Reprendre un conte
p. 35-45
Résumé
Reprendre un conte à son propre compte, se l’approprier, c’est réemployer l’histoire, certains de ses énoncés, sa morale ou les opinions que la tradition et le folklore ont maintenus vivants par-delà les temps et les conteurs. Il s’agit aussi pour le conteur d’actualiser dans l’ici et maintenant une structure ancestrale, dont les motifs appartiennent à la mémoire collective. D’abord auditeur ou lecteur, le conteur restitue son écoute, sa perception toute personnelle du récit. Dans son acte d’interprétation, le conteur réalise alors un certain nombre d’opérations qui réaménagent le conte, tout en obéissant à des maximes d’énonciation. La reprise d’un conte se situerait donc entre restitution d’une trame et personnalisation des éléments qui l’étoffent, par le conteur pour son public.
Texte intégral
1En raison de sa nature orale première et de son caractère narratif1, le conte peut s’actualiser selon différentes modalités. Il passe de bouche en bouche et se trouve ainsi perpétué, chaque narrateur lui faisant subir une personnalisation plus ou moins volontaire et plus ou moins marquée. Il varie aussi avec les différents supports qui lui servent de véhicule. Aujourd’hui, on peut l’entendre lu ou raconté, on peut le voir en film, etc. À partir d’une observation participante2, on voudrait comprendre les mécanismes pragmatiques de reprise d’un conte, ses conditions de réception présentes étant bien souvent conditions de sa restitution future. C’est donc d’abord la chaîne humaine, de conteur à récepteurs devenant à leur tour conteurs que nous souhaitons envisager, pour ensuite nous atteler à l’étude des mécanismes de transformation et d’appropriation du conte, ainsi qu’à leurs limites.
Le conteur : un passeur
2Au commencement du conte, il est classique de rencontrer une formule d’ouverture popularisée par Charles Perrault : « Il était une fois », mais aussi ses avatars, « Il y avait une fois », « Il était une fois et une fois suffit bien3 », etc. Ces formulettes jouent d’une dissymétrie entre l’unicité de l’événement fictif narré (en raison du déterminant) et la récurrence de son énonciation. Une même histoire peut être racontée un nombre de fois indéfini et ses variations le sont tout autant4. Dans son acte de parole réitéré au cours de ses nombreuses racontées, le conteur redit plusieurs fois la même histoire, tout comme de nombreux conteurs reprennent la même histoire. Redites et reprises viennent accroître la démultiplication du conte. On peut ainsi considérer certains contes comme des standards, des tubes à proprement parler, car ils portent une voix à travers le canal d’une même structure et il est donné au public de l’entendre plusieurs fois. Dans cette perspective, le conte fonctionne comme un relais qui passe d’individu en individu et de génération en génération.
3Parmi les très nombreuses formulettes d’ouverture ou de clôture des contes, certaines mettent l’accent sur la transmission orale des contes. « Une vieille m’a raconté5 », « Mon grand-père me raconte souvent » ; à l’orée du conte, elles permettent de faire le lien entre le monde réel et un monde d’antan fait de tradition, de sagesse et de merveille ; elles soulignent une dimension de transmission et de médiation6, tout en marquant (à travers les déclinaisons du pronom personnel) l’appropriation d’un « je » qui s’adresse à un « tu/vous »7. Certaines formules de clôture incitent à la dissémination du conte : « Je vous ai raconté mon histoire, à vous de la raconter », « Et là-dessus mon conte prend fin. À vous l’histoire, à moi une chopine de vin8 ». Le conteur se situerait donc à mi-chemin entre héritier et testateur, sans jouir de la même autorité que celle légitimée par la littérature écrite. L’évolution d’un conte se fait en effet par maturation dans une même bouche, mais aussi dans des bouches successives9. Le principe de la transmission du conte rencontre ici la polyphonie et le dialogisme tels que Bakhtine les a décrits10. Le conte comprend une somme d’énonciateurs.
