies archivistiques très partielles ou très indirectes. Ursula Schlude a mis en évidence la construction d’un « savoir agricole » à la cour d’Anna de Saxe au xvie siècle. La princesse initie un mouvement d’amélioration des connaissances agraires (prenant place dans une plus vaste culture scientifique de cour), en même temps qu’elle délimite une économie genrée de la maîtrise économique des domaines60.
25Les déterminants sociaux, sexués, politiques et économiques se croisent, s’articulent ou s’affrontent dans la caractérisation des savoirs ruraux. Ce sont les jugements sur l’efficacité de leurs effets, ainsi que les modalités de leur mise en œuvre qui différent d’un champ social à l’autre. Ainsi, comparés aux connaissances produites au sein de l’espace réglé de la cour de Saxe, les savoirs du laboureur Pierre Bordier, au xviiie siècle, dont Jean Vassort a examiné les traces, ressortissent de logiques plus diffuses. C’est d’abord la « véritable imprégnation, réalisée dès l’enfance semble-t-il, et constamment réactivée par la suite61 » qui constitue le fond d’une connaissance commune. Bordier « entretient avec [la nature] une relation très forte, fondée à la fois sur une longue fréquentation […] et sur une observation jamais relâchée, en raison de la place considérable, et souvent vitale, qu’elle tient dans son travail et dans son existence62 ». Le laboureur est également inscrit dans un « univers religieux », sous-tendu par l’« accomplissement de gestes rituels63 ». D’autres éléments de connaissance « font irruption » et se distinguent des nappes profondes de savoirs ancrées depuis longtemps dans les habitudes du paysan ; « ce sont des “nouvelles”, au sens premier du terme64 ». La compétence scripturaire – qui permet au laboureur de tenir un journal – constitue un ultime domaine de savoirs acquis65. Bien sûr, c’est l’environnement immédiat de Bordier qui organise le plus directement la somme de connaissances nécessaire à sa vie quotidienne. Ainsi « la nature ne cesse de retenir [son] attention », notamment parce que « c’est avec cette nature – ce qui souvent veut d’une certaine manière dire aussi contre elle – qu’il faut vivre et travailler. De ce fait, le ciel et la terre, le végétal et l’animal sont des éléments majeurs de son univers quotidien66 ». C’est ainsi que les « éléments […] qui concernent la météorologie67 » mobilisent l’attention de Pierre Bordier.
26L’environnement détermine, bien sûr, en grande partie, les socles complexes de savoirs ruraux. Les villageois cathares de Montaillou à la fin du xiiie siècle et au début du xive siècle, étudiés par Emmanuel Le Roy Ladurie, vivent dans un « animisme quasi-naturaliste68 ». Leurs connaissances du végétal et du règne animal organisent un ensemble de relations anthropologiques entre les espaces (sauvages, domestiqués, sociaux…). Les savoirs sont ici à la fois des appuis pour survivre sur un territoire montagneux difficile, mais également des ressources pour penser le cosmos et les récits mythiques69. La vaste enquête sur La mémoire des croquants de Jean-Marc Moriceau, confirme, pour l’époque moderne, cette domination des savoirs sur la nature dans la constitution du référentiel rural : « la gestion des risques naturels et anthropiques ; la domestication du sauvage et l’emprise croissante sur les espaces “naturels” […] ; la gestion de l’environnement et la construction des paysages […] ; l’exploitation des ressources naturelles […]70 ». De cette somme de savoirs sur la nature, les sources sont parfois avares. Ils constituent certes l’essentiel des repères du monde des campagnes jusqu’au xxe siècle, mais restent peu discernables dans des arènes académiques qui produisent leurs propres connaissances sur/dans la ruralité, et tendent à délégitimer les cultures pratiques quotidiennes le plus souvent orales.
27L’historiographie est riche d’enquêtes sur ces concurrences de savoirs ruraux71. Le cas des vétérinaires au xixe siècle est révélateur de ces distinctions progressives des savoirs des hiérarchies professionnelles qui en découlent. Ronald Hubscher avait ainsi examiné le « travail de légitimation » des vétérinaires, en montrant comment « [l]a création de la médecine animale » constituait « un parfait exemple de ce processus de construction déterminé par la transformation d’un art commun empirique en une pratique scientifique72 ». La validation « le diplôme vétérinaire73 » cristallisait non seulement la prévalence d’une profession, mais également la domination d’un type de savoir (académique) sur tous les autres (pratiques, empiriques, locaux, paysans…). Delphine Berdah a prolongé cette étude en s’intéressant plus spécifiquement au « contenu des savoirs vétérinaires », ainsi qu’à « leurs frontières poreuses et protéiformes […]74 ». C’est notamment « la création d’un enseignement formel vétérinaire » qui « a supposé la formulation pédagogique de savoirs sur l’anatomie et les pathologies de l’animal75 ». L’un des enjeux, dans l’affirmation de corpus de connaissances académiques, est de pouvoir « se positionner de manière parfois assez radicale, vis-à-vis des savoirs et savoir-faire des autres métiers et corporations […]76 ». S’appuyant sur la sociologie d’Andrew Abbott, Delphine Berdah montre que cette formation d’un savoir autonome et distinct des connaissances traditionnelles sur les animaux est au principe même d’une « double démarcation à la fois institutionnelle (par la création d’un enseignement formel sanctionné par l’octroi d’un diplôme), mais aussi cognitive, en théorisant les savoirs sur l’animal ainsi qu’en élaborant un vocabulaire propre77 ». Se distinguer des autres professions intervenant dans la médecine animale (notamment les « maréchaux-ferrants et autres praticiens empiriques)78 » suppose notamment la promotion d’« enseignements théoriques et scientifiques au détriment des savoir-faire plus « manuels » partagés initialement avec d’autres corporations79 ». À « la fin du xixe siècle, les savoirs vétérinaires continuèrent leur processus de spécialisation en se rapprochant des savoirs académiques dispensés par les facultés de médecine80 ». Marquée par des antagonismes et des tensions, la singularisation des savoirs de la médecine animale est marquée par une disqualification parallèle des autres corps de connaissances, non formalisés.
28Cet affrontement des régimes épistémiques constitue une relative constante de l’histoire des savoirs ruraux, notamment à partir de l’époque moderne, lorsque les institutions scientifiques durcissent les conditions d’accès au champ. Même dans les domaines les plus empiriques, les savoirs savants tendent à s’imposer au détriment des connaissances moins codifiées. Nathalie Jas a ainsi montré comment les « sciences agronomiques » du xixe siècle ont construit leur hégémonie « [e]n déqualifiant le paysan » et en organisant des « systèmes d’encadrement de l’agriculture, au cœur desquels se trouve non seulement l’agronome et son savoir, mais aussi ses besoins et ses intérêts et ses logiques81 ». L’implantation des stations agronomiques, « la supériorité donnée au laboratoire », la valorisation, auprès des agriculteurs, d’une perspective capitaliste et la transformation de l’appareil de production ont conduit à la dépréciation à peu près complète des savoirs ruraux82. Symétriquement les pouvoirs publics déprécient le rôle du « paysan […], présenté comme incapable par nature » et devant « se soumettre aux choix et aux pratiques déterminés par l’agronome et sa science83 ».
