Plaidoyers pour une esthétique du sentiment musical dans l’Allemagne des années 1850
p. 115-128
Texte intégral
1 En 1857, le psychologue allemand Moritz Lazarus publie un essai intitulé La Vie de l’âme, dans lequel il prétend que « la théorie des sentiments ne sera jamais en mesure d’établir un principe permettant de reconnaître la nature esthétique d’une musique ni de déterminer sa valeur1 ». Et pourtant, la notion de sentiment est une préoccupation majeure des musicographes allemands depuis, au moins, le début du xixe siècle. La plupart d’entre eux part du principe d’une affinité quasiment naturelle entre l’art des sons et l’expression des sentiments. Le pianiste et musicographe Adolph Kullak reprend par exemple dans un essai de 1858 intitulé Le Beau musical2 la distinction, chère à Richard Wagner, entre un entendement qui se manifesterait exclusivement dans le langage des mots et le sentiment qui trouverait son moyen d’expression privilégié dans les sons musicaux. Kullak argumente en soulignant que la musique est produite par des oscillations de l’air tandis que les sentiments ne seraient rien d’autre que des oscillations de l’esprit, ce qui permet à la première de « restituer un reflet fidèle du processus dynamique dans la vie des sentiments3 ». Il y a pour lui, sinon une identité, du moins une analogie flagrante entre les vibrations de l’air engendrées par la musique et les mouvements de l’âme dont émanent les sentiments, ce qui permet à la musique d’épouser de manière naturelle la dynamique de la vie des sentiments. Cette vision du rapport entre musique et sentiment est alors assez répandue, elle est évoquée en des termes similaires par Adolf Bernhard Marx4 ainsi que par Franz Brendel, qui va plus loin encore que Kullak et soutient que les sentiments ne sont pas extérieurs aux sons et que les combinaisons sonores sont « immédiatement en soi5 » le sentiment.
2Cette conception des sentiments, développée par des intellectuels proches de la mouvance romantique et partagée par les représentants de la Neudeutsche Schule aboutit in fine à une véritable absolutisation du sentiment et à une apologie du caractère pathologique de la musique. Ce point de vue ne fait toutefois pas l’unanimité. La période dont il est question ici, le milieu du xixe siècle, est particulièrement riche en débats et en querelles dans lesquels la question des sentiments occupe une place centrale, notamment à cause de la polémique lancée par Eduard Hanslick contre « l’esthétique des sentiments vermoulue » (« die verrottete Gefühlsästhetik6 ») dans son fameux pamphlet de 1854, Du beau musical (Vom Musikalisch-Schönen). Hanslick n’est certes pas le seul à remettre en question la suprématie de l’« esthétique des sentiments » : Johann Friedrich Herbart7 avant lui, Moritz Lazarus, Robert von Zimmermann8 après lui ont su donner un caractère plus philosophique à cette controverse. Mais c’est le pamphlet du critique musical viennois qui a connu le plus grand retentissement : même si son argumentation est moins jusqu’au-boutiste (et moins rigoureuse) que celle des philosophes formalistes, la parution du Beau musical a eu des effets dévastateurs puisque l’auteur semblait non seulement remettre en cause l’un des principes essentiels du romantisme musical, mais donnait en outre l’impression de s’en prendre aux fondements mêmes de l’esthétique telle qu’elle s’était développée en Allemagne depuis le milieu du xviiie siècle. Hanslick entend en effet que tout l’intérêt de l’esthétique se porte sur l’œuvre elle-même, sur ses structures, il veut donc écarter du jugement esthétique tout ce qui procède de la perception par le sujet, ainsi que tout ce qui crée le lien entre l’œuvre et la personnalité de l’auteur. En excluant le sentiment du domaine de l’esthétique, Hanslick prend le contre-pied non seulement de l’art wagnérien, mais également de l’idée, chère à Alexander Gottlieb Baumgarten et à Immanuel Kant, que le sentiment est l’organe du jugement esthétique. Dans sa polémique contre l’esthétique des sentiments, Hanslick rejette également l’idée d’hétéronomie musicale et, avec elle, l’idée que l’art des sons puisse constituer un langage, quand bien même ce dernier ne passerait pas par les mots. À l’inverse, ses adversaires, qui s’obstinent à considérer la musique comme un langage, invoquent le « langage des émotions », et ceux qui parlent du contenu de la musique croient trouver ce contenu dans le sentiment.
3Le pavé jeté dans la mare par Eduard Hanslick suscite de nombreuses réactions, parfois véhémentes. La plus inattendue est celle du philosophe souabe Friedrich Theodor Vischer, qu’Hanslick connaissait bien et auquel il se réfère souvent. Peu après avoir fait parvenir à Vischer un exemplaire dédicacé de son pamphlet, le critique autrichien reçoit une lettre de remerciement circonstanciée dans laquelle le philosophe exprime son désaccord sur plusieurs points, notamment en ce qui concerne la place accordée aux sentiments : « Il y a un point essentiel sur lequel je ne peux pas vous approuver : la musique est et reste pour moi véritablement le sentiment ayant pris une forme artistique9. » Vischer s’était d’ailleurs déjà exprimé sur le sujet, en particulier dans sa Proposition pour un opéra (Vorschlag zu einer Oper10), dans laquelle il expliquait que l’opéra était la seule forme artistique apte à redonner vie au xixe siècle à la Chanson des Nibelungen, précisément parce que seule la musique serait en mesure d’exprimer les grands sentiments qui motivent des héros peu doués pour la parole.
