Compter, vérifier, prouver
Usages et publicité des chiffres privés dans le monde de la pêche (Dieppe, xviiie siècle)
p. 47-60
Texte intégral
1L’objet de ce chapitre est d’aborder la question des usages et de la publicité des chiffres privés à partir du monde de la pêche dieppois du xviiie siècle, envisagé ici comme un terrain d’observation susceptible de faire émerger des problématiques plus générales1. Par usages des chiffres, il faut entendre non seulement la manière dont ils sont produits ou manipulés par les acteurs sociaux, mais également la manière dont leur production ou leur manipulation sont encadrées par des normes définies localement et permettant de garantir un certain degré de confiance et de consensus entre ces mêmes acteurs, alors même que le statut des chiffres est incertain, oscillant entre public et privé, secret et transparence. Il s’agit en somme de se demander comment les chiffres « tiennent » à l’échelle de ce monde du travail ou, pour le dire encore autrement, comment l’on s’accorde collectivement sur et autour d’eux2. Mobilisant à la fois les apports de l’histoire des « rationalités pratiques » et de l’économie des conventions, cette contribution s’appuie sur des archives comptables et judiciaires pour analyser le fonctionnement de deux institutions productrices de chiffres jouant un rôle majeur à l’échelle du processus de production et de commercialisation du poisson3. La première étude de cas, centrée sur l’institution de l’écorage, conduit ainsi à soulever le problème du contrôle public des transactions privées passées entre les acteurs du marché des produits de la mer. Tandis que la seconde, consacrée à l’armement à la part, interroge les catégories de public, de privé et de commun à partir de l’étude de la comptabilité complexe des collectifs formés autour de l’exploitation des ressources marines.
L’écorage
2On ne saurait rendre compte ici de l’extrême segmentation du marché local des produits de la mer, ni de la variété des droits prélevés, des juridictions concernées et des circuits empruntés selon que le poisson appartient à telle ou telle espèce, qu’il est débarqué frais ou salé et qu’il a été pêché par des équipages de Dieppe ou d’ailleurs. Prenons donc le cas du seul marché du hareng frais, l’un des plus importants, et repartons de la description précise et documentée qu’en donne Henri Louis Duhamel du Monceau dans son Traité général des pesches :
« Aussitôt que les bateaux chargés de harengs sont rendus au port, & qu’on a sonné la cloche pour en avertir les saleurs [et les mareyeurs], il faut en faire la montre pour constater la qualité de la marchandise ; pour cela, si c’est à Dieppe, le maître porte à la Vicomté de l’Archevêché un échantillon de son hareng […]. Le maître déclare la qualité & les défauts de son poisson ; […] c’est sur cette montre que la vente se fait à l’encan : on le met donc à prisée, & on l’adjuge au plus offrant & dernier enchérisseur4. »
3Strictement codifiée par le Coustumier de la Vicomté de Dieppe, cette procédure vise d’abord à permettre la perception par le receveur de l’archevêque de Rouen des différents droits sur la pêche qui lui reviennent, en l’occurrence un droit de 2 sols pour livre sur le produit total d’une cargaison de harengs frais, payable une fois la marchandise écoulée5. Mais elle remplit également deux autres fonctions caractéristiques des marchés de subsistances sous l’Ancien Régime : d’une part, permettre l’accès égal de tous au marché par la publicité des transactions6 et, d’autre part, garantir les acheteurs de la quantité et de la qualité des produits qu’ils acquièrent sur la foi de l’échantillon déposé au bureau de la vicomté7.
Un contrôle public des chiffres privés
4C’est ici qu’interviennent ces acteurs méconnus, mais cruciaux, du maniement et du contrôle des chiffres dans le monde de la pêche que sont les écoreurs, dont le rôle est de « tenir état de la quantité de poisson frais et sallé vendu, et de la distribution qu’ils en font faire chez les acheteurs8 ». Leur nom dérive du mot « écore » (de l’anglais score, qui signifie coche, entaille, morceau de bois auquel on a fait des coches selon Éric Dardel9), à savoir le registre en théorie coté et paraphé dans lequel ils sont censés inscrire « le nom des vendeurs, des acheteurs et de ce ceux qui les portent chez ces derniers10 ». On trouve en effet consignés dans les registres d’écore non seulement les contrats privés passés lors des enchères publiques organisées à la vicomté, mais également les différentes livraisons effectuées par les « hottiers » et les « hottières », qui déchargent les cargaisons de poissons des bateaux et les apportent chez leurs acquéreurs. Évoluant entre la vicomté, les quais et les magasins des mareyeurs ou des fabricants de salaison, les écoreurs sont donc des « personnes publiques » préposées sur le port, qui s’avèrent « très utilles dans leur principe au commerce maritime », puisqu’ils jouent un rôle essentiel en matière de contrôle et de certification des transactions privées11. Ils sont, en un mot, les garants de la confiance des acteurs dans le juste fonctionnement du marché local des produits de la mer.
