Conclusion
p. 337-352
Texte intégral
1Deux problématiques ont motivé ce travail : la disparition anticipée de la culture du café de la Martinique et son délaissement par l’historiographie au profit de sujets portant sur le sucre. Rapidement, l’étude de l’histoire du café s’est montrée porteuse dans plusieurs domaines, il s’agissait de comparer le système économique et social de cette filière à son homologue sucrier. Le paradigme de l’habitation sucrerie a été construit par l’éclectisme de décennies de productions bibliographiques plus que par de réelles études scientifiques fiables. Aussi mes recherches ont-elles été compliquées par la pénurie de travaux portant sur le cas martiniquais notamment dans le domaine des esclaves et des cultures secondaires. Le questionnement, qui se voulait le plus large possible s’est peu à peu recentré sur l’identité propre du « groupe caféier », si tant est qu’on puisse parler de groupe. Sa singularité semblait détenir en elle-même une part des causes de sa mutation. En cela, l’étude du milieu caféier ouvre des perspectives nouvelles dans l’appréhension de la société martiniquaise et des étapes de sa construction.
2L’appréhension du monde du café des années 1720 à 1860 supposait de l’ancrer dans les réalités économiques qui ont impacté directement son identité. Le rôle même que l’économie caféière a pu avoir dans l’évolution de la société martiniquaise s’est peu à peu dessiné. La mise en lumière des cycles économiques du café a permis la conceptualisation de ce groupe qui, réuni de façon éphémère dans un but commun : le café, devait disparaître un peu plus d’un siècle après sa constitution se diluant progressivement dans la paysannerie comme dans toutes les couches de la société. L’ère caféière martiniquaise, rythmée s’il faut le rappeler par trois phases, a eu pour point de rupture la période révolutionnaire (1789-1815), principal point d’inflexion de son évolution.
3De son arrivée sur le territoire martiniquais aux environs de 1720 jusqu’en 1788, la filière caféicole connaît une période de croissance exponentielle. Au plus fort de son exploitation, dans les années 1770, le café rivalise avec le sucre dans les chiffres de la balance commerciale. Pourquoi donc cette nouvelle denrée, qui a mobilisé avec succès petits et grands investisseurs tout au début de l’expansion mondiale du café, n’a-t-elle pas marqué l’histoire économique de la Martinique de manière plus durable, à l’instar du sucre ? Le café martiniquais, l’un des tout premiers du bassin caribéen, ne devait être confronté à une réelle concurrence que vers le milieu du xixe siècle. Il aurait dû en toute logique profiter de son avance pour conforter ses acquis d’autant que sa réputation en faisait un produit d’excellence, juste après le Moka d’Arabie. Mais les bouleversements du commerce atlantique générés par l’instabilité de la géopolitique européenne en ont décidé autrement. La perte de Saint-Domingue et le blocus continental engendrent une modification profonde des réseaux commerciaux. Le principal fournisseur de café (Saint-Domingue) n’est plus et il faut attendre la pacification des relations pour que la jeune République d’Haïti reprenne ses fournitures, mais en moindre quantité à la suite de la perte d’une bonne partie de l’outil de production1. La France se tourne alors vers les pays émergents en matière de production caféière (Jamaïque, Cuba) d’autant que la Martinique et la Guadeloupe, occupées par les Anglais peu de temps après, ne peuvent plus approvisionner la métropole. Avec le retour définitif de l’autorité française sur le territoire et la reprise des échanges à partir de 1815, l’activité redémarre à la Martinique et parvient à se maintenir dans des proportions correctes jusqu’en 1835 malgré l’effacement des repères et la mutation progressive de ses acteurs.
4Pendant cette période compliquée (que l’on pourrait qualifier de phase de récession primaire), le profil social du groupe s’enrichit et évolue, les Libres de couleur sont plus nombreux, les investisseurs éclairés et les femmes de manière générale s’écartent de cette branche. Seuls les habitants-propriétaires dont l’exploitation est l’unique activité professionnelle résistent aux difficultés et au durcissement du système économique. La distance entre les sucriers et les caféiers déjà palpable au xviiie siècle à travers le mépris des premiers pour les seconds se renforce à mesure du désintérêt marqué des gros investisseurs. De cette manière, la formation de « castes » au sein même du groupe des Blancs est scellée définitivement. Ce n’est qu’à partir de la fin de la décennie 1830 que l’exploitation caféière commence sa phase de dépression (pour reprendre le vocabulaire de Kondratiev) par l’enchaînement d’éléments négatifs. Le nombre d’habitations caféières décline inexorablement, passant de 1 078 unités en 1835 à 676 en 1846, parallèlement la quantité de sucreries reste stable aux alentours de 490 unités. Survient alors l’abolition de l’esclavage qui finit d’anéantir la filière. En l’espace de quatre ans, près de 500 exploitations disparaissent au point qu’il en reste plus que 180 en 1852. L’industrie sucrière parvient quant à elle à se relever de cet événement par le biais de stratégies économiques (regroupement, alliance, cohésion familiale, etc.) qui associaient à l’esprit d’entreprise des grands Békés la puissance financière du négoce pierrotin. Elle semble même au contraire, malgré les lamentations incessantes des planteurs, profiter de la ruine du café pour s’enrichir d’une vingtaine de nouvelles exploitations. Au nombre de 494 en 1846 les sucreries passent à 519 unités en 1852. Enfin, la modernisation de l’industrie sucrière liée à des changements importés de métropole, marquée par l’apparition des usines centrales dans les années 1860, finit de sauver pour un temps la filière sucrière tandis que celle du café s’essouffle. Le cycle économique du café martiniquais contraste donc fortement avec celui du sucre jusque-là perçu comme étant le seul à avoir impacté l’évolution sociale de l’île. En 1788, 18 % des 7 833 individus (adultes blancs et libres de couleur) composant la société martiniquaise libre ont été concernés par le boom économique du café. Cette filière a aussi mobilisé une bonne part des esclaves martiniquais.
