Le 13e Congrès de la Fédération postale CGT (1950)
p. 245-254
Texte intégral
1En septembre 1945, à Limoges, le Congrès consacre statutairement la Fédération postale, réunifiée clandestinement en 1943 et puissamment restructurée au grand jour à la Libération. La tendance réformiste, qui dominait avant la guerre, était largement battue au profit de la tendance de lutte de classes, représentée par les anciens de la Fédération postale unitaire, adhérente à la CGTU. Fernand Piccot est élu secrétaire général. Le 11 avril 1946, est créé par décret une commission de reclassement des rémunérations ; ce reclassement va être omniprésent durant plusieurs années et pèsera lourd sur l’activité syndicale. Le 5 octobre 1946, M. Thorez, ministre communiste de la Fonction publique, fait voter par l’Assemblée nationale, unanime, le Statut général des fonctionnaires. En le votant, les socialistes le qualifient de « statut carcan à l’esprit totalitaire » et annoncent qu’ils feront tout pour en réviser certaines dispositions. En décembre 1946, F. Piccot est réélu lors du Congrès national extraordinaire. Quelques mois plus tôt, les minoritaires réformistes du Congrès de 1945, soutenus par les groupes Force Ouvrière, se sont regroupés dans un « Comité national de grève » ; le 8 décembre, à la veille du Congrès, il se transforme en « Comité d’action syndicaliste ». C’est le prélude à la création de la Fédération syndicaliste des PTT-FO, à la fin de 1947. Si la Fédération postale CGT est porteuse des revendications salariales des personnels et son programme reflète la réalité des besoins, on peut s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour faire avancer ces revendications, sur une réelle volonté de mobilisation. La recherche permanente, quasi obsessionnelle, de l’unité n’a-t-elle pas fait passer au second plan ses propres propositions de lutte ; le discours justifié sur la reconstruction du pays n’a-t-il pas affaibli sa capacité d’organisation de la lutte, ou pour le moins brouillé les cartes et freiné ses décisions ?
2Le 5 mai 1947, le décret d’éviction des ministres communistes est publié. C’est le début du plan Marshall, la création de Force Ouvrière (11 avril 1948). La crise sociale est profonde. Début novembre, à l’initiative de la CGT et de ses syndicats, ont lieu de fortes grèves. Dans les PTT, le ministre socialiste Eugène Thomas s’illustre par une répression féroce. Le 27e Congrès de la CGT (11 au 15 octobre 1948) lance un appel à l’action sur les revendications immédiates, contre le plan Marshall. Durant ces années 1948-1949, l’économie française piétine : il faut dire que les dépenses pour la guerre en Indochine pèsent lourdement, le franc est à nouveau dévalué ce qui engendre grèves et manifestations avec des participations diverses. Le 3 avril 1950, avec le vote de la loi de titularisation des auxiliaires, une vieille revendication de la CGT est satisfaite ; toutefois, le décret du 23 août 1950 fixant le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) consacre une rupture de la parité entre la fonction publique et le secteur privé.
3Quelques mois plus tôt, fin juin, l’UGFF-CGT a tenu son Congrès national. Le document préparatoire a exprimé une sévère critique de l’activité du mouvement syndical. À l’issue du Congrès, la direction est entièrement renouvelée. Un autre congrès se tient, en avril 1950, celui du Parti communiste ; il ne peut laisser indifférent le mouvement ouvrier et ses organisations. Dans son rapport, le secrétaire général évoque les « fautes opportunistes de ceux qui sont étonnés, surpris de la combativité des masses. Ces dirigeants ne dirigent rien. Ils se trouvent, sans perspective et sans ressort, à la queue du mouvement des masses. Ils ont peur de ces masses qui bousculent leurs petites habitudes et tranquillité ». Il dénonce aussi « certains communistes qui se sont laissés prendre au paternalisme des patrons ». Plus loin, il ajoute, citant Staline en 1925 : « L’influence réelle d’un parti se mesure aux actions qu’il est capable d’organiser et de diriger. » Maurice Thorez poursuit : « Par ses militants, membres du syndicat, la cellule doit aider les sections syndicales dans l’élaboration des revendications corporatives et dans l’organisation de la lutte pour les faire aboutir. » Lors de ce congrès, Georges Frischmann est élu au Comité central et Henri Gourdeaux à la Commission de contrôle financier. Dans la même période, le Congrès de la SFIO (26 au 29 mai 1950) donne des consignes très strictes pour que ses militants quittent la CGT et aillent militer à FO, afin qu’ils renforcent l’autorité de leur parti, parmi certaines couches de travailleurs. Les secrétaires des grandes fédérations ouvrières FO étant par ailleurs majoritairement socialistes participent à la commission ouvrière de la SFIO.