« Le conte oral ignore ses auteurs. Comme les cathédrales, il est né d’une multitude de pères inconnus. Au fil des âges, chaque conteur a utilisé la trame traditionnelle en y brodant au gré de son talent. Tout en se servant des formules et images créées par ses devanciers anonymes, il ajoutait ses propres trouvailles, des allusions à son actualité, des clichés à la mode, des plaisanteries du jour. Et en transmettant son œuvre à ses descendants, il les laissait libres de jouer d’un texte dont la qualité première était sa maniabilité11. »
4Le conte populaire se fait ainsi œuvre véritablement collective, susceptible de mutations – sur le modèle du mythe12 dont il n’existe pas un original mais seulement des versions similaires à travers le monde13. Il conserve par là une structure durable tout en se pliant aux spécificités de goûts locaux. Contrairement au dispositif de littérature écrite, on ne maîtrise pas la chaîne de transmission d’auteur à récepteur, puisqu’il n’y a pas un auteur authentifié et identifié.
« Le conte peut donc être saisi seulement au moment de la transmission et jamais à celui de la création. On n’en connaît pas l’auteur, on n’en connaît que les transmetteurs, éventuellement remanieurs à leur insu puisque la mémoire, parfois défaillante, est suppléée par l’invention14. »
5Laissant de côté le cas d’un auteur individuel inventant des contes, d’un écrivain de nouvelles qui choisirait de les intituler « Contes… », le conteur, qu’il le revendique ou non, hérite d’une tradition, parfois présentée comme longue. Souvent, pour inaugurer son conte, il explique, vrai ou faux, d’où il tient son histoire, quand et comment il l’a reçue, lui, simple maillon d’un récit qu’il ne peut garder pour lui. L’héritier teste et transmet. Le conteur se fait pivot, relais qui reprend et redonne, autorisant un remaniement.
« Mais avant d’être bon conteur, il faut être bon auditeur. Raconter des histoires est en effet toujours l’art de les re-raconter, et cet art se perd quand les histoires ne sont plus conservées. Il se perd parce qu’on ne tisse plus et qu’on ne file plus en les écoutant. Plus l’auditeur est dans un état d’oubli de soi, plus ce qu’il écoute s’imprime profondément en lui. Quand il est pris par le rythme du travail, il écoute alors les histoires d’une façon telle que le don de les raconter lui échoit naturellement15. »
6À l’instar de ceux dont il tient initialement son histoire, le conteur dit aussi parfois pour être repris16. Pour que l’histoire s’étale. Pour que celui qui tisse le fil en écoutant l’histoire devienne aussi tisserand de mots. Dans le conte, il semblerait que mots et fils17 partagent une même considération, celui d’une continuité. Écouter un conte est ainsi une démarche active qui vise à la conservation, par la mémoire, du conte qu’on sait aujourd’hui pourtant pouvoir être assurée par le texte18. À ceci près que le conteur s’éloigne de ce support, ainsi que nous allons le voir.
7« On rend rarement compte du fait que le rapport naïf de l’auditeur au conteur est dominé par l’intérêt du premier de conserver ce qui a été raconté. Le point cardinal pour l’auditeur sans préjugé est de s’assurer de la possibilité de réitération19 ». Un conteur redonne ainsi toujours son écoute. En écho aux recherches sur l’écoute musicale de Peter Szendi20, on pourrait dire que le conteur partage son écoute initiale d’auditeur. D’abord bon auditeur, le bon conteur doit surtout être attentif à la structure et à des détails cruciaux, retrouvés dans sa restitution. Dans ce fil qui unit écoute, réception, mémorisation et restitution, qu’est-ce qui assure la transmission informée par l’appropriation ?