5À la différence de l’économie sucrière dont les débuts ont accompagné la construction de l’île, l’exploitation caféière s’installe dans une île formatée par un siècle de colonisation reposant sur l’esclavage. Le café en remplaçant le cacao doit s’adapter à un environnement socio-économique établi et fonctionnel depuis presque un siècle. Le recours à la main-d’œuvre esclave qui peut en première analyse sembler systématique – ou même systémique – ne se vérifie pas toujours au sein des caféières dont un certain nombre en est démuni. Pourtant une bonne part de la population servile martiniquaise (20 %) travaille dans des caféières, 43 %, soit deux fois plus, dans les sucreries2. Au regard du nombre d’habitations attachées à chacune des cultures, on mesure la différence de taille des ateliers. Les habitations caféières possèdent en moyenne entre 10 et 15 esclaves en fonction de la période, les habitations sucreries avoisinent la centaine d’individus. Aucune étude chiffrée sur les esclaves martiniquais, permettant l’établissement de corrélations à l’échelle de l’île, n’a permis d’esquisser des éléments de réponse aux débats historiographiques portant sur la relation entre la dimension des habitations et les conditions de vie des esclaves. Selon Orlando Patterson, l’esclavage est plus dur au sein des petites habitations tandis que pour A. Stinchcombe les esclaves ont plus de chances d’être libérés dans ces unités aux effectifs restreints. D’autres chercheurs (tels que Michel-Rolph Trouillot) se sont montrés plus nuancés.
6Sur les ateliers martiniquais, les conditions de vie des esclaves paraissent plus souples qu’à Saint-Domingue, les enfants y sont plus nombreux, à l’inverse de Saint-Domingue où les effectifs juvéniles sont infimes. Contrairement aux caféières dominguoises sur lesquelles la créolisation est très faible, les esclaves des caféières martiniquaises sont, pour une grande majorité, créoles. On perçoit également une différence dans les pratiques sexuelles entre la grande île d’un côté, la Guadeloupe et la Martinique de l’autre. Le métissage est deux fois moins répandu à Saint-Domingue qu’au sein des caféières martiniquaises (toutes proportions gardées) où il est aussi fréquent qu’en Guadeloupe.
7Malgré cela, peu d’esclaves, à l’instar de Saint-Domingue, y vivent vieux… L’évolution démographique et ethnologique est d’ailleurs assez semblable en Martinique et en Guadeloupe. Les pratiques notariales diffèrent substantiellement : les notaires de la Guadeloupe sont beaucoup plus précis et la terminologie usitée varie considérablement d’une île à l’autre notamment dans la désignation des nouveaux venus d’Afrique. Ces derniers entendus sous le vocable « nègres de Guinée » en Guadeloupe sont compris sous celui de « nègre de terre » à la Martinique, ce qui donne une nouvelle acception au terme « nègre de terre » qui avait jusque-là été appréhendé comme un synonyme de « nègre de houe ».
8Contrairement aux autres établissements agricoles des colonies françaises, très peu d’esclaves caféiers sont qualifiés. La taille modeste des ateliers génère une polyvalence de la main-d’œuvre, due à la proximité du maître qui rend la présence d’esclaves à talent, plus particulièrement des « nègres commandeurs », moins nécessaire. La plupart des esclaves caféiers qualifiés appartiennent à des ateliers aux dimensions conséquentes. La zone grise, expression inventée par Primo Lévi et que Patrick Bruneteaux utilise pour désigner le « corps de serviteurs intermédiaires » fabriqué par le planteur pour prévenir tout soulèvement grâce à un système d’espionnage et de délation3, est absente des habitations caféières. Malgré cela les esclaves y sont très peu marrons du fait de la petite superficie des habitations caféières qui implique une surveillance rapprochée du maître.
9Peu de familles nucléaires sont déclarées comme telles dans les listes d’esclaves et il arrive parfois que des ateliers entiers soient dépourvus d’hommes alors que des familles composées d’une mère et de ses enfants y sont recensées. La question des haras humains a alors été esquissée sans qu’une réponse tranchée ait pu être apportée. Il semblerait que seules les relations interhabitations soient à l’origine de l’existence de ces naissances improbables. Dans la même logique, le nombre de mariages, par trop anecdotique (touchant 0,2 % des esclaves en âge de se marier), n’entre pas en ligne de compte, ces derniers ne concernant que les ateliers volumineux. Le mariage correspond bien plus à une stratégie de la part des maîtres qui cherchaient à s’attacher une partie de leurs esclaves qu’à une réelle volonté de ceux-ci. Pour autant, l’ordonnancement des esclaves dans les listes laisse apparaître l’existence de familles dont la structure correspond la plupart du temps à une matrifocalité fonctionnelle dont le référent masculin n’est jamais très loin et dans laquelle l’effectivité du concubinage est patente.
