De l’expérience à l’être du poétique
Une autre phénoménologie de Mikel Dufrenne
p. 201-219
Texte intégral
1Quoique davantage reçu pour sa Phénoménologie de l’expérience esthétique, Mikel Dufrenne est aussi l’auteur d’une « poétique ». Cette partie de ses écrits est sans doute moins connue pour la raison que l’une et l’autre renferment semblables problèmes ou exposent à la même menace. D’une part, ces études risquent toujours de se disperser en un inventaire ontique de l’ensemble des œuvres, n’aboutissant jamais à l’exhaustivité qui permettrait d’extraire l’essence de l’art ou de la poésie. D’autre part, elles conduisent souvent le philosophe à trouver refuge dans un discours purement ontologique, vouant la création et sa liberté à un mépris certain, se contentant de fixer des normes et des règles. M. Dufrenne a prévenu et évité ce travers, ce dont témoigne le fait qu’il n’a pas rédigé « une » poétique, mais s’est efforcé de définir Le Poétique. C’est pourquoi il a accompli le cheminement singulier qui mène des écrits les plus divers à la détermination d’une essence, dont il faut bien se garder de convenir, par avance, qu’elle n’appartiendrait qu’à la seule poésie.
Comment des poèmes ?
2En dépit de son originalité, ce cheminement ne nous met pas à l’abri de la difficulté première consistant à choisir les œuvres1. Comment distinguer les écrits poétiques ? Il semble nécessaire de s’en remettre à la tradition, d’identifier le poème par le sonnet, l’alexandrin, etc. Mais ce recours au formalisme ne peut évidemment être approuvé, car, dans ce cas, l’avènement de toute œuvre singulière serait définitivement condamné. Comme tout artiste, le poète s’inspire certes de ses prédécesseurs, les imite aussi, répond à une exigence qu’ils ont fixée, « mais cette exigence est appel et non pression, […] définit une vocation et non une contrainte2 » ; ainsi l’« idée de la poésie qui l’inspire » n’est-elle pas une « idée réifiée », ne relève-t-elle pas, si ce n’est en de rares cas, de l’« aliénation ». Se pourrait-il alors que la poésie ne se distingue pas de la prose ? Il faut répondre favorablement à cette question, non seulement parce que des poèmes en prose existent en France depuis le milieu du xixe siècle, mais aussi parce que de « la poésie est toujours présente dans la prose, parce que la poésie, malgré tout, n’est pas le privilège des poètes. Un poète est quiconque est inspiré, quiconque parle comme sous l’influence d’une irrésistible contrainte et comme si lui-même était abasourdi par ce qu’il dit3 ». Une contrainte (constraint) s’exerce donc sur lui, si bien qu’on peut considérer qu’il existe un formalisme poétique (poetic formalism) comparable au formalisme logique (logic formalism)4. Le critère permettant de distinguer le poétique apparaît néanmoins comme ne pouvant être exclusivement formel. Puisqu’il se distingue, le langage poétique doit pourtant se différencier du « commun langage5 ».
3La poésie n’est-elle alors qu’un embellissement du discours ordinaire ? Schématiquement, un écrivain peut avoir deux usages du langage : « ou bien, comme dans la prose, il est un outil pour une conscience qui en l’utilisant dépasse aussitôt sa nature vers son sens, et il s’oublie dans sa signification ; ou bien, comme dans la poésie, il est un objet devant une conscience qui ne connaît que sa nature pour s’en étonner et en jouer, et il oublie sa signification6 ». Mais ce clivage ne passe pas qu’entre la prose et la poésie, voire la philosophie et la littérature ; il oppose également l’écriture et la parole. À la suite de Lévi-Strauss, M. Dufrenne observe que le signe, qui s’est développé secondairement, fut d’abord privilégié en ce qu’il permettait de « faire accomplir quelque chose à quelqu’un » (make someone do something7), de transmettre l’ordre d’une autorité, mais aussi la lettre de la loi8, donc d’assumer la fidélité et la conservation du message. Ainsi la langue écrite est-elle un outil (tool) qui s’impose toujours plus avec le progrès technique, qui sert au seul développement de la communication, et s’oppose à la langue des origines, marquée par son oralité et vouée à l’expression. Cette distinction révèle donc que le recours à la graphie peut être aussi bien interprété comme un progrès indéniable qu’un déclin, car, « la langue écrite est une pseudo-langue pour la vraie langue qui est la langue orale ». Quelles sont alors pour la poésie les conséquences de ces considérations linguistiques et anthropologiques ? Elles sont qu’en dépit de certaines démarches insistant sur l’écriture, comme celle d’Apollinaire, « la poésie est une voix9 » qui « renverse la parole quotidienne », « perturbe le régime ordinaire de transmission de l’information10 ». Le langage poétique se distingue donc en ce qu’il privilégie l’oralité et l’expressivité.
4Pour saisir le lien entre ces deux caractéristiques, il faut aussi comprendre que « le sens est principiellement immanent au signe11 », ce qui a évidemment pour conséquence qu’un langage qui se détourne de l’objectif si moderne de communiquer, d’informer, a tendance à abandonner l’écrit pour s’en retourner à la voix, voire la parole. C’est en ce « mode originaire de la signification », en lequel « le langage est lui-même parlant », que consiste l’expression. Sous cette forme, le langage est un « système physique » qui s’efforce d’« être nature », c’est-à-dire qu’il n’est plus envisagé comme la représentation ou le vecteur d’une information, mais comme un objet : « Il ne renvoie pas à autre chose parce qu’il est chose en quelque façon, il est la chose même qu’il désigne. » Cette approche permet donc de déjouer « l’arbitraire du signe12 ». Le poète ne cherchant plus en vain à établir ou rétablir une correspondance entre le signifié et le signifiant, il se concentre sur l’expression, qui consiste donc à apprécier le mot pour lui-même, en sa matérialité, indépendamment de son sens. Toujours en termes saussuriens, « l’expression, c’est la présence en quelque sorte sensible du signifié dans le signifiant, lorsque le signe éveille en nous un sentiment analogue à celui que suscite l’objet13. » Cela signifie-t-il que la poésie impose une proscription ou un abandon de l’écriture ? Nullement ; mais l’écriture poétique ne peut s’accomplir que dans la conscience qu’il existe une « primauté de la langue parlée14 », qui n’est pas seulement chronologique, mais hiérarchique ; que cette supériorité tient à l’inexpressivité de l’écriture, à laquelle il « manque l’essentiel de ce qui fait une langue : la fonction sémantique par excellence, le pouvoir de désigner le réel ; plus précisément », indique M. Dufrenne, « elle garde une fonction sémantique, mais indirecte ; elle ne signifie la réalité qu’à travers la langue parlée à laquelle elle renvoie d’abord ». La poésie doit donc privilégier la « fonction sémantique directe » que lui procure, à l’inverse, la parole. Mais comment restaurer celle-ci au sein de l’écriture ? Comment s’affranchir de la réelle insuffisance qu’elle nous impose, tout en continuant de l’utiliser comme véhicule ? Il est pratiquement impossible, évidemment, d’en revenir à une civilisation de l’oralité. La solution réside dans l’écriture elle-même. Il faut, pour que le langage soit parlant ou expressif, pour qu’il se désigne lui-même, que le texte écrit fasse ressortir le mot. « Car le mot trouve dans la parole une matérialité charnelle, une saveur que précisément la poésie nous donne à goûter, en nous retenant d’aller trop vite au sens conceptuel selon une démarche où le mot est utilisé sans être savouré pour lui-même. Et il y a expression lorsque cette chair incarne le sens, lorsque la signification est proprement naturelle15. » L’insistance sur le mot est donc un procédé stylistique censé proprement caractériser le poétique.
