Le rythme comme écriture de la scène
Pour un troisième temps de la saisie musicale de Mallarmé
p. 219-232
Texte intégral
1 Ce qui frappe à la vue du corpus des mises en musique de Mallarmé, c’est leur décalage temporel avec l’existence du poète. Du vivant de Mallarmé, à l’exception de Debussy, rien en effet, si ce n’est en 1894, l’année du Faune, un obscur guitariste et professeur de musique, André Rossignol, et un libraire féru d’ésotérisme et défenseur du symbolisme, Edmond Bailly, l’un et l’autre auteur d’une mélodie pour chant et piano sur Apparition, poème déjà mis en musique par Debussy dix ans plus tôt. Le contraste avec Verlaine est manifeste : le succès bien plus immédiat du chantre de De la Musique avant toute chose auprès des compositeurs souligne l’embarras des mêmes vis-à-vis du penseur de La Musique et les lettres qui lui aura succédé comme Prince des poètes. Il faudra attendre la première édition complète des poèmes, 1913, pour que Debussy et Ravel, avec leur Trois poèmes de Mallarmé dont deux identiques, inaugurent, quoique très relativement et quinze ans après la mort du poète, soit à une époque où le symbolisme n’était plus d’actualité, une courte séquence de son accueil musical, laquelle, passée la première guerre mondiale, fera place à une traversée du désert jusqu’à ce que Boulez et quelques autres dans son sillage s’y intéressent à nouveaux frais.
2Cet anachronisme explique plus ou moins, Debussy et Ravel exceptés, la production marginale et de faible intérêt consacrée dans un premier temps à Mallarmé. Certes les Chansons bas d’un Milhaud ne manquent pas d’une certaine verve ; incluant également les heptasyllabes des Types de rue, elles sont traitées comme des pièces de caractère et tournent à juste titre le dos à un certain subjectivisme que méprisait Mallarmé. Mais c’est pour de tout autres raisons et sans le moins du monde remettre en cause la facture ancienne de la musique, notamment le principe de la mélodie accompagnée comme le requiert pourtant d’évidence l’auteur de Crise de vers. Les Deux petits airs, de deux ans postérieurs, en 1918, ne sont quant à eux pas sans rappeler les Trois poèmes de Ravel. Mais ce qui est surtout symptomatique, c’est que ces poèmes ne font pas l’objet d’un traitement musical fondamentalement différent de ceux des Poèmes juifs anonymes, des Soirées de Petrograd, des Feuilles de températures d’après Paul Morand ou du Catalogue des fleurs, toutes mélodies composées à la même époque. Leur modernité, tout extérieure, concerne essentiellement le ton général, la volonté de rompre avec l’esprit fin de siècle, d’où une certaine désinvolture et une liberté par trop facile avec les usages de la tradition académique mais ne remettant nullement en cause les fondements de la musique hérités de l’ancien temps.
3En réalité, ce à quoi ne cessent de se rattacher Milhaud et, on le verra, Ravel, c’est, pour le dire vite, à la longue séquence de l’histoire de la musique inaugurée par Monteverdi puis portée à son aboutissement par Wagner, celle-là même à laquelle Debussy, de retour de Bayreuth, aura le premier tourné le dos en sympathie avec Mallarmé qui pour le compte de la littérature ne s’y sera pas trompé non plus quant à celui avec qui il s’agissait de s’expliquer. Le propre de cette longue séquence, qui aura intimement noué tonalité, langage et humanisme avec la fortune que l’on sait pendant près de trois siècles, tablait, dans son rapport à la poésie, sur la mélodie en tant qu’elle métaphorisait la subjectivité, mélodie qui du coup rendait plus ou moins interchangeables les textes mis en musique : importait peu, finalement, ce que les poèmes, en tant que tels, pouvaient avoir de singulier : s’attachant à traduire les affects dont ils étaient supposés porteurs, la mélodie les assimilait au nom de la cohérence et de l’autonomie musicale. Si la musique, en tant que telle, n’aura jamais été le souci de Mallarmé, son extrême tension à son endroit ne saurait être totalement étrangère à ce coup de force permanent qu’elle aura fait subir à la poésie dès lors qu’elle s’en sera emparée.