Mécanismes de reprise et d’appropriation du conte
8Avec le renouveau d’intérêt pour le conte engagé dans les années 197021, on s’est aperçu que le moment partagé, la performance même du conteur pour un public, avait une valeur bien différente de celle du conte lu, en grande partie grâce à la personnalité du conteur et à son talent narratif. Ni pièce de théâtre ni monologue récité mot à mot, un conte ne consiste pas davantage en une partition à interpréter, c’est une ossature à étoffer, un motif à amplifier. Passer d’un noyau narratif à l’énonciation du conte constitue un phénomène de reprise, d’inflation, et puisque l’appropriation se fait chaque fois dans un nouveau contexte et pour un nouveau public, le processus est en tant que tel pragmatique et dialogique.
9Le conteur s’approprie le conte sitôt qu’il le mémorise. Selon la manière dont il en retient la structure, il lui donne une inflexion particulière et personnelle. C’est d’ailleurs en posant ses propres mots sur le conte qu’on devient conteur : « Cette personne qui a retenu un conte, qui l’a mémorisé par répétitions orales et qui l’a transformé en canevas sur lequel elle peut broder ses mots – tout en demeurant elle-même et en relation avec l’assistance, dans un lieu approprié22. » Voilà qui met l’accent sur l’activité de transformation, mais aussi de personnalisation.
10Généralement, après avoir découvert un conte et en vue de l’énoncer devant un public, le conteur doit en saisir l’idée principale. Un exercice préliminaire recommandé par le conteur Charles Piquion consiste à savoir encapsuler son conte en peu de mots, à faire un résumé quintessentiel du conte, qui varie selon chaque conteur et lui donne une direction et un point de vue principal. Par exemple, Le Petit Chaperon rouge « est l’histoire d’une jeune fille qui est séduite par le loup et finit dans sa gueule », « est l’histoire d’un loup affamé qui tend un piège à une jeune ingénue », « est l’histoire d’une rencontre qui tourne mal », etc.
11Un autre exercice proposé par le conteur Ralph Nataf pour ordonner le fil de l’histoire, préconise l’exercice préliminaire du « donc », à condition que ce « donc » ne soit pas de simple ponctuation ou de rappel chronologique, un « je-disais-doncque », mais bien un marqueur d’enchaînement causal, ou de connexion logique entre prémisses et conclusions. Cet exercice permet de comprendre l’enchaînement des propositions. Par exemple, pour le début du Petit Chaperon rouge, cela donnerait : « La grand-mère de la fillette habitait à l’autre bout de la forêt. Comme elle était vieille et malade, il fallait la nourrir. Le Petit Chaperon rouge dut donc traverser la forêt avec son panier garni. Alors que la fillette marchait dans la forêt, elle rencontra un loup qui avait faim. Or le loup avait peur des bûcherons alentour. Il élabora donc un stratagème pour la dévorer à l’abri des regards, etc. » Cet exercice permet de comprendre comment s’articulent les différentes étapes du parcours du conte. La métaphore du chemin se retrouve notamment dans ces contes de répétition qu’on appelle « randonnées », faisant du conteur un marcheur qui arpente son conte23, prêtant plus attention au voyage qu’à la destination. C’est ainsi que l’aménagement de son itinéraire dans le conte est un acte d’appropriation, comme l’usager urbain s’approprie la ville par ses trajets qui en recomposent l’espace selon Michel de Certeau24.
12D’autres maîtres-conteurs utilisent la métaphore spatiale de la maison à bâtir. C’est le cas de Bruno de la Salle qui préconise d’utiliser pour la mémorisation « la représentation mentale de maisons, à l’intérieur desquelles est installé tout ce dont on veut se souvenir25 ». Après l’installation, le conteur pourra retrouver tout ce qu’il y a placé. Les images sont ainsi assignées à des lieux, à l’exemple de ce que le poète Simonide de Céros avait constaté26. Au-delà de leur vertu mnémotechnique, ces exercices permettent de générer des images mentales avec un piquant de détails authentiques à même de toucher l’auditeur. Plus le conteur sera précis dans les images qu’il crée, plus le public suivra son histoire.
