Leibniz, Novalis, Gödel
Balistique du romantisme allemand
p. 239-272
Texte intégral
1Il existe une philosophie du romantisme allemand, laquelle a été étudiée avec toute la précision voulue par André Stanguennec1. Dans cette note, ce n’est donc pas sous l’angle philosophique mais sous l’angle balistique que nous nous proposons d’aborder le romantisme allemand. En nous concentrant, chez Novalis tout particulièrement2, sur trois types, trois classes de figures qui sont autant d’automates et d’automates réversibles : les figures électriques de Lichtenberg, les figures acoustiques de Chladni et les figures galvaniques de Ritter. Ce faisant, nous essayons de dégager une mécanique générale à l’œuvre ou, pour être plus exact, une balistique générale. C’est que la science de Novalis est à l’extérieur, une science de plein vent, procédant à partir d’éléments aériens pour aboutir, in fine, à quelque concrétion. Il est possible de modéliser le laps de temps qui court de Leibniz à la fin du xviiie sur le modèle parabolique. Dans ce cas, il est possible de se représenter le xviiie finissant comme une coiffe. Et Novalis vient se placer au faîte de cette coiffe parabolique. Une fois celle-ci en place, nous procédons par encadrements successifs : il devient possible de lire, vers l’amont, Leibniz et, vers l’aval, Gödel. À gauche donc et en amont, Leibniz, inventeur du calcul balistique (différentiel et intégral) ; à droite et en aval, Gödel, à la recherche d’une balistique universelle conçue sous la forme d’univers en rotation. Du calcul différentiel aux univers en rotation, en passant par les champs figurés novalisiens, la voie est ainsi ouverte. En 1994, au Congrès Novalis, nous avons introduit le topos « Leibniz et Novalis » Dans cette note, nous poursuivons le mouvement entamé et introduisons à présent Gödel dans l’équation et, plus exactement, le topos « Novalis et Gödel ». Si l’on convient que la cosmologie est une forme d’hydrodynamique, alors il est possible de poser de loin en loin des coupures sur ce flux. C’est pourquoi, après avoir présenté en une première partie la courbe d’eau chez Leibniz, nous posons ensuite deux retenues, que nous examinerons successivement :
Retenue I : Novalis
Retenue II : Gödel.
Une courbe d’eau : loxodromie
2Dans un article sur le Minéral3, nous avons présenté Leibniz versus Novalis de façon contrapunctique. Il en allait de même dans notre article de 19974. Dans l’article présent, nous entrons résolument au cœur de la problématique leibnizienne, et par les voies leibniziennes, donc de façon non contrapunctique, de façon directe pour ainsi dire ; et nous entrons par une voie d’eau. Nous avons ailleurs parlé de la terre (via la Protogaea). Nous partons ici non de la terre, mais de l’eau. L’eau, qui est au cœur même du leibnizianisme. Comme on le sait, l’hydrologie est un parent pauvre du commentaire leibnizien5. C’est pourquoi nous partons ici d’une courbe d’eau : la loxodromie. Dont nous pouvons dériver d’autres courbes, qui sont comme enveloppées en elle : cycloïde, brachistochrone6, etc. Et de la brachistochrone, nous pourrons passer ensuite aux champs novalisiens, diffractés en trois sous-ensembles : Lichtenberg, Chladni et Ritter.
3Nous le savons depuis la Protogaea : cercles, ellipses, paraboles, hyperboles, les coniques sont inscrites à même la terre : « Une veine est comme une sorte de feuillet ou de couche… distinct de tout ce qui l’entoure, et dont on ne saurait donner une idée plus juste que par la comparaison des sections coniques. Car les filons que l’on appelle chez nous veines pendantes se terminent en forme de cercle ou en ellipse, et ceux que l’on nomme veines tombantes semblent se prolonger à l’infini vers les profondeurs de la terre, comme les lignes désignées par les géomètres sous les noms d’hyperbole et de parabole7. » Inscrites à même la terre avant que de l’être au ciel des mathématiques. L’empreinte, la frappe tourbillonnaire est dans la terre déjà, avant que de l’être au sein des autres éléments. Pour le comprendre, il nous faut considérer le statut d’une classe bien particulière de mathématiques : les mathématiques mixtes, celles qui, justement, font intervenir les résistances passives. Leibniz a compris que les succès viendraient sans doute moins de la métaphysique pure ou de la mathématique pure que de la mathématique appliquée à des problèmes physiques. C’est pourquoi, dans sa correspondance avec Clarke, il précise bien les choses :
« Le grand fondement des Mathematiques, est LE PRINCIPE DE LA CONTRADICTION OU DE L’IDENTICITE […]. Mais pour passer de la Mathematique à la Physique, il faut encore un autre principe, comme j’ay remarqué dans ma Theodicée, c’est LE PRINCIPE > DU BESOIN D’UNE < RAISON SUFFISANTE. […]. C’est pourquoy Archimede en voulant passer de la Mathematique à la Physique dans son livre de l’Equilibre, a été obligé d’employer un cas particulier du grand principe de la raison suffisante ; Il prend pour accordé, que s’il y a une balance, où tout soit de même de part et d’autre, et si l’on suspend aussi des poids egaux de part et d’autre aux deux extremités de cette balance, le tout demeurera en repos. C’est parce qu’il n’y a aucune raison pourquoy un coté descende plustost que l’autre8. »
4En vertu de quoi Dieu peut produire tout le possible qui n’implique point contradiction, mais il veut produire, entre tous les possibles, le meilleur, c’est-à-dire l’optimum. C’est le départ entre la puissance et la volonté. Leibniz maintient les deux principes, mais avec deux domaines d’application : le principe de non-contradiction, principe des essences, pour le nécessaire ; le principe de raison suffisante, principe des existences, pour le contingent. Qu’en est-il des mathématiques appliquées ? Les mathématiques appliquées aux problèmes physiques portent un nom : elles sont dites mathématiques mixtes. Que sont, donc, les mathématiques mixtes9 ? Elles ont pour particularité de s’occuper d’objets situés entre l’abstrait et le concret, entre les mathématiques pures et la physique appliquée. Elles s’occupent, disons-le ainsi, d’objets à la fois mi-abstraits et mi-concrets. Les mathématiques mixtes concernent donc des courbes comme la courbe isochrone, l’isochrone paracentrique ou la brachistochrone. La chaînette, par exemple, n’est plus une simple courbe mécanique, au sens où Descartes l’entend : elle est aussi et surtout une courbe statique. C’est dire qu’on ne peut pas la construire par une simple composition de mouvements. De sorte que ce ne sont pas simplement les mouvements ou les trajectoires qui sont considérés, mais aussi les concepts qui font intervenir la statique : le centre de gravité doit alors être introduit. L’idée de recourir au centre de gravité pour résoudre un problème purement géométrique montre bien une forme de mixité, pour parler ainsi, entre physique et mathématiques. Le centre de gravité constitue un des concepts centraux des mathématiques mixtes, étape essentielle dans le mouvement de mathématisation de la physique. La fécondité du centre de gravité en géométrie, comme celle de la plupart des courbes de mathématiques mixtes, repose souvent sur les propriétés de maximum. Ce qui signifie que ces courbes mettent à l’ordre du jour la nécessité d’une nouvelle méthode de « maximis et minimis » qui soit d’ordre qualitatif plus que quantitatif.
5Après avoir considéré brièvement le statut des mathématiques mixtes, venons-en à la loxodromie10. C’est, nous l’avons dit en préambule, une courbe d’eau. Qu’est-ce à dire ? Le calcul de la courbe loxodromique constitue une application très concrète du calcul différentiel nous introduisant dans le monde de la navigation. Leibniz songe ici à corriger les défauts de la cartographie maritime courante, et à améliorer ainsi la vie des marins en leur facilitant la navigation selon une méthode plus assurée. Jusque-là, les mathématiciens n’avaient pu calculer que des tables d’approximations donnant, pour chaque rhumb, la longueur du chemin parcouru en fonction du changement de longitude de degré en degré. L’usage s’était établi de représenter sur les cartes les méridiens par des droites parallèles, ce qui offrait l’avantage de ramener à une ligne droite le mouvement d’un vaisseau dans une même direction du vent (un même rhumb) (c’est cette ligne « également inclinée à tous les méridiens » qu’on appelle loxodromie) ; mais cette méthode a le défaut de faire paraître la trajectoire plus longue, ce qui contraignait les navigateurs à des calculs laborieux, et parfois tout à fait inexacts. Comment Leibniz s’y prend-il pour améliorer les choses ? Il calcule l’arc de trajectoire dans un même rhumb, c’est-à-dire qu’il fournit la mesure de la courbe rhombique (ou loxodromique) en fonction de la longitude. Avancée essentielle, car les problèmes faisant intervenir la longitude étaient des plus laborieux.
6Il se trouve que, en 1686, Edmond Halley, avait établi, au moyen d’une analogie entre la courbe loxodromique et la spirale logarithmique, que, lorsqu’un vaisseau suit une loxodromie, la variation de longitude est comme le logarithme de la tangente du demi-complément de latitude. Cependant, on ne peut douter que le résultat de Leibniz soit bien antérieur à celui de Halley. De plus, il ne repose pas sur une analogie (comme c’est le cas chez Halley), mais sur un raisonnement montrant la supériorité de la nouvelle méthode. Sur le plan mathématique, l’intérêt de l’article de Leibniz tient surtout à la jonction qu’il opère entre les deux manières de calculer la chaînette, ce qui avait échappé à Huyghens. Mais le point commun aux deux courbes va bien au-delà : en effet, la courbe loxodromique s’apparente à la courbe brachistochrone, dans la mesure où elle représente le chemin le plus court entre deux points sur l’eau, mer ou océan. C’est là, pour notre présentation, le point essentiel : le double passage qui peut être ménagé de la loxodromie à la brachistochrone ; puis de la brachistochrone aux champs.
7Après avoir considéré la courbe loxodromique, nous introduisons pour finir la brachistochrone11. C’est, croyons-nous, le nerf de la question qui nous occupe. Et nous verrons se déployer toute son importance chez Novalis lorsqu’il va être amené à considérer trois champs (les champs électriques, sonores et galvaniques). Pour le dire brièvement, ces trois champs sont induits par la considération de la brachistochrone. D’où l’importance que nous lui accordons. Voyons ce qu’en dit Leibniz lui-même :
« Enfin il y a très peu de temps, M. Bernoulli […] s’est attaqué à l’étude d’un autre problème, celui de la trajectoire de chute la plus rapide, auquel Galilée s’était également essayé sans succès, problème dont la beauté et les applications n’ont rien à envier à celles de la Chaînette ; il l’a résolu, et a invité les autres à l’imiter. Voilà comment deux illustres problèmes que Galilée avait bel et bien posés, mais dont il avait cherché la solution en vain et de manière incorrecte, ont trouvé leur réponse grâce à notre calcul. Le génie et la perspicacité de Galilée ne sont naturellement nullement en cause, simplement en son temps l’art de l’analyse n’était pas suffisamment avancé, sa partie supérieure, l’analyse infinitésimale était encore plongée dans les ténèbres, c’est pourquoi il ne pouvait guère espérer découvrir des solutions de ce type. Il augura que la Chaînette était la Parabole et la Trajectoire de chute la plus rapide le Cercle, ce en quoi il était très loin de la vérité, puisqu’on détermine la Chaînette par les Logarithmes, c’est-à-dire par rectification d’arcs paraboliques, et la Trajectoire de chute la plus rapide par une rectification d’arcs circulaires. Mais M. Jean Bernoulli a abordé la question sous de meilleurs auspices, non seulement il fut le premier à découvrir que la courbe de la chute la plus rapide était la Cycloïde, mais il s’est aperçu que cette courbe Brachystochrone recélait un autre secret : celui de la courbure des rayons lumineux dans un milieu se modifiant continuellement… Il est tout à fait intéressant de noter que seuls ont résolu le problème ceux qui nous avaient semblé pouvoir le faire, c’est-à-dire exclusivement ceux qui ont bien compris les secrets de mon calcul différentiel12… »
8Sur une loxodromique comme sur la brachistochrone, le plus court chemin n’est pas nécessairement le plus droit ni le plus aisé. S’il en est ainsi, c’est qu’il doit affronter le monde, eau ou terre, et ses résistances passives. Leibniz revient sur la courbe qu’il a construite en 1689 et y reconnaît une enveloppe. Leibniz retient donc la définition des courbes optiques comme enveloppes d’ellipses, d’hyperboles ou de paraboles. C’est que les enveloppes éclairent un aspect encore inexploré du calcul différentiel. Jean Bernoulli avait énoncé le problème de la brachistochrone en juin 1696. Parmi tous les problèmes de mathématiques mixtes, c’est sans doute celui de la brachistochrone qui a frappé le plus l’esprit des mathématiciens et des physiciens. L’impact de ce problème tient à trois raisons13 : le paradoxe, l’enveloppement et les implications. En effet, d’une part, la brachistochrone offre un exemple d’une propriété paradoxale. Cette courbe est un véritable défi au sens commun : qui peut mettre en doute le fait que le moyen le plus rapide d’aller d’un point à un autre soit la ligne droite ? Ensuite, cette nouvelle courbe dissimule une autre courbe bien connue : la cycloïde. Dans l’Horologium oscillatorium, Huyghens démontre que partant d’un point quelconque d’un arc de cycloïde, tous les corps pesants atteignent en même temps son sommet ; c’est par référence à cette propriété que Jean Bernoulli inventera le nom définitif de brachistochrone. Enfin, les implications métaphysiques sont d’importance puisqu’elles touchent à l’harmonie. La brachistochrone offre un exemple de calcul de maximis et minimis beaucoup plus général que ceux traités par les méthodes de Fermat. En effet, c’est la nature de la courbe elle-même qui doit répondre à une propriété de maximum. Or la solution de Leibniz comme celle de Jacques Bernoulli (et non celle de Jean Bernoulli) repose sur un transfert homogène de la propriété de maximum du niveau global au niveau local. Il est possible de trouver l’équivalent de cette homogénéité du local et du global dans la métaphysique de l’harmonie. Il reste à dire l’harmonie dans le contexte de l’idéalisme14.