4À distance des lieux communs qui rassemblent Debussy et Ravel sous la bannière de l’impressionnisme ou de la musique française et font écran à la compréhension de ce qui importe ici, rien n’est plus éclairant que l’examen de ce qui oppose les Trois poèmes de Mallarmé de l’un et de l’autre, tout particulièrement leur troisième volet – celui qui diffère –, respectivement Éventail et Surgi de la croupe et du bond. Ce qui rend la comparaison particulièrement intéressante, c’est que ces compositions sont toutes les deux musicalement très réussies, alors même que leur appréhension musicale des poèmes s’opposent diamétralement. Or, pour peu que l’on prenne au sérieux l’entreprise du poète, et donc, logiquement, que l’on s’attache à réfléchir, au double sens du terme, à ce qu’implique la saisie musicale de sa poésie, on ne saurait simplement verser cette opposition, par commodité intellectuelle, au compte de la pluralité de droit des interprétations ou de telle ou telle particularité des compositeurs comme si seule importait la réussite musicale et que celle-ci rendait oiseuse toute autre question ou velléité critique. Quoiqu’assez aveugle, l’autorité de cette notion de réussite musicale ne serait pas gênante si elle ne servait en réalité d’abri à un ensemble de critères qui sont précisément ceux dont Debussy, parallèlement à Mallarmé, aura non pas totalement abandonné le souci, ce serait trop dire, mais aura fait vaciller les fondements avec les conséquences que l’on sait pour l’art et les arts au xxe siècle. Il est à cet égard révélateur que Ravel se soit quant à lui simplement réjoui de ce qu’il se plaisait à appeler son « match » contre Debussy1 ; en réalité son excitation, en cette singulière circonstance, ne faisait que traduire benoîtement la certitude qu’il avait de « gagner » ledit match, comme en effet la postérité en aura philistinement jugé, et ce parce qu’il avait obscurément compris que la direction qu’avait prise Debussy, surtout depuis Jeux, sans soupçonner qu’elle était précisément de l’ordre de celle qu’avait prise Mallarmé et qu’il eût mieux fait de s’en inspirer pour son propre triptyque, conduisait le glorieux auteur vingt ans plus tôt du Faune sur un terrain où il ne pouvait plus « gagner » au sens de la réussite musicale, c’est-à-dire celui où l’on juge une composition musicale à l’aune des seuls critères artisanaux – c’est bien écrit pour la voix, ça sonne bien, etc., soit les critères qui récompensent le métier du compositeur et satisfont l’attente des mélomanes : bref, eût dit Mallarmé, le point de vue du Journal –, critères qui ont bien sûr leur part d’importance, mais dont je dirai simplement que s’ils devaient effectivement être les seuls, ou plutôt frapper d’inconsistance tous les autres, ils priveraient de tout enjeu véritable, c’est-à-dire de tout sens, toute réflexion un tant soit peu sérieuse sur la musique dans son rapport à la poésie, et pour commencer un colloque comme celui-ci dont tout un pan des questions qu’il entend soulever ne mériteraient pas alors un quart d’heure de peine. Toute l’affaire, en effet, n’est pas ici de savoir si la musique composée dans la compagnie de Mallarmé est réussie, fût-ce au prix d’une ignorance ou d’une mécompréhension totale de l’entreprise du poète, mais si elle est à son diapason, c’est-à-dire si elle se fait de quelque manière l’écho des opérations qui la constituent et en dehors desquelles, précisément, il n’y a, en fait de poèmes de Mallarmé, tout simplement rien. Autrement dit, à partir du moment où telle ou telle composition musicale fait le choix de s’attacher à un poète, en l’occurrence à Mallarmé ce qui n’a tout de même rien d’anodin, la question est de comprendre, indépendamment de la réussite strictement musicale, en quoi ce choix est justifié ou plus exactement se sera avéré justifié compte tenu de ce qui aura été fait musicalement dans sa compagnie. Il s’agit en somme de déplacer le critère de la réussite sur le terrain de la pertinence musicale du choix d’un poème2, la composition se confondant alors avec l’opération de ce choix en tant qu’elle devient la quête musicale des conditions de possibilité de son association à un poème3. Ou encore, tout de même que l’opération de Mallarmé aura été non pas de partir d’une coïncidence a priori du son et du sens mais de construire par le poème la nécessité de leur rapport, comme l’a méticuleusement analysé André Stanguennec, l’opération constitutive de sa mise en musique ne doit pas être de partir de la possibilité a priori d’associer un poème et une musique sur la base de ce qu’il signifie et de la façon dont il sonne en rapport avec les ressources de la musique en tant qu’elles se sont historiquement modelées sur celles du langage, mais de construire réflexivement par la musique, par le processus même de la composition musicale, la possibilité en quelque sorte nécessaire de l’association d’un poème et d’une musique.
5Ravel, que l’on s’entende bien, avait parfaitement compris les trois poèmes choisis pour son triptyque, et notamment Surgi de la croupe et du bond, le plus difficile d’entre eux. Sa partition l’atteste, qui traduit parfaitement bien, en épousant étroitement son mouvement, la désillusion que dévoile la veillée amère, de l’éventualité féconde du premier vers au constat d’impuissance du dernier. En outre, la singulière importance du vers chez Mallarmé ne lui avait pas échappé ; sa transcription fait notamment preuve d’une minutie, d’un raffinement et d’un sens de la prosodie peut-être jamais atteint auparavant. Cependant ne craignant pas – pourquoi pas d’ailleurs – de contredire le rythme syntaxique du poème, il jugea opportun de traduire ces vers non seulement par une mélodie mais par l’archétype même de la mélodie classique en ce qu’elle articule symétriquement un antécédent et un conséquent, mélodie s’inscrivant logiquement dans le cadre de la construction harmonique et métrique de la tonalité même si celle-ci s’avère en l’occurrence poussée dans ses ultimes retranchements. Ce faisant, il paracheva la logique imitative à laquelle se vouait la musique depuis Monteverdi et du même coup fit de sa composition une musique du sujet au sens du sujet d’un affect, de l’être affecté. En d’autres termes, faute d’avoir été techniquement en mesure de prendre en compte que dans ledit poème ce n’est pas un sujet qui parle mais un sylphe en son froid plafond – autant dire personne ou si l’on veut le Sujet avec un grand S, ce qui pourrait être une manière hégélienne de décliner ce que Mallarmé nomme Idée –, Ravel compose une musique qui perpétue, et non remplace comme le voulait Mallarmé, « la respiration perceptible en l’ancien souffle lyrique ou la direction personnelle enthousiaste de la phrase4 ». À l’inverse, Debussy assume la « disparition élocutoire du poëte5 ». Ce n’est pas qu’il ait pris soin de prendre pour l’occasion la distance nécessaire ; c’est bien plus profondément que son langage avait tôt entrepris de défaire le nouage du ton, du mètre et du thème constitutif de la tonalité, soit tout aussi bien de destituer la mélodie de ses prérogatives historiques : l’imitation des affects. Du coup, cédant l’initiative aux sons, ceux-ci, « par le heurt de leur inégalité mobilisés, s’allumèrent de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries6 ». En somme, contrairement à Ravel, qui n’aura fait le choix de Mallarmé que parce que l’occasion s’en présentait, Debussy aura reconnu dans sa poésie l’écho de ses propres desseins de compositeur7, un peu comme Baudelaire, cinquante ans plus tôt, aura symétriquement reconnu les siens à l’audition de Wagner comme il le lui aura écrit8.
