Dufrenne et Merleau-Ponty
L’ontologie diplopique de l’art
p. 161-179
Texte intégral
1Avec L’Œil et l’oreille, Dufrenne entraîne la pensée merleau-pontienne dans une nouvelle danse. L’ouvrage fait écho à L’Œil et l’esprit sans, à proprement parler, lui répondre ou, moins encore, le réfuter, mais en introduisant de subtiles et multiples inflexions où s’entremêlent hommage, reprises et variations1. Un examen rapide des deux titres est déjà riche d’enseignements. L’un semble indiquer un mouvement de transcendance, l’autre se situer sur un plan d’immanence, mais il montre un sensible diffracté. L’un et l’autre apparaissent comme problématiques et frustrants si l’on s’y attarde un peu. Pour quelles raisons l’œil est-il privilégié dans l’ouvrage de Merleau-Ponty ? Pourquoi avoir « sacrifié » les autres sens ? D’autre part, qu’est-ce exactement que l’esprit ? Mérite-t-il d’être nommé comme distinct du sensible ? N’est-ce pas suggérer qu’il possède une positivité que toute la philosophie merleau-pontienne conteste ? Enfin cette énonciation côte à côte de deux entités et deux sphères si différentes ne peut que susciter la perplexité : le « et » signifie-t-il une relation d’opposition, de priorité, de causalité, d’institution, de complémentarité2 ? Si l’approche de Dufrenne prévient ces difficultés, elle n’en est pas moins problématique. Le choix de l’œil et de l’oreille apparaît d’abord plus flottant conceptuellement : non seulement l’absence des autres sens fait question, mais, d’autre part, le repli sur la seule sphère du sensible et la disparition de la référence à l’esprit, c’est-à-dire de tout échappée vers un principe d’unité, d’élaboration des significations et de conceptualisation, laisse le lecteur dans la plus grande incertitude quant à la fécondité et la finalité que l’on peut attribuer à ces deux morceaux de chair que sont l’oreille et l’œil. Toutefois il faut apprécier comme une démarche philosophiquement signifiante le choix de radicaliser une philosophie de la déception et de l’ouverture perplexe déjà présente dans L’Œil et l’esprit. « Quoi dit l’entendement, comme Lamiel, n’est-ce que cela ? Le plus haut point de la raison est-il de constater ce glissement du sol sous nos pas, de nommer pompeusement […]. Être ce qui n’est jamais tout à fait3 ? » Dufrenne thématise spécifiquement le projet d’une philosophie du profil-bas, de l’humilité et donne parfaitement à comprendre ses enjeux politiques et, plus fondamentalement, existentiels : il s’agit d’abandonner l’impérialisme qui a dominé la philosophie et la civilisation occidentale depuis des siècles, de le laisser s’effondrer sur lui-même en le privant de cette énergie conquérante et flamboyante qui le ranime même si on l’utilise contre lui. C’est là un des thèmes majeurs de la philosophie de Dufrenne : retrouver le pacte entre le monde et moi, ce qu’il appelle l’a priori, se prêter avec une certaine attitude sinon d’abandon, en tout cas d’amitié, à l’œuvre impersonnelle du sensible, laquelle renvoie à un milieu antérieur à la distinction sujet-objet. Il n’est donc pas étonnant que Dufrenne s’interroge spécifiquement sur le problème de l’impérialisme dans la perception et les arts. C’est l’une des spécificités remarquables de Dufrenne que d’être capable d’adresser à Merleau-Ponty cette question et d’apporter à sa philosophie un infléchissement en ce sens. Certainement Merleau-Ponty pose lui aussi le problème crucial de l’entrelacs entre activité et passivité, nature et culture, réel et imaginaire et, s’il apporte d’indéniables avancées dans le sens d’un dépassement des dualités, il faut aussi constater une relative tendance à maintenir un certain nombre de primats : celui de la vue, sens impérialiste par excellence ainsi que le souligne Dufrenne, et du langage (ce « corps glorieux »4) particulièrement frappant encore dans Le visible et l’invisible (qui identifie visibilité et corporéité5) et L’Œil et l’esprit.
