Chapitre 11. Musset
p. 147-154
Texte intégral
1Alfred de Musset fut applaudi à dix-huit ans, pour ses jeux virtuoses des Contes d’Espagne et d’Italie, puis tenu à l’écart du clan romantique, une fois qu’on eut compris que son habileté cachait beaucoup d’impertinente désinvolture. Plus tard, sous le second Empire, ses grands poèmes d’amour devinrent des œuvres cultes pour la jeunesse des écoles, qui s’enivrait de leur éloquence flamboyante mais sincère.
2Mais cette assomption fut éphémère. En quelques formules méprisantes, Rimbaud liquide l’héritage de Musset, dans sa « Lettre du Voyant » (15 mai 1871) : « Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, – que sa paresse d’ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes fadasses ! ô les nuits ! ô Rolla, ô Namouna, ô la Coupe ! tout est français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré […] Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque ; tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d’un carnet. À quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut […] Musset n’a rien su faire : il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. »
3Pour beaucoup de jeunes poètes, Musset sert désormais de repoussoir, archétype détestable du poète bavard et larmoyant, indigne du nom d’artiste. Aujourd’hui, on ne lit plus guère ses poèmes, sinon avec une curiosité teintée de condescendance. En revanche, son théâtre, si mal compris au temps de sa publication, est considéré comme l’une des réussites les plus incontestables de notre tradition dramatique, et comme l’un des très rares à mériter de survivre au naufrage de la production romantique.
4Il est bien possible que, demain, l’attention de la critique se porte sur les nouvelles subtiles et légères de Musset. De fait, un charme incontestable émane de son œuvre diverse, sans que le lecteur puisse toujours en déterminer la nature ni l’origine textuelle. L’impression mêlée de force et de fragilité qui en découle ajoute, paradoxalement, à la modernité d’un projet littéraire qui, malgré un ton faussement classique et les critiques de ses détracteurs, procède d’une définition rigoureuse et exigeante de la poétique – comparable, dans son esprit sinon dans ses conséquences formelles, à la démarche d’un Baudelaire.
La vie dilapidée d’un enfant prodige
5Alfred, né en 1810, fut un enfant choyé, heureux au milieu de ses parents, admiré pour les talents précoces qu’il révèle au cours de ses études – notamment par son frère Paul qui, tout en faisant une honnête carrière de romancier, gardera sur lui un œil protecteur. Quant à son père, de petite mais bonne noblesse, il a été lui-même un auteur et l’éditeur des œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau. Le jeune homme fut ainsi élevé dans un milieu protégé et propice à l’éveil de la sensibilité littéraire. Il n’est pas interdit d’imaginer que sa fragilité psychologique ait trouvé ses origines dans ce cocon trop douillet, ni que la mort prématurée du père, pendant l’épidémie de choléra de 1832, en ait accentué les manifestations.
6Parmi les romantiques, Musset est en outre un des seuls vrais Parisiens, familier dès l’enfance de l’aristocratique Saint-Germain et du Quartier latin. La capitale ne saurait donc être pour lui, comme dans La Comédie humaine, un mythe de formation ; il ne dispose pas non plus d’une province qui puisse structurer et cristalliser son imaginaire personnel, comme la Bretagne de Chateaubriand, la Touraine de Balzac, la Bourgogne de Lamartine ; d’où la fantaisie abstraite et joyeusement artificielle de ses descriptions et de ses paysages.
7Après de brillantes études secondaires, Musset, reçu chez Victor Hugo, fait ses premiers pas dans le monde littéraire. En 1829, ses Contes d’Espagne et d’Italie étourdissent par leur virtuosité et ravissent, pour un temps, les romantiques : assurément, un versificateur si doué pour l’impertinence formelle devait être un adversaire du classicisme. Ce premier malentendu laissera des traces dans le clan des novateurs, qui pardonnera mal d’avoir été déçu. Le fossé s’élargit en 1830, lorsque Musset fait représenter sa première pièce à l’Odéon, La Nuit vénitienne. Bien sûr, les classiques font mauvais accueil à ce trouble marivaudage ; mais les partisans de Victor Hugo n’acceptent pas mieux ce théâtre délicat, qui prend le contre-pied de leur esthétique mélodramatique. Après une seule représentation, Musset, blessé à vif, retire sa pièce et renonce pour longtemps à la scène : toutes ses œuvres dramatiques seront désormais destinées à la lecture, en revue ou en recueil, sous les titres d’Un spectacle dans un fauteuil (1832 et 1834) et de Comédies et Proverbes (1840,1850).
