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d’Abélard Scito te ipsum – Ethica nostra sur les origines et la signification des titres de l’éthique

p. 389-406

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Texte intégral

1Dans quatre manuscrits (sur les cinq que nous connaissons) l’éthique d’Abélard porte le titre Scito te ipsum. C’est sous ce titre que les contemporains citent cette œuvre : par exemple Guillaume de Saint-Thierry, qui ne la connaissait que par ouï-dire, mais également Bernard de Clairvaux, qui évidemment disposait d’un exemplaire 1.

2Les premiers mots programmatiques Mores dicimus annoncent un traité de questions morales. Celui qui lisait seulement la version mutilée – à savoir la version sans la partie finale du premier livre et sans le début du deuxième, transmis dans un seul manuscrit conservé au Collège Balliol à Oxford – ne pouvait pas en conclure facilement qu’Abélard considérait ce texte comme son « Éthique ». Un lecteur attentif de son commentaire sur l’épître aux Romains savait éventuellement reconnaître quelques thèmes du Scito te ipsum comme écho aux questions qui dans le commentaire étaient annoncées en vue d’un traitement dans l’éthique. De fait, ce n’est qu’au début du deuxième livre du Scito te ipsum qu’Abélard lui-même appelle son œuvre Ethica nostra. Thomas de Morigny, à ce qu’il paraît, fut le seul à remarquer cette identité qu’il mentionne dans sa critique : « Ce Pierre mentionné a écrit un autre opuscule qu’il a intitulé “Scito teipsum” et l’a appelé, si je ne me trompe pas, son “éthique” » (Disp. 3, 122). Toutefois, cela reste la seule référence médiévale au titre double de cet œuvre.

3L’intitulation « Ethica seu liber dictus Scito te ipsum » que l’on trouve parfois dans la littérature moderne ne remonte pas à Abélard mais à l’Editio princeps de B. Pez (reproduit PL 178, 631678).

Ethica nostra

4Le mot ethica – le substantif comme l’adjectif – fait partie du vocabulaire scientifique employé par Abélard et ses contemporains. Il n’est pas dérivé du répertoire des auteurs classiques, où on le chercherait en vain. C’était Cicéron qui avait bloqué sa voie dans la langue latine. Dans son intention de créer une terminologie philosophique latine, il avait formé l’adjectif moralis, qui devenait l’expression habituelle sinon obligatoire chez les auteurs païens de l’antiquité latine : « Nous avons l’habitude d‘appeler cette part de la philosophie “des mœurs”, mais il convient de la nommer “morale”, en augmentant la langue latine » (fat. 1, 1). À l’exception du rhéteur Sénèque (Sen. contr. 2,2,12 : controversia), seuls quelques auteurs postclassiques nous offrent des exemples sporadiques d’emplois de l’adjectif ethica. Quintilien (inst. 2,21,3 ; 12,2,15) utilisait un substantif d’emprunt grec ethice par analogie avec rhetorice. La forme ethica pour désigner l’équivalent de pars philosophiae moralis ou philosophia moralis ne se trouve pas chez les auteurs païens.

5Ce sont les Pères de l’Église latine qui, au cours de la réception de la philosophie grecque, ont introduit le mot ethica dans la terminologie latine. Dans le contexte de la classification de la philosophie, ils apposaient à côté des appellations latines – naturalis, moralis, rationalis – leurs équivalents grecs assimilés – physica, ethica, logica. À partir de son emploi comme épithète (pars philosophiae ethica, species philosophiae ethica, philosophia ethica, disciplina ethica, etc.) s’est enfin forgée – à la manière d’autres termes d’origine grecque comme grammatica, rhetorica et autres – l’expression abrégée, c’est-à-dire la forme d’un substantif féminin ethica. Ce mot désignait la discipline philosophique (par ex. Ambros. Ps. 118 prol. 1 [CSEL 62,3] : quantum in eo excellat ethica). Mais peu après, suivant le modèle grec, il fut également utilisé par Boèce (in categ. 8b [PL 64,242C]) comme titre latin de l’œuvre fameuse consacrée à cette discipline : Aristoteles enim virtutes non putat scientias, ut Socrates, sed habitus in Ethicis suis esse declarat.

6À l’époque d’Abélard, cette signification double était bien connue. Hugues de Saint Victor, par exemple, en appelant Socrate l’inventeur de l’éthique, focalise le regard sur la section de la philosophie : Ethicae inventor Socrates fuit, de qua viginti quattuor libros… scripsit (Didasc. 3, 2 [Buttimer 50]). Dans un autre contexte, ces vingt-quatre livres sont désignés directement par le titre d’ethica : ut ait Socrates in Ethica (ibid. 6, 14 = Appendix A).

7Par ailleurs, la connotation du mot ethica n’a jamais perdu le rapportavec son origine. Les auteurs chrétiens du Moyen Âge comme les pères de l’Antiquité tardive entendaient par le terme ethica un élément de la philosophie païenne. Les multiples efforts pour y trouver un sens positif du point de vue chrétien ou bien pour l’intégrer dans la pensée chrétienne – entreprise réussie notamment au sein de la doctrine des vertus – ne faisaient jamais oublier la provenance du contexte préchrétien. Avec Socrate comme « inventeur de l’éthique 2 », le caractère païen de cette discipline en était enraciné à l’origine. Les auteurs qui s’occupaient des questions éthiques (Isidore de Séville les appelait « ethici », quia de moribus disputant) comptaient parmi les philosophi gentium – nom usuel pour les philosophes de l’antiquité depuis le temps de l’Augustinus. L’enseignement de grammaire et de littérature à l’école médiévale, qui était en même temps un « cours de morale » (Ernst R. Curtius), utilisait les textes antiques ou bien des florilèges extraits de ces œuvres pour transmettre, comme a dit Philippe Delhaye, une « ethica d’inspiration païenne ». L’accessus ad auctores, la méthode traditionnelle pour analyser un texte, demandait entre autres dans quelle partie de la philosophie l’intention d’un livre était à ranger (cf. par ex. Boeth. in Porph.comm. post. [CSEL 48,4.1.17] : ad quam partem philosophiae cuiuscumque libri subducatur intentio). Attirant ainsi l’attention sur la classification de la philosophie, elle regardait tout le temps l’éthique comme l’héritage de la culture antique. Du même effet était le commencement des études supérieures marqué par l’Isagoge de Porphyre, où la classification de la philosophie avait également une position constitutive.