5Pour ce faire, on doit « remonter du prédicatif à l’anté-prédicatif, c’est-à-dire […] de la phrase au mot16 », car la signification est davantage portée, ou du moins précisée, par la syntaxe. Cela ne signifie évidemment ni que le mot seul est dépourvu de sens, ni qu’il serait loisible au poète de nous proposer une « suite aléatoire de mots17 », car l’effet obtenu serait inverse de celui recherché : « l’information s’y établirait aux dépens de la signification ». Il faut conserver la syntaxe mais en desserrer les liens18, choisir scrupuleusement les termes qui seront ainsi mis en évidence, qui ne peuvent être n’importe lesquels ; nous y reviendrons. L’effet obtenu est double. D’une part, cet isolement des mots porte le lecteur, après le poète, à prendre conscience à nouveau de leur sonorité, à juger des synesthésies. Bien avant Saussure, les poètes se sont demandé si la signification des mots avait été établie naturellement (physei) ou par convention (thesei)19, si le rapport entre signifiant et signifié était motivé. Ainsi Mallarmé observa-t-il que les mots jour et nuit ont une « valeur phonétique inverse de leur sens respectif20 », Charles Leslie Stevenson que le mot français papillon correspond davantage à la délicatesse du lépidoptère que l’allemand Schmetterling21. D’autre part, ce travail stylistique a pour effet d’« arracher le mot à son caractère d’outil familier et inaperçu22 ». Reprenant les travaux de George Kingsley Zipf, M. Dufrenne rappelle que l’écriture poétique déjoue ainsi la fameuse loi statistique qui porte son nom23, mais aussi qu’elle va à l’encontre du principe d’économie qui régit le commun langage, à savoir qu’en dépit de la croissance de nos « besoins communicatifs et expressifs24 », la tendance naturelle de l’homme est de « réduire au minimum son activité mentale et physique », de rejeter le superflu pour se concentrer sur le nécessaire25. Ces travaux mettent aussi en évidence que les poètes cherchent à « restituer un aspect insolite26 » aux mots, à surprendre le lecteur par leur emploi, afin que celui-ci soit amené à leur reconnaître « un pouvoir d’exprimer comme les choses plutôt que comme les signes » ; nous reviendrons sur cette « chosification » du mot. Pour l’heure, nous avons décrit le travail stylistique du poète, ce qui nous permet d’initier une compréhension de la nature linguistique du poétique. Toutefois, il est encore trop tôt pour élever celui-ci au niveau d’une réflexion philosophique. Il nous faut auparavant observer que, si le poète soumet son écriture à de telles contraintes, s’il adopte un langage qui n’est évidemment pas celui qu’il pratique dans la vie courante, il le fait certes pour atteindre à la littérarité convoitée, mais surtout pour exercer un effet sur son lecteur. Or, M. Dufrenne a fait le choix de définir d’emblée le poétique à partir de cette relation, reprenant une formulation de Valéry : « Poétique », écrit-il, « est l’œuvre qui induit dans le lecteur un état poétique27 ». Dans son œuvre, cette définition a quelque peu la forme d’un postulat, car certes nous convenons qu’un texte est littérairement poétique en ce qu’il insiste sur le mot et lui donne le pouvoir de s’exprimer comme une chose plutôt que comme un signe, certes nous ressentons bien que cette modification provoque un effet, ne serait-ce que de surprise, sur le lecteur ; mais il n’est pas encore possible, à ce stade de la lecture, de constituer une essence du poétique. Cependant, M. Dufrenne fait le choix, qui va structurer l’ensemble de son livre, de considérer l’existence de ce que nous pouvons appeler une « chaîne créative » ou une « généalogie de la poésie ». D’après lui, le poème induit cet état dans le lecteur, parce que le poète lui-même l’a incorporé au texte dont il est l’auteur, celui-ci lui ayant été inspiré par la Nature. Ainsi le plan de son ouvrage est-il une généalogie inversée qui le fait partir du lecteur, passer par le poète, et régresser jusqu’à la Nature, en tant que grande inspiratrice. Cette interprétation se défend, mais elle soulève certaines objections, en particulier lorsqu’on confronte sa réflexion à celle de Maritain, et discute de l’équilibre entre inspiration et travail dans la création poétique. Il va aussi de soi que cette conception a des conséquences sur la nature théorique de l’étude, car il s’agit de définir le poétique, et non de constituer une poétique, comme nous l’écrivions en introduction. Il est néanmoins certain que sa démarche occupe une place remarquable par rapport aux travaux d’autres philosophes.