5Le contrôle exercé par l’écoreur s’exerce à deux stades du processus de commercialisation du poisson. D’abord, au moment de la vente à l’encan, puis au moment du débarquement et de la livraison. Présent à la vicomté lors de la mise en adjudication des cargaisons, il est sollicité par les différents acquéreurs qui doivent « se fai[re] inscrire lors de la vente sur le registre de l’écoreur » pour pouvoir ensuite récupérer leur marchandise, en sachant qu’il est fait interdiction à celui-ci de « livrer aucun poisson à autre qu’à ceux qui, lors de la vente, auront été inscrits sur l’écore12 ». Présent sur les quais au moment du débarquement, il supervise ensuite les opérations de livraison et sert d’intermédiaire entre les équipages de pêcheurs, les travailleurs des quais et les négociants qui se sont portés acquéreurs (fig. 1).
Fig. 1. – L’écoreur.
Source : Henri Louis Duhamel du Monceau, Traité général des pesches, Paris, 1769-1782, partie II, section III, planche XI, fig. 3 où l’on voit un écoreur (f) en train de noter dans son écore le nom des hottiers (d) et des hottières (e) chargées de porter le poisson débarqué d’un bateau à quai jusqu’au domicile de son acquéreur.
6Toutefois, son rôle ne se limite pas à compter et à suivre chaque « hotte » de poisson depuis le bateau jusqu’à l’entrepôt, mais consiste également à prendre part à tout un ensemble de procédures de vérification de la qualité et de la quantité des produits livrés. Garant de la bonne marche des affaires, l’écoreur fait en effet « raison à l’acquéreur des mécomptes & […] discute avec lui des difficultés qui se rencontrent13 ». Ce dernier peut par exemple « rebuter les poissons affectés de défauts qui n’ont pas été déclarés à la montre » : dans ce cas, il en avertit l’écoreur qui négocie avec le maître de l’équipage ou le propriétaire du bateau pour parvenir à un accord sur le montant des indemnités à lui verser14. Un autre motif fréquent de litige est la livraison de « hottes » incomplètes. C’est pour faciliter la constatation de cet « abus » qu’un arrêt de parlement de Rouen du 23 mai 1765, rendu à la demande du négoce dieppois, substitue à l’ancienne pratique de la livraison « au mille », fondée sur le comptage du hareng frais, la pratique nouvelle de la livraison « à la mesure », fondée sur l’étalonnage15. Visant notamment à écarter les « trieuses » de harengs du bord des bateaux (et à délégitimer du même coup tout un ensemble de prélèvements en nature fondés sur la coutume), cette innovation métrologique permet à la fois d’uniformiser les opérations d’écorage et de rationaliser la procédure de « recensement » des « hottes16 ». En cas de contestation, il suffit désormais de déverser le contenu de la « hotte » dans un étalon déposé à cet effet au siège de l’amirauté et, le cas échéant, de signaler le manque observé sur le registre d’écore afin d’indemniser l’acquéreur lésé. L’écoreur intervient enfin une fois la livraison terminée, pour examiner si elle a été faite « avec fidélité17 ». Pour cela, il se rend sur le lieu de destination des marchandises, où il peut alors confronter les chiffres de son registre public avec ceux que l’acquéreur a consigné dans son registre privé au fur et à mesure de la livraison. C’est ainsi qu’en novembre 1724, Michel Leclerc s’aperçoit lors du « controlle de son écore chez la dame Hanois » que celle-ci « ne connait point avoir eu la hotte de harang frais » que le hottier Nicolas Saint-Sens avait été chargé de lui apporter : il assigne alors celui-ci devant le tribunal de l’amirauté et, sur la foi de son registre, demande à ce qu’il soit « condamné au payement de la somme de treize livres, valleur de la ditte hotte de harang avec deppens18 ».
Un monopole privé sur les chiffres publics ?