4En 1857, Vischer publie le huitième volume de son œuvre monumentale, L’Esthétique ou la Science du beau (Aesthetik, oder Wissenschaft des Schönen). Ne se sentant pas assez compétent pour traiter convenablement des questions purement musicologiques, il a fait sous-traiter une grande partie de la rédaction du volume, qu’il a confiée à un collègue esthéticien de Tübingen, Karl Reinhold Köstlin. Vischer s’est toutefois réservé la rédaction des paragraphes 746 à 766 (réunis sous le titre : « L’essence de la musique »), consacrés pour une large part aux relations entre l’art des sons et les sentiments : il y a fort à parier que Vischer a conçu au moins partiellement ces chapitres comme une réponse au pamphlet d’Hanslick, paru trois ans auparavant. C’est ce que nous allons nous efforcer de démontrer.
5 Afin de situer l’apport de l’esthétique vischérienne à la réflexion sur la notion de sentiment, il est peut-être utile de rappeler quelques éléments permettant de mieux saisir le sens exact du terme de sentiment (Gefühl) dans l’histoire de la pensée allemande. Contrairement à ce qu’incite à croire un préjugé tenace, la place attribuée au sentiment dans la création et dans la réception artistiques ne marque pas une rupture radicale entre les penseurs de l’Aufklärung et les artistes romantiques. Il serait réducteur, et même erroné, d’opposer frontalement un romantisme qui mettrait l’accent sur la subjectivité de l’artiste et une Aufklärung qui, afin de mieux réaliser l’émancipation de la raison, aurait implacablement banni du domaine de l’art des sentiments nécessairement « obscurs ». Pour l’Aufklärung, le sentiment ne relève pas fatalement de l’irrationnel, mais peut servir de vecteur à une approche rationnelle de la réalité dans le cadre d’une vision du monde accordant une place de plus en plus importante au sujet. Les sentiments ne sont pas nécessairement une puissance incontrôlable et aveugle qu’il s’agirait de neutraliser, ils peuvent également devenir une sorte d’organe de la raison, il peut même y avoir une complémentarité entre les deux modes de rapport au monde que sont la raison et le sentiment.
6Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on entend par sentiment. Il est pertinent de distinguer, comme le fait Kant dans son Anthropologie d’un point de vue pragmatique (1798), différentes sortes d’émotions, parmi lesquels tous ne sont pas compatibles avec un comportement rationnel. Elles sont de trois espèces. Il faut d’abord distinguer, parmi les passions incontrôlées, l’affect (Affekt), qui s’empare du cœur de l’homme de façon instantanée et violente et « qui ne laisse pas intervenir la délibération11 », de la passion (Leidenschaft), qui s’installe dans une temporalité longue et ronge celui qui en est atteint à la manière d’une maladie incurable ou d’un « cours d’eau qui creuse son lit de plus en plus profondément12 » – on se trouve dans ce dernier cas face à un état pathologique, à une véritable « maladie de l’âme13 ». L’affect et la passion, qui relèvent du pathos, excluent a priori le caractère (expression de l’ethos), lequel est désormais la marque distinctive de toute œuvre musicale de haut rang14 : le premier parce qu’il s’oppose à la continuité qui définit le caractère, la seconde parce qu’elle est maladive et relève de l’aliénation. Mais il ne faut pas confondre ces émotions destructrices avec l’authentique sentiment (Gefühl), qui non seulement n’exclut pas la raison, mais peut même être conditionné par cette dernière. C’est à partir de ce type de sentiment, organe essentiel de la perception de l’art, que Kant construit une pensée esthétique qu’on qualifie aujourd’hui d’« esthétique du sentiment pur15 ». Le sentiment du beau, qui est propre à l’homme, est conditionné par la raison, même s’il se manifeste sous forme de jugement sensible. Il y a donc une véritable analogie entre le sentiment esthétique et la raison, et même une spiritualité inhérente au sentiment esthétique.
7Cela explique pourquoi, au cours des décennies qui suivent, c’est incontestablement la notion de sentiment qui sera au premier plan dans tous les discours sur la musique, tandis que celles d’affect ou de passion garderont souvent une connotation négative, y compris chez des compositeurs situés aux antipodes de l’esthétique classique comme Wagner.
8Au cours du xviiie siècle, le terme allemand de Gefühl – qui renvoie initialement au toucher et décrit une expérience sensible et passive – commence à désigner un phénomène réflexif associé à la perception de mouvements intérieurs. Une conception intellectualisée du sentiment va alors progressivement s’imposer. C’est à partir de l’idée d’un sentiment désignant une manifestation de l’activité de l’esprit humain non réductible à des concepts que de nombreux penseurs du xixe siècle, marqués par la philosophie idéaliste, élaborent ensuite leurs discours sur l’art des sons. De manière générale, c’est la distinction entre le sentiment (Gefühl) et la sensation (Empfindung) qui domine les discours théoriques sur la musique. On la trouve définie de manière claire et quasiment définitive sous la plume d’Eduard Hanslick : tandis que le sentiment est compris comme « la prise de conscience d’une stimulation ou d’une inhibition de notre état d’âme16 », le terme de sensation est réservé à la « perception d’une qualité sensorielle déterminée17 ». Notons toutefois que la terminologie employée par les auteurs allemands est parfois hésitante – sinon aléatoire – malgré plusieurs tentatives de clarification. La distinction entre sensation et sentiment est notamment ignorée par Hegel, qui emploie indifféremment les deux termes même s’il est le plus souvent question, dans ses Cours d’esthétique, de sentiment au sens spirituel du terme. Wagner assimile lui aussi les deux termes dans ses « écrits de Zurich », ce qui s’explique par la vision du monde anti-idéaliste qu’il défend alors sous l’influence de Feuerbach et par sa volonté de réhabiliter la composante purement sensible de l’œuvre d’art. Si par ailleurs le terme d’émotion (Emotion) est très rarement employé à l’époque classique et romantique, on trouve en outre parfois celui de Rührung (proche de l’affect), ainsi que – notamment chez Hegel18 – celui de Gemüt, qu’on traduira approximativement par cœur, au sens où l’emploie Pascal dans ses Pensées.
