Comptabilités privée et publique xixe-xxie siècle
Le modèle de la double hélice
p. 219-240
Texte intégral
1À l’époque moderne, les finances publiques françaises font fréquemment appel à des fonds et des acteurs privés1. Les pratiques comptables publiques reflètent alors cette dépendance. Pour la période contemporaine, nous chercherons, dans cet article, à caractériser l’évolution des échanges entre les pratiques comptables privées et publiques afin de retracer des généalogies comptables, en nous inspirant de la démarche de Peter Miller et Christopher Napier2. Cette mise en perspective sur la longue durée tend à éclairer les enjeux du rapprochement actuel entre les normes comptables des institutions publiques et celles des entités privées. S’appuyant sur des travaux scientifiques récents, il s’agit de retracer une histoire de plus de deux siècles d’interrelations entre les comptabilités marchande, dite privée, et publique.
2Les enjeux des deux comptabilités, et autour d’eux les rapports de force, évoluent considérablement pendant cette durée. Les partisans de l’importation de méthodes du privé dans les comptes publics sont légion depuis les frères Paris au début du xviiie siècle. Dès les années 1880, certains enseignants à l’École libre des sciences politiques mettent en parallèle les finances publiques et les finances privées3. Pendant et après la Première Guerre mondiale, l’ingénieur Henri Fayol veut réformer l’État selon des méthodes de gestion industrielles. Le mouvement initié par des agents des Impôts, L’État moderne, œuvre, de 1928 à 1940, en faveur d’un rapprochement des comptabilités publique et privée pour certains établissements publics4. Les passages de hauts fonctionnaires, notamment des inspecteurs des Finances5, du public au privé, et vice-versa, diffusent une conception de l’État-entreprise6 et renforcent les échanges entre les pratiques comptables publique et privée.
3Parallèlement, le rapprochement entre les méthodes comptables privées et publiques suscite depuis longtemps des oppositions. Dans la lignée du baron de Bielfeld rejetant au xviiie siècle l’introduction de la comptabilité à partie double dans les services de l’État, du conseiller à la Cour des comptes Albert Pomme de Mirimonde opposé au rapprochement des comptabilités publique et industrielle de l’État dans les années 19307, ou encore du directeur de la Comptabilité publique Gilbert Devaux hostile au tournant gestionnaire de la comptabilité publique dans les années 19508, les détracteurs de la loi organique relative aux lois de finances de 2001 (Lolf) et de la normalisation internationale de la comptabilité publique s’inquiètent désormais de la « privatisation » de la comptabilité publique. Cette « privatisation » ne doit pas être entendue ici comme le contrôle de la/des comptabilité(s) « publique(s) » (générale, budgétaire et, dans une certaine mesure, nationale) par des intérêts privés, mais comme la perméabilité accrue de la doctrine publique à des concepts et outils développés dans le secteur concurrentiel.
4En premier lieu, il convient de comprendre pourquoi l’État a normalisé les comptabilités du secteur marchand. Ensuite, comment s’opèrent les échanges de pratiques comptables entre le monde du commerce et l’administration ? En outre, à partir de quand a-t-on assimilé, sur le plan comptable, l’État à une entreprise ? Enfin, quels sont les enjeux, pour les militaires et pour les civils, de l’implantation d’instruments comptables issus du privé et, plus généralement, quelles sont les finalités des réformes comptables privées et publiques ?
5Afin de répondre, nous verrons tout d’abord comment, du xixe siècle au xxe siècle, la comptabilité privée devient un outil de surveillance et de contrôle par l’État9. Puis, à partir du xixe siècle, l’emploi tels quels ou l’adaptation dans le secteur public d’instruments comptables issus d’entreprises concurrentielles visent à une meilleure gestion des deniers publics et laissent entendre que ces instruments sont plus efficaces que ceux en vigueur dans l’administration. Enfin, depuis les années 1960, les réformes de la gestion des finances publiques inspirées par des méthodes du privé n’ont pas seulement pour but de faire des économies mais également de transformer le fonctionnement et la nature de l’État. Ces réformes rencontrent de multiples limites et résistances.
La comptabilité privée, outil de surveillance et de contrôle de l’État
6Au xixe siècle, l’État, alors qu’il normalise sa comptabilité10, va peu à peu développer les obligations comptables des entreprises, d’abord pour informer les actionnaires, ensuite pour contrôler l’emploi de l’argent public, puis pour s’assurer de rentrées fiscales et, ultimement, pour connaître la situation économique du pays. Ce phénomène traduit une ingérence étatique qui a pour objectifs de défendre des intérêts privés mais aussi, in fine, l’intérêt général.
Une ingérence comptable étatique pour défendre des intérêts privés et l’intérêt général
7L’Édit pour le commerce des marchands en gros et en détail de 1673, ou Code Savary, suivi des Codes de commerce de 1807, 1866 et 1966, relève du droit de l’État à réglementer les comptes privés dans l’intérêt général mais aussi de la sauvegarde d’intérêts particuliers. Ainsi, durant le second xixe siècle, l’État favorise la transparence des comptes des sociétés dans l’intérêt des actionnaires. Il encadre par des textes juridiques le fonctionnement et les comptes à rendre des sociétés commerciales, notamment en commandite. En 1866, il instaure le recours obligatoire, mais, il est vrai, longtemps illusoire, à un commissaire de société (futur commissaire aux comptes) pour les sociétés qui font appel à l’épargne publique. La célèbre loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés prescrit l’obligation d’un bilan uniforme. Dans le cas particulier des chemins de fer, l’État surveille, conditionne et vérifie les comptes des compagnies qui bénéficient de la garantie du paiement par l’État d’un minimum d’intérêts pour le capital investi11.
8Au début du xxe siècle, l’impôt sur le revenu et le principe déclaratif (1914), puis la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre (1916) et enfin l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux (1917) poussent à connaître la situation comptable des entrepreneurs et des entreprises. Le contrôle des déclarations incite ainsi à réglementer les comptabilités privées12. En outre, les commandes étatiques d’armement durant la Première Guerre mondiale, puis le réarmement à partir de 1934, entraînent des contrôles plus poussés des industries fournisseuses de l’armée et, par là, un développement de leurs comptabilités. La fréquence des contentieux fiscaux et l’abondante jurisprudence qui en découle obligent à abandonner le flou antérieur et à s’accorder sur la définition, par les autorités publiques, de l’amortissement et du bénéfice dans les années 1920 et 1930. La création puis la généralisation progressive des plans comptables généraux (PCG) à toutes les entreprises à partir des années 1940 représentent l’exemple emblématique du rôle de prescripteur comptable de l’État.
Les plans comptables généraux des entreprises utiles à tous
9À la différence de ce qui se passe dans les pays anglo-américains, l’autorité publique joue en France un plus grand rôle que les professionnels du chiffre dans la normalisation comptable des activités privées13. L’État français inaugure en 1942 une série de PCG (1947, 1957, 1982, 1999) qui s’appliquent progressivement à l’ensemble des entreprises. Le PCG de 1947 est d’abord obligatoire pour des entreprises sous contrôle de l’État et qui en reçoivent des aides. Les premiers PCG résultent à la fois de la demande ancienne d’unification des bilans par les professions comptables et les juristes, d’une quête d’informations économiques et financières par l’administration fiscale et des besoins en données de la comptabilité nationale. Afin de disposer de l’information économique nécessaire à un interventionnisme croissant, l’État, tout en développant la comptabilité nationale, va, durant l’après-guerre et les années de forte croissance qui suivent, accroître son action de normalisateur des comptes des sociétés et contrôler la profession comptable. Déjà, la création de l’ordre des experts-comptables14 en 1942 participe de ce mouvement de surveillance comptable par les autorités publiques. Se succèdent par ailleurs, dans la tâche de définir les comptes des sociétés, des organismes mixtes, privés-publics, mais majoritairement composés de représentants des pouvoirs publics : la Commission de normalisation des comptabilités, le Conseil supérieur de la comptabilité, le Conseil national de la comptabilité, le Comité de la réglementation comptable, enfin l’Autorité des normes comptables depuis 2009. L’Europe joue également un rôle de normalisateur et d’« harmonisateur » des comptabilités générales privées. Les directives européennes de 1978 et 1983 sur les comptes sociaux et les comptes consolidés sont transposées en droit français dans la loi dite comptable de 1983 et dans celle de 1985 sur les comptes consolidés. L’État a modelé les comptabilités marchandes selon ses intérêts mais toujours en collaboration avec les praticiens et les utilisateurs des chiffres privés. Il a également importé depuis longtemps des outils des comptabilités privées pour les comptages publics.
