Le pèlerinage à Solutré
Entre rituel privé et rituel public, la territorialisation de la geste et de la mémoire mitterrandiennes
p. 217-232
Texte intégral
1Solutré est l’un des cinq lieux cités par François Mitterrand dans Ma part de vérité pour exprimer son attachement au territoire français, avec le Ventoux, le Beuvray, la Loire et l’Aigoual1. À ses yeux, ils constituaient des repères plus saillants que les scansions électorales de sa vie politique. Ne confiait-il pas au soir de sa vie : « La géographie pesait aussi lourd dans mon esprit que l’histoire. C’est une référence à laquelle je tiens2 ? » Site préhistorique au cœur de la Bourgogne, la roche de Solutré surplombe de 495 mètres le vignoble de Pouilly et la vallée de la Saône. De 1946 à 1995, chaque année, François Mitterrand a gravi cette roche à Pâques, puis à la Pentecôte, en compagnie de membres de sa famille et d’amis. Qualifiée de pèlerinage par ses commentateurs, cette ascension constitua d’abord et longtemps un rituel privé, avec la famille Gouze auprès de laquelle il trouva refuge pendant les années sombres, en souvenir de leur passé résistant3. Puis, François Mitterrand la transmuta en rituel public de la mitterrandie, à partir de 1976 et surtout de mai 1981, en conjuguant un entourage savamment composé avec une exposition médiatique présidentielle, avant de redevenir un rituel militant, voire amical, après sa mort.
2Or ce pèlerinage n’est pas le fruit d’une culture politique spécifique, en l’occurrence de gauche, comme la station devant le mur des fédérés lors du défilé du 1er mai par exemple4. Comme le soulignait déjà Marc Abélès dans Anthropologie de l’État, avec Solutré, il s’agit en effet de « la production symbolique d’un lieu exemplaire » que François Mitterrand a en quelque sorte inventé5. L’ancrage territorial est nécessaire à l’homme politique qui tire une légitimité de sa « terre d’élection », mais Solutré, en l’occurrence, est situé en Saône-et-Loire et pas dans sa circonscription de la Nièvre. Comparé à son fief de Château-Chinon, le site conférerait donc une dimension supplémentaire à l’image de François Mitterrand.
3Pourquoi et comment François Mitterrand a-t-il inventé et pérennisé ce rituel de Solutré ? Quelles ressources ce site recélait-il pour lui et, réciproquement, qu’est-ce que le président lui a apporté ? Nous verrons tout d’abord que Solutré lui permet de recomposer son histoire tout en s’inscrivant dans l’Histoire, puis que le rituel a joué un rôle dans la personnalisation du pouvoir au PS ainsi que dans la présidentialisation du régime, avant d’analyser la « mitterrandisation » de ce territoire grâce à ce lieu de mémoire.
Un haut lieu chargé d’histoire(s)
4« Véritable symbole du Sud-Mâconnais, aux confins du Beaujolais et au sein du cru Pouilly-Fuissé, la Roche de Solutré s’observe depuis la Bresse, de Bourg à Mâcon. Ce superbe escarpement calcaire, à la silhouette élancée au profil de Sphinx, est l’un des hauts-lieux de la préhistoire en France6 », telle est la description que l’on trouve dans le Guide Michelin. Très loin des oscillations brèves du temps politique, aurait dit Fernand Braudel, le lieu entraîne ceux qui entreprennent son ascension dans la longue durée. Pour autant, il renvoie aussi aux années sombres de l’Occupation, puisque ce fut avec sa belle-famille Gouze et d’autres compagnons de la Résistance que François Mitterrand décida, en avril 1946, qu’ils le graviraient ensemble, chaque année, à Pâques, puis, « fatigués d’affronter les giboulées pascales », à la Pentecôte7. De l’ego-histoire, l’ascension annuelle de Solutré, qui se veut un geste mémoriel, permet de passer à l’Histoire.
Un rite résistancialiste ?
5En 1982, le beau-frère de François Mitterrand, Roger Gouze, raconta dans Les miroirs parallèles, les origines du rendez-vous familial, couchant ainsi sur le papier, pour la première fois, la version officielle distillée jusque-là par bribes aux journalistes8. Sous l’Occupation, les parents de Roger, Christine et Danielle Gouze avaient hébergé nombre de résistants, dont Henri Frenay9 et Bertie Albrecht, ainsi que Morland, pseudonyme de Mitterrand, le chef du RNPG10, recherché par la Gestapo au début de l’année 1944. Il y rencontra sa future épouse11. Les trois enfants Gouze s’étaient eux-mêmes engagés et rappelons que Danielle était légitimement fière de sa décoration au titre de la Résistance. À Pâques 1946, ils se retrouvèrent dans la maison familiale à Cluny puis, avec quelques amis, gravirent la Roche de Solutré. Roger Gouze témoigne ainsi :
« Nous fîmes en ce mois d’avril 1946, ce que nous nommons aujourd’hui avec un humour attendri “le serment de Solutré”, selon lequel nous nous retrouverions, les trois enfants Gouze, leurs alliés et leurs amis12, chaque année à Pâques pour un repas – dirais-je une communion ? – qui suivrait l’escalade de la Roche. Nous n’y avons jamais failli13. »
6Dans le contexte résistancialiste de l’époque, où il s’agit non seulement de lutter contre l’oubli, mais aussi de faire valoir les droits et revendications de ceux qui avaient souffert de leur engagement dans la Résistance, cette commémoration – même intime – d’un combat commun ne surprend guère. Comme l’ont montré Éric Duhamel et plus récemment Jean Vigreux, au lendemain de la guerre, il s’agit pour François Mitterrand d’éviter que la mémoire de la Résistance ne soit monopolisée par les communistes et les gaullistes14. Il dirige le MNPGD15 et sa liste d’Action et d’Unité républicaine aux législatives de novembre 1946 dans la Nièvre va dans ce sens. Mitterrand doit, en outre, faire passer – à défaut de le faire oublier – son ralliement à Vichy qui lui valut d’être décoré de la francisque en 1943. C’est à cette fin que, dans la Nièvre, il œuvre à la réhabilitation de Montsauche ou rend hommage aux martyrs de Dun-les-Places, « l’Oradour nivernais », chaque 26 juin16. Mais tant que Solutré demeure un rituel privé, il ne fait pas l’objet de cet usage politique du passé17. D’autres lieux y pourvoient.