29La production de connaissances ressort donc de processus socio-épistémiques qui créent des distinctions, des écarts, des légitimités et des hiérarchies. Ce sont des formations complexes qui mobilisent des mécanismes de domination dans des domaines très divers. Les savoirs typiquement agricoles ne sont pas les seuls à subir ce travail de normalisation et de gradation. François Ploux montre, à propos des « historiens de village » entre 1830 et 1930 que les nombreux instituteurs fournissant des monographies locales ont suscité l’inquiétude de la bourgeoisie, qui se défiait « des prétentions intellectuelles des “petits maîtres”, fils de paysans frottés de grande culture. De là, la volonté que n’exprimaient pas seulement les plus conservateurs de cantonner ces intermédiaires culturels dans un juste milieu intellectuel84 ». La distinction sociale recouvre également le type de travail monographique en jeu :
« Au xixe siècle, la pratique de l’histoire locale était fondée sur ce même principe d’un partage du labeur, d’une complémentarité entre ceux à qui il était demandé d’enregistrer des faits bruts (les auteurs de monographies de village) et ceux qui se réservaient le travail de synthèse, dans le cadre d’une monographie départementale ou provinciale. Et, de ce point de vue, instituteurs et curés de campagne étaient logés à la même enseigne : leur participation était admise, souhaitée même, mais à condition qu’ils acceptent de s’en tenir au rôle modeste – bien que jugé fort utile – de collecteurs de données locales85. »
30La ruralité engramme des stratifications sociales qui recomposent des légitimités épistémiques distinctes. L’affirmation, à partir de l’époque moderne, d’un champ scientifique peu à peu normé multiplie les zones de friction. Dans le même temps, la captation élitaire des savoirs joue comme un puissant moyen de disqualification de savoirs produits dans des espaces de probation empirique ou hors du domaine académique. Cependant, il arrive que les savoirs venant de différents horizons socio-épistémiques ne soient pas directement dans des formes d’affrontement – ce qui ne signifie pas, pour autant, des modalités apaisées d’articulation. Gilles Denis rapporte ainsi la façon dont s’est organisé « le rapport entre pratiques paysannes et construction théorique savante dans le cadre des discussions sur la transmission des maladies qui rendent noirs les grains de blé sur pied […] entre les années 1730 et les années 176086 ». Il existe un mouvement de cristallisation de pratiques agronomiques qui puise dans les « pratiques et [les] savoirs paysans » refusant le recours aux « explications savantes issues de l’Antiquité87 ». D’abord, domine – jusqu’en 1720 – trois types de connaissances sur les maladies des grains de blé : des « explications savantes peu nombreuses » surtout centrées sur les auteurs anciens, « des descriptions de l’ustilago ou « brûlure » des Histoire des plantes » ainsi qu’un ensemble de « pratiques paysannes qui semblent insinuer très généralement pour un symptôme, celui des grains noircis, une explication spécifique qui diffère des théories savantes issues de l’Antiquité et qui fait référence à une particularité liée à la semence88 ». Puis, peu à peu, des « lettrés ruraux89 » s’intéressent à la question de ces maladies dans la perspective d’amélioration des « pratiques agricoles90 ». Dans les périodiques qui leur servent de surface d’expression, les solutions qu’explorent ces érudits « s’inspirent […] des pratiques et savoirs paysans », bien qu’« ils ne leur reconnaissent pas ou peu de base théorique légitime91 ». Ces connaissances pratiques « changent de statut » au « milieu du xviiie siècle », puisqu’elles « se trouvent repris[es] par des auteurs savants dont plusieurs sont ou deviendront membres d’académies scientifiques92 ».
31Si les savoirs savants n’affrontent pas les savoirs pratiques des paysans, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une forme de captation, par les instances académiques, de connaissances qui circulent hors des cénacles scientifiques. D’une certaine façon, cette absorption des savoirs ruraux paysans participe du même régime de domination épistémique par les sciences académiques.
32De ce point de vue, la place réservée à l’histoire de l’agronomie dans l’historiographie confirme un biais élitaire dans l’approche des connaissances rurales. La thèse d’André J. Bourde en 1967 avait inauguré cette attention centrée sur les traités et les écrits à valence scientifiques93. François Sigaut a montré que la formalisation d’un savoir agronomique, comme « science appliquée » s’est appuyée sur « la négation des savoirs a-scientifiques94 ». L’historien des techniques plaidait pour une « rencontre » entre les connaissances agronomiques et les « savoirs traditionnels95 ».
33L’expertise constitue une façon récente d’envisager les savoirs ruraux. Catégorie particulièrement travaillée par la sociologie96 et les Science and Technology Studies (STS)97, l’expertise permet de penser la production de savoir sous l’empire des relations de pouvoir. Les connaissances rurales sont également prises dans des logiques d’expertise. Patrick Fournier a mis en évidence une campagne quadrillée par les experts à l’époque moderne. Il s’agit notamment des « estimateurs98 » capables de caractériser juridiquement l’espace. Avec les « arbitres », ils « appartiennent [dans le Midi de la France], au monde de la sanior pars locale et font souvent appel à des personnes ayant des compétences juridiques (notaire, officier), si ce n’est pas leur cas99. L’estimation des valeurs ou des surfaces définit une expertise locale qui vise à « respecter des règles rendant possible la nouvelle culture100 ». L’emboîtement des échelles d’intervention produit un tissage serré de pratiques expertales. C’est ainsi que le « creusement de canaux », le « drainage des zones humides de part et d’autre du delta du Rhône » de même que la « réalisation du système languedocien […]101 » mobilisent des réseaux de pouvoir d’échelle plus large. Patrick Fournier soutient donc, à bon droit, qu’il n’est « pas possible d’opposer une expertise d’État à la micro-expertise des élites locales et des spécialistes de l’espace rural102 ». Ce sont les « différentes échelles de l’expertise » qui sont en jeu et interdisent de « dégager une évolution simple et linéaire103 » des corps de savoirs.
34Il nous semble important – comme plusieurs chapitres de cet ouvrage le montrent – de considérer la diversité des modes de production de savoirs ruraux, ainsi que les formes de cohabitation possibles (affrontement, délégitimation, absorption, ignorance réciproque, articulation) comme des problématiques susceptibles de faire surgir des configurations socio-épistémiques originales. D’autant que la gamme des connaissances produites dans le monde rural où s’appliquant à ses manifestations les plus diverses, est particulièrement étendue, même si les débats autour des techniques ont parfois eu tendance à recouvrir les corpus de savoirs mis en jeu.
Techniques, machines et industries dans les campagnes
35L’approche par les techniques renvoie à une histoire singulière de la ruralité, celle des outils, des méthodes de culture et des choix d’assolement. Il s’agit là de rationalités équipées, médiés par des artefacts. Or, bien souvent, le recours historien à la technique fixe l’attention sur ces logiques instrumentales en délaissant notamment « les intermédiaires et les communautés d’accueil [qui] ne sont pas neutres ou passifs104 », ainsi que les processus de longue haleine qui mènent à la constitution d’un savoir sur/de l’outil.