Mieux gérer les deniers publics par l’usage d’outils comptables privés ?
10Au xviiie siècle notamment15, les États européens font preuve d’une grande inventivité pour leurs outils financiers16, mais ils empruntent cependant encore peu aux méthodes marchandes. Au xixe-xxe siècle, les hybridations se multiplient : de la comptabilité en partie double aux calculs de coût-efficacité en passant par les comptabilités commerciales publiques.
La lente généralisation de la comptabilité à partie double dans l’administration
11Pour les marchands du royaume de France, la tenue d’une comptabilité à partie double – inventée en Italie au xiiie siècle – devient, en théorie, obligatoire dès la fin du xviie siècle, mais elle ne s’est généralisée dans le pays que dans les années 1810-1830. En effet, le développement de la comptabilité marchande (soit à partie double, soit par des comptes en charge et décharge, autrement appelés comptabilité en recette, dépense et reprise) reste longtemps différencié selon les secteurs économiques (mines, métallurgie, textile)17. Le système de la partie double est ainsi très utilisé chez les commerçants et souvent ceux du secteur textile. Les comptes par recette, dépense et reprise, à l’image des comptes de l’État, prédominent, eux, dans les secteurs miniers et métallurgiques. Selon Yannick Lemarchand, la partie double et « le mode des finances publiques » coexistent ainsi du xviie siècle au début du xixe siècle18.
12La comptabilité à partie double n’enregistre pas que les mouvements de caisse, mais établit des états financiers en droits constatés. Dans le secteur public, la partie double, qui permet l’ébauche d’une comptabilité générale (d’engagements, paiements et encaissements), répond à un souci de connaissance approfondie de l’état des finances publiques et de maîtrise des dépenses. Le modèle de la partie double, qui tente d’être appliqué aux finances publiques, n’est pas le décalque des pratiques privées mais un modèle hybride19. L’introduction de la partie double dans l’administration du Trésor va néanmoins durer plus de deux siècles.
13En premier lieu, les frères Paris expérimentent entre 1716 et 1726 une comptabilité à partie double (aménagée par rapport à celle des marchands, à des fins de contrôle de la caisse commune des payeurs et des régisseurs)20. La comptabilité camérale développée en Autriche à la fin du xviiie siècle21 constitue un autre essai remarquable d’importation de la comptabilité à partie double dans la « comptabilité publique22 ». Les deux comptabilités (recette dépense reprise et partie double) cohabitent également parfois dans les comptes des personnes en charge de finances publiques au xviiie siècle. Le ministre du Trésor (1806-1814) de Napoléon Ier, Mollien, qui fut manufacturier textile entre 1793 et 1798, introduit, lui, la comptabilité à partie double dans l’administration, pour la nouvelle Caisse de service en 1806, et pour le Trésor et pour les receveurs généraux et d’arrondissement en 1808. La mise en œuvre de la partie double dans les finances publiques est cependant réalisée très lentement, à l’instar de ce qui se passe dans le monde des affaires. En 1924, le Sénat demande au Gouvernement l’extension de la tenue des comptes en partie double à tous les ministères, entreprises industrielles et administrations23, preuve que la pratique n’est toujours pas généralisée. Les financiers publics créent d’autres comptes hybrides pour gérer des secteurs, publics ou sous tutelle publique, autonomes du budget de l’État.
La multiplication des comptabilités hybrides
14Outre la comptabilité à partie double adaptée pour l’administration, le premier exemple d’hybridation24 apparaît dans la gestion des chemins de fer. Comme l’écrit Mohammed Ali Dakkam, « l’évolution de la comptabilité ferroviaire obéit à un compromis constamment renégocié entre rentabilité privée et utilité publique des chemins de fer25 ». Cependant, ni l’amortissement ni le calcul du prix de revient ne sont favorisés, jusqu’à la fin du xixe siècle, par le format des comptes rendus dans les chemins de fer. Par la suite, les essais d’application de comptabilités analytique ou générale dans le secteur parapublic se multiplient.
15L’État instaure des comptabilités d’exploitation dans les offices, qui se développent pendant et après la Première Guerre mondiale, ainsi que dans les établissements publics industriels et commerciaux des années 1930. Les agences et les sociétés nationales possèdent également une autonomie financière et comptable. Au côté notamment de budgets annexes des chemins de fer, un budget annexe des Postes, télégraphes et téléphones est créé en 1923, bientôt suivi de plusieurs autres dans les années 1920. Ces différentes institutions sous contrôle de l’État constituent autant de relais et de passerelles favorables à la transmission des pratiques. Pourtant, il est rare, des années 1930 aux années 1950, que les idées et méthodes du privé passent directement dans le public26.
16À l’inverse, le budget, qui représente la partie prévisionnelle de la comptabilité, est un outil public exporté dans le privé27. Aux États-Unis, plusieurs auteurs dans les années 199028 ont montré que l’outil budget est créé à l’initiative des villes et du Gouvernement fédéral américain, puis est repris par certaines entreprises dans les années 1920-1930 dans un but de contrôle des coûts. En France, le développement des budgets dans les grandes entreprises françaises des années 1930 aux années 1960, puis sa généralisation par la loi dans les années 1980 est parallèle à celui du contrôle de gestion29. Tel qu’il est promu par des réformateurs sociaux, le budget d’une entreprise est également, à l’instar de celui de l’État, un levier d’action sur la société30. Il n’a cependant pas le caractère contraignant d’une loi de finances initiale. La différence persistante entre le budget de l’État et celui d’une entreprise réside dans ce caractère contraignant des prévisions annuelles valant autorisations d’engagements.
17L’introduction des outils des comptabilités de type privé dans les comptes d’établissements publics se poursuit à nouveau dans les années 1950. En 1952-1953 est prévue l’extension d’une comptabilité d’inspiration privée aux hôpitaux et offices publics d’habitation à loyer modéré31. En 1959, l’ordonnance organique du 2 janvier applique la comptabilité commerciale aux comptes de commerce de l’État. Le décret du 29 décembre 1962, portant règlement général sur la comptabilité publique, présente une nomenclature des comptes dans la comptabilité générale de l’État qui s’inspire du PCG. Une version du PCG est utilisée pour l’État à partir de 1970, répartissant les dépenses et les recettes en fonction de leur nature économique. La comptabilité du patrimoine de l’État n’est cependant pas établie. Ce plan comptable de l’État permet des retraitements dans la comptabilité nationale.
18Grâce à ces innovations comptables, l’État et ses institutions périphériques (SNCF, EDF…) souhaitent notamment mieux connaître leurs coûts de fonctionnement. Les nombreuses études sur le prix de revient des services et produits publics révèlent une recherche ancienne de l’efficacité de la dépense publique. Dans ce but, la comptabilité privée ne constitue pas, pendant longtemps, la méthode privilégiée.
La recherche de l’efficacité de la dépense publique avec les calculs de coût-efficacité
19Si, en France, le souci d’une bonne gestion des finances publiques peut être repéré assez tôt dans le xixe siècle32, les régimes politiques successifs de ce siècle construisent, avec des textes juridiques, une orthodoxie budgétaire qui vise plus la régularité des processus financiers que la gestion efficace des dépenses publiques. La recherche de l’évaluation, du contrôle et de la baisse des coûts de production est essentiellement développée dans le secteur industriel.