8La doctrine morale chrétienne, par contre, s’était déployée dans unprocessus de délimitation de la philosophie païenne. Les Pères de l’Église mettaient en correspondance les disciplines philosophiques avec les livres de la Bible. Une classification détaillée des livres bibliques en correspondance avec la partition de la philosophie se trouve chez Ambroise au prologue de son commentaire sur l’Évangile de Luc [CCL 14,3]. Jérôme (ep. 30,1 [CSEL 54, 243]) souligne que de la même façon que les philosophes ont eu l’habitude de classer leurs discours en physique, éthique et logique, les paroles divines de la Bible traitent de la nature (la Genèse, l’Ecclésiaste), de la morale (les Proverbes et tous les livres bibliques) et de la logique « ou mieux de la théologie » (le Cantique et les Évangiles). De plus, on s’efforçait de démontrer que la doctrine judéo-chrétienne ne restait pas en arrière – ni dans son contenu ni dans sa prétention – de la pensée philosophique païenne, mais, au contraire, qu’elle la surpassait en ancienneté et en vérité. Par la suite les doctrines fondamentales de la foi chrétienne – qui pour sa part se présentait comme diuina philosophia – furent, elles aussi, mises en relation avec le ternaire philosophique physica, ethica, logica, par exemple le mystère de la trinité chez Ambroise (Luc. prol. [CCL 14,5]) ou le commandement principal de la charité chez Augustin (ep. 137,5 [CSEL 44,122]). De même la théorie du rang et de la suite des disciplines philosophiques, qui fait partie de la classification de la philosophie, était projetée sur les écrits de la Bible. Dans ce processus, le type néoplatonicien, qui impliquait une progression de l’éthique à travers la physique jusqu’à la théologie spéculative, était tout particulièrement approprié à être adopté dans la tradition chrétienne. C’était Origène (Cant. prol. [Baehrens 77]) qui favorisait ce type d’adaptation et qui, en identifiant le livre des Proverbes avec la philosophie morale, l’Ecclésiaste avec la philosophie physique et le Cantique des Cantiques avec la métaphysique, devint l’origine d’une tradition puissante. Les Pères de l’Église latine adoptaient cet ordre ascendant dans lequel les livres « éthiques » de la Bible recevaient un caractère propédeutique (par ex. in scripturis diuinis non ualemus ea, quae maiora sunt, nosse, nisi ethicae habuerimus exordium, Hier. ep. 30,4 [CSEL 54,245]) et conduisaient à la théologie (unde et centesimus octauus decimus psalmus et omnes alii, qui litteris praenotantur, per ethicam nos ducunt ad theologiam, Hier. ep. 121,10 [CSEL 56,50]). Ce modèle d’ascendance fut transmis au Moyen Âge et au xiie siècle ; on le retrouve par ex. chez Hugues de Saint Victor (In Eccl.1 [PL 175,116]) et Guillaume de Saint Thierry (Nat. et dign. amor. [Davy 128]), comme aussi chez Abélard (cf. TSum 2,19 ; TChr 2,31 ; 3,33).

9Une autre voie de la doctrine morale chrétienne passait par l’interprétation de la Bible. En appliquant le principe herméneutique du sens multiple de l’Écriture, il était possible de découvrir une signification morale non seulement dans les livres « éthiques » de la Bible mais dans l’ensemble des textes bibliques. Pour désigner le sens moral de l’Écriture, Ambroise (Ps. 1,42,1 [CSEL 64,35] praestare autem mysticam moralibus etiam ipse dominus docet), comme aussi Rufin (Orig. Num. 7,1 [CCL Baehrens 38] a moralibus ad intelligentiam mysticam transeamus) utilisaient le pluriel neutre moralia. Par l’intermédiaire d’auteurs comme Isidore de Séville (Prooem. 36 ; 57 ; 82 [PL 83,164B ; 169A ; 174B]) ce terme entra dans l’usage médiéval. Par suite, l’interprétation de l’Écriture Sainte devint – dans les homélies et d’autres formes d’enseignement ainsi que dans une littérature abondante de commentaires – le lieu privilégié de la doctrine morale chrétienne. En comparaison, les monographies sur des questions éthiques – à la manière du De paenitentia de Tertullien ou de Cyprien, du De officiis d’Ambroise – restaient en retrait. L’ouvrage moral principal du Moyen Âge devint le commentaire de Grégoire le Grand sur le livre de Job, qu’il avait intitulé libri morales mais qui, au cours de la réception littéraire, a reçu le titre de Moralia, titre régulièrement cité par Abélard et ses contemporains.

10Face à ce contexte, la qualification du Scito te ipsum d’Ethica nostra se trouve être choisie avec une intention signifiante. Ethica – la notion aussi bien que la discipline elle-même – était pour Abélard un élément de la philosophie antique, dont il ne négligeait jamais l’origine païenne. Platon, qu’il appelait maximus philosophorum (TChr 1,68 : 897 et plus souvent) ou bien summus philosophorum (TChr 1,106 : 1365), restait pour lui néanmoins gentilis ille philosophus (Comm. Rom. 1,3,8 : 209). Il ne manquait pas non plus de noter que Boèce, bien qu’il fût chrétien, suivait l’opinion des philosophes païens quand il s’occupait des questions philosophiques (TChr 3,122 : 1450). Dans sa propre relation avec ces philosophi infideles Abélard, toutefois, n’avait pas l’intention de les tenir à distance. En analysant leurs dires plutôt sous l’aspect de la compatibilité avec la doctrine chrétienne, il introduisait les assertions philosophiques quasi in auctoritatem dans sa pensée théologique sur la trinité 3.

11Pour justifier ce procédé, il s’appuyait sur le modèle traditionnel de l’ordre ascendant de la connaissance, selon lequel l’éthique, avec son effet purifiant, est à la base de toute cognition philosophique. Abélard souligne qu’au dire même des philosophes, ce n’est pas la raison, mais une vie morale qui est exigée en premier lieu pour parvenir à la connaissance de Dieu (TSum 2,19 ; cf. TChr 3,33). Prévenant toute critique, il consacre une discussion détaillée à cet argument qui lui sert en même temps de légitimation pour associer le raisonnement philosophique à la pensée théologique. Le deuxième livre de la Theologia Christiana est consacré à cette thématique qui, au cours du développement de la théologie abélardienne, se retire et dans la Theologia « Scholarium » n’apparaît qu’en une version réduite. Se référant à Socrate (TChr 2,31), à Platon (TChr 2,36 : 51214), et à de nombreux témoignages de la vie morale des philosophes antiques, Abélard montre que leur enseignement est un préalable à la doctrine morale chrétienne comme à la théologie (TChr 2,116 : 177277). Cependant, cette concordance entre l’enseignement et la vie des philosophes et les préceptes moraux de l’Évangile – tanta euangelicae ac philosophicae doctrinae concordia4 – ne fait pas s’évanouir les frontières entre les deux sphères.

12Le dialogue, intitulé Collationes, d’un philosophe (Philosophus) avec un juif (Iudaeus) et un chrétien (Christianus) à propos de la vraie compréhension du summum bonum et du meilleur chemin vers le salut de l’âme est fondé sur la distinction des positions diverses. Cette œuvre a été fréquemment discutée et quelquefois comprise à tort comme une déclaration pour la paix entre les religions. Il présente quand même une compétition entre l’éthique des philosophes et l’enseignement moral de la tradition juive et chrétienne. La forme dialogique des Collationes, à l’aide des personnes grammaticales, fait apparaître et souligne la distance des positions diverses. En définissant l’éthique comme la science des mœurs, le philosophe utilise dans la dispute la première personne : « La science des mœurs que nous appelons “l’éthique” » (scientia morum, quam ethicam dicimus, Coll. 6). Le chrétien, pour sa part, répond par la deuxième personne : « … laquelle, certes, vous êtes habitués à appeler “l’éthique”, c’est-à-dire “la morale” » (quam quidem uos ethicam, id est moralem, nominare sc. consueuistis, ibid. 67) et qualifie la doctrine païenne d’ethica uestra. La situation est inversée quand le chrétien parle de la suprême discipline chrétienne : « que nous sommes habitués à nommer “science de Dieu” » (quam… nos diuinitatem nominare consueuimus) et que le philosophe réplique par l’expression de son consentement : « La nouvelle nomenclature de votre nom me plaît bien » (nouam nuncupationem nominis uestri non mediocriter approbo, ibid. 67).