7Même lors de la campagne présidentielle de 1965, alors que François Mitterrand, candidat unique de la gauche, affronte le général de Gaulle, Solutré reste dans l’ombre. En 1969, dans l’extrait déjà évoqué de Ma part de vérité, il fait une allusion à la Roche comme étant un « point de repère » parmi d’autres et ne dit rien de sa promenade annuelle. Premier secrétaire du parti issu d’Épinay, en juin 1973, dans L’Unité, le journal mitterrandien dirigé par Claude Estier, il décrit son ascension cinq jours plus tôt et il y dévoile enfin : « Je reste longtemps à contempler ce spectacle auquel je me suis abonné il y a vingt-huit ans18. » S’il divulgue – dans le cercle alors restreint des militants, qu’il y a un rituel, il ne dit mot sur ses compagnons et sur ce qui les lie. Il fait preuve de la même retenue dans le documentaire que lui consacre Jean-Claude Héberlé sur TF1 en 1976 : alors que Michel Piccoli vient de lire la chronique du 10 juin 1973 consacrée à Solutré et désormais publiée dans La paille et le grain19, Mitterrand déclare au journaliste : « Cela fait trente ans que j’ai rendez-vous avec ce paysage. Je n’y ai jamais manqué une fois encore, depuis 1946. On a connu ça par des jours de beau soleil, d’autres fois par une brume épaisse. C’est l’histoire d’une vie quoi20. » Pudeur ou mystère savamment entretenu ?
8Il faut donc attendre la victoire de mai 1981 et l’ascension du 7 juin, pour que soit explicitée la référence à la Résistance au JT de TF1, lorsque Bruno Masure précise en passant que Solutré se situe « près de Cluny où il s’était réfugié après sa troisième évasion21 », ainsi que dans Le Courrier. Journal de Saône-et-Loire, par cette seule phrase : « M. Mitterrand ayant trouvé refuge dans cette demeure après son évasion d’Allemagne pendant la dernière guerre22 ». La cérémonie au Panthéon du 21 mai, où le président déposa une rose sur la tombe de Jean Moulin, suffisait à réactiver la mémoire de la Résistance et il n’était nul besoin de forcir le trait. Jusqu’en 1991, toutefois, les journalistes utilisèrent, d’année en année, la même formule qui replaçait l’origine du rituel sous l’Occupation et donc au cœur de la Résistance : « fidèle à une promesse faite à des amis à l’époque de la Résistance » (Journal A2, 1986), « pour la 43e fois depuis la Libération […], un vœu qu’il avait fait pendant l’Occupation » (Journal A2, 1989), « ascension qu’il effectue depuis la fin de la guerre. Une promesse faite pendant la Résistance » (Journal A2, 1990)23. Il ne s’agissait certes que d’une légère déformation de la réalité mais elle faisait sens et n’était certainement pas due au hasard. Nous reviendrons sur le tournant que constitua 1991. Mais il est remarquable que le rituel de Solutré ne fût pas utilisé pour affronter les révélations d’une Jeunesse française de Pierre Péan en 1994 et l’affaire Bousquet24 ; ce qui conforte l’analyse de Gilbert Mitterrand que Solutré était d’abord et avant tout « un rendez-vous familial25 ». Rien de comparable donc avec cet autre moment d’ego-histoire que fut le débarquement de « M. Jacques » à Beg-an-Fry, en Bretagne, en février 1944, et son usage résistancialiste affirmé, à partir de 1985, par le président de la République, comme l’a montré Patrick Gourlay26.
9Ainsi, si François Mitterrand œuvra par ailleurs à faire oublier son passé de « vichysto-résistant », tant au plan national que local, à Solutré, il joua sans aucun doute de la référence résistante mais sur un mode mineur. La principale portée symbolique de Solutré était sans doute ailleurs.
S’inscrire dans la longue durée
10La Roche de Solutré et ses vestiges ont donné son nom au Solutréen (–22 000 à –17 000 ans avant notre ère), l’une des dernières phases du paléolithique supérieur. Or François Mitterrand ne cessa, dans ses divers écrits, d’insister sur sa volonté et sa capacité à s’extraire du présent en général et de l’agitation de la vie politique en particulier. N’écrivait-il pas en 1969 : « N’imaginez pas que ma vie soit remplie par la politique. […] Séparée de la connaissance de la nature et des travaux quotidiens des hommes, elle est comme une tige coupée, vite flétrie », affirmant peu après que « la géographie est ma plus vieille et plus chère amie27 » ? Donner « au temps sa densité », selon sa propre expression28, tel est le premier rôle du rituel de Solutré avec sa méditation au sommet. D’où cette phrase souvent citée par les commentateurs : « De là, j’aperçois mieux ce qui va, ce qui vient et surtout ce qui ne bouge pas29. » Cette plénitude qu’il ressent à contempler le temps immobile, il la confie encore, en toute intimité cette fois et pour cause, à Anne Pingeot, quelques jours avant le congrès d’Épinay, le 30 mai 1971, sur une carte postale de Solutré : « J’ai commencé ce jour dans la splendeur d’une Pentecôte pareille à celle que suppose la venue de la lumière sur le monde30. » Mais cette rêverie sur les origines du monde contribue aussi à la construction du mythe mitterrandien. « L’histoire est celle d’un homme et d’un président », peut commenter Guislaine Chenu en 1994, qui ajoute : « Ils sont liés depuis 1946. François Mitterrand n’était pas encore président et la Roche de Solutré, elle, avait d’autres légendes31 », sous-entendu avant celle liée au « promeneur » présidentiel.
11La périodicité annuelle, ainsi que la date religieuse – Pâques puis la Pentecôte32, et sa stricte observance, ainsi que ce « serment » ou « promesse » de 1946, la présence des « fidèles », terme polysémique dans la bouche des observateurs, expliquent qu’une fois rendue publique l’ascension soit qualifiée par les médias de « rituel » et de « pèlerinage » dès 198133. Chaque année, en écho aux propos du président ou de l’un de ses proches, les commentateurs ne manquent jamais de faire le décompte des années depuis sa première ascension. Et les JT finissent même par titrer « Pèlerinage » leurs reportages sous le second mandat. S’il accepte les termes de « tradition » et de « fidélité », Mitterrand aurait pourtant récusé celui de « pèlerinage », non pas tant à cause de sa connotation religieuse, que parce qu’il s’agissait de maintenir vivant le lien familial et amical34. Quoi qu’il en soit, ce rendez-vous au sommet avec l’Histoire et cette fidélité « immuable » – commentaient souvent les journalistes35, conférait au président socialiste un surcroît de légitimité lorsque l’on se rappelle que la droite éprouvait alors bien des difficultés à accepter l’alternance.