7Clarifiées par un règlement de 1821 instituant un service public de l’écorage sous le contrôle de la chambre de commerce de Dieppe, les prérogatives des écoreurs d’Ancien Régime restent en revanche délicates à identifier précisément, d’autant plus que les archives documentant leurs activités durant cette période sont non seulement rares, mais peu bavardes19. Reconnus comme « des gens publiques » par un arrêt du parlement de Rouen, ceux-ci sont placés en théorie sous la juridiction des officiers de l’amirauté de Dieppe, qui jouissent d’une compétence exclusive en matière de police du marché du poisson dans l’étendue de leur ressort20. Une sentence du siège du 15 novembre 1708 relative à la pêche et au commerce du hareng fait d’ailleurs défense « à tous marchands, négociants, maîtres de bateaux et autres, de reconnaître autre juridiction que celle du siège de l’amirauté » et ordonne aux huissiers d’assigner les écoreurs à comparaître « tous personnellement » afin de « prêter serment de procéder fidèlement21 ». Il semblerait toutefois que les écoreurs se soient progressivement émancipés de cette tutelle au cours du xviiie siècle puisqu’un rapport d’inspection de 1783 nous apprend qu’à cette date ils sont « reçus au siège consulaire de Dieppe […], et y prêtent serment de s’acquitter des fonctions qu’ils exercent sur le territoire de l’amirauté22 ». Au centre d’un conflit de compétence sur la police du marché du poisson opposant les officiers de l’amirauté aux juges consuls, les quais constituent en effet un entre-deux juridictionnel, dont les écoreurs semblent avoir su utiliser les potentialités pour ériger une sorte de monopole sur le contrôle des chiffres de la pêche. C’est du moins ce que suggère une sentence datant du milieu du xviiie siècle, rendue par le duc de Penthièvre, amiral de France, en réponse à un mémoire des officiers de l’amirauté de Dieppe dénonçant les abus commis par « divers particuliers [qui] se sont immissez de leur autorité privée de s’ingérer et de se choisir entreux pour tenir les notes ou écores à bord des navires, batteaux et sur le quay du nombre de poisson frais et salé qui se livre après la vente23 » :
« Ces gens là ne reconnoiss[e]nt pas l’autorité de votre altesse sérénissime, puisqu’ils portent toutes les contestations par devant les juges consuls, par lesquels ils étoient autrefois reçus : ce fait est aisé à prouver, le plus ancien des écoreurs nommé Michel Leclerc encore vivant ayant été étably par les dits juges consuls en qualité d’écoreur, mais depuis un temps assez considérable, ces gens-là ne pouvant souffrir aucune domination, reconnoissant d’ailleurs le peu de droit que les juges consuls avoient de les assujettir à la leur, ils s’en sont soustrait et se sont érigés eux-mêmes à en faire les fonctions, qui leur rapporte un proffit considérable24. »
8Au-delà des droits d’écorage (parfois abusifs et « fondés sur le seul usage ») perçus sur les acteurs du monde de la pêche et des conflits autour de la légitimité des juridictions locales à « préposer des personnes publiques sur le port », l’émancipation progressive du « corps » des écoreurs soulève un problème central, qui ressurgit dès les premières années du xixe siècle dans le nouveau contexte institutionnel postrévolutionnaire : celui de la production, du contrôle et de l’accès aux chiffres du commerce des pêches25. Ainsi, jusqu’à l’institution d’un service de l’écorage en 1821, les écoreurs exercent un monopole à caractère privé sur les renseignements économiques qu’ils tirent de leur activité publique et n’hésitent pas, par exemple, à facturer à la chambre de commerce les états des ventes de poisson qu’elle leur demande de lui fournir26. De ce point de vue, le règlement de 1821 constitue un véritable tournant puisqu’il acte la perte d’autonomie de la « communauté des écoreurs » en la soumettant à « une commission de surveillance, composée de trois membres pris parmi les commerçants intéressés » : dotée d’un droit de consultation des registres d’écore et de destitution des écoreurs coupables de fraude, elle incarne la reprise en main de la pêche et de ses chiffres par les représentants patentés du négoce local27.
L’armement à la part
9À Dieppe, les armements pour la pêche reposent sur deux institutions ayant la caractéristique de placer dans une relation d’interdépendance étroite des groupes sociaux dont les intérêts catégoriels ne sont pas totalement convergents. Connue sous le nom d’hôtage, la première désigne une relation contractuelle de nature synallagmatique obligeant l’un envers l’autre un armateur, appelé « hôte » ou « hôte-bourgeois » et un maître de bateau pêcheur28. Selon les usages locaux, « entrer à l’hôtage » implique, de la part du maître, qu’il s’engage pour une durée de neuf ans à « conduire à la mer » l’embarcation que son hôte lui fournit. Ce lien juridique entre le maître et l’armateur est encastré dans un faisceau de relations économiques et sociales plus complexes que nouent chaque année ces deux acteurs avec un équipage de matelots pour former « un corps indivisible », assimilable à une « société29 ». Comme dans de nombreuses sociétés de pêcheurs les modalités de cette association sont définies à Dieppe par l’institution de l’« armement à la part ». Chaque membre de la société doit en effet participer à l’armement du bateau par un apport propre (notamment sous la forme de pièces de filets), à hauteur duquel il reçoit à la fin de la campagne une portion du bénéfice net de la pêche, comptabilisée sur la base d’un système de parts (fig. 2)30.
Fig. 2. – Le fonctionnement des sociétés d’armement à la part d’après les usages suivis à Dieppe, xviiie siècle.
10Au sein de ces sociétés d’armement, l’hôte-bourgeois joue un rôle clé. En sa qualité d’armateur, d’une part, il fournit non seulement le bateau et une partie du matériel de pêche, mais avance également l’argent nécessaire à l’avitaillement du bateau en vivres et, si besoin, en sel et en barils. En sa qualité de bourgeois de Dieppe, d’autre part, il jouit d’un privilège exclusif sur la vente du poisson, qui constitue l’essence même de l’hôtage et qui fait de lui un intermédiaire obligé entre les pêcheurs et le négoce local. Au-delà des droits qu’il perçoit à ce titre sur le produit de la pêche, cette position confère à l’hôte-bourgeois un monopole de fait sur la tenue des comptes communs et soulève ainsi la question de la publicité des chiffres au sein des sociétés d’armement.