36L’une des caractéristiques de l’historiographie centrée sur la pure raison instrumentale a été de se déployer en soutien à la vision agrarienne des développements du monde rural. Pierre Cornu et Jean-Luc Mayaud, à la suite de Pierre Barral, ont bien montré comment l’agrarisme constituait, tant du point de vue politique que du point de vue scientifique, la définition de celles et ceux qui ont réussi à imposer l’idée d’une ruralité inscrite dans un « processus de “modernisation” inéluctable105 ». Dans cette perspective, les techniques sont des points névralgiques d’une augmentation des rendements et d’une industrialisation des méthodes de culture et d’élevage. Outre le fait que cette perspective correspond à une ligne de fuite téléologique – rejoignant le récitatif du progrès que nous avons précédemment identifié –, il convient de rappeler que la technique ne joue pas un rôle de simple cumulation des avantages instrumentaux, mais qu’elle correspond à des déploiements de savoirs très divers. Nous retiendrons pour le présent ouvrage une définition large des techniques qui renvoie aux multiples formes de médiations équipées (i. e. soutenues par des outils matériels et cognitifs) de l’espace, des êtres et des choses dans les campagnes. Cette façon de considérer les rapports instrumentaux aux territoires ruraux permet de concevoir à la fois les complexes socio-techniques inscrits dans le paysage, les développements proto-industriels, les opérations de cadastrage, la place de la mécanique, les mises en forme scripturaire des données agricoles…
37C’est bien sûr le rapport aux machines qui a longtemps cristallisé l’attention des historien·ne·s. Dès 1935, Marc Bloch affirme à propos du moulin à eau : « [d]ans l’ordre social, le premier et le plus apparent effet de ce progrès technique fut une nouvelle étape dans la spécialisation artisane. L’outil créa le métier106 ». La machine est incluse dans un ensemble de relations (politiques, sociales, économiques, pratiques…) qui favorisent la production de certains savoirs sur sa construction et orientent ses usages. Antoine Casanova a poussé dans la direction marxiste cette façon de concevoir la machine dans le cadre des structures qu’elle instancie et dont elle est aussi le produit. Antoine Casanova, montre ainsi que les moulins en Corse au xviiie siècle correspondent à de véritables « machines rurales » :
« [d]ans l’ensemble l’île voit prédominer un type d’équipement où ce sont les formes inférieures des machines industrielles qui l’emportent. Foulage et torsion tiennent au moins autant de l’outil que de la machine proprement dite. Le travailleur ne fournit pas seulement ici son énergie ; le processus de transformation de la matière résulte d’opérations où les membres humains interviennent de façon essentielle107 ».
38C’est par les corps, leur énergie et leur implication dans les processus mécaniques que la machine devient opérationnelle ; le savoir dont elle suppose la mise en œuvre est autant somatique que cognitif108.
39L’intrication des facteurs explicatifs dans l’émergence des techniques rurales est au cœur de la démarche du médiéviste Georges Duby109. Inspirées de Marx, tout en conservant une certaine distance, les analyses de l’auteur du Dimanche de Bouvines articulent des éléments hétérogènes (la nature, les méthodes de culture, les instruments, les forces disponibles) pour considérer un schéma global des techniques110. Chez Duby, les mutations techniques – et les savoirs afférents – sont toujours la marque d’adaptations à d’autres secteurs de la vie sociale. C’est ainsi que le développement d’une métallurgie des instruments de labour est associé aux nouvelles demandes de l’élite nobiliaire :
« Après l’an mille les progrès de la métallurgie sont incontestables dans toute l’Europe, et ce fut d’abord le désir de l’aristocratie d’améliorer son équipement de combat qui les stimula. Mais depuis les demeures des chevaliers, l’usage du métal se diffusa dans la paysannerie. Tout comme l’usage du cheval : le progrès des techniques rurales procède – et c’est un autre aspect du passage d’une économie de la guerre à une économie fondée sur l’agriculture – de l’application, retardée, au travail des champs des outils de l’agression militaire. Ce phénomène se produisit pendant le xiie siècle111. »
40C’est bien par la question des savoirs pratiques i. e. cet ensemble de connaissances constituées pour des usages pratiques, que Georges Duby affronte l’émergence des techniques de métallurgie dans les campagnes.
41Le recours aux instruments mécaniques met en exergue des formes plurielles de savoirs et de connaissances. Il est également l’occasion de disqualifier la fausse opposition entre ruralité et industrie. Les savoirs industriels ou proto-industriels s’enracinent, très tôt, dans des secteurs isolés. Catherine Verna, dans son étude des formes d’industrialisation « au village » à Arles-sur-Tech à la fin du Moyen Âge, montre par exemple comment « [l]a mine d’argent des Comelles permet d’aborder la question des savoirs, de leur circulation, de leur adaptation et de leur métissage112 ». Les techniques ne sont pas purement rurales ; elles se construisent dans les relations qui s’organisent entre espaces urbains et campagne. La fusina, cette « unité de production composée de plusieurs fours, dont un permet de monter en température : le four de réduction113 » met en tension les rapports entre villes et territoire ruraux dans l’économie de la métallurgie. Certains acteurs « sollicitent du roi le droit d’extrait et de traiter les minerais polymétalliques », comme « Arnaud Teuleur […] médecin à Ripoll114 ». Ici, les techniques s’agrègent et se combinent. Le feuilleté des savoirs mobilisés devient plus dense puisqu’il est possible de distinguer les « savoirs tacites » des savoirs plus codifiés. Les premiers
« se transmettent par la parole mais surtout par le geste, par la personne physique, en quelque sorte, dans laquelle ils sont incorporés. Ces savoirs sont d’autant plus fragiles que leur mémorisation passe par le renouvellement, de génération en génération des personnes qui les détiennent. Leur place est fondamentale dans le domaine du savoir médiéval115 ».
42Les savoirs déjà normés, quant à eux, proviennent des « traités techniques consacrés à la métallurgie et ils sont rares avant le xvie siècle116 ».
43Les techniques du travail des métaux émergent donc de la combinaison de connaissances qui, pour une part s’inscrivent dans le domaine rural, et pour une autre, circulent depuis les centres savants.
44De façon générale, les techniques associées à la proto-industrie ou à l’industrie ressortent de savoirs à la fois diffus (i. e. les adaptations locales sont nombreuses) et de processus lents d’acculturation (i. e. il convient de privilégier la notion de transition sur celle de rupture pour bien rendre compte des transformations à l’œuvre). C’est dans cette perspective que se situent les travaux de Serge Benoît sur les forges et l’énergie hydraulique117. De même, l’articulation entre les besoins des forges en matériel ligneux pour leur consommation énergétique a fait l’objet d’une saisie complexe des rapports entre capacité de production et connaissances de l’environnement118.
45L’appréhension de l’espace constitue l’un des domaines les plus investis des techniques rurales. L’historiographie est ainsi très riche d’enquêtes sur les mesures, les bornages, les arpentages, les cadastrages mais également sur la connaissance des forêts ou des marais. Mireille Mousnier rappelle très justement, à propos de la période médiévale, que
« [l]es chartes de coutumes et les contrats de paréage ont livré une foule d’indications qui, pour répétitives qu’elles soient, apportent bien des informations sur les pratiques de l’arpentage, dans le monde du quotidien, mais vu à travers le prisme des dispositions normatives. L’arpentage, et donc la mesure de la terre, s’enracinent dans une technique vivace qui n’exige pas des prouesses mathématiques, mais nécessite de la rigueur, de la méthode et de la bonne foi119 ».
46La mesure du territoire correspond donc à un savoir pratique directement articulé à un corps de valeurs (e. g. la confiance, l’honnêteté). Liées aux administrations fiscales120, les techniques d’arpentage intègrent les savoirs de gouvernement lato sensu121.