13Derrière cette distinction qu’on pourrait juger, à première vue, uniquement terminologique, il y a des différences fondamentales. L’éthique du philosophe est réduite au seul chemin vers la fin suprême de la vie humaine (per que venitur). La science soutenue par le chrétien, par contre, a pour objet la fin elle-même (ad quod pervenitur, ibid. 67). Par conséquent, au point de vue de la méthode, les deux disciplines n’ont rien en commun : « Il faut discuter autrement avec toi, autrement avec nous » (aliter tecum, aliter nobiscum ad invicem confligendum est, ibid. 78). Pour l’éthique du philosophe, qui s’appuie uniquement sur la loi naturelle (lex naturalis), seule compte la raison. Les sources de la morale chrétienne – à leur tête Grégoire le Grand et évidemment Moïse et Jésus, qui ont annoncé l’Ancienne et la Nouvelle Loi (ibid. 78) – ne font pas autorité pour lui. À cause de cela, afin d’établir une base commune pour leur conversation, les interlocuteurs se limitent à la méthode du discours dialectique. Dans son analyse critique de l’éthique du philosophe et dans la présentation de ses propres thèses le chrétien se borne aux arguments rationnels et renonce explicitement à donner des témoignages de la foi. Avec cette restriction, l’entretien passe pour lui à l’échelon de l’ethica uestra.

14Avec le Scito te ipsum Abélard cherche à compléter la discussion sur la morale dans la perspective chrétienne. Pour cela, il n’ajoute pas simplement – de manière additive – les aspects de la foi de l’Église à l’argumentation rationnelle des Collationes. En prenant un nouvel élan, il s’appuie sur la méthodologie qui s’est avérée efficace dans les livres de sa théologie. De cette manière, il crée un ouvrage qui présente et examine des questions fondamentales de la doctrine morale de l’Église à l’aide de la critique rationnelle. À travers cette liaison de la méthode dialectique avec la tendance contemporaine qui cherche à systématiser les contenus théologiques, Abélard ouvre le chemin pour faire sortir la théologie morale de son intégration traditionnelle dans l’explication de la Bible. Comme un complément, son traité se range du côté de la Theologia nostra. En l’appelant Ethica nostra – on se souvient de la remarque de Boèce Aristoteles in Ethicis suis – Abélard prétend avoir créé une alternative équivalente à la discipline païenne dans le contexte de la pensée chrétienne. Désormais il y aura non seulement des « éthiciens » païens mais aussi chrétiens : ethici, tam nostri quam ethnici (Ioh.-Sarisb. ep. 148 [Millor 44]).

15La portée de l’orientation qu’Abélard avait prise avec la création d’une Ethica nostra se manifestait déjà de son vivant. Ce n’étaient pas seulement ses propres élèves qui participaient à son effort d’ » intégration de l’éthique philosophique dans la moralité chrétienne » (Stephan Ernst). Ses contemporains, comme leurs successeurs, se sont sentis également interpellés pour faire avancer la conception d’une éthique dans le cadre de la doctrine de la foi chrétienne. Vingt années après la mort d’Abélard, Alain de Lille (uirt. prol. [Lottin VI 45]) utilisait les termes spécifiques de la philosophie pour une classification de la théologie : « La théologie a deux espèces : une rationnelle qui promet la science des affaires célestes ; l’autre morale qui comprend les mœurs ou bien la formation des hommes » (Theologie due sunt species : una rationalis, que celestium scientiam pollicetur ; alia moralis, que circa mores sive informationes hominum vertitur). Sous l’aspect d’une systématisation de la science, la « nostrification » de l’éthique qu’Abélard envisageait n’avait pas manqué son effet. Toutefois, bien des années s’écouleraient avant qu’un autre auteur ne donne à un ouvrage le titre d’ » Éthique ».

Scito te ipsum

16Dans la littérature critique, le titre Scito te ipsum qu’Abélard a placé en tête de son éthique, est fréquemment mis en rapport avec Socrate 5.

17Pourtant, une brève révision du développement historique non seulement révèle l’inexactitude de cette attribution, mais encore fait paraître la signification particulière de cette formule et met à jour également la différence entre les contextes païen et chrétien. (De la riche littérature critique cf. surtout Courcelle (P.), Connais-toi toi-même, I-III, Collection des études augustiniennes, SA, 58-60, Paris, 1974. Dans ce compendium est déployée la carrière de cette maxime de Socrate jusqu’à Bernard de Clairvaux).

18La maxime grecque Gnw/`qi seautovn fut attribuée à des auteurs différents. Mais à cause de son inscription au temple d’Apollon à Delphes, on la mit surtout en rapport avec ce dieu et son oracle. En faisant son chemin dans le monde latin, après un stade préliminaire sans traces littéraires notables, la maxime trouva sa version d’avenir chez Cicéron. Dans sa correspondance avec son frère, ilcite –de façon cultivée–l’original grec (ad Q. fr. 3,5,7). Dans les traités philosophiques, par contre, il reste fidèle à son intention de donner un équivalent latin qui se range du côté de la terminologie grecque. Ainsi, sa traduction directe est : nosce te (Tusc. 1,52,7). Mais souvent il insère la formule dans la syntaxe–suivant l’exemple de son texte de référence grec–et, pour élucider la structure réflexive, renforce le pronom personnel par le suffixe met et/ou par l’adjonction d’ipse ou quisque : ut nosmet ipsos nosceremus,ut se quisque noscat,qui se ipse norit,noscere nosmet ipsos, nosmet ipsos nosse, etc. Quelquefois, Cicéron utilise en même sens les verbes composés cognoscere et agnoscere : si… se quisque cognosceret, nosmet ipsos cognoscimus (fin 5,41,2.10), ut ipsa se mens agnoscat (Tusc. 5,70,1) et également le substantif cognitio : illa < a > deo Delphis praecepta cognitio ou cognitio… nostri (fin.5,44,5).

19Suivant l’exemple de Cicéron, la traduction latine de la maxime reste stable jusqu’à la fin de la littérature païenne dans l’antiquité tardive. Pendant cette période, Sénèque est un témoin important, qui utilise de même la forme directe nosce te (dial.6,11,3), mais également l’inversion tenosce (ep.94,28,2), ainsi que l’insertion dans la syntaxe : ut homo ipse se nosset (nat. 1,17,4). L’autorité culturelle des modèles classiques obligeait tout autant les auteurs chrétiens, notamment Ambroise et Augustin, qui allaient prendre pour leur part une grande importance par la suite. Ils témoignent de l’influence de Cicéron, que tout deux ont tenu en grande estime, en citant la maxime sous la forme nosce te ipsum (Ambr. Ps. 118 II 13) ou cognosce te ipsum (Ambr. Hex.6,6,39) et en se référant à elle avec des phrases comme :ut cognoscas te (Aug. Io. ev. tr. 25,16), ut se cognoscat (Ambr. Fug. 4,20), ipsum se cognoscat (Ambr. Bon. mort. 3,10), cognoscat ergo semetipsam (Aug. trin. 10,8), cognosce quod es (Aug. serm. 137,4), cognosce qui sis (Aug. Io. ev. tr. 1,15) etc.