Tenir des comptes communs dans des registres privés
11Le monopole exercé par les hôtes-bourgeois sur la gestion des comptes communs se matérialise concrètement par un ensemble de registres dont on peut se faire une idée assez précise grâce aux archives privées de Nicolas Vasse, qui recèlent la correspondance et les livres tenus entre 1719 et 1744 par cet armateur à la pêche dieppois31. À la tête d’une flotte d’une dizaine de bateaux pêcheurs, Nicolas Vasse dispose notamment de trois séries de registres lui servant à consigner les recettes et les dépenses de chacune des sociétés d’armement dans lesquelles il est intéressé.
12Dans ses « livres des communs » tout d’abord, il tient note, au fur et à mesure de chaque campagne de pêche, de toutes les avances faites à chacun des maîtres conduisant un bateau à son hôtage. Parmi les sommes que l’on retrouve dans ces livres, certaines sont destinées à alimenter le « commun » de l’équipage : versées au maître en numéraire, elles servent à régler des dépenses courantes, comme les frais de bouche des matelots participant aux opérations d’armement du bateau avant le début de la campagne par exemple. D’autres sont réglées directement par l’hôte et correspondent à des dettes contractées par le maître auprès de différents fournisseurs. L’avitaillement du bateau en vivres, boisson et autres commodités nécessaires à la vie quotidienne des pêcheurs en mer, repose en effet sur un recours massif à des crédits, de court ou moyen terme, qui prennent la forme d’« étiquettes ». Sortes de factures faisant office de reconnaissances de dettes, il s’agit d’écritures volantes, sur lesquelles sont notés de manière très sommaire la nature et le montant de chaque transaction passée entre le maître et un fournisseur, à l’instar de celle-ci : « Je, soussigné, reconnois avoir livré à Me Jacques Le Rond et à son équipage tant en bierre, pour du bois et autres provisions, pour les avitalier pour la pesche des [h]arens dernière, le tout montant à la somme de cent quarente six livres quinze sols, au Tréport, ce quinze février 1742. Villard32. »
13Si l’on retrouve quelques-unes de ces étiquettes dans les registres de Nicolas Vasse, c’est tout simplement qu’elles sont remises à l’hôte-bourgeois afin qu’il s’en acquitte. Ainsi, chaque fois qu’il reçoit une étiquette de la part d’un fournisseur, il en reporte le montant dans son livre des communs à la page du maître concerné, de manière à pouvoir se rembourser plus tard de ses avances sur le produit de la pêche.
14Une deuxième série de registres intitulés « comptes de mes maîtres de bateau » sert justement à solder les comptes de fin de campagne, une fois que le poisson a été vendu. Tenus en partie double, ces registres présentent à la fois les recettes de la société d’armement durant la campagne, à savoir le produit brut de la vente du poisson, et toutes les « avaries » soustraites à ce produit pour calculer le bénéfice net de la pêche. Parmi ces avaries figurent notamment le total des dépenses portées sur le livre des communs, ainsi qu’un ensemble de droits payés par l’hôte, comme les droits d’écorage par exemple, dont il se rembourse grâce aux recettes de la société d’armement. Il opère également à son profit différentes retenues d’argent qui constituent le « bénéfice bourgeois » : au terme de chaque « harengaison », Nicolas Vasse prélève ainsi un droit de 1 sol pour livre (5 %) sur la vente du poisson au titre de son hôtage, une somme fixe de 90 livres pour l’« ampirance » de son bateau ou encore une commission de 2 sols pour livre (10 %) en guise de retour sur l’argent qu’il a dû investir dans la société pour financer l’avitaillement du bateau au début de la campagne. Une fois toutes ces dépenses ôtées du produit brut de la vente du poisson, on parvient au chiffre du bénéfice net de la pêche, sur la base duquel est alors établi ce qui revient à chacun des membres en fonction de ses apports initiaux33.
15Une troisième série de registres intitulés « livres d’équipés » permet enfin à Nicolas Vasse d’enregistrer toutes les avances faites aux matelots de l’équipage avant ou pendant le cours de la campagne, de manière à pouvoir ainsi calculer ce qui leur reste dû au terme de la saison. Ceux-ci sont en effet rémunérés selon deux modes de paiement distinct : sous forme d’avances, ou sous forme de règlements payés une fois le poisson vendu, en sachant que les premières sont soumises à des intérêts dont le taux s’élève à 2 sols pour livre (10 %) et remises aux matelots accompagnées d’un « bulletin » attestant leur versement. C’est ce que révèle par exemple le témoignage du maître Pierre Belhomme, impliqué dans le cadre d’une procédure intentée en 1782 par le marchand Thieffray contre l’un de ses matelots :
« Par le dit Belhomme a été déclaré que le dit jour quinze novembre dernier, sur les six heures et demie à sept heures du soir, étant chez le sieur Thieffray son marchand à régler dans son cabinet le produit de sa pesche, survint le nommé Catteville qu’il connoit parfaitement, avec une femme, et qu’il demanda au sieur Thieffray de l’argent sur la pesche, à quoi celui-cy repondit : vous êtes venu avant-hier ; Catteville répliqua : M. j’en ai besoin pour acheter des hardes. Le sieur Thieffray lui demanda combien il vouloit, Catteville demanda vingt-quatre livres, le sieur Thieffray tira de son tiroir quatre écus de six livres, tendit la main pour demander audit Catteville son bultin pour y porter cette somme, ce dernier luy dit : M. j’ai perdu mon bultin, donnez m’en un autre ; alors le sieur Thieffray prit une feuille de papier, la ploya, y porta la dite somme de vingt-quatre livres, ainsi que sur son registre [d’équipés], et donna les dits quatre écus de six livres audit Catteville, qui s’en alla content et satisfait en remerciant le sieur Thieffray et l’assurant qu’il ne reviendroit pas de sitost lui demander de l’argent34. »
La publicité des comptes communs
16Liés par « une espèce de contrat de société », matelots, maîtres et armateurs sont partenaires d’une entreprise dont ils partagent aussi bien les pertes que les profits35. Pour autant, c’est bien l’hôte-bourgeois qui, dans l’intérieur de son cabinet particulier, gère les comptes communs de la société et les consigne dans ses registres privés. C’est lui, en un mot, qui a le pouvoir sur les chiffres, qui peut légitimement prétendre à les manipuler et qui, par conséquent, exerce également un monopole sur la production des preuves écrites, pouvant s’avérer déterminant en cas de litige avec ses associés. Ces rapports de pouvoir se trouvent néanmoins contrebalancés par différentes pratiques ou conventions permettant de garantir un contrôle collectif et une certaine publicité des comptes au sein des sociétés d’armement.