Le « Sphinx » au service du mitterrandisme puis du présidentialisme
12De par sa forme, la Roche de Solutré fut comparée au sphinx d’Égypte, et là encore, volontaire ou non, la référence au mythe grec du monstre poseur d’énigmes indéchiffrables résonne étrangement avec le personnage de François Mitterrand. Ses biographes et autres analystes s’accordent sur sa personnalité secrète et cloisonnée et lui-même confia qu’il était « très minutieux » et qu’il ne laissait « jamais rien au hasard » à Roland Cayrol et Anne Gaillard qui l’interrogeaient sur ses relations aux médias en 198536. Le rituel privé de Solutré fut donc progressivement dévoilé – on l’a dit – au cercle des militants, puis à l’opinion publique à des fins politiques tout à fait stratégiques37.
La médiatisation progressive du rituel
13Familial et amical, le rite n’appartenait cependant qu’à l’une des sphères privées de François Mitterrand, celle du cercle des Gouze et des anciens camarades de guerre, celle qu’il ne gardait pas cachée. Lorsqu’il déclarait, le 7 juin 1981, lors de la première exposition médiatique de l’ascension : « Je ne veux pas que ma vie personnelle devienne un spectacle38 », on ignorait alors avec quel soin jaloux il dissimulait sa double vie avec Anne et Mazarine. De même, est-il tout à fait remarquable qu’il n’y ait qu’une seule occurrence de Solutré dans les Lettres à Anne, celle du 30 mai 1971 – et encore, est-ce pour lui dire qu’il a secrètement pensé à elle, et aucune dans le Journal pour Anne. Certes bienséant, ce silence à Anne confirme la place de l’alliance avec les Gouze dans la construction du mythe mitterrandien, d’un homme politique attaché à sa terre et issu de la Résistance.
14Mais peu à peu, le cercle familial avec les Gouze, et amical avec Georges Beauchamp et Georges Dayan de la faculté de Droit, Jean Munier et Roger-Patrice Pelat du stalag, s’élargit. Outre Roger Hanin, qui épouse Christine Gouze-Rénal en 1959, s’ajoutent aux accompagnateurs réguliers : Charles Hernu, Alain Gourdon, Marie-Thérèse Eyquem et Georges Fillioud, membres éminents de la CIR39 ; puis après Épinay, Joseph Franceschi, sorte d’homme à tout faire du Premier secrétaire du PS, Pierre Tourlier, son chauffeur40, et Jacques Attali41 ; et enfin après 1981, Jack Lang42. Car tel Louis XIV qui aimait se rendre à Marly pour se ressourcer et qui n’admettait auprès de lui que quelques familiers, c’était une marque de dilection de la part de Mitterrand que de faire partie du cercle restreint de Solutré. Comme en témoigne son chauffeur :
« Je me souviens qu’au creux de la vague, dans les années 70, nous étions fort peu nombreux à accompagner Tonton dans cette promenade rituelle. Seuls huit ou neuf fidèles parmi les fidèles l’entouraient […]. Puis, quand est venu le temps des conquêtes et des victoires, sont arrivés derrière Tonton les nouveaux amis, les courtisans et les quémandeurs en tout genre43. »
15Il est difficile de dater avec précision le moment où Mitterrand utilise la participation à l’ascension de Solutré comme une marque de faveur et d’appartenance à la mitterrandie. Deux ans après les présidentielles de 1974 – nous l’avons déjà évoqué – le documentaire François Mitterrand, esquisse d’une ébauche évoque l’ascension de la Roche44. L’année suivant, Thierry Pfister, qui suit les socialistes pour Le Monde depuis le congrès d’Épinay, publie une sorte de « guide du PS » où il décrit la manière dont le Premier secrétaire y consolide ses réseaux45. Selon lui, Mitterrand aurait entretenu avec son parti des relations difficiles et aurait éprouvé le sentiment que le PS était un poids qu’il traînait derrière lui et qui entravait sa liberté de mouvement. Aussi, bien qu’il s’en défendit, il était ainsi conduit à incarner la direction du parti46. Le pèlerinage de Solutré participe donc à ce processus de personnalisation du parti, lequel – rappelons-le – le prépare à assumer l’alternance. Si certaines personnalités viennent régulièrement sans pour autant s’abonner à l’année, tels Louis Mermaz, ancien de l’UDSR et de la CIR, ou Claude Estier, le directeur de L’Unité, ou encore Georges Kiejman, d’autres politiques ne font que des apparitions, d’autant plus remarquées par les médias, telle Ségolène Royal en 1983, Roland Dumas en 1986, et surtout Gorbatchev en 1993. En outre, la présence de Pascal Sevran ou Pierre Bergé apporte une touche people au spectacle47. Mais des poids lourds comme Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Michel Rocard, Édith Cresson ou Pierre Bérégovoy, pour ne citer que ses premiers ministres, n’y ont jamais été invités. Leur venue aurait brouillé la fiction du « trou de la serrure » à laquelle étaient conviés les Français. Selon le témoignage de son chauffeur, citant l’année pluvieuse de 1987 :
« Au cours des années élyséennes l’exercice devint presque insupportable. À tel point que certains proches de Tonton, et non des moindres, préféraient décliner l’invitation présidentielle pour ne pas se retrouver au beau milieu de cette foire d’empoigne beaucoup trop médiatisée à leur goût. Seule la météo parvenait à faire le tri des vrais amis et des opportunistes48 ! »
16Après avoir servi la personnalisation de la direction du parti, la médiatisation volontaire du pèlerinage de Solutré contribua à la présidentialisation du régime, tant décriée dans Le coup d’État permanent, mais qui fut, on le sait, parfaitement assumée par le président Mitterrand. Dès lors, qu’il le voulut ou non, Solutré devint un rite présidentiel, avec ses codes, ses officiants et ses spectateurs49.