10Ces éléments ne permettent pas pour autant de valider l’hypothèse de meilleures conditions de vie au sein de ce type d’ateliers puisqu’ils sont très peu féconds. La différence de structuration familiale entre les ateliers caféiers et le reste des ateliers martiniquais ou sainte-luciens est éloquente : 33 % des esclaves étudiés appartiennent à une famille contre des pourcentages avoisinant 60 % sur de grandes habitations martiniquaises et 70 % sur des habitations sainte-luciennes. Il n’a pas été possible de conclure sur la vraisemblance qu’il peut s’agir d’une forme de résistance passive à la dureté de la vie dans les habitations. Pour autant, sur les exploitations caféières martiniquaises le rythme de travail est sensiblement moins pénible qu’au sein de leurs homologues dominguoises, la sociabilité et les échanges interhabitations y sont rendus plus simples du fait de la proximité des habitations.
11La recherche historique semble consensuelle. L’évolution des mentalités suite à la création de la Société des amis des Noirs et à la raréfaction graduelle de la main-d’œuvre semble avoir œuvré en faveur de l’assouplissement des conditions de vie de l’esclave. Pourtant, l’étude démographique et sociale des ateliers serviles décrits dans les actes notariés analysés laisse entrevoir une réalité sur laquelle l’influence des politiques philanthropiques n’est vérifiable ni sur les conditions de vie et de travail ni sur les effectifs démographiques et les structures familiales. Elle a par contre révélé, ce qui n’est pas sans signification, qu’un certain nombre de propriétaires donnaient à leurs esclaves la propriété d’un jardin et de la case qu’ils construisaient eux-mêmes et pouvaient démonter et emporter en cas de vente de la propriété. C’est dans cette logique que les esclaves ont peu à peu développé un esprit d’indépendance comme l’aspiration à acquérir un lopin de terre, chose constatable à peine quelques années après l’abolition de l’esclavage par la confrontation des noms recensés dans les actes notariés à ceux consignés dans les registres d’individualité.
12Ces constats (polyvalence de la main-d’œuvre, présence du maître, quasi-absence de marronnage, structures familiales élaborées, matrifocalité, existence d’enfants au sein d’ateliers exclusivement féminins, accession à la propriété) suggèrent l’établissement de relations entre esclaves d’habitations voisines, ouvrant et à la fois élargissant leur sphère de liberté. Ces échanges auraient alors conféré aux petites habitations caféières des mornes un fonctionnement propre, très différent de celui des grandes habitations par trop cloisonnées et isolées. À partir des liens forts d’échanges de cette jeune société qui émanent du contexte comme des propres règles qu’elle a instaurées, et que l’on pourrait qualifier de « tribalisme créole », se sont développés de nouveaux schèmes interethniques, sociaux et comportementaux.
13Néanmoins, une grande majorité des habitations caféières recensées (62 % entre 1776 et 1826) sont dépourvues d’esclaves. Ce constat remet en question le paradigme de l’habitation comme structure d’exploitation servile dont on se sépare une fois le cycle de rentabilité terminé. Est-ce à dire qu’une majorité des habitations caféières fonctionnaient sur la base d’une organisation familiale dépourvue d’esclaves attachés à l’habitation ? Les exploitants caféiers auraient donc cultivé leur terre en famille et utilisé une main-d’œuvre de location pour affronter les pics de production ? Une réponse affirmative à cette dernière question expliquerait le nombre restreint d’habitations possédant un équipement dévolu à la transformation du café. Les cerises seraient alors vendues telles quelles aux grandes exploitations. L’étude du profil des caféiers, en révélant un statut socio-économique souvent modeste, crédibilise cette hypothèse.
14Les propriétaires caféiers correspondent en 1785 à 20 % de la population libre adulte, 10 % en 1826, le pourcentage n’est pas significatif sur une population à 100 % libre après l’abolition. Les femmes occupent une place de choix dans cette activité, elles représentent 31 % des propriétaires caféiers recensés entre 1776 et 1786, 42 % pour la période 1816-1826 et 34 % entre 1856 et 1866. Elles agissent le plus souvent accompagnées d’une tierce personne, mais font preuve néanmoins de beaucoup d’indépendance. Au début du xixe siècle, les femmes blanches contractent souvent aux côtés de leur mari, tandis que les femmes libres de couleur semblent plus autonomes. Aucune étude portant sur le genre féminin du monde sucrier martiniquais n’a permis de faire la comparaison, mais au regard de l’historiographie caribéenne dans son ensemble, les femmes sont rarement à la tête de sucreries. La filière cannière a donc concerné en grande majorité des hommes blancs, révélant un univers restreint à quelques centaines d’individus allant dans le sens de ce qu’a affirmé Vincent Cousseau : « les habitants sucriers puissants ne représentent qu’une fraction minoritaire du peuplement blanc (structurellement environ un cinquième)4 ». À l’inverse, le secteur caféier met en évidence une société diversifiée faisant évoluer des groupes sociojuridiques éclectiques.