9La valorisation du sentiment va de pair avec la consécration de la subjectivité – c’est d’ailleurs l’une des principales dettes du romantisme allemand envers la philosophie kantienne19. Mais cette mise en avant de la subjectivité et du sentiment individuel pose aux compositeurs et aux théoriciens de la musique une série de problèmes qui sont essentiellement de deux ordres : un problème communicationnel (comment universaliser ce qui émane d’un sujet particulier ?), et un problème ontologique (la musique, qui semble n’exprimer que des sentiments obscurs, indicibles ou indéterminés, est-elle capable de dire quelque chose ?). Ces deux grandes questions sont déjà au centre d’un des textes fondateurs de l’esthétique romantique allemande, les Épanchements d’un moine épris des arts (1797) de Tieck et Wackenroder, et elles vont ensuite parcourir l’ensemble des discours sur la musique du xixe siècle.
10L’émergence de ces problèmes s’explique par la conjonction de plusieurs phénomènes historiques. On évoquera pour commencer la promotion, dans les discours sur la musique (on pense notamment à E. T. A. Hoffmann et à Friedrich Schlegel), d’une musique instrumentale qui tend à s’affirmer en s’émancipant des béquilles du logos et à constituer un discours sonore indépendant du langage des mots. À l’inverse, beaucoup pensent – c’est le cas notamment de Hegel – que seuls les mots peuvent garantir la précision du contenu émotionnel du langage musical et que « c’est justement le texte qui indique le contenu exact20 » du discours musical. L’émancipation de la musique purement instrumentale, considérée par Hegel avec un grand scepticisme, pose non seulement la question de la capacité de la musique à exprimer un contenu émotionnel identifiable, mais également celle de la communicabilité des sentiments par les phénomènes sonores.
11Sous l’impulsion de la théorie goethéenne du génie, le romantisme musical promeut en effet une conception de la création artistique fondée essentiellement sur la notion d’expression individuelle et subjective, pour laquelle chaque œuvre vaut artistiquement par son unicité. « Chaque être humain a sa propre mesure, en quelque sorte un accord de ses sentiments sensibles qui lui est propre21 », disait Herder. La crédibilité esthétique d’une œuvre musicale repose par conséquent sur la capacité du compositeur à donner une forme à la fois adéquate, spécifique et caractéristique à des sentiments qui n’appartiennent qu’à lui, et non sur son aptitude à agencer des topoï aisément reconnaissables. La rhétorique est désormais discréditée et ravalée au rang d’habile assemblage de stéréotypes artificiels, elle est considérée, notamment par Wagner, comme un héritage inactuel de l’art aristocratique. D’où la disparition progressive de la rhétorique des passions héritée de l’esthétique baroque (même si on en trouve des traces plus ou moins visibles chez certains théoriciens comme Hegel22 ou Ferdinand Gotthelf Hand23). En renonçant à une rhétorique musicale qui postulait une universalité du sens et une possible équivalence entre les principes de composition et le sens prêté au discours sonore, on se voit confronté à un problème esthétique majeur : la musique devient en effet l’expression d’une intériorité émotionnelle subjective unique. Cela remet finalement en cause l’existence d’une grammaire musicale universelle ou bien la fait apparaître comme un ensemble de lois mathématiques rigides qui constituent une entrave à l’expression du génie individuel. Des lois mathématiques qui détermineraient le discours musical sont perçues à l’époque du romantisme comme la négativité de la subjectivité, car elles réduisent l’œuvre musicale à des formules conventionnelles et stéréotypées et lui imposent un rationalisme prosaïque et inexpressif. L’idée d’une correspondance entre les mathématiques et le discours musical fait figure de repoussoir aussi bien chez les tenants de l’esthétique des sentiments que chez leurs adversaires, qui craignent de tomber dans un matérialisme dénué d’esprit.
12La conscience de cette contradiction fondamentale entre inspiration subjective et régularité objective sur laquelle repose l’art des sons traverse l’ensemble des discours sur la musique du début et du milieu du xixe siècle. La question est posée notamment par Friedrich Theodor Vischer dans le cadre de sa réflexion sur les rapports entre sentiments et musique :
« Si la musique exprime la plus profonde intériorité du sentiment dans des rapports entre les positions des sons [eux-mêmes] extraits de la série des notes de la gamme et mis en relation les uns par rapport aux autres dans un [système] de consonances et de dissonances, quelle est alors la relation entre le processus intérieur du sentiment et cette technique extérieure24 ? »
13Le corrélat de la réflexion sur le rapport entre universalité de la forme mathématique et particularité émotionnelle du sujet qui s’exprime est le problème de la communicabilité des sentiments et des intentions du compositeur. Le passage d’une esthétique musicale de la représentation et de l’imitation à une esthétique de l’expression dans la seconde moitié du xviiie siècle, notamment à l’époque du Sturm und Drang et de l’Empfindsamkeit, aboutit in fine, à l’époque romantique, au triomphe d’un art de la communication et de la réception. L’accent est alors résolument placé sur le lien entre le sujet (qu’il soit fictif ou réel) qui exprime ses sentiments et le sujet récepteur qu’il s’agit de convaincre : l’œuvre en tant qu’objet esthétique autonome dans lequel s’incarne le beau compte moins que l’objectif poursuivi par l’artiste, qui est d’émouvoir le cœur humain ou de le mettre en contact avec l’absolu. Toute la difficulté réside dans la nécessité d’articuler de manière intelligible un sentiment intérieur – qui est à la foi une manifestation de la vie de l’âme et le point de rencontre entre la finitude du sujet et l’absolu ou le suprasensible – sans pour autant recourir au langage des mots, voué à désigner le monde matériel et prosaïque. On n’est alors pas loin de penser que pour mieux comprendre ce qu’est la musique, il faut commencer par explorer le monde des sentiments. C’est ce qu’a entrepris, dans une approche à la fois philosophique et psychologique, Friedrich Theodor Vischer.