47Les opérations de cadastrage permettent de renseigner les savoirs sur les assèchements des marais122 ; les techniques de mesure, de représentations graphiques, la maîtrise des flux, les prévisions économiques composent un ensemble de connaissances complexes. Raphaël Morera rappelle qu’au xviie siècle
« les asséchements supposent l’élaboration et la mise en œuvre d’infrastructures hydrauliques capables d’évacuer les eaux en surabondance et de modifier radicalement les conditions naturelles. Ils impliquent ainsi la diffusion d’un modèle hydraulique ayant pour fin l’exploitation agricole123 ».
48La mesure des espaces suppose donc un ensemble de connaissances topographiques, environnementales, juridiques, sociales et économiques. Car l’arpentage n’est pas seulement un moyen de faire coïncider la question de la propriété à celle des ressources fiscales. Il peut s’agir d’une opération qui renseigne sur les ressources disponibles, les terroirs présents, les potentialités d’exploitation. Dans le cas du programme d’« Arpentage général » initié par Catherine II en Russie au xviiie siècle, c’est bien la « dimension économique124 » qui a prédominé. Le « pouvoir impérial » parvint ainsi à collecter « une myriade de renseignements concernant la géographie, les peuples, les ressources, les conditions et les pratiques agricoles variant selon les régions125 ».
49Les savoirs concernant le reboisement, en Ardèche au xixe siècle, sont, quant à eux, le produit d’une « requalification de pratiques bien plus anciennes – elles aussi, du reste, fondées sur une forme de rationalité126 ».
50Les savoirs ruraux comportent une importante composante économique. Des formes spécifiques de rationalités comptables sont intégrées aux travaux ordinaires des campagnes. Thomas Depecker et Nathalie Joly ont mis en évidence l’émergence, au xixe siècle d’une « comptabilité en partie double » dans les pratiques agricoles. Ils montrent que
« [l’]effort de quantification requis n’implique pas uniquement une formulation plus poussée des pratiques de gestion mais repose plus fondamentalement sur une rupture dans les objets et les emplois de la mesure127 ».
51La deuxième partie du xixe siècle est « plus favorable à la moyenne propriété qu’au grand domaine, les objectifs de réforme des pratiques économiques s’en trouvent redéfinis128 ». Les connaissances agronomiques sur la gestion comptable ne sont plus alors l’apanage des traités : les espaces pédagogiques, les exploitations les plus diverses et les publics les plus variés sont impliqués129.
52L’introduction de ces techniques à valence gestionnaire ou économique a permis d’orienter les enquêtes vers les relations entre les savoirs ruraux et le développement du capitalisme. Joyce M. Mastboom remarque, propos des activités textiles rurales de Hollande au xixe siècle que l’inclusion technique de la navette volante (flying shuttle) a permis le maintien d’une pratique agricole traditionnelle tout en ouvrant la voie de l’industrialisation des campagnes130. De même, un certain nombre de savoirs ruraux se sont constitués parce qu’ils ont été orientés vers des usages ou des applications bien définis. C’est le cas notamment de la sylviculture, dont Andrée Corvol a retracé les grandes lignes pour l’Ancien Régime : dans l’ensemble des méthodes et des connaissances disponibles, ce sont les ressources cognitives et empiriques indispensales à la reconstitution d’une forêt aux formes désirées par l’administration qui ont été mobilisées131.
53L’histoire des techniques a donc fourni de nombreuses pistes d’interprétation pour saisir les spécificités des savoirs ruraux. En dépassant les visées purement instrumentales des outillages ou des machines, les analyses ont mis en évidence l’importance des chaînes relationnelles dans lesquelles sont pris les artefacts. De même, les savoirs pro-industriels ou industriels nourrissent un rapport dense aux techniques hydrauliques, minières ou métallurgiques. Enfin, la connaissance instrumentée des territoires se déploie au cœur de questionnaires politiques, économiques et gestionnaires.
54En redéployant les problématiques techniciennes dans des cadres plus sophistiqués, intégrant l’épaisseur du social, les développements du capitalisme ou les rythmes de l’industrialisation, l’historiographie des techniques a permis de configurer la question des savoirs autour des arènes multiples de leur production. Précisément, les techniques mettent en tension l’histoire des savoirs ruraux en interrogeant les processus de modernisation et en questionnant l’ancrage politique, économique et social de pratiques techniques propres aux campagnes.
Diffusion, enseignement, circulation
55Ce sont les transmissions des savoirs ruraux qui permettent notamment de mesurer leur pertinence collective, leurs évolutions ainsi que leurs éventuels abandons. Ici, la trace documentaire oriente les historien·ne·s vers les sources écrites les plus fréquentes. Nous sommes bien souvent tributaires de la constitution des dépôts de connaissances qui ne reflètent que très imparfaitement la vitalité des savoirs ruraux, dont on peut penser qu’une grande partie circulait d’abord et principalement par l’oralité. C’est donc dans les plis et les interstices des archives qu’il est possible de repérer des modalités de diffusion plus ou moins larges des connaissances liées aux campagnes.
56Les analyses iconographiques de Perrine Mane qui montre, par exemple comment la « greffe [qui] a subjugué les hommes du Moyen Âge132 » au point de susciter des commentaires dans « les traités », les « livres de recettes, les ouvrages juridiques et les registres de comptes […]133 ». Mais surtout, « [d]ès le xiie siècle, la greffe est figurée dans une enluminure du Temps circulaire d’un Martyrologe pour symboliser le mois d’avril » ; un siècle plus tard, « le thème connaît une particulière faveur : plusieurs calendriers enluminés en Thuringe, notamment le Psautier d’Hildescheim et le Psautier de sainte Élizabeth de Thuringe représentent la greffe au mois de mai134 ».
57Les surfaces éditoriales les plus variées participent d’une diffusion diffractée dans des espaces socio-épistémiques organisés de façon très différentes. Ainsi, La Feuille du cultivateur, qui est parue entre la fin du xviiie et le début du xixe siècle, répond à « la curiosité grandissante du lectorat », notamment en raison de « l’émergence d’un public d’amateurs » et d’« un enthousiasme pour les savoirs scientifiques qui engendrent des conditions favorables à la diffusion et au partage des savoirs135 ». Malik Mellah montre que le périodique « a indiscutablement à voir avec [la] promotion de l’agronomie » et plus généralement encore avec les débats autour de la « politique agricole136 ». L’enjeu est clairement de diffuser une perspective scientifique dans les campagnes. La Feuille délivre le « savoir accumulé par des vétérinaires, des agronomes ou des chimistes137 ». L’ensemble est configuré par le souci d’« une économie et [d’]une écologie politiques » qui tient pour essentiel l’idée du « bien commun138 ». Le périodique met donc à disposition une information qui vise non pas seulement à améliorer localement les rendements ; il s’agit d’établir les lignes de force d’un gouvernement des pratiques agricoles. De fait, « [l]’économie rurale se présente […] comme un véritable continuum de savoirs et de pratiques139 ».