20Les origines des méthodes de gestion par la comptabilité restent incertaines. Richard Fleishman et Lee Parker situent les prémices de la comptabilité des coûts durant la Révolution industrielle anglaise dans les industries textiles et métallurgiques anglaises du dernier tiers du xviiie siècle33. Selon Thomas Tyson, le mariage entre le management et la comptabilité a lieu dans les filatures de coton de Lwell (Massachusetts, États-Unis) au tournant des années 183034. D’après Keith Hoskin et Richard Macve, il est postérieur et s’opère à la Springfield Armory (États-Unis) après 184035. Quoi qu’il en soit, sous différents noms et formes, la question du meilleur ratio entre input et output, pour schématiser, est déjà abordée au xixe siècle en France dans les chemins de fer et dans les affaires militaires.
21Les militaires ont joué un grand rôle dans la quête d’une meilleure efficacité des dépenses publiques. Ils recherchent depuis longtemps à maîtriser les coûts, c’est-à-dire d’abord les connaître pour ensuite les contenir. La Marine procède ainsi à des tentatives de calcul du prix de revient et de l’amortissement dès le xixe siècle. La prescription d’un compte de prix de revient en 1854 reste néanmoins lettre morte. Le calcul de l’amortissement n’apparaît qu’à partir de 1912 et demeure imparfait, car il ne prend pas en compte tous les coûts, notamment les salaires36. D’autres expériences de calcul de coûts sont signalées dans des armées étrangères37. Au xixe siècle, on note la permanence d’un vivier d’innovateurs comptables chez les militaires anglo-saxons38. Au Royaume-Uni, durant ce siècle, les redditions de comptes militaires sont copiées dans les ministères civils39. En France, les travaux précurseurs du lieutenant-colonel Émile Rimailho sur la comptabilité analytique sont bien connus40. Le calcul du prix de revient pour les services publics commence réellement dans l’entre-deux-guerres. Le professeur de droit Gaston Jèze en appelle, à la fin des années 1920, à la mesure de l’efficacité de la dépense publique grâce à un rapprochement entre le coût et le rendement de chaque service41. De son côté, la Commission générale d’organisation scientifique du travail (CGOST), organisme de formation et de conseil créé en 1926 au sein de la Confédération générale de la production française et appelé en 1936 Cegos, fait connaître les méthodes de gestion du privé dans l’administration. Elle développe, notamment grâce à Rimailho, une méthode uniforme de calcul de prix de revient pour les entreprises privées. Cependant, Jean Milhaud, secrétaire général de la Cegos, ne souhaite pas le décalque de la comptabilité des entreprises sur la comptabilité publique42. Des tentatives de normalisation des méthodes de calcul de coûts émergent, durant l’entre-deux-guerres, des collaborations au sein des branches ou entre les entreprises. Cette volonté d’harmonisation comptable aboutit à la méthode dite des sections homogènes, intégrée au PCG de 1947 et devenue la comptabilité analytique.
22La notion de rendement est acquise chez les fonctionnaires dès les années 193043. La Cour des comptes exerce dans l’entre-deux-guerres son contrôle de régularité et de gestion en déterminant les prix de revient des chemins de fer, de services publics locaux, des régies, des concessions, des budgets annexes ou encore des services autonomes et des offices44.
23Après-guerre, le Comité central d’enquête (CCE) sur le coût et le rendement des services publics, en lien étroit avec l’Institut technique des administrations publiques (Itap) créé en 1947 par Milhaud, développe les études de prix de revient dans les services publics qui doivent permettre de les comparer. La comptabilité des entreprises n’est toujours pas une référence à copier telle quelle dans le public, selon le secrétaire général du Comité Gabriel Ardant. Les études sur les prix de revient sont moins nombreuses au CCE à partir de 1954, puis disparaissent en 195945. Sous l’impulsion de la direction du Budget, les contrôleurs financiers en produisent quelques-unes, selon leur appétence respective pour la question, dans les années 195046. Des inspecteurs des Finances les utilisent également à cette époque. De 1953 jusqu’en 1961, alors qu’il est commissaire général à la productivité (privée puis publique), Gabriel Ardant introduit des techniques d’organisation scientifique du travail et prône, avec l’Itap, la systématisation de services dédiés à l’optimisation de l’organisation et des méthodes dans l’administration. Il souhaite ainsi une réforme administrative par le bas47. La recherche de gains de productivité dans les administrations est à la mode dans les années 1950. Puis, dans les années 1960, la quête de la performance de la dépense publique passe par le développement des études coût-efficacité.
24Les études coût-efficacité sont nées au xixe siècle du besoin des ingénieurs des Ponts et Chaussées d’argumenter leurs décisions48. Aux États-Unis, les ingénieurs militaires ont perfectionné la comptabilité des chemins de fer et développé les études coût-avantage entre les années 1920 et 195049. Aux États-Unis toujours, au début des années 1960, le planning-programming-budgeting system (PPBS) vise, pour les dépenses de défense, à faciliter la prise de (« bonnes ») décisions financières. Ce système procède à la fois des études coûts-avantages, de l’analyse de système et de la recherche opérationnelle. Le PPBS est issu, par un double aller-retour, à la fois du secteur marchand et de l’administration, mais également du monde civil et du monde militaire. En effet, les recherches sur les coûts dans l’US Air Force durant la guerre sont reprises dans le secteur privé (chez Ford notamment), puis réimporté au ministère de la Défense sous Mac Namara à partir de 1960. La Rand Corporation, département research and development créé pour les besoins de l’armée américaine, devenu ensuite indépendant, joue un rôle central dans la formalisation et le déploiement du PPBS.
25Parmi les avocats français des méthodes coût-efficacité au sein des armées, il faut citer le Centre de prospective et d’évaluations (CPE), créé en 1964 et dirigé par Hugues de L’Estoile, ainsi que le contrôleur des armées Pierre Louf50. Une tentative d’acclimatation du PPBS est menée aux Armées par le CPE sous le nom de 3PB, peu de temps avant que la rationalisation des choix budgétaires (RCB) soit lancée dans les ministères civils51. Le directeur du Budget Renaud de La Genière, promoteur de la RCB avec Philippe Huet, chef de la mission RCB, prône alors « l’analyse de système, le calcul économique, l’adoption de budgets de programmes, la réalisation de structures d’objectifs, l’élaboration d’une comptabilité analytique pour les services de l’État, la refonte des nomenclatures budgétaires, la mise en place d’un contrôle de gestion a posteriori52 ». Le 3PB comme la RCB sont abandonnés, le premier dès 1973, la seconde au début des années 198053. Ces systèmes sont restés théoriques. Ils n’ont aidé ni à mieux connaître les coûts des politiques publiques ni à maîtriser les dépenses publiques54. En revanche, l’épisode RCB est moins remarquable par l’introduction de techniques inspirées de celles en pratique dans les entreprises – mais provenant, pour certaines on l’a vu, initialement du secteur public –, que parce qu’il constitue une étape décisive dans l’histoire de l’analogie souhaitée entre l’État et une entreprise. En particulier, les cadres de la fonction publique, y compris les militaires, doivent alors se considérer comme des managers55. La recherche de l’optimisation des dépenses publiques s’est donc traduite par des essais plus ou moins concluants. Malgré les échecs de la RCB et du 3PB, l’idée est restée que l’État peut être géré comme une entreprise.
Les limites et les résistances à la convergence comptable aux niveaux national et international
26L’emprunt d’éléments du registre comptable marchand pour les adapter aux comptes publics s’est intensifié au cours du xxe siècle afin, d’abord, de mieux connaître la situation financière du pays, puis, en particulier sous influences internationales, d’améliorer le fonctionnement de l’État. Ce phénomène rencontre cependant à la fois des limites méthodologiques et des résistances.