8Musset ne se mêle d’ailleurs pas vraiment au milieu romantique : il n’apprécie guère l’embrigadement de jeunes enthousiasmes qu’impose le culte de Victor Hugo, et préfère la compagnie de la jeunesse dorée qui mène à grands frais une vie divertissante mais dissolue. En fait, il a choisi d’être mondain plutôt qu’artiste : aussi restera-t-il toujours un poète isolé parmi les siens. Cette existence débridée prend aussi la forme de ce qu’on appelle alors la débauche : le recours aux plaisirs faciles de la prostitution et, surtout, l’alcool. Très tôt, Musset a pris le goût de boire avec excès et d’entretenir une exaltation artificielle qui favorise à la fois l’éclat et les incohérences de ses longs poèmes. Il traversait ainsi des phases de folie alcoolique auxquelles succédaient, aux dires mêmes de son frère, des périodes de prostration morbide.
9En 1833, c’est encore le Musset flamboyant qui l’emporte. Au mois d’août, son poème Rolla connaît un succès extraordinaire et constitue en effet l’un de ses textes les plus inspirés : un jeune débauché, las de vivre, y meurt après-avoir connu l’amour vrai auprès d’une fille prostituée par sa mère. Car l’amour est le grand thème de son œuvre, et l’occupation principale de sa vie. De 1833 à 1835, il entretient une liaison passionnée et violente avec George Sand, dont l’épisode le plus célèbre reste le séjour à Venise où le poète, déjà malade de ses excès, voit sa maîtresse s’éloigner de lui et trouver réconfort auprès de son médecin Pagello. Peu importent le détail de l’intrigue et les aventures annexes qui viennent brouiller la grande histoire d’amour. Il est sûr que, tout au long des années 1830, Musset s’est efforcé de contrarier par d’épisodiques élancements amoureux l’affaissement physique et moral. C’est l’époque où son éloquence du cœur se déploie dans des œuvres particulièrement ambitieuses et soutenues : pour la poésie, la série des Nuits (1835-1837), la Lettre à Monsieur de Lamartine (1836). L’Espoir en Dieu (1838) ; au théâtre, Les Caprices de Marianne (1833). Lorenzaccio (1834), On ne badine pas avec l’amour (1834) ; en prose narrative, La Confession d’un enfant du siècle (1836), sans compter les nouvelles qui paraissent de temps à autre dans la Revue des Deux-Mondes.
10Mais la maladie creuse son sillon ; l’homme est de plus en plus souvent abattu, fatigué et désabusé. Sa vie est désormais scandée par les troubles cardiaques et les crises d’alcoolisme. Son œuvre, plus rare et terne, s’en ressent. Arrive déjà le temps des bilans et des nostalgies : en 1840, il publie une première édition de ses Poésies complètes, qu’il augmente et refond en 1852 (sous le double litre Premières Poésies et Poésies nouvelles). À partir de 1847, il fait assez figure de classique pour faire jouer ses pièces à la Comédie-Française, avec quelque succès. Mais il ne publie plus guère et son délabrement physique est profond. Il meurt le 2 mai 1857, à l’âge de quarante-six ans.
Scepticisme et désinvolture
11Il ne faut pas se laisser prendre à la frivolité prétendue de l’écriture. Musset appartient à la famille des mélancoliques. Il est convaincu que le ressort de l’Histoire s’est jadis rompu et qu’il n’est définitivement plus temps d’espérer, de pérorer, de revendiquer. Sur ce point, on peut le comparer à Flaubert et à Gautier, mais en plus désespéré. Car il n’a, à aucun moment, tiré une quelconque consolation d’une rêverie esthétique, politique ou mystique : il est né écrivain en pensant d’emblée qu’il ne fallait rien attendre de la philosophie ni de la littérature. Même les intrigues de ses pièces à décor historique se situent dans des royaumes de fantaisie, où des personnages fantomatiques agissent au gré de leurs caprices amoureux ou de leurs désespoirs d’après boire : cette étrange déshistoricisation du passé n’est pas le moindre charme de son théâtre, pour le public d’aujourd’hui.