6Les conférences que M. Dufrenne prononça aux États-Unis à l’automne 1959 présentent l’intérêt évident de traiter d’une question plus vaste que Le Poétique, celle du rapport entre parole et philosophie ; elles nous permettent aussi de mieux situer sa phénoménologie du poétique au sein d’une réflexion globale sur le langage. Selon lui, on peut distinguer trois approches possibles de la parole : celle de la linguistique qui la considère comme un objet de science (object of science) ; celle de la logique pour laquelle elle est la science elle-même (science itself) ; celle enfin qui associerait l’étude de l’homme parlant (man as speaking) et de la parole parlante (language as speaking), à savoir une phénoménologie de la parole (phenomenology of language)28. Cette dernière ne constitue pas à elle seule l’ensemble de l’approche philosophique de la parole, car, de la nuit des temps, provient l’idée que la parole est le propre de l’homme par opposition à l’animal, qui nous suggère qu’il y a une « nature transcendante de la parole » (transcendant nature of language)29. Cela implique qu’en parallèle de la phénoménologie de la parole (phenomenology of speech) s’est aussi développée une ontologie de la parole (ontology of language), chez Heidegger, mais aussi Schelling et Hegel, qui justifie la collaboration du poète et du philosophe30. M. Dufrenne mène dans sa poétique une phénoménologie de la parole, et il faudra nous en rappeler lorsque nous comparerons sa démarche à celle, pourtant semblable sous bien des aspects, de Heidegger ; pour anticiper, disons que s’il s’inscrit dans la tradition inaugurée par Husserl, il a décidé de ne pas lui faire suivre le même tournant ontologique que lui a imposé l’auteur de Sein und Zeit. C’est aussi pour cette raison qu’il distingue deux démarches apparemment opposées au sein de cette phénoménologie de la parole. Pour la première, nous dit-il, l’être humain est un être parlant (man as speaking), si bien que, selon cette conception, la parole est ravalée au rang d’outil (tool) et l’homme vu comme son véritable maître (master)31. Pour la seconde, la parole précède et excède la pensée (precedes and outruns thought), c’est-à-dire qu’elle était là avant notre apparition et échappe à notre emprise, qu’elle parle à cause d’elle-même (on its own account). C’est à cette seconde interprétation que se rattache M. Dufrenne. Un poète maître de la parole serait évidemment un poète artisan, tandis que Le Poétique croit essentiellement dans l’inspiration qui provient de la parole et de la Nature, qui justifie la chaîne créative, la généalogie de la poésie, et le plan de ce traité qui consiste à la parcourir à rebours. Toutefois, ces deux points de vue peuvent aisément être conciliés. Il suffit pour cela de prendre conscience que lorsque l’homme parle, c’est-à-dire essentiellement communique, il le fait en employant des signes (signs) qui avaient déjà une signification et une portée (meaning and significance). Cela ne signifie pas simplement qu’il emploie un alphabet et un vocabulaire qui lui sont légués par une culture, mais qu’avant même l’apparition de l’homme sur terre, cette valeur intellectuelle était présente dans le monde.
7La phénoménologie de la parole accomplit donc une démarche parallèle à celle de la poésie. La première met en évidence que le mot « n’est perçu que pour que le sens soit conçu, toute la réalité du langage en acte [s’épuisant] dans cette donation du sens32 » ; la seconde fait le lecteur se concentrer sur le mot, afin justement qu’il n’entrevoie plus le langage comme un simple moyen de communication, mais perçoive les mots comme des choses ayant une existence charnelle. La poésie moderne a parfaitement conscience de cette problématique, et s’interroge sur le propre pouvoir et la signification de son discours, devenant une « poésie de la poésie » (poetry of poetry)33. À ce stade, nous voyons donc bien en quoi la démarche accomplie par Le Poétique est originale : « nous ne pensons pas », précise M. Dufrenne, « que cette phénoménologie de l’expérience poétique doive être elle-même une poétique34 ». Il s’agit donc, pour le philosophe qu’il est, tel un poète, de nous proposer son propre cheminement vers la parole.
D’un autre cheminement vers la parole
8Telle que définissant la poésie, la parole ne se caractérise pas, en propre, par son oralité. Certes, nous avons appris que l’écriture servait fatalement à la communication, qu’elle se réduisait à la transmission d’un sens, et par là même n’avait paradoxalement qu’une fonction sémantique indirecte. Certes, nous avons reconnu que l’oralité favorisait l’expression en même temps que l’induction d’un état poétique, parce qu’elle permettait de considérer le mot en lui-même, comme une chose. Mais nous avons aussi retenu que, selon une certaine conception de la phénoménologie de la parole, l’homme était considéré comme le maître de la parole, et la parole, comme son outil. Or, l’écrit était lui-même vu comme un outil, réduisant le langage à sa seule utilisation, le port d’une information. Il nous faut donc privilégier une acception de la parole comme antérieure à son usage par l’Humanité. Qu’est-ce que cela signifie ?
9L’homme n’est-il pas le seul à pouvoir parler, ce qui assure sa supériorité sur l’animal et le reste du monde ? – Nous posons mal le problème, car nous identifions la parole et la phonation. Mais nous constatons bien qu’il nous faut parler pour penser la parole, que « nous ne pouvons penser sans parler35 », que « l’homme parlant est l’homme pensant36 », que, plus encore, la parole devance toute pensée. Alors qui parle, qu’est-ce qui parle, si ce n’est nous-mêmes ? – la parole parle. Sous cette forme de pléonasme ou de tautologie37, la réponse est provocatrice, mais manque d’originalité. Nous retrouvons cette réflexion et cette formule, mot pour mot, chez Heidegger : Die Sprache spricht38. M. Dufrenne va pourtant bien au-delà de cette pensée, la fondant d’une manière originale. Il explique que nous sommes conduits pas la phénoménologie considérée comme logique transcendantale (transcendental logic) à quitter la « parole parlée » (language that is spoken), que nous concevons aisément en lui associant toujours la voix, pour en revenir à la « parole qui parle » (language that speaks)39. En peu de mots, il faut rappeler que Husserl a fondé une logique transcendantale qui se distingue de celle de Kant en ce qu’elle est une réflexion génétique, et non plus formalisante, sur les synthèses passives qui opèrent sur des contenus sensibles et précèdent la constitution d’objet40. Cette problématique est d’autant plus intéressante qu’elle a mené au développement de la phénoménologie singulière de Merleau-Ponty, dont les similitudes avec le travail de M. Dufrenne, particulièrement dans le champ esthétique, sont des plus intéressantes. Toutefois, il nous semble que ce dernier est demeuré plus proche de l’entreprise de Husserl, en ce que son travail sur l’a priori a reconnu la place qu’occupait, dans les travaux de cette période, le caractère passif, c’est-à-dire sans intervention de l’ego, et antéprédicatif, de l’expérience. Nous esquissons l’idée que lorsque M. Dufrenne voit dans le passage du prédicatif à l’antéprédicatif, dans l’attention au mot, le procédé fondamental pour induire une qualité et un état poétique, il ne fait que reproduire, dans le champ de l’expérimentation littéraire, ce que Husserl avait accompli dans ses travaux de logique. Il est donc naturel que le moi en vienne à se retirer de l’exercice de la parole. Plus précisément, « l’homme parle parce que la parole parle » signifie que la parole ne parle que parce que les choses parlent41, ou encore que « l’homme ne peut parler du monde que parce que le monde lui parle42 ». La formule « la parole parle » n’est donc pas excessive et le retrait de l’homme qu’elle impose n’est nullement mystique. Elle correspondrait, dans le champ littéraire, au fait que l’existence d’une géométrie naturelle, par exemple, ne signifie pas que Thalès l’a fondée, mais qu’il a explicité « une géométrie implicite à l’œuvre en toute connaissance43 ». De même, il y aurait donc une poésie implicite ou naturelle, que l’homme a pour tâche d’expliciter. Mais cela ne peut simplement signifier que la sensibilité poétique serait présente en tout homme, à charge pour lui de la développer, comme l’a priori kantien désigne les connaissances logiques qui sont antérieures à l’expérience et la conditionnent. Il faut admettre que du poétique existait dans le monde avant l’homme, qu’« une véritable alliance a été scellée, même depuis le commencement, entre l’homme et le monde44 ». Quelle est alors la mission que cette alliance assigne au poète ?