6Passé le moment lumineux mais isolé du Faune, le premier temps de la réception musicale de Mallarmé se résume finalement à la confrontation de Ravel et de Debussy autour de trois poèmes, confrontation à bonne altitude, certes, mais de part et d’autre d’une ligne de crête qui les oppose fondamentalement : Ravel se tient sur le versant cartographié de l’ancien monde dont il tire un ultime chant en tablant sur le ressort lyrique de la phrase mélodique, quitte à expirer dans les ténèbres du dernier vers (comme le fera d’ailleurs Boulez pour clore Pli selon pli) ; Debussy s’expose à l’inconnu de l’autre versant, n’exprimant rien qu’il faille éprouver comme affect mais laissant parler les sons à la faveur de l’espace ouvert par leur déliaison systémique, autant dire par la libération du rythme. L’un et l’autre se seront certes exclusivement attachés à des poèmes dûment et classiquement métrés ; mais le premier en ce qu’ils conservent la trace familière d’une structure transposable, et le second en ce qu’ils recèlent virtuellement l’ouverture vertigineuse du Coup de dés. Pour ténue qu’elle puisse paraître, la différence est considérable dont la conséquence musicale n’est rien de moins que l’alternative entre la musique tonale, modale ou spectrale d’une part, et la musique atonale au sens large d’autre part, c’est-à-dire, plus essentiellement, l’alternative entre la musique tablant sur des fondements et la musique ne tablant sur rien, avec à horizon l’alternative entre l’œuvre close et l’œuvre ouverte9.
7 Voilà qui conduit au second temps de la réception de Mallarmé. Si Boulez fut moins isolé que Debussy dans son dialogue avec le poète – songeons à Ballif, Boucourechliev, Philippot ou Amy –, aucun de ses contemporains n’aura eu avec lui un rapport que l’on pourrait dire constitutif de son entreprise : plus encore que pour Baudelaire avec Wagner ou Debussy avec Mallarmé, il se sera moins agi d’une influence que d’une reconnaissance, comme l’indique factuellement d’ailleurs son cheminement personnel vers le principe du Livre avant même que Scherer n’en publie les feuillets inédits10. Pour anachronique qu’il est également, cet intérêt pour Mallarmé n’en est pas moins fructueux et surtout illustre emblématiquement le changement de perspective du rapport de la musique à la poésie que n’aura fait qu’entrevoir Debussy. Ce changement de perspective a de nombreux aspects dont la présentation demanderait des développements qu’il n’est évidemment pas loisible de faire ici. Pour aller vite et rester sur le fil de notre propos, disons simplement que l’abandon de la tonalité ne rend certes pas impossible la construction mélodique mais la rend arbitraire, incongrue et finalement peu opérante puisque se trouvant déliée de la conjonction d’un système musical, d’une conception du langage et d’une pensée humaniste, conjonction qui lui conférait tout à la fois cohérence, force expressive et assise conceptuelle. Dès lors que la mélodie cesse d’être le cœur opératoire de la transposition musicale d’un poème, et tout aussi bien la condition même de son sens, le rapport de la musique à la poésie n’a plus lieu d’être un rapport d’imitation par des sons d’un affect lui-même imité par des mots : la chaîne mimétique se disloque. Le compositeur se trouve alors en charge de produire, par la musique elle-même, les conditions de son association à un poème, lequel, à la limite, peut n’être plus présenté puisqu’il cesse d’être le vecteur dont la translation mélodique tirait sa raison. C’est pourquoi, en écho à telle fleur absente de tout bouquet, Boulez dira de Pli selon pli que le poème en est « centre et absence11 », et inscrira explicitement plusieurs de ses œuvres purement instrumentales sous l’égide de Mallarmé, comme l’avait d’ailleurs fait Debussy avec le Faune.
