Préface
p. 7-10
Texte intégral
1La soutenance d’une thèse est un moment fort de la vie du chercheur. Et, lorsque, passées les fourches caudines de l’université où elle a été évaluée et reçue avec brio par la communauté des chercheurs, l’édition consacre alors un nouvel ouvrage savant aux yeux du grand public. Nous y sommes. C’est aussi ce moment particulier pour celle, et ceux, qui ont accompagné le chercheur que d’assister à la maturation et l’éclosion d’une jeune compétence historienne.
2J’accueille, en écrivant ces lignes, avec plaisir, mais aussi non sans une certaine émotion, la demande que m’a faite Marie Hardy-Seguette de rédiger la préface de l’ouvrage, issu de sa thèse. Car comment ne pas avoir une pensée reconnaissante pour la mémoire de Danielle Bégot, Professeur d’Histoire contemporaine à l’université des Antilles, à qui il revenait d’écrire la présentation au grand public, d’un travail qu’elle fut fière de porter à la soutenance et dont elle fut le mentor depuis les premières incursions de Marie Hardy sur les mornes caféiers de la Martinique, puis, tout au long du parcours et de l’écriture de la jeune doctorante, la directrice rigoureuse et attentionnée. Elle aurait certainement su, mieux que moi-même, qui fut son étudiant d’une génération précédente, trouver les formules impérissables qui auraient accompagné la publication aujourd’hui de la thèse de Marie Hardy-Seguette.
3« Déconstruire l’histoire monolithique de l’habitation pour mieux percevoir la multiplicité de ses aspects. » Tel est l’objectif scientifique ambitieux énoncé par Marie Hardy-Seguette, et qu’elle réussit de fort belle manière en s’attelant à l’histoire suivie des habitations caféières de la Martinique sur plus d’un siècle et demi, des touts débuts de son implantation dans les premières années du xviiie siècle, jusqu’à sa disparition, comme culture marchande dans les années 1860 où elle ne sera plus qu’une culture prétexte. Ce défi pouvait sembler une gageure à plus d’un titre. D’abord quant à la pertinence de l’objet historique. Y avait-il encore place pour une histoire oubliée du café auprès de celle occupée par le sucre roi, hégémonique dans l’historiographie, comme dans les vestiges physiques et dans l’imaginaire historique contemporain ?
4Mais chercher c’est trouver. Marie Hardy-Seguette nous apporte la preuve ici. Car il fallait faire réapparaître cette mémoire enfouie du monde caféier qui fut pourtant longtemps, sinon en valeur, du moins en nombre, le principal visage de l’habitation à la Martinique. Marie Hardy-Seguette nous rappelle en effet, qu’à la veille de la période révolutionnaire, le café fut même en passe de détrôner le sucre.
5Pour retrouver ce siècle et demi de présence du café à la Martinique, deux écueils de taille devaient être surmontés : en premier lieu, l’absence de travaux préalables qui imposait de recourir à une large couverture bibliographique pour mettre en perspective l’histoire du café martiniquais dans sa dimension caribéenne. Les différentes références bien présentes tout au long de l’ouvrage sur la Guadeloupe, Saint-Domingue, la Jamaïque et judicieusement insérées dans l’étude nous assurent d’une large connaissance de la question sans que jamais le chercheur cède à ce travers, malheureusement trop courant, qui est de combler les lacunes par des gloses générales déconnectées du terrain précis qui fait l’objet de la recherche. La perspective comparative est ici omniprésente et met en relief toute l’originalité de l’univers caféier martiniquais, ses différences avec les plantations caféières des grandes îles (Jamaïque, Saint-Domingue) ou même ses dissemblances avec le modèle le plus proche qui est celui de la Guadeloupe.
6En second lieu, il fallait surmonter la fragmentation, la discontinuité et la grande disparité des sources primaires. Marie Hardy-Seguette a procédé à un colossal travail de dépouillement de tous les fonds notariés des périodes 1776-1786, 1816-1826, 1856-1866 auxquels s’ajoute un volume appréciable d’actes administratifs et juridiques, de mémoires, de dossiers statistiques, de sources imprimées. C’est là une base archivistique plus que consistante qui confère à la thèse toute la solidité d’une base de données sûre. On ne saurait faire grief à Marie Hardy-Seguette de n’avoir guère utilisé les papiers privés d’habitation. Ils sont en vérité peu nombreux : les cyclones, la période révolutionnaire, l’éruption de la Pelée, les termites surtout, sont passés par là. Par ailleurs, ces sources sont originellement bien moins présentes qu’à Saint-Domingue où la correspondance des régisseurs et des propriétaires absentéistes a pu faire naguère les délices des chercheurs. Malgré tous ces handicaps premiers des sources, Marie Hardy-Seguette, a prouvé que l’histoire des habitations des petites îles restait malgré tout possible et prometteuse, faisant mentir les affirmations de Gabriel Debien qui signalait déjà à l’époque ce hiatus des sources d’habitation entre Petites et Grandes Antilles.
7Dans cette monographie du café, le lecteur trouvera donc un socle de données historiques à la fois solides et inédites. Il appréciera surtout, au-delà de l’histoire économique d’une denrée coloniale, l’approche complètement neuve de topologie et d’anthropologie sociale qui nous restitue tout un monde perdu : l’univers spécifique de l’habitation caféière de la Martinique. Car il y a dans cet ouvrage des trésors de finesse d’analyse micro-historique : ainsi, ces pages sur le transport intérieur du café, des habitations au port, avec la description des réseaux d’intermédiaires, l’exégèse terminologique autour de la maison et de la case comme l’étude minutieuse faite des matériaux utilisés (tressage en gaulettes, bois ou pierre) ou du mobilier et des ustensiles relevés dans les inventaires du petit habitant caféier. Il nous est révélé toute une anthropologie du plus grand intérêt du milieu des exploitants caféiers. Elle amène à s’interroger sur la place de ce groupe composite et sur son rôle tampon, qui semble avoir tenu une place plus forte dans le tissage social que dans l’économie coloniale.
8L’autre segment humain de l’habitation caféière est constitué de la population esclavisée sur laquelle on ne savait jusque-là quasiment rien. Ils sont, en 1785, un peu plus de 14 000 esclaves, soit 20 % de la population servile de l’île, à travailler dans le café, à raison d’une moyenne entre 10 et 15 esclaves par habitation. Nous sommes loin des concentrations par dizaines sur les habitations sucrières. Grâce au corpus reconstitué de 4 583 esclaves caféiers, Marie Hardy-Seguette parvient à tirer de cet échantillon de source, des données précises qui nous éclairent sur les caractéristiques de ce secteur si particulier de la société d’habitation à la Martinique, où après l’abolition une petite couche d’habitants caféiers se recompose en partie à partir d’anciens propriétaires déclassés, en partie avec des anciens et nouveaux affranchis de l’esclavage. Ce n’est pas la moindre des nouveautés que l’ouvrage de Marie Hardy apporte à la compréhension de la formation sociale martiniquaise contemporaine.
9Le Monde du café à la Martinique, un monde complètement disparu en 1860 ? Après lecture de cette magistrale contribution à son histoire, que nous offre Marie Hardy-Seguette, on nuancera désormais cette affirmation.
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