Théodicée15, annexes 1744
9Dans ce paragraphe consacré à l’annexe 1744, nous dérivons le discret, l’espace discret, à partir de l’espace continu qui vient d’être présenté ci-dessus. Dans ce chapitre, nous passons du continu de la courbe d’eau au discret des espaces combinatoires. On sait le rôle de Leibniz dans l’étude de ces espaces discrets, et ce, depuis le De arte combinatoria de 1666. Plus étonnant est la présence du discret au sein même de la Théodicée. Pour être plus précis, Novalis lira la Théodicée dans une édition de 1744, établie par les soins de Gottsched. D’où notre intérêt pour cette édition pleine de surprises. Dans sa bibliothèque, Novalis possédait en effet la Théodicée de Leibniz dans l’édition de Gottsched (1744)16. Cette édition présente quelques particularités notables. En particulier, des annexes fort nombreuses (p. 768-843) qui viennent compléter et enrichir l’ouvrage de base. L’une de ces annexes nous intéresse tout particulièrement. Située aux pages 822-838 de cette édition, elle porte un titre assez long : « Des Herrn von Leibnitz Rechnung mit Null und Eins, und die aus selbiger fliessende Erklärung der chinesischen uralten Charakteren des Fohi, wie die Nachricht davon ehemals Herrn Tenzels curiöser Bibliothek einverleibet gewesen. »
10Il est étonnant de trouver un tel texte au beau milieu ou, plus exactement, en marge, ou en annexe de la Théodicée. Ce texte n’est pas seul, il est vrai, puisqu’on trouve, aux annexes III et IV, deux autres annexes, consacrées à la technologie de la computation. Ce qui est encore plus étonnant. C’est dire que la théorie n’est rien si elle n’est pas accompagnée d’une technologie correspondante ; et inversement : la technologie n’est rien, si elle n’est pas accompagnée d’une théorie. L’annexe III est consacrée à la machine à calculer leibnizienne ; l’annexe IV, à la description d’un instrument arithmétique.
11À la page 822 est présentée la progressio denaria (de 0 à 9), la progressio quaternaria (de 0 à 3) et, pour finir, la progressio binaria (de 0 à 1). Sur cette dernière, il écrit : d’après cette progression binaire, seuls les caractères 0 et 1 sont mobilisés. Il faut voir dans ce texte (16 pages) la présentation du fondement de la théorie binaire, qui va former la base de toute la théorie moderne de la computation. À la page 824, il est précisé que cet art de calculer n’est pas montré dans l’intention de l’introduire dans l’usage courant, mais bien parce qu’il est d’une utilité parfaite pour de nouvelles inventions dans la science des nombres. Car tout va per periodos. Aux pages 824 et suivantes, il est procédé à une extension du domaine culturel, de l’Europe vers l’Orient : il y va de la Chine, de la pensée chinoise des nombres17, et de leur symbolisme Car les caractères chinois, attribués à Fohi, signifient au mieux cette arithmetica binaria. Tout le fondement de cette doctrine repose en effet sur le livre Yekim, ou liber mutationum (p. 826-827). On dit « livre », mais il est dit page 827 que ce livre est autre chose qu’un livre. C’est que « l’auteur » y a déposé autant de lignes et figures hiéroglyphiques où les éléments sont présentés sous forme de traits, tantôt entiers, tantôt rompus (ciel, terre, éclair, montagnes, feu, nuages, eau, vents). Page 825, il est précisé que les Chinois déploient, à partir du chaos, le Yn, l’incomplet (das Verborgene und das Unvollkommene), et le Yang, le complet (das Offene und das Vollkommene), et en appliquant telle et telle combinaison, on parvient au nombre 64 : 64, le nombre même des symboles. Aux pages 825-826, et à titre d’exemple, est présentée la matrice carrée suivante :
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12C’est à partir de ces combinaisons, que naît « la variété et la foule différenciée de toutes choses » (p. 825) Mais il ne s’agit pas tant, dans ce déploiement, de la vérité des choses (Wahrheit der Sachen), que d’art du calcul (Rechenkunst).
13Certes, nous le savons, la Théodicée n’est pas, n’est plus, le De arte combinatoria ; elle ne s’épuise pas dans les calculs, bien au contraire : il s’agit de tout autre chose, savoir trouver une porte de sortie à un double labyrinthe, celui du continu et celui de l’infini. Plus fondamentalement : la Théodicée affronte le problème de la puissance et vise à neutraliser la virulence de la potentia absoluta, autrement dit la virulence de l’eschatologie. Nous retrouverons ce problème un peu plus loin dans le romantisme allemand.
La fabrique de fragments
14En complément de cette base combinatoire établie par Leibniz en 166618, complétée en arrière-plan par le texte De l’horizon de la doctrine humaine19, et parachevée par la Théodicée version 1744, il convient, par souci de complétude, de mentionner la combinatoire baroque, qui agit dans les textes, dans et par les lettres. Celle de Harsdörffer et Schwenter, d’une part, celle de Kuhlmann, de l’autre. Pourquoi ? C’est que cette combinatoire, au départ purement mathématique, ne manque pas de retentir sur les lettres et notamment sur la poésie. Et ce, jusqu’à aujourd’hui : c’est une sorte de littérature potentielle avant la lettre. Car de Georg-Philipp Harsdörffer & Daniel Schwenter (Deliciae physico-mathematicae) à Raymond Queneau, la littérature potentielle, c’est-à-dire fragmentaire et sérielle, est en continuité. La littérature potentielle n’est que l’autre nom de la littérature combinatoire. C’est pourquoi Queneau, l’auteur des 100000 milliards de poèmes, peut publier aussi au Journal of Combinatorial Theory de Gian-Carlo Rota un article sur les suites s-additives20. Quel est le lien avec Novalis ? En 1992, nous avions tenté un rapprochement possible entre les deux, mais sans preuve matérielle explicite. Aujourd’hui, grâce à la publication des Journaux de Queneau, on dispose de la preuve d’une proximité : tous deux, Novalis et Queneau, citent et utilisent (chacun à sa façon, il est vrai) le mathématicien allemand C.F. Hindenburg21. Mais revenons à Queneau. Celui-ci écrit dans son Journal de 1949 cette phrase décisive, qui vient confirmer notre hypothèse de départ : « 72 – L’avenir : le calcul combinatoire. Réhabiliter Hindenburg22 ». Réhabiliter Hindenburg, soit, mais pour quelle raison ?
15Dans sa postface aux 100 000 milliards de poèmes de Queneau, François Le Lionnais en donne la raison et définit le calcul combinatoire appliqué aux lettres en ces termes : « Sans doute les combinaisons que l’on peut forger, en s’en remettant au hasard, ne sont-elles pas toutes d’égales valeurs. Elles représentent cependant plus qu’une collection de cadavres exquis […] Harsdörffer échange des mots, alors que Queneau échange des alexandrins » (postface, n. p.).
16L’exemple le plus connu de cette pratique est celui des poèmes protéiques de Harsdörffer. Ainsi, en permutant les mots équisyllabiques suivants :
Ehr, Kunst, Geld, Guth, Lob, Weib und Kind
Man hat, sucht, fehlt, hofft und verschwind
17et, à condition de changer sucht en Sucht, fehlt en Fehl, Man en Mann, par permutation, on peut obtenir 3628800 poèmes différents, soit :
10 ! = 1 x 2 x 3 x… x 10.
18On peut se faire une idée de cette littérature combinatoire et potentielle en la lisant et en opérant des combinaisons. On peut aussi l’ouvrir au champ acoustique, et l’entendre. L’enjeu est alors d’entendre et de faire entendre des fragments, non plus simplement de les lire ou de les combiner.
19C’est pourquoi, aux références indiquées ci-dessus (Harsdörffer et Schwenter), nous voudrions ajouter Quirinus Kuhlmann et son Libes-Kuss de 1671 dont voici un court passage, extrait de Der XLI. Libes-Kuss. Der wechsel menschlicher sachen23 :
Auf Nacht/Dunst/Schlacht/Frost/Wind/See/Hitz/Süd/Ost/West/Nord/Sonn/Feur und Plagen
Folgt Tag/Glantz/Blutt/Schnee/Still/Land/Blitz/Wärmd/Hitz/Lust/Kält/Licht/ Brand und Noth.
Auf Leid/Pein/Schmach/Angst/Krig/Ach/Kreutz/Streit/Hohn/Schmertz/Qual/ Tükk/Schimpf als Spott
Wil Freud/Zir/Ehr/Trost/Sig/Rath/Nutz/Frid/Lohn/Schertz/Ruh/Glükk/Glimpf/ stets tagen.
Alles wechselt ; alles libet ; alles scheinet was zu hassen :
Wer nur disem nach wird denken/musz di Menschen Weissheit fassen.
20Une tentative a été faite en ce sens par le compositeur Mauricio Kagel. Elle date de 200624. Ce que fait Kagel dans cette composition revient à faire entendre le fragment combinatoire Libes-Kuss soumis à vibration, évoluant dans un champ vibratoire, ici un champ vocalisé. La vocalisation du poème donne à entendre la fragmentation combinatoire à l’œuvre, semblable à des heurts balistiques dans un random walking poétique et musical. Cette composition musicale de Kagel peut servir d’introduction, mais d’introduction contrapunctique, à un traité d’acoustique théorique : les Entdeckungen über die Theorie des Klanges de Chladni (1787) que nous aborderons plus tard dans cet article. Le Libes-kuss s’inscrit dans cette veine combinatoire, qui court du baroque à la littérature potentielle, et bien au-delà : dans la science-fiction contemporaine, par exemple, elle trouve un point d’aboutissement dans le texte d’Arthur C. Clarke : Les neuf milliards de noms de Dieu25. Ici, point de scénarios parallèles ou alternatifs ; simplement, l’exhaustion des possibilités combinatoires par des super-calculateurs se résout parallèlement en une extinction du monde26.