La délicate comptabilité patrimoniale de l’État
27Selon certains, l’État doit présenter un bilan et une comptabilité patrimoniale à l’instar de ceux des entreprises. Léon Say évoque un bilan de l’État en 188856. Le docteur en droit Alfred Guerlet écrit une thèse sur Le bilan de l’État en 191657. La même année, l’inspecteur des Finances Jules Corréard, qui publie sous le pseudonyme de Probus, propose un bilan actualisé de l’État, mais exclut une réforme de la comptabilité publique58. L’expert-comptable Marcel Soquet préconise, lui aussi, un bilan de l’État en 193459. Le concept de bilan appliqué à l’État n’est donc pas neuf, mais reste très théorique. Certes, sous le Premier Empire, le comte Mollien fait établir un bilan général (trimestriel) du Trésor destiné à l’Empereur60. Ensuite, le Compte général de l’administration des Finances présente, à partir de 1824, un bilan financier de l’État, mais sans dimension patrimoniale et sans comptabiliser des stocks. Étienne Clémentel réalise un inventaire sur la situation financière de la France en 192461. Il est suivi de l’inventaire du même type de 1946, voulu par Robert Schuman. En France, une sorte de comptabilité patrimoniale de l’État est établie depuis 1974 dans le compte général de l’administration des Finances.
28Une rupture intervient dans les années 1970 quand les méthodes comptables du secteur privé sont liées au topos de la réforme de l’État. En effet, à partir de cette décennie, la réforme administrative devient un sujet politique62. Dans un contexte d’européanisation, puis de mondialisation des échanges commerciaux, une doctrine néolibérale, de plus en plus influente, dénonce un État inefficace, qui doit se réformer en s’inspirant des réussites capitalistes et notamment de leurs méthodes comptables – lesquelles n’empêchent pas du reste les erreurs stratégiques, les faillites et les fraudes. Les organisations professionnelles comptables anglo-américaines multiplient les études sur la comptabilité de l’État à partir des années 197063. Par ailleurs, si le new public management (NPM) des années 1980-2000 ne représente qu’un épisode dans cette histoire longue de l’acclimatation de méthodes du privé au secteur public, cependant, le phénomène est désormais mondial. Le contrôle budgétaire, de gestion, à l’aide d’indicateurs de performance64, le reporting et l’audit sont ainsi implantés à partir des années 1980 dans les administrations de tous les pays de l’OCDE, et au-delà. Les réformes comptables, qui prônent notamment l’instauration d’une comptabilité patrimoniale, apparaissent comme le moyen privilégié pour réformer des États.
29La comptabilité patrimoniale française est révisée avec la Lolf de 2001, fruit d’une initiative parlementaire transpartisane. Entrée en vigueur en 2006, cette loi provient de ferments des années 1950-1980 : management par objectifs défini par Peter Drucker en 1950 et développé dans les entreprises américaines dans les années 1960, coût-efficacité, RCB, NPM… Le nouveau système financier décompose, dans les lois de finances, les politiques publiques en missions, programmes d’action et objectifs financiers, dont la réalisation est mesurée par des « indicateurs de performance » chiffrés. Cette réforme de la comptabilité budgétaire et générale doit entraîner une réforme de l’État65. Pour ce faire, l’analogie entre la comptabilité générale de l’État et celle des entreprises est explicite66. La Cour des comptes joue, à l’ère de la Lolf, le rôle de commissaire aux comptes de l’État en certifiant son compte général. Capitalisant les expériences passées, la Lolf introduit une pseudo-rationalité économique dans les « comptes publics67 » mais une vraie gestion comptable des politiques publiques.
30La comptabilité générale selon la Lolf évalue. C’est-à-dire, en particulier, que la comptabilité patrimoniale – le premier bilan patrimonial de l’État date de 2006 – attribue une valeur monétaire à des machines et à des marchandises, mais également à des éléments immatériels comme les brevets ou à la force de travail des employés. La valorisation des actifs de l’État, à la juste valeur ou aux coûts historiques, entre autres, ne va pas sans poser des problèmes méthodologiques et politiques. L’actif ou le passif de l’État est sous-estimé selon les points de vue, et la valorisation à la juste valeur partiellement appliquée au patrimoine étatique68. La sociologue Corine Eyraud distingue des compromis entre les visions privée et publique de la comptabilité publique au travers des normes édictées en 2003 pour estimer le bilan de l’État69. Les débats sur cette comptabilité de l’État, patrimoniale et bilancielle, proche de celle des entreprises, ont été et restent intenses. Ils s’inscrivent dans un contexte mondial d’harmonisation des comptabilités générales des États.
Les résistances à la privatisation de la comptabilité publique
31Dans le monde occidental, la généralisation de la financiarisation de l’économie, d’une part, et le management des finances publiques, d’autre part, entraînent une (lente) double normalisation internationale des normes comptables des entreprises et des États. Dans le cadre de dettes publiques négociables sur les marchés financiers internationaux70, les prêteurs réclament, afin qu’ils puissent évaluer la sécurité de leur investissement (prêt à intérêts), une comparabilité et une transparence accrues des finances publiques des pays. Cette évolution procède d’une certaine mise en concurrence des États et, en ce sens, d’une « privatisation des États71 ». Les concepts du secteur privé sont entrés dans le champ lexical des normalisateurs publics. La France participe à ce mouvement général de « banalisation » des normes comptables publiques72. En 2002, est créé un Comité des normes de comptabilité publique, organisme mixte public-privé qui produit le Recueil des normes comptables de l’État de 2004. Ce Comité devient en 2009 le Comité de normalisation des comptes publics (CNOCP), qui s’intéresse à toutes les entités publiques. Ces comités participent aux consultations que l’International Public Sector Accounting Standards (IPSAS) Board, organisme privé émanant de l’International Federation of Accountants (fédération majoritairement anglo-américaine de comptables), pour définir un cadre commun applicable aux entités publiques, qui reste inspiré des International financial reporting standards (IFRS), normes destinées au secteur marchand.
32Au niveau européen, les maquillages des comptables publics grecs sur le niveau d’endettement de leur pays dans les années 2010 montrent que la comptabilité nationale est autant politique que la comptabilité budgétaire ou générale et, surtout, que les comptes publics évalués partiellement dans la comptabilité nationale, qui n’est pas faite pour cela, ne permettent qu’imparfaitement de saisir l’état des finances publiques d’un pays. En conséquence de cela et afin d’améliorer les données recueillies par Eurostat (notamment fiabiliser les calculs de niveau de dette et de déficit nationaux), la Commission européenne adopte la directive du 8 novembre 2011 sur les cadres comptables généraux des pays de la zone euro. Cette directive invite, sans les contraindre, les États à améliorer leurs comptabilités (générale et, par là, nationale), notamment en utilisant les IPSAS. En 2013, la Commission européenne juge cependant que les IPSAS ne sont pas applicables telles quelles en Europe. Dès lors, une réflexion est engagée sur la création de normes comptables européennes (European public sector accounting standards, EPSAS), spécifiques au continent mais avec toujours pour référence les IPSAS, à défaut d’autre modèle.
33Ce mouvement de normalisation comptable engendre de multiples résistances de la part des États et des sociétés. En premier lieu, si l’adoption des normes EPSAS est soutenue par Eurostat, qui souhaite une mise en œuvre obligatoire et uniforme, les États membres désirent, eux, que soient prises en compte leurs spécificités nationales. L’harmonisation internationale (en Europe) des comptes publics demeure ainsi difficile et inachevée73.
34En second lieu, comme la forme conditionne le fond, la comptabilité constitue un puissant levier de la réforme de l’État : de sa gestion financière, de son administration et de son essence même. Dans le secteur public, la réforme récente de la comptabilité publique entraîne un mode de gestion des finances publiques en phase avec les manières de voir et les intérêts contemporains du secteur concurrentiel, le plus souvent opposés à la conception traditionnelle du service public74. En conséquence, par exemple, l’application du management de la dépense, de la logique de la performance et de l’autonomie financière au monde de l’enseignement supérieur et de la recherche publique française suscite de nombreuses études éclairantes sur les tenants et les aboutissants de ce type de gestion publique et reste très critiquée75. Les usages détournés ou non avertis d’états et d’indicateurs chiffrés omniprésents redéfinissent les missions de service public et le sens même de l’action publique vis-à-vis de citoyens assimilés à des clients. Or l’État n’est pas une entreprise : l’intérêt général ne peut être comptabilisé comme les intérêts privés, qui sont, eux, tournés vers la recherche du profit pour quelques-uns seulement. Des objectifs financiarisés ne peuvent transcrire correctement les finalités de politiques publiques, qui sont d’abord souvent difficilement quantifiables, ensuite non rentables et enfin destinées au plus grand nombre (et pas seulement à des investisseurs, ni même aux seuls contribuables). Le CNOCP défend ainsi l’idée d’une spécificité des comptes publics76. En France particulièrement, la résistance de l’administration aux réformes gestionnaires reste forte77 et l’approche comptable de la réforme de l’État est souvent mise en échec78. Les premiers bilans de la mise en œuvre de la Lolf sont, eux, pour le moins, mitigés79. Depuis plus d’un siècle, l’État est pensé comme une entreprise à diriger avec les mêmes méthodes (comptables notamment) que le privé. Pourtant, les amendements à la comptabilité générale de l’État ne servent toujours pas à amender l’État.