20Cette continuité culturelle, qui se manifeste ici et qui ignore les limites entre la tradition païenne et la chrétienne, n’est pas restreinte à l’usage de la terminologie. Elle comprend en même temps une correspondance qui concerne le contenu et la signification de cette invitation à l’homme de se connaître soi-même. Les Pères de l’Église adoptaient l’opinion des philosophes selon laquelle il ne s’agissait pas d’une perception de la condition extérieure de l’homme mais d’un acte réflexif dans l’âme. Se détourner des sens en tant que source de la perception et orientation dans la vie et se tourner vers l’intérieur (cf. p. ex. Aug. ord. 1,1 ; Ambr. Ps. 118 XIX 2) – en insistant sur la responsabilité dirigeante de la partie raisonnable de l’âme -restent les éléments constitutifs de la version chrétienne du concept de la connaissance de soi-même.

21Cependant, dans ce contexte, on ne trouve pas de référence à la personne ou à l’enseignement de Socrate. Les témoignages de ses contemporains (Aristophane, Platon et Xénophon) révèlent que Socrate attachait une grande importance au thème de la connaissance de soi-même et qu’il aimait se référer à la maxime de Delphes dans son argumentation. Un reflet de cela se trouve chez Tertullien (an. 17) qui, dans son traité sur l’influence des sens sur la connaissance, cite la confession de Socrate dans le Phèdre (229e) disant qu’il lui manque encore la connaissance de soi-même recommandée par l’inscription delphique. Toutefois, ce n’est pas sa référence à cette maxime que les auteurs païens et chrétiens considèrent comme signe typique de Socrate. C’est plutôt le savoir du non-savoir, que l’oracle de Delphes lui avait attesté : « Il a pensé qu’il était qualifié par Apollon de l’homme le plus sage parce que la sagesse unique de l’homme consiste à ne pas imaginer que l’on sait ce qu’on ne sait pas » (Cic. ac. post. 1,16). La caractéristique de Socrate, c’est le scio quod nescio, et non pas le cognosce te ipsum.

22Le rapport prétendu du dernier adage avec Socrate, qui se répète dans la littérature critique, a son origine, à ce qu’il paraît, chez E. Gilson qui, en établissant son concept d’un « Socratisme chrétien » dans son œuvre fameuse L’Esprit de la philosophie médiévale (Paris, 1932, XI. La connaissance de soi-même et le socratisme chrétien, 214-233) avait déclaré : « C’est de l’oracle de Delphes que Socrate lui-même a recueilli le célèbre précepte “connais-toi toi-même” ». C’est pourtant une confusion entre divers éléments de la tradition. Selon le récit de Platon, l’oracle de Delphes avait répondu à la demande de Chéréphon, ami de Socrate, que personne n’était plus sage que Socrate (Plat. apol. 21a). Chez Xénophon (mem. 4,2,24.25), qui est cité par Gilson, Socrate, dans un dialogue avec un homme qui s’estimait déjà omniscient, fait référence à l’inscription du temple d’Apollon à Delphes. Le malentendu de Gilson n’avait pas de conséquence sur sa thèse centrale, mais il a provoqué une identification inexacte de la maxime Delphique avec Socrate.

23L’esquisse de la réception du Γνῳ˜ͺ ?αυƬó νpar les Pères de l’Église latine n’est pas toujours complète. L’intégration de la maxime dans leur pensée ne se déroulait pas seulement dans le cours de la continuité culturelle de la tradition romaine. Elle arrivait en même temps par l’interférence du monde chrétien-grec. Dans leur compétition avec la culture hellénistique, les Pères de l’Église grecque avaient mis en parallèle la maxime avec des expressions similaires de la Septante (à part Deut 4,9 et Cant 1,8 [Vulgate 1,7] notamment Iob 5,27 et Ps 138,23) – non sans revendiquer pour elles une priorité temporelle et d’authenticité. Philon d’Alexandrie (migr. Abr. 8) avait mis côte à côte le Γνῳ˜ͺ ?αυƬó νet la directive de Moïse dans le Deutéronome 4,9 : « Connais-toi toi-même, suivant l’enseignement de Moïse qui dit “Prends garde de toi” (Πρóσєχє σєαυƬῷ)`6 ». Ce parallélisme, par la suite, devint topique. D’une influence encore plus forte était l’exemple d’Origène qui, dans son explication du Cantique, mettait en relation le mot du bien-aimé (1,8) : « Si tu t’ignores, ô la plus Belle des femmes (έ`ανµη`νγῳ˜σєαυƬήνˏἡ καλὴ ἐν γυναιξί ν) » avec le « mot souvent cité chez les Grecs », en réclamant de plus le « sage Salomon » comme véritable auteur de cette maxime (Cant. [GCS 17,256]).

24Les Pères de l’Église latine n’hésitèrent pas à reprendre ces exemples. Eux aussi mettaient la maxime delphique en parallèle avec le mot de Moïse et l’invitation à la bien-aimée dans le Cantique. Chez Ambroise, par exemple, qui prêtait grande attention au motif de la connaissance de soi-même, on lit : « Connais donc, ô homme, ta grandeur et sois attentif à toi (Cognosce ergo te, homo, quantus sis, et adtende tibi, Hex. VI 8,50) » ou bien : « Connais-toi toi-même, ô homme ; à ton âme est destiné le mot du Cantique “Si tu ignores ta beauté parmi les femmes”. Connais-toi, ô âme. (Nosce te ipsum, homo ; tuae animae dicitur in Canticis : Nisi cognoueris te formosam in mulieribus. Cognosce te, anima. Ps. 118 X 10) ». Dans son explication de l’Exaemeron (VI 6,39), Ambroise – probablement suivant un exemple grec (c’est-à-dire Origène) – liait la devise delphique avec la réclamation d’authenticité pour Salomon et l’argument de la priorité de Moïse :

« Connais-toi toi-même, ô homme, selon l’appel qui ne tire pas son origine – comme on dit – d’Apollon Pythique mais du Salomon saint qui dit “Si tu t’ignores, ô toi la plus Belle des femmes”, bien que Moïse dans le Deutéronome ait écrit bien avant “Sois attentif”. (Cognosce te ipsum, o homo, quod non, ut ferunt, Apollinis Pythii, sed Solomonis sancti est, qui ait :

Nisi scias te, formonsa in mulieribus, quamquam multo ante Moyses in Deuteronomio scripsit : Adtende tibi.) ».