8Si paradoxal que cela puisse paraître, il n’y a donc rien de très étonnant à ce que Pli selon pli, qui met en musique des poèmes de Mallarmé, puisse s’avérer moins mallarméenne que la Troisième sonate pour piano, qui n’en met pas, tout « portait » du poète que se veut l’œuvre vocale ; et les modifications que n’aura cessé d’y apporter Boulez pendant près de trente ans n’auront cessé de l’éloigner encore de sa référence initiale, parce qu’au fond il aura peu à peu pris conscience qu’il avait en réalité composé une œuvre « classique » – certainement une des très rares et dernières de ce rang – et qu’il fallait donc, comme il se doit, lui céder l’initiative, en l’occurrence la décharger de ce qui pouvait en perturber la logique immanente, à commencer par l’ouverture (relative) de l’Improvisation III puis finalement de Don. Indépendamment des problèmes techniques de réalisation, apparaît en effet une contradiction difficilement surmontable dans les œuvres à grands effectifs entre, d’une part, le soin porté aux plus infimes détails en raison d’une conscience aiguë de ce que l’on veut faire, et, d’autre part, la délégation aux interprètes de certains choix, fussent-ils secondaires et locaux : l’idéalité du projet se heurte tant ici à l’inégalité de fait des alternatives qu’à la réalité concrète du fonctionnement collectif.
9 Pli selon pli est une œuvre non seulement « classique » mais même encore partiellement tonale, non pas bien sûr au sens restreint, puisqu’il s’agit d’une œuvre sérielle, mais au sens plus général que donne Lachenmann à ce terme12, dans la mesure où son projet même, qui est de progressivement engloutir le poème dans la musique en écho à À la nue accablante tu, opère pour ce faire une sorte de lissage entre l’approche mallarméenne de Ravel, fondamentalement tonale, et celle de Debussy, tendanciellement atonale mais restant tout de même dans la sphère d’influence du paradigme tonal à travers la perpétuation non certes de la syntaxe – c’est là où se joue sa proximité avec Mallarmé – mais du vocabulaire de la tonalité. Quoi de plus ravélien, en effet, que l’Improvisation I, laquelle s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement des œuvres vocales de jeunesse de Boulez ? La mise en voix par strophe de Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui relève clairement de la mélodie, de la phrase classique en ses articulations et inclinaisons, témoigne de la même logique que celle de Surgi de la croupe et du bond et en particulier du même sens raffiné de la prosodie en dépit des grands intervalles ; par ailleurs, en accord avec l’atmosphère gelée des deux partitions, le chromatisme de la ligne vocale est fermement contenu dans les champs harmoniques qui la soutiennent même si l’environnement instrumental relève d’une dissémination, inconnue de Ravel, qui diagonalise l’accompagnement et produit une certaine ouverture de l’espace compensant en partie la clôture de la forme. L’improvisation II, centre de l’œuvre, est quant à elle plus partagée ; d’un côté les octosyllabes d’Une dentelle s’abolit font l’objet d’une transcription par vers dictant somme toute assez classiquement la structure de l’œuvre en dépit de la rigueur et de l’extrapolation d’obédience toute structurale des opérations et en rapport avec l’infléchissement mélismatique des vers amorçant l’engloutissement du poème ; d’un autre côté, radicalisant ce qui se fait jour chez Debussy en raison de son renoncement aux enchaînements harmoniques et comme en écho au lustre de cristal13 cher à Mallarmé, les instruments résonnants font miroiter les facettes sonores de leurs incises, et ce d’autant plus que toute perception métrique est abolie en raison des nombreux points d’orgue et variations agogiques : jamais auparavant la musique n’avait ainsi fait s’allumer les sons « de reflets réciproques ». Quant à l’Improvisation III, moment du naufrage proprement dit, la musicalisation d’À la nue accablante tu s’attache cette fois aux mots eux-mêmes, en leur articulation phonétique comme par un effet de zoom, lesquels ne sont plus seulement enrobés dans les mélismes vocaux qui les véhiculent mais tendanciellement contenus dans la pure signifiance de la voix, souvent bouche fermée, ou immergés dans la matière sonore de l’orchestre, de telle sorte que c’est moins dans l’extériorité de leur profération qu’ils se manifestent que par leur effet en creux dans la scansion et l’espacement de la constellation musicale, opérant ainsi un étrangement dans la langue, que renforce encore les micro-intervalles et glissandi, et se faisant « centre et absence » de la musique. C’est en somme, comme chez Mallarmé en regard de la poésie lyrique, un infléchissement général du mélodique vers le rythmique que réalisent les trois Improvisations de Boulez. Cependant, avec Tombeau, le dernier volet, saisissante et implacable progression vers la mort dont la voix tardive signale dramatiquement l’imminence dans son duo vertigineux et tendu dans l’extrême aigu avec le cor avant d’expirer dans un ultime souffle qui n’est pas sans rappeler l’agonie de « la rose dans les ténèbres » de Ravel, on a tout de même quelque mal à se convaincre que le ton général en est très mallarméen ; c’est en réalité cette somptueuse page-objet d’orchestre, achevée dès 1958 et jamais retouchée, qui aura commandé les révisions successives de Pli selon pli, révisions libérant l’œuvre de l’ouverture qui, il est vrai de façon hésitante, s’était invitée dans sa longue gestation. Pli selon pli n’en reste pas moins à mon avis le chef-d’œuvre et le centre nerveux de toute l’entreprise de Boulez, son terrier en ses galeries ramifiées, autant dire, en fait de portrait du poète, l’autoportrait du compositeur14.