13Depuis la mémorisation jusqu’à la racontée, la personnalisation du conte met en œuvre plusieurs procédés. Selon André Lemelin, c’est une triade de « répétitions-additions-suppressions27 » qui intervient dans la reprise du conte par le conteur. Le conteur se répète l’histoire (qu’il l’ait entendue, lue ou inventée) afin de l’apprendre ; au fur et à mesure de ce travail de répétition, selon sa personnalité et sa mémoire, il ajoute des détails, des passages et en retranche d’autres, ce qui contribue au travail de réappropriation. Les procédés d’appropriation sont donc des transformations ad hoc, des amplifications aux mesures du conteur, et des suppléances à sa mémoire qui peut parfois être défaillante.
14Antti Aarne puis Stith Thomson proposent un répertoire de quinze procédés de transformation du conte28, autant de formes d’actualisation pour créer une « nouvelle version de monde » portée par le conte (termes goodmaniens pour dire l’effet de ces transformations)29. Les contes évoluent au fil de leurs reprises et appropriations par ces procédés. Ainsi, en fonction de la culture du conteur saisissant un canevas, l’organisation du monde évoqué différera, comme lorsqu’on entend en préambule « Du temps où parlaient les animaux30 » ou « Autrefois, du temps de nos bonnes mères les fées31 ». Les références et les protagonistes varieront (selon la familiarité vis-à-vis de certaines espèces animales ou végétales et le type d’habitation commun, l’ours devient crocodile, la yourte devient case), certaines sensorialités seront aussi privilégiées. Ainsi du Petit Chaperon : que son bonnet soit rouge ou vert, que la fillette ne porte pas de bonnet, qu’elle soit un « il », qu’il s’agisse de trois sœurs, que la grand-mère soit une mère, le loup un ours, un lion ou un démon, la porte d’entrée une chatière, on retrouve le même archétype malgré la variation des détails32. Et chaque variation actualise le conte (l’article d’Aurélia Gournay dans ce même ouvrage présente des variations de ce genre autour de l’archétype littéraire, Don Juan).
Les lois du conte : limites de la reprise
15Ouverture à la liberté des conteurs qui le suivent, la grande licence dont dispose le conteur dans sa reprise doit néanmoins prendre en compte un certain nombre de lois33 que nous considérerons plutôt comme des maximes. De telles lois épiques, ou maximes, répondent à des nécessités narratives (le conte ne doit pas commencer par la partie la plus importante de l’action, ni se finir abruptement, par exemple), mais elles répondent aussi à des principes propres au conte, afin de favoriser son intellection. Il est ainsi dit qu’il ne peut y avoir plus de deux personnages interagissant en même temps ; la caractérisation des personnages et celle de l’intrigue doivent être simples ; la répétition doit être présente, et ce qui se répète ou se ressemble doit être décrit de la manière la plus similaire possible. Les autres lois répondent à des valeurs morales populaires (rencontre de caractères opposés, succès final du plus faible).
16Insistons ici sur le fait que raconter une histoire constitue d’abord un acte communicationnel et, à l’instar de tout acte de communication dont l’intelligibilité est l’horizon, clarté et simplicité doivent être privilégiées. Ces maximes entrent dans la construction narrative de l’histoire et favorisent son intellection, à laquelle contribuent aussi les autres maximes conversationnelles, auxiliaires indispensables à une heureuse réussite de la racontée34. La maxime de quantité enjoint le conteur de n’être pas trop bavard : il ne doit pas noyer son auditeur sous trop de détails, et l’action doit être privilégiée à la description. La maxime de modalité impose la clarté et la précision. Un conteur confus dans le cheminement des images mentales qu’il manipule et de la parole qui en découle perdra nécessairement son auditeur. La maxime de relation conseille de donner au public des informations pertinentes qui aident à échafauder le récit. Ainsi, dire en amont que le géant était borgne aidera par la suite à comprendre que ne viser et n’atteindre qu’un œil suffit à l’aveugler. Quant à la maxime de qualité, elle prône que le locuteur ne dise que la vérité ou ce dont il a une preuve ; les conteurs préviennent très souvent en exergue d’une veillée qu’ils vont mentir à l’aide de formulettes telles que celle-ci : « les conteurs sont des menteurs, mensonge et vérité sortent par la même porte, plus vous direz, plus vous mentirez, nous ne sommes pas payés pour dire la vérité35 », on peut considérer que la maxime est bien remplie, ou qu’il existe un accord tacite entre conteur et public quant à la nature fictionnelle de son récit. La maxime de qualité serait plutôt remplacée par celle d’autorité du conteur, le régime est celui d’une importance accordée au dit plutôt qu’à la réalité du monde. Certaines formules accentuent même la position de menteur éhonté du conteur en renforçant sa mauvaise foi : « Je ne mens pas et je ne suis pas de ceux qui doutent : de mes propres yeux, j’ai vu le chameau téter la lapine. Je ne mens pas et je ne suis pas menteur : de mes propres yeux, j’ai vu le pou porter une jarre36. » Bien sûr, la vérité du conte est ailleurs, et la sincérité du conteur également.