Prendre de la hauteur
17Le 23 mai 1983, Pierre Allain interprétait ainsi la posture présidentielle sur Midi 2 : « C’est un président de la République au-dessus de la mêlée et serein qui s’est présenté aux journalistes » et de souligner la « force tranquille » incarnée en ce jour par le président50. François Mitterrand, qui ne laisse jamais rien au hasard – rappelons-le, prend soin de conserver son costume de marcheur dès le reportage de 1976 et une fois devenu président de la République. Ses couvre-chefs peuvent varier de la casquette au chapeau de toile ; le pantalon, le polo ou la chemise à carreaux sont sport ; et les chaussures sur lesquelles la caméra aime à s’attarder sont celles d’un randonneur. Son labrador gambade toujours à ses côtés. Nicolas Mariot a montré que, depuis le xixe siècle, le retour chez soi était l’occasion pour les présidents d’incarner « la simplicité faite homme51 », en rejetant la pompe et l’apparat, ainsi que leur attachement charnel au terroir et à leur « petite patrie », même d’adoption, en les parcourant. Le sociologue Denis Fleudorge parle même d’une hiérophanie républicaine lorsqu’un lieu permet au président de s’exhiber telle une apparition sacrée, puis de disparaître52. Il en veut pour preuve le bâton de marche de Mitterrand qu’il compare au spêktron, l’insigne du roi ou du messager53. Le bâton, sur lequel la caméra ne manque pas de zoomer, légitime la parole d’en haut du président. Or le pèlerinage sur la Roche de Solutré réunit bien toutes les caractéristiques nécessaires : un haut lieu que l’on peut gravir, une métonymie de l’Histoire de l’humanité et une date exemplaire. Marc Abélès remarque, en effet, que le choix de la Pentecôte marque la capacité immédiate de comprendre et d’être compris, et que le choix de ce jour pour converser avec les journalistes, intentionnel ou non, lui conférait une dimension singulière54. Et il compare alors le bâton de marche à celui du frère de Moïse, le grand-prêtre des Hébreux. « De l’art de distribuer quelques informations importantes au cours d’une réunion informelle et à bâtons rompus avec les journalistes », admirait Noël Mamère qui présentait alors le journal du midi55. D’abord improvisées, puis rituelles, ces conférences de presse se tenaient en plein air56, dans « une ambiance détendue », et donnaient lieu, en effet, à des « confidences », que d’aucuns qualifiaient d’« oracles57 », et d’autres, comme Le Monde, de « Petit Solutré », millésimé58.
18Les usages politiques de ce rituel présidentiel évoluent au gré de la conjoncture politique mais aussi personnelle du président. C’est à Solutré que, le 7 juin 1981, François Mitterrand théorise « l’état de grâce59 » et qu’en mai 1982, il relativise « la pause » souhaitée par Jacques Delors60. Avec la première cohabitation, Solutré devient le lieu idéal, en mai 1986, pour prendre de la hauteur et se poser en arbitre61, puis, après sa réélection, sous le gouvernement Rocard, en mai 1988, pour souffler le chaud et le froid envers son Premier ministre. Jusqu’en juin 1990 compris, le président intègre, par conséquent, les journalistes à son rituel et en fait les messagers de sa bonne parole. Or le 20 mai 1991, sous le prétexte d’éviter des manifestants hostiles au tracé du TGV, le président joue à cache-cache avec eux et, pour tenter de les éviter, gravit la Roche le lundi et aux aurores62. Michel Lemerle témoigne sur Soir 3 : « Pour les confidences politiques, ce n’était pas vraiment la bonne année. Il esquivait avec humour toute question un peu précise. Seule confidence arrachée à ses proches, il a trouvé excellente la prestation télévisée d’Édith Cresson. Il n’était venu que pour respecter la tradition63. » Le 7 juin 1992, nouveau jeu de cache-cache pour Mitterrand qui gravit la roche de Vergisson64. En 1993, Nathalie Saint-Cricq confirme sur A2 : « La politique, on nous l’a fait comprendre, ce n’était ni le lieu, ni l’heure65 », soulignant ainsi un véritable revirement. Et en 1994, Guislaine Chenu constate que « les journalistes sont toujours indésirables66 ». L’on sait que le président est opéré en septembre 1992 de son cancer de la prostate, cancer diagnostiqué dès 1981. Serait-ce la maladie qui l’épuise ? Souhaite-t-il retrouver le sens premier de ce pèlerinage alors que la mort approche ? Serait-ce sa méfiance – pour ne pas dire plus – envers les journalistes depuis, en mai 1993, la mort de Pierre Bérégovoy, cet homme « dont on a jeté l’honneur aux chiens », puis l’affaire Bousquet et l’entretien avec Jean-Pierre Elkabbach du 12 septembre 199467, qui l’ont conduit à rompre cette exposition de l’ascension de la Roche ? Selon Gilbert Mitterrand, outre la maladie qui rendait l’ascension difficile, la vox familiae, lassée par la cohue et dépossédée de son « moment » d’intimité, aurait réussi à se faire entendre. Elle lui aurait fait « comprendre que l’on regrettait le temps d’avant et comme il savait qu’il n’y aurait peut-être pas de temps d’après, peut-être a-t-il voulu partager les dernières années plus dans l’esprit de ce qu’était la roche de Solutré68 », explique-t-il.
19Quelle que soit l’explication, le rituel présidentiel de Solutré, mis en scène par François Mitterrand, aura donc connu dix éditions, la dernière le 3 juin 1990, avant de redevenir privé autant que faire se peut. Même interrompu, il n’en demeure pas moins qu’il a réussi à dresser un lieu de mémoire mitterrandien.
Un lieu de mémoire mitterrandien ou un site bourguignon ?
20À ce stade de notre réflexion, il s’agit de se demander si la territorialisation de la geste et de la mémoire mitterrandiennes ne s’est pas accompagnée de la « mitterrandisation » du site de Solutré. Monument remarquable depuis 1909, site classé depuis 1930, monument historique depuis 1942, zone de biotope en 1991, espace Natura 2000 en 1998, labellisé Grand Site de France en 2013, quel rôle le pèlerinage mitterrandien a-t-il joué dans la classification du site ?
Le promeneur qui croit aux forces de l’esprit
21François Mitterrand a d’abord laissé l’image d’un lecteur et d’un marcheur infatigable, avant d’affirmer « croire aux forces de l’esprit » dans son adieu télévisé aux Français69. L’homme de culture fut révélé au grand public par l’Apostrophe du 7 février 1975 et Bernard Pivot a témoigné, à plusieurs reprises, de son éblouissement à cette occasion70. L’amoureux des paysages, de la nature, et du patrimoine se manifesta dans ses écrits : Ma part de Vérité (1969), La paille et le grain (1975) et L’abeille et l’architecte (1978). La récente publication des Lettres à Anne et du Journal pour Anne confirment – si besoin était – ce qu’il confia au soir de sa vie à Geneviève Moll : « Je sens la France charnellement, pas besoin de grandes théories71. » Dans ses lettres et son journal, Mitterrand flâne, marche, observe les arbres, herborise, écrit aussi, et lit, chaque jour ou chaque soir. Mais « le chercheur spirituel », à certains égards mystique, ne se dévoile que fugacement, voire de manière subliminale.