10En revanche la Troisième sonate pour piano, de peu antérieure à Pli selon pli, est sans aucun doute avec Éclats le plus mallarméen des opus bouléziens. Sans doute fallait-il cet instrument solitaire et spéculaire, qui aura servi de journal à tant de compositeurs exigeants, pour donner la transcription musicale la plus approchante du Livre et du Coup de dés. Son projet dans son principe est bien connue, qui organise l’articulation variable de cinq mouvements ou formants devant donner lieu à autant de développants, projet que Boulez aura finalement décidé de laisser en état d’inachèvement – soit deux formants seulement : Trope et Constellation ( – Miroir) – puisque déjà ces formants recèlent en eux le principe combinatoire général et que son achèvement eut certainement été laborieux et en tout en état de cause relatif et illusoire en raison même de ce principe, lequel ne saurait en outre épuiser les possibilités théoriques sans pesantes redondances musicales. Plutôt que de revenir sur les aspects techniques, structuraux et combinatoires du dispositif, déjà souvent commentés, j’insisterai plutôt ici sur ce qui émane à l’audition de cette œuvre en rapport avec l’entreprise de Mallarmé. Sa réussite, tant musicale que mallarméenne, tient moins en effet à l’homologie des structures – laquelle ne garantit tout de même pas grand-chose comme on n’eut que trop tendance à le croire à l’époque de l’effervescence structuraliste – qu’à ce qui est donné à entendre qui s’avère en plein accord avec l’Idée avec laquelle elle se confond. L’argument selon lequel la mobilité musicale est illusoire en raison des choix constitutivement exclusifs qu’impose toute réalisation concrète d’une partition, fût-elle ouverte, est en effet non seulement tautologique mais également spécieux parce qu’à certaines conditions la musique peut justement donner à entendre que ce qui est effectivement présenté aurait tout aussi bien pu ne pas l’être au profit d’autre chose. Ces conditions sont celles-là mêmes que Mallarmé n’aura cessé de réfléchir dans la perspective du Livre et auxquelles Boulez se sera rangé d’autant plus aisément qu’elles étaient également celles auxquelles le conduisait sa volonté de rompre avec la clôture de l’organisation ancienne de la musique, soit, en termes mallarméens, les conditions d’une « fable, vierge de tout, lieu, temps et personne sus15 ». Exit, par conséquent dans la Troisième sonate, non seulement bien sûr toute notion de forme au sens classique, en particulier de type orientée qui pourrait évoquer quelque bribe de récit, mais aussi toute notion de discours, de thème, de motif, de mètre et plus significativement encore de toute relation fondée, si minime soit-elle, qui réglerait les enchaînements, lesquels sont à l’inverse volontairement offerts au forçage local qu’effectue chaque performance en l’actualisation d’une possibilité ; en somme, nulle représentation de quelque schéma préétabli mais tout au contraire la seule présentation d’un pur jaillissement – autant dire le mystère même de l’existence comme s’y attachent les plus belles pages de Debussy. Bien plus encore que Trope, dont l’ordonnancement contraint mais ouvert des quatre séquences fait encore référence à ce à quoi il s’agit de tourner le dos, Constellation ( – Miroir), en l’alternance de ses rudimentaires Points et Blocs dont la distinction tient à la seule densité des évènements, est manifestation pure des événements sonores, du hasard vaincu mais jamais aboli. Comme l’a parfaitement fait entendre Alain Franco hier soir16 par son attention portée aux différents plans sonores, à la variété hiérarchisée mais irréductible des espacements et scansions, traduction musicale de la dissémination typographique du Coup de dés, tout devient alors, comme dit Mallarmé, « suspens, disposition fragmentaire avec alternance et vis-à-vis, concourant au rythme total », soit « le poème tu, aux blancs ; seulement traduit, en une manière, par chaque pendentif17 ». Par la beauté stellaire des incises sonores résonant du néant qui les sertit, à l’instar de la noire écriture sur fond blanc du Coup de dés, l’expérience de Constellation ( – Miroir) est saisissante et d’autant plus troublante qu’elle n’est plus vraiment musicale stricto sensu, comme si l’essence de la musique n’était pas la musique, ni d’ailleurs la poésie n’en déplaise à Mallarmé, mais plutôt le Mystère dont la musique et la poésie seraient les deux rives réfléchissantes et à jamais séparées.
11Passés la Troisième Sonate et Pli selon pli, Boulez entrera dans une crise compositionnelle durable qui le conduira à la direction d’orchestre et à la création de l’IRCAM, l’une et l’autre infléchissant sa production dans une direction qui ne sera plus guère mallarméenne. Certes Domaines et Rituel, auxquels font écho Dialogue de l’ombre double et Répons, témoignent d’un souci de la scène et de la cérémonie que l’on pourrait sans trop de difficulté décliner dans la résonance des écrits du poète ; mais ces partitions, en dépit de l’attachement jamais démenti de Boulez à Mallarmé, n’offrent rien de comparable avec l’étroite parenté qui s’était dessinée au tournant des années 1950-1960. Dans l’optique d’un troisième temps de la saisie musicale de Mallarmé, il faut en réalité revenir à la situation créée par ce point d’aboutissement mais finalement de blocage qu’auront constitué la Troisième Sonate et Pli selon pli. Éclats, qui succède immédiatement à ces deux opus, est il me semble la partition qui se tient à la croisée des chemins, celle qui s’approche au plus près des limites strictement musicales de ce à quoi pouvait mener l’exigence du Coup de dés et, partant, celle qui permet de comprendre pourquoi Boulez n’aura pas franchi cette limite et aura significativement infléchi sa trajectoire. Quelle est donc cette limite et qu’impliquerait donc son franchissement ?