10Si c’est avec la langue que la poésie s’élabore, avec l’écriture qu’elle se perpétue, ce n’est que « dans la parole qu’elle s’incarne45 ». Cependant, nous ne sommes pas maîtres de la parole ; elle s’impose à nous ou vient nous solliciter. M. Dufrenne précise : « Nous ne parlons – le poète ne parle – que parce que le monde nous parle46. » Cela ne signifie pas simplement que l’écrivain doit être sensible à la poéticité des choses, doit être attentif à ce qui en elles pourrait l’inspirer, mais que « la Nature » veut « l’homme parlant47 ». Cette requête signifie que ce n’est pas simplement la parole qui parle ou le monde qui nous parle, si nous savons l’entendre, mais que c’est la Nature, pour ainsi dire « en dernière instance », qui demande au poète de parler. Pourquoi lui adresse-t-elle alors cette sollicitation ? On ne peut y répondre simplement en disant que seuls les poètes parlent, car il s’agit là de comprendre pourquoi il est si important que la parole s’élève, que la poésie subsiste. M. Dufrenne cite une belle phrase de Bachelard disant que l’image poétique « “nous met à l’origine de l’être parlant” ». Ce cheminement, qui désormais outrepasse la parole, n’est donc pas simplement une remontée méthodique vers la source de l’inspiration, expliquant le plan de ce traité, mais une véritable « involution », car la Nature, précise-t-il, ne veut pas simplement l’homme parlant, mais « la première parole qui est la poésie48 ». Il s’agit donc pour le poète de ramener le langage « à ses sources49 » pour en « restaurer la dignité originelle50 ». (La question qui surgit aussitôt est celle de savoir pourquoi une telle restauration – à ne pas entendre comme une réparation, mais comme un rétablissement – serait devenue nécessaire, car pour justifier qu’elle soit le principe de la poésie, il faudrait reconnaître qu’il y a eu un déclin du langage. Mais procédons dans un ordre différent, et examinons en quoi la poésie remédierait à cette situation, pour ensuite en confirmer ou non la véracité.) M. Dufrenne insiste beaucoup sur le fait que la poésie, dont l’expressivité est donc une caractéristique essentielle, est « incantation51 » ; et pour appuyer cette affirmation, il cite aussi, à de très nombreuses reprises, tout ou partie de ces célèbres mots de Mallarmé : « Je dis : une fleur ! et hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets52. » L’idée que développe ici le poète, et que rassemble la notion d’incantation, est que le langage poétique ne fait pas simplement ressortir le mot, ou fixer sur lui l’attention du lecteur, mais que, reconnu lui-même comme chose, il impose (compel) aussi la présence de cela qu’il désigne53. C’est pour cette raison qu’il ne saurait être communication et demeure tellement étranger à l’écriture. La poésie ainsi conçue, et c’est pourquoi elle répond à l’appel de la Nature, est la parole originelle (original language), la parole primitive (primitive language), considérée comme vraie54. Plus précisément, elle est la première forme de parole, « la parole dans laquelle une signification qui est encore préconceptuelle est pleinement immanente à la chair et au sang des mots et immédiatement connue par notre sensibilité55 ». Alors, cet appel de la Nature, non content que seuls les poètes puissent y répondre, ne présente-t-il pas une autre difficulté ? Heidegger disait déjà qu’il est impossible de penser la parole ; ce pour quoi il s’est essayé à la poésie56. Mais il n’avait pas poussé sa démarche aussi loin que M. Dufrenne. Il s’agit à présent de savoir si une philosophie serait bien en mesure d’appréhender cette signification préconceptuelle qui est le propre de la poésie.
11Constatons d’abord que l’état poétique est non seulement susceptible d’être décrit en termes philosophiques, ceux de l’ontologie existentielle, mais encore que le poème est lui-même en pouvoir de nous constituer comme Dasein : « le poème […] sollicite l’être au monde tout entier57 ». Or le monde est un « foyer de possibles auxquels un mot aussi bien qu’un concept [nous soulignons] peuvent donner l’essor58 ». C’est dire que le travail stylistique par lequel le poète concentrait l’attention du lecteur sur le mot devenu chose trouve son équivalent dans l’arrêt que marque sur le concept la pensée du philosophe. Or il est vrai que ces deux rapports au monde ont de nombreuses similitudes, ne serait-ce que leur « caractère contemplatif » qui en fait chacune une « “communion spirituelle avec l’être59” ». Elles restent néanmoins irréductiblement différentes, comme les narbarlichen Stämme de Hölderlin. Cette différence tient au fait que « la poésie fait ce que la philosophie ne peut que penser60 », que la création poétique, que le travail du texte, conserve sa supériorité sur le raisonnement. M. Dufrenne, se tournant particulièrement vers la résurrection de la question de l’être accomplie par Heidegger, en même temps qu’un fascinant travail d’étymologie, considère néanmoins qu’il y eut une époque fugace où la poésie et la philosophie parlèrent la même langue : « Le philosophe aujourd’hui », constate-t-il, « ranime et explore le langage qui a été une fois celui de la philosophie naissante, d’une philosophie qui n’avait pas encore spécialisé et figé son langage ; et ce langage était encore tout proche de la poésie qui nommait les dieux et les puissances, et que véhiculaient les mythes61 ». Cela ne signifie pas simplement qu’en des temps reculés, la poésie et la philosophie se sont épanouies dans le même imaginaire polythéiste que les mythes, où chaque chose indique une présence. L’idée avancée est plutôt que la Nature se révélait sous la forme d’un « océan d’images62 », selon l’expression de Maritain, et que ce sont ces « grandes images », ces « mythologèmes », comme les nomme Kérényi, qui ont constitué l’inspiration commune de ces trois plus anciennes visions du monde63. Le mythe a ainsi été la « première poésie64 », car une alliance s’est nouée entre eux65, qui a survécu en dépit de la mort des dieux et du développement de la rationalité, ce qui permet d’affirmer qu’encore aujourd’hui, « la poésie est mythologie66 ». Il reste cependant à savoir ce qu’elles ont gardé en commun et d’identifier ce qui les a irrémédiablement tenues éloignées de la philosophie. M. Dufrenne dit du poète qu’il a une « voix pythique » (Pythic voice67), c’est-à-dire que l’imagination le met en communion avec les puissances de la Nature, qu’il laisse le monde s’exprimer à travers lui, le plonger dans ce fameux état d’extase ou de délire. Mais le travail du poète ne se résume évidemment