Computation inverse : Hänsel et Gretel
21La nouvelle question qui se pose, après avoir étudié le passage du continu au discret (via les annexes 1744), c’est le problème de la computation, d’abord directe puis, nous le verrons, indirecte ou inverse. Pour effectuer ce saut, il nous faut faire intervenir une figure : l’ordo inversus, celle-là même que Novalis pratique dans et par ce qu’il appelle « idéalisme magique ». À partir de la progression binaire et de l’arithmétique binaire, il est possible de tabuler les possibilités de calcul et, par retour, le monde (cf. les tables et tableaux de l’annexe 1744) ; autrement dit, il existe une dynamique du calcul binaire, celui qui est au fondement même de la possibilité de computer et au fondement de l’implémentation de cette computation dans des instruments physiques (computers). Mais au-delà de la dynamique du calcul, il apparaît, au xixe siècle, avec l’irruption du feu (cf. Sadi Carnot et James Clerk Maxwell), non seulement une simple dynamique de la computation, mais aussi une thermodynamique de la computation. Toute cette thermodynamique de la computation tourne autour d’une figure appelée d’après J. C. Maxwell en 187127 : « le démon de Maxwell ». Ce « démon » sera interprété tout au cours du xxe siècle dans le sens suivant, par Leo Szilard (1929), Léon Brillouin (1956) et Dennis Gabor (1961)28 : il existe un coût thermodynamique de la computation, et ce coût est à rechercher au niveau de l’acquisition de l’information. Mais en 1961, au rebours de cette longue tradition, Rolf Landauer montre que29, d’un point de vue physique, il n’en était rien ; que ses prédécesseurs ont fait fausse route. C’est une véritable révolution, inverse comme il se doit. Selon R. Landauer, le véritable coût thermodynamique de la computation ne doit pas être cherché dans l’acquisition mais, tout au contraire, dans la destruction de l’information, dans son effacement. C’est au niveau de l’effacement que l’information coûte et non ailleurs. Il faut donc, si l’on veut évaluer les coûts en énergie de la computation, étudier les procédures d’effacement. Les travaux de Landauer vont être repris et amplifiés par Charles Bennett, en 1973 et 198230, et aboutiront à la définition d’une théorie de la computation réversible. Ce dernier point a été validé par le physicien, Richard P. Feymann en 1985 dans l’optique d’une computation quantique31 : « Le fait de réaliser que c’est l’effacement de l’information, et non la mesure, qui est à la source de la génération d’entropie dans le processus computationnel a été une percée majeure dans l’étude de la computation réversible. » Feynman poursuit : « Les computers réversibles sont plutôt comme des machines de Carnot, où les réversibles sont les plus efficaces. »
22Quel rapport peut-on précisément établir entre cette computation inverse et le romantisme ? Il existe un ordo inversus, aurait dit Novalis. Il peut être mis en œuvre, et il ne manque pas d’efficacité. Pour rendre manifeste ce rapport, partons d’un récit, très exactement du conte des frères Grimm : Hänsel et Gretel. Ce conte est particulièrement bien adapté pour faire comprendre, de façon figurée et imagée, ce que peut être un calcul inverse ou, si l’on préfère, une computation inverse. Penchons-nous donc sur Hänsel et Gretel. On se souvient de ce conte pour enfants où il s’agit d’éloignement, d’égarement et de retour. Soit une famille de paysans pauvres ayant des enfants à nourrir. La famine sévit dans le pays et les parents ne peuvent plus subvenir à leurs propres besoins ainsi qu’à ceux de leurs enfants. Il est donc décidé de les perdre en forêt ; mais l’un des enfants a entendu le noir dessein et prend quelques précautions : contre le sort qui les attend, il fait un calcul rapide, lequel consiste à emplir ses poches de petits cailloux. Si le caillou est un calcul, le calcul se fait aussi à partir de cailloux. Et au fur et à mesure qu’il s’éloigne de la maison, il dissémine ses petits cailloux le long du chemin à l’aller. Car, pour retourner au point de départ, malgré l’égarement, rien de tel qu’une dispersion bien calculée de petits cailloux semés ici et là. Retrouver son chemin, toujours vers la maison, à travers le calcul ; mais le calcul inverse. Car les cailloux déposés à l’aller sont susceptibles d’être reconnus au retour, à la lumière de la lune, ramassés et relevés. Cailloux et lune conjugués permettent la boucle en retour, le retour à la maison des parents. De sorte que la question novalisienne : où allons-nous ? peut être résolue ainsi : nous allons toujours vers la maison, certes, mais par calcul inverse.
Retenue I : Novalis
23La question qui ne manque pas de se poser, comme par voie de conséquence, est la suivante : Novalis évolue-t-il dans un monde résolument fragmentaire ? Novalis est-il le grand fragmentateur ? La fabrique de Novalis, est-ce, pour le dire autrement, la fabrique de fragments ? Ou bien s’agit-il d’autre chose ? Pour nous, l’enjeu novalisien est tout autre. Les fragments, certes, existent ici et là. Cela est incontestable. Mais non pas dans Das Allgemeine Brouillon, comme on le croit trop souvent. Hans-Joachim Mähl l’a bien dit, et de manière définitive. Quand ils existent (en tant que fragments), quand ils sont posés en tant que tels, ils n’existent que pour être déposés et relevés. Pour le dire d’une formule qui, selon nous, définit en même temps l’idéalisme magique, les fragments sont appelés, certes, mais pour être révoqués. Pour prendre un modèle non-figuré, de même que le savant compute les lois empiriques en intégrant des équations différentielles, Novalis procède dans sa pratique d’écriture à une intégration généralisée des fragments32. La question qui se pose désormais est la suivante : comment s’effectue cette intégration, tantôt accomplie, tantôt à venir ? Il faudrait, pour répondre précisément à cette question, développer une théorie générale de la révocation par liaisons multiples, qui est au principe même de l’idéalisme magique selon nous33. C’est pourquoi Leibniz est important dans ce contexte. Cette théorie générale n’existe pas à l’heure actuelle. Nous reviendrons sur cette question en un autre lieu. Pour prendre une seconde image, figurée et cosmologique cette fois-ci, soit le modèle du « Dipole Repeller34 ». Ce modèle, introduit dès maintenant, est annonciateur de notre troisième partie. Il prévoit, d’un côté, un répulseur (repeller), de l’autre un attracteur (attractor). Si l’on suit ce modèle, on pourrait dire que les fragments sont assignables au pôle répulseur tandis que la révocation s’effectue au pôle attracteur. Mais répulseur et attracteur vont de pair. Ils sont nécessaires l’un et l’autre, dans leur tension essentielle. Et c’est cette tension entre les deux qui doit être maintenue au cours du temps. C’est elle qui fait champ. Si cette tension vient à manquer, c’est l’effondrement sur un pôle qui se manifeste : soit effondrement sur le répulseur (et ce sont les fragments qui dominent), soit effondrement sur l’attracteur (et ce sont les monopôles qui dominent). Nous évoluons donc dans un champ oscillant, où la dominante penche tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.
24Face aux flux, il faut poser une ou plusieurs retenues, afin d’obtenir un équilibre/déséquilibre affirmatif. C’est tout le sens des travaux fondamentaux de Gabriel Trop35. En effet, face aux fragments, Novalis déploie toute une stratégie bien différenciée. Il rappelle la lettre de Jacobi à Fichte36, qui met en avant deux temps forts37. Le premier : « Une voie d’errance a été entièrement coupée. Il n’est plus dorénavant excusable pour personne de laisser sa raison s’exhaler, ou d’espérer encore trouver, enfin, la vraie Cabale, et de produire à l’aide de lettres et de chiffres des êtres et des forces vivantes. » C’est la voie que nous venons de présenter plus haut. Le second : « (Kant et Fichte) : Ils ont découvert la mécanique supérieure de l’esprit humain ; ils ont, dans le système intellectuel, donné une présentation exhaustive de la théorie des mouvements dans des milieux qui opposent résistance (in widerstehenden Mitteln), et accompli dans un autre domaine ce que Huyghens et Newton avaient fait dans le leur… » Ce second moment est essentiel, puisqu’il nous introduit à une théorie générale des mouvements dans les milieux résistants. Et ce, aussi bien dans le monde physique que dans le monde intellectuel. Rappelons tout d’abord ce qu’il en est dans le monde matériel. La balistique romantique (Frühromantik) tient en une formule, délivrée par Novalis. Cette formule s’énonce ainsi : « Selbstsortierungssystem der Natur38 », soit : « système d’auto-sélection de la nature ». C’est la réponse novalisienne à l’optimum leibnizien. Mais que faut-il entendre par là au juste ? C’est ce que nous allons voir en toute précision, d’abord en étudiant le phénomène d’un point de vue abstrait et général puis en étudiant la déclinaison de cette formule selon trois figures et trois champs : Lichtenberg, Chladni et Ritter.
25Il convient d’étudier d’abord le mouvement dans les milieux résistants. Soit un mobile se déplaçant dans un milieu, électrique, sonore, galvanique, qu’importe ? Ce milieu n’est pas neutre, mais il oppose résistance au déplacement du mobile. Ce pourquoi le plus court chemin d’un point à un autre ne peut être la ligne droite, sauf dans un milieu idéal. Dans le monde réel, il en va tout autrement ; d’où la question, mentionnée plus haut, de la brachistochrone. Il y a bien, d’une part, la translation et, d’autre part, la giration. Non pas l’une sans l’autre, mais l’une avec l’autre, où la translation représente un principe accélérateur, la giration, un principe d’inertie. Dans le monde réel, ces deux mouvements sont composés. Dès qu’une dynamique réelle est en jeu, les trajets ne peuvent être rectilignes, les lignes doivent composer avec les résistances passives, et les lignes de force, avec les surfaces équipotentielles. D’où ces deux remarques, en guise de résumé : 1) l’apologie de la Tätigkeit est la nouveauté majeure du xviiie, mais aussi le risque majeur : si elle est poussée à l’extrême, elle minimise, à l’extrême également, l’inertie du système. Question fondamentale : qu’est-ce qu’un système d’où toute inertie a été bannie ? Un tel système implose sur lui-même dans une sorte d’effondrement polaire. C’est le premier résultat. 2) La question rebondit : comment échapper à l’implosion ? Par quelles lignes de fuite ? Par quelles échappées belles ? Autrement dit : à quelles conditions un système mécanique est-il viable ? La viabilité est liée non à la polarité ou à la mono-polarité, mais à la composition. Le système doit composer à la fois des potentiels et des équipotentiels, des éléments accélérateurs et des éléments freinateurs, des lignes de force et des surfaces équipotentielles. C’est le second résultat.
26Or, c’est précisément ce que l’on observe dans les champs électriques de Lichtenberg, les champs sonores de Chladni et les champs galvaniques de Ritter, tels que Novalis les perçoit. Tous trois manifestent ces traits communs : des lignes de force qui viennent composer avec des surfaces équipotentielles. Dès lors, on comprend mieux l’intérêt que leur porte Novalis.
Une « métaphysique de la poussière39 » ?
27Le romantisme allemand (la Frühromantik plus exactement) est-il une bombe à fragmentation ? On peut se poser la question, tant les commentateurs à la suite de Maurice Blanchot40, ont mis l’accent, hors de toute mesure, sur les fragments et la fragmentologie romantiques. Comment comprendre, et renverser, un tel contresens ? Selon nous, l’enjeu de la Frühromantik est tout autre. Il ne s’agit pas tant de semer des fragments à tout va ; le baroque y suffit amplement. Si les fragments sont appelés, c’est pour mieux ménager un espace qui permette d’échapper, de façon locale d’abord, de façon globale ensuite, à un concassage généralisé. L’enjeu de la Frühromantik est donc moins l’appel au fragment que la révocation des fragments. Sur un champ aporétique discret – continu, où se situe Novalis ? Comme il a été dit plus haut : chez lui, le fragment est, certes, appelé mais pour être révoqué. Question : pourquoi à la fois appeler les fragments et les révoquer ? Pourquoi cette double exigence ? C’est qu’il convient de maintenir une tension essentielle. Ce que nous avons dit plus haut en faisant double référence au modèle non-figuré de l’intégration et au modèle figuré du « Dipole Repeller ». C’est tout l’enjeu. Ne mettre l’accent que sur la fragmentation, c’est laisser échapper la tension essentielle qui nourrit la Frühromantik. Dès lors, la compréhension du mouvement hyperbolique et de la transition de phase, saisis dans leur tension essentielle, s’évapore. Toute la dynamique de la Frühromantik est perdue. C’est l’effondrement polaire.
