La question des émotions dans les musiques populaires
p. 217-232
Texte intégral
1 Dans la littérature scientifique portant sur les liens entre musique et émotion, les réflexions sur les musiques populaires paraissent historiquement peu développées1. Bien sûr, il est délicat de comparer la tradition pluriséculaire de réflexion sur les pouvoirs expressifs de la musique savante européenne à l’histoire récente des musiques populaires au sens de « popular music » qu’on fait généralement démarrer avec les débuts de la musique enregistrée il y a un peu plus d’un siècle. Nonobstant, des entreprises récentes ont pointé les limites d’une approche trop parcellaire de la musique qui défendrait, au xxie siècle, « un type idéal de musique » et hypostasierait les propriétés d’une catégorie musicale particulière à l’ensemble du fait musical. La philosophe Sandrine Darsel a ainsi tenté de « prendre en compte le plus possible la richesse et la variété des œuvres musicales (classique, traditionnelle, jazz, rock, de variété, etc.) [afin de] dépasser le réflexe romantique qui surévalue les œuvres musicales et néglige une grande partie du domaine musical constitué d’œuvres peu glorieuses2 ». Mais, en dehors de quelques tentatives prenant acte de la nouvelle ontologie « phonographique » de la musique et en particulier du rock3, les philosophes ayant réfléchi sur les pouvoirs expressifs de la musique ont eu tendance à puiser leurs exemples de façon disproportionnée dans le champ de la musique savante occidentale, biaisant d’une certaine manière la portée générale, voire universelle, de leurs conclusions.
2L’hypothèse de départ de cet article est qu’un tel état de fait ne peut être absolument contingent et que cette disparité s’appuie sur un présupposé globalement partagé au sein de la communauté savante selon lequel les musiques pop n’entretiendraient qu’un rapport amoindri ou en tout cas problématique aux émotions. Pour le dire brièvement avant de revenir plus en détail sur ces arguments, on a reproché aux musiques populaires de susciter des émotions primaires et débridées (des jitterbugs possédés par le swing aux fans hystériques des Beatles), tout en les accusant d’être incapables, faute de moyens esthétiques suffisants, de les dépeindre de façon nuancée. Les musiques populaires seraient ainsi le royaume de l’émotion brute, grossière et non maîtrisée et, paradoxalement, un domaine caractérisé par l’absence d’émotions nuancées, subtiles, travaillées : le lieu d’une hystérie collective sans objet esthétique propre permettant de les articuler.
3Cet article souhaite ainsi délimiter les enjeux soulevés par la place des émotions dans les discours savants sur les musiques populaires, du romantisme aux Cultural studies. Je propose dans un premier temps une archéologie critique de la disqualification des possibilités expressives des musiques populaires au sein du discours académique, pour ensuite explorer de façon plus positive les dimensions qui spécifient le rapport des musiques populaires aux émotions : la phonographie (approche ontologique) et la danse (approche anthropologique).
Highbrow, Lowbrow
4C’est dans l’Angleterre du xixe siècle que la distinction entre musiques traditionnelles (objet de l’ethnomusicologie), populaires et savantes, est apparue avec le plus de netteté sémantique. Alors que le peuple rural et ses traditions ancestrales (folk-lore) se transformaient peu à peu en une masse urbaine, prolétaire et bigarrée sans assignation ethnique véritable, et que le canon romantique achevait après la mort de Beethoven de construire une identité et un patrimoine propre aux musiques savantes4, la question de l’émotion est venu cristalliser les efforts de distinction entre ces différents corpus. Simon Frith affirme que dès l’origine d’une culture musicale urbaine, moderne et populaire en Angleterre au milieu du xixe siècle, les élites cultivées ont considéré que les musiques du peuple des villes avaient pour objectif principal de susciter des émotions, souvent négatives ou sentimentales, qui étaient vécues collectivement. Et ces manifestations bruyantes d’émotions étaient considérées comme « vulgaires » par la classe dominante (qui parallèlement développait au travers de la notion émergente de folklore5 une idéologie de l’authenticité d’un autre peuple, en voie de disparition, celui des campagnes traditionnelles) :
« En Angleterre, les chansons sentimentales et les hymnes avaient été une part importante de la culture de la classe moyenne dans les premières décennies du xixe siècle, mais l’idéologie bourgeoise considérait l’expression publique des émotions comme vulgaires. Le transport émotionnel de la musique classique se devait d’être entièrement mental, à mesure que le public des concerts se mettait à écouter les symphonies romantiques en silence, et les parlor-song étaient par nature, très formels : leurs interprètes ne cherchaient pas à faire pleurer leurs auditeurs6. »
5Le romantisme philosophique et sa diffusion dans l’opinion bourgeoise ont consacré l’importance de l’émotion dans la musique et construit de façon durable l’opposition entre musiques populaires et musique savante. On peut supposer qu’une des manières de délimiter rigoureusement le continent savant par rapport à l’océan mal défini des musiques populaires a été de refuser à ces dernières la capacité d’articuler de façon précise les émotions dans la musique. Seules les musiques classiques auraient le pouvoir de dépeindre des émotions raffinées, là où les musiques populaires et commerciales ne pourraient que déclencher des réactions émotionnelles fortes, mais dépourvues de tout contenu. Il y aurait une dichotomie entre la musique savante qui exprimerait ou dépeindrait des émotions et les musiques populaires qui ne pourraient que les susciter. Cette opposition entre locus interne (musiques pop) et externe (musiques savantes) de l’émotion a structuré durablement le point de vue savant sur la culture populaire. Il s’explique par la posture musicologique qui considère les musiques populaires comme réduites, limitées, atrophiées dans leur forme musicale7. Si, selon la théorie de Nelson Goodman, les émotions en art sont exprimées métaphoriquement par les propriétés de l’œuvre, alors la pauvreté intrinsèque d’un morceau de pop rendra impossible la description subtile de l’émotion8. Ce préjugé (dans la mesure où il postule la pauvreté formelle des musiques populaires avant même l’écoute ou l’analyse) issu de la construction bourgeoise de la culture au xixe siècle9 se serait répercuté en tant que biais épistémologique dans les recherches en art au siècle suivant, expliquant d’une certaine manière que les études de cas étudiant musiques pop et émotions soient à ce point éparses.