4Le Conseil national de La Fédération postale CGT se réuni en mai 1950. Dans le rapport d’activité, F. Piccot est amer : « Il n’est pas contestable que la masse des postiers, quoique forts mécontents, se refuse à l’action. Pourquoi refusent-ils d’entrer dans la bataille des 3000 F ? » se demande-t-il. Pourquoi le 25 novembre 1949, à l’appel de FO et de la CGT, 90 à 100 % des ouvriers ont cessé le travail et seulement 25 % dans les PTT ? Faut-il abandonner les reclassements et réformes qui ont été des erreurs disent certains. Mais, ç’eut été aussi une erreur que de rester en dehors de tout ce que la fonction publique préparait ; les postiers ne l’auraient pas compris. F. Piccot reste persuadé que « la Fédération des PTT a eu raison ou alors, il n’eut pas fallu choisir la voie du Statut général des fonctionnaires, mais celle de l’autonomie des PTT, ce qui aurait conduit à un statut particulier pour le personnel ».
5Le 13e Congrès de la Fédération postale CGT se déroule du 6 au 9 décembre 1950. 501 délégués y représentent 61797 adhérents âgés en moyenne de 34 ans. 393 délégués directs dont 44 femmes et dont 78 de moins de 25 ans. On compte 15 cadres, 141 agents, 117 employés, 120 techniques. Dans son rapport, F. Piccot fait le constat que depuis les deux derniers mois, les conditions de vie de la classe ouvrière se sont encore aggravées. Le projet de budget 1951 est un budget de préparation à la guerre et de la poursuite de l’intervention colonialiste de la France en Indochine ; sur 2525 milliards de dépenses, 740 milliards de crédits militaires auxquels il faut ajouter les crédits camouflés dans d’autres budgets, on peut dire que 1000 milliards iront à la guerre. Le monde du travail est appelé à faire les frais de l’opération, c’est le refus gouvernemental des revendications, c’est la diminution des dépenses civiles (traitements et retraites des fonctionnaires, crédits pour le fonctionnement et le développement de tous les services publics). « Étant ainsi mieux renseignés sur les causes de nos difficultés, nous pouvons mieux diriger notre action en attaquant les causes qui se trouvent dans la politique gouvernementale menée depuis plus de trois ans », affirme Piccot qui poursuit :
« Le 25 décembre prochain, le reclassement sera théoriquement terminé. Depuis la parution des décrets du 10 juillet 1948, nous avons dit ce que nous pensions du reclassement appliqué sans tenir compte de la fixation du minimum vital et du coefficient 120 % suivant le Statut général des fonctionnaires. Nous avons, au Congrès de 1948 et dans tous les conseils nationaux, condamné et dénoncé ce reclassement, œuvre du gouvernement destiné à diviser les fonctionnaires, à devenir la pomme de discorde entre les catégories. Cependant l’objectivité commande que nous examinions ce qu’a rapporté le reclassement aux postiers. »
6Et Piccot énumère, grade par grade, les gains indiciaires, il rappelle aussi l’action incessante de la Fédération postale en faveur du sort des auxiliaires.