28Il nous faut compléter le panorama et considérer deux autres notions conjuguées : celle de Potenz et celle de forme. L’apologie de la Tätigkeit à laquelle se livre Novalis, si elle était pleinement investie par l’infini, serait une Tätigkeit sans inertie. Si une telle chose, extrémale, était possible, alors ce serait le règne sans partage du non-contour. Si l’on pousse en effet la logique de l’infini à fond, jusqu’à adopter un mode hyperbolique, alors il n’y plus, à la limite extrême, ni inertie ni résistances passives. Mais, du coup, sans résistances passives susceptibles de faire obstruction à la poussée de l’infini, il n’y a plus d’objet. L’objet devient évanescent, jusqu’à disparaître. Il n’y a plus de monde tout simplement : nihil. C’est dire combien l’infini, dans sa poussée hyperbolique, met en danger la stabilité mécanique de tout système allant jusqu’à la menacer. C’est le passage à la limite, la montée aux extrêmes, qui risque de déstabiliser tout le système. Le romantisme allemand, sous les espèces de la Frühromantik, alors même qu’il pratique, ici et là, une infinitisation de la puissance (potentia, Potenz), perçoit mieux que quiconque les dangers de l’infinitisation qu’il pratique. Car l’infinitisation de la puissance, lorsqu’elle approche en ses derniers moments la coiffe parabolique, manifeste une accélération semblable à ce que l’on pourrait assimiler à une transition de phase. La question urgente qui se pose à la Frühromantik consiste à savoir comment ne pas se laisser emporter par le mouvement, et freiner quelque peu cette accélération, c’est-à-dire comment ménager un mouvement amorti. Car la Frühromantik pratique d’un côté cette infinitisation de la puissance en tous les domaines de l’encyclopédie ; mais, de l’autre, elle perçoit bien les dangers inhérents à cette même pratique ; c’est pourquoi elle essaie de freiner autant que faire se peut le mouvement d’emportement parabolique, afin d’atteindre à une stabilisation des formes. Là réside le danger romantique par excellence : l’infinitisation de la puissance, ou Potenzierung, induit l’évanouissement des formes. C’est pourquoi elle se doit de mobiliser toute une série de technologies pour empêcher cet évanouissement par infinitisation. C’est son objet second.
29Mais il est un autre problème, plus fondamental sans doute. En effet, il convient de ne pas confondre infinitisation de la puissance et potentia absoluta. Nous posons que la potentiation s’inscrit dans la tradition leibnizienne et qu’elle joue, par voie de conséquence, contre la potentia absoluta. La Potenzierung est cette opération, idéaliste par excellence, qui, injectant, niveau par niveau, des inverseurs dans le système, neutralise la potentia en sa virulence eschatologique. De sorte qu’elle neutralise pas à pas toute pensée de l’alien et mime la potentia, pour l’inverser. C’est ainsi que l’entreprise de la Frühromantik, poursuivant un mouvement amorcé au début du xviiie siècle par la Théodicée, vise à lier autant que faire se peut la potentia absoluta. C’est son objet premier. Si tel est le cas, la potentiation (Potenzierung) pourrait bien constituer le cœur du système immunologique de la Frühromantik.
L’aporie romantique : discret et continu
30Les romantiques s’intéressent préférentiellement à deux choses : l’infini et les formes. Et ils s’y intéressent en même temps, par une sorte de condensation et de compression temporelles. On pourrait dire d’eux qu’ils sont et amis de l’infini et amis des formes. Comment concilier cette double exigence ? Telle est la question qu’on ne peut s’empêcher de se poser. En effet, on le sait, le romantique infinitise tout, rien n’échappe à la frappe de l’infini. Mais, du coup, un danger se manifeste aussitôt : l’infini a tendance, il a même vocation, à rendre tous les objets qui se présentent à lui évanescents, évanouissants. Autrement dit, l’ami de l’infini devient ami de l’évanescence, et, ce faisant, par contagion, il risque lui-même l’évanescence.
31Mais, d’un autre côté, le romantique est aussi ami des formes. Les objets jetés devant nous, que nous le voulions ou non, manifestent des bords, des limites. C’est ce qui nous permet de les reconnaître, de les connaître, avant d’agir sur eux. Or, qui dit forme, dit forme stable, stabilisée (et non forme évanescente) en ses contours. L’ami des formes requiert du monde une certaine stabilité, pour ne pas dire une stabilité certaine. Mais reconnaître ce fait, n’est-ce pas du même coup potentialiser l’infini ? Potentialiser, c’est-à-dire rendre l’infini potentiel. Si tel est bien le cas, alors on se trouve dans la situation suivante : le romantique s’inscrit dans un mouvement oscillant : s’il accentue la forme, il potentialise l’infini ; s’il actualise l’infini, il potentialise la forme. C’est là toute la difficulté et, pour tout dire, ce que l’on pourrait appeler l’aporie romantique. La question rebondit donc : peut-on être à la fois ami de l’infini et ami des formes ? Oui, cela se peut, sous certaines conditions que nous allons présenter. Pour le dire dès maintenant, l’aporie romantique peut être affrontée si l’on considère les mouvements sous l’aspect balistique. C’est ce que fait très précisément Novalis : il mobilise en effet trois technologies balistiques visant à la constitution et à la stabilisation des formes. Ces technologies se manifestent sous trois figures et trois champs. Mais, avant d’aborder de front le problème des champs chez Novalis, il convient de faire un détour par quelques développements mathématiques contemporains : Alan Turing, René Thom et Alain Connes notamment. Ainsi cernerons-nous mieux l’ampleur du problème.
32Il convient de citer A. Turing, mais sous un double aspect : l’aspect discret, bien connu (la machine de Turing), et l’aspect continu, beaucoup moins connu (la morphogenèse). Car A. Turing, ce n’est pas simplement la machine de Turing ; c’est aussi l’univers continu de la phyllotaxie et de la morphogenèse41. C’est pourquoi dans notre article de 1997 sur Leibniz et Novalis, nous avons appelé à la rescousse les travaux de R. Thom sur les modèles mathématiques de la morphogenèse42, fort utiles pour dire le continu. Dans la présente note, nous appelons ceux d’A. Connes sur les géométries non-commutatives et sa réflexion sur les rapports entre physique et géométrie43. Dans un article récent consacré à la géométrie et au quantum44, A. Connes définit le problème de la façon suivante : il commence par introduire la notion de « topos » telle qu’elle est présentée par Alexandre Grothendieck. C’est que le « topos » permet de traiter de manière unifiée les structures combinatoires et les espaces topologiques. Ensuite, il continue avec un texte de Grothendieck sur Riemann, sorte de prélude pour relire la conférence inaugurale de Riemann sur les fondements de la géométrie. Enfin, il explique pourquoi le formalisme quantique apporte une autre solution à la coexistence possible des variables discrètes et continues.
33A. Connes cite A. Grothendieck : « Ce “lit à deux places” est apparu […] avec l’idée du topos. Cette idée englobe, dans une intuition topologique commune, aussi bien les traditionnels espaces (topologiques), incarnant le monde de la grandeur continue, que les soi-disant “espaces” (ou “variétés”) des géomètres algébristes abstraits […], ainsi que d’innombrables autres types de structures qui jusque-là avaient semblé rivées irrémédiablement au “monde arithmétique” des agrégats “discontinus” ou “discrets” » (p. 5). La lecture se poursuit, par une lecture de Riemann par Grothendieck : « Les développements en mathématique des dernières décennies ont d’ailleurs montré une symbiose bien plus intime entre structures continues et discontinues qu’on ne l’imaginait encore dans la première moitié de ce siècle. Toujours est-il que de trouver un modèle “satisfaisant” […], que celui-ci soit “continu”, “discret” ou de nature “mixte” – un tel travail mettra en jeu sûrement une grande imagination conceptuelle, et un flair consommé pour appréhender et mettre à jour des structures mathématiques de type nouveau […]. Pour résumer, je prévois que le renouvellement attendu […] viendra plutôt d’un mathématicien dans l’âme, bien informé des problèmes de la physique, que d’un physicien. Mais surtout, il y faudra un homme ayant “l’ouverture philosophique” pour saisir le nœud du problème. Celui-ci n’est nullement de nature technique, mais bien un problème fondamental de “philosophie de la nature” » (p. 6).
34Considérer les points forts de la conférence inaugurale de Riemann et tenir compte de l’avènement de la mécanique quantique, c’est, dit A. Connes en conclusion, le meilleur prélude au nouveau paradigme des triples spectraux (spectral triples), le concept géométrique de base de la géométrie non-commutative. Nous n’entrerons pas dans ces détails, nous relevons simplement l’aspect suivant.
35A. Connes introduit, pages 15-16, le « bonus » de la non-commutativité, en le reliant au langage écrit. Plus précisément, il en vient à parler d’une question qui préoccupe la linguistique et la poétique depuis plus d’un siècle : les anagrammes45. A. Connes part de deux suites :
« ondes gravitationnelles »
« le vent d’orages lointains »
36Quand nous commutons les différentes lettres impliquées dans ces deux suites, nous obtenons, dit-il, le même résultat, soit :
a2de3gi2l2n3o2rs2t2v
37Les langues naturelles respectent la non-commutativité et une phrase est une donnée beaucoup plus informative que son ombre algébrique commutative. Cela montre qu’en projetant une phrase dans le monde commutatif, on perd un énorme montant d’informations encodées par la non-commutativité.
38Revenons à Novalis et à la problématique des champs. Certes, nous sommes bien conscient qu’il peut y avoir une difficulté à parler de théorie des champs à la fin du xviiie siècle. Jules Vuillemin, par exemple, écrit à juste titre :
« En ce sens, et en dépit du pressentiment empirique de la physique du champ que Newton a exprimé dans le concept d’éther, c’est Kant qui a le sens le plus juste de l’actualité scientifique de son temps. Pour exprimer les effets à distance par des actions au contact, la physique n’aura besoin de rien moins que d’une révolution, à laquelle elle n’est pas prête à l’époque kantienne : il faudra qu’elle passe de la substance au champ. On remarque que les équations de Maxwell font intervenir les opérateurs différentiels de l’analyse vectorielle, le gradient, la divergence, le rotationnel, qui exigeaient cette révolution de pensée46. »
39Pourtant, si les outils mathématiques adéquats n’étaient pas encore disponibles, il nous semble difficile de refuser purement et simplement la notion de champ au xviiie siècle. Cette notion nous semble en effet convenir pour qualifier les expérimentations physiques menées par Lichtenberg, Chladni et Ritter47, en dépit d’une mathématisation insuffisante, il est vrai. Mais la mathématique n’est pas tout ; la figuristique n’est pas sans importance : donner forme, donner figure est un des réquisits de l’idéalisme magique. Nous avons dit pourquoi.
Trois champs, trois figures : Lichtenberg, Chladni, Ritter
40Parler de balistique, c’est, déjà dès Newton48, parler de composition, de mouvement composé : il faut composer, sur un mode hybride, l’évanescence et la stabilité des formes. C’est sous cette condition de composition que l’on peut être à la fois et ami de l’infini et ami des formes.
41Essayons de préciser le sens de cette composition. Novalis le fait en faisant appel à une théorie générique des champs, théorie qui se décline en trois sous-domaines. Pour donner un nom propre à chaque sous-domaine : champs de Lichtenberg, champs de Chladni, champs de Ritter. Ou bien encore si l’on suit les domaines communs : champs électriques, champs sonores, champs galvaniques. Ces trois champs sont mobilisés par Novalis, en particulier dans Das Allgemeine Brouillon (HKA, III, p. 242-478).