25Une formulation pareille se trouve – avec un reproche formel de plagiat – dans son commentaire sur Psaume 118 (II 13) :

« Prends garde, donc, là où tu as reconnu ton excellence. Connais-toi toi-même, appel attribué par les païens à Apollon Pythique, comme si celui-ci était l’auteur de cette sentence, bien qu’elle est usurpée et transférée de notre auteur à leur contexte et que, Moïse qui écrivait le Deutéronome, était beaucoup plus ancien que les philosophes qui ont prétendument forgé cette sentence. (Tibi ergo adtende ibi, ubi potiorem esse te nosti. Nosce te ipsum, quod Apollini Pythio adsignant gentiles uiri, quasi ipse auctor fuerit huius sententiae, cumdenostro usurpatumadsua transferantetlongeanterior Moyses fuerit, qui scripsit librum Deuteronomii, quam philosophi, qui ista finxerunt.) ».

26Ces phrases correspondent à la traduction latine que, peu de temps après, Rufin faisait du commentaire d’Origène sur le Cantique (Cant.2 [Baehrens 141]) :

« Un de ces sept hommes qui, chez les Grecs, sont fameux pour leur sagesse, est considéré comme l’auteur de cette sentence parmi d’autres admirable, par laquelle il dit “Sais-toi toi-même” ou bien “Connais-toi toi-même”. Pourtant c’est Salomon qui, comme nous l’avons enseigné dans notre préface, les précède tous en ancienneté, sagesse et connaissance, et qui adresse ce mot à l’âme “Si tu t’ignores, ô la plus Belle des femmes”. (Unius ex septem, quos apud Graecos singulares in sapientia fuisse fama concelebrat, haec inter cetera mirabilis fertur esse sententia, qua ait : “Scito te ipsum” vel “Cognosce te ipsum”. Quod tamen Solomon, quem praecessisse omnes hos tempore et sapientia ac rerum scientia in praefatione nostra docuimus, ad animam… dicit : “Nisi cognoveris temet ipsam, o pulchra inter mulieres”) ».

27L’alternative qu’il y apporte pour le Γνῳ˜ι ?αυƬó ν : Scito te ipsum ou bien Cognosce te ipsum, n’est pas une variation personnelle. Elle montre un traducteur attentif qui présente les variantes qu’il trouvait dans l’usage de la langue contemporaine. Chez les auteurs chrétiens de son temps n’existait pas seulement la formule classique cognosce te ipsum mais aussi une diction te ipsum scito, comme en témoigne Ambroise en associant la maxime avec la directive de Moïse : Tibi igitur adtende, te ipsum scito (Hex. VI 7,42 [CSEL 32/1,233]).

28La source de cette version est évidemment une traduction alternative du Cantique. Comme déjà mentionné, Ambroise citait l’avertissement du bien-aimé dans la forme nisi scias te. Pour ce changement du verbe (de « connaître » à « savoir »), on ne pouvait pas se référer à un modèle dans les textes grecs. Cette variation naquit au sein de la Bible italique, i.e. dans la Vetus Latina, ou il y avait des traductions différentes de Cant 1,8 (LXX). La version de la langue cultivée, basée sur la tradition antique, était Nisi cognoveris te (temet ipsam). C’est la traduction sur laquelle s’appuyaient Augustin et Rufin, et qui n’était pas inconnue à Jérôme, bien que celui-ci dans la Vulgate préférât la forme Si ignoras te. Ambroise pour sa part connaissait la version Nisi cognoscas te, mais il a utilisé, lui aussi, plusieurs fois une traduction du Cantique où le mot adressé à la bien-aimée était traduit par Nisi scias te, p. ex. Ps. 118 II 14 [CSEL 62,27] : Vnde et Salomon oraculum diuinum secutus scripsit in Canticis canticorum : Nisi scias te decoram inter mulieres, hoc est : Nisi cognoscas te. Il n’a pas fallu longtemps pour que cette formule – par analogie avec les impératifs de la maxime delphique et du mot de Moïse – trouvât son complément Scito te ipsum (en faisant violence à la langue, qui dans la période classique n’avait jamais toléré une combinaison de Scito avec un objet direct). Ainsi, la correspondance entre le mot du Cantique Nisi cognoveris et la maxime delphique (Cog)nosce te gagnait son analogie postclassique sur la base d’une traduction biblique divergente dans Nisi scias te et Scito te ipsum.

29Reste à dire qu’il n’est pas possible de déterminer avec certitude qui fut le premier à introduire la forme impérative Scito te ipsum. Si la datation usuelle d’aujourd’hui est juste, Ambroise l’utilisait avant Rufin. Les Exaemeron Libri d’Ambroise où on rencontre le te ipsum scito sont datés de 386/7 ; Rufin traduisait le commentaire d’Origène sur le Cantique vers 410. Cela permet de confirmer la supposition que ce dernier, avec l’alternative « Scito te ipsum ou bien Cognosce te ipsum », se référait à des versions courantes de son temps.

30Pour les auteurs du Moyen Âge, les versions différentes de l’impératif étaient devenues interchangeables, comme d’autre part les formes nisi cognoveris te, nisi scias te, si nescieris te, si ignoras. La décision pour l’une ou l’autre formule dépendait moins de leur sens de la langue que des sources auxquelles ils se référaient. Il semble qu’au cours du xiie siècle se soit développée une certaine préférence pour la version Scito te ipsum. Celle-ci représentait non seulement l’invitation biblique mais encore une traduction authentique de la devise delphique, comme nous le montrent, entre autres, Bernard de Clairvaux (sent. 3,88 [SBO 6/2,131] : Vnde dictum est in tripode Apollinis : Homo, scito teipsum), Guillaume de S. Thierry (nat. corp. prol. [Lemoine 70] : Fertur celebre apud Graecos Delphici Apollinis responsum : Homo, scito te ipsum) et Hugue de S. Victor (Didasc. 1 [Buttimer 4] : Scriptum legitur in tripode Apollinis : gnoti seauton, id est cognosce te ipsum). Au vers souvent cité de Juvénal (sat. 11,27) De caelo descendit Γνῳ˜θισєαυƬóν on ajoutait non seulement Nosce teipsum, homo (Bern.-Clar. s. div. 40,3 [SBO 6/1,236]) mais aussi Scito te ipsum (Ioh.-Sarisb. Polycr. 3,2 [CCM 118,176]) pour expliquer l’expression grecque qui, pour un lecteur ordinaire, était incompréhensible (et encore souvent mutilée dans les manuscrits). Bien entendu, l’intérêt que la maxime suscitait chez les auteurs du Moyen Âge n’avait pas que des motifs historiques ou philosophiques. L’attraction, en premier lieu, était fondée sur l’importance que ce mot avait acquis dans la tradition chrétienne. Sous l’influence continue d’Origène, la maxime delphique était perçue comme un écho, une répétition païenne de l’invitation à l’âme, formulée par Salomon. N’ayant rien d’étrange ni de provocant elle était entendue comme une proclamation de la même idée : l’appel à la connaissance de soi-même comme premier pas du passage intérieur vers Dieu. En citant la devise Scito te ipsum – ou même la version classique cognosce te ipsum – on se référait à ce contexte religieux ou, pour mieux dire, spirituel qui fascinait tant de contemporains d’Abélard.