12Concrètement, l’exigence musicale d’une « fable vierge de tout », soit d’un pur jaillissement sonore, se présente dans Éclats de façon différente que dans la Troisième sonate et ce sous deux aspects contradictoires. D’un côté l’ouverture proprement dite de la partition pose des problèmes spécifiques de réalisation, puisqu’elle met en jeu un ensemble instrumental dirigé, de l’autre la division du travail propre à un tel effectif offre une opportunité quant à la disparition élocutoire des musiciens, par ailleurs constitutifs de l’entreprise ; autrement dit, le dispositif est théoriquement favorable mais pratiquement problématique. Voyons cela. Indépendamment du modèle mallarméen, il n’avait pas échappé à Boulez que l’univers relatif et en expansion de la pensée sérielle libérait la musique des contraintes s’exerçant sur les enchaînements, mais du même coup rendait ceux-ci eux-mêmes relatifs au risque de paraître arbitraires ; d’où l’idée de ne pas les fixer une fois pour toutes mais d’en offrir différentes possibilités au moyen d’une écriture appropriée. Toutefois, les choix individuels pouvaient s’avérer à rebours de l’esprit même de l’œuvre ouverte ; en outre, dans une situation collective, la multiplicité de principe de ces choix n’avait guère de chance de garantir une articulation fine des situations locales et de l’agencement global, dialectique évidemment non négociable pour Boulez contrairement à tant de ses contemporains séduits par l’indétermination cagienne. En écho aux parenthèses de Trope – mais tout aussi bien aux motifs adjacents se greffant sur quelque motif prépondérant chez Mallarmé comme dans À la nue accablante tu et bien plus explicitement encore dans le Coup de dés qui en est au fond le déploiement en ouverture –, Boulez propose différents types d’enclaves se greffant sur un texte musical espacé, soit une sorte de cantus firmus équivalent aux grandes capitales du Coup de dés, enclaves offrant différents matériaux optionnels que les musiciens doivent joués en réponses réflexes aux gestes imprévisibles du chef d’orchestre comme autant d’éclats sonores, autant dire de « reflets réciproques ». En contrecarrant l’arbitraire des enchaînements par l’urgence des décisions et le surgissement d’événements imprévisibles mais dûment encadrés, ce dispositif avait la vertu réflexive et hautement mallarméenne de mettre la musique à l’écoute d’elle-même en la maintenant en permanence sur le fil tendu de l’instant. Mais Boulez ne poursuivit pas cette orientation – qu’il jugea problématique tant en regard du fonctionnement orchestral que de la constitution d’un langage, lequel n’aura jamais cessé d’être son souci fondamental – et suspendra la question de l’ouverture jusqu’à ce que la technologie dite du « temps réel » à l’IRCAM lui soit l’occasion de la réorienter sous l’égide du virtuel, ce qui certes obéit à une certaine logique mais n’en est pas moins une question qu’il serait difficile de thématiser comme spécifiquement mallarméenne.
13Cette expérience d’Éclats, où se mêle étroitement le travail du compositeur et l’intervention du chef d’orchestre, offre l’occasion d’embrayer sur la performance et la danse de façon tout aussi inopinée que Mallarmé, au fil de Crayonné au théâtre, lorsqu’il relève que la danseuse, en tant que « poëme dégagé de tout appareil de scribe18 », est pure écriture et donne l’exact modèle de la « disparition élocutoire » du poète. Offrons-nous là la malice d’une petite injonction récréative : avec Éclats, Boulez, à son insu, se sera fait danseuse, ce qu’il se sera empressé de sublimer en se plongeant à corps perdu dans la direction d’orchestre : mieux valait la baguette que les ballerines – quitte à diriger mains nus : la danseuse encore, tout de même ! Injonction récréative mais néanmoins des plus sérieuses parce que s’y fait jour la possibilité d’un pas supplémentaire – de danse bien entendu – dans le sens de la démarche mallarméenne et du parti que la musique pourrait en tirer. Le dispositif d’Éclats libère moins les musiciens qu’il ne les attache au chef d’orchestre comme autant de prolongements de lui-même. Par les événements instantanés et imprévisibles qu’ils ordonnent, ses gestes ne se contentent pas en effet de moduler un état prédéterminé, comme dans la direction classique, mais jouent des instruments comme les mains et pieds d’un organiste jouent des jeux d’un orgue – instrument cher à Mallarmé comme l’on sait – pour en actualiser telle ou telle virtualité. En ce sens le corps boulézien dirigeant n’est pas sans évoquer le corps de la danseuse, lequel, en tant qu’il est à la fois présence de la virtualité des événements et présentation de leur actualisation, réalise en quelque sorte constitutivement l’ouverture qui se présente comme une limite inatteignable pour la musique écrite, fût-elle soucieuse d’ouverture : Éclats, en situation audiovisuelle de concert ou plutôt de performance, accède au seuil d’une tout autre dimension, celle-là même qui aura fasciné Mallarmé à travers les mouvements de la Loïe Fuller19 et que cherchera à atteindre Boulez dans Répons (1981-1988) à la faveur d’un dispositif électroacoustique en temps réel.