6C’est en tout cas l’avis de Emery Schubert qui, dans un article de psychologie expérimentale publié en 2013, « Emotion in Popular Music », enquête sur la hiérarchie entre pop et classique du point de vue de l’émotion. Pour construire son hypothèse de recherche, il relève dans la littérature scientifique un rejet massif du lien entre pop et émotion, ou plutôt une dichotomie bien tranchée entre les loci interne et externe de l’émotion en musique. Pour la majorité des chercheurs en psychologie de la musique jusqu’aux années 1980 : « La musique pop ne peut dépeindre les émotions, mais seulement les susciter chez l’auditeur10. » Cette opposition est alors soumise à l’investigation expérimentale au travers d’un dispositif d’enquête avec grille d’évaluation auprès d’un panel de cent auditeurs. Sans restituer le protocole et le codage des réponses, on peut mentionner que Schubert mobilise trois variables pour mesurer l’émotion : la force, la polarisation (positif/négatif) et l’activité (passif/actif). Les catégories de savant et de populaire ne jouent que peu sur la distribution des réponses du panel d’auditeurs11. Pour décevant que soit ce résultat, du point de vue de la psychologie expérimentale, Chopin et Lady Gaga produisent la même quantité, force et qualité d’émotions chez les cobayes de l’enquête. Schubert se rabat donc sur la « théorie de l’effet de simple exposition » de Robert Zajonc (1968), qui veut que plus nous sommes exposés à un stimulus (personne, produit de consommation, lieu), plus il est probable que nous l’aimions12. Schubert renverse alors sa perspective en conclusion, et suggère que la notion de « popularité » n’est pas structurelle ou définie par le savoir académique, mais peut être comprise comme la conséquence du rapport émotionnel qu’un auditeur entretien avec telle ou telle musique : « Pour certaines subcultures, Chopin est aussi “populaire” que le rock ou le swing13. » Au-delà de l’aspect tautologique de cette réponse, l’enquête de Schubert retire à la critique classique des émotions dans la pop toute assise empirique. À moins de juger les auditeurs de son enquête incompétents14 dans leur jugement esthétique (car selon la théorie de Goodman, la réaction émotionnelle à une œuvre d’art est bien un jugement de type cognitif), la dimension contingente du préjugé anti-pop de la philosophie romantique de la musique semble confirmée expérimentalement.
Valeur d’usage, valeur d’échange : l’escamotage de l’émotion chez les jitterbugs adorniens
7L’idée de la faiblesse des possibilités expressives des musiques populaires s’est pourtant vue gravée dans le marbre de la théorie critique de l’École de Francfort dont on sait l’influence sur la pensée de l’art au xxe siècle. Au travers de sa théorie de la valeur et du fétichisme de la marchandise, empruntée à Marx et appliquée aux musiques populaires dans son essai de 1938 sur Le Caractère fétiche dans la musique (Über den Fetischcharakter der Musik und die Regression des Hörens), Theodor Adorno a donné un tour savant au préjugé de classe sur l’absence d’émotions réelles et raffinées dans les musiques populaires. En effet, pour Adorno, les musiques populaires, le jazz, le tango, la chanson populaire, etc., ne proposent qu’un faux rapport à l’objet, la valeur d’échange – sa nature commerciale – finit toujours par se substituer à la valeur d’usage de la musique – sa nature musicale :
« C’est dans ce quiproquo que se constitue le caractère fétiche de la musique : les affects que provoque la valeur d’échange instituent l’apparence de l’immédiateté alors qu’en même temps, l’absence de relation à l’objet la dément. […] C’est d’une telle substitution sociale que dépendent toutes les satisfactions psychologiques ultérieures, tous les substituts de satisfaction15. »
8Adorno ne nie donc pas la présence d’affects chez les auditeurs de musique populaire (locus interne), mais il affirme qu’ils ne sont pas liés aux propriétés intrinsèques de l’œuvre (locus externe). Par conséquent, les amateurs de musiques populaires sont semblables à des insectes décervelés, les jitterbugs, qui réagissent mécaniquement aux stimuli sonores qu’on leur soumet dans les salles de danse, de Francfort à Harlem en passant par Paris et Londres :
« Ils s’appellent eux-mêmes des jitterbugs, comme s’ils voulaient en même temps affirmer et tourner en dérision la perte de leur individualité, leur métamorphose en coléoptères bourdonnant de fascination. […] Leur extase n’a pas de contenu. Elle emprunte son style à la façon dont les sauvages dansent au rythme des tambours de guerre. Elle a des traits convulsifs qui rappellent la danse de saint Guy ou les réflexes d’une bête estropiée16. »
9Animalité, archaïsme européen ou primitivisme exotique, les analogies adorniennes pour caractériser les affects provoqués par la musique légère sortant d’une radio des années 1930 renvoient toutes à un stade de l’écoute supposé préréflexif que viendrait rejoindre l’auditeur en régression.