7Abordant la question des luttes F. Piccot affirme : « Les postiers, comme tous les autres travailleurs, savent engager la lutte lorsqu’ils la veulent ; à nous de les y conduire en temps voulu. » Et manifestement c’est là que le bât blesse. Disons que l’appréciation « semi-positive du reclassement » ne correspond pas à ce que pense le personnel. Ce reclassement, trop étalé dans le temps, est loin d’être satisfaisant pour la fonction publique en général ; il est également source de division pour le personnel des PTT. F. Piccot poursuit : « Les explications ont manqué à une bonne compréhension des problèmes revendicatifs, incontestablement il faut lier les revendications les plus petites aux problèmes économiques et politiques, démontrer les causes du non-aboutissement des revendications. » Et il ajoute : « Si les différentes catégories doivent pouvoir exercer librement leur activité, il est indispensable de lier les revendications des catégories aux revendications générales qui restent les plus importantes. » Sur cette manière de faire F. Piccot reste inflexible. Le rapporteur aborde ensuite l’unité d’action. Il rappelle que les comités revendicatifs auxquels la CGT a appelé, dès juillet 1948 après que le contenu du reclassement ait été connu, ont été éphémères. Il évoque l’attitude de FO-PTT voulant l’unité avec tous sauf la CGT, la CFTC qui emboîte le pas de FO et qui écrit dans son journal : « L’unité d’action n’est pas un but pour nous, mais un moyen parfois efficace. Cette unité d’action devient un moyen dangereux, si elle est utilisée, non pour le but qu’elle se propose, mais pour le dépasser dans le sens d’une approbation de la doctrine marxiste et des moyens d’action pratiqués par la CGT communiste. » Enfin F. Piccot réitère ses critiques sur l’organisation et la direction fédérale. « Nous ne pouvons prétendre avoir de bonnes méthodes d’organisation, la vie syndicale marche au ralenti. Il nous faut corriger les défauts d’organisation et pas seulement incriminer sans raison fondée la structure fédérale. Un rapport spécial sur la structure a été élaboré. » Mais toujours selon le rapporteur, « la structure quelle qu’elle soit ne suffit pas à faire fonctionner l’organisation, ni même à arracher les revendications… Il faut nous garder de penser que tout sera résolu par une transformation des structures ». F. Piccot présente donc un rapport critique, non dénué parfois d’une certaine autocritique sur la démarche revendicative. Il devance des questions et soulève des désaccords apparus depuis quelques années. Le rapport présenté au conseil national de mai 1950 s’est posé des questions analogues, parfois sur un mode défensif.
8René Bontemps a présenté un rapport d’organisation, a proposé des changements de structures. Il s’agit de mettre l’organisation au plus près des postiers. Aussi est-il proposé de créer des sections nationales et départementales de catégories (ouvriers, employés, agents) qui existaient déjà sous le vocable de commissions techniques. Cela ne signifie pas pour autant la disparition du caractère fédéral de l’organisation ; la trésorerie fédérale demeure. Mais les congrès et les conseils nationaux devront permettre une meilleure expression des catégories. Il insiste sur les conditions à réaliser pour les militants, afin d’être à la hauteur de leur tâche de dirigeants du mouvement ouvrier.
9Georges Frischmann, délégué de la Seine-et-Oise, s’inscrit immédiatement dans le débat :
« L’importance capitale de ce Congrès implique pour nous d’aller au fond des choses, de parler net, de fouiller les recoins de notre passé, de notre activité, de corriger, de redresser ce qui est nécessaire sur l’orientation et l’organisation, de fixer surtout des perspectives claires qui aideront les postiers à se sortir des difficultés actuelles. L’orientation de la Fédération postale est mise en cause par les postiers des petites catégories sur le problème du reclassement et des traitements. Il faut donc aller au bout, beaucoup plus au fond que ne le fait le rapport publié dans le journal […]. On peut abreuver les postiers, aujourd’hui, de preuves que les indices relatifs sont en pourcentages égaux et même inférieurs à ceux de 1938. C’est le style même de l’argument technique qui cloue les bouches, mais qui ne résout rien. Nous nous sommes laissés manœuvrer par le gouvernement […], les postiers des petites catégories ont donc raison sur tous les points. Cette erreur fondamentale est une erreur opportuniste, car elle a conduit, en fait, à désarmer la masse des postiers les plus défavorisés contre l’État bourgeois et ses serviteurs les plus zélés […]. Je demande au Congrès de bien croire qu’il ne s’agit pas de viser plus particulièrement tel ou tel camarade du bureau, l’intérêt des postiers dépasse largement l’activité de tel ou tel. Il s’agit de se prononcer sur un travail collectif. Nous n’avons pas dénoncé clairement la nature exacte de ce reclassement, arme effroyable de division entre les mains d’un gouvernement réactionnaire, nous n’avons pas su modifier la ligne générale que nous suivions lorsque la présence de la classe ouvrière au gouvernement nous autorisait à fonder des espoirs réels en l’avenir […]. L’erreur datait du début de la discussion sur le reclassement, si nous avions mené la bataille sur le minimum vital, le statut des fonctionnaires était une base légale que nous n’avons pas exploitée à fond. »
10Cette critique peut interroger puisque tous les écrits de la Fédération postale et de son secrétaire général mettent toujours en avant l’application du Statut, du minimum de rémunération et la règle des 120 %. Mais rien n’était simple au lendemain de la Libération. Et le Résistant Fernand Piccot était incontestablement très soucieux du respect des institutions qu’il avait contribué, par la lutte, à redonner à son pays, aux fonctionnaires et aux postiers. Il avait participé de ce fait à de nombreux organismes et commissions paritaires ministérielles ; aussi devait-il être compliqué pour le syndicaliste Fernand Piccot, d’organiser et d’impulser la lutte des postiers. Et l’éviction des ministres communistes en mai 1947 a dû encore lui compliquer la tâche. De plus, la Fédération postale a été le champ de manœuvre de la scission syndicale dans la CGT. Et si Georges Frischmann est très critique sur l’action de la Fédération, il est également porteur de l’idée selon laquelle le statut des fonctionnaires doit seulement servir de référence au programme revendicatif PTT.