2Il est à notre sens, particulièrement pertinent et intéressant de lire la pensée de Merleau-Ponty comme une trajectoire qui unit la question ontologique – notamment en tant qu’elle s’accomplit de manière privilégiée dans une réflexion esthétique – aux problèmes éthiques et politiques les plus aigus. De nombreux éléments montrent que Merleau-Ponty a toujours compris qu’on ne pensait pas séparément esthétique, art, ontologie et pratique et que le cloisonnement est artificiel. Mais la trajectoire de Dufrenne nous semble tracer davantage et assumer de façon plus nette, cette intéressante ligne directrice, là où Merleau-Ponty nous livrait des questions et le projet d’une œuvre à entreprendre.
3Nous examinerons d’abord la manière dont Dufrenne, dans L’Œil et l’oreille et via un dialogue avec Merleau-Ponty, dépasse la primauté accordée à la vue et dénonce une sensibilité modelée par l’impérialisme. Nous montrerons également que Dufrenne, par sa réflexion sur l’a priori notamment, parvient à mettre en valeur l’origine existentielle et le sens de cette tendance impérialiste, son caractère inévitable ainsi que ses contradictions et son nécessaire échec. Enfin nous pourrons analyser quelles solutions Dufrenne propose exactement pour surmonter ce fourvoiement et de quelle façon la réflexion sur la sensibilité, l’art et l’imaginaire joue un rôle clef, précisément en vertu de la déperdition d’être et de réalité que ces registres semblent impliquer. Sur ce point encore le dialogue avec Merleau-Ponty et l’étude de la profonde subversion qu’il opère de la séparation entre réel et imaginaire permettra de mieux comprendre la démarche de Dufrenne et de mettre en lumière sa radicalité.
La question d’un impérialisme de la vue et ses enjeux : le drame de l’existence
4« L’œil et l’oreille : pourquoi les joindre ici ? Au lecteur de cet essai de juger si leur confrontation a quelque intérêt. Mais je veux dire tout de suite ce qui m’a incité à l’entreprendre. D’abord, le désir de rendre justice à l’oreille. Car l’œil, aussi bien dans l’expérience quotidienne que dans la réflexion, se taille la part du lion6. » Du mythe de Méduse au projet de Panopticon nombreux sont les témoignages cités par Dufrenne du lien essentiel entre voir et posséder, dominer. La vue est en effet le sens qui accomplit plus que tout autre le phénomène de distanciation qui régit la formation de la sensibilité. Le toucher sous sa forme la plus générale, comme sensibilité de toute la peau, incarne au contraire un entrelacs si étroit entre sentant et senti que la distinction sujet-objet apparaît à peine, en tout cas sans pouvoir s’ancrer dans la définition de frontières nettes. L’impression de chaleur sur ma peau et de ma peau sont entremêlées. Si je ne me fie qu’au toucher, il m’est très difficile de dire où commence l’objet, où il finit et où commence le corps sentant, mon corps. Il est bien sûr possible d’exercer un toucher plus actif et discriminant, en utilisant le bout de mes doigts par exemple, mais, là encore, la matérialité propre et la limitation de mon corps déterminent d’emblée et de façon patente le contenu de la sensation : je sens ce qui est au contact de mes doigts, en un espace précis. L’« objet » (à peine ob-jet) colle à mon corps et l’horizon de ce qui reste à percevoir, l’horizon du monde est presque étouffant tant il demeure à l’état de masse grouillante, obscure et menaçante. Je n’échelonne pas encore les paliers d’une approche progressive et sécurisée : l’objet rencontré est à même mon corps et avant la saisie d’une forme représentée. Le toucher sera ainsi un choc matériel capable de léser gravement mon intégrité.