17Une fois ce travail préliminaire de reconstruction accompli, gros de reprises, le conteur, à la différence d’un comédien-interprète, ne fixe pas les mots de son conte, sans cesse il s’accorde des libertés de variation sur l’histoire. « Les démarches sont inversées : l’un mémorise des mots et trouve des images pour les rendre vivants ; l’autre mémorise des séquences d’images et trouve des mots pour leur donner vie37. » La réussite pragmatique d’une racontée dépend en grande partie de cette vivacité que prend la parole hic et nunc au public et, simultanément, à l’écoute du public. Une bonne racontée est donc, avant profération, écoute réciproque et mesure de l’effet.
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18Reprendre un conte à son propre compte, se l’approprier, c’est réemployer l’histoire, certains de ses énoncés, sa morale ou les opinions que la tradition et le folklore ont maintenus vivants par-delà les temps et les conteurs. Bien que la diffusion des contes ait emprunté la voie des échanges commerciaux, fluviaux ou maritimes38 le plus souvent, le conteur n’est donc en aucun cas un colporteur, le transcripteur littéral d’un conte dont il serait seul le dépositaire. Selon son habileté, il navigue au sein d’une trame traditionnelle et ajoute des détails. Et selon les réactions du public, un nouveau détail plaisant pourra, s’il accroche l’auditoire, devenir un critère de variance39. Le motif typique, classifié selon la méthode proposée par Aarne et Thomson, continuera ainsi d’être perceptible, mais il sera orné différemment.
19À l’heure de la fixation systématique des données, de leur numérisation et de leur archivage, le conte, bien que déjà compilé et classifié, échappe peut-être à l’embaumement. Son implémentation40, mais aussi sa réalisation, son actualisation (puisque beaucoup de détails seront improvisés, trouvés à l’instant même de la racontée) ne s’accomplissent qu’à partir du moment où il est dit. Le conte n’est donc pas véritablement, comme l’est le théâtre, un art allographique à deux phases. Un bon conteur doit donner aux thèmes les plus rebattus une saveur41 inédite et faire ainsi de sa performance une œuvre autographique42. Héritier des trouvères, ces trouveurs de la parole, le conteur reprend une matière orale, une parole vive, où l’écrit finalement n’a que peu de place43, mais où la mémoire de celui qui dit comme de celui qui écoute est au cœur du processus.
20Le conte se jouerait in fine dans le partage, partage de la mémoire et du langage, mais aussi dans l’instant où conteur et auditeur, ici et maintenant, jouent le rôle de maillon. Une formule célèbre de clôture illustre au mieux ce propos : « Et du pommier sont tombées trois pommes… La première est pour le conteur […]. La deuxième est pour celui qui a entendu l’histoire… Et la troisième, il faut la partager : une moitié pour celui qui racontait l’histoire autrefois, et l’autre pour celui qui le fera plus tard, lorsque nous ne serons plus là, ni pour l’entendre, ni pour la raconter44. »
Bibliographie
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Selon la classification de Charaudeau Patrick, Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette, 1992, p. 756.