15À partir de la fin du xviiie siècle, le secteur caféier est peu à peu intégré par les Libres de couleur. C’est à partir du début du xixe siècle que ce groupe acquiert progressivement une place notable dans la culture du café. Il compte 5 % des effectifs entre 1776 et 1786 et 21 % entre 1816 et 1826 (entre 1856 et 1866, le pourcentage n’a pu être calculé, la mention de couleur ayant disparu des registres à partir de 1830). La fondation d’une exploitation caféière demande peu d’investissements initiaux contrairement à l’acquisition d’une sucrerie, c’est pour cette raison qu’un grand nombre de Libres de couleur et de petits blancs s’y engagent. Si l’habitation a pu être perçue pour certains Libres de couleur comme un moyen d’accéder à une forme de reconnaissance sociale, le titre d’habitant caféier qui leur est attribué dès le xviiie siècle ne leur donne pas plus d’estime que les petits blancs caféiers n’en ont retirée. Pour cause, le rendement d’une habitation caféière, bien que très lucratif dans les débuts, s’est montré décevant dès le début du xixe siècle. Les actes notariés mettent en relief un groupe professionnel souvent endetté contraint de se séparer de ses biens. Les femmes se détournent progressivement de cette activité, elles ne comptent plus que pour une faible part des acquéreurs de ce type d’habitations. La rupture sociale s’opère bien avant 1848 qui ne constitue qu’une étape supplémentaire dans un déclin déjà bien entamé. La reconversion est souvent envisagée dans le sucre pour les plus aisés, dans les vivres pour les autres. Il est intéressant de noter que le problème se reposera quelques décennies plus tard lors de la crise du sucre des années 1880. Le recyclage, plus évident, se fera cette fois du sucre vers le rhum sans pour autant que tous y parviennent.
16Concomitamment aux dégradations de l’économie caféière, la société évolue ; la marche vers l’abolition de l’esclavage est entamée. Les propriétaires parviennent tant bien que mal à se maintenir à flot, mais les conséquences de l’abolition font sombrer un grand nombre d’entre eux. Alors que l’on compte 878 habitations en 1846, elles ne sont plus que 380 en 1850. Bien que l’étude comportementale des nouveaux libres ait été difficile à mener du fait de la pénurie d’informations les concernant, certains d’entre eux ont acquis une portion de terre cultivée en café ou même parfois une habitation caféière. Entre 1856 et 1866 (soit entre dix et vingt ans après l’abolition), 11 % des acquéreurs recensés sont de nouveaux libres. Ces résultats ont ainsi révélé le décalage de taille qu’il y avait entre la réalité et les discours tenus par les contemporains de cette époque qui s’attachaient à décrire les nouveaux libres comme rétifs à tout travail. C’est dans cet esprit d’antagonisme larvé entre les anciens propriétaires et les nouveaux libres que la terminologie du notariat tendra enfin vers la généralisation de l’attribution du qualificatif « propriétaire ». Il s’agit par-là de distinguer l’homme de bien du vagabond dans la même perspective qui conduit Perrinon en 1852 à imposer le port du livret de travail. Cette pratique entamée depuis le début du xixe siècle se généralise dans la seconde moitié du siècle dans une même logique convergente de contrôle de la population.
17L’évolution de la terminologie atteste d’un changement du profil socio-économique des caféiers au fil des décennies. À la fin du xviiie siècle, ils ont rarement un autre métier que celui d’habitant et sont pour l’essentiel des Blancs créoles, militaires pour une bonne part, possédant parfois titres et charges. Comme l’analyse sémantique l’a démontré, le terme « habitant » représente dans ce corps une profession bien plus qu’un statut. Sont qualifiés d’habitants, ceux qui logent sur l’habitation et l’exploitent. Avec le début du xixe siècle la signification du mot évolue, le caféier n’est plus seulement habitant il devient habitant-propriétaire. Le cumul des fonctions devient moins courant. Dans la seconde moitié du xixe siècle, le vocable d’habitant est rarement attribué aux exploitants caféiers, qui ont dès lors moins systématiquement un qualificatif accolé à leur nom et plus régulièrement une profession. Le profil des caféiers se démocratise et l’acquisition d’une habitation caféière concerne essentiellement des agriculteurs, d’où la quasi-absence de propriétaires caféiers désignés en tant qu’« habitants ». Ce terme est alors réservé aux exploitants sucriers qui seuls méritent la reconnaissance sociale qu’apporte la réussite, à l’inverse les habitants des mornes, qualifiés de « moun môn » à Saint-Domingue, reçoivent le titre de « bitaco » qui encore de nos jours désigne un personnage en dehors de la société, en décalage avec le progrès.
18Une fois le profil général de l’exploitant caféier dépeint, l’approche de ses caractéristiques propres a pris forme à travers l’étude des contrats de mariage qui révèle l’apparition puis la généralisation de la séparation de biens qui constitue au xixe siècle une protection pour les femmes à la tête d’un capital. Le contrat de séparation de biens se répand et, entre 1856 et 1866, la majorité des unions sont conclues sous cette forme. L’ouverture du milieu fermé des habitants caféiers semble avoir généré une méfiance envers autrui qui par la suite a pu diffuser cette pratique de façon préventive, d’autant que les unions indiquent une majorité de femmes fort jeunes et par conséquent influençables. L’analyse de l’âge au mariage a en effet montré que ce groupe avait des pratiques maritales en décalage avec celles de la population martiniquaise étudiée par L. Élisabeth. Alors que ce dernier révèle chez les femmes un âge moyen au mariage de 24 ans, les femmes caféières, essentiellement mineures au moment du mariage, s’en écartent sensiblement ; le rapprochement n’a pu être établi pour les hommes faute de moyenne dans le travail de L. Élisabeth. Malgré cela, il a été relevé que les époux sont essentiellement majeurs. L’écart d’âge constaté entre les femmes et les hommes à la date du mariage s’expliquerait selon Vincent Cousseau par le déséquilibre du marché matrimonial dans lequel la femme est sous-représentée.