14Même si la réflexion sur le rôle des sentiments dans l’esthétique musicale occupe une place centrale dans les discours de Franz Brendel (plus ou moins explicitement démarqués de ceux de Vischer), ainsi que dans l’œuvre théorique de Wagner (qui repose pour une large part sur une opposition, parfois réductrice, entre le sentiment exprimé par la musique et l’entendement véhiculé par le langage parlé), c’est à l’évidence Friedrich Theodor Vischer qui propose l’analyse spéculative la plus aboutie de ce que les formalistes appellent l’« esthétique des sentiments » (Gefühlsästhetik).
15Vischer est un penseur de la médiation, mais aussi de la transition : ce qui l’intéresse le plus dans la grande architecture post-hégélienne de son esthétique, c’est moins ce qui délimite chacune des formes d’art envisagées que les moments transitoires, ce qui par exemple dans la peinture relève déjà de la musique, mais aussi ce qui permet de jeter des ponts entre les différentes disciplines. La production théorique de Vischer se situe au point de rencontre de l’esthétique et de l’histoire de l’art (c’est le cas de ses essais sur l’histoire de la peinture allemande), mais aussi de l’esthétique et de la psychologie – c’est le cas du cinquième tome de son Esthétique. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre son analyse précise et approfondie du rapport entre le sujet et l’objet tel qu’il s’établit dans le sentiment. Vischer construit sa réflexion en postulant l’existence de trois formes de conscience propres à l’âme humaine. Ces trois modalités de la vie de l’âme sont interdépendantes. Il s’agit du sentiment, de la conscience et de la conscience de soi du sujet. Les deux premiers sont le prolongement et la réalisation de cette dernière. Aussi bien la conscience que le sentiment sont des modes d’activité de l’âme humaine partiellement orientés vers l’objet, ce qui les différencie de la conscience de soi, qui n’a de réalité que formelle et théorique, car elle abolit l’altérité de l’objet dans l’unité du sujet posé comme absolu : « La conscience de soi est […] l’acte absolu de réflexion du je sur lui-même dans lequel l’antithèse avec un objet donné extérieurement ainsi que la synthèse purement extérieure sont rejetées, si bien que le je n’est que son propre objet25. » La conscience et le sentiment sont donc les deux seules activités de l’âme humaine qui permettent au sujet de se percevoir lui-même tout en réalisant sa propre existence ; c’est par eux qu’il peut se déployer en tant que vie réelle et sortir de l’absoluité stérile de la pure conscience de soi.
16La conscience et le sentiment constituent deux modes de rapport au monde distincts et complémentaires : la première est la vie éveillée de l’âme, tandis que le second s’avive pendant que l’âme sommeille, au moment où les contours de la conscience du monde extérieur perdent leur acuité. Le sentiment tel que le comprend Vischer relève des forces profondes et originelles de l’inconscient, il est « une forme de la vie de l’âme incomparablement plus profonde que la conscience26 » éveillée, même s’il est en même temps plus pauvre qu’elle dans son incapacité à émettre des jugements clairs. Le philosophe décrit même le sentiment comme « la matrice obscure dont émerge27 » le monde de la conscience claire. Celle-ci ne parvient toutefois jamais à rompre totalement avec le sentiment, qui l’accompagne à chaque instant de son activité. Le sentiment n’est donc en aucun cas un mouvement de réception passive subi par le sujet comme l’est la sensation : il est plutôt une activité qui émane du sujet et constitue le cœur de la vie de l’esprit, il s’apparente à une forme de travail somnambulique de l’esprit. Vischer affirme d’ailleurs que l’individu est finalement « le créateur de la vie de [ses] sentiments28 ».