Conclusion
35Au regard de deux siècles d’histoire parallèle, les comptabilités générales privée et publique se développent, toujours liées, jamais confondues, suivant une double hélice. On peut distinguer, depuis le xixe siècle, quatre phases dans les relations comptables public-privé, qui dessinent en creux une histoire de l’État. Au xixe siècle, l’État arbitre s’ingère dans les comptes privés, principalement pour défendre de nombreux intérêts particuliers (actionnaires, investisseurs, épargnants). Ensuite, avec le développement des réseaux de chemins de fer, mais également pendant et après la Première Guerre mondiale, l’État entrepreneur devient un acteur économique, qui entend gérer ses investissements et essaye de nouvelles comptabilités hybrides de gestion des deniers publics. Le développement de l’État percepteur entraîne, lui, des tentatives d’harmonisation des comptes des entreprises, à des fins de contrôle fiscal notamment. Après la Seconde Guerre mondiale, avec la période de l’État Providence, il change à nouveau de périmètre et de nature. Durant cette troisième phase, son interventionnisme est autant économique que social. Les comptabilités nationale et budgétaire de l’État progressent en conséquence. Enfin, les évolutions des premières décennies du xxie siècle peuvent faire croire au premier abord que la dernière phase sera celle de la convergence comptable public-privé.
36Notre actualité comptable s’inscrit dans une continuité historique forte. D’abord, les deux types de comptabilités participent d’un mouvement de fond de quantification croissante, caractéristique des sociétés occidentales80. Ensuite, de tout temps, les formes de la comptabilité publique ont conditionné les modalités de l’action publique. En outre, même si leurs origines81 et leurs finalités82 diffèrent, les comptabilités marchandes et publiques partagent certains principes théoriques : séparation entre des ordonnateurs et des comptables, sincérité, régularité, fidélité. Par ailleurs, mises en perspective, les comptabilités privée et publique suivent des chronologies parallèles : les années 1810 marquent les débuts de la généralisation de la partie double dans les (grandes) entreprises et dans l’administration ; les grandes dates de la réglementation de la comptabilité publique sont 1862 et 1962, et 1866 et 1966 pour celle du privé83. En outre, depuis longtemps, l’État en France n’est plus le seul maître des règles comptables du privé. Parallèlement, le rapprochement conceptuel entre privé et public s’inscrit dans une tradition d’emprunts (comptabilité à partie double par l’administration, budget par les entreprises), d’allers-retours (plans comptables généraux créés par les autorités pour les entreprises et ensuite adaptés aux activités étatiques), d’échanges (calculs de coût-efficacité) et d’hybridations (comptabilités commerciales publiques). Les deux comptabilités n’engendrent cependant aucune émulation84. Dernier point, la convergence des normes comptables publiques et privées observée de nos jours commence, en réalité, dès le début du xxe siècle avec l’idée de bilan de l’État, se poursuit dans les années 1930 avec le leitmotiv de la réforme de l’État, puis dans les années 1950 et 1960 avec les calculs des prix de revient et du coût-efficacité des services et dépenses publics, enfin, et surtout, durant les années 1970, avec une idéologie néolibérale prônant le retour à un État simplement arbitre.
37Les essais dans l’administration de la partie double, du bilan patrimonial ou encore du coût-efficacité des services publics n’aboutissent pas dans l’immédiat à des résultats probants, soit en raison d’une inertie des cultures professionnelles, soit en raison d’obstacles techniques, soit parce qu’ils ne répondent pas aux besoins du moment. L’histoire de ces instruments comptables révèle néanmoins des phénomènes de résurgences comptables. Certaines innovations offrent ainsi parfois des avancées sans lendemain mais avec un surlendemain, notamment car les données du problème restent d’actualité. Dans le monde des techniques comptables, il n’existe pas, entre les familles privée et publique, de filiation en ligne droite, mais plutôt un réseau de parentèles aux liens plus ou moins distendus.
38Comment caractériser notre époque au regard de cette histoire longue – mais ici très brève – des comptabilités publique et privée ? Le passage, depuis les années 2000, de l’analogie théorique État-entreprise à la tentative de convergence comptable pratique marque indéniablement une rupture. Les IPSAS depuis 2000, la Lolf de 2001 et le décret de 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique85 brouillent les catégories privée et publique. L’interpénétration des sphères privée et publique progresse, et rappelle à certains égards des pratiques d’époques anciennes86. Avec les IPSAS et les EPSAS, l’État (et la France) n’est plus le seul à arrêter les normes du secteur public. L’apparent recul de l’autorité publique dans les dossiers des normes IFRS applicables aux entreprises en Europe87, les présupposés managériaux de la Lolf défendus par l’OCDE et les normes comptables publiques inspirées par des acteurs privés semblent attester d’une victoire de la logique du marché.
39En réalité, selon l’analyse de Saskia Sassen, il s’agit d’une dénationalisation de certaines fonctions et logiques historiquement étatiques88. Les États ne sont pas vaincus par les marchés financiers. Les contraintes et les enjeux de la normalisation comptable privée rendent toujours nécessaire une collaboration du privé et des États89. Avec la crise commencée en 2007, les nouvelles normes de capitalisation et de tenue des bilans des banques édictées par des pouvoirs publics témoignent, une fois encore, de l’importance des États dans le maintien de l’ordre comptable mondial.
40Parallèlement, le développement des informations comptables sur l’État et les sociétés (cotées du moins) entraîne aujourd’hui un déluge de données90, qui devrait faciliter les contrôles et les décisions, mais qui, dans les faits, les corsète et les biaise. La quantification comptable pléthorique (du monde économique mais également de l’État) incite les investisseurs, les journalistes, les parlementaires… à se concentrer sur un certain nombre de chiffres fétiches, ce qui appauvrit les débats. Par ailleurs, la mise à disposition de données massives ne doit pas être confondue avec de la transparence91. En un mot, tout ce qui se compte ne compte pas nécessairement.
41Ces évolutions ne sont ni inéluctables92 ni irréversibles. La loi organique de 2001 peut être remplacée. Des normes comptables publiques établies par des autorités publiques peuvent réapparaître. Outils de contrôle, de gestion et de réforme, les comptabilités sont à la fois les marqueurs et les actrices de leur époque. L’implantation des comptabilités d’inspiration marchande dans les comptes des État participe de l’essor de l’usage de la rationalité économique pour la prise de décision de politiques publiques93. Ce phénomène, qui offre une image chiffrée de la société, présente comme objectif, rationnel et incontestable ce qui n’est qu’une nouvelle forme de subjectivité. En effet, les comptabilités interprètent la réalité à partir de cadres d’analyse subjectifs. Comme elles traduisent un ensemble de croyances, elles modèlent en retour la vision du monde.
42Il convient de s’interroger collectivement sur la valeur sociale des comptabilités. La démocratie et la confiance dans la politique ne peuvent se construire que sur des comptabilités privée et publique dont les risques de partialité doivent être patiemment évalués, clairement expliqués et publiquement discutés. Les deux comptabilités appréciées à leur juste valeur, c’est-à-dire comme des catégories performatives et non pas des livres de vérités révélées, permettraient d’avoir plus confiance dans les chiffres94 et d’atténuer les excès de la gouvernance par les nombres95.