De l’anesthésie des yéyés… à l’hystérie collective des fans des Beatles
10Cette hystérie émotionnelle propre à la réception de la musique populaire, liée chez Adorno à la structure de la production industrielle de l’art et de la culture de masse, se verra d’une certaine manière décuplée lors de la naissance du rock ‘n’ roll, dans le monde occidental au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Un débat organisé en 1963 par la revue savante Les Cahiers du jazz entre des critiques de jazz, de cinéma et de musique classique (Lucien Malson, Michel Godart, Daniel Wayenberg et Antoine Golea) porte sur la question, étrangement adornienne au demeurant, « Faut-il sauver le rock and roll17 ? » Claude Samuel introduit le débat en ces termes : « Peut-on espérer que le très large public de jeunes qui suit les manifestations de rock and roll, avec enthousiasme, puisse accéder à autre chose ? Ou bien le rock and roll n’est-il qu’un moyen comme un autre d’abrutissement de la sensibilité ? » Les débats qui suivent insistent sur la superficialité du rock ‘n’ roll (une copie de copie dans le cas du rock français) et l’anesthésie de la sensibilité qui s’y joue. Pour Michel Godard :
« Au départ, le rock était la danse que l’on pratiquait le samedi soir pour s’étourdir, pour oublier. L’alcool était fort, la musique était forte. Mais ne pourrait-on pas dire que les jeunes français vivent, eux aussi, dans un univers très dur ? Dans cet univers horrible, le twist est un refuge. C’est violent le twist, ça soule. Dans ces cris de la jeunesse il y a certainement une protestation non consciente contre nous, adultes qui n’avons rien à offrir aux adolescents, aucune aventure digne de leurs ambitions, de leurs forces neuves. Au fond, le rock et le twist ne sont pas choisis pour des raisons esthétiques mais uniquement psychologiques18. »
11Le développement spectaculaire de la Beatlesmania à partir de la tournée américaine de 1964 donnera de l’eau au moulin des détracteurs du rock, et à la thèse de l’absence de relation esthétique réelle dans les musiques populaires. Tous ces fans hystériques qui se mettent à hurler avant même que le groupe ait pu attaquer la moindre note montrent bien que l’émotion collective suscitée par le rock ‘n’ roll s’appuie sur des ressorts qui ne sont pas esthétiques, comme le formule Michel Godart. Sans compter que ces hurlements vont couvrir eux-mêmes le son du groupe anglais perdu dans des grands stades inadaptés. Avant le développement d’une technologie adéquate de l’amplification et de retours sur scène, les Beatles passeront des concerts entiers sans réussir à s’entendre mutuellement. Jetant l’éponge en août 1966, à l’instar d’un Glenn Gould, les Beatles décident d’arrêter de se produire en live. Du point de vue du discours intellectuel, en France, seul Edgar Morin dans ses articles pionniers des années 1960 tente de comprendre les cultures jeunes sans les rabattre automatiquement du côté de la domination et de l’aliénation19.
12Chez Adorno comme chez Godart ou Lucien Malson qui adaptent la critique de la culture de masse en sauvant leurs propres objets fétiches (le jazz ou le cinéma d’avant-garde), le maître mot est la passivité des auditeurs. Ces derniers sont les objets de stratégies commerciales de la part des industries culturelles qui transforment les œuvres d’art en produits culturels. Leur état social de dominés ne leur permet pas d’accéder au niveau d’une véritable relation esthétique à la musique, et donc à la palette variée des émotions humaines censées être transportées et décuplées par le médium musical.
Le tournant culturel de l’école de Birmingham
13Il faut attendre le tournant sociologique et méthodologique proposé par l’école de Birmingham à partir des années 1970 pour dépasser ce regard dépréciateur sur les cultures populaires issues des industries médiatiques. Le principal apport des Cultural studies est d’avoir insisté sur la capacité d’action des récepteurs de musiques populaires. Selon la thèse développée par Stuart Hall, les récepteurs des messages des industries médiatiques les décodent d’une façon qui n’est pas prévisible par les producteurs du message. Pour peu qu’on les ethnographie vraiment20, les récepteurs font un usage de la musique qui la réinvestit d’un sens nouveau. Ce tournant ethnographique que certains ont appelé « tournant de la réception21 » est crucial pour notre problématique. Ce changement de paradigme au sein des sciences sociales permet d’envisager à nouveau frais les rapports entre musiques populaires et émotions, en suspendant provisoirement la question de la forme et du prisme analytique musicologique souvent déformant, pour repartir des compétences des auditeurs, considérés comme les véritables détenteurs des savoirs musicaux22. Est-ce à dire que ce tournant de la réception accepte à sa manière la division entre locus externe et interne des émotions dans la musique préalablement imposé par le point de vue classique ? La musique-en-elle-même et ses propriétés expressives intrinsèques est-elle délaissée, oubliée par cette approche renouvelée du phénomène musical ?
L’ethnographie des auditrices de musiques populaires chez Tia DeNora
14Pour illustrer ce que les Cultural studies et ce « tournant de la réception » ont apporté à la compréhension du rapport entre musique et émotion au quotidien, je reviendrai ici sur le travail ethnographique de Tia DeNora. Au cours des années 1990, et sous l’influence de l’ethnométhodologie, la chercheuse britannique a entrepris une vaste enquête auprès de femmes non-musiciennes pour interroger leur relation, active, à la musique. Son approche réintroduit donc un lien actif entre musiques populaires et émotions, en faisant de l’auditeur le sujet de l’action, et non plus en se focalisant sur l’œuvre musicale elle-même et ce qu’elle serait capable de dépeindre. Elle nous fait selon ses propres termes quitter la problématique un peu désuète de « la musique en elle-même23 ». L’agent esthétique ici est l’auditeur et non pas le compositeur ou l’œuvre.