17Un certain nombre d’indices laisse tout d’abord à penser qu’il existait des écoreurs privés, engagés au service des armateurs, mais aussi des équipages, afin de garantir leurs intérêts respectifs en procédant à une comptabilité parallèle des cargaisons de poissons débarquées. C’est ce que suggèrent par exemple les registres d’écore retrouvés parmi les livres de l’hôte Nicolas Vasse, à la lecture desquels on s’aperçoit qu’il emploie plusieurs commis chargés de contrôler les opérations de déchargement de ses bateaux de pêche36. C’est également ce que révèlent certaines procédures civiles engagées devant le tribunal d’amirauté. Dans une affaire de vente illicite de poissons portée à la connaissance des juges en 1750, on comprend ainsi que la dame Prix, hôtesse-bourgeoise du maître Charles Terrier, a recours aux services du cabaretier Nicolas Bretel qui, en sa qualité d’écoreur privé, a négocié une cargaison de raies avec des acheteurs sans passer par l’intermédiaire des écoreurs publics de la poissonnerie de la vicomté37. De manière plus explicite encore, une enquête menée en 1763 à la suite d’une affaire de contrat d’engagement rompu vient confirmer l’existence de trois catégories d’écoreurs. On y apprend en effet que la femme du maître Jacques Reine a engagé le matelot Jean-Baptiste Capelle « pour en faire son écoreur, à la charge pour luy de n’avoir aucun contact avec les écoreurs de dessus le quay ou du marchand38 ». Tant les maîtres que les hôtes-bourgeois semblent donc avoir recours aux services d’écoreurs particuliers : officiant en qualité de commis à bord des bateaux, ils ne doivent pas être confondus avec ceux qui, dotés d’un statut officiel, sont préposés sur les quais. Leur rôle est en effet de défendre les intérêts des acteurs de la pêche et, en particulier, ceux des pêcheurs eux-mêmes, qui se trouvent ainsi dotés d’une possibilité de regard sur les opérations de mise en vente de leur poisson et, par conséquent, d’un accès direct aux chiffres de leur pêche.
18Il faut également souligner le contrôle exercé sur les livres privés de l’armateur par le maître et les matelots, ainsi que par « les femmes de l’équipage », lors de la reddition des comptes, dont le caractère public permet de vérifier de manière collective la bonne tenue des registres de la société d’armement39. La déposition d’Anne Legais, veuve de Jean-Baptiste Déhais, matelot du faubourg dieppois du Pollet, qui faisait avant son décès le métier des cordes sous la conduite de Louis Bonhomme, permet de bien se représenter la scène :
« Dépose que dans l’année mil sept cens soixante et neuf, feu son mary alloit en qualité de matelot dans le batteau commandé par Bonhomme, à lotage dudit Quévremont ; que le samedy saint de ladite année, ledit Bonhomme et équipage se transportèrent chez ledit sieur Quévremont pour y compter le produit de la pesche de l’année et y régler les avaries ; qu’elle déposante y étoit présente et qu’elle a par suite connoissance que la troisième étiquette qui fut lue étoit celle dont [mot illisible ; cabaretière] demande actuellement le payement et qu’elle fut passée en compte pour la somme de cinquante-sept livres, et qu’après le compte arresté, il se trouva que chaque matelot étoit redevable au sieur Quévremont de la somme de vingt-neuf livres40. »
19Vérifiés et discutés dans le cabinet de l’armateur en présence des associés accompagnés de leurs femmes, les comptes du produit de la pêche sont rendus, selon les métiers, à l’année ou à la saison. Ainsi qu’il ressort de la déposition de la veuve Legais, les équipages de pêcheurs cordiers du Pollet se réunissent chez l’hôte une fois par an, aux alentours de Pâques, c’est-à-dire à l’échéance de l’engagement pris par les matelots envers leur maître. C’est alors que sont soldées les dettes contractées par les uns et les autres, que chacun reçoit ce qui lui reste dû, ou rembourse, à l’inverse, ce qu’il a « trop perçu » au cours de l’année. Notons que, dans ce cas, la répartition du produit de la pêche proprement dit se fait après chaque sortie : une fois la vente du poisson terminée par l’hôte-bourgeois, les femmes des pêcheurs du Pollet « viennent chez lui en toucher le montant41 ». Cependant, la distribution du produit de la pêche d’une sortie en mer à l’autre n’est pas caractéristique de tous les métiers : en ce qui concerne la pêche du hareng par exemple, la reddition des comptes a lieu au terme de chaque saison, dans les semaines ou parfois même dans les mois qui suivent lorsqu’il y a litige judiciaire.