2 Ce travail s’appuie notamment sur le recueil d’informations glanées auprès de conteurs professionnels, parmi lesquels nous pouvons citer Henri Gougaud, aux stages et ateliers duquel nous avons pris part, mais également Charles Piquion, qui propose dans le cadre du Conservatoire du 12e arrondissement de Paris une initiation aux techniques du conteur à laquelle nous avons participé.
3 Formulette issue d’un conte traditionnel du Maghreb « Le Mensonge le plus doux », transcrit par Ghennoun Kamel, dans La Grande Oreille, n° 12, hiver 2001-2002, p. 14-16, ici p. 14.
4 Pour preuve, les index de classification recensent deux mille cinq cent types de contes sur lesquels interviennent des variations ad. Lib. Aarne Antti et Thomson Stith, The Types of the Folk Tale. A Classification and Bibliography, Helsinki, FFC, n° 184, 1973.
5 Formule lue dans Cazaux Henri, « Le Conte : dire et entendre l’indicible », Lyon, Se Former+, S 37, Publication Voies Livres, p. 24-25.
6 Voir Charnay Thierry, « Aux Limes du conte. Les formules d’ouverture », dans Perrot Jean, Les Métamorphoses du conte, Bruxelles, Peter Lang, 2004, p. 73-86, ici p. 76.
7 On se reporte aux travaux d’Émile Benveniste indiquant l’émergence d’un discours sur le « je » dès lors que le pronom apparaît. « Dans les deux premières personnes, il y a à la fois une personne impliquée et un discours sur cette personne. “Je” désigne celui qui parle et implique en même temps un énoncé sur le compte de “je” : disant “je”, je ne puis pas ne pas parler de moi. À la 2e personne, “tu” est nécessairement désigné par “je” et ne peut être pensé hors d’une situation posée à partir de “je” ; et, en même temps, “je” énonce quelque chose comme prédicat de “tu”. » Benveniste Émile, « L’Homme dans la langue », dans Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, t. I, p. 228.
8 Cazaux Henri, op. cit.
9 Contrairement à l’œuvre littéraire qui s’écrit en quelques mois, quelques années tout au plus, « l’œuvre folklorique a besoin de mûrir plusieurs dizaines d’années, consécutives ou non, à travers plusieurs vies, pendant plusieurs siècles » (Coirault Patrice, Notre Chanson folklorique, Paris, Picard, 1941, p. 57-58, cité par Belmont Nicole, Poétique du Conte, Essai sur le conte de tradition orale, Paris, Gallimard, 1999, p. 67).
10 « Il n’existe plus, depuis Adam, d’objets innommés, ni de mots qui n’auraient pas déjà servi. Intentionnellement ou non, chaque discours entre en dialogue avec les discours antérieurs tenus sur le même objet, ainsi qu’avec les discours à venir, dont il pressent et prévient les réactions. La voix individuelle ne peut se faire entendre qu’en s’intégrant au chœur complexe des autres voix déjà présentes. Cela est vrai non seulement de la littérature, mais aussi de tout discours, et Bakhtine se trouve ainsi amené à esquisser une nouvelle interprétation de la culture : la culture est composée des discours que retient la mémoire collective (les lieux communs et les stéréotypes comme les paroles exceptionnelles), discours par rapport auxquels chaque sujet est obligé de se situer » (Todorov Tzvetan, Mikhaïl Bakhtine : le principe dialogique, Paris, Seuil, 1981, p. 8).
11 Schnitzer Luda, Ce que disent les contes, Paris, Éditions du Sorbier, 1985, p. 13.
12 Voir l’article d’Ana-Maria Suciu dans ce même ouvrage.
13 Lévi-Strauss Claude, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1974, p. 237.
14 Belmont Nicole, op. cit., p. 67.
15 Benjamin Walter, Le Conteur, trad. fr. Cédric Cohen Skalli, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2011, p. 70.