17Si le sujet est l’auteur de ses propres sentiments, ces derniers ne sont pas une création ex nihilo ; ils ne peuvent naître sans la médiation d’un objet extérieur, d’un moment d’altérité qui est en même temps la négation de l’absoluité du sujet. Le philosophe distingue la conscience du sentiment en les définissant comme deux modalités différentes et complémentaires du rapport entre le sujet et l’objet. Dans le premier cas, le sujet et l’objet se font clairement face et s’opposent, l’affirmation du je propre à la conscience de soi se réalise en affrontant sa propre négation au cours d’une confrontation entre sujet et objet. L’instrument le plus approprié à la conscience est le langage des mots, car le mot « détermine l’objet dans son rapport au sujet, il pose des prédicats, il départage29 ». Dans le second cas, celui du sentiment, le rapport entre le sujet et l’objet n’est pas aussi nettement conflictuel, dans la mesure où l’objet tend à s’estomper sans toutefois s’effacer totalement – c’est d’ailleurs une idée que Hegel avait déjà esquissée dans ses commentaires sur la musique30. Dans le sentiment, le sujet et l’objet ne s’opposent pas comme ils le font dans l’état de conscience claire : on assiste plutôt à un mouvement d’appropriation et d’absorption de l’objet extérieur par l’intériorité du sujet31. Si l’objet ne disparaît pas totalement dans le sentiment, il n’est souvent rien de plus qu’une trace, un souvenir, et c’est le sujet qui passe résolument au premier plan. Par le sentiment, le monde objectif est transmué en pure intériorité et donc en idéalité, il devient un moment de la vie intérieure du sujet et perd son caractère d’objectité. Lorsque le sentiment, qui est vibration de l’âme et donc expression immédiate de la vie intérieure du sujet, s’approprie l’objet, il le métamorphose en pur mouvement temporel, il en fait une intériorité pour ainsi dire dématérialisée :
« Le sentiment […] est le moment où l’objet est tout simplement intériorisé, où il devient mien, où il se transforme en mon propre mouvement intérieur ; son essence réside dans la sympathie absolue pour les choses, ou plutôt dans la transposition absolue des choses dans le soi, la pure fusion des deux en une unité qui est le je en mouvement, “le mouvement par lequel le monde est absorbé par le cœur”. On gagne en absolue profondeur ce qu’on perd en clarté objective ; le monde entier entre dans l’intériorité et devient ce point qui oscille, simple et idéal32. »
18Lorsqu’il parle du sentiment et de son rapport à l’objet, Vischer se souvient à l’évidence des Cours d’esthétique de Hegel, puisque ce dernier plaçait l’intériorité sous le signe de la temporalité et affirmait que le temps est la forme fondamentale de l’existence du sujet. Vischer reprend littéralement à son compte cette affirmation de Hegel : « Le moi est dans le temps et le temps est l’être du sujet lui-même33. » On ne s’étonnera donc pas que ces longues pages dans lesquelles Vischer développe la réflexion sur l’essence du sentiment servent de prélude aux chapitres dévolus à la musique dans son Esthétique. Les qualités que le philosophe prête aux sentiments sont identiques à celles qu’il croit trouver dans la musique. Une fois encore, il cite Hegel : « Puisque le temps du son est en même temps celui du sujet, le son pénètre dans le moi déjà pour cette simple raison34. »
19Vischer pense par ailleurs que le sentiment et la conscience, qu’on ne parvient jamais à isoler complètement l’un de l’autre, sont deux modalités du rapport du sujet au monde qui font intervenir deux types de perception différents. La vue est le sens qui permet à la conscience d’entrer en action, tandis que l’ouïe, qui est « le véritable sens de l’intimité35 », est étroitement associée au sentiment. Par conséquent, la conscience et le sentiment vont établir chacun un lien privilégié avec une forme d’art particulière. Cela explique également pourquoi le langage des mots, instrument de la conscience claire, est plus à l’aise pour décrire les phénomènes spatiaux que les phénomènes inscrits dans la temporalité et pourquoi il est si difficile de parler de la musique.
20Parce que leurs natures ont ceci en commun d’être inscrites dans la temporalité et le mouvement, il existe une analogie très forte – et souvent remarquée – entre la musique, faite des vibrations de l’air, et les sentiments, considérés par Vischer comme des vibrations de la vie de l’âme, ce qui explique l’effet produit par la musique sur la psychologie de l’auditeur. Exactement de la même manière que le sentiment, la musique transforme la matérialité des corps en pures vibrations, elle métamorphose la résistance physique de l’espace en temporalité fluide et tend ainsi – au moins symboliquement – à transmuer la matière en esprit. Cette analogie entre le sentiment et la musique, qui est « le seul langage des sentiments36 » vaut également pour le rapport à l’objet. La musique suggère le rapport à un objet extérieur qu’elle ne montre jamais clairement et qui ne peut être identifié avec précision que si l’on fait intervenir le langage des mots :
« à l’opéra, on nous montre toutes sortes de désirs, de détestations, de volontés, d’actions, mais la musique en soi, sans texte et sans théâtre, n’exprime que ce que ressentent les personnages en eux, la joie et la douleur et la palette infinie des sentiments mêlés. La réaction de déplaisir à l’irruption de l’objet extérieur n’est pas encore de la conscience, elle n’est qu’un sentiment, une vague et obscure antithèse37 ».
21Le sentiment s’exprimant dans la musique décrit constamment un mouvement en direction de l’objet sans jamais aller jusqu’à lui, ce dernier est à la fois absent et proche, il s’efface sans être pour autant oublié : le sentiment « laisse tomber le fil qui conduit au monde extérieur mais conserve l’extrémité du fil située de son côté, l’effet38 ». C’est naturellement dans la musique, incapable de désigner ou de représenter avec précision le monde des réalités matérielles, mais tellement semblable au sentiment dans sa nature temporelle, que cette idéalisation par le sentiment de l’objet extérieur se manifeste avec l’évidence la plus grande.
22L’analyse du sentiment par Vischer met résolument en avant la notion de seuil, omniprésente dans son esthétique, et qui permet de penser les rapports entre les arts de manière à la fois dynamique et complémentaire sans envisager pour autant l’idée d’une fusion des arts, que l’auteur semble récuser. Le dynamisme du sentiment se manifeste dans un mouvement de tension vers un élément d’altérité objective qu’il ne peut toutefois atteindre sans se dénaturer : un sentiment rapporté à un objet déterminé n’est plus un sentiment pur, mais un sentiment auquel se mêle la conscience. De la même manière, la musique est parcourue d’un mouvement de tension vers l’objet, vers un contenu déterminé qu’elle ne peut atteindre sans s’aliéner, sans recourir au langage, elle reste donc « au seuil du langage véritable, mais ne le franchit pas39 ».