Lichtenberg49
42L’appel à Lichtenberg se présente50, dans une lettre à F. Schlegel, sous la forme d’un appel envisagé, souhaité, au commentaire à la mode de Lichtenberg. On aura compris qu’il s’agit du commentaire, par Lichtenberg, de Hogarth, des figures de Hogarth. Nous laisserons ce point de côté. Le deuxième aspect qui se présente, à travers cette référence, est le statut qu’il convient d’accorder au continu et au discret. Novalis pose la question : qu’est-ce qui a l’avantage ? Le continu ou le discret ? Peut-on considérer qu’une série (Reihe) d’anecdotes puisse se constituer en continu. Si cela se peut, comment ? Par quels procédés, quelles procédures ? Ensuite, trouver le point d’application : où appliquer une telle procédure ? Le point d’application est tout trouvé : c’est Goethe, et Goethe dans son Wilhelm Meister, Bildungsroman par excellence. Il y va de la Bildung. Mais Bildung, on l’aura deviné, c’est Bild aussi. Bild au sens d’image, de tableau. Qu’est-ce qui fait image, qu’est-ce qui fait tableau ? Comment figurer les choses ? Par champs continus ? Par séries discrètes ? Prééminence du continu ? Ou, au contraire, prééminence du discret ? Telle est la question qui se pose à Novalis. Novalis pose donc ici le problème dans toute sa généralité, et il commence par l’appliquer à la poétique. Nous procédons ici différemment, en laissant cet aspect de côté pour y revenir plus tard, en un autre lieu.
43Quittant en effet ce premier aspect, cette première considération, Novalis se concentre sur un autre domaine : la science (pure et appliquée). Le galvanisme, comme phénomène générique. On a toutes sortes de galvanisme, dit-il. Pas un seul uniquement. Et de donner quelques exemples : magnétisme électrique, calorique, mécanique, acoustique. Ce que fait ici Novalis, c’est poser d’abord un phénomène comme générique (« galvanisme »), puis diffracter, décliner ledit phénomène. On resserre dans un premier temps, pour diffracter et décliner dans un second. C’est cette diffraction, cette déclinaison opérée par Novalis qui légitime en quelque sorte notre démarche. Si nous choisissons d’étudier trois domaines de l’encyclopédie que sont l’électricité, l’acoustique et le galvanisme, ce n’est pas pur arbitraire.
44Novalis va plus loin encore. Il ne se contente pas d’appliquer cette méthode à la poétique, il l’applique aussi à ses études scientifiques, mieux encore, à ses recherches professionnelles, c’est-à-dire à la salinistique. Il ne s’agit donc pas d’une pure considération théorique hors-sol. Il s’agit bien d’une application, à la fois scientifique et technique, d’un concept posé comme générique. Tout le problème à l’époque était de faire face à la pénurie de bois. D’où la question pressante : par quoi remplacer le bois comme combustible ? L’application proposée débouche sur un procédé révolutionnaire que l’on pourrait qualifier de test de cristallisation sensible (« Prüfung der Güte der Erdkohle in Lichtenbergischen Figuren51 »). C’est qu’il s’agit d’appliquer le test de Lichtenberg au lignite, combustible pressenti en remplacement du bois52. Autrement dit : il s’agit de mobiliser les figures de Lichtenberg au service d’un test discriminant, qui est au final un test de qualité : il permettrait de faire la différence entre ce qui, par sa qualité de combustible, peut être retenu et ce qui doit être éliminé comme non satisfaisant. C’est, certes, un enjeu scientifique et technique. Mais c’est surtout, en arrière-plan, un enjeu économique majeur pour la Saxe.
Chladni53
45Après avoir considéré les figures de Lichtenberg, nous envisageons à présent les figures de Chladni54. Elles sont plus connues et font l’objet, aujourd’hui encore55, de travaux poussés. Il s’agit ici de la spécification de la théorie générale des champs dans une science régionale : l’acoustique de Chladni (Entdeckungen über die Theorie des Klanges, 1787). Novalis réfléchit sur l’intégration possible des célèbres réalisations de Chladni : la naissance et l’évanescence de Klangfiguren à partir de plaques vibrantes. Chladni semait du sable fin sur des plaques métalliques mises en vibrations au moyen d’un archet ; le sable venait se rassembler sur les lignes nodales, ou lignes de repos, de la plaque vibrante, donnant ainsi naissance à des Klangfiguren. Le point d’attaque de l’archet, les dimensions et la forme de la plaque constituaient les principaux facteurs de variation des figures obtenues. Ceux qui ont repris les expérimentations de Chladni ont pu remarquer des différences selon la nature des corps pulvérulents utilisés.
46Se pose donc le problème de la spécificité matérielle s’attachant à chaque variété de substance, lorsque ses particules sont introduites dans un champ de force. Sautons à la conclusion : il est possible de classer les corps en deux catégories opposées. La première comprend ceux qui sont dits conducteurs pour la forme d’énergie en jeu ; la seconde est celle où figurent les corps dits non-conducteurs, ou isolants, eu égard à cette même forme d’énergie. Les premiers obéissent sans résistance aux sollicitations, et s’alignent sur les lignes de force ; tandis que les seconds, inertes, tendent à se rassembler sur les lignes de niveau, où ils résistent aux sollicitations. Cette discrimination entre deux classes de corps est évidemment trop grossière. Il existe, dans le monde, une gamme extrêmement variée de substances qui, toutes, sont partiellement conductrices et partiellement isolantes : un infinitinôme, dirait Novalis. De ce qui vient d’être dit émerge une propriété éminente : la spécificité en vertu de laquelle chaque particule matérielle d’un corps donné possède son chemin d’élection en fonction et des caractéristiques du champ et de celles du milieu où se développe ce champ. Proposition que l’on peut inverser et exprimer sous une autre forme, plus condensée : chaque champ de force est un sélecteur automatique pour les matières engagées dans son jeu énergétique. C’est cette propriété éminente que Novalis reconnaît lorsqu’il parle, d’une part, de « système d’auto-sélection de la nature » (Selbstsortierungssystem der Natur) et, d’autre part, de son idée du « principe de personnalité dans chaque substance » (Prinzip der Personalität in jeder Substanz).
47Dans le contexte d’une lutte entre consonnes et voyelles, Novalis se pose la question d’une langue générale de la musique. Problème biblique par excellence : comment donner de l’âme à la consonne ? Comment voyelliser le monde consonantique ? Chez Chladni, les figures ont pour nom « Klangfiguren », figures sonores. Novalis revient d’ailleurs sur cette notion de Figur. Sur la figuration. Comment figurer ? Comment se figure le monde ? Novalis pose ici le problème dans toute sa généralité : il s’agit bien de Kraft, une Kraft est à l’œuvre. Mais comment opère-t-elle ? Selon quels chemins, quelles voies et canaux ? En premier lieu, tout corps dans la mesure où il apparaît comme corps, a une figure, c’est-à-dire qu’il dispose de bords, de limites. Tout corps est cerné par ses limites. Deuxième aspect du problème : la Hemmung, l’empêchement, le frein. Cette Hemmung peut être plus ou moins grande, plus ou moins forte. Troisième aspect : de cette Hemmung qui s’oppose à la Kraft, selon grandeur et intensité, naît une Tendenz, disons une ligne de composition, ou une surface de composition. Deux cas de figure se présentent : soit la Kraft est inempêchée (et la figure ne peut naître) ; soit la Kraft est empêchée, et la figure peut naître. Retenons bien la leçon novalisienne : nous sommes moins plongés dans un monde de fragments, que dans un monde de figures, un monde figuré – qui mobilise et consonnes et voyelles.
48Imaginons un monde peuplé d’« âmes » uniquement, c’est-à-dire de voyelles, il ne manifesterait pas en lui de figures. Ce serait un monde non figuré. Imaginons, à l’inverse, un monde peuplé de consonnes. Ce serait un monde de bruits. Comment échapper à la difficulté ? En diagonalisant : entre les âmes et les bruits, un monde mixte. Face à l’animation des voyelles, poser et opposer des consonnes ; de même, face au bruit des consonnes, poser et opposer des voyelles. C’est tout le jeu, ici et là, de la Kraft et de la Hemmung, c’est le jeu qui fait toute la différence. Appelons-le « jeu différentiel ». C’est donc le jeu différentiel de la Kraft et de la Hemmung qui se déploie ici. D’où la conclusion, irréfragable, de Novalis : la figure naît de par la consonation, c’est-à-dire de par la contrainte. C’est un mouvement contraint. C’est la contrainte qui donne figure, qui donne le mouvement figuré. Nous aurons à nous en souvenir lorsque nous essaierons de développer une théorie générale des mouvements contraints.
Ritter
49Ritter, pour finir56. Le galvanisme est beaucoup plus général que Ritter ne le croit57. Tout est galvanisme, ou rien n’est galvanisme. Novalis ouvre tout grand le champ du galvanisme. D’une certaine façon, rien n’y échappe. Rien n’est en dehors, en surplus ou en excès. Le champ galvanique est donc, d’un coup, tout grand ouvert. Est-ce à dire pour autant que tout est dans tout ? Novalis précise tout au contraire qu’il croit à un principe de personnalité dans chaque substance. Comment concilier ces deux énoncés ? « Personnalité », le terme est un peu fort sans doute. Ce que Novalis veut dire, c’est qu’il y a un principe discriminant à l’œuvre, qui sépare, pour mieux faire apparaître. Un chemin d’élection de chaque substance. Selon quelles lois ? Selon quels principes ? Novalis ne le dit pas expressément ici mais nous savons par ce qui a été dit plus haut que ce principe de personnalité est équivalent à un Selbstsortierungssystem, un système d’auto-sélection de la nature. Ce qui revient à poser une théorie générale du mouvement dans les milieux résistants et, partant, une théorie générale des champs.
50Mais il indique aussi deux références philosophiques ici : Jacobi et Fichte. Et, plus précisément : Jacobi citant Fichte. D’après Jacobi, écrit-il. Donc : non directement Fichte, mais Fichte selon Jacobi. À quel sujet ? Celui qui, précisément, nous occupe : Quoi donc ? Rien de moins que la théorie fichtéenne des mouvements. De quels mouvements s’agit-il ? Des mouvements dans les milieux résistants. Tout est dit, et en toutes lettres, en WTB, II, 770. Il le précise encore : non dans le monde réel, mais dans le monde intellectuel (Fichtes Theorie der Bewegungen in widers-trebenden Mitteln in der Intellectualwelt). Ce qui montre bien que, ici comme là, tout est lié : le monde réel et le monde intellectuel. Mêmes lois, mêmes combats. Et avec cette théorie fichtéenne des mouvements dans les milieux résistants, nous retrouvons Leibniz, que nous n’avons pas quitté en somme. Qui dit résistance dit résistance passive. À une action, toute résistance oppose une passion. De sorte que le mouvement n’est point libre : il est contraint. Libre par action, contraint par passion. C’est tout le sens, plein et entier, de la formule « résistance passive ». Le galvanisme entendu comme phénomène général est aussi un exercice, une expérience (Experiment). Exercice qui suit des chemins doubles (doppelte Wege) : de l’intérieur vers l’extérieur ; de l’extérieur vers l’intérieur. On l’aura reconnu : c’est la formule de l’idéalisme magique telle que Novalis la frappe. Il faut, d’abord, reconnaître que l’idéalisme magique opère, fait usage d’opérateurs ; mais ce n’est pas tout : les opérateurs se doivent d’être réversibles. Le célèbre chemin vers l’intérieur demande à être parcouru dans l’autre sens aussi. Un exercice, une expérience qui débouche sur des tests pour éprouver les matières. Novalis l’indique : ce sont des suites de cristallisation comme il existe des suites mathématiques. Le terme « Reihe » est le même. Éprouver les matières ? Qu’est-ce à dire ? Pour éprouver la matière ou les matières, il faut la contraindre, localement, à emprunter des chemins pré-tracés, pré-déterminés. L’expérimentateur incline l’espace, lui impose telle ou telle flexion, pour voir comment tel ou tel élément va évoluer. Pour faire ressortir les attracteurs et les répulseurs, les affinités électives et contraires, positives et négatives.