12La critique de Musset ne vise pas seulement la vie politique – ses acteurs ou ses théoriciens de tout poil. Elle concerne aussi, et peut-être prioritairement, les entreprises et les formes littéraires qui ont pour effet, de cacher aux hommes l’insignifiance de leur existence. Sur ce plan, ses cibles principales sont la presse et le roman. Dans son poème « Sur la paresse », il attaque pêle-mêle « le Seigneur Journalisme et ses pantalonnades », « le règne du papier, l’abus de l’écriture », « nos livres mort-nés, nos poussives chimères ». Sans doute regrette-t-il, comme d’autres, l’intrusion du commerce et de la rentabilité, la superficialité des modes. Mais, plus profondément, il reproche à la culture imprimée l’obligation de noircir des pages, alors même qu’il n’y a rien à dire : le journaliste qui remplit ses colonnes, le romancier qui échafaude, son récit sont contraints, par fonction, d’intéresser à de faux enjeux. La poésie, elle, a l’immense mérite, selon le narrateur de Namouna, d’afficher son inutilité :
« J’aime surtout les vers, cette langue immortelle.
C’est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas.
Mais je l’aime à la rage. Elle a cela pour elle
Que les mots d’aucun temps n’en ont pu faire cas. »
13Boccace, que Musset entreprend d’adapter dans Simone, est grand écrivain précisément parce qu’il a consacré son œuvre à ne rien raconter :
« Croyez-vous qu’elle [l’âme de Boccace] n’eût pu faire
Un roman comme Scudéry ?
Elle aima mieux mettre en lumière
Une larme qui lui fût chère.
Un bon mot dont elle avait ri.
Et ceux qui lisaient son doux livre
Pouvaient passer pour connaisseurs. »
14Toute recherche d’expressivité est par elle-même fautive, parce qu’elle donne relief et volume à ce qui est, dans les faits, désespérément vide. Musset théorise ainsi ce que Barthes appellera le « degré zéro de l’écriture », dans une formule magistrale de la « Quatrième lettre de Dupuis et Colonel » (1837) : « Bornons-nous à reconnaître, sans le juger, un fait incontestable, et tâchons de parler simplement à propos de simplicité : il n’y a plus, en France, de préjugés. »« Préjugés » : on dirait, aujourd’hui, principes, idéaux ou idéologies. Le rimeur impertinent de la « Ballade a la lune » prône donc désormais une poétique de la simplicité et de la neutralité, conforme à l’atonie du monde réel.
15Sur ce point, il s’oppose frontalement à l’esthétique romantique, du moins telle que la conçoit et la met en œuvre Victor Hugo. Dans sa « Première lettre de Dupuis et Cotonet » (1836), il réduit ironiquement le romantisme à l’excès d’adjectifs, qui révèlerait le besoin irrépressible d’en faire trop : « […] le romantisme consiste à employer tous ces adjectifs, et non autre chose. » Tout en refusant aussi les préceptes encombrants de la rhétorique traditionnelle, Musset évolue vers le vieux dogme classique de la mesure et de la discrétion. Enfin, il adopte une attitude distanciée à l’égard de toute mise en forme esthétique et, en particulier, des contraintes génériques. Peu importe si, à la fin de Namouna, il s’aperçoit que ses digressions lui ont fait perdre le fil d’une histoire que, en réalité, il n’a jamais eu l’intention d’écrire :
« Mais j’ai dit que l’histoire existait, – la voilà.
Puisqu’en son temps et lieu je n’ai pas pu l’écrire,
Je vais la raconter ; l’écrira qui voudra. »
16Sa poésie, selon les inflexions de la rêverie de l’auteur, suit un cours sinueux, imprévisible, où le plaisir de bavarder l’emporte sur le souci de construire. Son apparence logorrhéique et invertébrée, parfois à la limite du prosaïsme, a pu passer pour un défaut d’ambition et de rigueur. Flaubert ne le lui a pas pardonné : « Personne n’a fait de plus beaux fragments que Musset, mais rien que des fragments ; pas une œuvre ! Son inspiration est toujours trop personnelle, elle sent le terroir, le Parisien, le gentilhomme ; il a à la fois le sous-pied tendu et la poitrine débraillée. Charmant poète, d’accord ; mais grand, non ! » (lettre à Louise Colet, 23 septembre 1852).