15L’analyse de 52 entretiens approfondis sur le rôle de la musique dans la vie quotidienne des femmes américaines et britanniques fait apparaître la musique comme une source capitale d’autorégulation des émotions. Indépendamment de leur niveau de formation musicale, les interviewées se montrent extrêmement lucides quant au type de musique à écouter selon le type de situation rencontrées pour produire ou entretenir tel ou tel type d’émotion (le courage pour aller au travail, la joie de se détendre, l’excitation d’un événement heureux, le stress d’une situation inédite, la mélancolie d’un moment perdu ou d’une époque révolue). De sorte que ces femmes peuvent être perçues comme étant leurs propres discjockeys, grâce aux possibilités offertes par la phonographie. Comme l’ont montré les travaux de Hennion et Maisonneuve24, la phonographie est un aspect crucial de cette nouvelle culture auditive qui apparaît avec les musiques populaires, permettant aux auditeurs un gain d’activité depuis leur position supposée passive de consommateurs de musique. Le philosophe Roger Pouivet en fait même l’objet d’un ouvrage entier d’ontologie de la musique rock, dans lequel il affirme clairement que la forme enregistrée que la musique a prise au xxe siècle et dont le rock a su tirer le plus pleinement partie25 permet une maîtrise des émotions sans précédent pour les auditeurs. Cette maîtrise est rendue possible par deux facteurs conjoints : a) la disponibilité technique de la musique ; b) l’identité sonore complètement déterminée, close, des artefacts-enregistrements : « L’ontologie de la musique et la vie affective sont ainsi liées26. »
16En régime phonographique, les auditeurs deviennent donc les agents de leur propre culture musicale et non les victimes de médias de masse. Les musiques populaires étant fortement liées à la construction nostalgique d’association entre musique et états émotionnels, la phonographie permet la capitalisation d’une banque d’émotions convocables à n’importe quel moment par l’auditeur qui construira ainsi un dispositif de production émotionnelle de soi. On le voit, sous cette perspective partagée tant par la philosophie analytique de Pouivet, la sociologie des amateurs de Hennion, ou l’ethnométhodologie de DeNora, ce sont bien les propriétés des œuvres de musiques populaires qui sont au cœur de la construction émotionnelle de soi, mais maximisées en quelque sorte par leur dimension autographique, phonographique.
17Montant d’un cran dans l’analyse du lien entre musique, émotion et production de soi, Tia DeNora passe ensuite à l’ethnographie d’un cours d’aérobic. Pourquoi un cours d’aérobic ? Parce qu’il s’agit d’un phénomène totalisant dont l’objet même est la gestion des mouvements du corps et de l’âme grâce à la musique. Dans un cours d’aérobic, la musique est bien autre chose qu’un simple fond sonore ou un support rythmique. Elle s’appuie sur certaines qualités sémantiques propres à la musique dans la culture occidentale (les corps montent quand la musique monte, l’âme se repose quand la musique ralentit, etc.). En quelque sorte, dans un cours d’aérobic, la musique prend la forme d’un mix qui évolue au travers de l’heure qui s’écoule pour créer différentes atmosphères émotionnelles qui mettent en synergie les corps qui dansent. Ainsi, la musique a sur le corps un effet de deux manières. En premier lieu, elle permet certains types de mouvements à travers des structures musicales qui dessinent la gestuelle et l’intègrent dans des structures plus amples. En second lieu, la musique peut également générer des émotions associées à certaines formes corporelles : sentimentalité, amour, colère, fureur, cynisme, etc. Ces deux différents apports sont indissociables. C’est-à-dire que l’émotion est médiatisée, exprimée par le corps.
18Pour Tia DeNora, l’aérobic n’est donc pas un moment musical banal, mais total, qui en tant que tel peut servir de modèle pour comprendre l’utilisation de la musique dans le quotidien, où les gens se servent continuellement de ses propriétés intrinsèques (œuvre par œuvre, celle-ci et non pas telle autre) pour modifier leurs propres états émotionnels en fonction des événements qu’ils traversent. La musique enregistrée apparaît très nettement dans le cours d’aérobic comme ce qu’elle est de façon plus diffuse dans la vie quotidienne : une technologie de prothèse qui permet de prolonger les capacités émotionnelles du corps. Grâce à elle, les corps parviennent à accomplir des choses qui resteraient autrement hors de portée :
« D’une part, la musique constitue une technologie de prothèse physique en ce qu’elle fournit une source de motivation et d’exercice permettant au corps de “faire” ce que sans elle il ne pourrait accomplir, d’autre part, les mouvements corporels que la musique modèle peuvent conduire les acteurs à identifier, saisir et moduler leurs états émotionnels et leurs motivations27. »
19Pour paraphraser Walter Benjamin, lorsque nous nous déplaçons dans Paris avec un casque sur les oreilles et que nous modulons notre ipod en fonction de nos envies et des accidents de notre déambulation, nous sommes les agents d’un immense cours d’aérobic que traverse la Seine28…
L’importance de la danse dans le rapport entre musiques populaires et émotion
20Ce qu’apporte l’analyse du lien entre musique et quotidien chez Tia DeNora, c’est l’importance du corps et de la danse dans la relation entre musique et émotion. Comme l’a souligné Simon Frith : « Nous ne devrions pas privilégier l’écoute, si proche de la lecture et de la vue (l’ouïe comme sens théorétique), mais la danse, qui place la musique au cœur même de nos vies physiques29. » Pour comprendre les musiques populaires, il faut en quelque sorte s’éloigner de Hegel et accepter que le corps puisse penser, être le lieu de la saisie esthétique de la musique. C’est l’apport historique du jazz et de sa philosophie « audiotactile » dans l’histoire de la musique au xxe siècle comme l’a bien montré Christian Béthune dans Le Jazz et l’Occident30. Les intellectuels afro-américains ne s’y sont pas trompés, Ralph Ellison au premier chef, qui a rappelé l’importance du jugement esthétique dansé dans le jazz : « Pour l’artiste de jazz, il y a une assurance à rester connecté à la piste de danse […], car il y recevra toujours un jugement critique formulé par la danse au travers du rituel du dancefloor31. » Dès lors, on peut considérer, si l’on maintient les acquis des auteurs convoqués jusqu’à présent, notamment Goodman, Pouivet, DeNora, Béthune et désormais Ellison, que l’attitude dansée de l’auditeur est la juste réponse émotionnelle ou saisie esthétique des propriétés expressives des musiques populaires.