16 C’est ainsi que le conteur Michel Hindenoch écrit : « Conter / C’est écouter à haute voix / Un rêve ancien, plus grand que soi […] Jusqu’à offrir à l’autre un souvenir nouveau/ Risquer de faire de lui un témoin, lui aussi : / Un conteur à venir. » dans Hindenoch Michel, Conter, un art ?, Sermammagny, Éditions du Jardin des Mots, 2012, p. 5.
17 Les veillées où l’on tisse ou tresse ayant été des veillées propices au conte.
18 Voir Gusdorf Georges, La Parole, Paris, Presses universitaires de France, 1977, p. 89 : « L’écriture permet de séparer la voix de la présence réelle, et donc elle multiplie sa portée. Les écrits restent, et par là ils ont pouvoir de fixer le monde, de le stabiliser dans la durée, comme ils cristallisent les propos et donnent forme à la personnalité, désormais capable de signer son nom et de s’affirmer par-delà les limites de son incarnation. L’écrit consolide la parole. Il en fait un dépôt qui peut attendre indéfiniment sa réactivation dans des consciences à venir. »
19 Benjamin Walter, op. cit., p. 82. Nous ajouterons que les modifications peuvent être intentionnelles et relever d’un dessein volontaire de la part du conteur, son style ou son interprétation.
20 Voir Szendi Peter, Écoute. Une histoire de nos oreilles, Paris, Les Éditions de Minuit, 2013, p. 19 : « en tant qu’auditeur […] j’aimerais signer mon écoute, j’aimerais pointer, identifier et faire partager tel événement sonore que personne d’autre que moi, j’en suis sûr, n’a jamais entendu comme je l’ai fait ».
21 Voir Hindenoch Michel, op. cit., p. 129.
22 Lemelin André, « Le Conte ne fait pas le conteur ! », article disponible à l’adresse électronique http://www.andrelemelin.com/frames/conte-pasconteur.htm l, 2008, consulté le 3 juillet 2015.
23 On retrouvera également dans un exercice préconisé par le conteur Pepito Mateo cette idée des balises qu’on pose pour jalonner son chemin de conteur : « On pourra, par exemple, prendre un conte connu comme le Chaperon rouge. D’abord en dégager brièvement les points importants, sans lesquels l’histoire ne tient pas debout. Ensuite, choisir un objet qui symbolisera chacune de ses parties, exemple : un tissu rouge pour le début, le personnage, etc., un panier, un sac pour le départ… une feuille pour le passage de la forêt, une chaussure pour l’épisode avec le loup, etc. Lorsqu’on a les objets déterminants, on peut suivre le “chemin” de l’histoire en empruntant les objets à tour de rôle… » Ces objets permettent de remplacer des mots et de créer l’histoire, afin de générer des images. Voir Mateo Pepito, Le Conteur et l’imaginaire, Nîmes, Éditions Atelier Baie, 2010, p. 53.
24 Certeau Michel de, Giard Luce et Mayol Pierre, L’Invention du quotidien. 2. Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1994, p. 21. Voir l’article de Corp Mathieu, « Improviser la ville », dans Popelard Marie-Dominique (éd.), Improviser, une action dialogique, Rennes, PUR, 2014, p. 139-148 qui travaillait cet arpentage de la ville.
25 De la Salle Bruno, « Conte et mémoire, entre écriture et oralité », dans Perrot Jean (dir.), Les Métamorphoses du conte, op. cit., p. 159-172, ici p. 165.