23L’analogie entre la musique et le sentiment permet finalement au philosophe de trancher la question du contenu de l’œuvre musicale et d’apporter une réponse à la polémique d’Eduard Hanslick, qui prétend que « les sentiments ne sont pas le contenu de la musique » et que « les formes sonores en mouvement sont l’unique contenu et objet de la musique40 ». Si, selon Vischer, la musique a bien pour contenu le sentiment, avec lequel elle fait corps et dont elle est l’expression esthétique, elle n’a pas véritablement de sujet concret (Stoff). La musique en tant que langage est donc profondément ambivalente : elle est à la fois capable de dire l’infini et le sacré (que le sujet ne peut percevoir que sous forme de sentiment), elle peut dire ce que les mots, émanation de la conscience, ne peuvent exprimer. Mais elle est une forme de langage pour le moins paradoxale, puisqu’elle est incapable d’articuler la moindre idée claire :
« La musique est à tel point une pure idéalité qu’elle n’est pas une vraie idéalité. Le monde entier lui appartient sous forme d’obscure intuition, mais elle ne possède rien en tant que réalité claire. Elle est l’art le plus riche : elle exprime ce qu’il y a de plus intime, elle dit l’indicible, et elle est l’art le plus pauvre, car elle ne dit rien41. »
24Toute la réflexion sur la place des sentiments dans la musique implique nécessairement une réflexion sur le rapport de la musique au langage – et c’est finalement autour de ces deux questions que tourne l’essentiel des discours sur la musique dans l’Allemagne du milieu du xixe siècle. Selon Vischer, il n’y a en effet de précision du sentiment exprimé par la musique que si l’on fait intervenir le concept. La musique « pure » reste au seuil de cette clarté de la signification à laquelle elle aspire et ne peut l’atteindre sans l’aide d’un élément linguistique hétéronome : on pense ici inévitablement aux théories développées par Wagner au début des années 1850, notamment à ses remarques sur la musique de Beethoven dont on aurait l’impression qu’elle cherche sans cesse à nous dire quelque chose sans pouvoir le formuler distinctement42, et on ne manquera pas de s’étonner que la rencontre, assez tendue, entre Vischer et Wagner, relatée par Hanslick dans ses mémoires43, soit restée inféconde.
25Quoi qu’il en soit, les réflexions de Vischer sur le sentiment dans la musique ont eu un écho important dans l’Allemagne du xixe siècle, parfois au prix de malentendus : on est en effet surpris de découvrir que Hanslick invoque Vischer justement pour nier l’importance du sentiment dans l’esthétique44. Franz Brendel, chef de file de la Neudeutsche Schule et rédacteur en chef de la Neue Zeitschrift für Musik, s’appuie lui aussi sur l’argumentation de Vischer pour réfuter les positions de Hanslick dans un essai consacré à Franz Liszt : « l’impression même que l’œuvre d’art produit sur le sentiment devra toujours rester notre point de départ. Vischer, notre grand esthéticien, s’est récemment exprimé en ce sens45 ».
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26Si les thèses de Hanslick ont, par leur nouveauté, durablement marqué l’histoire de l’esthétique musicale, il est nécessaire de rendre justice également à ceux qui ont tenté, à l’opposé, de légitimer de manière argumentée cette esthétique des sentiments qu’on avait trop souvent tendance à considérer comme une évidence. Lier la musique au sentiment, c’est lui assurer un sens en tant qu’émanation de l’esprit – le sentiment étant la manifestation la plus immédiate de la vie spirituelle de l’individu. C’est surtout une façon pour les héritiers du romantisme ou de l’idéalisme allemand de repousser le matérialisme dont on soupçonne les formalistes – allant jusqu’à les présenter comme des « négateur[s] de l’esprit46 » aux intentions méphistophéliques.
Notes de bas de page
1 Lazarus Moritz, Das Leben der Seele, Berlin, Verlag von Heinrich Schindler, 1857, p. 323 : « Die Gefühlstheorie wird nie und nimmer imstande sein, ein wissenschaftliches Prinzip aufzustellen, wonach die ästhetische Natur einer Musik erkannt und ihr Wert gemessen werden kann. »
2 L’essai de Kullak (Le beau musical/Das Musikalisch-Schöne. Ein Beitrag zur Aesthetik der Tonkunst) était initialement conçu comme une réponse au pamphlet d’Eduard Hanslick dont il contrefait le titre (Du beau musical/Vom Musikalisch-Schönen).
3 Kullak Adolph, Das Musikalisch-Schöne. Ein Beitrag zur Aesthetik der Tonkunst, Leipzig, Verlag von Heinrich Matthes, 1858, p. 69 : « [Der Ton] vermag ein treues Spiegelbild des dynamischen Vorganges im Gefühlsleben wiederzugeben. »
4 Marx Adolf Bernhard, Das Ideal und die Gegenwart, Jena, Hermann Costenoble, 1867, p. 230.
5 Brendel Franz, « Vom Musikalisch-Schönen, Recension », Neue Zeitschrift für Musik, 1855/I, Nr. 8, p. 82 : « Diese Toncombinationen [sind] unmittelbar an sich selbst […] dieses Gefühl. »
6 Hanslick Eduard, Vom Musikalisch-Schönen, ein Beitrag zur Revision der Ästhetik der Tonkunst, éd. Dietmar Strauß (t. I : Historisch-kritische Ausgabe), Mainz, B. Schott’s Söhne, 1990, p. 9 (= préface à l’édition de 1854).