58La littérature agronomique a beaucoup retenu l’attention des historien·ne·s. Même si les arènes de sa diffusion ont été longtemps exiguës et même s’il est difficile d’établir une sociologie des publics réellement atteints, ce matériau constitue un élément, parmi d’autres, de diffusion des savoirs ruraux. Dans son étude de l’élevage bovin de 1799 à 1859, Florian Reynaud s’interroge sur les effets concrets de la littérature agronomique140. Il note notamment que « [d]e l’écriture à la lecture, le processus de diffusion peut s’avérer particulièrement difficile, selon la notoriété de l’auteur, selon la force de l’éditeur, le coût des volumes, selon les relais locaux des administrations et des cercles agronomiques, selon l’alphabétisme des populations141 ». De fait, « [l]a paysannerie possède peu de livres, quasiment jamais d’ouvrages agronomiques, seulement quelques livres de dévotion, parfois la Vie des saints. De plus, il semble que l’accès aux bibliothèques publiques lui soit inconnu au xviiie siècle, alors qu’il s’élargit à la population noble et bourgeoise142 ».
59La littérature agricole est constamment prise en tension, de l’Ancien Régime à nos jours, entre la présentation d’un savoir disciplinaire (i. e. l’agronomie, mais aussi la chimie ou la géologie) et la nécessité de s’adresser à des publics multiples. Malgré tout, la diversité des formes ne doit pas tromper ; le lectorat visé appartient le plus souvent à l’élite. Florent Quellier rapporte ainsi, à propos des ouvrages d’arboriculture à l’époque moderne qu’ils
« peuvent se répartir en deux groupes. L’un concerne des traités pratiques, facilement consultables, imprimés dans un format de poche revendiqué pour pouvoir les feuilleter directement dans son jardin et surveiller le travail de ses jardiniers ; Bonnefons et son Jardinier françois, La culture des arbres fruitiers de Le Gendre, l’Abrégé des bons fruits de Merlet peuvent être rangés dans cette catégorie. Les autres sont pensés comme une somme à étudier dans son cabinet, comme une œuvre scientifique à prétention littéraire, et vice-versa, tels l’Instruction de La Quintinie et le Traité des arbres fruitiers de Duhamel du Monceau143 ».
60Ces textes sont relativement conformistes, livrant « les mêmes lieux communs » : « une réelle et longue pratique de l’arboriculture et le souci d’être utile à leurs contemporains144 ». Cette masse de textes imprimés fournit une matière complexe à analyser : des circuits empruntés aux mises en application, de nombreux éléments manquent pour retracer complètement l’usage des discours agronomiques.
61Les savoirs ruraux transmis dans le cadre pédagogique fournissent davantage de prises aux historien·ne·s. Stéphane Lembré a bien montré que les formations agricoles au xixe siècle relevaient d’institutionnalisations complexes. Les impulsions de 1848 ont ainsi connu « rapidement leurs limites faute de soutien politique145 ». Surtout, ce sont les structures académiques (comme par exemple la Société impériale d’agriculture sciences et art de Douai) qui tentent de suivre « les progrès de l’enseignement agricole […]146 ». Le cas « de l’enseignement agricole ambulant dans la région du Nord147 » au début du xxe siècle met au jour les dispositifs de mise en forme et de diffusion des savoirs ruraux. Il s’agit de contrer l’idée que les structures officielles ordinaires produisant des connaissances pour les agriculteurs étaient « souvent jugées trop éloignées du travail quotidien […]148 ». Les écoles ambulantes sont un projet politique « au service de la mutation technique et économique de grande ampleur que connaissent les campagnes du nord, conjuguant l’intensification, la diffusion de l’outillage mécanique et la commercialisation149 ». Le contenu des savoirs appuie « un projet républicain à la fois agrarien et laïque150 ». Le cas, au xixe siècle, de la « ferme-école des Trois-Croix151 », étudié par Nagwa Abou el Maaty, est, de ce point de vue, éclairant. Centré d’abord sur l’élaboration d’instruments agricoles, l’entreprise devient une immense « fabrique ». La « ferme-école » avec laquelle elle fonctionne est le lieu où l’on mesure « la qualité des instruments152 ». L’un des objectifs est de permettre aux « apprentis de conduire de nouveaux instruments153 ». En réduisant les distances sociales et épistémiques entre des foyers institutionnels de production des savoirs et des espaces d’apprentissage, ce sont des projets politiques d’organisation de l’agriculture, et plus globalement du monde rural, qui sont mis au jour. Les académies et les Écoles vétérinaires font partie de ces nœuds institutionnels où le savoir est à la fois conçu, construit et mis à l’épreuve. Maison Alfort, « [d]e la fin du Directoire à l’Empire » a constitué un terrain d’expérimentation pour l’élevage des « bêtes à laine154 ». Branchée sur les attentes économiques nationales, l’École est le point de focalisation d’expérimentations pastorales toutes orientées vers la production d’une élite agricole. Le cas, au xviiie siècle, de la société angevine des Thesmophories est différent, puisqu’il s’agit, certes, de créer les conditions d’une économie rurale performante, mais en tenant compte des usages locaux et des attentes paysannes155.
62Les sites de commerce ou d’exposition sont aussi, surtout à partir du xixe siècle, des prétextes à diffusion de nouvelles techniques ou de savoir-faire innovants. Corinne Marache pointe, dans le comice agricole, les linéaments d’un circuit de diffusion efficace des informations à destination des agriculteurs. Il ne s’agit pas seulement de savoirs agricoles, mais de l’ensemble des compétences nécessaires à l’appréhension des environnements ruraux156. Les savoirs ruraux sont à la fois le produit des expériences gyrovagues et la condition même de certains déplacements. Ainsi, le célèbre déplacement d’Arthur Young à travers la France du xviiie siècle finissant a-t-il servi aux « agronomes français » de « justification de leur discours sur les moyens de moderniser l’agriculture française157 ». Qu’il s’agisse des critiques du voyageur anglais – jugées « injustes » – ou des points qui « servent leurs vues sur la nécessité de promouvoir de profondes réformes », la trame du discours de Young « leur sert de caution intellectuelle et de justification agronomique à l’action politique158 ». Cependant, la démarche des savants présente « deux nouveautés » par rapport au projet de Young : « d’abord, la nécessite de calquer ce voyage sur le modèle de ceux commandités par les institutions naturalistes […]159 » et, ensuite, la mobilisation par le pouvoir d’« experts » qui sont de véritables « missionnaires agronomiques160 ». Les savoirs botaniques sont au centre de ces circuits agronomiques ; il s’agit d’une véritable « enquête » qui renseigne sur « la validation des savoirs pratiques et leur diffusion161 ». Les connaissances circulent ici entre les usages quotidiens repérés dans les campagnes et les possibles améliorations à apporter. Les déplacements des médecins dans les campagnes du xixe siècle ont à la fois ouvert un quadrillage nosographique de la ruralité, en même temps qu’ils ont superposé des connaissances académiques aux savoirs locaux. Jacques Léonard rappelait ainsi que « le médecin de province chevauche par tous les temps, entre une dysenterie et une variole, du château à la chaumière, du lit de l’enfant moribond à celui du vieillard grabataire162 ». Olivier Faure, dans son étude sur les officiers de santé dans la première moitié du xixe siècle remarque qu’ils étaient « au service des campagnes163 » investissant l’espace rural et y déployant un savoir-faire médical pratique. Plus rares encore, les visites des médecins légistes, lorsqu’un crime a été commis et qu’il convient d’examiner des blessures ou un cadavre, font surgir, au creux des villages, des répertoires médicaux capables de décrire la monstruosité des actes164.