Notes de bas de page
1 Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984.
2 Peter Miller et Christopher Napier, « Genealogies of calculation », Accounting, Organizations and Society, vol. 18, 1993, no 7/8, p. 631-647.
3 Corinne Delmas, « L’émergence d’une rationalité gestionnaire à l’École libre des sciences politiques », La Revue du Trésor, juin 2007, no 6, p. 596-599.
4 Florence Descamps, « L’État moderne, une contribution originale des fonctionnaires des Finances à la réforme de l’État », Revue française d’administration publique, 2006/4, p. 667-678.
5 Voir Florence Descamps, « Les inspecteurs des Finances et la réforme de la gestion publique au xxe siècle » (p. 141-150) ; Michel Margairaz, « Les inspecteurs des Finances au cœur des politiques économiques de la “Grande Croissance” 1944-1973 » (p. 201-211) ; Luc Rouban, « Le pantouflage aux xixe et xxe siècles » (p. 307-318) ; Béatrice Touchelay, « L’inspection des Finances et le développement de la normalisation comptable en France de 1916 à 1965 » (p. 269-271), dans Fabien Cardoni, Nathalie Carré de Malberg et Michel Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, IGPDE/Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF), 2012.
6 Florence Descamps, « L’entreprise a-t-elle été un modèle d’inspiration au ministère des Finances pour la modernisation de l’État dans la France des Trente glorieuses ? », Entreprise et histoire, 2016/3, no 84, p. 107-108.
7 Albert Pomme de Mirimonde, « La comptabilité publique et la comptabilité industrielle de l’État », Annales de finances publiques, no 4, 1938, p. 1-17.
8 Philippe Masquelier, « La comptabilité publique selon Gilbert Devaux : un plaidoyer pour le maintien d’une gestion publique des finances publiques en France dans les années 1950 », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967), Paris, IGDPE/CHEFF, 2013, p. 445-518.
9 Béatrice Touchelay, L’État et l’entreprise. Une histoire de la normalisation comptable et fiscale à la française, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
10 Matthieu De Oliveira, « Comptabilité privée et comptabilité publique aux xixe et xxe siècles : formes et normes », dans Olivier Mattéoni et Patrice Beck (dir.), Classer, dire, compter. Discipline du chiffre et fabrique d’une norme comptable à la fin du Moyen Âge, Paris, IGPDE/CHEFF, 2015, p. 391-401.
11 Stéphane Rials, « Le contrôle de l’État sur les chemins de fer des origines à 1914 », dans Ephe, Administration et contrôle de l’économie 1800-1914, Genève, Droz, 1985, p. 73-121 ; Georges Ribeill, « L’inspection des Finances et les chemins de fer xixe-xxe siècle : du contrôle des comptes au pilotage financier, des liens croisés », dans Fabien Cardoni, Nathalie Carré de Malberg et Michel Margairaz (dir.), op. cit., p. 319-325 ; François Caron, « Chemins de fer et budget » (1838-1937), dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Élaborations et pratiques du droit budgétaire et comptable au xixe siècle (1815-1914), Paris, IGPDE/CHEFF, 2010, p. 489-501.
12 Béatrice Touchelay, « D’une sortie de guerre à l’autre : de l’impôt sur les bénéfices de guerre (1916) à la confiscation des profits illicites (1944-1945), l’État a-t-il appris à compter ? », dans Marc Bergère (dir.), L’épuration économique en France à la Libération, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 33-50.
13 Didier Bensadon, « Normalisation comptable et consolidation des comptes au xxe siècle », dans Olivier Mattéoni et Patrice Beck (dir.), op. cit., p. 443-461 ; Béatrice Touchelay, « À l’origine du plan comptable français des années 1930 aux années 1960, la volonté de contrôle d’un État dirigiste ? », Comptabilité-contrôle-audit, no thématique, juil. 2005, p. 61-88.
14 Fabien Cardoni et Béatrice Touchelay, La marque expert-comptable au service de l’économie. Soixante-dix ans d’histoire de l’Ordre des experts-comptables, Paris, Cliomédia, 2012.
15 Marie-Laure Legay (dir.), Les modalités de paiement de l’État moderne. Adaptation et blocage d’un système comptable, Paris, CHEFF, 2007.
16 Pierre-Cyrille Hautcœur, « Conclusion », dans Katia Béguin (dir.), Ressources publiques et construction étatique en Europe xiiie-xviiie siècle, Paris, IGPDE/CHEFF, 2015, p. 267-280.
17 Yannick Lemarchand, « Comptabilité industrielle, comptabilité manufacturière », dans Marie-Laure Legay (dir.), Dictionnaire historique de la comptabilité publique 1500-1850, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 117-121.
18 Yannick Lemarchand, « Style mercantile ou mode des finances, le choix d’un modèle comptable dans la France d’Ancien Régime », Annales. Histoire, sciences sociales, no 1, janv.-févr. 1995, p. 182.
19 Yannick Lemarchand, « Partie double », dans Marie-Laure Legay (dir.), Dictionnaire…, op. cit., p. 305-308.
20 Yannick Lemarchand, « Comptabilité et contrôle : une expérience d’introduction de la partie double dans les finances publiques sous la Régence », dans L’administration des finances sous l’Ancien Régime, actes du colloque de Bercy, 22 au 23 février 1996, Paris, CHEFF, 1997, p. 129-154.
21 Marie-Laure Legay, « Comptabilité camérale », dans Marie-Laure Legay (dir.), Dictionnaire…, op. cit., p. 115-117.
22 L’expression « comptabilité publique » est utilisée en France à partir du Premier Empire.
23 Stéphanie Flizot, « Qualité de la gestion, économie et efficience de la dépense publique dans les rapports annuels de la Cour des comptes sur la période de l’entre-deux-guerres », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle…, op. cit., p. 192, note 71.
24 Néanmoins, sous l’Ancien Régime, les États européens développent déjà des formes variées de partenariat public-privé pour le financement de leurs infrastructures. Voir Anne Conchon, David Plouviez et Éric Szulman (dir.), Le financement des infrastructures de transport xviie-début xixe siècle, Paris, IGPDE/CHEFF, 2018 ; Xavier Bezançon, 2000 ans d’histoire du partenariat public-privé pour la réalisation des équipements et services collectifs, Paris, École nationale des ponts et chaussées, 2004.
25 Mohamed Ali Dakkam, « Quelques aspects inexplorés de l’histoire managériale des chemins de fer en France : les méthodes de calcul du prix de revient 1842-1883 », dans Ève Lamendour et Yannick Lemarchand (dir.), La magie du chiffre, no 79 de Entreprises et histoire, 2015/2, p. 40.
26 Antoine Weexsteen, « La contribution des organismes du privé au perfectionnement des méthodes des administrations publiques des années 1930 aux années 1960 : l’exemple de la Commission générale d’organisation scientifique (Cegos) et de l’Institut technique des administrations publiques (Itap) », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle…, op. cit., p. 303-331.
27 Sur les budgets publics et privés, voir Fabien Cardoni, « Budget de l’État et budgets des entreprises », dans Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (dir.), Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p. 62-63.
28 Richard K. Fleischman et R. Penny Marquette, « Government/Business Synergy: Early American Innovations in Budgeting and Cost Accounting », The Accounting Historians Journal, vol. 19, no 2, déc. 1992, p. 123-145 ; Irene S. Rubin, « Who Invented Budgeting in the United States? », Public Administration Review, sept.-oct. 1993, 53, p. 438-444 ; Jonathan Kahn, « Re-Presenting Government and Representing the People: Budget Publicity and Citizenship in New York City, 1908-1911 », Journal of Urban History, 1993, vol. 19, p. 84-104 ; id., Budgeting Democracy: State Building and Citizenship in America 1890-1928, Ithaca/New York, Cornell University Press, 1997.