21Les musiques populaires n’ont bien sûr pas toutes une fonction de danse. Mais ce qu’il importe de montrer ici est que lorsqu’elles ne prennent sens que dans un contexte dansé, les musiques pop n’ont pas moins un fort pouvoir émotionnel, quantitatif et qualitatif. Comme chez Tia DeNora et son cours d’aérobic, la musique de danse paraît modéliser ce que les musiques populaires ont en propre dans leur rapport aux émotions. Nous aborderons dès lors pour conclure ce panorama la musique électronique de danse, qui s’est développée à partir des années 1980, depuis l’évolution de la disco en house et en musique techno.
La musique électronique de danse (EDM), ou la synthèse parfaite entre émotions et discours musical
22Ce que formule Ralph Ellison sur le jugement esthétique dans le cas d’une « danse de jazz32 », c’est précisément ce qui se passe lors d’une soirée de musique techno, lors d’une rave party. Il y aurait un parallèle très fort à construire entre le discours improvisé jazzistique, qui s’appuie en partie historiquement sur la technique orale du preaching des officiants africains-américains, notamment dans la tradition protestante baptiste, et la construction d’un discours musical du DJ de musique électronique lors d’un mix. Tous deux, tous trois (prêtre, jazzman, DJ), sont aux prises avec les émotions du public qui constituent la matière première de leur discours musical. Citons encore une fois Ralph Ellison sur le jazz, le prêcheur et l’émotion du public pour cerner cette dimension. Dans une lettre à son compagnon de route Albert Murray, il rapporte une anecdote mêlant le preaching dans sa dimension technique et rhétorique, et la question des émotions. Ellison vient tout juste d’assister à un office méthodiste (la congrégation à laquelle il appartenait dans sa jeunesse en Oklahoma) pendant lequel il a dû prononcer un sermon :
« Je connais tous les hymnes et le déroulement complet du service, et malgré mes défenses, l’émotion a submergé tous les obstacles. […] J’étais là dans une robe noire, chantant l’hymne avec le pasteur. Ma gorge se nouait et dans cette atmosphère, la trame écrite de mon discours paraissait bien vaine. […] J’avais du mal à parler mais j’essayais de communier avec l’assistance, j’essayais de la diriger vers la réalité, de la détourner de l’illusion. Quand j’entendis ma voix, et je t’assure que c’était la plus triste et la plus lugubre des voix, je compris alors pourquoi même le prêcheur le plus sincère doit s’appuyer sur la rhétorique : une communication brute entre le shaman et le groupe est trop écrasante pour un seul homme. Sans l’art du verbe, l’émotion le déchirerait en deux33. »
23Le prêcheur, le jazzman et bientôt le DJ qui s’adressent à leur communauté de fidèles ou de danseurs improvisent tous trois un discours qui fait naître et joue avec les émotions de leur auditoire34. C’est ici que se situe l’analogie entre jazz, le preaching (un lieu commun des jazz studies) et la techno (un parallèle beaucoup moins relevé cette fois). Les maîtres de cérémonies sont en interaction constante avec l’auditoire et improvisent sur leurs émotions.