63L’historiographie des savoirs ruraux est donc très dispersée. Elle s’étoile dans de multiples enquêtes sur les notions de progrès, d’innovation ou de révolution. Elle se déplace vers la problématique des légitimités savantes très hiérarchisées dans le monde rural. Elle s’enracine, depuis le début du xxe siècle, dans l’étude des techniques, des machines et des activités industrielles. Enfin, elle concerne les espaces de circulation et de diffusion. Cependant cet éclatement des savoirs ruraux témoigne, jusqu’ici, d’une faible prise en compte de leur robustesse épistémique. L’ambition de ce livre est de considérer les connaissances de/sur la campagne comme un objet à part entière, saisissable par les historien·ne·s, mais aussi les sociologues165, les géographes et les anthropologues. Cette jonction entre les sciences sociales permet de décentrer les problématiques trop figées sur les savoirs savants, et de restituer aux savoirs ruraux les contours complexes de leur insertion dans l’épaisseur des structures sociales, politiques, économiques et culturelles de chaque époque.
64L’ouvrage s’organise en trois parties. La première interroge les enchâssements propres aux savoirs ruraux. La profusion des types de connaissances mobilisés dans les espaces campanaires invite à étudier les formes de structuration, de distribution et de mise à l’épreuve de ces savoirs. La deuxième partie du livre concerne les politiques des savoirs ruraux. Il s’agit d’envisager la façon dont un certain nombre de connaissances ont été configurées par et pour l’action publique. Les jeux d’échelle sont ici variés et les modes de circulations des intérêts politiques (via la religion, la formation pédagogique notamment) jouent un rôle crucial. Enfin, la troisième partie de l’ouvrage évoque l’intégration des savoirs ruraux aux domaines de la quantification et de l’économie. L’ajustement des productions rurales aux règles des échanges marchands suppose le déploiement d’instruments de connaissance sophistiqués pour faire advenir une commensurabilité des valeurs.
Notes de bas de page
1 Lachiver Marcel, Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Paris, Fayard, 1997, p. 12.
2 Hubscher Ronald, « Modèle et antimodèle paysans », in Yves Lequin (dir.), Histoire des Français xixe-xxe siècles – La société, Paris, Armand Colin, 1983, p. 121-152.
3 Michelet Jules, Le Peuple, Paris, Calmann-Lévy, 1877, 5e édition, p. 5-6.
4 Adell Nicolas, Anthropologie des savoirs, Paris, Armand Colin, 2010, p. 7.
5 Bourdieu Pierre, Le sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 111-134 ; Bessy Christian et Chateauraynaud Francis, Experts et faussaires. Pour une sociologie de la perception, Paris, Éditions Pétra, 2014.
6 Fabre Daniel, « Savoirs naturalistes populaires et projets anthropologiques », in Les savoirs naturalistes populaires. Actes du séminaire de Sommières, 12 et 13 décembre 1983, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1984, p. 15-27.
7 Denis Gilles, « L’agronomie au sens large. Une histoire de son champ, de ses définitions et des mots pour l’identifier », in Paul Robin, Jean-Paul Aeschlimann et Christian Feller (dir.), Histoire et agronomie. Entre ruptures et durée, Marseille, IRD Éditions, 2007, p. 61-90.
8 Gaulin Jean-Louis, « Agronomie antique et élaboration médiévale : de Palladius aux Préceptes cisterciens d’économie rurale », Médiévales, no 26, 1994, p. 59-83.
9 Verdier Yvonne, « La femme-qui-aide et la laveuse », L’Homme, vol. 14, no 2-3, 1976, p. 103-128.
10 Corbin Alain, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Paris, Flammarion, 1998, p. 147-148.
11 Ginzburg Carlo, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du xvie siècle, Paris, Aubier, 1993.
12 Le Roy Ladurie Emmanuel, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1982.
13 Voir : Mandrou Robert, De la culture populaire aux xviie et xviiie siècle. La Bibliothèque Bleue de Troyes, Paris, Stock, 1964 ; Soriano Marc, Les contes de Perrault. Culture savante et traditions populaires, Paris, Gallimard, 1968 ; Bollème Geniève, Les Almanachs populaires aux xviie et xviiie siècles. Essais d’histoire sociale, Paris/La Haye, Mouton, 1969 ; Bollème Geniève, La Bibliothèque Bleue. Littérature populaire en France du xviie au xixe siècle, Paris, Juliard, 1971 ; Certeau Michel de, La culture au pluriel, Paris, Union générale d’éditions, 1974 ; Chartier Roger, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Le Seuil, 1987.
14 Verna Catherine et Benito Pierre, « Mobiliser des savoirs dans les campagnes médiévales et modernes », Études Roussillonnaises. Revue d’Histoire et d’Archéologie Méditerranéennes, t. 26, 2013-2014, p. 10.
15 Corbin Alain, « “Le vertige des foisonnements”. Esquisse panoramique d’une histoire sans nom », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 39, no 1, 1992, p. 118 ; Corbin Alain, « Histoire et anthropologie sensorielle », Anthropologie et Sociétés, vol. 14, no 2, 1990, p. 12-24.
16 Kayser Bernard, « Permanence et perversion de la ruralité », Études rurales, no 109, 1988, p. 78.
17 Bertrand Georges, « Pour une histoire écologique de la France rurale », in Georges Duby et Armand Wallon (dir.), Histoire de la France rurale, t. I : Des origines à 1340, Paris, Le Seuil, 1975, p. 110.
18 Ibid., p. 111.
19 Ibid., p. 111-118. C’est l’auteur qui souligne.
20 Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005 ; Descola Philippe, « L’anthropologie de la nature », Annales. Histoire, Sciences sociales, 57e année, no 1, 2002, p. 9-25.
21 Duby Georges, « Les Études rurales et l’histoire des campagnes », Études rurales, vol. 92, 1983, p. 102.
22 Devroey Jean-Pierre, La Nature et le roi. Environnement, pouvoir et société à l’âge de Charlemagne (740-820), Paris, Albin Michel, 2019.
23 Dedieu François et Jouzel Jean-Noël, « Comment ignorer ce que l’on sait ? La domestication des savoirs inconfortables sur les intoxications des agriculteurs par les pesticides », Revue française de sociologie, vol. 56, no 1, 2015, p. 105-133.
24 Le Roy Ladurie Emmanuel, Le territoire de l’historien, t. I, Paris, Gallimard, 1973, p. 141-142.
25 Le Roy Ladurie Emmanuel, Les paysans de Languedoc, t. I, Paris, SEVPEN, 1966, p. 83.
26 Mulliez Jacques, « Du blé, “mal nécessaire”. Réflexions sur les progrès de l’agriculture de 1750 à 1859 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 26-1, 1979, p. 4.
27 Ibid., p. 4-5.
28 Moriceau Jean-Marc, « Au rendez-vous de la “révolution agricole” dans la France du xviiie siècle. À propos des régions de grande culture », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 49e année, no 1, 1994, p. 59.
29 Ibid.
30 Ibid., p. 60. (On consultera avec profit les autres études de Jean-Marc Moriceau sur cette question, voir notamment Moriceau Jean-Marc, Terres mouvantes. Les campagnes françaises du féodalisme à la mondialisation, xiie-xixe siècle, Paris, Fayard, 2002, p. 151-180 ; Moriceau Jean-Marc, « Une question en renouvellement. L’histoire de l’élevage en France », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 106, 1999, p. 17-40.)
31 Vulliod François, « Le progrès agricole par l’exemple. Trois grands propriétaires progressistes dans la Manche (1820-1860) », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 52, 2019, p. 136.