pas qu’à cet abandon. Si le monde lui parle, sa tâche consiste à le saisir, à lui tendre ce qu’il appelle le « piège des mots » (snare of words68). Nos considérations sur les procédés stylistiques propres à l’écriture poétique, le retour du prédicatif à l’antéprédicatif, trouvent ici leur explication. Le poète use « de maîtres-mots qui balisent son monde69 » ; ce sont de « grands mots comme ciel, or, nuit, palme, amour, mer, destin70 ». Il ne lui suffit donc pas d’extraire le mot de toute phrase, car on aurait pu croire que cette méthode permettrait de transformer tout écrit non poétique, mais de choisir scrupuleusement les seuls termes qui nous procurent ce pouvoir d’incantation. En quoi se distinguent-ils alors ? Un mot poétique, dit encore « mot primordial », rassemble en lui « l’unité chatoyante d’une signification multiple71 », c’est-à-dire qu’il ne renvoie pas à un « sens déterminé », mais que, « selon sa chair », il « imite et évoque […] plutôt ce frémissement du multiple, ce sens des sens », voire une « amorce de sens72 ». C’est par cette différence du mot que le divorce de la philosophie d’avec le mythe et la poésie est advenu. La Nature nous offre spontanément des images qui sont signifiantes par elles-mêmes (knowledge in). Mais nous nous en sommes détournés pour privilégier « la sorte de sens et de signification impliquée dans toute “connaissance sur” [knowledge about], qui est donnée sur les images en vertu du genre de réflexion empirique associé à la science et à la technologie73 ». Or, c’est la philosophie qui, la première, a ainsi réduit l’image figurant derrière chaque mot, souvent encore présente dans le signifiant, et s’exprimant pleinement dans ces maîtres-mots, à un signifié précis. En plus de ce choix de mots poétiques, il faut donc aussi que le poète se garde de cette langue philosophique et scientifique, en éliminant les « mots-formes », les « mots savants », par trop abstraits. Nous avons ainsi la confirmation que la philosophie ne saurait s’exprimer dans les mêmes termes que la poésie, et que si elle veut néanmoins persévérer dans sa compréhension, ce ne peut être qu’en tentant d’appréhender son sens préconceptuel ou de la saisir dans sa nature concrète.
12Nous ne devons pas perdre de vue que M. Dufrenne est davantage connu comme un théoricien de l’art que de la poésie. Nous aurions donc sûrement à développer ce qui n’est resté chez lui qu’à l’état d’ébauche, une « phénoménologie de l’expérience poétique74 », expression évidemment inspirée du titre de son grand œuvre. Cette substitution d’adjectifs n’est pas accessoire, mais insiste sur le fait que l’objet poétique s’assimile à l’« objet esthétique », par opposition à l’« objet usuel » et à l’« objet signifiant75 ». La première opposition est aisée à comprendre, en ce sens que l’œuvre d’art, comme le poème, ne sert pas normalement à accomplir une action. Mais il est beaucoup moins facile de distinguer l’objet poétique de l’objet signifiant. L’objet esthétique n’est pas un « signe qui renvoie à autre chose qu’à lui-même76 » ; autrement dit, « il ne démontre pas, il montre ». C’est pourquoi il est possible de parler de l’objet esthétique dans les termes de l’objet poétique, à savoir qu’il se caractérise par le fait qu’en lui, « le signifié est immanent au signifiant77 ». Peut-on alors encore les distinguer ? Il est certain que, pour notre auteur, la nuance est faible. Concédant que si l’« objet esthétique peut conjurer l’objet absent, il n’en force pas la présence78 », il donne encore l’exemple de la fleur de Mallarmé. On peut donc affirmer, dans un premier temps, que tout objet poétique est pour lui esthétique. Il observe ainsi : que la distinction entre matière et matériau qu’on opère dans les arts recoupe celle de la langue et de la parole, ce qui permet d’affirmer que le langage est la matière de la poésie79 ; que « le poème n’existe comme un objet esthétique que lorsqu’il est lu, ou la peinture que lorsque quelqu’un la regarde80 » ; qu’enfin, ce que le mot, tel que la poésie le distingue, « évoque ou […] conjure », ce n’est pas « la présence même de l’objet, mais le sentiment de sa présence, l’aura de son sens dont il nous investit81 » ; que même : « La ressemblance n’est pas entre le mot et la chose, mais entre ce que suscite en nous le mot et ce que susciterait la chose. » L’objet esthétique et l’objet poétique se situent donc sur le même plan, en tant qu’ils relèvent tous deux de la théorie de l’expression. Mais l’objet poétique possède une infériorité sur l’objet esthétique, du fait, dit joliment M. Dufrenne, que le poète échouera toujours à « briser le corset de rationalité où l’enserre le langage ». Est-ce à dire que le poème ne serait qu’une œuvre d’art définitivement inférieure, en ce que son matériau ne lui permettrait pas d’atteindre à la même expressivité que les arts plastiques ? Nullement ; car, dans un deuxième temps, il affirme que le langage sert de modèle à la compréhension de l’œuvre, que « l’état poétique, c’est l’état esthétique tel que tout objet l’appelle82 », ou plus simplement, comme le dit Maritain, qu’« il y a de la poésie en tout art83 ».
13La conséquence en est évidemment que M. Dufrenne se donne pour tâche « la spécification du poétique comme catégorie esthétique84 », qu’il tente d’accomplir dans le dernier chapitre de Le Poétique. C’est peut-être sur ce point que sa démarche est la plus critiquable, en ce sens qu’elle demeure inachevée. Il passe un peu trop rapidement d’une phénoménologie de l’expérience poétique au principe que le poétique serait à l’œuvre en tout art, qu’il s’agirait d’une catégorie esthétique fondamentale. La seule preuve qu’il en apporte se trouve, nous semble-t-il, dans cette définition insuffisamment commentée : « L’objet esthétique est cet objet fabriqué en qui l’artifice n’imite pas la nature, mais produit la nature85. » Pourrait-on dire la même chose de l’objet poétique ?
L’a priori poétique
14Est-ce d’avoir forgé des concepts qui a éloigné à jamais la philosophie de la parole ? On pourrait en juger ainsi, puisque nous retrouvons un tant soit peu cette Nature, dès que nous nous retenons d’aller directement au sens. Mais, M. Dufrenne nous dissuade d’y croire : « À présent le mythe et la poésie sont des discours. Aussitôt que l’homme parle, il est séparé. Si le mythe ou la poésie dénotent l’unité (et le fait est qu’elles dénotent tout autant la séparation, l’abandon et l’affliction), cela peut seulement être que l’unité n’est plus une unité vécue86. » Comment expliquer, dès lors, cette unité perdue ?