24Pour illustrer cet argument, je me référerai à une enquête ethnographique de Morgan Jouvenet auprès des DJ techno35, qui a mis au jour une théorie indigène du rapport entre musique et émotion dans la musique électronique de danse (EDM). Les DJ affirment en effet improviser leur set à partir d’une banque de données musicales (les disques), en fonction des circonstances de la soirée. Ces circonstances sont l’heure et le jour de la semaine, l’ordre de passage des DJ, le lieu (club, hangar désaffecté…), le type de soirée, etc. :
« Un disque en appelle un autre, rien n’est choisi à l’avance, et le scénario musical et émotionnel est improvisé : les DJ affirment haut et fort qu’ils ne préparent jamais leurs sets, soulignant au contraire l’importance des interactions avec les auditeurs-danseurs. Le travail “en situation” se nourrit du dialogue avec le public, et le savoir-faire du DJ s’évalue à travers sa capacité à le provoquer et à lui répondre (“Faut essayer de les suivre, et observer ce qu’ils aiment ou pas…”, explique V.). Il n’est donc pas surprenant que, dans leurs propos, les DJ insistent sur l’attention auditive (les danseurs satisfaits crient, sifflent…) et visuelle qu’ils portent aux réactions du public : même lorsqu’il est peu visible, le DJ est un musicien qui regarde beaucoup. C’est lui qui regarde les danseurs et non plus l’inverse36. »
25L’exemple de la techno est intéressant car l’œuvre – si œuvre il y a – ne préexiste jamais à sa réalisation live. Il y a un équilibre permanent et précaire entre le message personnel du DJ, son style, sa collection de disques qui forme la matière première de son discours musical, et la communication avec le public. Et son travail sera immédiatement sanctionné, comme dans les sessions de jazz des années 1930, par le public, qui arrêtera de danser si la musique ne crée pas l’émotion attendue. Le mix techno n’est que gestion de l’émotion collective du public. Et les DJ se dotent, dans l’ethnographie de Morgan Jouvenet, d’un vocabulaire technique pour décrire les façons de construire cette émotion. Comme chez Ralph Ellison décrivant un prêche méthodiste, c’est l’image primitiviste du shaman qui est convoquée :
« La référence à ces pratiques ancestrales (comme la comparaison avec les drogues qui leur sont souvent associées) est en général destinée à souligner le caractère mystérieux, immédiat et physiologique (et pour tout dire quasi inexplicable) des effets d’une musique et du surgissement de l’émotion (dont la transe serait le lieu extrême)37. »
26Le collectif en équilibre ainsi construit est extrêmement précaire et menace de s’écrouler en permanence sous les accidents extérieurs matériels (trou dans le plafond, configuration de la salle), sociaux (irruption d’éléments perturbateurs qui détournent de l’immersion totale dans la musique) ou musicaux (erreurs techniques du DJ). C’est là l’art du DJ. Ce collectif recherche la construction d’une communauté émotionnelle utopique et temporaire, qui permet de s’évader du quotidien. La puissance de cette émotion est ce que recherchent les ravers, une certaine authenticité de l’être faisant table rase des déterminismes sociaux, le temps de la free party. En ce sens, drogue et techno convergent dans l’acceptation de la dépossession maîtrisée de soi, le transport, une forme de passion-action.
27Dans le contexte assez proche quoique historiquement antérieur de la musique disco, les mêmes ressorts étaient analysés dès 1979 par Richard Dyer dans un article désormais classique, « In Defense of Disco38 ». La thèse est de sauver la disco d’un point de vue socialiste, critique et gay, un genre considéré comme consumériste, apolitique, et finalement trop mainstream pour intéresser les Cultural studies et la New Left dans l’Angleterre des années 1970. Richard Dyer souligne à quel point ce genre, en entretenant et poussant à son paroxysme par des moyens musicaux spécifiques une émotion collective, contient une dimension critique et offre à la communauté gay une perspective d’évasion d’un quotidien sexiste, hétéro-normé, aliénant. Le romantisme de la disco et ses climax émotionnels assurés par des nappes envahissantes de violons et le nouveau beat « four-on-the-floor » possèdent ainsi une dimension utopique, qui sera renforcée par le tournant underground de la house et de la techno une dizaine d’années plus tard et que Dyer semble presque anticiper dans son article. La communauté des amateurs de musique de danse électronique trouve dans une émotion vécue collectivement les ressorts d’une affirmation subculturelle les isolant, le temps d’une soirée, du courant dominant de la société.
Conclusion
28Au terme de ce parcours synthétique, qui trouve probablement sa limite dans la dimension plurielle de l’objet enquêté, plusieurs conclusions peuvent néanmoins être tirées. Les émotions sont tout d’abord une occasion évidente de distinction entre les corpus musicaux et les classes sociales, à l’époque de la construction du canon culturel moderne au xixe siècle. La hiérarchie entre une culture d’en haut et une culture d’en bas, propre à toute société stratifiée, s’est consolidée et réifiée pendant que les industries culturelles étendaient leur emprise sur un phénomène nouveau apparu entre 1850 et 1930 : la culture de masse. Toutefois, à mesure que l’homologie stricte entre goût et classe populaire perdait en superbe dans la seconde moitié du xxe siècle, l’idée que les musiques populaires ne disposaient pas des moyens formels pour articuler de façon précise, subtile et puissante des émotions est apparue peu à peu comme un leurre idéologique. La théorie adornienne de la régression de l’écoute pouvait bien anticiper le reproche populiste qu’on lui opposerait (les jitterbugs sont pourtant bien « émus »), en déniant aux auditeurs toute compétence esthétique et en concluant donc que « leur extase était sans contenu », l’absence de toute vérification empirique de la vacuité expressive des musiques populaires a fini par poser problème. Au contraire, la dimension enregistrée, cette « ontologie phonographique » qui est à plusieurs égards le propre des musiques populaires, a constitué aux yeux de la philosophie analytique comme de la sociologie pragmatique une assise considérable pour repenser le rapport des musiques populaires aux émotions. Prolongeant ces réflexions, la prise en compte du corps qui pense ou saisit en acte les propriétés esthétiques de l’œuvre a offert un versant anthropologique à cette réflexion sur la puissance des émotions dans les musiques populaires. À tel point que des « communautés émotionnelles » au sein de certaines subcultures ont pu voir le jour, s’appuyant tant sur la danse que sur les propriétés formelles de la nouvelle ontologie phonographique. Elles ont confirmé dans ses pleins droits la valeur expressive de la musique, et l’absurdité d’un partage du sensible qui exclurait une part si importante et fondamentale de notre expérience quotidienne.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple la bibliographie réunie sur le site de l’ANR « Pouvoir des Arts », qui ne contient pas de référence aux cultures populaires contemporaines (http://www.pouvoir-des-arts.fr/bibliographie/, dernière consultation 5 février 2016). On doit en revanche signaler les recherches venues de la sociologie de l’art et notamment celle d’Antoine Hennion et Sophie Maisonneuve autour de la théorie de la médiation, et d’Olivier Roueff qui a dirigé en 2001 le numéro 37 de la revue Terrain sur « Musique et émotion » contenant plusieurs études de cas auxquelles je me référerai dans cet article.