22Or le rituel de Solutré condense les trois dimensions, culturelle, patrimoniale et mystique, mais comme tout rituel efficace, il ne donne pas à lire tous ses sens en même temps. L’ascension de Solutré, qui constitue le cœur du rituel médiatique, est suivie le dimanche après-midi d’une non moins rituelle promenade à Milly en hommage à Lamartine72, laquelle est également évoquée par la presse. Le portrait d’un homme de lettres, capable de réciter de longs poèmes, est généralement brossé. Mais la visite à Taizé, le lundi, en revanche, reste intime. Il aurait confié à son amie psychologue Marie de Hennezel, au milieu des années 1980, qu’il « aimait laisser planer un certain mystère » autour de son ascension du dimanche et de son lundi de Pentecôte73. À Taizé, Mitterrand admire la petite église romane qu’il aime, puis va se recueillir dans la gigantesque église de la réconciliation où la communauté œcuménique du frère Roger accueille des pèlerins de toute l’Europe. « Je m’assieds sur un petit tabouret, au fond de l’église et je reste là. Il y a une énergie impalpable dans ce lieu, étonnant, non ? », rapporte la psychologue74. À Anne, il ne scelle rien de cette quête spirituelle et, s’il lui tait Solutré par pudeur, il lui parle de Taizé75. Cette dimension spirituelle affleure, parfois, chez certains commentateurs de l’ascension, lesquels ne la prennent d’ailleurs peut-être pas vraiment au sérieux. Dominique Laury déclare sur A2 : « Le rocher de Solutré, c’est en quelque sorte la colline inspirée de François Mitterrand76 » ; Le Monde écrit que Solutré « a toujours inspiré à François Mitterrand diverses réflexions métaphysico-politiques sur le thème éternel de la relativité du temps et des choses77 » ; et Michel Vial de conclure que « malgré l’afflux plutôt bon enfant des journalistes, François Mitterrand parvenait apparemment à préserver cette intimité intellectuelle, pour ainsi dire lamartinienne, qu’il entretient avec la nature et l’âme des choses78 ».
23Cette densité et complexité du message du rituel de Solutré explique que la Roche soit devenue un lieu mitterrandien.
Solutré, attribut et lieu de pèlerinage post-mortem mitterrandien
24En médiatisant le rituel sous sa présidence, Mitterrand a nationalisé le site de Solutré au point qu’il y a une sorte de mitterrandisation du lieu. Pourtant, l’intérêt des Bourguignons a mis du temps à se manifester. Si l’on a vu que Solutré était évoqué dès 1976 dans les médias nationaux, le dépouillement de la presse locale lorsque Mitterrand était ministre de la IVe République, puis candidat aux présidentielles en 1965 et 1974, ne donne rien, ce qui confirme le caractère intime du « rendez-vous ».
25Il faut attendre la victoire de 1981. Dès lors, la couverture médiatique du rite présidentiel est assurée non seulement par les médias nationaux – journaux télévisés et quotidiens – mais aussi par la presse régionale avec Le Courrier. Journal de Saône-et-Loire. Outre ses Unes, dans ses pages mâconnaises, il décline les retrouvailles du clan à Cluny, le déjeuner à la Grange-au-Bois ou à Solutré-Pouilly, les visites aux vieux amis du cru et aux édiles locaux. En 1986, le maire Fernand Bucchianeri (MRG) de Solutré-Pouilly s’enthousiasme en qualifiant le président de « Père Noël de la Pentecôte », de meilleur délégué aux relations publiques de Solutré car, grâce à lui, le site serait « universellement connu79 ». Mais dès 1992, il alerte les pouvoirs publics sur les risques encourus par le site et ses vignobles80. De sorte qu’en 1994, l’État inscrit la Roche et ses environs dans son opération Grands Sites lancée deux ans plus tard. Il faut dire que les guides touristiques, dont le Michelin, ne manquent pas d’évoquer « le pèlerinage mitterrandien ». Aussi, en 2000, lorsque Le Monde consacre une enquête à dix sites remarquables menacés par la sur-fréquentation touristique, la Roche de Solutré y figure en bonne place. Et il constate qu’à cette date, le haut-lieu reçoit 120 000 visiteurs par an et que, les jours de grande affluence, 650 personnes se pressent en même temps sur les deux kilomètres de l’étroit sentier qui conduit au sommet81. Lieu touristique, la Roche de Solutré est devenue, en outre, l’un des attributs de Mitterrand, pour les journalistes, écrivains, caricaturistes ou dessinateurs de bande dessinée, au même titre – ou presque – que son chapeau, son manteau et son écharpe82.
26Ainsi, l’écrivain Jean-Michel Royer publie, en 1989, François Mitterrand élu à l’Académie française, un roman de politique-fiction où le président annonce du haut de la roche de Solutré qu’il abdique (sic) en faveur de Rocard, parce qu’il est élu à l’Académie française au siège de Jean Dutour83. Dans sa « semaine de Du Bouillon », en mai 1991, Dimanche (Progrès – Dauphiné libéré) caricature Mitterrand précipitant Rocard au bas de la Roche, en écho à la légende locale de la chasse aux rennes où les hommes préhistoriques auraient poussé leurs proies à se jeter dans le précipice84. Plus féroce, « le bar du Bébête Show » du 6 juin 1995 brocarde un Jack Lang faisant la quête pour installer un escalator à Solutré pour Mitterrand. Sa dernière ascension, sorte de pied de nez à la mort, provoque un regain d’intérêt. « Pour le souvenir », commente Marie-Pierre Farkas au JT, il est conduit à mi-pente en 4x4 et n’y fait que quelques pas, sans plus. Mais les origines du rituel y sont narrées dans le détail et Mitterrand d’ironiser : « Entre 1946 et aujourd’hui, mon rythme a baissé85. » Le Courrier. Journal de Saône-et-Loire titre « Solutré : “il” est venu » et consacre plusieurs pages et photographies à l’ancien président, certes très affaibli mais souriant, et entouré de fidèles et badauds avec lesquels il converse et d’enfants qui viennent l’embrasser, « comme un grand-père » s’attendrit le journaliste Manuel Da Fonseca86. À la mort de Mitterrand, Jacques Faizant le représente escaladant, depuis le sommet de la Roche de Solutré, un escalier de nuages le menant au ciel87.