15Comment se fait-il qu’à l’exception des poètes et des philosophes s’intéressant à la poésie, nous méconnaissions ou ignorions ce qui nous unit depuis toujours à la Nature ? Comment se fait-il que nous soyons incapables d’entendre la parole ? M. Dufrenne nous apporte la réponse, dénonçant la sorte de « péché originel » (original sin) que nous avons commis. Nous avons dénoncé le « pacte primordial » (primordial pact) qui nous liait à notre milieu (milieu), notre environnement (Umwelt)87, et, par là même, nous sommes séparés de l’animal. Pour appuyer son propos, il fait référence à Rilke, ce qui ne peut manquer de nous faire penser à ce poème que cite Heidegger dans Wozu Dichter ?, qui dit que les poètes sont die Wagenderen, ceux qui assument ce qui nous distingue de l’animal, la conscience du risque qui nous porte vers l’Être88. Ajoutons que, dans Le Poétique, M. Dufrenne donne aussi plusieurs citations des Duineser Elegien89, la dernière étant reprise de la même conférence90. Il ne fait donc aucun doute qu’il a mûri sa réflexion sur le poétique en lisant Holzwege, paru l’année précédente en français, et que leurs pensées sont au plus près l’une de l’autre, à ce point de leurs raisonnements. En quoi se distinguent-elles alors ? On ne voit guère de différence entre leurs célébrations de la parole parlante et leurs nostalgies d’une époque mythique où poésie et philosophie avaient une sorte de langue commune. La distinction est plutôt à trouver, nous semble-t-il, dans le jugement qu’ils portent sur ce péché, cette séparation. On sait que Heidegger a dénoncé la « chute de la Rede dans le Gerede91 », de la « parole » dans le « on-dit », du « parler » dans le « bavardage ». Sa compréhension de ces concepts, qui lui fait rapprocher la philosophie de l’auteur de Sein und Zeit du théâtre de Ionesco, apparaît quelque peu sommaire. S’il convient qu’il existe une « usure » ou une « dégradation » du langage, il ne souscrit pas à ce qu’il entrevoit comme une critique presque sociale de « l’usage quotidien du langage », de « l’échange des politesses ou des banalités ». Avec une certaine naïveté, il juge que « la compréhension authentique […] se conquiert à partir [des propos quotidiens], et à condition de leur faire crédit, qu’il ne faut pas considérer « que la simple discussion et le bavardage sont radicalement inauthentiques92 ». Enfin, pour répondre à Heidegger, il convoque Croce qui déclarait que les gens ont tort de penser que la poésie a été pervertie en un instrument utilitaire, car, affirme-t-il, la parole n’est jamais pervertie. À l’évidence, on comprend par cette critique que M. Dufrenne a remarquablement su développer les idées contenues dans Holzwege, mais qu’il ignorait la pensée profonde de Heidegger sur la poésie, ce qu’on peut aisément lui pardonner, puisque Unterwegs zur Sprache ne parut qu’en 1959, et en France dix-sept ans plus tard. Les similitudes de leurs pensées n’en sont que plus saisissantes, même si notre propos n’est pas ici de les comparer, de juger de la supériorité de l’une ou l’autre. Alors, si la parole n’est jamais pervertie, si ce n’est par le bavardage qui la remplace, quelle est néanmoins la nature de cette séparation, puisque ces deux auteurs ont tout de même en commun de voir dans la poésie un moyen de renouer avec une époque révolue de la parole ? Pour M. Dufrenne, le problème essentiel demeure que la « vocation rationnelle du langage » fait que « l’esprit devient indifférent à la nature du signe pour ne retenir que la signification93 », que le mot n’est plus appréhendé comme un objet esthétique. Mais il esquisse une comparaison qui nous en apprend encore davantage sur cet argument. Reprenant les travaux de K. Goldstein sur l’aphasie, il se demande si les personnes souffrant de cette neuropathie ne seraient pas des poètes qui s’ignorent, car les poètes, écrit-il, se distinguent en ce qu’ils retournent aux sources de la parole (sources of language), là où jaillissent les métaphores (metaphors spring94) ; car, certains aphasiques, étant incapables de retrouver tel terme abstrait, forment des sortes de descriptions périphrastiques, décrivent telle couleur par telle chose, tel objet par son usage, etc. Considérant que l’aphasie peut être qualifiée, pour cette raison, d’« infantilisme linguistique » (linguistic infantilism), il avance que les poètes « se font délibérément enfants en présence du langage », que seuls les poètes et les saints ont la faculté, mais aussi la volonté, de ranimer ce pouvoir originel des mots (this original power of words), de redécouvrir l’authenticité de l’enfance (what is authentic in childhood), la vérité de son langage (the truth of the language of childhood). Le travail de la parole poétique s’apparente en effet à celui de la métaphore qui produit des alliances de mots imprévisibles (unforeseeable alliances between words95), si bien qu’au final, par le poète, « c’est bien une enfance qui s’exprime, mais moins une enfance singulière que l’enfance de l’humanité, une enfance présente en chacun de nous96 ». Cette enfance correspond donc à notre « conscience la plus primitive du monde », et elle est associée à cet usage du signe comme ne témoignant plus de la compréhension de l’objet, mais du sentiment qu’on éprouve à son égard. Le poétique suppose donc un retour du poète à l’enfance de l’Humanité, mais aussi un retour du langage à la Nature97. Il s’agit à présent de définir cette Nature.
16M. Dufrenne l’avait écrit d’emblée : « une philosophie du langage et de la poésie engage une philosophie de la nature et appelle le débat avec une philosophie de la conscience ». Il nous faut donc comprendre le sens de cet avertissement. Parlant de la démarche accomplie et du plan suivi par Le Poétique, nous avions parlé d’« involution », car il ne s’agissait pas tant de considérer que le poète trouve dans la Nature la source de son inspiration, mais de comprendre que la poésie a pour tâche essentielle de ramener le langage à la Nature98. Elle y parvient, nous l’avons dit à de nombreuses reprises, en se concentrant sur l’expressivité des mots. Mais nous prenons aussi conscience maintenant que cette « régression » ne concerne pas que le langage. D’une part, pour pouvoir composer, le poète a dû s’initier à son art, subir lui-même l’épreuve de ce retour à l’état de Nature99. D’autre part, le lecteur a accompli le même cheminement en se convertissant à l’état poétique ; et c’est « à cette condition qu’il est sensibilisé à la parole de la Nature ou qu’il communique avec la Nature comme parole100 ». M. Dufrenne ne dit donc pas simplement que la parole parle, mais que c’est « la Nature qui parle101 », que « le poète authentique est toujours le voyant qui délivre la parole de la Nature102 ». Il vise donc clairement l’insuffisance à ses yeux de la poétique de Heidegger : avoir pensé la Nature comme fondement et non comme fond103. Nous aboutissons ainsi à une dernière définition plus fondatrice du poétique comme « l’expressivité des images où s’exprime le poiein de la Nature104 ». Le Poétique acquiert ainsi une place centrale dans son œuvre, au moins comme articulation. Cette étude ne nous révèle pas seulement que « la Nature […] ne nous parle que par le truchement de la poésie105 », mais que la poésie témoigne que tout art procède de cette action de la Nature naturante. Il précise que l’homme « n’est capable de nommer les choses que parce qu’elles se révèlent elles-mêmes à lui, parce que la Natura naturans invente la parole et enjoint à l’homme de parler pour lui-même106 ». Pour terminer et achever de situer la place du poétique dans son œuvre, il convient donc de comprendre comment cette phénoménologie, fondée sur une philosophie de la Nature et conduisant à une esthétique, se relie à une « philosophie de la conscience ».