2 Darsel S., De la musique aux émotions. Une exploration philosophique, Rennes, PUR, coll. « Æsthetica », 2010, p. 22-23.
3 Voir Pouivet R., Philosophie du rock, Paris, PUF, 2010.
4 Voir par exemple les analyses de Cook N., Musique, une très brève introduction (1998), trad. N. Gentili, Paris, Allia, 2006, notamment le chapitre ii « Retour à Beethoven ».
5 Le terme de folklore est un néologisme forgé au milieu du xixe siècle dans le contexte des recherches historiques marquées par le nationalisme et le romantisme. On considère généralement qu’il apparaît pour la première fois dans une lettre adressée par William Thoms au journal londonien Athenaeum en 1846. On peut notamment y lire : « Your pages have so often given evidence of the interest which you take in what we in England designate as Popular Antiquities, or Popular Literature… (though by-the-bye it is more a Lore than a Literature, and would be most aptly described by a good Saxon compound, Folk-Lore – The Lore of the People) » (Thoms, « Folk-Lore », Athenaeum, August 22, 1846 [No. 982], p. 862-863).
6 « In Britain, at least, the sentimental song (and hymn) had been an important part of middle-class culture in the early decades of the nineteenth century, but bourgeois ideology disdained the public display of emotion as vulgar. The emotional uplift of classical music was taken to be entirely mental, as concert audiences sat through romantic symphonies in silence, and the parlor-song was, by its nature, formally staid – parlor singers didn’t expect to make their listeners cry » (Frith S., « “And I Guess It Doesn’t Matter Any More” : European Thoughts on American Music », in E. Weisbard [éd.], This is Pop : In Search of the Elusive at Experience Music Project, Cambridge, Harvard University Press, 2004, p. 18. C’est nous qui traduisons).
7 Le problème des musiques populaires est qu’il s’agit d’un corpus vaste mais partageant certaines caractéristiques en propre (voir Tagg Ph., « Analysing Popular Music », Popular Music, n° 2, 1982, p. 37-65), qui a souvent été jugé depuis le point de vue de la culture légitime, sans lui accorder le bénéfice d’une certaine autonomie référentielle, comme l’ethnomusicologie avait su le faire sur ses propres objets « exotiques ». Issues d’une culture domestique, occidentale même si plurielle, les musiques populaires n’ont pas eu la chance, avant le tournant des Cultural Studies, d’être considérées comme des constructions culturelles partiellement autonomes, devant être approchées avec des méthodes ad hoc.
8 Pour une introduction à cet aspect de la pensée de Goodman, voir Darsel S., De la musique aux émotions, op. cit., notamment chapitre iv.
9 On peut renvoyer ici aux travaux de l’historien Levine L., Highbrow, Lowbrow, l’émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis (1987), trad. M. Woolven et O. Vanhée, Paris, La Découverte/ Texte à l’appui, 2010.
10 « Pop music does not function to portray emotions, but rather evokes them in the listener » (Schubert E., « Emotion in Popular music : A Psychological perspective », Volume ! la revue des musiques populaires, « Écoutes », Sklower J. [éd.], 2013, n° 10-1, p. 2. C’est nous qui traduisons).
11 Voir par exemple le tableau 3, ibid., p. 11.
12 Zajonc R., « Attitudinal Effects of Mere Exposure », Journal of Personality and Social Psychology Monographs, vol. 9 (2, Part 2), 1968, p. 1-27.
13 « Chopin for some subcultures is as ‘popular’ as rock and roll or swing » (Schubert E., « Emotion in Pop », art. cité, p. 17. C’est nous qui traduisons).
14 Ce sera précisément l’argument de la régression de l’écoute à l’époque du capitalisme tardif mobilisé par Adorno, voir infra.
15 Adorno T. W., Le caractère fétiche dans la musique et la régression de l’écoute (1938), trad. C. David, Paris, Allia, 2001, p. 31.
16 Ibid., p. 65-66.
17 Samuel C., « Tribune de la musique vivante : Faut-il sauver le rock and roll ? », Les cahiers du jazz, n° 8, 1963, p. 46-56.
18 Ibid., p. 54.
19 Morin E., « Le “yé-yé” », Le Monde, 7-8 juillet 1963. Revenant sur le concert ayant marqué les esprits d’alors, place de la Nation à Paris le 22 juin 1963 – concert réunissant entre 150000 et 200000 personnes au lieu des 20000 attendues – Edgar Morin s’intéresse aux « délires frénétiques » des jeunes sans tomber dans la critique des adultes. Voir également du même auteur, « On ne connaît pas la chanson », Communications, 6, 1965, p. 1-9, et L’esprit du temps, Essai sur la culture de masse, Paris, Grasset, 1962.
20 Ce que fera par exemple Hoggart R. dans The Uses of Litteracy publié la première fois en 1957 (trad. française La culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970).
21 Voir Maigret É. et Macé É. (éd.), Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Paris, Armand Colin/INA, 2005.
22 Voir les travaux de Tagg Ph., notamment Music meanings. A modern musicology for non-musos (Larchmont, USA, Mass Media Music’s scholar press, 2013) ou encore son intervention à large part autobiographique dans une conférence en Lituanie donnée en juin 2014 « Music Theory Terminology as Ideology », disponible sur son site http://tagg.org (date de dernière consultation : 5 février 2016).