5En s’appuyant sur les études de phylogénèse et les travaux de Pradines, Dufrenne souligne que la sensibilité se forme suivant un processus de mise à distance qui permet à la fois de mieux circonscrire sujet et objet et d’isoler la qualité perçue comme un contenu de représentation, une idée préservée des effets trop violents d’un choc matériel avec mon corps. Ainsi est instituée la distinction entre sensorialité (source d’informations théoriques sur le monde) et affectivité (saisie d’un état-expérience immédiatement éprouvé comme nocif ou profitable). Se produit « un décalage des seuils dans la sensibilité entre impressions primitives et impressions plus fines dont le seuil d’enregistrement est décalé par rapport au seuil de l’affect. Place est faite par là à la représentation7 ». En vertu de ce phénomène le toucher devient anticipateur : il n’est plus seulement le lieu du contact agréable ou douloureux ni source d’un signal d’alerte mobilisant une action sans délai, mais collecte des informations sur ce qui pourrait être douloureux ou agréable. En plus de perfectionner le pouvoir de défense de l’animal, ce phénomène permet la formation d’un écart entre mon corps et un ob-jet8.
6L’ouïe et la vue sont les deux sens dans lesquels ce processus de distanciation s’accomplit de la manière la plus avancée (le goût et l’odorat demeurant faiblement et confusément objectivants).
7À cet égard la vue l’emporte sur tous les sens. Elle embrasse un nombre très conséquent d’éléments qu’elle peut considérer sans crainte de choc immédiat. Cette séparation est telle que nous oublions communément que la vue est le fait d’un organe contingent, limité et partageant la matérialité des objets appréhendés. Je deviens, illusoirement, ce regard à l’abri des assauts matériels du monde, circulant librement dans l’espace, sans attache, sans limite, tandis que les objets vus deviennent, non moins illusoirement et non moins irrésistiblement, des choses en soi, les choses mêmes indépendantes de mes besoins et affections subjectives.
8On peut certes prendre conscience de cette illusion, mais le modèle de la distanciation et comme de la désincarnation du regard persiste, de sorte que science et philosophie demeurent hantées par l’idéal d’un regard divin omniscient, saisissant en une seule intuition la totalité du monde et les articulations déliées existant entre tous ses aspects. La civilisation occidentale a sans aucun doute valorisé l’orientation qui fait passer de la vue comme sensibilité indifférenciée (que nous retrouvons lorsque nous laissons errer nos regards dans le vague, ou lorsque nous rêvons sur les petites tâches de lumières apparaissant lorsqu’est exercée une pression sur l’œil) à la vision pénétrante et englobante. Dufrenne mentionne ainsi tous les procédés d’amélioration de la vision en netteté, en précision et en étendue mis au point pendant des siècles ainsi qu’une morale de l’acuité visuelle qui condamne le flou et le bougé9. L’art de la Renaissance et la technique de la perspective linéaire représentent le point culminant de ce modèle, l’idéal cartésien de clarté et de distinction également, ainsi que, plus généralement, le rationalisme et sa prétention à saisir ses objets (idéalement tout objet) de façon neutre et en articulant nettement les diverses propriétés qui les caractérisent.