27De sorte qu’après sa mort, Solutré devient presque naturellement un lieu de mémoire pour ses proches, militants ou sympathisants, même s’il demeure secondaire en comparaison de Jarnac où il est enterré88. À la Pentecôte 1997, Danielle Mitterrand pique-nique au pied de la Roche avec quelques fidèles89. Dès lors, le rendez-vous familial, retrouvant sa nature première, s’est toujours maintenu et est organisé aujourd’hui par Michel Gouze, le fils de Roger90. Au-delà des intimes, dès janvier 1996, l’ancien maire de Solutré, Fernand Bucchanieri, demande à ses successeurs de faire en sorte que le chemin qu’empruntait régulièrement François Mitterrand porte son nom91. À partir de 2004, Arnaud Montebourg, élu de Saône-et-Loire, gravit le mont Beuvray chaque lundi de Pentecôte en hommage au rituel de Solutré. En 2011, pour les trente ans du 10 mai 1981, Jean-Michel Dury tourne un documentaire intitulé François Mitterrand, une vie en Bourgogne où Solutré est naturellement évoqué92 et, la même année, la fédération socialiste de Saône-et-Loire organise une cérémonie sur la Roche le 8 janvier93. En 2012, les élus du département déposent une stèle au début de l’ascension. En 2016, pour le centenaire de sa naissance, enfin, une exposition est consacrée au président par l’Institut François-Mitterrand, dans la Maison du Grand Site de Solutré. Ses panneaux présentent de nombreux clichés du photographe Jean-Paul Gollin qui a régulièrement couvert le rituel pour la presse régionale94. Bourgogne Magazine publie un numéro « collector » dédié à « Mitterrand ce Bourguignon » en le consacrant « monument historique régional » dans son édito. Et avec sa bande dessinée, Mitterrand Requiem, qui met en scène un vieil homme aux portes de la mort se confrontant à son passé, Joël Callède fait entrer « le rituel de Solutré » dans la culture populaire95. Aujourd’hui, par antonomase, certains ne désignent-ils pas comme son « Solutré » le lieu rituel d’un homme politique, quand d’autres gravissent des monts pour se donner de la hauteur96 ?
⁂
28L’ascension de la Roche de Solutré joua, par conséquent, un rôle indéniable dans la vie intime et sans doute spirituelle, de François Mitterrand, qui n’a jamais manqué ce rendez-vous familial et amical de 1946 à 1995, preuve s’il en est d’un véritable attachement. Mais en « jardinier des rituels97 », il sut le cultiver pour construire son mythe. Il donna l’occasion à l’homme de gauche de se poser en président de tous les Français, pour rassurer ceux que l’alternance épouvantaient, et d’incarner la « Force tranquille ». Il rendit possible un passé recomposé de la Seconde Guerre mondiale, en proposant une lecture exégétique de l’histoire. Il lui fit prendre de la hauteur par rapport au présent et à la fugacité des choses et, ainsi, lui permit de surplomber les aléas des cohabitations formelle avec Jacques Chirac ou informelle avec Michel Rocard. Par là même, conclut Marc Abélès, Solutré est « la jonction réussie du sacré et du quotidien98 ». En inventant ce lieu symbolique exemplaire, François Mitterrand sut non seulement doter le site Solutré d’une aura qui lui survécut mais aussi préparer son culte posthume.
Notes de bas de page
1 François Mitterrand, Ma part de vérité, Paris, Fayard, 1969, p. 46.
2 Propos recueillis par Georges-Marc Benamou, dans François Mitterrand, Mémoires interrompus, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 24.
3 Dans son témoignage accordé le 30 mars 2017 au colloque de Poitiers, Gilbert Mitterrand récuse ce terme de « rituel » pour la famille et lui préfère celui de « rendez-vous ». Qu’il nous soit permis ici de le remercier d’avoir souligné, avec bienveillance, le contraste marqué entre le vécu des témoins et le sens que les commentateurs contemporains ou, plus tard, les historiens confèrent à une pratique qu’ils analysent. Disponible sur le site UP-tv [https://uptv.univ-poitiers.fr/program/francois-mitterrand-et-les-territoires-sensibilite-et-pouvoirs/video/43441/representations-et-mises-en-scene-des-territoires-table-ronde-n2-et-cloture-du-colloque/index.html].
4 Luc Chantre, Paul D’Hollander et Jérôme Grévy, Politiques du pèlerinage du xviie siècle à nos jours, Rennes, PUR, 2014, § 3. « Quand les cultures politiques suscitent leurs propres pèlerinages ».
5 Marc Abélès, « Les lieux du président », dans André Micoud (dir.), Des hauts lieux. La construction sociale de l’exemplarité, Paris, Éditions CNRS, 1991, p. 112.
6 Le Guide Vert. Bourgogne Morvan, Paris, Michelin, Éditions Voyage, 2001, p. 344.
7 Roger Gouze, Les miroirs parallèles, Paris, Calman-Lévy, 1982, § « Le serment de Solutré », p. 252-253.
8 Ibid.
9 Il fut le parrain de Gilbert Mitterrand, né en 1949.
10 Le Rassemblement national des prisonniers de guerre.
11 Le mariage a lieu le 28 octobre 1944.
12 Georges Dayan (décédé en 1979), Georges Beauchamp, Jean Munier, Patrice Pelat…
13 Roger Gouze, op. cit., p. 253.
14 Éric Duhamel, François Mitterrand, l’unité d’un homme, Paris, Flammarion, 1998 et Jean Vigreux, François Mitterrand, la Nièvre et le Morvan, Dijon, EUD, 2017.
15 Mouvement national des déportés et prisonniers de guerre.
16 Jean Vigreux, op. cit., p. 104, 108, et 111-112.
17 Gilbert Mitterrand a insisté sur ce point : le rendez-vous annuel familial et amical n’a longtemps fait l’objet d’aucune publicité (témoignage cité), comme l’atteste d’ailleurs le silence des journaux locaux (cf. infra). À Anne Pingeot, François explique, le 5 avril 1964 : « À Pâques, je vais toujours en Bourgogne où se rassemblent des amis venus de partout, pour deux ou trois jours. Habituellement les lieux de rendez-vous sont des centres touristiques, une église, une belle demeure, un point de vue (et il y en a d’admirables) sur la vallée de la Saône », François Mitterrand, Lettres à Anne, 1962-1995, Paris, Gallimard, 2016, no 50, p. 137-138.
18 L’Unité, 15 juin 1973, chronique du 10 juin publiée ensuite dans La paille et le grain, Paris, Flammarion, 1975, p. 184.
19 « De là, j’aperçois mieux ce qui va, ce qui vient et surtout ce qui ne bouge pas », chronique du 10 juin 1973, Ibid. Jean-Claude Héberlé, « François Mitterrand, esquisse d’une ébauche », documentaire, INA, TF1, 30 septembre 1976, 68 min. Même réserve dans L’abeille et l’architecte. Chronique, le lundi 20 mai 1976, où Solutré est juste cité comme une étape (Paris, Flammarion, 1978, p. 179).