29 Nicolas Berland, « La naissance du contrôle budgétaire en France 1930-1960 : rôle des consultants, apprentissage organisationnel et jeu des acteurs chez Pechiney et Saint-Gobain », Comptabilité, contrôle, audit, sept. 1997, p. 5-22.
30 Nicolas Berland et Ève Chiapello, « Le rôle des réformateurs sociaux dans la diffusion de nouvelles pratiques de gestion : le cas du contrôle budgétaire en France (1930-1960) », Comptabilité, contrôle, audit, juin 2004, p. 133-160. À noter que, au xixe siècle, pour Frédéric Le Play, l’établissement de budgets de famille doit permettre de réformer les mœurs et l’organisation sociale.
31 Jean-Jacques Lordonnois (expert-comptable), « L’application du plan comptable dans l’Administration », Revue administrative, no 32, mars-avril 1953, p. 203-210.
32 Sébastien Kott, « L’invention d’outils “gestionnaires” dans le système financier de la Restauration », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Élaborations…, op. cit., p. 409-423.
33 Richard K. Fleischman et Lee D. Parker, « British Entrepreneurs and Pre-Industrial Revolution Evidence of Cost Management », The Accounting Review, 1991, vol. 66, no 2, p. 361-375.
34 Thomas N. Tyson, « The Nature and Environment of Cost Management Among Early Nineteenth-Century US Textile Manufacturers », Accounting Historians Journal, vol. 19, no 2, déc. 1992, p. 1-24.
35 Keith W. Hoskin, Richard H. Macve, « The Genesis of Accountability: the West Point Connection », Accounting, Organizations and Society, 1988, vol. 13, no 1, p. 37-73.
36 Bernard Lutun, Marine militaire et comptabilité : une incompatibilité ? Contribution à l’histoire des finances de l’État français, chez l’auteur, 2010, p. 82, 212 et 216.
37 John Black, « Full Circle: The Cost Accounting Experiment in the British Army 1917-1925 and the Corps of Military Accountants », Journal of the Society for Army Historical Research, 2001, vol. 79, no 318, p. 145-162.
38 Sur le Royaume-Uni et les États-Unis et pour le xixe siècle, lire Warwick Funnell et Michele Chwastiak, « Editorial: Accounting and the Military », Accounting and the Military, numéro spécial de Accounting History, mai 2010, no 15-2, p. 147-152.
39 Warwick Funnell, « Military Influences on Public Sector Accounting and Auditing 1830-1880 », Accounting History, N. S. vol. 2, no 2, nov. 1997, p. 9-31.
40 Yannick Lemarchand, « The Military Origins of the French Management Accounting Model: a return to the Mechanisms of Accounting Change », Accounting History, mai 2002, vol. 7, no 1, p. 23-57.
41 Matthieu Conan, « Gaston Jèze et l’utilité de la dépense publique. L’élaboration d’une théorie générale des dépenses publiques », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle…, op. cit., p. 75-89.
42 Antoine Weexsteen, « La contribution des organismes du privé… », op. cit., p. 303-331 et id., Le conseil aux entreprises et à l’État : le rôle de Jean Milhaud (1989-1991) dans la Cegos et l’Itap, doctorat, histoire, sous la direction de Patrick Fridenson, EHESS, 1999.
43 Florence Descamps, « La création du Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics : 1946-1950 », Revue française d’administration publique, 2007/5 (hors-série), p. 27-43.
44 Stéphanie Flizot, op. cit., p. 192 et suiv.
45 Florence Descamps, « Gabriel Ardant, le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics 1946-1953 : vers une évaluation des résultats de l’action administrative », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle…, op. cit., p. 401-442.
46 Sébastien Kott, « L’évaluation du prix de revient dans les années 1950 : le contrôle financier des administrations centrales », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle…, op. cit., p. 381-400.
47 Florence Descamps, « Une tentative de politique de productivité dans les services publics : Gabriel Ardant et le Commissariat général à la productivité 1954-1959 », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle…, op. cit., p. 253-301.
48 Theodore M. Porter, Trust in Numbers: the Pursuit of Objectivity in Science and Public Life, Princeton, Princeton University Press, 1995, éd. fr. : La confiance dans les chiffres. La recherche de l’objectivité dans la science et dans la vie publique, trad. fr. par Gérard Marino, Paris, Les Belles Lettres, 2017, chap. vi : « Les ingénieurs d’État français et les ambiguïtés de la technocratie », p. 183-241.
49 Ibid., p. 247 et le chapitre vii pour les ingénieurs militaires.
50 Notamment Pierre Louf, « Gestion dynamique et structures administratives des armées », Revue de défense nationale, juillet 1967, p. 1226-1241.
51 Sur l’histoire du PPBS et du 3PB : Fabien Cardoni, « Le choix des futurs. La programmation des dépenses militaires en France 1945-1973 », manuscrit inédit du dossier d’habilitation à diriger des recherches, université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2019, chap. vi. Une version remaniée de ce manuscrit a paru sous le titre Le futur empêché. Une histoire financière de la défense en France 1945-1974, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022.
52 Florence Descamps, « L’entreprise a-t-elle été un modèle… », art. cité, p. 106.
53 Philippe Bezes, Florence Descamps et Sébastien Kott (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1963-1978, Paris, IGPDE/Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2021.
54 Il convient néanmoins de mentionner des résultats positifs dans le domaine de l’Équipement (direction des Routes) ou encore à EDF.
55 Le management est introduit en France après la guerre dans le secteur commercial. Luc Boltanski, « America, America… Le plan Marshall et l’importation du “management” », Actes de la recherche en sciences sociales, 1981 no 38, p. 19-41.
56 Sénat, séance du 26 mars 1888, cité par Stéphanie Flizot, op. cit., p. 192, note 73.
57 Alfred Guerlet, Le bilan de l’État. Étude critique du système financier et comptable de l’État, Alger, Imprimerie Villeneuve, 1916.
58 Probus, La plus grande France, la tâche prochaine, Paris, Armand Colin, 1916.
59 Marcel Soquet, La réforme de la comptabilité publique, Paris, Dunod, 1934.
60 Guy Antonetti, Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire. Dictionnaire biographique, t. I : 1790-1814, Paris, IGPDE/CHEFF, 2007, p. 340-341.
61 Clotilde Druelle-Korn, « L’inventaire de la situation financière de la France au début de la 13e législature », dans Béatrice Touchelay et Philippe Verheyde (dir.), La genèse de la décision. Chiffres publics, chiffres privés dans la France du xxe siècle, Paris, Éditions Bière, 2009, p. 123-145.
62 Philippe Bezes, Gouverner l’administration. Une sociologie des politiques de la réforme administrative en France (1962-1997), doctorat, science politique, sous la direction de Jacques Lagroye, IEP de Paris, janvier 2002, 3 vol., éd. : Réinventer l’État. Les réformes de la bureaucratie française (1962-2008), Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2009.
63 Fabrice Bardet, La contre-révolution comptable. Ces chiffres qui (nous) gouvernent, Paris, Les Belles Lettres, 2014.
64 Nicolas Berland, « Piloter la performance publique avec des indicateurs. Conditions et modalités d’usage », Revue française de finances publiques, février 2017, no 137, p. 53-63.
65 Par exemple : « Réforme des finances publiques : réforme de l’État », numéro 73 de la Revue française de finances publiques, 2001 et Franck Mordacq (coord.), La Lolf : un nouveau cadre budgétaire pour réformer l’État, Paris, LGDJ, coll. « Systèmes », 2006. Voir Alain Pariente, « La réforme de l’État en France par les finances publiques ou les paradoxes de l’évidence », Revue française de finances publiques, no 144, nov. 2018, p. 185-224.
66 Loi organique no 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, art. 30 : « Les règles applicables à la comptabilité générale de l’État ne se distinguent de celles applicables aux entreprises qu’en raison des spécificités de son action. »
67 Sébastien Kott et Jean-Paul Milot, Les comptes publics : objets et limites, Paris, LGDJ, coll. « Systèmes », 2019.
68 François Marty, Sylvie Trosa et Arnaud Voisin, « Les enjeux liés à l’adoption d’une comptabilité patrimoniale par les administrations centrales », Revue internationale des sciences administratives, vol. 72, no 2, juin 2006, p. 213-232.