31Celui-ci, pourtant, n’a pas contribué à ce mouvement. Dans sa correspondance avec Héloïse et dans ses sermons, Abélard se référait par occasion à des passages du Cantique, qu’il estimait, avec la tradition, un des trois livres les plus difficiles de l’Écriture. On y chercherait toutefois en vain un rapport à la fameuse invitation du bien-aimé. De même la notion du cognitio sui ne se trouve pas dans son vocabulaire. En glosant l’Isagoge de Porphyre sur la base de Boèce, il supprimait les mots emphatiques que celui-ci (in Porph. comm. pr. 1,3 [CSEL 48,7]) avait trouvé pour définir la signification et l’effet de l’amor scientiae :

« Cet amour de la sagesse est une illumination de l’esprit intelligent grâce à cette sagesse, une certaine retraite et un rappel à soimême, pour que l’étude de la sagesse ne semble rien d’autre que l’amitié du divin et de cet esprit pur. (Est autem hic amor sapientiae intelligentis animi ab illa pura sapientia illuminatio et quodammodo ad seipsam retractio atque aduocatio, ut uideatur sapientie studium diuinitatis et pure mentis illius amicitia…) ».

32Hugues de S. Victor (Didasc. 1,3 [Buttimer 7]) ne manquait pas de les citer dans son Didascalicon, tandis qu’Abélard (LI sup. Porph. [Geyer 1 :711] ; LNp sup. Porph.[ibid. 506 : 1821]) s’en tenait à une définition prosaïque de la philosophie et ses disciplines. Il ne s’attachait pas à un éclaircissement spirituel de la dimension intérieure de la personne humaine, entrepris avec ferveur par les Victorins et les Cisterciens. La devise Scito te ipsum ne fait plus partie de son répertoire et ne se trouve pas dans ses autres ouvrages. Placée en tête de son éthique, la devise a une position isolée, sans rapport concret avec le texte suivant, dans lequel ni la version Scito te ipsum ni la forme (Cog)nosce te ne sont répétées ou prises en référence. Avec cette titulation, Abélard n’avait pas l’intention d’évoquer la tradition païenne, comme on l’a présumé7, mais il s’en servit plutôt de signal saillant pour la conception chrétienne de la connaissance de soi-même en la version répandue de son temps.

33Cette « adaptation associative » (Dal Pra) était inspirée par la focalisation du jugement éthique sur l’intention de l’individu. Elle restait néanmoins un emprunt à un langage différent. L’orientation vers l’intériorité, l’accent commun sur la conscience, l’usage de motifs identiques ne laissent pas méconnaître la différence fondamentale de l’approche intellectuelle et spirituelle. En usurpant la devise de l’ascétisme contemporain, Abélard restait bien loin de s’approprier en même temps l’esprit de ce courant religieux. Son éthique est un traité scientifique et une invitation à la réflexion théologique. Dans la vision ascétique, se « connaître soi-même » voulait dire prendre conscience de la futilité de l’homme et du monde en face de Dieu. La réflexion éthique d’Abélard, en revanche, envisageait l’homme raisonnable comme sujet responsable de la moralité.

Réception et critique contemporaine

34Le fait qu’Abélard a qualifié son œuvre d’Ethica n’a joué aucun rôle dans la querelle qui a débouché sur le synode de Sens et la condamnation papale. Personne n’a trouvé remarquable qu’ici un seul traité ait été intitulé » éthique ». Aucun des ouvrages qui au Moyen Âge représentaient l’éthique antique (notamment le deuxième livre du De inventione de Cicéron ou les Epistulae Morales de Sénèque) ne figurait sous un tel titre. Par la mention de Boèce on avait connaissance de l’éthique d’Aristote et, par ouï-dire, existait l’idée que Socrate avait écrit une éthique. De toute façon, dans le contexte chrétien il était impossible de donner un tel titre païen à un livre d’une thématique morale ou bien théologique.

35Pourtant, aucun des critiques n’a élevé de protestation parce qu’Abélard utilisait ce terme pour sa réflexion sur le péché et la pénitence. La « nostrification » de l’éthique par laquelle il intégrait cette discipline philosophique dans le cadre de la théologie a causé aussi peu de scandale. Même Thomas de Morigny (Disp. 3,122 [Häring]), le seul qui se soit aperçu de cette qualification, ne s’en est pas offusqué. En concentrant sa critique sur l’incipit Mores dicimus, il lui reprochait son esprit novateur et, avec un jeu de mots, il constatait : « La plus grande part de son (i.e. Abélard) discours sur les mœurs est contre les mœurs de l’Église. (Plurima de moribus contra morem ecclesiasticum disputavit.) ».

36Quant au Scito te ipsum, la situation était tout à fait différente. Ce titre fit l’objet d’une critique sévère par Guillaume de Saint-Thierry (ep. 326, 4 [Leclercq 378 : 7374]), dont la dénonciation auprès du légat du Pape Geoffroi de Chartres et de Bernard de Clairvaux déclencha le procès contre Abélard. Guillaume estimait « monstrueux » le Scito te ipsum, mais aussi le Sic et non : « Je crains que ces livres, en correspondance avec leurs titres monstrueux, ne contiennent une doctrine non moins monstrueuse. (Timeo, ne sicut monstruosi sunt nominis sic etiam sint monstruosi dogmatis.) ». C’est un jugement rigoureux 8, qui correspond au ton indigné que Guillaume a choisi pour sa dénonciation. Il faut le comprendre par analogie avec sa critique de la théologie d’Abélard. Ce qu’il y considérait comme « monstrueux », c’était le fait qu’Abélard analysait ici des thèmes fondamentaux de la foi chrétienne à l’aide d’une méthode empruntée à la philosophie païenne : un procédé avançant nécessairement des thèses non-orthodoxes. Dans son commentaire sur l’épître aux Romains (Exp. Rom. 1 : 542 [CCM 86, 21]) Guillaume formulait sa critique des philosophi gentium et sapientes huius saeculi comme suit :

« Ils ont cherché Dieu avec l’orgueil fier qu’ils devraient chercher avec humble piété. Ils ont cru trouver dans la région de la raison et dans l’isolement des sciences occultes celui qui est à trouver seulement dans le règne de l’amour et au siège clair de la sagesse, de la sagesse bien sûr, non pas de la volubilité pleine de vent, dans l’amour parfait, du coeur pur et de bonne conscience, d’une foi non feinte. (Quaesierunt Deum superba curiositate, quem quaerere debuerunt humili pietate, inueniendum arbitrantes in regione rationis et recessu occultioris scientiae, qui non inuenitur nisi in regno caritatis et lucidissima sede sapientiae : sapientiae autem, non in loquacitate uentosa, sed in caritate perfecta, de corde puro et conscientia bona, et fide non ficta.) ».

37Le verdict contre le Scito te ipsum et le Sic et non va dans la même direction. Il ne s’applique pas au sens strict aux deux titres ou à la devise, à laquelle Guillaume, dans ses propres textes, s’était référé à plusieurs reprises, mais plutôt au contenu des livres – desquels il ne possédait pas d’exemplaire – que Guillaume présumait sous cette indication, parce qu’il n’attendait pas autre chose de cet auteur.