9S’exerce ici certainement, au-delà d’une volonté de savoir, une volonté de pouvoir. Fondée en effet sur un oubli de ses origines et sur l’illusion d’une distance absolue, cette institution du regard comme modèle dominant, à l’exclusion de toute autre forme de sensibilité – y compris les formes de vision plus apparentées à l’entrelacs affectivité-sensibilité – ne saurait se justifier par son souci de rendre compte de la façon la plus complète et la plus exacte de notre existence et du monde. Elle fonde en revanche une plus grande maîtrise du réel. « Voir c’est exercer un certain pouvoir : tenir les choses à distance, prévenir tout contact, pour s’assurer une maîtrise aussi bien matérielle qu’intellectuelle, et parfois pour tenir les autres en respect10. » Prétendre pouvoir parfaitement circonscrire la place occupée par chaque être, par chaque sujet et chaque objet permet – idéalement – de se mettre à l’abri de toute intrusion étrangère dans mon champ propre, cela permet également, dans un paradoxe qui laisse déjà entrevoir tout le truquage sur lequel repose ce pouvoir, de maîtriser le principe d’attribution des places et rôles censés appartenir à chaque être. Comme sujet rationnel je pénètre et régis en droit toute vie, tout objet, toute sphère. Certes je ne suis pas supposée les régir arbitrairement, mais la seule institution de la clarté et de la netteté, de la possibilité de tout définir et circonscrire, est déjà un acte d’autorité et non l’énoncé d’une vérité fidèle à l’être du monde. L’impossibilité de parvenir à des essences parfaitement achevées, dénuées d’ambiguïté et réduisant la diversité sensible, la diversité des individus et situations, à une logique et des lois implacables, conduit la raison à s’accomplir, en fait, par des coups de force qu’elle tente de déguiser en éclairs de perspicacité11.
10L’ouïe est moins impérialiste. Elle incarne une expérience sensitive spécialement invasive, particulièrement propre à brouiller les distances et les frontières. Ainsi l’oreille est plus passive que l’œil12, nous sommes davantage soumis au surgissement, au rythme propre, à la présence pénétrante des sons, que nous le sommes aux objets visibles. Kant déjà soulignait le « manque d’urbanité » propre à la musique : « elle s’impose en quelque sorte, portant préjudice à ceux qui n’appartiennent pas à la société de musique ; ce qui n’est pas le cas des arts qui s’adressent à l’œil, puisqu’on peut toujours détourner son regard13 ». L’expérience de l’audible est plus facilement et plus souvent sensuelle que l’expérience du visible précisément parce qu’entre le rythme ou la ligne mélodique de l’objet et le rythme communiqué à mon corps, le style joué par lui, la frontière est souvent difficile à tracer, il y a sensation par co-vibration, contagion14. Non pas que cette dimension soit absente de la vision, elle y est seulement moins patente. En outre l’audible, le sonore (l’audible domestiqué, produit selon une technique maîtrisée15) et, a fortiori, le bruit sont ambigus, ils ne livrent pas la chose mais plutôt une invitation à la découvrir16. Si le regard est le modèle de l’intuition, de la Wesenschau, de la connaissance comme possession puisqu’il prétend nous mettre en présence de la chose même17, l’ouïe est le modèle de l’entendement comme analyse et interprétation d’un donné qui reste à plus parfaitement mettre en ordre et à rendre signifiant18.
11Enfin la référence de Dufrenne à l’ouïe est non-impérialiste pour une raison plus simple encore : elle conteste l’hégémonie de la vue. D’autant plus que c’est encore la racine de l’esprit même, sous son caractère d’entendement, que l’on peut trouver dans l’ouïe. Cette subversion de l’impérialisme de l’œil s’accomplit à une seconde condition : Dufrenne montre que la vue et l’ouïe, pas plus que les autres sens d’ailleurs, ne peuvent se recouvrir parfaitement. Merleau-Ponty avait déjà largement souligné ce point. Il y a certes des correspondances naturelles, des synesthésies en vertu desquelles « on voit la rigidité et la fragilité du verre et, quand il se brise avec un son cristallin » ; « De la même manière j’entends la dureté et l’inégalité des pavés dans le bruit d’une voiture19 », mais ce qui est ainsi « vu » et « entendu » à travers la