32 Ibid.
33 Ibid.
34 Ibid., p. 150.
35 Grandcoing Philippe, « L’architecture au service de l’agriculture ? Les fermes modèles en pays de métayage et d’élevage. L’exemple du Limousin au xixe siècle », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 33, 2010, p. 49-79.
36 Vabre Sylvie, Le sacre du roquefort. L’émergence d’une industrie agroalimentaire, Rennes, PUR, 2015.
37 Voir pour le xxe siècle : Lyautey Margot, Humbert Léna et Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au xxe siècles, Rennes, PUR, 2021.
38 Maillard Brigitte, Les campagnes de Touraine au xviiie siècle. Structures agraires et économie rurale, Rennes, PUR, 1998, p. 303.
39 Bloch Marc, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, Armand Colin, 1999 [1931], p. 322.
40 Ibid., p. 323.
41 Ibid., p. 328.
42 Ibid., p. 329.
43 Sigaut François « La naissance du machinisme agricole moderne », Anthropologie et Sociétés, vol. 12, no 2, 1989, p. 97.
44 Ibid.
45 Tits-Dieuaide Marie-Jeanne, « L’évolution des techniques agricoles en Flandre et en Brabant : xive-xvie siècles », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 36e année, no 3, 1981, p. 362.
46 Ibid., p. 367.
47 Ibid., p. 368.
48 Ibid.
49 Ibid., p. 370.
50 Ibid., p. 371.
51 Ibid., p. 376.
52 Pesez Jean-Marie, « Le Moyen Âge est-il temps d’innovation ? », in Actes du VIe Congrès international d’Archéologie Médiévale (1er-5 octobre 1996, Djion, Mont Beuvray, Chenôve, Le Creusot, Montbard), Caen, Société d’archéologie médiévale, 1998, p. 12.
53 Cocaud Martine, « Les cadres de la rénovation agricole en Ille-et-Vilaine dans la première du xixe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 43-3, juillet-septembre 1996, p. 494.
54 Ibid.
55 Ibid., p. 495 ; Marache Corinne, Les petites villes et le monde agricole – France xixe siècle, Rennes, PUR, 2021, 385 p.
56 Ibid.
57 Knittel Fabien, « Innovations techniques dans une économie en transition : le cas Mathieu de Dombasle sous le premier Empire », Annales Historiques de la Révolution Française, vol. 374, no 4, 2013, p. 127 ; Marache Corinne, Les petites villes et le monde agricole – France xixe siècle, Rennes, PUR, 2021, 385 p.
58 Voir Lyautey Margot, Humbert Léna et Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au xxe siècles, Rennes, PUR, 2021.
59 Rey Alain, « Routine », Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2000, p. 1982.
60 Schlude Ursula, « “Cultiver selon les bonnes règles et avec profit.” La création d’un savoir agricole à la cour de l’électeur et l’électrice de Saxe à Dresde, 1567-1571 », in Nadine Vivier (dir.), Élites et progrès agricole xvie-xxe siècle, Rennes, PUR, 2009, p. 59-81.
61 Vassort Jean, Les papiers d’un laboureur au siècle des Lumières. Pierre Bordier : une culture paysanne, Seyssel, Champ Vallon, 1999, p. 101.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Ibid.
65 Ibid., p. 102.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 Le Roy Ladurie Emmanuel, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975, p. 448.
69 Ibid., p. 462-463.
70 Moriceau Jean-Marc, La mémoire des croquants. Chroniques de la France des campagnes 1435-1652, Paris, Taillandier, 2018, p. 29.
71 Ce sont parfois les historien·ne·s qui produisent une hiérarchie des savoirs. Ainsi, dans son travail sur l’Histoire du climat depuis l’An Mil, Emmanuel Le Roy Ladurie disqualifie ainsi une grande partie des sources disponibles : « Calamités ou bénédictions climatiques accablaient ou comblaient, selon les cas, les ruraux des sociétés traditionnelles. Il était bien difficile pourtant de prétendre faire la lumière sur la météorologie d’autrefois à l’aide à l’aide de ces seules données descriptives, si passionnantes qu’elles pussent être, tant ces notations manuscrites sur le climat, tirées du livre de raison d’un curé, ou du registre illisible et vermineux d’un notaire, semblaient fortuites, décousues, et comme inaptes à l’organisation d’un savoir » (Le Roy Ladurie Emmanuel, Histoire du climat depuis l’An Mil, t. I, Paris, Flammarion, 1983, p. 6).
72 Hubscher Ronald, « L’invention d’une profession : les vétérinaires au xixe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 43-4, 1996, p. 686.
73 Ibid.
74 Berdah Delphine, « Entre scientificisation et travail de frontières : les transformations des savoirs vétérinaires en France, xviiie-xixe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 59-4, 2012, p. 51.
75 Ibid., p. 52.
76 Ibid.
77 Ibid.
78 Ibid., p. 58.
79 Ibid., p. 53.
80 Ibid., p. 87.
81 Jas Nathalie, « Déqualifier le paysan, introniser l’agronome, France », Écologie & Politique, no 31, 2005, p. 46.
82 Ibid., p. 49-51.
83 Ibid., p. 55.
84 Ploux François, Une mémoire de papier. Les historiens de village et le culte des petites patries rurales (1830-1930), Rennes, PUR, 2011, p. 81.
85 Ibid., p. 91.
86 Denis Gilles, « Pratiques paysannes et théories savantes préagronomiques au xviiie siècle : le cas des débats sur la transmission des maladies des grains de blé », Revue d’histoire des sciences, t. 54, no 4, 2001, p. 452.
87 Ibid.
88 Ibid., p. 459.
89 Ibid., p. 461.
90 Ibid., p. 462.
91 Ibid., p. 464.
92 Ibid., p. 475.
93 Bourde André J., Agronomie et agronomes en France au xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 1967.
94 Sigaut François, « La technologie de l’agriculture. Terrain de rencontre entre agronomes et ethnologues », Études rurales, no 59, 1975, p. 110.
95 Ibid.
96 Pour une synthèse, voir Delmas Corinne, Sociologie politique de l’expertise, Paris, La Découverte, 2011.
97 Collins Harry et Evans Robert, Rethinking Expertise, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.
98 Fournier Patrick, « Expertise juridique et expertise technique : la mutation du regard sur l’espace rural en Languedoc, Provence et Comtat (xve-début du xixe siècle) », Annales du Midi, t. 122, no 272, 2010, p. 541.
99 Ibid.
100 Ibid., p. 545.
101 Ibid., p. 547.
102 Ibid., p. 548.
103 Ibid., p. 551.
104 Pérez Liliane et Verna Catherine, « La circulation des savoirs techniques du Moyen Âge à l’époque moderne. Nouvelles approches et enjeux méthodologiques », Tracés, no 16, 2009, p. 26.
105 Cornu Pierre et Mayaud Jean-Luc, « L’agrarisme, question d’histoire urbaine ? Approche comparée de la construction des “campagnes” dans la France et l’Allemagne de l’ère industrielle », in Jean-Claude Caron et Frédéric Chauvaud (dir.), Les campagnes dans les sociétés européennes. France, Allemagne, Espagne, Italie (1830-1930), Rennes, PUR, 2005, p. 34.
106 Bloch Marc, « Avènement et conquêtes du moulin à eau », Annales d’histoire économique et sociale, t. 7, no 36, 1935, p. 543.