17Pourtant, cette nonchalance charmeuse – qui correspond, on l’a vu, à une authentique ascèse de l’écriture – a permis d’inventer une forme nouvelle de théâtre. En effet, le drame bute à cette époque sur deux obstacles : l’intrigue y est grossièrement charpentée par une succession de coups de théâtre et le dialogue est saturé de répliques cinglantes et sonores – des « mots d’auteur ». Au contraire, les personnages de Musset poursuivent sur un ton de bonne compagnie des conversations alanguies ou amusées, sans paraître se soucier de l’effet à produire. Les dialogues, en vers ou en prose, sont écrits avec beaucoup de finesse, de lyrisme ou de fantaisie ; mais ils ne sont pas, au sens où on l’entendait au xixe siècle, des textes de théâtre. Au drame, Musset préfère d’ailleurs les genres apparemment mineurs : la comédie en deux, trois ou quatre actes, et le proverbe, à l’imitation des Proverbes de Carmontelle, qu’appréciait son grand-père.
18Avec lui, la poésie confine donc à la prose, le théâtre à la confidence intime, la nouvelle à l’anecdote sentimentale. Son originalité réside en ceci que l’écriture se situe toujours en deçà de ce que la convention générique faisait attendre – ou plutôt, à mi-chemin entre l’art littéraire et le langage conversationnel, dans un ailleurs dont l’allure aristocratique a fait méconnaître la radicalité.
L’écrivain de l’amour
19Puisque tout est insignifiant (la philosophie, l’histoire, l’art), il ne reste à l’homme que l’amour :
« Ce que l’homme ici-bas appelle le génie,
C’est le besoin d’aimer, hors de là tout est vain. »
(« À la Malibran »)
20Non que l’amour soit plus vrai ou plus substantiel que toute autre chose. Mais, aussi illusoire soit-il, on ne peut nier les émotions intenses qu’il procure à celui ou à celle qui l’éprouve et qui suspendent, au moins provisoirement, la question du sens. Aussi faut-il remercier même la femme oublieuse ou infidèle :
« Poète, c’est assez. Auprès d’une infidèle,
Quand ton illusion n’aurait duré qu’un jour,
N’outrage pas ce jour lorsque tu paries d’elle ;
Si tu veux être aimé, respecte ton amour […]
Dans ses larmes, crois-moi, tout n’était pas mensonge.
Quand tout l’aurait été, plains-la ! Tu sais aimer. »
(« La Nuit d’octobre »)
21Balzac, Lamartine, Hugo ont, eux aussi, accordé une place centrale au sentiment amoureux, mais en lui supposant la vertu propédeutique de mettre l’homme en relation avec quelque vérité éternelle. Musset sait que l’amour n’est rien d’autre qu’un sentiment passager, et toute son œuvre est vouée à en décrire les phases :
« Sachez-le, c’est le cœur qui parle et qui soupire Lorsque la main écrit, c’est le cœur qui se fond. »
22On s’est souvent moqué de l’image du poète-pélican (« La Nuit de mai »), parce qu’on la comprend mal. Si l’écrivain offre comme l’oiseau ses entrailles en pâture à son public, c’est peut-être par vocation sacrificielle, mais surtout parce qu’il n’a strictement rien de plus ragoûtant à lui offrir : redonnons du moins à la fable sa valeur ironique.
23Sur ce point encore, Musset prend son siècle à rebrousse-poil. Alors qu’une génération d’écrivains nés vers 1820 (Flaubert, Baudelaire...) mettra son point d’honneur à se tenir à distance artistique de l’effusion sentimentale des romantiques, il déclare de son côté haïr, dans la « Dédicace » de La Coupe et les Lèvres,
« […] Les pleurards, les rêveurs à nacelles,
Les amants de la nuit, des lacs, des cascatelles,
Cette engeance sans nom, qui ne peut faire un pas
Sans s’inonder de vers, de pleurs et d’agendas. »
24Mais il met au rebut l’attirail inutile du romanesque pour mieux dire, sérieusement et exclusivement, la vie du cœur :
« De ton cœur ou de toi lequel est le poète ?