69 Corine Eyraud, « Une comptabilité d’entreprise pour les États ? Un dispositif de quantification économique soumis à l’analyse sociologique. Le cas français », Sociologie et sociétés, vol. 43, no 2, 2011, p. 102-103 ; id., « Comptabilité privée et action publique. Les transformations de l’État et du capitalisme », Revue française de socio-économie, 2015/2, p. 201-212.
70 Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette, Paris, La Découverte, 2016.
71 Béatrice Hibou, « De la privatisation des économies à la privatisation des États. Une analyse de la formation continue de l’État », dans Béatrice Hibou (dir.), La privatisation des États, Paris, Karthala, 1999, p. 11-67.
72 Sur les finalités communes des comptabilités privée et publique et le maintien d’un droit comptable public spécifique, voir Sébastien Kott, « Banalisation de la comptabilité, hybridation du droit comptable », Gestion et finances publiques, mars-avril 2016, p. 50-54.
73 Eugenio Caperchione et Elisa Mari, « L’harmonisation comptable des administrations publiques : une analyse comparée internationale », Politiques et management public, 30/3, juil.-sept. 2012, p. 315-328.
74 Gilles J. Guglielmi (dir.), Histoire et service public, Paris, PUF, 2004.
75 Christine Barats, Julie Bouchard et Arielle Haakenstad, Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance, Paris, Presses des Mines ParisTech, 2018 ; Corine Eyraud, Le capitalisme au cœur de l’État. Comptabilité privée et action publique, Paris, Éditions du Croquant, 2013 ; Albert Ogien, « La valeur sociale du chiffre. La quantification de l’action publique entre performance et démocratie », Revue française de socio-économie, 5, 2010/1, no 5, p. 19-40 ; Isabelle Bruno, À vos marques®, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008.
76 Voir notamment les rapports du CNOCP et la préface de son président, Michel Prada, dans Sébastien Kott (dir.), Droit et comptabilité. La spécificité des comptes publics, Paris, Economica, 2017, p. v-xii.
77 Alex Alber, « Management et nouvelle gestion publique : limites et paradoxes de l’imitation du privé », Nouvelle Revue du travail, no 2 : Travail et organisation dans le secteur public : la fascination du privé ?, mars 2013, revue en ligne.
78 Philippe Bezes et Alexandre Siné, « Introduction », dans Philippe Bezes et Alexandre Siné (dir.), Gouverner (par) les finances publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 17-113.
79 Sylvie Trosa, « La Lolf, les RGPP et l’évaluation des politiques publiques : bilan et perspectives », Revue française de finances publiques, no 121, févr. 2013, p. 243-262 ; André Barilari, « Réflexions sur la gouvernance des programmes Lolf », Revue française d’administration publique, no 157, 2016, p. 215-222 ; le numéro spécial La Lolf : 10 ans de pratique de la revue Gestion et finances publiques, nov.-déc. 2016 ; le rapport d’information no 2210 par la commission des Finances, de l’Économie générale et du Contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale (rapporteur Laurent Saint-Martin) relatif à la mise en œuvre de la Lolf, 11 septembre 2019.
80 Witold Kula, Les mesures et les hommes, trad. fr. par Joanna Ritt, texte établi et revu par Krystof Pomian et Jacques Revel, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1984 ; Alfred W. Crosby, La mesure de la réalité. La quantification dans la société occidentale (1250-1600), Paris, Allia, 2003 (1997) ; François Vatin, Évaluer et valoriser, une sociologie économique de la mesure, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2009 ; Fabrice Bardet et Florence Jany-Catrice, « Les politiques de quantification. Introduction au dossier », Revue française de socio-économie, 2010/1, no 5, p. 9-17 ; Isabelle Bruno, Emmanuel Didier et Julien Prévieux (dir.), Statactivisme. Comment lutter avec des nombres, Paris, La Découverte, 2014.
81 L’imposition de contribuables pour l’une, la mémoire commerciale pour l’autre.
82 Paul-Marie Gaudemet et Joël Molinier, Finances publiques, Montchrestien, 7e éd. 1996-1997 (1974-1975), coll. « Domat-Droit public », t. I, p. 31 : parmi les différences entre les finances publiques et les finances privées, « les finances privées sont orientées vers le profit et la réalisation de bénéfices ; les finances publiques sont un instrument de réalisation de l’intérêt général ».
83 Fabien Cardoni, « Comptabilité publique et comptabilité des entreprises xviiie-xxie siècle », dans Didier Bensadon, Nicolas Praquit et Béatrice Touchelay (dir.), Dictionnaire…, op. cit., p. 144-145.
84 André Girault, « Comptabilité publique-comptabilité privée : définitions, principes, concepts », dans La comptabilité publique. Continuité et modernité, actes du colloque tenu à Bercy, les 25 et 26 novembre 1993, Paris, CHEFF, 1995, p. 341-352.
85 L’article 53 du décret GBCP du 7 novembre 2012 définit la comptabilité publique « comme un système d’organisation de l’information financière permettant : « 1. De saisir, de classer, d’enregistrer et de contrôler les données des opérations budgétaires, comptables et de trésorerie afin d’établir des comptes réguliers et sincères ; 2. De présenter des états financiers reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat à la date de clôture de l’exercice ; 3. De contribuer au calcul du coût des actions ou des services ainsi qu’à l’évaluation de leur performance. Elle est également organisée en vue de permettre le traitement de ces opérations par la comptabilité nationale. »
86 Voir notamment Patrick Boucheron, « Bien public et intérêts privés : la dépense édilitaire dans les villes de l’Italie centro-septentrionale xiiie-xve siècle », dans Denis Menjot et Manuel Sánchez Martinez (dir.), La fiscalité des villes au Moyen Âge (Occident méditerranéen), vol. 3 : La redistribution de l’impôt, Toulouse, Privat, 2002, p. 211-234. L’interpénétration des sphères publique et privée identifiée par Jürgen Habermas (L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive bourgeoise, Paris, Payot, 1978 [1962] ; nouv. éd. 1997) se retrouve dans les réseaux sociaux qui publicisent le domaine privé et définissent un nouvel espace public sous contrôle de compagnies privées.
87 En 2005, la Commission européenne opte pour l’application des IFRS à toutes les entreprises cotées de l’Union. Voir Ève Chiapello et Karim Medjad, « Une privatisation inédite de la norme : le cas de la politique comptable européenne », Sociologie du travail, vol. 49, janv.-mars 2007, p. 46-64.
88 Saskia Sassen, Territory, Autority, Rights: From Medieval to Global Assemblages, Princeton, Princeton University Press, 2006, éd. fr. : Critique de l’État. Territoire, autorité, droit, de l’époque médiévale à nos jours, trad. fr. Fortunato Israël, Paris, Démopolis, 2009.
89 Bernard Colasse, « La régulation comptable, entre public et privé », dans Michel Capron (dir.), Les normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier, Paris, La Découverte, 2005, p. 27-48.
90 Jérôme Denis, Le travail invisible des données. Éléments pour une sociologie des infrastructures scripturales, Paris, Les Presses des Mines ParisTech, 2018.
91 Hubert Guillaud, Un monde de données. Comprendre l’implication sociale et politique des banques de données et leur accès, Paris, Publie.net, 2012.
92 En opposition à ce qu’écrit Claude Cossu, « Comptabilité publique, comptabilité privée : le jeu des parallèles non euclidiennes », dans École française de comptabilité, Mélanges en l’honneur du professeur Claude Pérochon, Paris, Foucher, 1995, p. 145-156.
93 Albert Ogien, L’esprit gestionnaire. Une analyse de l’air du temps, Paris, Éditions de l’EHESS, 1995.
94 Theodore M. Porter, op. cit.
95 Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France 2012-2014, Paris, Fayard, 2015 ; Jerry Z. Muller, The Tyranny of Metrics, Princeton, Princeton University Press, 2018.
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