11Les autres intervenants ont des appréciations très diverses : on pourrait dire que les militants semblent pris en tenaille entre deux discours, reposant parfois sur des critiques fondées, en raison du manque de résultats significatifs ; d’autres critiques sont injustifiées car l’orientation fédérale de classe est bien réelle. Le reclassement occupe les débats, comme y invite le rapport introductif. On entend des critiques mesurées, car la scission de 1947 a affaibli la Fédération postale (Prudhomme). La revendication des 17500 francs n’a pas permis d’unir les catégories (Duprat) ; c’est l’UGFF qui est responsable selon Solari qui ajoute : « Il fallait se battre davantage sur les 120 % et le statut. » Hatton déplore la mollesse des autres fonctionnaires CGT ainsi que de FO et de la CFTC dans les PTT. Pour Delherbe, « il faut poser la question d’un gouvernement démocratique qui satisfasse nos revendications ; il y a les difficultés avec les autres fonctionnaires qui gênent le bureau fédéral PTT, un bureau dans lequel on constate l’absence totale de travail collectif ». Pour Leray, il y a eu confusion entre reclassement et revalorisation des salaires ; nous avons cru que le gouvernement appliquerait loyalement le reclassement et les 120 %. Au sujet de l’unité, il faut, dit-il, se débarrasser de certaines rancœurs, de notre intransigeance et sectarisme. Sautel, qui se prononce pour un syndicat national des cadres affilié à la Fédération postale, reconnaît que le reclassement est devenu une arme de division, y compris dans la direction fédérale. Mais pour Fleury, « il n’est pas juste de dire que la Fédération a abandonné à leur triste sort les plus défavorisés et que les difficultés rencontrées s’expliquent essentiellement par une mauvaise orientation fédérale » ; il considère comme urgent d’œuvrer pour une augmentation immédiate et substantielle à la base. Mallet constate un désintéressement de l’action syndicale : « Le responsable c’est le reclassement qui n’a presque rien apporté aux petites catégories, la Fédération n’a pas écouté la base. »
12Le problème fondamental n’est pas d’organisation mais d’orientation revendicative selon Joly qui demande une augmentation uniforme pour tous. Madame Guichon approuve en disant qu’elle est réservée sur la modification des statuts ; elle ajoute que si le travail dans la Fédération n’est pas collectif, la responsabilité, elle, est collective. Devaux s’insurge contre la presse et la radio qui affirment sans arrêt que la CGT est communiste et que Frischmann est le communiste type. Pour Serra, on verra plus tard ce qu’il en est pour la hiérarchie, il faut d’abord poser la revendication qui améliore la situation des petites catégories. Ferrez s’inquiète de la titularisation des auxiliaires, particulièrement les femmes, tandis que Germain pense que le Congrès ne parle pas assez des jeunes. Chignon déplore la faible représentation des femmes et affirme que celles-ci sont plus ouvertes sur l’unité. Gabaud le confirme : les problèmes des jeunes et des femmes sont très importants, car ils sont les plus exploités dans tous les domaines. Chrestia se dit surpris de l’animosité envers les cadres et déplore aussi le fait que le bureau fédéral ne tienne pas compte de ce qui se passe en province. Pour Guglielmi, il faut s’évader de la paralysie où nous a enfermé le reclassement ; pour Seguet revendication et paix sont intimement liées, mais il est difficile de parler de paix. D’autres interventions ont lieu sur les retraites, les affaires sociales, la situation en Algérie et au Maroc.