20Instance de reconnaissance des usages locaux suivis en matière de comptabilité, le tribunal de l’amirauté constitue en effet un moyen de dernier recours à disposition du maître ou de son équipage pour faire valoir leurs intérêts. S’étant « aperçu plusieurs fois que [son hôte], ledit s. Flouest, lui prenoit à lui et a son équipage plus qu’il ne devoit », le maître Jacques Mauger explique ainsi à l’audience « qu’il lui en a fait des reproches publiquement lors de la reddition des comptes en présence de l’équipage, qu’il l’a averti que si cela continuoit il ne pourroit pas rester à son hostage, qu’il vouloit bien sacrifier sa vie et ses propres intérêts mais nullement ceux de ses matelots, ce qui n’a produit aucun effet vis-à-vis du s. Flouest ». D’où l’engagement par Jacques Mauger d’une procédure devant le tribunal de l’amirauté quelques années plus tard, visant en l’occurrence à obliger son hôte à présenter le compte de la harengaison précédente, afin qu’il soit « débattu en présence de l’équipage et qu’il soit agréé » par toutes les parties concernées avant d’être signé42. L’enjeu de la présentation des chiffres de la pêche est en effet crucial et tient à la complémentarité de deux systèmes de preuves distincts, l’un reposant sur l’oralité, la publicité, la bonne foi et les usages, l’autre sur le recours à l’écrit, la pratique du seing privé et le droit privé savant. Ainsi, lorsque le matelot Louis Catteville, évoqué plus haut, vient demander une avance à Louis Thieffray, c’est accompagné d’« une femme », et lorsque l’armateur inscrit la somme remise dans son livre de compte, c’est en présence de Pierre Bonhomme, maître de l’équipage auquel appartient Catteville. De fait, si « le règlement du siège [de l’amirauté] fait les registres des propriétaires [de bateau] croyables », ces deux systèmes de preuves ne sont pas pour autant placés dans un rapport de hiérarchie établi et définitif, mais plutôt dans un rapport concurrence, de sorte que la présentation au tribunal par les marchands de leurs livres ne suffit pas toujours à emporter la conviction du juge face à des témoignages oraux contradictoires43.
Conclusion
21Objets de conflits et enjeux de pouvoir économique, les chiffres de la pêche apparaissent finalement comme le produit d’une négociation continuelle entre les acteurs intéressés, qui porte essentiellement sur l’accessibilité aux comptes et sur leur publicité. Mais, plus fondamentalement encore, ils sont le produit d’un ensemble d’institutions qu’on pourrait appeler des « investissements de forme », à la suite de Laurent Thévenot, ou des « dispositifs de confiance », à la suite de Lucien Karpik, dans la mesure où elles sont destinées à garantir une certaine coordination entre les acteurs à l’échelle du processus d’exploitation et de commercialisation du poisson44. Ainsi, les chiffres tiennent-ils d’abord, dans le monde de la pêche, grâce à une large gamme d’instruments plus ou moins standardisés (livres de compte, « étiquettes », « bulletins », mesures, étalons) et de procédures (de vérification, de certification) plus ou moins institutionnalisées (écorage, reddition publique des comptes, enquêtes judiciaires). En somme, ils tiennent grâce à des normes partagées, dotées d’un statut réglementaire pour certaines, ou simplement conventionnelles pour d’autres, qui font elles-mêmes l’objet de négociations continuelles entre les particuliers, les collectifs d’acteurs et les juridictions publiques locales compétentes en matière de contrôle des chiffres.
Notes de bas de page
1 Pour une présentation complète, voir Romain Grancher, Les usages de la mer. Droit, travail et ressources dans le monde de la pêche à Dieppe (années 1720-années 1820), thèse, histoire, sous la direction de Michel Biard, université de Rouen, 2015.
2 Pour reprendre l’expression d’Alain Desrosières, « Comment faire des choses qui tiennent : histoire sociale et statistique », Histoire & mesure, vol. 4, no 3, 1989, p. 225-242.
3 Natacha Coquery, François Menant et Florence Weber (dir.), Écrire compter mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 2 vol., 2006 et 2012 ; André Orléan (dir.), Analyse économique des conventions, Paris, PUF, 1994.
4 Henri Louis Duhamel du Monceau, Traité général des pesches, Paris, 1769-1782, partie II, section 3, p. 368-369.
5 Guillaume Tieullier et Emmanuel Coppinger, Coustumier de la vicomté de Dieppe, Dieppe, Leprêtre, 1884 ; Archives nationales, fonds Marine (ensuite AN, Mar.), C4 161, Description de l’amirauté de Dieppe, 1734, fo 243-246.