perception actuelle est comme donné en surimpression, à la manière d’un fantôme (Dufrenne le définit comme « virtuel20 ») : évoqué par un sens différent de celui qui devrait livrer sa présence, il n’est pas vraiment actuel. Certes, en toute rigueur, aucune perception n’est pleinement actuelle, même si je vois un verre en cristal devant moi, ce « verre de cristal » est déjà une sédimentation complexe à partir d’un flux d’Abschattungen, de rétentions et de protentions qui laisse une marge pour l’erreur, ce n’est peut-être pas vraiment un verre de cristal. Toutefois, s’il ne s’agit pas d’opposer l’actuel pur au pur inactuel, il faut reconnaître une différence dans la phénoménalité du perçu, qui cristallise au premier plan comme ce qui s’incarne dans les Abschattungen actuelles et la phénoménalité de l’évoqué synesthésiquement qui se donne comme quasiment là, imminent mais incertain et en décalage avec les données perçues actuellement et relevant du même sens. Ainsi la musique fait surgir, en surimpression de la salle de spectacle que je vois actuellement, un espace animé et structuré par son style et son rythme (Merleau-Ponty parle d’un « espace noir21 » qui vient « redoubler mystérieusement » « l’espace clair des choses perçues » et fait s’effondrer sous mes pieds le sol réel, vu et touché, que je croyais solide22), éventuellement des fantômes visuels évoqués par elle. Dufrenne souligne cette rivalité entre l’ouïe et la vue : « à l’opéra, je suis à la fois spectateur et auditeur, mais si mon attention se porte sur le spectacle, j’entends moins bien ; si mon écoute est plus attentive, je vois moins bien23 ». L’incarnation est d’abord synonyme de diversité irréductible, de diffraction de la pensée dans l’espace et le temps, rendant absurde et vouant à l’échec toute prétention impérialiste.
12Il serait très injuste de prétendre que Merleau-Ponty est un nouveau représentant du positivisme impérialiste classique. Dufrenne n’affirme aucunement cela, il montre bien plutôt comment, à partir des analyses merleau-pontiennes elles-mêmes, le lecteur peut trouver réductrices et comme en retrait par rapport à l’audace fondamentale de la pensée de Merleau-Ponty certaines affirmations ou certains choix présents dans L’Œil et l’esprit ou dans Le visible ou l’invisible notamment. La disproportion criante entre les textes consacrés à la peinture et ceux consacrés à la musique24 dans l’œuvre de Merleau-Ponty est pour tout lecteur attentif une source de perplexité. De même, ajouterons-nous, la forte hiérarchie que Merleau-Ponty maintient en de nombreux développements entre l’art et le langage, entre un sens encore visqueux, pris dans une matière sensible trop particulière et une chair si subtile qu’elle permet le passage à « l’idéalité pure25 ». Mais c’est bien dans la philosophie de Merleau-Ponty elle-même que l’on trouve tous les arguments pour subvertir ces discriminations. D’abord Merleau-Ponty démontre clairement que l’idéal d’une vision surplombante, d’un regard divin omniscient est en droit irréalisable26 : ce regard aurait encore à se saisir lui-même et, s’il tente un tel retour sur soi, il se heurte à une origine qui doit le précéder, qui institue sa capacité de voir. En effet ce que j’appréhende est bien un monde, transcendant, rempli de zones lointaines ou cachées, il se donne comme autre que moi. Mais puisque je peux l’explorer, au moins l’entrevoir, même confusément, il doit être d’une nature telle qu’il se prête à mon regard, tandis que, corrélativement, ce dernier doit être apparenté à ce monde, partager avec lui une même chair, une même matière. Si je suis enveloppé dans un monde qui est à la fois familier et transcendant, mon être lui-même doit porter l’épaisseur, la part d’opacité, qui caractérisent le monde. En d’autres termes, pour voir le monde, je dois avoir un corps, des yeux et ces yeux ne peuvent se voir eux-mêmes car ils ne sont pas seulement voyants, ils sont également choses du monde, situés ici et non pas là, tournés vers telle direction… De même, et par conséquent, Merleau-Ponty montre que si la chose perçue est nécessairement en horizon d’une multitude d’Abschattungen, d’esquisses sensibles diverses, la synthèse qui fait de cette myriade de profils une unique chose apparaissante