51En 1765, la fondation de la Bergakademie réplique, répète, le mouvement initié à l’époque du De re metallica d’Agricola. Quant au sel, il forme le cœur productif et le véritable enjeu du travail quotidien de l’assesseur des salines Hardenberg/ Novalis. De plus, et au-delà d’un cas singulier, qu’il s’agisse du sel ou du lignite, l’enjeu est d’importance pour les pays saxons de la fin du xviiie. Enjeu scientifique et technique, on l’a dit, mais économique et financier tout autant58. Le lignite pour la combustion, le sel pour la conservation. On comprend que Novalis veuille soumettre l’un et l’autre à l’expérimentation – qu’elle soit électrique, sonore ou galvanique : outre l’exercice intellectuel indéniable qu’elle présente, c’est aussi un test de qualité. L’objet final de cet exercice, de cette expérimentation, c’est bien moins d’alimenter une hypothétique fabrique romantique de fragments, que d’alimenter le trésor caméraliste de la Saxe de la fin du xviiie 59 : en silver – par la production des mines –, en combustible – par le bois ou le lignite –, en conservateurs – par le sel. Produire ne suffit pas, encore faut-il pouvoir conserver. C’est le rôle dévolu au sel. C’est le rôle dévolu à l’assesseur des salines. Hardenberg/ Novalis ne devait pas tant produire des fragments que du sel, on l’oublie trop souvent. D’un point de vue plus général : de la même façon qu’il faut conserver le mouvement, ou conserver la figure, etc. de même, il faut conserver ce qui a été produit, sous peine d’effacement. Et Novalis, assesseur, puis bailli surnuméraire, mobilise tous ses savoirs et ses pratiques dans ce but.
Retenue II : Gödel
52Cette dernière partie est tout ce qu’il y a de plus modeste. Nous n’entrons pas dans des considérations concernant les dimensions d’espaces, de métriques ou de topologie. Cette partie poursuit l’effort précédent et vise simplement à indiquer le lien entre Gödel et l’idéalisme, d’une part. Et, d’autre part, sur le modèle des champs présentés plus haut, de tenter de rendre visible les univers en rotation de Gödel. Nous retenons préférentiellement deux visualisations de ces champs : celle de Németi et alii60, et celle de Schleich et alii61. Les deux figures (fig. 1 et fig. 2) représentées ci-dessous sont tirées de Németi et alii.
53Gödel, c’est bien connu, est l’inventeur du principe d’incomplétude. Selon ce principe, il est impossible de démontrer la non-contradiction de l’arithmétique en ne faisant appel qu’à des moyens empruntés à l’arithmétique. Novalis aussi est, d’une certaine façon, inventeur d’un principe d’incomplétude avant la lettre. Tous deux sont travaillés par le même souci d’incomplétude. C’est pourquoi nous rapprochons Novalis de Gödel, et Gödel de Novalis, car, à sa façon, Novalis développe, lui aussi, un principe qui prend le relais des principes classiques. Non pas, comme on le croit souvent, pour développer une pratique généralisée des fragments (une fragmentologie). L’enjeu de l’idéalisme magique, tel qu’il a été conçu par Novalis, n’est pas de fragmenter à tout va, mais bien au contraire de lier, autant que faire se peut : C’est pourquoi, dans son Répertoire Général (das Allgemeine Brouillon), Novalis développe (comme Leibniz l’avait fait avant lui) l’amorce de ce qui aurait pu être une théorie générale des liaisons. Reprenons un instant la question des principes. On se souvient que Leibniz en retient deux : le principe de non-contradiction pour les essences, le principe de raison suffisante pour les existences. Or, Novalis veut anéantir le principe de non-contradiction (HKA, III, p. 570). Si tel était le cas, ce serait pour mieux faire ressortir le principe de raison suffisante qui fait droit à la physique. Il s’agit d’accueillir d’abord la physique. Et de l’accueillir, secondement, sous configurations multiples, nous l’avons vu. C’est toute la variété du monde, et du monde figuré, qui est convoquée.
54Dans notre présentation de Gödel62, nous allons prendre appui sur trois ensembles de textes. Nous ne prétendons pas à l’exhaustivité, simplement à poser quelques jalons sur le chemin, en nous concentrant sur le problème de l’idéalisme et celui de la figuration, de la visualisation.
- Au point de départ, Kant et son rapport avec la théorie de la relativité. Kant est vraiment le point de départ de Gödel, aussi surprenant que cela puisse paraître. Il publie, en 1949, « A remark about the relationship between relativity theory and idealistic philosophy63. » Deux autres textes, non publiés, et datant de 1946, portent le titre : « Some observations about the relationship between theory of relativity and Kantian philosophy64. » Ces textes forment le point de départ affirmé et assumé par Gödel, le point de départ vers l’hypothèse des univers en rotation (« rotating universes »).
- Construisant plus avant sa théorie, Gödel développe ses thèses sur les « rotating universes » dans les textes suivants : « An example of a new type of cosmological solutions of Einstein’s field equations of gravitation » (1949) et « Rotating universes in general relativity theory » (1950, 1952)65. Dans cet ensemble de textes figure un essai non publié : « Lecture on rotating universes » (1949b)66.
- Enfin, nous prenons appui pour terminer sur le décodage de ses manuscrits en Gabelsberger, dont une partie vient tout juste d’être publiée (Crocco, HAL, 2017)67. Dans ce cahier figurent en particulier des réflexions sur les notions de cohésion et de liaison : qu’est-ce qui tient les choses ensemble ? se demande Gödel.
55Dans sa « Lecture on rotating universes », Gödel présente l’ordre de ses découvertes en cosmologie : « Incidemment, c’est ainsi que je suis arrivé à ces solutions en rotation. Je travaillais sur la relation entre Kant et la théorie de la relativité et, plus particulièrement, sur la similarité qui subsiste entre Kant et la physique relativiste dans la mesure où dans les deux théories l’existence objective d’un temps au sens newtonien est déniée. À cette occasion, on est conduit à observer que dans les solutions cosmologiques connues à présent il existe quelque chose comme un temps absolu. […] Ainsi on est conduit à investiguer pour savoir si c’est là une propriété nécessaire ou non de toutes les solutions cosmologiques possibles68. » On voit donc que l’ordre des événements, leur enchaînement, est donné avec toute la précision voulue par Gödel lui-même : cette flèche orientée va de Kant aux univers en rotation, et non dans l’autre sens. Cette présentation est corroborée par deux lettres adressées à Carl Seelig du 7 septembre 1955 et du 18 novembre 195569.
56Dans la lettre du 7 septembre, Gödel précise son scepticisme à l’égard de la théorie du champ unifié d’Einstein. Et il précise que ses propres travaux sont concernés par la pure théorie de la gravitation de 1916, qui a été, selon ses dires, laissée par Einstein et la génération contemporaine de physiciens à l’état de « torso intact » (untouched torso), tant du point de vue mathématique, physique, que cosmologique. Dans sa lettre du 18 novembre, Gödel reconnaît que ces problèmes se situent en dehors de son domaine, et que seul un mathématicien pourrait trouver les solutions adéquates. Cependant, ajoute-t-il, en connexion avec certains problèmes philosophiques, il s’est consacré pour quelque temps à un complexe de questions moins difficiles, à savoir la cosmologie.
57Pour cette troisième partie, notre point de départ sera donc le texte de Gödel intitulé : « Theory of relativity and Kantian philosophy ». Ce texte existe sous deux versions : la version B 2 (1946/9) et la version C 1 (1946/9). Nous utiliserons et l’une et l’autre.
58Le constat posé par Gödel dès le départ ne manque pas d’étonner. En effet, celui-ci pose : « au moins en un point la théorie de la relativité a fourni une confirmation frappante (B 2, p. 230) des doctrines kantiennes ». La version C 1 est encore plus explicite, si cela se peut : Gödel y parle d’une « illustration frappante et en un sens d’une vérification des doctrines kantiennes » (C 1, p. 247). Trois expressions donc pour une mise en rapport de Kant avec la théorie de la relativité : illustration, vérification, confirmation. Venant de Gödel, ce sont là des mots qui portent.
59De quoi s’agit-il ? Du temps, du statut qu’il convient d’attribuer au temps. Le temps est ni… ni… Ni quelque chose qui existe par lui-même ni une caractéristique ou un ordre inhérent aux objets ; mais quelque chose qui existe en un sens relatif. Relatif à quoi, à qui ? Telle est la question. L’entité relativement à quoi le temps existe, selon Kant tel qu’il est présenté par Gödel, est le sujet percevant, le sujet qui perçoit, le sujet en situation de perception, et, plus précisément, sa sensibilité. D’un autre côté, pour la théorie de la relativité, ce sont des entités plus abstraites et plus générales comme des points matériels, des lignes de monde, des systèmes de coordonnées, qui peuvent être conçus comme appartenant à un observateur possible.
60C’est au paragraphe trois de ce texte que Gödel se pose la question : dans quelle mesure la doctrine de Kant peut-elle être dite vérifiée, confirmée par la théorie de la relativité ? Gödel distingue deux parties dans l’argumentation de Kant : une partie négative (p. 233 sq.) et une partie positive (p. 236 sq.). C’est, affirme Gödel, dans la partie négative, que l’accord, est le plus frappant. Et Gödel de conclure : « La vue de Kant à propos du temps a été confirmée par la théorie de la relativité au moins en ce qui concerne sa partie négative » (p. 236).
61Qu’en est-il à présent de la partie positive ? La « similarité » est moins prononcée dans les détails, mais il existe une « affinité » proche en principe (p. 236). Gödel parle même ici d’une affinité profondément enracinée (p. 236).
62De sorte que, que l’on fait la balance de la partie négative et de la partie positive, Kant et la théorie de la relativité vont « exactement dans la même direction » (p. 236), mais Kant va plus loin : la théorie de la relativité est pour ainsi dire en retrait, elle fait seulement un pas dans la direction indiquée par Kant.
63Tout compte fait, dit Gödel, on ne manque pas d’être surpris et intrigué. Il est grandement surprenant (p. 236) qu’il y ait accord entre la théorie physique de la relativité et la philosophie de Kant qui, Gödel ne manque pas de le rappeler, a été formulée il y a 150 ans. Gödel se pose donc la question de savoir pourquoi cet accord a si peu attiré l’attention, pourquoi il est passé inaperçu. Pire encore, dit-il, d’un côté, Kant, comme Newton d’ailleurs, est estampillé comme champion d’un temps et d’un espace absolus ; et de l’autre, pour ce qui est de la théorie de la relativité, on a tendance à minimiser les conséquences subjectives de cette théorie. On assiste pour ainsi dire à une double déformation, l’une ne manquant pas de retentir sur l’autre. (p. 237). D’où cela provient-il ?
64C’est à ce moment précis que Gödel est amené à faire intervenir d’autres solutions (p. 237). Il existe, dit-il, d’autres solutions cosmologiques, pour lesquelles un temps-monde absolu est démontrablement impossible. Ces solutions sont « publiées respectivement en 1949, 1949b et 1952 », écrit-il.
65Quelle est, selon Gödel, la nouveauté de Kant ? Kant a dénié l’existence objective non seulement du temps et de l’espace, mais aussi des relations temporelles. Gödel complète en disant que c’était déjà le cas chez Leibniz. Gödel en vient à parler de l’état présent de la physique qui est, dit-il, « imparfait » (p. 240). Il va même beaucoup plus loin : cet état imparfait ne décrit pas réellement la structure objective du monde matériel. C’est uniquement un pas au-delà des apparences. On comprend mieux son appel à la physique quantique, pour aller plus loin dans la direction montrée par Kant. La physique quantique semble indiquer que la réalité physique est quelque chose de bien différent du monde à quatre dimensions d’Einstein-Minkowski. Et Gödel d’en appeler, comme incidemment, à une dimension supplémentaire, pour pouvoir développer un espace à cinq dimensions. La dimension à laquelle il fait référence, p. 240, en note 26 (version B2) et p. 252, note 16 (version C1), est la dimension de Kaluza (1921). Ce point, simplement mentionné en note, est de la plus haute importance. En effet, et Gödel ne le dit pas expressément, mais les formalismes respectifs de la gravitation et de l’électromagnétisme ne peuvent être intégrés dans un champ unifié si l’on en reste à un espace 4D d’Einstein-Minkowski. En revanche, une théorie de champ unifiée peut être pensée à la condition d’ajouter une dimension supplémentaire ; c’est précisément tout le sens, profond, de la dimension de Kaluza et tout le sens70, tout aussi profond, de la mention de Kaluza par Gödel. Cette dimension supplémentaire permet d’échapper aux règles de la 4D, qui contraignent l’espace-temps physique d’Einstein-Minkowski, mais aussi – et Gödel ne le mentionne pas ici – l’espace mathématique de Hilbert et, partant, son héritage cosmologique71. Toujours dans ce contexte, il est à remarquer que Gödel ne mentionne pas les travaux de Schwarzschild72. Dans les textes qui nous occupent, Gödel semble se concentrer exclusivement sur les problèmes de dimensions d’espaces (passage de 4D à 5D) et les ouvertures mathématiques et physiques qu’elles pourraient induire. Mais ce point, noté comme en passant, ne produit pas de développements de la part de Gödel.