6 Parmi une bibliographie abondante relative à la justesse et à l’équité des marchés d’Ancien Régime, voir notamment Edward P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth-Century », Past and Present, no 50, 1971, p. 76-136 ; Monica Martinat, Le juste marché : le système annonaire romain aux xvie et xviie siècles, Rome, École française de Rome, 2004 ; Dominique Margairaz et Philippe Minard, « Marché des subsistances et économie morale : ce que “taxer” veut dire », Annales historiques de la Révolution française, no 2, 2008, p. 53-99 ; et Laurence Fontaine, Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Paris, Gallimard, 2014.
7 Alessandro Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 2005 ; id. (dir.), La qualité des produits en France xviiie-xxe siècle, Paris, Belin, 2003.
8 AN, Mar., C4 174, procès-verbal de la visite faite par ordre du Roi par Antoine Chardon dans l’amirauté de Dieppe le 11 juillet 1783 et jours suivants, p. 221-222.
9 Éric Dardel, La pêche harenguière en France : étude d’histoire économique et sociale, Paris, PUF, 1941, p. 55-56. Sur les baguettes de taille comme technique comptable, voir par exemple Ludolf Kuchenbuch, « Les baguettes de taille au Moyen Âge : un moyen de calcul sans écriture ? », dans Natacha Coquery, François Menant et Florence Weber (dir.), op. cit., vol. 1, p. 113-142.
10 AN, Mar., C5 60, Mémoire des abus qui se commettent journellement sur le port de Dieppe et que lesdits officiers de laditte amirauté ont l’honneur de représenter à SE Monseigneur le duc de Penthièvre, amiral de France, n. d., fo 425-428.
11 Ibid.
12 Arrêt du parlement de Rouen servant de règlement pour la salaison du hareng, 23 mai 1765, article 8, reproduit dans Recueil des édits, déclarations, lettres-patentes, arrêts et règlements du roi registrés en la Cour du Parlement de Normandie, depuis l’année 1754, jusqu’en 1771, Rouen, 1774, partie II, p. 708-715.
13 Henri Louis Duhamel du Monceau, op. cit., p. 369-370.
14 Ibid., p. 370.
15 Arrêt du parlement de Rouen servant de règlement pour la salaison du hareng, 23 mai 1765, articles 9 à 15.
16 Voir par exemple archives départementales de la Seine-Maritime (ensuite ADSM), 214 BP 115, Procès-verbaux de recensement, 1787.
17 Henri Louis Duhamel du Monceau, op. cit., p. 370.
18 ADSM, 214 BP 134, Qualité des parties, 10 février 1725.
19 Julien Delahais, Notice historique sur l’écorage et le commerce des pêches, Dieppe, Delevoye, 1873.
20 AN, F12 1836, Arrêt du parlement de Rouen, 14 février 1732, n. f. L’ordonnance de la marine d’août 1681 (livre I, titre II, article 5) attribue aux officiers de l’amirauté la connaissance « de la pêche qui se fait en mer […] & des ventes & achats de poisson dans les bateaux, ou sur les grèves, ports & havres ». Concernant les amirautés et leurs compétences, voir Romain Grancher, « Le tribunal de l’amirauté et les usages du métier. Une histoire par en bas du monde de la pêche (Dieppe, xviiie siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 65, no 3, 2018, p. 33-58.
21 Sentence de l’amirauté portant règlement sur la pêche, vente et livraison du hareng, 15 novembre 1708, citée par Julien Delahais, op. cit., p. 45-47.
22 AN, Mar., C4 174, procès-verbal de la visite faite par ordre du Roi par Antoine Chardon dans l’amirauté de Dieppe le 11 juillet 1783 et jours suivants, p. 221-222.
23 AN, Mar., C5 60, Sentence de l’amirauté de France, n. d., fo 423-424 ; ibid., Mémoire des abus qui se commettent journellement sur le port de Dieppe et que lesdits officiers de laditte amirauté ont l’honneur de représenter à SE Monseigneur le duc de Penthièvre, amiral de France, n. d., fo 425-428.
24 Ibid., fo 425. Concernant également les brouettiers et les trieurs de raies du port, ce mémoire est accompagné d’un « État des droits que perçoivent les différents corps ci-dessus nommez fondés sur le seul usage ». Tout laisse à penser que le Michel Leclerc mentionné dans le passage cité est le même que celui qui avait fait assigner en 1724 le hottier Nicolas Saint-Sens devant le tribunal de l’amirauté.
25 Ibid., fo 427-428.
26 Julien Delahais, op. cit., p. 34.
27 Règlement de l’écorage, 1821, articles 22, 24 et 25, cité d’après ibid., p. 49-53. Documenté par des archives à la fois riches et nombreuses, le fonctionnement du service de l’écorage au xixe siècle pourrait et mériterait de faire l’objet d’une analyse plus approfondie.