19La majorité des futurs époux habitants caféiers ont au moins un de leurs parents habitants caféiers. La profession semble se perpétuer de père en fils, de mère en fille ; le milieu caféier apparaît clos et centré sur lui-même. Une analyse parallèle de l’univers sucrier aurait certainement permis de voir et d’établir des liens de parenté existant entre les deux milieux. Mais, une barrière économique sépare les branches pauvres des branches riches qu’une solidarité certes unit, mais qu’aucune commensalité ne rapproche. Ces liens de parenté qui n’impliquent pas nécessairement de proximité créent toutefois une unité sociale. On assiste à l’échelle de l’île au même phénomène que celui observé au Costa Rica :
« Unlike Guatemala and El Salvador, where elites formed a united front opposed to peasants and their manifestations, in Costa Rica it was divided into family factions5. »
20Selon Gérard Béaur, historien-économiste, l’endogamie sociale est le propre des sociétés au partage égalitaire dans les systèmes d’héritage et de succession6. Ici, on ne déroge pas à la règle puisque la Martinique est alors régie par la Coutume de Paris qui accorde une répartition égalitaire entre tous les héritiers, quel que soit le genre. Par ailleurs, deux constantes s’imposent dans le choix de l’époux : une endogamie socio-économique, une autre géographique. L’époux est choisi au sein du cercle restreint des habitants ou propriétaires caféiers, dans un secteur géographique qui se limite à la paroisse ou plus rarement aux paroisses environnantes. Les profils professionnels des parents et des témoins des futurs époux laissent entrevoir un groupe socio-économique figé, les parents appartiennent au même milieu, les témoins au profil similaire sont souvent pris dans la famille et aucune diversité n’est envisagée dans le choix des époux pour une éventuelle ascension professionnelle… Ce comportement social perceptible chez les Blancs créoles ne se vérifie pas totalement chez les Libres de couleur qui font preuve d’une plus grande diversité.
21Au sein du milieu caféier, les codes moraux imposés par la religion catholique ou par la société n’ont pas autant de valeur qu’au sein de la haute société blanche créole. Deux femmes divorcées ont été recensées dans le dépouillement notarial, les unions libres sont bien plus nombreuses et le mélange des couleurs, bien que non affiché, semble plus courante. Le dépouillement des registres d’état civil montre qu’au sein des petits habitants caféiers la liberté des mœurs est une réalité, les naissances naturelles fréquentes. Pour autant, ces usages concernent uniquement les habitants caféiers de petite condition familièrement appelés « petits blancs » et dont les pratiques sociales laissent apparaître une porosité avec le milieu de couleur. Les familles fortunées au contraire fréquentent les hautes sphères de la société coloniale et tendent vers des mariages où les témoins sont choisis comme référent social à l’image de ce qui avait cours dans la société bourgeoise du vieux continent. C’est dans cette logique qu’il a été constaté que si le groupe des habitants caféiers est pluriel à la fin du xviiie siècle intégrant des profils variant du noble au simple cultivateur, les profondes restructurations sociales du xixe siècle tendant vers la mixité ont eu pour effet le resserrement de la classe des grands habitants sur elle-même comme son recentrage sur le paradigme sucrier. Les grands habitants caféiers tendent à fuir l’activité caféière à mesure que celle-ci devient plus accessible aux petits blancs et aux gens de couleur. Une grande majorité des grands Blancs s’orientent vers l’unique secteur agricole porteur de l’époque : le secteur cannier, ce qu’atteste l’anthropologue Jean Benoist qui souligne en ces termes la spécificité sociale de la Martinique :
« La forte cohésion sociale des Blancs créoles en Martinique doit donc être considérée à côté des facteurs purement économiques comme un facteur sociologique déterminant dans l’évolution de la grande propriété agricole7. »
22Après l’abolition de l’esclavage, les propriétaires caféiers sont essentiellement composés de petits agriculteurs pour une bonne part anciens esclaves ayant acquis un lopin de terre ou une petite habitation suite à leur libération.
23La confrontation de la localisation géographique des habitations caféières et du profil ethnico-juridique de leur propriétaire permet d’envisager plus aisément les relations non officielles entre les Libres de couleur et les Blancs. Aucune ségrégation spatiale n’a été constatée au sein du territoire caféier martiniquais qui paraît interagir en cela de façon homogène. Les habitations des Libres de couleur sont souvent limitrophes de celles des Blancs. Ce contexte, sans pour autant pouvoir influer de manière radicale sur les mentalités, ne pouvait qu’introduire une certaine accoutumance de la mixité favorisant la naissance de relations intimes et cela d’autant plus que les propriétaires caféiers sont, pour la plupart, des hommes de terrain, exploitant eux-mêmes leur terre. La délégation de la charge de travail à des géreurs n’est pas courante, l’habitation est avant tout un lieu de vie familial au sein duquel plusieurs générations se côtoient, les accouchements s’y opèrent, les filiations s’y perpétuent. En dehors du cercle familial restreint, les habitants caféiers sont peu entourés et il n’est pas rare de rencontrer des propriétaires, qu’ils soient hommes ou femmes finissant leurs jours, seuls sur l’habitation. L’état civil annonce alors que, faute d’amis ou de proches, des témoins ont été requis pour constater le décès (il en va de même pour la déclaration des naissances). Et pour cause, du fait de la faiblesse de leurs revenus et de la rusticité de leur demeure, la majorité des propriétaires caféiers ne reçoivent pas, le réseau social se retrouve donc réduit à peau de chagrin.