14En marge de cette orientation technologique, qui à bien égards n’est plus guère mallarméenne en dépit de ce que les spectacles de la Loïe Füller doivent à l’électricité20, qu’impliquerait le pas auquel s’est refusé Boulez après Éclats qui ouvrirait à un troisième temps de la saisie musicale de Mallarmé ? À titre d’hypothèse, je pointerai brièvement quelques aspects de cette perspective à partir des notions d’écriture, de rythme et de scène. Le renoncement de Boulez à l’œuvre ouverte était fondamentalement dû à sa priorité persistante de constituer un langage ; or l’une et l’autre ne font pas bon ménage : le langage musical s’est historiquement développé et se pense exemplairement chez Boulez au prix de l’assimilation de ce qu’il met en jeu dans une logique de stricte autonomie musicale, alors que l’ouverture, au-delà du jeu combinatoire de possibilités équivalentes, fait signe vers un dehors qu’il s’agit d’accueillir comme tel. En ce sens, l’ouverture inhérente au Livre, sauf à vouloir se maintenir dans un théâtre mental, suggère un renoncement au langage tel qu’il a été thématisé par la modernité dans sa quête d’autonomie, autrement dit le déplacement de la « pureté » chère à Mallarmé et Boulez – pourquoi ne pas en effet conserver ce terme, ne serait-ce que parce qu’il est l’indice d’une certaine exigence – sur le terrain non de tel ou tel art en leur stricte spécificité mais de leur exposition à ce qu’ils ne sont pas. Il s’agit alors de comprendre à quelles conditions des éléments hétérogènes peuvent être tenus ensemble de telle manière que s’exprime sensiblement leur non-rapport comme un rapport21, autrement dit d’élargir la notion de rapport à des occurrences gestuelles, sonores, visuelles, etc. qui a priori n’en ont pas, comme s’y sont par exemple employés hier soir Alain Franco, Emmanuelle Huynh et Loïc Touzé22.
15Cette perspective non langagière stricto sensu perpétue paradoxalement l’entreprise de Mallarmé en tant qu’elle fait écho à la libération du rythme par laquelle se réfléchissent les rapports spatiaux et temporels chez le poète. L’initiative donnée aux mots fait certes signe vers ceux-ci en tant que tels – matière sonore et épaisseur conceptuelle –, mais elle les constitue surtout, Pascal Durand y a insisté, comme des occurrences par lesquelles se manifestent des rapports – « Musique dans le sens grec, écrit Mallarmé, au fond signifiant Idée ou rythme entre des rapports23 » –, rapports faisant tendanciellement signe vers un dehors, non pas parce que ces rapports désigneraient telle ou telle chose en particulier mais que ces rapports constituent un plan d’immanence sur lequel toute chose de droit peut s’inscrire pour autant qu’elle sache concourir à l’agencement général. Voilà qui conduit à la scène en tant qu’elle est précisément le lieu même du rythme, de la présentation des rapports de ce qui est mis en jeu. On sait que la scène était idéalement pour Mallarmé le Livre. Celui-ci a eu lieu, en son essentiel inachèvement, et l’on n’y ajoutera pas. Mais puisqu’au « folio du ciel24 » il aura purifié ce dont l’imperfection des arts l’avait conduit à l’altitude, le « Type sans dénomination préalable25 » qu’il est saurait-il en retour informer les planches d’une « Ode » mobilisant le « sens latent en le concours de tous26 » ? Autrement dit, sa haute et durable « suppléance » saurait-elle finalement éclairer la scène réelle d’une possibilité neuve en vue de quelque cérémonial laïc de l’Idée ? Sans doute faut-il prendre quelque recul avec la lumière par trop verticale du lexique mallarméen au profit d’éclairages plus latéraux. Il n’en demeure pas moins que l’ombre de Mallarmé aura coïncidé avec la saturation du modèle ancien de la représentation, celui de l’opéra en particulier, et pourrait accompagner la pratique tâtonnante de la performance en tant qu’elle travaille à la présentation d’un nouveau rapport entre les arts, voire plus généralement de ce qu’il y a. On ne s’étonnera pas de retrouver ici la danse, dont on sait le rôle dans l’essor de la performance, mais aussi l’œuvre ouverte qu’il s’agirait à dessein d’élargir au-delà de toute frontière disciplinaire. Un tel élargissement suppose le renoncement à toute visée d’un langage indexé sur le seul matériau sonore au profit d’une réflexion renouvelée sur le rythme en tant que pensée en acte des rapports, c’est-à-dire, si l’on peut dire, d’une « écriture vivante ».
16« La danseuse n’est pas une femme qui danse », dit Mallarmé, indiquant par là qu’elle « n’est jamais qu’emblème, point quelqu’un27 », et autorise que s’ouvre, en l’absence de « personnages à robes, habits et mots célèbres28 », un intervalle, propre à la rêverie, entre sa nudité conceptuelle et la vacance d’esprit du spectateur. Cette expérience du spectateur de la danse, telle que l’envisage Mallarmé, est en réalité de l’ordre de celle que fait l’auditeur de Constellation ( – Miroir) qui en ses Points et Blocs n’offre pas la moindre prise discursive, pas même l’ébauche d’un phrasé, et ce faisant le confronte à la pure réalité sonore en son articulation différentielle, à son rythme constitutif. Poursuivant l’entreprise boulézienne, Boucourechliev aura poussé d’un cran supplémentaire, avec ses Archipels justement nommés, la déconstruction opérée par Constellation ( – Miroir) et aura quant à lui décliné l’intervalle mallarméen comme ce par quoi l’œuvre ouverte aboutit en tant qu’elle transfère son sens même à l’expérience qu’en fait l’auditeur : « l’unité, c’est vous29 », se plaisait-il à dire en une juste saisie de ce qui était visé. Ce faisant, il aura toutefois franchi le seuil au-delà duquel l’écriture n’est plus suffisamment prescriptive et ne joue plus son rôle : elle laisse prise au retour clandestin de gestes inopportuns et surtout disperse le mode d’attention instantané nécessaire à l’ouverture recherchée. Un troisième temps de la saisie musicale de Mallarmé se précise alors ; il pourrait consister à reprendre à nouveaux frais le principe de l’œuvre ouverte en l’élargissant de droit à ce qui peut faire l’objet d’une présentation sur scène et donc à une prise en compte réfléchie des rapports et non-rapports en présence. La performance pourrait désigner le chantier d’une telle ambition, pour autant du moins qu’elle sache trouver ce à quoi elle aspire en l’exploration tâtonnante des situations hétérogènes qui en sont la matière, soit une pensée en acte des espacements et scansions de ce qu’elle met en jeu – autant dire, redescendue sur les planches, une écriture de la scène.