7 Voir notamment Herbart Johann Friedrich, Kurze Encyklopädie der Philosophie aus praktischen Gesichtspuncten entworfen (1831), in Sämmtliche Werke, éd. G. Hartenstein, Leipzig, Verlag von Leopold Voss, 1850, t. 2.
8 Zimmermann Robert von, Aesthetik, Zweiter, systematischer Teil : Allgemeine Aesthetik als Formwissenschaft, Vienne, Wilhelm Braumüller, 1865.
9 Vischer Friedrich Theodor, lettre à Eduard Hanslick du 11 novembre 1854, citée d’après Hanslick E., Begegnungen mit Friedrich Theodor Vischer, in Hanslick E., Aus meinem Leben, éd. Peter Wapnewski, Kassel, Bärenreiter, 1987, p. 434 : « Ich kann zwar in etwas Wesentlichem nicht mit Ihnen übereinstimmen, die Musik ist und bleibt mir recht eigentlich das zur Kunstform gewordene Gefühl. »
10 Voir Vischer F. Th., Vorschlag zu einer Oper [1844], in Kritische Gänge, Bd. 2, Leipzig, Verlag der Weißen Bücher, 1914.
11 Kant Immanuel, Anthropologie in pragmatischer Hinsicht, zweyte, verbesserte Auflage, Königsberg, Friedrich Nicolovius, 1800, p. 203 : « welches im Subject die Ueberlegung […] nicht aufkommen läßt ».
12 Ibid., p. 204 : « die Leidenschaft [wirkt] wie ein Strom, der sich in seinem Bette immer tiefer eingräbt ».
13 Ibid., p. 203 : « Krankheit des Gemüths ».
14 Voir notamment KÖrner Christian Gottfried, « Ueber die Charakterdarstellung in der Musik », Allgemeine Musikalische Zeitung, 1873, Nr. 39, p. 613.
15 Voir Recki Birgit, « Wie fühlt man sich als vernünftiges Wesen ? Immanuel Kant über ästhetische und moralische Gefühle », in Klaus Herding et Bernhard Stumpfhaus (dir.), Pathos, Affekt, Gefühl. Die Emotionen in den Künsten, Berlin/New York, De Gruyter, 2004, p. 278 : « Die treffendste Beschreibung liegt nach meiner Auffassung in der Einsicht, dass sie eine Ästhetik des reinen Gefühls ist » (« La description la plus adéquate consiste selon moi à dire qu’il s’agit d’une esthétique du sentiment pur »).
16 Hanslick E., Vom Musikalisch-Schönen, op. cit., p. 27 : « Gefühl [ist] das Bewußtwerden einer Förderung oder Hemmung unsres Seelenzustandes. »
17 Ibid. : « Empfindung ist das Wahrnehmen einer bestimmten Sinnesqualität. »
18 Voir Hegel G. W. F., Vorlesungen über die Ästhetik, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1970, t. III, p. 135 : « sie ist die Kunst des Gemüts, welche sich unmittelbar an das Gemüt selber wendet » (« [La musique] est l’art du coeur qui s’adresse immédiatement au cœur lui-même »).
19 Voir à ce sujet Frank Manfred, Einführung in die frühromantische Ästhetik. Vorlesungen, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989, p. 41 sq.
20 Hegel G. W. F., Vorlesungen über die Ästhetik, op. cit., t. III, p. 200 : « Das Nähere des Inhalts ist nun eben das, was der Text angibt. »
21 Herder Johann Gottfried, Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit, éd. Heinz Stolpe, Berlin/Weimar, Aufbau Verlag, 1965, t. I, p. 283 : « Jeder Mensch hat ein eignes Maß, gleichsam eine eigne Stimmung aller sinnlichen Gefühle zueinander. »
22 Voir Hegel G. W. F., Vorlesungen über die Ästhetik, op. cit., t. III, p. 180.
23 Voir Hand Ferdinand Gotthelf, Aesthetik der Tonkunst [1837/1841], Leipzig, Verlag von Eduard Eisenach, 1847, t. I, p. 88.
24 Vischer F. Th., Aesthetik, oder Wissenschaft des Schönen, 6 t., reprint de la deuxième édition, éd. Robert Vischer (Münich, 1923), Hildesheim, Georg Olms Verlag, 1975, t. V, p. 38, § 755 : « Wenn nun die Musik das Innerste des Fühlens in den Verhältnisstellungen der Töne ausdrückt, wie sie aus der Reihe der Leiter heraus in eine Welt von Konsonanzen und Dissonanzen zueinander treten, welcher Zusammenhang besteht zwischen dem inneren Prozesse des Gefühls und dieser äußeren Technik ? »
25 Ibid., t. V, p. 8, § 748 : « Das Selbstbewußtsein dagegen ist der absolute Akt der Reflexion des Ich auf sich selbst, in welchem die Antithese gegen ein von außen gegebenes Objekt nebst der bloß äußerlichen Synthese abgeworfen und so das Ich nur sein eigenes Objekt ist. »
26 Ibid., t. V, p. 7, § 748 : « Es ist aber eine ungleich tiefere Form des Seelenlebens als das Bewußtsein. »
27 Ibid., t. V, p. 16, § 749 : « die Bestimmung, daß das Gefühl der dunkle Schoß sei, woraus sie auftaucht ».
28 Ibid., t. V, p. 21, § 750 : « Schließlich bin ich selbst der Schöpfer meines Gefühlslebens. »
29 Ibid., t. V, p. 9, § 748 : « Es [das Wort] bestimmt das Objekt und dessen Verhältnis zum Subjekt, es prädiziert, es urteilt. »
30 Voir Hegel G. W. F., Vorlesungen über die Ästhetik, op. cit., t. III, p. 153.
31 Là encore, Vischer s’inspire de Hegel tout en donnant une tournure nettement plus psychologique à son argumentation. On lit par exemple chez ce dernier : « Dans le sentiment, cette différence [entre le sujet et l’objet] est effacée. Le contenu est inextricablement lié à l’intériorité en tant que telle » (Hegel G. W. F., Vorlesungen über die Ästhetik, op. cit., t. III, p. 15 : « in der Empfindung aber ist dieser Unterschied ausgelöscht […], der Inhalt trennungslos mit dem Innern als solchem verwoben »).