C’est ton cœur… »
(« La Nuit d’août »)
25Puisque la littérature naît de l’amour, celui-ci doit valoir plus que celle-là : l’écrivain s’humilie devant l’homme aimant, et, dans chacun, de ses textes, Musset réitère cet acte d’allégeance. Il sait bien, pourtant, que l’amour est une belle hallucination, semblable à celles que suscitent l’ivresse et la fête. L’amour ou la débauche ? Inspiré sans doute par ses propres obsessions de viveur, qu’on trouve aussi dans La Confession d’un enfant du siècle, il revient toujours à ce dilemme et l’illustre par la figure, pathologique et tragique, du double, où l’amoureux et le séducteur se complètent, en s’opposant : le prince d’Eysenach et Razetta (La Nuit vénitienne), André del Sarto et Cordiani (André del Sarto), Cœlio et Octave (Les Caprices de Marianne), Fortunio et Clavaroche (Le Chandelier), etc. Le procédé du dédoublement peut aussi concerner les femmes : Ninon et Ninette (À quoi rêvent les jeunes filles ?), Deidamia et Belcolore (La Coupe et les Lèvres), Camille et Rosette (On ne badine pas avec l’amour).
Une esthétique du discontinu
26La matière dramaturgique du théâtre de Musset est donc très simple et vise à la stylisation : un personnage hésite entre deux voies et laisse les circonstances, heureuses ou funestes, décider pour lui. Il ne s’agit pas d’approfondir des psychologies, mais d’esquisser en quelques traits un conte, de suggérer une morale, puis de fondre l’ensemble dans un décor irréel et poétique.
27Dans la vie de tous les jours, ce n’est pas davantage la durée qui importe, mais quelques instants d’émotion fugace. Comme écrivain, Musset semble s’être donné pour mission de donner forme et voix à ces moments privilégiés de la pensée. Aussi se garde-t-il bien de composer une œuvre ; au contraire, fidèle à son esthétique du discontinu, il veille, comme le note Flaubert, à n’écrire que des fragments, délestant ses textes des liaisons inutiles et artificielles qu’implique la recherche de cohérence.
28Tous les commentateurs ont noté les ruptures narratives ou discursives, voire grammaticales, qui émaillent les poèmes ou les pièces de Musset. Les plus médisants les ont attribuées à son ébriété ; ainsi de Sainte-Beuve, cette remarque publiée dans Mes poisons : « La plupart des compositions ou même des pièces de Musset n’ont ni queue ni tête ; entre le commencement et la fin des choses, même les plus courtes qu’il ait faites, on sent qu’il y a toujours une saoulerie. » Mais cet inaboutissement est d’emblée impliqué par une poétique dont l’objet fut d’« éterniser peut-être un rêve d’un instant » (« Impromptu en réponse à cette question : qu’est-ce que la poésie ? ») et qui produisit des pages d’un lyrisme inégalable.
29Le théâtre de Musset est à l’image de son univers, intérieur. Des êtres, rêveurs mais délicats, s’y croisent ; les tableaux se succèdent – halos de lumière, de fantaisie ou de mystère – ; des crimes s’y commettent presque par étourderie, sans jamais briser le charme poétique d’une ombre d’intrigue. Enfin, les pièces s’achèvent sur des mots guère plus définitifs que le reste des dialogues, puisqu’il faut bien que continue le triste cours de la vie humaine. Comme le conclut le marquis dans L’Âne et le Ruisseau, – la dernière œuvre théâtrale de Musset : « Allons, tâchons de nous consoler de tout le chagrin que nous nous sommes fait. »
Bibliographie
Bibliographie
• Éditions
Œuvres complètes, M. Allem éd., Paris, Gallimard, 1957-1960, 3 vol.
Correspondance, t. I, L. Chotard, M. Cordroc’h et R. Pierrot éds, Paris, PUF, 1985.
• Biographies
J. Pommier, Autour du drame de Venise, Paris, Nizet, 1958.
M. Toesca, Alfred de Musset ou l’Amour de la mort, Paris, Hachette, 1970.
• Études d’ensemble et ouvrages de synthèse
P. Gastinel, Le Romantisme d’Alfred de Musset, Paris, Hachette, 1933.
H. Lefebvre, Musset, Paris, L’Arche, 1970.
P. Van Tieghem, Musset, l’homme et l’œuvre, Paris, Hatier, 1969.
• Sélection de travaux critiques
Alfred de Musset, poésies, Paris, SEDES, 1995.
A. Heyvaert, L’Esthétique de Musset, Paris, SEDES, 1996.
L. Lafoscade, Le Théâtre d’Alfred de Musset, Paris, Hachette, 1901.
Y. Lainey, Musset ou la Difficulté d’aimer, Paris, SEDES, 1978.
B. Masson, Théâtre, et Langage. Essai sur le dialogue dans les comédies de Musset, Paris, Minard, 1977.
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Histoire de la littérature française du XVIe siècle
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