23 Denora T., « Quand la musique de fond entre en action », in O. Roueff (éd.), Musique et émotion, Terrain, revue d’ethnologie de l’Europe, n° 37, 2001, p. 75-88.
24 Hennion A., Maisonneuve S. et Gomart É, Figures de l’amateur, formes et pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, Paris, La Documentation française, 2000, et plus récemment Hennion A., « Réflexivités. L’activité de l’amateur », Réseaux, n° 153, 2009/1, p. 55-78.
25 Le rock est selon Pouivet la forme musicale qui rend le plus justice à la nouvelle ontologie phonographique de la musique parce qu’il est pleinement tributaire, dans ses qualités formelles, de l’utilisation du studio d’enregistrement. Reconduisant un constat posé par plusieurs chercheurs en popular music studies depuis le début des années 1980, Pouivet affirme que toute œuvre rock est un événement idéal qui n’a jamais eu lieu (du fait des multiples interventions phonographiques après enregistrement, le travail du montage qui détruit d’une certaine manière son « aura » au sens adorno-benjaminien). Dans le rock, une œuvre ne peut advenir que sous forme enregistrée (Philosophie du rock, op. cit., chap. 1).
26 Ibid., p. 214.
27 Denora T., « Quand la musique de fond entre en action », art. cité, p. 81.
28 Walter Benjamin avait forgé l’aphorisme suivant : « Paris est la grande salle de bibliothèque que traverse la Seine », in Sens unique, trad. J. Lacoste, Paris, 10/18, 2007, p. 286.
29 Frith S., Performing Rites. Evaluating Popular Music, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 266. Cité et traduit in Denora T., art. cité.
30 Béthune Chr., Le jazz et l’Occident. Musique afro-américaine et philosophie, Paris, Klincksieck, 2008 (notamment le sixième chapitre). Voir également l’article du même auteur dans ce volume.
31 « For the jazz artist there is some insurance in continuing to play for jazz audiences, for here […] the artist has a vital criticism danced out in the ritual of the dance » (Ellison R., « Some Questions, Some Answers », Shadow and Act [1964], repris in The Collected Essays of Ralph Ellison, New York, Random House, 2003, p. 298. C’est nous qui traduisons). – Ellison a forgé dans cette citation le néologisme « danced out », suggérant par là qu’une proposition mentale est formulée par la danse et comprise de tous, au même titre qu’un énoncé verbal.
32 Les « Jazz dances » des années 1930 pendant la période swing où le jazz n’était jamais l’objet d’une contemplation esthétique mais toujours le support de la danse, sont le principal horizon de référence dans la saisie de la signification profonde du jazz chez Ralph Ellison. Pour une introduction à son anthropologie de la musique, voir mon ouvrage Jazz Power. Anthropologie de la condition noire chez Ralph Ellison, Paris, CNRS Éditions, 2015.
33 « Well, gate, my past hit me like a ton of bricks. I know all the hymns, and the whole order of service and in spite of everything the emotions started striking past my defences. […] There I was in a black robe, sharing a hymnal with the doctor with my throat throbbing and my speech notes rendered worthless because of the atmosphere. […] I could hardly talk, but I tried to level with them ; tried to direct them towards reality and away from illusion. Once I heard my voice and, Jack, it was as sad and gloomy a voice as I’ve ever heard ; and I knew then why even the most sincere preacher must depend upon rhetoric, raw communication between the shaman and the group to which he’s spiritually committed is just too overpowering. Without the art the emotion would split him apart » (Ellison R., Lettre à Albert Murray, 9 avril 1953, in Trading Twelves. The Selected Letters of Ralph Ellison and Albert Murray, New York, Random House, 2000, p. 42-43. C’est nous qui traduisons).
34 Sur ce point, Ellison se fait encore plus clair dans Juneteenth son second et dernier roman, publié de manière posthume : « Un grand leader religieux est un « maître de l’extase ». Il convoque des émotions qui nous entraînent au-delà du rationnel vers le mystique. Un musicien de jazz parvient à un office similaire. En manipulant les sons et les rythmes, il libère des mouvements et des émotions qui permettent la transcendance de la routine quotidienne » (« A great religious leader is a ‘master of ecstasy’. He evokes emotions that move beyond the rational onto the mystical. A jazz musician does something of the same. By his manipulation of sound and rhythm he releases movements and emotions which allow for the transcendence of everyday reality » [Juneteenth. A Novel, John Callahan (éd.), New York, Random House, 1999, p. 354. C’est nous qui traduisons]).
35 Jouvenet M., « Emportés par le mix. Les DJ et le travail de l’émotion », Terrain, revue d’ethnologie de l’Europe, O. Roueff (éd.), « Musique et émotion », n° 37, 2001, p. 45-60.
36 Ibid., p. 46.
37 Ibid., p. 50.
38 Dyer R., « In Defense of Disco », Gay Left, Issue 8, 1979. Il a été publié dans plusieurs anthologies depuis lors, comme celle de Frith et Goodwin, On Records : Rock, Pop and the Written Word, New York, Pantheon, 1990, ou plus récemment celle de Butler Mark J. (éd.), Electronica, dance and club music, Farnham, Ashgate, 2012.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Comprendre la mise en abyme
Arts et médias au second degré
Tonia Raus et Gian Maria Tore (dir.)
2019
Penser la laideur dans l’art italien de la Renaissance
De la dysharmonie à la belle laideur
Olivier Chiquet
2022
Un art documentaire
Enjeux esthétiques, politiques et éthiques
Aline Caillet et Frédéric Pouillaude (dir.)
2017