26 Voir Yates Frances, L’Art de la mémoire, trad. fr. Daniel Arasse, Paris, Gallimard, 1975, p. 39.
27 Lemelin André, loc. cit.
28 Il s’agit soit d’omettre, de rajouter ou de multiplier un détail ; lier des contes entre eux ; répéter un incident ; spécifier un élément générique (et son contraire, généraliser un trait spécifique) ; substituer un morceau de conte par un autre provenant d’un autre conte ; échanger les rôles de certains personnages ; remplacer des animaux par des humains et réciproquement ; de même, remplacer démons et ogres ; raconter à la première personne, comme si le conteur avait appartenu à l’histoire ; changer certains pans de l’histoire pour garder une cohérence en conséquence du changement d’un détail ; adapter le conte au contexte géographique de l’auditoire ; moderniser le conte. Voir Thomson Stith, The Folktale, New York, The Dryden Press, 1951, p. 436.
29 Nelson Goodman expose les procédés de création de mondes et de leurs versions à partir de mondes existants, à savoir la composition et décomposition, la pondération, l’agencement, la suppression et la supplémentation, la déformation. Voir Goodman Nelson, « Mots, œuvres et mondes », Manières de faire des mondes, trad. fr. Marie-Dominique Popelard, Paris, Gallimard, 2006, p. 15-43.
30 Cazaux Henri, ibid.
31 Cité par Charnay Thierry, art. cité, p. 79.
32 Voir Morel Fabienne et Bizouerne Gilles, Les Histoires du Petit Chaperon rouge racontées dans le monde, Paris, Syros, 2008.
33 Thomson Stith, op. cit., p. 456, en propose neuf.
34 Grice Herbert Paul, « Logique et conversation », trad. fr. Michel Bozon, dans Communications, n° 30, 1979, p. 57-72.
35 Formulette classique enseignée par Charles Piquion.
36 Charnay Thierry, art. cité, p. 76. Formulette collectée en Tunisie.
37 Lemelin André, loc. cit.
38 Thomson Stith, op. cit., p. 438.
39 Ibid., p. 437.
40 Voir Goodman Nelson, L’Art en théorie et en action, trad. fr. Jean-Pierre Cometti et Roger Pouivet, Paris, Gallimard, 1996, p. 63 : « L’implémentation d’une œuvre d’art peut être distinguée de sa réalisation (exécution) – qu’elle soit à une ou deux phases. Le roman est achevé lorsqu’il est écrit, la toile lorsqu’elle est peinte, la pièce lorsqu’elle est jouée. Mais le roman abandonné dans un tiroir, la toile stockée dans un magasin, la pièce jouée dans un théâtre vide ne remplissent pas leur fonction. Pour fonctionner, le roman doit être publié d’une façon ou d’une autre, la toile doit être montrée publiquement ou en privé, la pièce représentée devant un public. »
41 Le terme « saveur » renvoie au titre de l’ouvrage que Bernadette Bricout consacre à l’étude des contes répertoriés par Henri Pourrat. Bricout Bernadette, Le Savoir et la saveur, Henri Pourrat et le trésor des contes, Paris, Gallimard, 1992.
42 Pour une distinction entre art autographique et art allographique, voir Goodman Nelson, « Ce qu’on ne peut contrefaire », Langages de l’art, trad. fr. Jacques Morizot, Paris, Hachette Littératures, 2001, p. 146-149.
43 Bruno Bettelheim recommande en effet que le conte ne soit pas lu par l’enfant, ni qu’il ne soit lu par l’adulte à l’enfant, mais que l’adulte (si possible, le parent) raconte l’histoire à l’enfant, et si possible un grand nombre de fois afin que l’assimilation et l’identification passent dans la répétition. Voir Bettelheim Bruno, Psychanalyse des Contes de Fées, trad. fr. Théo Carlier, Paris, Robert Laffont, 1976, p. 81 et p. 195.
44 Formule citée par Hindenoch Michel, op. cit., p. 14.
Auteur
Docteur en sciences de l’information et de la communication, Delphine de Swardt est ATER à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Ses recherches portent sur la création olfactive dans les sociétés de composition en parfumerie, selon une approche à la fois pragmatique et esthétique. Depuis sa thèse, elle étudie également la littérature orale, le conte en particulier, qu’elle pratique et étudie auprès d’Henri Gougaud.
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