20 Ibid.
21 INA, TF1, JT de 20 h, 7 juin 1981, présenté par Bruno Masure.
22 Le Courrier. Journal de Saône-et-Loire, 6-7-8 juin 1981, en Une.
23 INA, Journal A2, (Bernard Rapp) 18 mai 1986, (Bernard Pradinau) 14 mai 1989 et (Daniel Bilalian) 3 juin 1990.
24 Pierre Pean, Une jeunesse française. François Mitterrand 1934-1947, Paris, Fayard, 1994. Il y fait le point sur son rôle à Vichy et dans la Résistance ainsi que sur son amitié, fidèle, envers René Bousquet, l’ancien secrétaire général de la Police de Vichy.
25 Gilbert Mitterrand, témoignage cité.
26 Patrick Gourlay, « Beg-an-Fry, un Solutré maritime ? La construction d’un lieu de mémoire de la Mitterrandie en Bretagne », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2009/2 (no 102), p. 145-157.
27 François Mitterrand, Ma part de vérité, op. cit., p. 46.
28 Ibid.
29 François Mitterrand, La paille et le grain, op. cit., p. 184.
30 François Mitterrand, Lettres à Anne, op. cit., no 628, dimanche 30 mai 1971.
31 INA, Journal A2, 20 h, 22 mai 1994.
32 Gilbert Mitterrand a bien expliqué que le choix de la date pour ce rendez-vous familial s’expliquait par les vacances scolaires et la météo (témoignage cité). Il n’empêche que les observateurs voulurent y voir un signe et l’interprétèrent comme tel.
33 INA, TF1, JT, 20 h, 7 juin 1981 et Le Monde, 9 juin 1981.
34 En revanche, il assume le terme pour Lamartine. Le 31 mars 1964, il écrit : « Mon lundi a été consacré à un pèlerinage lamartinien », Lettres à Anne, op. cit., p. 134.
35 L’adjectif « immuable » apparaît dès le JT de TF1 du 7 juin 1981, arch. cit.
36 INA, Reportage sur France 3 Région, de Roland Cayrol et Anne Gaillard, diffusé le 10 mai 1985.
37 Voir Guillaume Fradin, « Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005) », Le Temps des médias, 10, p. 53-65, ainsi que Pierre-Emmanuel Guigo, « Le territoire de la communication. L’imaginaire territorial de la France dans la communication de François Mitterrand », dans cet ouvrage.
38 INA, JT TF1 du 7 juin 1981, rapporté également par Le Courrier. Journal de Saône-et-Loire, 6-7-8 juin 1981 et Le Monde du 9 juin 1981 qui relate la suite du propos : « mais il faut bien admettre qu’elle s’imbrique désormais dans ma vie publique ».
39 Convention des Institutions républicaines, fondée en 1964, par François Mitterrand.
40 À partir de 1974. Cf. Pierre Tourlier, Conduite à gauche. Mémoires du chauffeur de François Mitterrand, Paris, Denoël, 2000 et Tonton. Mon quotidien auprès de François Mitterrand, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.
41 L’ayant rencontré une première fois en 1966, il fuit introduit par Georges Dayan en décembre 1973, avant d’être chargé du programme des présidentielles en 1974. Il participa aux ascensions à partir de 1976. Jacques Attali, C’était François Mitterrand, Paris, Fayard, 1re éd. 2005, 2016, p. 13-15, 25-29 et 70.
42 Jack Lang, Dictionnaire amoureux de François Mitterrand, Paris, Plon, 2015, p. 406-409.
43 Pierre Tourlier, Tonton…, op. cit., p. 86.
44 D’après Jacques Attali, « c’était encore à l’époque, un magnifique rendez-vous d’amitié, délaissé des médias, à l’ordonnance immuable… », C’était…, op. cit., p. 70.
45 Thierry Pfister, Les socialistes. Les secrets de famille, les rites, le code et les hommes du premier parti de France, Paris, A. Michel, août 1977, § « Le Premier secrétaire et son parti ».
46 Thierry Pfister, op. cit., p. 24. Plus loin, il ajoute : « Pour un socialiste, le secrétariat national de son parti, c’est presque le paradis terrestre. C’est l’instance suprême, le lieu supposé de la décision politique. Y siéger, c’est avoir été remarqué par François Mitterrand qui en choisit seul les membres. C’est percer enfin les mystères, accéder à la connaissance » (p. 26).
47 Pascal Sevran fut régulièrement invité de 1977 à 1995. Voir Pascal Sevran, Mitterrand, les autres jours, Paris, A. Michel, 1998, § « Le dernier dimanche de Solutré », p. 19 et p. 33-34. D’après lui, Pierre Bergé rejoignit le groupe au début du second septennat (p. 120).
48 Pierre Tourlier, Tonton…, op. cit., p. 86.
49 Gilbert Mitterrand récuse une médiatisation volontaire de la part du président (témoignage cité). Pascal Sevran décrit de même l’agacement présidentiel devant la foule de journalistes et les moyens déployés par le préfet le 7 juin 1981. Op. cit., p. 59.
50 INA, Midi 2, 23 mai 1983.
51 Nicolas Mariot, C’est en marchant que l’on devient président. La République et ses chefs de l’État 1848-2007, Montreuil, Aux lieux d’être, 2007, p. 125.
52 Denis Fleudorge, Les rituels du président de la République, Paris, PUF, 2001, p. 25.
53 Ibid., p. 121.
54 Voir le témoignage de Gilbert Mitterrand cité plus haut. D’après les Actes des Apôtres, la Pentecôte commémore, cinquante jours après la résurrection du Christ, l’effusion de l’Esprit saint sur les apôtres et les disciples du Christ qui se mirent à parler des langues étrangères qu’ils n’avaient jamais apprises.
55 INA, Midi 2, 23 mai 1983.
56 En 1982, Jacques Attali note : « Le président est à Solutré. Un rituel s’instaure. Devant des journalistes locaux, il improvise une conférence de presse » (Verbatim, Paris, Fayard, vol. 1, 1993, lundi 31 mai, p. 352). Pas un mot sur le sujet en 1981 et 1983, mais le 10 juin 1984, il ajoute : « Bavardant avec des journalistes après déjeuner, comme la tradition s’est installée… » (ibid., vol. 2, p. 985.) Pascal Sevran commente cette même année : « J’attendrai avec les 150 journalistes dans le jardin de l’auberge qu’il veuille bien venir vers nous pour discuter à bâtons rompus ; un rite qu’il a lui-même initié et qu’il s’irrite de devoir accomplir chaque année », op. cit., p. 86.