107 Casanova Antoine, Paysans et machines à la fin du xviiie siècle. Essai d’ethnologie historique, Paris, Annales Littéraires de l’université de Besançon, 1990, p. 317.
108 Le travail d’Antoine Casanova se distingue d’une autre approche marxiste des techniques, celle de Daniel Faucher, qui certes envisage que « l’importance des transformations de outillage agricole » ne puisse « se mesurer à leur seule valeur technique, ni même à leur efficience », mais qui privilégie le « climat intellectuel nouveau » pour expliquer les mutations autour des machines dans le monde rural du xviiie siècle (Faucher Daniel, Le paysan et la machine, Paris, Éditions de Minuit, 1954, p. 52).
109 Nous reprenons ici une partie des éléments précédemment développés dans Lamy Jérôme, « Georges Duby, historien des techniques », Carnet Zilsel, 30 avril 2016, [https://zilsel.hypotheses.org/2631], consulté le 13 avril 2021.
110 Duby Georges, « La révolution agricole médiévale », Revue de géographie de Lyon, vol. 29, no 4, 1954, p. 361.
111 Duby Georges, Guerriers et paysans. viie-xiie siècle. Premier essor de l’économie européenne, Paris, Gallimard, 1973, p. 219-220.
112 Verna Catherine, L’industrie au village. Essai de micro-histoire (Arles-sur-Tech, xive et xve siècles), Paris, Les Belles Lettres, 2017, p. 363.
113 Ibid., p. 387.
114 Ibid., p. 394.
115 Ibid., p. 395.
116 Ibid., p. 394.
117 Benoît Serge, D’eau et de feu : forges et énergie hydraulique. xviiie-xixe siècle. Une histoire singulière de l’industrialisation française, Rennes, PUR, 2020.
118 Woronoff Denis (dir.), Forges et forêts. Recherches sur la consommation proto-industrielle de bois, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.
119 Mousnier Mireille, « Mesurer les terres au Moyen Âge. Le cas de la France méridionale », Histoire & Sociétés rurales, vol. 22, 2004, p. 58.
120 Lavigne Cédric, « Assigner et fiscaliser les terres au Moyen Âge. Trois exemples », Études rurales, no 175-176, 2005, p. 81-108.
121 Nous nous permettons de renvoyer à Lamy Jérôme, « L’État et la science. Histoire du régime régulatoire (France, xvie-xxe siècles) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 134, 2017, p. 87-111.
122 Roucaute Émeline et Pichard Georges, « Les cadastres des associations territoriales d’Arles, témoins de la gestion des zones humides au xviie siècle », Siècles, no 30, 2009, p. 47-60.
123 Morera Raphaël, L’assèchement des marais en France au xviie siècle, Rennes, PUR, 2011, p. 183.
124 Platonova Natalia, « L’arpentage général des terres en Russie comme projet impérial (1765-1861) », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 50, 2018, p. 152.
125 Ibid.
126 Cornu Pierre, « Expertise forestière, intérêt public et maîtrise de l’espace montagnard : le reboisement en Ardèche au xixe siècle », Annales du Midi, t. 122, no 272, 2010, p. 573.
127 Depecker Thomas et Joly Nathalie, « La terre et ses manufacturiers. L’introduction d’une raison gestionnaire dans les domaines agricoles (1800-1850) », Entreprise et histoire, no 79, 2015, p. 13-14.
128 Ibid., p. 23.
129 Ibid.
130 Mastboom Joyce M., « Agriculture, Technology, and Industrialization : The Rural Textile Sector in the Netherlands, 1830-1860 », Rural History, vol. 5, no 1, 1994, p. 57.
131 Corvol Andrée, L’homme et l’arbre sous l’Ancien Régime, Paris, Economica, 1984, p. 77-79.
132 Mane Perrine, « Images, discours et techniques de la greffe dans l’arboriculture fruitière médiévale », Archéologie du Midi Médiévale, t. 23-24, 2005, p. 94.
133 Ibid., p. 95.
134 Ibid.
135 Mellah Malik, « Nourrir et diffuser les “Lumières agronomiques”. Jean-Baptiste Dubois et la Feuille du cultivateur (1788-1802) », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 52, 2019, p. 105.
136 Ibid., p. 112.
137 Ibid., p. 121.
138 Ibid.
139 Ibid., p. 124.
140 Reynaud Florian, L’élevage bovin. De l’agronome au paysan (1700-1850), Rennes, PUR, 2010, p. 14.
141 Ibid., p. 281.
142 Ibid., p. 305.
143 Quellier Florent, Des fruits et des hommes. L’arboriculture fruitière en Île-de-France (vers 1600-vers 1800), Rennes, PUR, p. 32.
144 Ibid.
145 Lembré Stéphane, L’école des producteurs. Aux origines de l’enseignement technique en France (1800-1940), Rennes, PUR, 2013, p. 103.
146 Ibid., p. 104.
147 Lembré Stéphane, « L’expérience de l’enseignement agricole ambulant dans la région du Nord (1900-1939) », Histoire & Société Rurales, vol. 34, 2010, p. 149.
148 Ibid., p. 150.
149 Ibid., p. 152.
150 Ibid.
151 Abou el Maaty Nagwa, « La fabrique des instruments agricoles de la ferme-école des Trois-Crois », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 21, 2004, p. 115.
152 Ibid., p. 131.
153 Ibid.
154 Mellah Malik, « L’École d’Alfort, les bêtes à laine et le perfectionnement des arts économiques. De la fin du Directoire à l’Empire », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 43, 2015, p. 73.
155 Follain Antoine (dir.), Une société agronomique au xviiie siècle. Les Thesmophores de Blaison en Anjou, Dijon Éditions universitaires de Dijon, 2010.
156 Marache Corinne, « Encourager plus que l’agriculture. Le rôle du comice central agricole de la Double dans le développement rural local », Ruralia, no 16-17, 2005, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ruralia/1071], consulté le 13 avril 2021.
157 Brassart Laurent, « Les enfants d’Arthur Young ? Voyageurs et voyages agronomiques dans la France impériale », Annales de la Révolution française, no 385, 2006, p. 117.
158 Ibid.
159 Ibid., p. 121.
160 Ibid., p. 124.
161 Ibid., p. 126.
162 Léonard Jacques, La vie quotidienne du médecin de province au xixe siècle, Paris, Hachette, 1977, p. 11.
163 Faure Olivier, Contre les déserts médicaux. Les officiers de santé dans le premier xixe siècle, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2020, p. 205.
164 Chauvaud Frédéric, Les criminels du Poitou au xixe siècle. Les monstres, les désespérés et les voleurs, La Crèche, Gestes éditions, 1999 ; Lamy Jérôme, « Déchiffrer les corps et apporter la preuve : l’expertise médico-légale dans le département de la Vienne sous le Second Empire », in Jean Guénel (dir.), Les Rencontres d’Histoire de la Santé. Dix années d’activité, Rennes, université de Nantes, Société d’Histoire de la médecine et des hôpitaux de l’Ouest, Société d’Histoire de la pharmacie, 2002, p. 159-170.
165 Nous nous permettons de renvoyer, sur ce point, à Lamy Jérôme, « Le grand remembrement. La sociologie des savoirs ruraux depuis les années 1950 », Zilsel, no 1, 2017, p. 263-291.
Auteurs
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