Fig. 1. – La « toupie » de GÖdel (Spiral World). D’après Németi et alii, 2010.
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66Revenons à Kant. Gödel essaie de comprendre ce qui a pu jouer contre Kant. C’est, dit-il, outre la subjectivité du temps et de l’espace, l’apriorité de tout notre savoir le concernant. De plus, Kant base sa preuve principale de leur subjectivité sur leur apriorité (p. 241). Cependant, aux dires de Gödel, l’apriorité du temps newtonien et de l’espace euclidien ne contredit pas la théorie de la relativité.
67S’il y a une réelle contradiction avec la théorie de la relativité, il faut aller la chercher en un seul point : l’idée de Kant selon laquelle la science naturelle, dans la description qu’elle donne du monde, doit nécessairement retenir les formes de notre perception sensible et ne peut faire rien d’autre qu’établir des relations entre les apparences à l’intérieur de ce cadre (p. 244). Pour Gödel, au contraire, il est possible pour le savoir scientifique d’aller pas à pas, dit-il, au-delà des apparences et d’approcher le monde des choses. Approcher le monde des choses, c’est pour lui équivalent à abandonner l’image naturelle du monde (p. 244). Gödel termine sur un paradoxe apparent : en un sens, la tendance de la physique moderne est opposée à la philosophie kantienne ; mais, d’un autre côté, la réfutation de l’assertion kantienne concernant l’impossibilité d’aller au-delà des limites de notre conception naturelle du monde a fourni, paradoxalement, une confirmation frappante de sa doctrine principale concernant le caractère subjectif (p. 245). C’est pourquoi Gödel revient, pour finir, sur la chose en soi et son caractère inconnaissable ou non-connaissable. En rappelant que, dans la Critique de la Raison Pure, Kant compare sa théorie subjective du savoir avec l’explication de Copernic du mouvement apparent des planètes par le mouvement de l’observateur, tout en soulignant que ce nouveau point de vue de Copernic a conduit à la découverte du pouvoir caché qui connecte la structure de l’univers, l’attraction newtonienne.
68Dans la version C 1, les arguments présentés plus haut sont repris et variés. Ce qui apparaît de nouveau, c’est une formule : la formulation p. 248 de ce que Gödel appelle les « Mondes R » (« R-Worlds ») qu’il définit ainsi (note 7) : « Par la suite, je vais me référer à ces mondes en tant que « Mondes R » (R étant une abréviation pour « en rotation, en rotation symétrique, stationnaires »). Toujours dans la même note, Gödel ajoute que la description mathématique de ces mondes est explicitée en 1949. Et Gödel de préciser : « Le compas d’inertie dans ces mondes est en rotation partout relativement à la matière, ce qui dans notre monde voudrait dire qu’il est en rotation relativement à la totalité des systèmes galactiques. » De sorte que, « si l’explication courant du décalage vers le rouge des nébuleuses distantes est correcte, notre monde n’est pas un Monde R » (p. 248, note 7). Cependant, si notre monde n’est pas un Monde R, il peut être un monde en rotation et en expansion (p. 248, note 7).
69Pour finir, nous montrons deux représentations possibles des univers de Gödel, d’après le modèle de visualisation proposé par Németi et alii. Ainsi, nous voudrions attirer l’attention sur la différence qu’il y a entre un monde en rotation, ou monde-spirale (fig. 1) et un monde en co-rotation, ou monde-derviche (fig. 2). La rotation est le phénomène que nous avons vu apparaître, chez Leibniz d’abord, à travers l’étude de la brachistochrone ; chez Novalis, ensuite, à travers l’étude des champs électriques, sonores et galvaniques. Dans ce premier temps (de Leibniz à Novalis), il s’agit de composer des mouvements : autrement dit, de composer rotation et translation – et de faire apparaître les symétries et anti-symétries. C’est ainsi que se présente la frappe tourbillonnaire du monde. Avec Gödel, nous changeons d’univers, nous changeons de point de vue aussi. Et nous tirons toutes les conséquences de l’idéalisme. Par une manière de Potenzierung, nous passons de la rotation à la co-rotation, c’est-à-dire : d’un monde-spirale à un monde-derviche. C’est dire le vertige induit par les univers idéalistes et gödeliens.
Fig. 2. – La « danseuse » de GÖdel (Dervich World). D’après Németi et alii, 2010.
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Bibliographie
Bibliographie
Leibniz Gottfried Wilhelm, Naissance du calcul différentiel, 26 articles des Acta Eruditorum, introduction, traduction et notes par Marc Parmentier, Paris, Vrin, 1989.
Novalis (Hardenberg Friedrich von), Das Allgemeine Brouillon, in Richard Samuel, Hans-Joachim Mähl et Gerhard Schulz (dir.), Novalis Schriften, Band 3, Stuttgart, Verlag W. Kohlhammer, 3. Auflage, 1983, p. 242-478. Cité : HKA, le tome, la page. Nous utilisons aussi : Novalis. Werke, Tagebücher und Briefe, herausgegeben von Hans-Joachim Mähl und Richard Samuel, Munich/Vienne, Carl Hanser Verlag, 1978. Cité : WTB, le tome, la page.
GÖdel Kurt, Collected Works, éd. Solomon Feferman et alii, Oxford, Oxford University Press, vol. 2, 1990 & 3, 1995.
Notes de bas de page
1 Stanguennec André, La philosophie romantique allemande, Paris, Vrin, 2011.
2 Sur Novalis, cf. la synthèse de Mahoney Dennis F., Friedrich von Hardenberg (Novalis), Stuttgart, Verlag J. B. Metzler, 2001 ; et récemment id., From Goethe to Novalis. Studies in Classicism and Romanticism, éd. Wolfgang Mieder, New York, Peter Lang, 2015.
3 « Protogaea : de Leibniz à Novalis. Vers une mathesis de la terre », à paraître in Marc Cluet, Anne Feler, Daniel Lancereau et Denis Leypold (dir.), La dignité du minéral/Die Würde des Minerals, Actes du colloque de l’université de Strasbourg (9-12 mars 2016), Würzburg, Königshausen & Neumann, 2019.
4 « Novalis und Leibniz », in Herbert Uerlings (dir.), Novalis und die Wissenschaften, Tübingen, Niemeyer, 1997, p. 169-192.
5 Voir cependant sur cette question : Strickland Lloyd et Church Michael, « Leibniz’s Observations on Hydrology : An Unpublished Letter on the Great Lombardy Flood of 1705 », Annals of Science, 2015, vol. 72, n° 4, p. 517-532.
6 Leibniz écrit : « brachystochrone ». La graphie correcte est : « brachistochrone », que nous rétablissons dans le commentaire.
7 Leibniz, Protogaea. De l’aspect primitif de la terre, édition, introduction et notes de Jean-Marie Barrande, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1993, p. 37-39.
8 Leibniz, Correspondance Leibniz. Clarke, présentée par André Robinet, Paris, PUF, 1957, p. 35-36.
9 Leibniz, Naissance du calcul différentiel, 26 articles des Acta Eruditorum, introduction, traduction et notes par Marc Parmentier, Paris, Vrin, 1989. Nous suivons le commentaire de Marc Parmentier. Le statut des mathématiques mixtes apparaît aux pages 26, 54, 116, 147, 186-187, 191, 213, 247, 282, 309, 339, 345 et 363.
10 Leibniz, Naissance du calcul différentiel, op. cit. Sur le statut de la loxodromie, cf. p. 173-175, 200-201, 204, 212-213, 236 et 259.
11 Leibniz, Naissance du calcul différentiel, op. cit. Sur le statut de la brachistochrone, cf. p. 25, 48, 175, 212, 324, 345-346, 350, 354, 361-362, 368, 375 et 378.
12 Leibniz, Naissance du calcul différentiel, op. cit., p. 353-354. Cet article de Leibniz a été publié aux Acta Eruditorum de mars 1697.
13 Cf. le commentaire de Marc Parmentier, op. cit., p. 346-347.
14 Fichant Michel, « La dernière métaphysique de Leibniz et l’idéalisme », Bulletin de la Société Française de Philosophie, 2006, 100, n° 3, p. 1-37.
15 Leibniz, Theodicee, edit. Gottsched, Hannover und Leipzig, 1744.
16 Cf. la liste de ses livres in HKA, III, p. 1007.
17 Sur le contexte De Sinica, cf. Leibniz, Der Briefwechsel mit den Jesuiten in China (1689- 1714), (herausgegeben von Rita Widmaier), Hambourg, Felix Meiner Verlag, 2006. Id., Briefe über China (1694-1716), (herausgegeben von Malte-Ludolf Babin und Rita Widmaier), Hambourg, Felix Meiner Verlag, 2017.
18 Sur la combinatoire baroque, cf. Knobloch Eberhard, « Musurgia Universalis : Unknown Combinatorial Studies in the Age of Baroque Absolutism », History of Science, 1979, vol. 17, p. 258-275 ; sur la combinatoire leibnizienne, cf. id., Die mathematischen Studien von G.W. Leibniz zur Kombinatorik, Suttgart, Steiner Verlag, 1973. On trouvera un point récent sur la question in Robin Wilson et John J. Watkins (éd.), Combinatorics. Ancient and Modern, Oxford, Oxford University Press, 2013 (chap. v : « Renaissance Combinatorics » et chap. vi : « The Origins of Modern Combinatorics »).
19 Leibniz, De l’horizon de la doctrine humaine. La restitution universelle, Paris, Vrin, 1991, textes inédits, traduits et annotés par Michel Fichant.
20 Queneau Raymond, « Sur les suites s-additives », Journal of Combinatorial Theory, 1972, 12, p. 31-71.
21 Cf. notre article de 1992 : « Poésie, philosophie et science chez Friedrich von Hardenberg (Novalis) », Études philosophiques, 1992, 4, p. 463-486, en particulier p. 479-480, et la communication de Philippe Séguin dans ce volume.
22 Queneau Raymond, Journaux, Paris, Gallimard, 1996, p. 676 (notes du 15-11-49 au X-12-49).
23 Poètes baroques allemands, traduits et présentés par Marc Petit, Paris, Maspéro, 1977, p. 122. Voir aussi p. 123-125 et p. 108-114.
24 Kagel Mauricio, Quirinus’ Liebeskuss. Alles wechselt, All Things Change, Serenade. Doppelsextet, Schönberg Ensemble, Nederlands Kamerkoor, Reinbert de Leeuw, Music Edition Winter & Winter, 2006.
25 Clarke Arthur C., Les neuf milliards de noms de Dieu, Paris, Librio, 1997, p. 5-14. Pour un commentaire de ce texte, on se reportera au livre de Baudrillard Jean, L’échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 1976, chapitre consacré aux anagrammes, p. 285-308, en particulier les p. 305-308.
26 Sur les applications multiples aux lettres, cf. d’une part Neubauer John, Symbolismus und symbolische Logik. Die Idee der ars combinatoria in der Entwicklung der modernen Dichtung, München, Wilhelm Fink Verlag, 1978 ; et d’autre part Kilcher Andreas, mathesis und poiesis. Die Encyclopädik der Literatur 1600-2000, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 2003.