13Le samedi matin Leray présente le rapport sur la modification des statuts. Cette modification tiendra compte d’une nécessité exprimée par les délégués : le maintien de l’esprit fédéral et le rôle incontesté de direction et de responsabilité qui doit incomber au secrétariat, au bureau fédéral, à la Commission exécutive, dans le cadre des décisions de congrès. Le principe primordial de l’autorité fédérale est réaffirmé. Les sections nationales de catégories, réunies dans le cadre du Congrès fédéral, mettent au point leur cahier revendicatif en harmonisation avec le programme revendicatif fédéral. Quant aux cadres, le prochain conseil national examinera leur intégration dans la commission des agents ou des cadres supérieurs ; rien n’est tranché sur ce point en, raison de divergences. Le rapport de la commission des statuts est adopté à l’unanimité.
14Il revient à Georges Frischmann de présenter la résolution générale du Congrès :
« Il convient après la discussion du Congrès, de marquer fortement la nécessité d’imprimer à la Fédération postale un cours radicalement nouveau dans son programme revendicatif. La résolution fixe comme tâche immédiate la dénonciation du reclassement actuel et la nécessité absolue pour l’ensemble des petites catégories d’obtenir un reclassement général de leurs salaires et leurs traitements. Il convient de regarder en face le malaise qui existe dans les petites catégories les plus défavorisées. S’il n’y a pas de problème sur le principe, sur la mise en œuvre, le Congrès a été plus hésitant, il n’y a pas eu de propositions concrètes. En conséquence de quoi il convient de se saisir du paiement de la dernière tranche (une aumône) pour engager une vaste campagne d’éclaircissement et adopter la revendication suivante : jamais nous n’accepterons que la dernière tranche de reclassement soit inférieure à 4250 F par mois. Il s’agit de reprendre les accords signés dans la métallurgie qui comportent un salaire horaire de 80 F, qui justifient ce chiffre, et d’éviter qu’un nouveau décrochage soit opéré avec la classe ouvrière au détriment des fonctionnaires. Assurer une base de 17500 F, selon l’accord intervenu entre CGT-CFTC-FO à la commission des conventions collectives, chiffre augmenté de 20 % conformément au Statut qui assurera au plus petit traitement payé un montant net d’au moins de 21000 F par mois et de nous tenir là provisoirement. »
15Georges Frischmann ajoute qu’il ne s’agit pas « de lutter contre la hiérarchie, ni d’abandonner notre position fondamentale juste à cet égard, mais, dans la période actuelle, d’affirmer notre priorité aux plus défavorisés ». Une discussion s’engage reprenant les mêmes arguments et interrogations relatés dans la discussion générale. Cette résolution est votée par le Congrès moins trois abstentions. Le rapport revendicatif présenté par F. Piccot, dont est dissociée la proposition d’application des 17500 F, est adopté à l’unanimité.
16Les comptes rendus des commissions des catégories, qui se sont tenues la veille, sont faits par leurs rapporteurs. Pour les cadres supérieurs, la résolution appelle les cadres à s’unir pour soutenir la revendication : « Pas d’augmentation inférieure à 4250 F. » Et elle ajoute « qu’elle invite les cadres à utiliser toutes les formes possibles de luttes pour obtenir la hiérarchisation de cette augmentation ». Il s’ensuit une certaine confusion dans le Congrès, tous les cadres eux-mêmes n’étant pas d’accord sur la formulation. Pour les agents, l’urgence est l’amélioration du sort des auxiliaires, des petites et moyennes catégories : pas de tranche de reclassement inférieure à 4250 F. Pour cette catégorie, la meilleure façon de défendre la hiérarchie est de lutter contre la misère, permettre à ceux qui ont faim d’obtenir des salaires décents. Pour les techniques, il est proposé une action immédiate pour la revalorisation des traitements et salaires sur les bases fixées par le Congrès fédéral ainsi que la titularisation des auxiliaires. On notera que le chiffre de 4250 F n’est pas mentionné dans la résolution. Pour les employés ; il est réaffirmé la volonté inébranlable des employés de ne tolérer en aucun cas et sous quelque forme que ce soit la rupture de leurs parités externes avec les catégories homologues des douanes, de la police, des eaux et forêts, ce qui suppose les mêmes indices et leur complément, les indemnités. Rien n’est dit sur les 4250 F, les 17500 F, les 120 % ne sont pas non plus évoqués. La résolution concernant les jeunes reprend, quant à elle, les 4250 F, les 17500 F, les 120 % et l’échelle mobile.