38Bernard de Clairvaux n’adopta pas simplement la critique de Guillaume. Il trouva sa propre stratégie pour attaquer Abélard par allusion au titre Scito te ipsum. Un reproche (ep. 192 [SBO 7,44]), avec lequel il cherchait à discréditer Abélard auprès de ses protecteurs romains, se référait à l’épître aux Romains, en disant : « Il eût été mieux que celui-ci, en conformité avec le titre de son livre, se fût connu lui-même, au lieu de dépasser ses bornes, et qu’il se fût adonné à un savoir sobre. (Melius illi erat, si iuxta titulum libri sui seipsum cognosceret nec egrederetur “mensuram” suam, sed “saperet ad sobrietatem”.) ». Et il ajoute (ep.193 [SBO7,45]),enprenantun ton plus fort : « C’est un homme qui dépasse ses bornes, réduisant à néant la croix du Christ avec la sagesse du langage. (Homo est egrediens “mensuram” suam, in “sapientia verbi evacuans virtutem crucis Christi”.) ».

39Par surcroît, Bernard ajoutait : « Il connaît tout ce qui est dans le ciel et sur la terre, à l’exception de lui-même. (Nihil nescit omnium, quae in caelo et quae in terra sunt, praeter seipsum) ». Avec ce reproche, il utilisait un autre motif classique qui était fameux chez les anciens et qui, également, avait été introduit dans la pensée chrétienne à travers les Pères de l’Église grecque. Au xiie siècle, l’antithèse de la connaissance de soi-même et de l’exploration du monde extérieur était un sujet central 9 Ce n’était pas seulement la curiositas rerum exterarum (Bern.-Clar. sent. 3,4 [OSB 6/2,65]) qui était critiquée. La tendance à l’intériorisation avait attribué à la notion de « monde extérieur » un sens qui impliquait tout « en dehors de soi-même » (extra se) et qui qualifiait toute connaissance dépassant l’essence de l’homme (quod ipse est) d’inconvenante (indecorum ; cf. Hugo-S. Vict. Didasc. 1,1 [Buttimer 4]) ou bien – d’un point de vue religieux – de prudence temporelle (prudentia carnis, cf. Guill.S. Theod. fratr. 48 [SC 223,184]). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le blâme de Bernard à Abélard. Il se trouvait provoqué par la citation associative du Scito te ipsum, c’est-à-dire de la devise de pratique spirituelle à la tête d’une œuvre scientifique à prétention théorique.

Jugement dans la discussion moderne

40La discussion moderne sur l’intitulation de cet ouvrage d’Abélard ne suit généralement pas la critique médiévale, et elle y met des accents différents. Il y a peu d’auteurs qui approuvent les jugements de Guillaume de Saint-Thierry et de Bernard de Clairvaux. Ceux-ci, en revanche, sont attaqués de leur côté. On reproche à leurs critiques d’Abélard d’être de tristes témoins, typiques du climat et de l’esprit de cette époque : « Que le titre même du livre qu’Abélard a consacré à l’éthique – le très socratique Scito te ipsum, “Connais-toi toi-même” – ait pu passer pour monstrueux dit assez le climat de l’époque » (De Libera, Penser, 229). Le jugement du titre Scito te ipsum s’appuie en premier lieu sur l’origine antique de la maxime. Normalement, on ne réalise pas le contexte biblique et la longue tradition de référence au Cantique, ou bien on en sous-estime l’importance. La différence entre les formules Nosce te ipsum et Scito te ipsum n’est d’habitude pas remarquée. Dans la perspective prédominante le titre Scito te ipsum est perçu comme un programme approprié à la méthode dialectique et à l’intention scientifique de ce livre 10.

41Il n’y a qu’une voix, que je sache, qui exprime un jugement négatif sur l’intitulé qu’Abélard a choisi. Il s’agit de Courcelle, qui, comme aucun autre, a étudié le processus de l’assimilation chrétienne de la maxime delphique et qui a mis en évidence le fait que Scito te ipsum au xiie siècle était devenu un mot-clé pour l’invitation à une intériorisation spirituelle. En l’isolant de ce contexte et en l’utilisant à ses fins intellectuelles, selon l’avis de Courcelle (Connais-toi, I 263), Abélard rompait avec la connotation préalable et utilisait ainsi la maxime de manière aberrante : « Scito te ipsum, qu’Abélard applique bien mal ». Il ne faut pas s’offusquer de la teneur négative de cette opinion. Elle est basée sur une interprétation correcte qui aide de toute façon à comprendre le titre et la discussion qu’il a déclenchée.

42Comme dans la réception au Moyen Âge, la désignation Ethica nostra resta incontestée à l’époque moderne et ne provoqua pas de critiques. On s’est à peine aperçu du fait qu’Abélard a dépassé des bornes en utilisant une notion générique de la philosophie païenne pour un traité théologique chrétien puisque, entre-temps, non seulement le nom « éthique » est devenu courant dans la théologie, mais de plus le terme « éthique théologique » compte parmi les désignations habituelles. Bernard Pez, qui a redécouvert et édité pour la première fois le Scito te ipsum, a ajouté dans sa note d’éditeur à la désignation d’Ethica un vel verius Theologia morum (PL 178,631). Ce faisant il a fixé les deux pôles de la classification d’aujourd’hui. L’aspect déterminant pour les critiques modernes est le caractère de l’œuvre qui combine les contenus théologiques – non « le mal », traité dans les Collationes, mais plutôt « le péché » et l’enseignement de l’Église sur la pénitence – avec les méthodes de la dialectique. De même, la perspective des observateurs a influencé leurs approches vers l’un ou l’autre pôle. Il est arrivé qu’un même auteur, dans ses publications différentes, ait classé ce livre dans des catégories différentes, c’est-à-dire comme texte de la philosophie morale ou comme monographie théologique. Toutefois, aujourd’hui on est en général d’accord pour dire qu’en écrivant son éthique Abélard a créé un traité théologique11, et qu’il a en cela percé une trouée pour le développement de la théologie morale comme discipline indépendante.

Notes de bas de page

1 Une version allemande de cet essai a été publiée dans Philosophie und Theologie 76, 2001, 253270.

2 Le locus classicus pour la tradition latine de cette thèse est Cic. Tusc. 5,4,10: Socrates autem primusphilosophiam devocavit e caelo et in urbibus conlocavit et in domus etiam introduxit et coegit de vita et moribus rebusque bonis et malis quaerere (cf. Cic. acad. post. 1,4,15; Sen. ep. 71,7,1). À travers Augustin (civ. 8,3: Socrates ergo primus uniuersam philosophiam ad corrigendos componendosque mores flexisse memoratur, cum ante illum omnes magis physicis, id est naturalibus, rebus perscrutandis operam maximam inpenderent.), cité par Isidore de Seville (Etym. 2,24,5 [Lindsay] ; cf. Cassiod. Inst. 1,16,4 [Mynors]), ce topos parvient aux auteurs du xiiesiècle (par ex. Hugo-S. Vict. Didasc. 3,2 [Buttimer 50] ; Ioh.- Sarisb. Met. 2,2 [CCM 98,58]) et à Abélard (TSum 1,67; TChr 2,32; TSch 1,108).