32 Vischer F. Th., Aesthetik, oder Wissenschaft des Schönen, op. cit., t. V, p. 11-12, § 748 : « Das Gefühl dagegen ist der Moment, wo der Gegenstand schlechthin verinnerlicht, zu dem Meinigen, zu meiner eigenen, innersten Bewegung wird ; sein Wesen ist die absolute Teilnahme an den Dingen, oder vielmehr das absolute Umsetzen der Dinge in das Selbst, dies reine Zusammenschießen beider in Eines, das ein bewegtes Ich ist, das„ Zurückschlingen der Welt in das Herz“. Was an objektiver Klarheit verloren ist, ist an absoluter Innigkeit gewonnen ; die ganze Welt geht ein in das Innere, wird dieser einfache, ideale, oszillierende Punkt. »
33 Ibid., t. V, p. 60-61, § 763 (cf. Hegel G. W. F., Vorlesungen über die Ästhetik, op. cit., t. III, p. 156) : « Ich ist in der Zeit, und die Zeit ist das Sein des Subjekts selber. »
34 Ibid., t. V, p. 61, § 763 (cf. Hegel G. W. F., Vorlesungen über die Ästhetik, op. cit., t. III, p. 156-157) « Da […] die Zeit des Tons zugleich die des Subjekts ist, so dringt der Ton schon dieser Grundlage nach in das Selbst ein. »
35 Vischer F. Th., Das Schöne und die Kunst. Zur Einführung in die Aesthetik, dritte Auflage, Stuttgart und Berlin, J. G. Cotta’schen Buchhandlung Nachfolger, 1907, p. 293 : « [Das Gehör] ist ja der eigentlichste Sinn der Intimität. »
36 Vischer F. Th., Aesthetik, oder Wissenschaft des Schönen, op. cit., t. V, p. 27, § 751.
37 Ibid. : « in der Oper wird vielfaches Begehren, Verabscheuung, Wollen und Handeln vergegen-wärtigt, aber die Musik an sich, ohne Text und ohne Schauspiel, drückt nur aus, daß es den Personen in ihrem Innern so und so, freudig oder schmerzlich in unendlichen Mischungen dieser Gegensätze, zu Mute ist. Der Gegenstoß gegen den Stoß des Objects in der Unlust ist noch kein Bewußtsein, sondern selbst noch Gefühl, dunkle Antithese ».
38 Ibid., t. V, p. 26, § 751 : « es läßt den Faden, der in die Außenwelt führt, fallen, aber es behält das diesseitige Ende des Fadens, die Wirkung ».
39 Ibid., t. V, p. 46, § 759 : « die Musik steht an der Schwelle des eigentlichen Sprechens, sie überschreitet sie nicht ».
40 Hanslick E., Vom Musikalisch-Schönen, op cit., p. 19 et 75 : « Die Gefühle sind nicht Inhalt der Musik »/ « Tönend bewegte Formen sind einzig und allein Inhalt und Gegenstand der Musik. »
41 Vischer F. Th., Aesthetik, oder Wissenschaft des Schönen, op. cit., t. V, p. 64, § 764 : « Die Musik ist also vor lauter reiner Idealität ebensosehr nicht wahre Idealität. Geahnt und dunkel vorschwebend hat sie die ganze Welt, in klarer Wirklichkeit hat sie nichts. Sie ist die reichste Kunst : sie spricht das Innigste aus, sagt das Unsagbare, und sie ist die ärmste Kunst, sagt nichts. »
42 Voir Wagner R., Oper und Drama, in Sämtliche Schriften und Dichtungen, Leipzig, Breitkopf & Härtel/C.F.W. Siegel, 1914, t. III, p. 381.
43 Voir Hanslick E., Begegnungen mit Friedrich Theodor Vischer (1887), in Hanslick E., Aus meinem Leben, éd. Peter Wapnewski, Kassel, Bärenreiter, 1987, p. 443.
44 Voir Hanslick E., Vom Musikalisch-Schönen, op. cit., p. 28 : « Das Organ, womit das Schöne aufgenommen wird, ist nicht das Gefühl, sondern die Phantasie, als die Thätigkeit des reinen Schauens (Vischer’s Aesth. § 384). » (« L’organe par lequel le beau est perçu n’est pas le sentiment, mais l’imagination, qui est l’activité de la pure contemplation. ») Le paragraphe évoqué par Hanslick se trouve dans le deuxième tome (paru en 1847) de l’Esthétique de Vischer. En réalité, ce passage consacré à l’imagination (Phantasie) ne dit absolument rien sur le sentiment.
45 Brendel F., « Franz Liszt in Leipzig », op. cit., p. 101 : « der Eindruck selbst aber, den ein Kunstwerk auf das Gefühl macht, wird der stete Ausgangspunct bleiben müssen. In diesem Sinne hat sich neuerdings wieder unser größter Aesthetiker Vischer ausgesprochen ».
46 Brendel F., « Vom Musikalisch-Schönen, Recension », op. cit., p. 81 (à propos d’Eduard Hanslick) : « ein Läugner des Geistes ».
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