17Le Congrès ratifie la nouvelle Commission exécutive. Le délégué régional cadre de Limoges s’est abstenu et les délégués du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont voté contre, le camarade Chaumerliac délégué de la région Alsace-Lorraine n’étant pas d’accord avec l’élection de G. Frischmann comme secrétaire général, en raison du fait qu’il vient d’être élu au Comité central du Parti communiste. Le compte rendu de la première réunion de la CE pendant le Congrès est fait par J. Abadie. Cette réunion a débuté sur une intervention de F. Piccot qui a déclaré ne pas se présenter à nouveau, au poste de secrétaire général, car
« il est nécessaire dans la situation actuelle, devant les décisions du Congrès, de donner un grand coup dans la corporation, de mobiliser la masse des postiers dans la lutte pour les revendications des petites catégories. Il faut mettre en place à la tête de la Fédération les camarades les plus aptes à mener ce combat. Notre camarade a donc fait les propositions suivantes au titre de secrétaire général, un jeune camarade qui, depuis des années, s’est imposé dans la lutte, qui a gravi successivement et rapidement divers échelons de la hiérarchie syndicale, qui s’est affirmé dans ce Congrès comme un grand militant, celui qui a su nous faire sentir à tous ce qui n’allait pas, à telle enseigne que pendant son intervention, nous nous disions “mais oui il a raison, c’est ce que nous pensions sans savoir le formuler”, celui-là mérite de diriger notre Fédération, j’ai nommé Georges Frischmann ».
18Henri Raynaud, secrétaire de la CGT conclut les travaux du Congrès :
« La discussion a été très large, grâce à l’orientation donnée dès le départ par votre actuel secrétaire général. Quant à la direction que vous venez d’élire, je vous avoue qu’à mon avis, elle est de loin la meilleure des directions que vous pouviez désigner. La direction confédérale approuve sans réserve l’audace dont vous faites preuve en mettant à la direction de votre Fédération, un élément nouveau, dynamique, solide comme le roc, qui vous mènera à la victoire. »
19On notera que le secrétaire de la CGT n’a pas un mot pour saluer le départ de Fernand Piccot alors qu’il ne tarit pas d’éloges sur l’arrivée de Georges Frischmann.
20La réaction de la Fédération FO-PTT sur le Congrès est exprimée dans son journal, PTT Syndicaliste en décembre 1950. L’éditorial « Démission du pouvoir » commence ainsi : « La Fédération syndicaliste des PTT a toujours affirmé qu’elle se refusait résolument à l’unité d’action avec la CGT communiste. » Le rédacteur s’en prend alors à l’État, à ses représentants qu’il accuse de ne pas mener le combat contre le Parti communiste, ce fléau, et la CGT, ces gens du Kominform. Il énumère tout l’arsenal juridique et administratif qui permettrait de ramener rapidement le PC à de plus justes proportions et termine en ces termes : « Quoi qu’il en soit, quoi qu’il arrive, la tâche que le syndicalisme libre a entreprise dans ce domaine sera menée jusqu’au bout et sans faiblesse. » Concernant plus précisément le Congrès de la Fédération CGT-PTT, on y lit cette anthologie à propos du nouveau bureau fédéral :
« Le Kominform a procédé à un certain nombre d’exécutions. Les victimes ? Les syndicalo-communistes qui n’ont pas réussi dans leur tâche de désagrégation de l’administration des PTT, Piccot, Planès, Lloubes, Magot, Paoli sont limogés. Où est le temps de Limoges ? Les mous seront remplacés par des durs, triés soigneusement sur le volet, leur chef de file offrira toutes les garanties : Frischmann, secrétaire général, est membre du Comité central du Parti communiste. Il n’y a plus d’intermédiaire entre le PC et sa filiale. Le masque n’est même plus nécessaire ! La soumission au parti russe est affichée. »
L’après-Congrès, la difficulté d’organiser les luttes
21Pour preuve, dans son intervention devant le Conseil national des 4 et 5 juillet 1951, Georges Frischmann demande l’examen de ce que
« nous avons fait pour entraîner les postiers à la lutte contre la guerre et contre la misère, ce qui a dominé notre activité : la lutte pour la revalorisation des traitements, tâche urgente devant la chute libre du pouvoir d’achat. Concernant l’immense malaise du reclassement, l’accueil est chaleureux partout où il y a explication, souvent amertume telle que nous constatons un manque de confiance dans le tournant pris par la Fédération. Le Congrès avait cherché une solution, mais disons que le 13e Congrès n’a pas assez dénoncé un mal qui règne encore dans la Fédération, on a perdu l’habitude de la démocratie syndicale, il faudra s’y réhabituer et vite. Écouter la base, discuter avec elle et monter une revendication pour parvenir à “pas de tranche inférieure à 4250 F” ».