24Dans d’autres cas cependant, l’habitation n’est plus un lieu de résidence familial, mais revêt plutôt l’aspect d’une entreprise lucrative. C’est le cas pour certains citadins qui y voient un fonds de commerce ou même un lieu de retraite loin de la ville. Ces quelques cas permettent de faire la liaison entre l’habitation et le milieu urbain révélant que la première est intimement liée à la seconde et que la scission entre le milieu urbain et le milieu rural n’a pas de réalité à la Martinique. On pouvait être caféier tout en étant marchand, commerçant ou négociant.
25Cette étude a avant tout révélé que la société martiniquaise n’est pas plus tripartite que binaire. L’historiographie et la sociologie se sont trop souvent attachées à structurer la société en trois catégories en confrontation avec le paradigme dualiste opposant les Blancs aux Noirs présentant le groupe des mulâtres (intermédiaire) dans un rôle tampon de maintien du régime colonial (tel qu’à Saint-Domingue) comme pour répondre au questionnement de la Boétie8. Mais à l’issue de cette thèse, ni le groupe des gens de couleur ni celui des Blancs n’apparaissent plus comme un tout homogène (mise à part le groupe des grands Békés qui est une exception dans l’évolution générale9).
26L’analyse sociale révèle plusieurs éléments qui aboutissent à un même constat : la société martiniquaise paraît compartimentée à tous les niveaux, par la couleur, par le degré de fortune, et plus encore par l’affirmation de ce dernier dans l’apparence :
« Ce n’est pas la naissance qui distingue aux îles, mais l’état de richesse : la position sociale se mesure à la puissance matérielle10. »
27Comme nombre d’anthropologues et de sociohistoriens d’inspiration marxiste l’ont très rapidement perçu dans les années 196011, les rapports d’exploitation ont servi à la structuration de la société. Le niveau économique a tenu une part non négligeable dans la hiérarchisation de la société martiniquaise. La distinction qui est faite au début du xixe siècle entre le propriétaire et le non-propriétaire en constitue le premier indice. Les non-propriétaires sont essentiellement regroupés dans les principales villes ou dans les bourgs : artisans, matelots ou autres, les descriptions en font des indigents, mendiants qui perturbent l’ordre de la colonie. Leur situation instable, mais surtout leur niveau économique peu enviable en font des « petits Blancs » méprisés de tous. Aussi touche-t-on ici à la définition du « petit Blanc » qui selon l’acception qu’en donne Charles Frostin, s’associe davantage aux nouveaux venus qui viennent tenter leur chance aux colonies qu’aux Blancs créoles de petite condition. On a pu constater cependant que l’image qu’il véhicule, loin d’être codifiée, n’est tout simplement pas claire. Le signifié de ce terme en conséquence reste jusqu’à maintenant indéfini, n’appelant pas encore de réel consensus. De facto, pour Saint-Domingue Jacques de Cauna inclut dans cette classe, les « colons caféiers qui vivent dans les quartiers reculés des mornes et avec eux les modestes propriétaires d’indigoteries, de cotonneries, de places à vivres, de hattes à bestiaux [qui] n’entrent pas dans la classe des grands Blancs12 ». Gabriel Debien semble par contre attacher à ce terme les gérants des plantations sucrières. Pour autant, cette qualification péjorative de « petits Blancs » ne peut indistinctement être comprise comme une simple opposition aux grands Blancs, sucriers ou négociants. Les notions de créolité et de propriété tiennent une forte place dans la considération, le jugement de valeur comme la hiérarchisation. Le propriétaire créole ne peut en aucun cas être entendu sous le même vocable ni être associé aux laissés pour compte et marginaux que l’île voit débarquer sur ses côtes chaque nouvelle année et que J. de Cauna comptabilise à environ un millier par an pour Saint-Domingue13. Il est vrai que la Martinique n’a pas été aussi touchée que cette dernière par l’arrivée en masse de cette « véritable pègre immigrée de métropole14 » qui a néanmoins compté dans les effectifs des centres urbains. Ainsi est-il possible d’envisager, en droite ligne de l’analyse anthropologique de Jean-Pierre Sainton, que le groupe des Blancs est scindé en trois catégories sociales : les « grands habitants », les « habitants moyens » et les « petits Blancs15 ». Ces derniers pouvant être considérés comme un sous-groupe placé en dessous des Libres de couleur propriétaires dans la hiérarchie socio-économique. Il s’agit bien d’un groupe « fourre-tout » correspondant à la masse industrieuse non propriétaire et comprenant aussi des Libres de couleur. Le « petit Blanc », qui associe dénuement et métissage, ne peut pour cette raison être associé aux planteurs caféiers qui possèdent le statut de propriétaires.