28 Michel Mollat, « La pêche à Dieppe au xve siècle » (1938), reproduit dans Michel Mollat, Études d’histoire maritime (1938-1975), Turin, Bottega d’Erasmo, 1977, p. 3-43 ; id., « Les hôtes et les courtiers dans les ports normands à la fin du Moyen Âge », Revue historique de droit français et étranger, t. XXIV, 1946-1947, p. 49-67 ; Éric Dardel, op. cit., p. 86-92.
29 AN, F12 1836, Arrêt du parlement de Rouen, 14 février 1732, n. f. Sur cet arrêt, voir Éric Dardel, op. cit., p. 82 et 92.
30 Parmi l’abondante bibliographie relative à l’armement à part (ou share system en anglais), on peut notamment se reporter à James M. Acheson, « Anthropology of Fishing », Annual Review of Anthropology, vol. 10, 1981, p. 275-316 ; Yvan Breton, « L’anthropologie sociale et les sociétés de pêcheurs. Réflexions sur la naissance d’un sous-champ disciplinaire », Anthropologie et sociétés, vol. 5, no 1, 1981, p. 7-27 ; et, en dernier lieu, Rob van Ginkel, Braving Troubled Waters. Sea Change in a Dutch Fishing Community, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009, p. 170-183.
31 Le fonds Vasse représente au total 41 cartons ou registres conservés aux archives départementales de la Seine-Maritime sous les cotes suivantes : ADSM, 219 BP 650-691.
32 ADSM, 219 BP 675, comptes de Jacques Le Rond, 1741, fo 33. Jacques Le Rond conduit un bateau à l’hôtage de Nicolas Vasse entre 1739 et 1741 ; originaire du Tréport, il le fait avitailler sur place.
33 Selon les usages locaux, le partage du produit d’une campagne de pêche au hareng est établi sur une base de cent-vingt parts ou « lots », par lesquels on divise le bénéfice net pour calculer la valeur unitaire d’un lot : l’hôte-bourgeois reçoit en échange de ses filets et de sa « part du bateau » un total de treize lots. Le maître, quant à lui, doit être « monté » de seize pièces de filet comptant chacun pour un demi-lot, tout comme ceux fournis par les membres de l’équipage : il retire donc huit lots pour ses seize filets, plus deux lots « pour sa personne », à titre de loyer, soit un total de dix lots. Chaque matelot de l’équipage prélève cinq lots : le premier lui échoit comme salaire pour son travail et les quatre derniers eu égard aux huit pièces de filet qu’il apporte à la société, soit cinq lots qui, multipliés par les dix-neuf hommes dont se compose en théorie un équipage, représentent un total de quatre-vingt-quinze lots. Enfin, les novices reçoivent une part variable selon leur rang : le premier reçoit un plein lot, les deux suivant un demi-lot chacun, mais le dernier n’a rien, soit deux lots en tout, avec lesquels on arrive bien à un total de cent-vingt lots pour l’ensemble de la société formée entre l’hôte-bourgeois, le maître et son équipage.
34 ADSM, 214 BP 111, enquête, 16 avril 1782.
35 Robert-Joseph Pothier, Supplément au traité du contrat de louage, ou Traité des contrats de louage maritime, Paris, 1765, p. 160. On trouve une critique très étayée du caractère égalitaire de l’armement à la part dans Jacques Bidet, « Sur les raisons d’être de l’idéologie : les rapports sociaux dans le secteur de la pêche », La Pensée, no 174, 1974, p. 53-67.
36 ADSM, 219 BP 680-684, Registres d’écore, 1717-1743. Voir également Charles Desmarquets, Mémoires chronologiques pour servir à l’histoire de Dieppe et à celle de la navigation françoise, Paris, Desauges, 1785, t. I, p. 461.
37 ADSM, 214 BP 140, Enquête, 26 juin 1750.
38 ADSM, 214 BP 144, enquête, 5 octobre 1763.
39 ADSM, 214 BP 135, interrogatoire sur faits et articles, 19 avril 1728.
40 ADSM, 214 BP 103, enquête, 14 mars 1771.
41 AN, 127 AP 2, observations sur la première section du Traité général des pesches. De la pêche aux cordes par les pêcheurs du Pollet, par Le Testu, trésorier des Invalides de la Marine à Dieppe, n. d. [années 1760], n. f.
42 ADSM, 214 BP 114, interrogatoire sur faits et articles, 3-4 avril 1786. À ce sujet, voir Jacques Bottin, « Signature, marque, souscription. Validation et identification des documents commerciaux (fin du Moyen Âge-première époque moderne) », Hypothèses, 2006/1, p. 339-359.
43 ADSM, 214 BP 71, Écrit de défense, 3 mars 1731. Sur la question de la hiérarchie des preuves, voir Robert-Joseph Pothier, Traité des obligations, réédition avec une préface de Jean-Louis Halpérin, Paris, Dalloz, 2011 (1761), notamment p. 364-385.
44 Laurent Thévenot, « Les investissements de forme », Cahiers du Centre d’études de l’emploi, vol. 29, 1985, p. 21-71 ; Lucien Karpik, « Dispositifs de confiance et engagements crédibles », Sociologie du travail, vol. 38, no 4, 1996, p. 527-550.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008