17L’œuvre de M. Dufrenne débute et s’achève presque par une théorie de l’a priori qui constitue apparemment un pan distinct de son œuvre107. De quoi s’agit-il en quelques mots ? Il part de la définition kantienne selon laquelle l’a priori a une fonction transcendantale, est antérieur à l’expérience et condition de celle-ci, ce qui implique qu’il est formel et ne saurait être donné a posteriori. Mais, influencé par Husserl, il se demande si l’a priori, en tant qu’il fonde l’a posteriori, et donc le vise, ne serait pas principe de l’expérience, tout en ayant son principe dans l’expérience. Pour résoudre cette contradiction, il va donc s’efforcer de trouver un équilibre entre le rationalisme et l’empirisme, de dépasser la dualité du sujet et de l’objet. Il est en effet convaincu que l’homme a une « familiarité » avec le monde, que son mode de « co-naissance » pointe en direction d’une « co-naturalité108 ». Selon cette conception, la perception est immédiatement signifiante, donc l’a priori est d’abord perçu, ce qui le conduit à étendre son empire au-delà du formel, à envisager principalement l’idée d’un « a priori matériel109 ». C’est aussi la raison pour laquelle cette philosophie de la conscience est conduite à débattre avec la philosophie de la poésie. Si l’a priori est donné dans la perception, il faut concevoir qu’il a été porteur de sens, dans toutes les dimensions qui lui sont maintenant assignées, avant toute démarche réflexive ou transcendantale ; mais aussi, que le retour à l’antéprédicatif110, qu’accomplit la poésie dans le style, met aussi en évidence cette aptitude qu’a l’homme de saisir ce qui lui est donné sitôt qu’il lui est donné111. Le langage est ainsi reçu comme ambivalent, en ce que « la parole qui relie l’homme au monde est aussi cela qui l’en sépare112 ». Nous trouvons ici la raison de l’importance que M. Dufrenne accorde à la poésie. Il faut, estime-t-il, concevoir un a priori qui exprime notre affinité avec le monde, donc un a priori antérieur à tout langage, à toute pensée, à la distinction du subjectif et de l’objectif, voire même à la pluralisation des a priori à laquelle son travail a abouti. Il s’agirait d’un « a priori de l’a priori113 », ou mieux d’un a priori des a priori. Or, il n’hésite pas à considérer, par exemple, que « le poétique peut revendiquer d’être l’a priori des a priori esthétiques114 ». Il aboutit ainsi à l’idée d’une Nature naturante, fondamentalement poétique, qui expliquerait notre familiarité avec le monde et serait ce vers quoi notre pensée doit régresser. Est-ce à dire que la poésie soit en droit de remplacer la philosophie ?
*
18Aux yeux de M. Dufrenne, le poétique ne se réduit pas à un simple exercice de style, mais consiste dans la transmission d’un état, inspiré par la Nature, qui témoigne de notre affinité primordiale avec le monde. Il en vient donc à affirmer que « si [la philosophie] veut communiquer l’expérience d’un fond qui serait un fondement radical, elle ne peut être que poésie115 ». Mais il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas pour la philosophie de s’effacer derrière la poésie. À la rigueur, ce serait simplement la suggestion que le philosophe, à l’instar de Heidegger, peut distinctement s’adonner à la création poétique. La poésie, et au travers d’elle tous les arts, est considérée comme un accès privilégié au monde tel qu’il se révélait antérieurement à toute parole, à toute pensée réflexive et à toute différenciation du sujet et de l’objet. Chez M. Dufrenne, cette conviction l’a porté à réformer la philosophie transcendantale et à constituer une nouvelle philosophie de la Nature. Il s’agit certainement de l’œuvre qui a tiré et assumé le plus de conséquences de la valeur qu’elle reconnaissait au poétique. Pour autant, elle n’est pas allée jusqu’à renier la philosophie, car la poésie, en dépit de son unique familiarité au monde, de l’accord qu’elle révèle entre celui-ci et l’homme, « ne parle pas du monde total et ne résout pas le problème philosophique116 ». Le poétique et l’esthétique ne peuvent donc qu’inspirer du respect au philosophe, en ce qu’il y trouve la source d’une compréhension du monde antérieure à toute signification donnée. Mais le philosophe ne saurait imiter le poète117, car il est le seul à même de prendre par la pensée le relai de la parole, le seul capable d’interroger le sens du monde dans sa globalité. Si elle est fondamentale, la poésie ne saurait être fondatrice.
Notes de bas de page
1 La question de l’établissement du corpus est au cœur de nombreux textes. Cf. par exemple, Mikel Dufrenne, « La poésie : où et pourquoi ? », in Esthétique et philosophie, op. cit., p. 243 sq.
2 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 65.
3 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, Bloomington, Indiana University Press, 1963, p. 99 : « poetry is always present in prose, because poetry, after all, is not the privilege of poets. A poet is whoever is inspired, whoever speaks as if under the influence of an irresistible constraint and as if he himself were astounded by what he is saying ». À notre connaissance, jamais ces conférences, traduites d’un manuscrit français par Henry B. Veatch, n’ont été publiées dans notre langue. Nous adressons nos vifs remerciements à Monsieur David-Georges Picard, conservateur à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, qui nous a obligeamment fourni les pages manquantes de notre exemplaire de cet ouvrage, si difficile à trouver en France.
4 Ibid., p. 100.
5 Cf. ibid., p. 83, 95-96 sq.
6 Ibid., p. 98.
7 Ibid., p. 84.
8 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 70.
9 Ibid., p. 71.
10 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 100.
11 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 87.
12 Ibid., p. 89.
13 Ibid., p. 132.
14 Ibid., p. 68.
15 Ibid., p. 87.
16 Ibid., p. 88.
17 Ibid., p. 102.
18 Cf. ibid., p. 101.
19 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 33.
20 Noté par C. Lévi-Strauss, et cité dans Le Poétique, p. 89. Cf. aussi Language & Philosophy, op. cit., p. 33.
21 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 89.
22 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. I, op. cit., p. 89.
23 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 79 et 102.
24 Ibid., p. 94.
25 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 27-28.
26 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, op. cit., p. 89.
27 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 137. Cf. aussi M. Dufrenne, « L’esthétique de Paul Valéry », in Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 189-202.