28L’endogamie géographique, sociale et économique des caféiers constitue un indicateur prégnant de la rareté des brassages intergroupes. La mixité des couleurs bien qu’officieuse est observable à travers l’analyse des transactions notariales. Les relations illégitimes entre les Blancs caféiers et les femmes de couleur libres, perceptibles au gré des actes notariés, comme l’amitié entre Blancs et gens de couleur libres, vérifiable dans le choix des témoins des contrats de mariage, laissent apparaître une bien plus grande perméabilité des barrières de couleur qu’il n’en est des barrières socio-économiques. Aussi convient-il de tenir compte, dans la représentation hiérarchique de la petite société coloniale, à la fois des préjugés de couleur et du référent économique, la distinction économique a parfois même prévalu sur la couleur. La fédération du groupe des grands planteurs blancs créoles et celui des Libres de couleur contre les petits Blancs des villes s’est opérée à plusieurs moments décisifs de l’histoire de la Martinique. Le dédain des propriétaires, quelle que soit leur couleur, pour les sans-titres de l’île supplantait toute autre considération. Ainsi la hiérarchie sociale martiniquaise peut être envisagée différemment, sous certains aspects, de celle donnée à la Guadeloupe pour la période post-esclavagiste par Jean-Pierre Sainton. Inutile sans doute de préciser que les structurations sociales des deux îles, issues d’une histoire ponctuée d’événements majeurs très différents, ont peu de choses en commun. À partir de la période révolutionnaire et du Premier Empire, la Guadeloupe et la Martinique, jusque-là si proches, s’engagent sur des chemins d’évolution sociale, déterminant une formation de schémas mentaux, sensiblement distincts. En Martinique, le pouvoir qui se concentrait dans les mains d’une centaine de grands propriétaires terriens sucriers va au cours des années 1860-1870 se regrouper dans celles de quelques grands entrepreneurs qui verront dans les ingénieurs métropolitains l’alliance à ne pas négliger. On pourra alors parler à l’égal de Cuba, quelques décennies auparavant, de « saccharocratie16 ». Cette classe dominante blanche sera suivie de près par quelques grandes familles mulâtres. Parallèlement, la Guadeloupe qui perd son aristocratie créole sous la Révolution doit recréer l’échelle de ses valeurs sociales, les grandes plantations sucrières étant peu à peu rachetées par des capitaux métropolitains, pièces rapportées exclues, de fait, du corps social. Or, comme le soutient Rodolfo Stavenhagen dans son ouvrage intitulé Las Classes sociales en las sociedades agrarias : « La movilida social es un hecho importante en todas las sociedades, sobre todo si se estudia en relation con las estructuras del poder y la conducta politica, y con los cambios en las estructuras sociales17. » Il affirme en cela que les échelles des valeurs sociales des monarchies européennes, comme celles des pays d’Amérique latine, basées sur la stratification ethnique de l’époque coloniale, lorsqu’elles ont subi le choc de changements révolutionnaires se sont transformées en « fossiles » (pour reprendre les termes de R. Stavenhagen). Il précise que chacun des échelons de l’échelle sociale est nécessaire à la préservation de l’équilibre général. Ce point de vue expliquerait, en ouvrant le débat, l’ancrage plus prononcé de la classification colorifique issue de l’ancien régime colonial constaté par J.-P. Sainton à la Guadeloupe, laquelle se serait peu à peu modifiée à mesure de l’évolution de la société martiniquaise. À cet égard, on pourrait proposer le modèle renvoyé en annexe 14.
29Le début du xixe siècle met en évidence une avancée vers la fusion d’un seul groupe de petits caféiers indépendamment de la couleur. Il est difficile ensuite de suivre l’évolution durant la période post-esclavagiste, la complexité de l’analyse pour cette dernière (occultation de la mention de couleur dans les actes notariés) ne permettant pas une étude aussi poussée.
30Ainsi, alors qu’il semble compliqué pour un homme de couleur propriétaire d’être plus estimé qu’un Blanc propriétaire de la même condition économique, il est aisé de démontrer qu’il passe au-dessus d’un petit Blanc sans le sou. Au plus bas de la hiérarchie économique, les compétences font la différence, la couleur est reléguée au second plan. Il est avéré qu’en Martinique tout autant qu’en Jamaïque un homme de couleur qualifié est préféré à un petit Blanc de formation équivalente. Le premier bénéficie d’une certaine reconnaissance pour son mérite et sa qualification que le second parvient difficilement à obtenir de son semblable blanc trop emprunt de mépris à son égard. À la Jamaïque, il a été révélé que dans la catégorie des « working class », les femmes de couleur sont mieux perçues que les femmes blanches :
« Creole opinion had by the late eighteenth century turned its back firmly on the notion of working women18. »
31De sorte qu’avec le milieu du xixe siècle l’augmentation du groupe des Libres de couleur dans le secteur caféier aidant, le franchissement des barrières raciales dans des situations particulières où les différences socio-économiques n’existent plus, se fait de manière plus spontanée. Il est d’ailleurs plus aisé lorsque l’individu se situe au plus bas de la hiérarchie économique. Il s’agit alors de la « considération » prise dans le sens de l’évaluation de la distance ou de la proximité sociale, préalable à l’étalonnage de l’altérité à la base de toute relation. On est encore cependant bien loin des « gracias al sacar » de la monarchie espagnole qui permettaient de décider juridiquement de la blancheur d’un homme de couleur, notamment après enrichissement.