22Notre objectif était de faire connaître les travaux du Congrès de 1950 de la Fédération postale. Des témoignages seront sans doute utiles pour parvenir à une analyse plus riche. On peut cependant affirmer que ce Congrès a été un tournant dans la corporation des PTT et dans la Fédération CGT. Si, lors du Conseil national de mai 1950, F. Piccot a émis de nombreuses critiques en matière d’organisation et d’orientation revendicative, avec l’équipe dirigeante en place, les réponses et les solutions apportées n’ont pas été satisfaisantes. La situation sociale et économique, politique et syndicale – scission syndicale avérée, tentative d’isolement du Parti communiste, tandis que le Parti socialiste et les forces de droite collaboraient régulièrement – il fallait beaucoup plus, un véritable électrochoc. Dans cette situation, ce Congrès de la Fédération postale peut être considéré comme un important tournant, même si tout n’a pas été débloqué par la suite. Il a apporté un souffle nouveau, la promotion de militants jeunes et actifs. Cela ne s’est pas fait sans interrogations, sans un certain malaise à l’égard du départ de certains résistants, comme Fernand Piccot. Ce souffle nouveau, nous le retrouvons dans le programme revendicatif, dans le rôle accru des collectifs de catégories. La réforme des structures permettra d’enraciner de nouvelles pratiques qui marqueront pendant une cinquantaine d’années la Fédération CGT des PTT. Enfin, on peut constater que les liens entre la CGT et le PC demeurent forts. FO et la SFIO ne sont pas en reste, ils continueront, de concert, à tenter de freiner les luttes durant quelques années, mais la grève d’août 1953 va fort heureusement « chambouler » le paysage social de notre pays1.
Notes de bas de page
1 Ont été consultés pour la rédaction de ce texte : les comptes rendus in extenso des comptes rendus des Congrès de 1948 et 1950 ainsi que des conseils nationaux de 1950 et 1951 ; les journaux fédéraux (1946-1951) ; La Vie ouvrière (1950) ; Les Cahiers du communisme, n° 5, mai 1950 ; René Bidouze, Les fonctionnaires sujets ou citoyens, Paris, Éditions sociales, 1979 et 1981 ; Benoît Frachon, Au rythme des jours. 1944-1954, Paris, Éditions sociales, 1973 ; Serge Lottier, « La Fédération CGT des PTT et l’affrontement de classe en 1947 », supplément à La Fédération des Postes et télécommunications, n° 395, avril 1998 ; R. Guiraud, A. Meyer, M. Tacet, « 1900-1974, chronique du mouvement social dans les PTT en Loire-Atlantique », Éditions du Centre d’histoire du travail, 1999 ; CCEI-IHS-CGT, CGT approches historiques, 1988 ; Jacques Chastenet, Cent ans de République, Paris, Éditions Tallandier, 1970 ; Le Populaire, (1947-1948) ; Auguste Lecoeur « Le travail du Parti aux entreprises », Les conférences éducatives du PCF, n° 1, 1re série, 1951.
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