57 INA, Journal A2, 20 h, 22 mai 1994, Guislaine Chenu et Yvon Barbe.
58 Voir, par exemple, Le Monde, 12 mai 1988.
59 Le Monde, 9 juin 1981.
60 Le Monde, 1er juin 1982.
61 Le Monde, 20 mai 1986.
62 INA, Soir 3, 20 mai 1991.
63 INA, Soir 3, 20 mai 1991.
64 Le Monde, 9 juin 1992. Gilbert Mitterrand a décrit le fou rire de la famille devant l’air dépité des journalistes. Manifestement, selon lui, il s’agissait d’une bonne farce. Témoignage cité.
65 INA, Journal A2, 30 mai 1993.
66 INA, Journal A2, 22 mai 1994.
67 INA, Journal A2, entretien en direct, 12 septembre 1994.
68 Gilbert Mitterrand dit même : « C’était dénaturé. C’était devenu un événement médiatique auquel il ne pouvait échapper, lui, ce qu’il regrettait. » Selon lui, « les communicants » s’en étaient emparés. Témoignage cité. En juin 1995, François Mitterrand reconnaissait lui-même, dans Le Courrier, le journal de Saône-et-Loire, que « cette promenade annuelle avait pris un aspect de démonstration excessif et théâtral » (5 juin 1995, p. 7), cet aveu confirmant l’explication avancée par son fils.
69 INA, Vœux présidentiels aux Français, le 31 décembre 1994.
70 Notamment [http://www.mitterrand.org/Silence-absolu-sur-le-plateau.html].
71 INA, Journal A2, 20 h, 16 mai 1995.
72 François Mitterrand, L’abeille et l’architecte, op. cit., 14 mai 1978, p. 380-381. Il y décrit sa visite rituelle de la maison de Lamartine.
73 Marie de Hennezel, Croire aux forces de l’esprit. Récit, Paris, Fayard/Versilio, 2016, p. 59.
74 Idem, p. 60.
75 François Mitterrand, Lettres à Anne, op. cit., p. 136, 138, 431 et 794. Le 31 mars 1964, il lui confie : « Ma journée de Pâques a été intéressante. J’ai suivi plusieurs offices de Taizé. […] Je me demandais à quoi j’étais voué » (p. 132-133).
76 INA, Journal A2 20 h, 18 mai 1986.
77 Le Monde, 20 mai 1986.
78 INA, Soir 3, 22 mai 1988.
79 INA, Journal A2, 20 h, 18 mai 1986.
80 Benoît Hopquin, « Solutré, des dizaines de milliers de marcheurs sur les pas de François Mitterrand », Le Monde, le 8 août 2000.
81 Ibid.
82 Citons le Mitterrand de Cabu avec chapeau, écharpe et manteau. À ce sujet, voir « Les caricaturistes et François Mitterrand », INA, Midi 2, 9 janvier 1996.
83 Jean-Michel Royer, François Mitterrand élu à l’Académie française. Discours de réception et autres textes de circonstance, Paris, Balland, 1989.
84 En 1860, Adrien Arcelin et Henry Testot-Ferry découvrirent près de 100 000 squelettes de chevaux et de rennes et sont les inventeurs du site préhistorique de Solutré. En 1872, Arcelin publia, sous l’anagramme d’Adrien Cranile, Solutré ou les Chasseurs de rennes. Il y racontait comment les hommes attiraient les chevaux au sommet de la roche pour les précipiter dans le vide, légende aujourd’hui démentie par les chercheurs. En 1991, Hoviv (René Hovivian) peint aussi une aquarelle Le miracle Mitterrand à la roche de Solutré.
85 INA, Journal A2, 20 h, 4 juin 1995.
86 Le Courrier. Journal de Saône-et-Loire, 23 mai 1988.
87 Le Figaro, 9 janvier 1996. Voir, sur ce sujet, Jacqueline Freyssinet-Dominjon, « Une mort aux quotidiens. Le portrait de François Mitterrand à la Une des journaux nationaux du 9 janvier 1996 », dans Sociétés § Représentations, 2001/2, no 12, p. 86-106. Le 7 janvier 2011, pour le 15e anniversaire de sa mort, Vidberg représente aussi Solutré dans « L’Actu en patates » du Monde.
88 Citons, par exemple, le pèlerinage annuel du Conseil d’administration de l’Institut François-Mitterrand.
89 Le Monde, 20 mai 1997.
90 Témoignage cité de Gilbert Mitterrand et courriel de Michel Gouze à l’auteur du 8 septembre 2017.
91 Le Monde, 11 janvier 1996.
92 Jean-Michel Dury, François Mitterrand, une vie en Bourgogne, France Télévision, 2011.
93 Voir le site de Montceau News, [http://montceau-news.com/politique/7636-15eme-anniversaire-de-la-mort-de-francois-mitterrand.html], page toujours en ligne le 28 août 2017.
94 Il faudrait creuser ce qu’il reste du « pèlerinage de Solutré » à l’étranger. On n’y trouve aucune allusion chez l’Américain Ronald Tiersky, François Mitterrand a Very French President, 2002 ; pas plus que dans les notices wikipedia anglo-saxonne, italienne et espagnole à l’été 2017…
95 Joël Callède, Mitterrand Requiem, Bruxelles, Le Lombard, 2016, p 120. Lors d’un ultime entretien du président avec Marie de Hennezel, l’auteur dessine la roche, noire sur fond rouge, et fait dire à la psychologue : « Votre Golgotha vous attend. » Les éditions du Lombard consacrent aussi un site à l’ouvrage et l’on trouve ce même dessin pour illustrer un texte sur l’ascension du 22 mai 1988 dans une biographie en images. Avec les textes de Thomas Codaccioni, sous la direction de Joël Callède, site réalisé par Cyrille Chauvet d’Arcizas. [http://www.lelombard.com/mitterrand-requiem/8.php?page=8] (erreur en 2022), consulté le 6 mars 2019.
96 À propos de Tulle où il se rend chaque année, François Hollande aurait confié : « Ce sera ma roche de Solutré », Le Monde, 2 juin 2017. Quant à Laurent Wauquiez, candidat à la présidence de LR, en septembre 2017, il a médiatisé son ascension du Mont Mézenc (Haute-Loire), « un rituel politique organisé depuis 2012 », une « ascension très métaphorique ». Matthieu Goar (Mont Mézenc, envoyé spécial), Le Monde, 3 septembre 2017.
97 Denis Fleudorge, op. cit., p. 214.
98 Marc Abélès, « Les lieux du président », dans André Micoud (dir.), op. cit., p. 113.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008