32Nous parlons bien évidemment d’un modèle établi à partir d’éléments de recherches qui demandent à être étayés en remontant des lignées entières dans les registres d’état civil, la distinction des deux milieux (petits caféiers blancs et de couleur) étant rendue presque impossible dans la seconde moitié du xixe siècle. Cette matrice théorise une nouvelle perception de la société martiniquaise qui s’éloigne d’une société organisée et hiérarchisée en fonction de la couleur de la peau et se rapproche des structures sociales observées à Saint-Domingue par des historiens tels que Stewart King où les Libres de couleur font partie des Planter Elites et pour certains d’entre eux contractent dans 45 % des cas avec des Blancs19. Cette proximité n’existe pas au sein du secteur caféier martiniquais à la fin du xviiie siècle, mais s’observe graduellement au cours du xixe siècle, révélant des relations qui vont au-delà des affaires commerciales, et laissant entrevoir la création progressive d’un groupe intermédiaire de couleur engendré par la femme blanche jusqu’ici considérée comme seule garante de la pérennisation des générations de Blancs créoles20. Cette théorie est avancée à partir du constat de l’existence de naissances illégitimes au sein des petits caféiers blancs dans les registres d’état civil de la seconde moitié du xixe siècle. Une étude plus poussée de certains profils révèle que les naissances illégitimes sont parfois suivies d’un mariage avec un homme de couleur. L’analyse du portrait de quelques-uns de ces descendants de couleur issus de femmes initialement filles d’habitants caféiers a permis de constater que leur statut socio-économique et leur degré d’instruction régressent. Ce début d’analyse qui promet des résultats fructueux reste toutefois à être étayé par d’autres travaux notamment sur les réseaux sociaux dans l’objectif d’une approche plus qualitative. Il est à souhaiter que d’autres recherches viennent compléter les miennes. Cette inversion finirait de distinguer les comportements sociaux des hautes et des basses couches de la société blanche créole. L’étude de la société sucrière fait intervenir des acteurs d’un niveau social élevé au profil plus homogène qui tend vers la formation d’une élite recentrée sur elle-même. À l’inverse le milieu caféier ancré dans toutes les couches de la société martiniquaise laisse entrevoir l’originalité et la singularité de cette dernière.
Notes de bas de page
1 Moral Paul, Le paysan haïtien (étude sur la vie rurale en Haïti), Port-au-Prince, Fardin, 1978.
2 Renouard de Sainte-Croix Félix, Statistique de la Martinique, ornée d’une carte de cette île, avec les documens authentiques de sa population et de ses revenus, etc., vol. 2 : 2, Paris, Chaumerot, Librairie, 1822, p. 97.
3 Bruneteaux Patrick, Le colonialisme oublié. De la zone grise plantationnaire aux élites mulâtres à la Martinique, Broissieux, Éditions du Croquant, 2013, (Terra), p. 33.
4 Cousseau Vincent, Population et anthroponymie en Martinique du xviie siècle à la première moitié du xixe siècle. Étude d’une société coloniale à travers son système de dénomination personnel, thèse de doctorat d’histoire, université des Antilles et de la Guyane, Schœlcher, 2009, p. 773.
5 Vogt Melissa, Variance In Approach Toward A “Sustainable” Coffee Industry In Costa Rica: Perspectives from Within; Lessons and Insights, op. cit., p. 19.
6 Béaur Gérard, Histoire agraire de la France au xviiie siècle, op. cit., p. 44.
7 Masse Raymond, La fin des plantations, Évolution des formes de soumission du travail dans deux sociétés néo-coloniales : Martinique et Guadeloupe, Montréal, Publication du Centre de recherches Caraïbes, 1980, p. 40.
8 Bruneteaux Patrick, Le colonialisme oublié. De la zone grise plantationnaire aux élites mulâtres à la Martinique, op. cit., p. 39.
9 Bonniol Jean-Luc, La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des « Blancs » et des « Noirs », Paris, Albin Michel, 1992, 304 p.
10 Cauna Jacques de, L’Eldorado des Aquitains, Gascons, Basques et Béarnais aux Îles d’Amérique (xviie-xviiie siècles), op. cit., p. 172.
11 Memmi Albert, Portrait de colonisé, Paris, Buchet-Chastel, 1957 et Harris Marvin, Patterns of Race in the America, New York, Walker, 1964, in Bonniol Jean-Luc, La couleur comme maléfice, op. cit.
12 Cauna Jacques de, « La société créole », in Regards sur les Antilles, Collection Marcel Chatillon, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, musée d’Aquitaine, Bordeaux, 1999, p. 51-65.
13 Ibid., p. 59.
14 Le Mat Coline, « Charles Frostin, Les révoltes blanches à Saint-Domingue aux xviie et xviiie siècles », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, no 116-1, 2008, p. 200-201.
15 Sainton Jean-Pierre, Couleur et société en contexte post-esclavagiste. La Guadeloupe à la fin du xixe siècle, Pointe-à-Pitre, Éditions Jasor, 2009, p. 102.
16 Goncalvès Dominique, Le planteur et le roi. L’aristocratie havanaise et la couronne d’Espagne (1763-1838), vol. 39, Madrid, Casa de Velázquez, 2008, (Bibliothèque de la casa de Velázquez), p. 4.
17 Stavenhagen Rodolfo, Las clases sociales en las sociedades agrarias, Mexico, Siglo Veintiuno Editores, 1970, préface.
18 Mathurin Mair Lucille et al., Historical Study of Women in Jamaïca, 1655-1844, op. cit., p. 136.
19 King Stewart R., Blue Coat or Powdered Wig. Free people of Color in Pre-Revolutionary Saint Domingue, op. cit., p. 210.
20 Cousseau Vincent, « Population et anthroponymie en Martinique du xviie siècle à la première moitié du xixe siècle. Étude d’une société coloniale à travers son système de dénomination personnel », op. cit., p. 390.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008