Notes de bas de page
1 Ravel M., Lettre à Alexis Roland-Manuel, août 1913, citée par Marcel Marnat, Maurice Ravel, Paris, Fayard, 1986.
2 Bonnet A. et Marteau Fr. (dir.), Le Choix d’un poème. La Poésie saisie par la musique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2015.
3 Bonnet A., « Le Choix d’un poème (t) e. De la mise en musique à l’essai musical », in Le Choix d’un poème, op. cit., p. 9-28.
4 Mallarmé S., « Crise de vers » (1886), OC II, p. 210-211.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Pour une étude détaillée de cette comparaison, voir Bonnet A., « Mallarmé, Debussy, Ravel. Les conditions d’une rencontre », in Le Choix d’un poème, op. cit., p. 51-66.
8 Baudelaire Ch., « Lettre du 17 février 1860 », Correspondance, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, p. 672-674.
9 L’interprétation de la musique spectrale comme « poursuite des opérations mallarméennes » (Guy Lelong) me paraît donc relever d’un contresens : si cette musique donne bien l’initiative au sons comme la poésie de Mallarmé la donne aux mots, c’est au prix de faire des sons le fondement substantiel de la musique, alors que Mallarmé cherche dans les rapports de mots à pallier l’absence de tout fondement ; il est à cet égard logique et symptomatique qu’elle ne se soit jamais attachée à la problématique de l’œuvre ouverte. Dit autrement, la musique spectrale décline une conception de l’harmonie, alors que l’entreprise de Mallarmé se pense sous le signe du rythme.
10 Scherer J., Le « Livre » de Mallarmé. Premières recherches sur des documents inédits, préface de Henri Mondor, Paris, Gallimard, 1957 ; puis Scherer J., Le Livre de Mallarmé, Paris, Gallimard, 1973.
11 Boulez P., « Poésie. centre et absence. musique » (1962), Points de repère, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1981, p. 171-188.
12 Lachenmann H., Écrits et entretiens, choisis et préfacés par Martin Kaltenecker, Genève, Contrechamps, 1996.
13 Mallarmé S., « Crayonné au théâtre », OC II, p. 163.
14 Voir à ce sujet Bonnet A., « L’Aura et le terrier » (2005), La Pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits, La pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits, J. Goldman, J.-J. Nattiez, Fr. Nicolas, Sampzon, Éditions Delatour, 2010, p. 91-105.
15 Mallarmé S., « Richard Wagner. Rêverie d’un poëte français », OC II, p. 157.
16 Voir la captation de la performance Constellation Mallarmé, Nijinsky, Debussy, Boulez, création d’Alain Franco (piano), Emmanuel Huynh et Loïc Touzé (danse) dans le cadre du colloque dont les actes sont ici la trace, Le Tambour, université Rennes 2, 13 mars 2015, http://www.lairedu.fr/mallarme-la-musique-la-danse-performance-musique-et-danse/.
17 Mallarmé S., « Crise de vers » (1886), OC II, p. 211.
18 Mallarmé S., « Ballets », OC II, p. 171.
19 Mallarmé S., « Considérations sur l’art du ballet et la Loïe Füller », OC II, p. 312-314.
20 Voir à ce sujet Rancière J., « La danse de lumière. Paris, Folies-Bergère, 1893 », Aisthesis. Scènes du régime esthétique de l’art, Paris, Galilée, 2011, p. 119-136.
21 La notion de synthèse disjonctive chez Deleuze peut être éclairante dans cette perspective ; voir à ce sujet Bonnet A., « Musique, cinéma. Lecture musicienne de Deleuze », in J.-M. Chouvel et P. Criton (éd.), Gilles Deleuze : la pensée-musique, Paris, CDMC, 2015, p. 81-91.
22 Op. cit., http://www.lairedu.fr/mallarme-la-musique-la-danse-performance-musique-et-danse/.
23 Mallarmé S., lettre à Edmund Gosse, 10 janvier 1893, OC II, p. 807.
24 Mallarmé S., « Crayonné au théâtre », OC II, p. 162.
25 Mallarmé S., « Richard Wagner. Rêverie d’un poëte français », OC II, p. 157.
26 Ibid.
27 Mallarmé S., « Ballets », OC II, p. 171.
28 Ibid., p. 170.
29 Boucourechliev A., Dire la musique, Paris, Minerve, 1995, p. 188.
Auteur
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