28 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, p. 70-71.
29 Ibid., p. 16.
30 Nous nous sommes interrogé sur la traduction qu’il convenait de donner pour certaines expressions figurant dans Language & Philosophy. Convenait-il de rendre language par langage ? speech par discours, parole ou aussi langage ? Sachant que nous ne pouvions non plus nous référer à une traduction anglaise de Le Poétique, nous nous sommes conformé au fait que Unterwegs zur Sprache est rendu par On the Way to Language, et par Acheminement vers la parole. Mais une autre difficulté se présentait à traduire le passage auquel nous venons de faire référence, car, en deux endroits de ce même livre, nous trouvons deux locutions distinctes : phenomenology of speech (p. 16) et phenomenology of language (p. 70). Convenait-il de les identifier ? Le raisonnement nous y inclinait, mais la différence des termes nous retenait. Nous avons finalement décidé de traduire ces deux expressions par « phénoménologie de la parole », car, dans Phénoménologie de l’expérience esthétique, nous trouvons la remarque suivante (nous soulignons) : « le langage […] est à la fois parole et geste » (p. 183), rendue par ces mots : « Language is both speech and gesture » (Evanston, Northwestern University Press, 1973, p. 133).
31 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 70-71.
32 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 84.
33 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 101.
34 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 104.
35 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 72.
36 Ibid., p. 71.
37 Ibid., p. 89.
38 Cf. Jean-Baptiste Dussert, « Chemin faisant. Heidegger et Char », in David Espinet (dir.), Schreiben Dichten Denken…, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, 2011, p. 202 sq.
39 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 68. Une fois de plus, nous nous référons aux différentes versions de Heidegger pour décider d’une traduction. Dans Unterwegs zur Sprache, on trouve cette question et cette réponse : « Aber spricht denn die Sprache selbst ? […] Indes die Sprache spricht » (Stuttgart, Klett-Cotta, 2007, p. 254), que l’édition française rend par : « Alors, la parole parle elle-même ? […] Et pourtant la parole parle » (Paris, Gallimard, 1976, p. 241), mais que l’anglais ne peut traduire qu’ainsi : « But – does language itself speak ? […] Yet language speaks » (New York, Harper & Row, 1982, p. 124). Nous sommes donc fondé à rendre « the language speaks » par « la parole parle ».
40 Cf. Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., p. 85.
41 Cf. Mikel Dufrenne, In the Presence of the Sensuous, Atlantic Highlands, Humanities Press International, 1987, p. 24.
42 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 71, et cf. p. 68.
43 Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., p. 11.
44 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 68.
45 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 72.
46 Ibid., p. 191.
47 Ibid., p. 226-227.
48 Ibid., p. 226.
49 Ibid., p. 34.
50 Ibid., p. 13.
51 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, op. cit., p. 88 ; Language & Philosophy, op. cit., p. 91 ; Le Poétique, op. cit., p. 31.
52 Stéphane Mallarmé, Crise de vers, cité in Mikel Dufrenne et Paul Ricœur, Karl Jaspers…, Paris, Le Seuil, 1947, p. 358 ; Phénoménologie de l’expérience esthétique, op. cit., p. 89 et 439 ; Language & Philosophy, op. cit., p. 91 ; Esthétique et philosophie, Paris, Klincksieck, 1967, p. 172 ; L’inventaire des a priori…, op. cit., p. 279.
53 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 91.
54 Ibid, p. 98 et 100.
55 Ibid, p. 101 : « the language in which a significance that is still preconceptual is totally immanent in the flesh and blood of words and immediately experienced by feeling ».
56 Cf. Jean-Baptiste Dussert, « Martin Heidegger en ses poèmes », in Sebastian Hüsch (dir.), Philosophy & Literature…, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2011, p. 115-123.
57 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 79.
58 Ibid., p. 134.
59 Ibid., p. 239.
60 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 101 : « poetry does what philosophy can only think ».
61 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 96.
62 Ibid., p. 192.
63 Ces considérations renvoient évidemment aux travaux de Schelling (ibid., p. 211), mais aussi de Mircea Eliade, et de Clémence Ramnoux, sa collègue de Nanterre (ibid., p. 180, 187, et Language & Philosophy, op. cit., p. 95).
64 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 188.
65 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 96.
66 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 229.
67 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 98.
68 Ibid., p. 96.
69 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 102.
70 Ibid., p. 88.
71 Ibid., p. 90.
72 Ibid., p. 91.
73 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 92 : « the sort of sense and meaning that is involved in any “knowledge about” is conferred upon images by virtue of the kind of empirical reflection that is associated with science and technology ».
74 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 104.
75 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, op. cit., p. 161.
76 Ibid., p. 166.
77 Ibid., p. 171.
78 Ibid., p. 163.
79 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 67.
80 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, p. 80 : « the poem exists as an aesthetic object only when it is read, or the painting only when someone looks at it ».
81 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 91.
82 Ibid., p. 145.
83 Ibid., p. 239.
84 Ibid., p. 85.
85 Ibid., p. 97
86 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 97 : « Now myth and poetry are discourse. As soon as man speaks, he is separated. If myth or poetry betoken unity (and the fact is that they betoken separation and falling away and distress quite as much), then it can only be that the unity is no longer a lived unity. »
87 Ibid., p. 72.
88 Cf. Jean-Baptiste Dussert, « Martin Heidegger en ses poèmes », art. cit., p. 119-120.
89 La septième, et non la huitième comme l’affirment à tort les deux éditions.
90 Cf. Le Poétique, op. cit., p. 228, et M. Heidegger, Holzwege, GA5, op. cit., p. 319.
91 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 95.
92 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 99 : « that mere talk and chatter are radically unauthentic ».
93 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 35.
94 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 76.
95 Ibid., p. 100.
96 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 190-191.
97 Cf. ibid., p. 100.
98 Cf. Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 97, 100 et 145.
99 Ibid., p. 208.
100 Ibid., p. 145.
101 Ibid., p. 90.
102 Ibid., p. 239.
103 Cf. note 1, p. 204.
104 Ibid., p. 240.
105 Ibid., p. 235.
106 Mikel Dufrenne, Language & Philosohy, op. cit., p. 101 : « is able to name them only because they reveal themselves to him, because Natura naturans invents language and summons man to speak for himself ».
107 Cf. L’inventaire des a priori…, op. cit., 1981.
108 Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., p. 54 et 145 ; Le Poétique, op. cit., p. 148.
109 Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., p. 68.
110 Ibid., p. 115.
111 Ibid., p. 146.
112 Mikel Dufrenne, Language & Philosophy, op. cit., p. 101 : « The language that binds man to the world is also the language that separates him. »
113 Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., p. 277.
114 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 241.
115 Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., p. 285.
116 Ibid., op. cit., p. 290.
117 Cf. ibid., op. cit., p. 291.
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