27 Maxwell James Clerk, Theory of Heat, Londres, 1871, p. 328-329.
28 Szilard Leo, « Über die Entropieverminderung in einem thermodynamischen System bei Eingriffen intelligenter Wesen », Zeitschrift für Physik, 1929, 53, p. 840-856 ; Brillouin Léon, Science and Information Theory, New York, Academic Press, 1956 ; Gabor Dennis, « Light and Information », Progress in Optics, vol. 1, 1961, p. 109-153.
29 Le point de vue physique est présenté par Landauer Rolf, « Irreversibility and Heat Generation in the Computing Process », IBM Journal of Research and. Development, 1961, 3, p. 183-191. D’un point de vue mathématique, les machines de Turing inverses ont été présentées en 1963 par Lecerf Yves, « Machines de Turing réversibles », Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris, vol. 257, 1963, p. 2597-2600.
30 Bennett Charles, « Logical Reversibility of Computation », IBM Journal of Research and Development, 1973, 17, p. 525-532 ; id., « The Thermodynamics of Computation – a Review », International Journal of Theoretical Physics, vol. 21, n° 12, 1982, p. 905-940. Il faudrait nommer aussi Edward Fredkin et sa computation balistique, Tommaso Toffoli, Norman Margolus, et Paul Benioff, etc.
31 Feynman Richard Phillips, « Reversible Computation and the Thermodynamics of Computation », Feynman Lectures on Computation, éd. Tony Hey et Robin W. Allen, Westview Press, 1996, p. 137-184. Les citations sont aux p. 150 et 154. Nous n’abordons pas ici le problème de la computation quantique. Sur ce point, cf. l’article fondateur de Feynman R. P., « Quantum Mechanical Computers », Optic News, 1985. Article repris in Feynman Lectures on Computation, op. cit., 1996, p. 185-211, ainsi que les travaux de David Deutsch et Peter Shor. Pour un point récent sur la question des architectures, cf. Monroe Christopher et alii, « Experimental Comparison of Two Quantum Computing Architectures », PNAS, March 28, 2017, vol. 114, n° 13, p. 3305-3310. Pour la technologie, et en particulier les satellites quantiques (Micius), cf. Liao Sheng-Kai et alii, « Satellite-Relayed Intercontinental Quantum Network », Physical Review Letters, 120, 030501, 19 janvier 2018.
32 Nous avons publié, en 2015, un article de synthèse au titre non ambigu : « Novalis et la question de la science. Des mathématiques à la terre : une écriture de l’intégration », in Augustin Dumont et Alexander Schnell (dir.), Einbildungskraft und Reflexion. Philosophische Untersuchungen zu Novalis, LIT Verlag, Münster, 2015, p. 193-233.
33 Sur la question des principes (identité, contradiction, tiers-exclu), cf. la communication de Guillaume Lejeune dans ce volume.
34 Modèle de Hoffman Yehuda, Pomarède Daniel, Tully R. Brent et Courtois Hélène M., « The Dipole Repeller », Nature Astronomy, 2017, vol. 1, article n° 0036, 30 janvier 2017.
35 Ses travaux se déploient sur trois niveaux : le statut des exercices, les bifurcations de l’absolu et le déséquilibre affirmatif. On se reportera donc respectivement à Trop Gabriel S., Poetry as a Way of Life. Aesthetics and Askesis in the German Eighteenth Century, Evanston, Northwestern University Press, 2015 ; id., « Novalis and the Absolute of Attraction », Seminar, vol. 50, n° 3, septembre 2014, p. 276-294 ; id., « Affirmative Desequilibrium : Hogarth, Schiller, Schelling, Goethe », Statics, Mechanics, Dynamics : Equilibrium around 1800, The Germanic Review, 2017, 92 : 2, p. 169-188.
36 Novalis, WTB, II, p. 770.
37 Jacobi, Lettres sur le nihilisme. Présentation de Ives Radrizzani, Paris, Garnier-Flammarion, 2009. Lettre de Jacobi à Fichte, 1799, p. 62.
38 Novalis, HKA, III, p. 422.
39 L’expression est de Gaston Bachelard.
40 Blanchot Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 515-527.
41 De Turing Alan M., voir, pour les espaces discrets, les textes suivants, « Intelligent Machinery », 1948 ; « Computing Machinery and Intelligence », 1950 ; « Intelligent Machinery, a Heretical Theory », c. 1951 ; « Can Digital Computers Think ? », 1951 ; Can Automatic Calculing Machines Be Said to Think ? », 1952. Sur les espaces continus, voir du même, « The Chemical Basis of Morphogenesis », 1952. Tous ces textes ont été réédités dans un même volume in Copeland B. Jack (éd.), The Essential Turing. Seminal Writings in Computing, Logic, Philosophy, Artificial Intelligence and Artificial Life. Plus the Secrets of Enigma, Oxford, Oxford University Press, 2004.
42 Thom René, Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Bourgois, 1980.
43 Connes Alain, Noncommutative Geometry, Cambridge (Massachusetts), Academic Press, 1994.
44 Connes Alain, « Geometry and the Quantum », arXiv : 1703.02470v1, 7 mars 2017, p. 1-36. Voir en particulier le § 2 « Prelude : The Discrete and the Continuum », p. 4-11.
45 Ce problème des anagrammes a retenu très tôt l’attention des linguistes, de Ferdinand de Saussure en particulier. Cf. Starobinski Jean, Les mots sous les mots : Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, 1971. Pour un point récent, cf. Testenoire Pierre-Yves, Ferdinand de Saussure à la recherche des anagrammes, Limoges, Lambert-Lucas, 2013.
46 Vuillemin Jules, Physique et métaphysique kantiennes, Paris, PUF, 1955, p. 154-155. Sur les Premiers Principes de la Métaphysique de la Nature de 1786, cf. Friedman Michael, Kant’s Construction of Nature. A Reading of the Metaphysical Foundations of Natural Science, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
47 Sur le statut de l’expérimentation, cf. Daiber Jürgen, Experimentalphysik des Geistes. Novalis und das romantische Experiment, Göttingen, Vandenhoeck/Ruprecht, 2001.
48 On peut considérer que le livre II des Principia de Newton est pour l’essentiel un traité de balistique générale.
49 Sur Lichtenberg et sa physique, cf. Ramalingam Chitra, « Dust Plate, Retina, Photograph : Imaging on Experimental Surfaces in Early Nineteenth-Century Physics », Science in Context, vol. 28, Issue 03, septembre 2015, p. 317-355 ; Pfannkuchen Antje, « A Matter of Visibility. G. Chr. Lichtenberg’s Art and Science of Observation », Configurations, 24, n° 3, 2016, p. 375-400.
50 Sur Lichtenberg, cf. Novalis, WTB, I, 477 ; II, 356, 511, 522, 798.
51 Id., WTB, II, p. 798.
52 Nous avons abordé ce problème dans une note, « Sur l’édition critique des œuvres de Novalis », Études Germaniques, juillet-septembre 1989, p. 804-808.
53 Sur Chladni, cf. les livres de Ullmann Dieter, Ernst Florens Friedrich Chladni, Leipzig, BSB B.G. Teubner Verlagsgesellschaft, 1983 ; id., Chladni und die Entwicklung der Akustik von 1750-1860, Basel, Birkhäuser, 1996.
54 Sur Chaldni, cf. Novalis, WTB, II, p. 517, 606 et 607.
55 Voir aussi les nombreux articles de physique contemporaine sur la formation des patterns de Chladni, en particulier sur la formation des patterns de Chladni inverses : Van Gerner H. J. (2010, 2011), Zhou Q. (2016), Lei J. (2017).
56 Sur Ritter, cf. Ritter Johann Wilhelm, Entdeckungen zur Elektrochemie, Bioelektrochemie und Photochemie, aus seinen Abhandlungen ausgewählt, eingeleitet und erläutert von Hermann Berg und Klaus Richter, Leipzig, Akademische Verlagsgesellschaft, 1986 ; Richter Klaus, Das Leben des Physikers Johann Wilhelm Ritter. Ein Schicksal in der Zeit der Romantik, Weimar, Verlag Hermann Böhlaus Nachfolger, 2003 ; Holland Jocelyn, German Romanticism and Science. The Procreative Poetics of Goethe, Novalis and Ritter, New York/Londres, Routledge, 2009 ; sur les rapports entre Ritter et Oersted, cf. Friedman Michael, « Kant – Naturphilosophie – Electromagnetism », in Michael Friedman et Alfred Nordmann (éd.), The Kantian Legacy in Nineteenth-Century Science, Cambridge, Massachusetts, The MIT Press, 2006, p. 51-79.
57 Sur Ritter, cf. Novalis, WTB, I, p. 235, 685, 709, 729 et 742 ; II, p. 420, 435, 625, 626-627, 756, 770, 797-798, 816, 823 et 845.
58 Sur le rapport entre romantisme, mines et institutions, cf. Ziolkowski Theodore, German Romanticism and its Institutions, Princeton, Princeton University Press, 1990. Voir en particulier le chapitre ii : « The Mine : Image of the Soul », p. 18-63.
59 Sur mines et caméralisme, cf. Wakefield Andre, The Disordered Police State. German Cameralism as Science and Practice, Chicago, The University of Chicago Press, 2009.
60 Németi Istvan, Madarasz Judit X., Andreka Hajnal et Andai Attila, « Visualizing Ideas about Gödel-Type Rotating Universes », in Mike Scherfner et Matthias Plaue (éd.), Gödel-type Spacetimes : History and New Developments, Kurt Gödel Society, Collegium Logicum X, 2010, p. 77-127.
61 Buser Michael, Kajari Endre et Schleich Wolfgang P., « Visualization of the Gödel Universe », New Journal of Physics, 2013, 15, 1, article id. : 013063.
62 Pour une présentation générale de la cosmologie de Gödel en contexte, on pourra se référer à Merleau-Ponty Jacques, Cosmologie du xxe siècle. Étude épistémologique et historique des théories de la cosmologie contemporaines, Paris, Gallimard, 1965, p. 273-296 : « L’abandon du principe cosmologique et du temps cosmique. Univers relativistes “tournants”, anisotropes ou non homogènes » et l’appendice technique VII, p. 491-496.
63 GÖdel Kurt, Collected Works, Oxford, Oxford University Press, 1990, vol. 2, 1949a, p. 202-207.
64 GÖdel Kurt, op. cit., 1995, vol. 3, 1946/9, déclinés en deux versions : B2 et C1, p. 230-259.
65 GÖdel Kurt, op. cit., vol. 2, p. 208-216.
66 GÖdel Kurt, op. cit., vol. 3, p. 269-287.
67 Crocco Gabriella et Engelen Eva-Maria (éd.), Kurt Gödel. Philosopher. Scientist, Aix-Marseille, Presses universitaires de Provence, 2016. Sur la cosmologie, cf. les articles d’Éric Audureau (p. 57-79) et Julien Bernard (p. 81-105) ; sur Leibniz, les articles de Mark van Atten (p. 205-232 et p. 233-241), Eberhard Knobloch (p. 327-344) et Massimo Mugnai (p. 401-416).
68 GÖdel Kurt, op. cit., vol. 3, 1949b, p. 274.
69 GÖdel Kurt, op. cit., vol. 5, p. 249 et 251.
70 Kaluza Theodor, « Zum Unitätsproblem der Physik », Sitzungsber. Preuss. Akad. Wiss. Berlin, 1921, p. 966-972. Il est à noter que Kaluza est cité par Gödel deux fois et, à chaque fois, dans des textes non publiés : les versions B2 (p. 240, note 26) et C1 (p. 252, note 16).
71 Sur l’erreur de Hilbert, cf. Abrams Leonard S., « Black Holes : The Legacy of Hilbert’s Error », Canadian Journal of Physics, 1989, 67 (9), p. 919-926.
72 Sur les travaux de Schwarzschild, cf. Feynman Richard Phillips, Leçons sur la gravitation, Paris, Odile Jacob, 2001 (métrique, p. 185-187, singularité, p. 187-190, topologie, p. 235-237).
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