3 philosophorum infidelium assertiones sicut et sanctorum patrum quasi in uctoritatem induximus (TChr 2,1 ; cf. 3,1). Cette pratique rencontre la critique sévère de Bernard de Clairvaux : Denique in suggillationem Doctorum Ecclesiae, magnis effert laudibus philosophos, adinventiones illorum et suas novitates catholicorum Patrum doctrinae et fidei praefert (ep. 189,3 [SBO 7,14]). Thomas de Morigny (Disp. 3,78 [Häring 368]) exprimait la même critique en disant qu’Abélard introduisait les philosophes non peignés et non lavés au banquet du Roi céleste :… philosophos Platonem, Virgilium, Macrobium, inton-sos et illotos, ad conuiuium superni regis introduxit

4 TChr 2,44 : 61819. Cette thèse de concordance a son origine chez Augustin, cité souvent par Abélard : TSum 1,57 ; TChr 1,118 ; TSch 1,181. Cf. TChr 2,43 : 589592 :… reperiemus ipsorum tam uitam quam doctrinam maxime euangelicam seu apostolicam perfectionem exprimere et a religione Christiana eos nihil aut parum recedere. ibid. 2,44 : 611613 : Si enim diligenter moralia Euangelii praecepta consideremus, nihil ea aliud quam reformationem legis naturalis inueniemus, quam secutos esse philosophos constat. Cf. Sol. 2 [Burnett 88889] : Quam quidem exhortationem quisquis legerit, videbit philosophos non tam nomine quam re ipsa Christianis maxime sociatos.

5 Quelques exemples : de Libera (A.), Penser au Moyen Âge, Paris, 1991, 229 : « … le très socratique “Scito te ipsum”… » ; Verger (J.), La renaissance du xiiesiècle, Paris, 1996, 121 : « Le vieil adage socratique… » ; Constable (G.), The Reformation of the Twelfth Century, Cambridge, 1996, 275 : « theSocraticmotto “Knowyourself”… » ; von Moos (P.), Abaelard, dans Flasch (K.), Jeck (U. R.) ed., Das Licht der Vernunft, München 1997, 36-45,43 : « Der Titel “Scito te ipsum” erinnert an Sokrates, de rals Erfinder der Ethik galt » ;Marenbon (J.),The philosophy of Peter Abelard, Cambridge, 1999,(1997),68 : » …he decided, challengingly, to use as a title the Socratic maxim “Knowthyself” » ; Schroeter-Reinhard (A.),Die Ethicades Peter Abaelard, Freiburg/Schweiz,1999,317 : » Esmagalso sein, daß der Magister selbst an einen auf Sokrates zurückgehenden Traditionsstrang anzuknüpfen glaubte,[…]der auf den Prototyp des Moralphilosophen zurückging ».

6 La réception de cette formule dans le contexte du thème de la connaissance de soi-même arrivait quasi de même, parce que la Πρoσoχή indique une attitude fondamentale des stoïciens, cf. Hadot (P.), Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, 1987.

7 En général, la critique insiste sur la thèse qu’il faisait allusion à la maxime delphique, par ex. : DAL PRA (M.), Pietro Abelardo – Conosci te stesso o Ethica, Florenz, 1976, 3 note 1 : « … la tradizione del detto delfico era largamente nota al tempo di A. » ; Luscombe (D.E.), Medieval Thought, Oxford, 1997, 52 : « …he also called it “Know Thyself” after the celebrated oracle of Delphi » ; Clanchy (M.T.), Abelard. A medieval life, Oxford, 1997, 332 : « It was the counsel of the Delphic oracle and a fashionable maxime among intellectuals of Abelard’s time… » ; Schroeter-Reinhard (R.), Die Ethica, 314 : « … dieses Motto, das Delphische Orakel, (erfreute) sich im 12. Jh. einiger Belieb theit ». L’interprétation de Verbeke (G.), Éthique et connaissance de soi chez Abélard, dans Beckmann (J. P.) et al. (ed.), Philosophie im Mittelalter, Hamburg, 1987, 81101 ; 91, disant qu’Abélard avec le choix de Scito te ipsum au lieu de Nosce te ipsum « semble vouloir accentuer le fait que la connaissance requise doit être fondée et adéquate » ignore l’histoire linguistique et théologique.

8 L’attribut monstruosus, dans l’usage des Pères de l’Église comme au Moyen Âge, signifie contraire à l’ordre du monde, notamment à la vérité et la foi. Il désigne ce qui est a veritate alienissimum (Aug. sol. 2,23 [CSEL 89,76]) et contra fidem (Aug. c. Iul. 3,31 [PL 44,71819]), en se liant avec l‘insania (Cassian. incarn. 1,3 [CSEL 17,240]) et l’amentia (Salv. gub. 6, 4, 24 ; 6, 5, 26 [SC 220,376]). Abélard et Bernard de Clairvaux appliquent cet attribut à leur propre personne. Bernard parle de sa monstruosa vita, qui fait de lui la chimère du siècle (ep. 250,4 [SBO 8,147]). Abélard, après sa castration, s’appelle monstruosum spectaculum, que tout le monde montre du doigt (HC [Monfrin 80 : 612]).

9 Gilson (E.), à bon droit, a identifié cette alternative comme un motif central du xiiesiècle. Cependant son interprétation d’un « antiphysicisme » est une perspective plutôt restreinte. C’est pourquoi Bertola (E.), Il socratismo Christiano nel xii secolo, RFNS 51, 1951, 252264, a modifié d’une manière prudente ces notions. Courcelle y renonce complètement.

10 Quelques citations en contexte allemand peuvent illustrer ce jugement. Heinzmann, 184 : « Indem > Erkenne dich selbst < kommt das eigentliche Anliegen Abaelards unmittelbar zum Ausdruck. Nicht objektive Werte und Normen, nicht Werke und äußere Taten stehen im Vordergrund, es geht vielmehr umden Menschen und seine innere Haltung » ; von Moos,43 : » Der Titel verdichtet das dialektisch behandelte Thema des ersten Buchs, die Sünde… Damit läßt der Titel bereits die intentionsethische Hauptthese anklingen. » ; Schroeter-Reinhard,316-17 : » Zunächst weist dieser Titel darauf hin, daß das, was mit Ethik zu tun hat, das Innere der menschlichen Person betrifft… Im Titel kommt nicht primär Abaelards Blickwechsel von der äußeren zur inneren Handlung als ethisch relevantes Geschehen zum Ausdruck, sondern daß die Innerlichkeit… moralische Bedeutung hat.… Der Titel Scito te ipsum stellt also ein Programm dar. »

11 Quelques exemples : « a theological monography » Luscombe (D.E.), Ethics, xxxi ; « eine Theologie der Sitten », Ritter, HWP 2, 763 ; « ein etheologische Monographie », von Moos, Abaelard, 41 ; Heinzmann, Philosophie, 184 ; « traité essentiellement théologique », Jolivet (J.), La théologie d’Abélard, Paris, 1997, 91. Mais : « il lavoro più filosofico del Maestro Palatino », Fumagalli (B.B.), Introduzione, 80.

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