ne saurait être le fait de la seule activité d’un ego transcendantal : la chose serait un pur artifice et n’apparaîtrait jamais comme réelle. Il faut que la synthèse s’amorce dans le sensible même. Autrement dit, « Moi qui contemple le bleu du ciel, je ne suis pas en face de lui un sujet acosmique, je ne le possède pas en pensée, je ne déploie pas au-devant de lui une idée du bleu qui m’en donnerait le secret, je m’abandonne à lui, je m’enfonce dans ce mystère, il “se pense en moi”, je suis le ciel même qui se rassemble, se recueille et se met à exister pour soi, ma conscience est engorgée par ce bleu illimité. […] Du ciel perçu ou senti, sous-tendu par mon regard qui le parcourt et l’habite, milieu d’une certaine vibration vitale que mon corps adopte, on peut dire qu’il existe pour soi en ce sens qu’il n’est pas fait de parties extérieures, que chaque partie de l’ensemble est “sensible” à ce qui se passe dans toutes les autres et les “connaît dynamiquement”27. » C’est pourquoi la synesthésie est la règle : les sensibles divers communiquent naturellement entre eux et, plus fondamentalement, la chose consiste en une sorte de style, de mélodie, de rythme qui résonne dans le décours des esquisses et dans l’attitude de mon corps et qui rend possibles les transpositions d’un sens à l’autre. Le style des séries d’esquisses visibles de ce paysage peut fort bien servir de thème pour de nouvelles variations cette fois dans le registre de l’audible ou des textures offertes au toucher. C’est une chair sensible (à la fois sentante et sentie) antérieure à la distinction sujet-objet (puisque fondant leur relation) qui supporte le surgissement de la perception et la communication entre les divers sens. C’est donc dans la pensée merleau-pontienne que l’on trouve les raisons rigoureuses de récuser l’idée d’un sens dominant28 puisque tous les sens interagissent et sont entés sur une chair anonyme antérieure à leur différenciation. Corrélativement Merleau-Ponty démontre l’impossibilité de sortir complètement de la sphère du visible, plus généralement du sensible : le langage ne peut parler du monde que s’il s’origine dans un sens d’abord issu du monde, un logos endiathetos ou logos du monde esthétique, Dufrenne souligne particulièrement l’importance de cette thèse29 et c’est toujours comme matière sonore ou visuelle tissant diacritiquement un sens que le langage signifie les idées ; les rugosités des sons, des formes écrites, les accidents de l’histoire de la langue marquent les significations exprimées, aussi n’accède-t-on jamais à une sphère d’idéalité pure séparée.
13Toutefois la focalisation sur la problématique de l’impérialisme est le fait de Dufrenne et est, à notre sens, un des fils directeurs de sa philosophie. Dès la Phénoménologie de l’expérience esthétique, le choix de privilégier l’expérience du spectateur est ainsi justifié par ceci que : « en ordonnant l’expérience esthétique à celle de l’artiste, [l’étude du faire artistique] tend à accuser certains traits de cette expérience, et par exemple à exalter une sorte de volonté de puissance aux dépens du recueillement que suggère au contraire la contemplation esthétique30 ». D’une façon générale c’est l’attitude d’ouverture patiente et accueillante, la bonne volonté d’amitié plus que le projet de domination qui sont les motifs majeurs de la réflexion ontologique, esthétique et politique de Dufrenne. Mieux : il a su mettre à jour les racines de l’attitude dominatrice en analysant les structures de l’existence. C’est notamment l’un des apports remarquables de La notion d’a priori31.
14Dans l’avant-propos de Jalons, Dufrenne remarque que le leitmotiv des articles rassemblés est le thème de l’impensable, c’est-à-dire le thème de l’Un, de l’univers comme impensable. L’on part en effet toujours du multiple, du dualisme sujet-objet, de la discursivité éclatée des mots et des concepts. L’on est immanquablement renvoyé à l’idée d’une unité première qui porte ces deux pôles et rend possible leur rencontre. C’est là le drame de la perception32 : la chose se présente à moi, une résonance entre son style et la manière que mon corps a de vibrer a lieu, et, pourtant, elle se donne comme ce qui m’échappe, refuse la complicité qui s’ébauchait entre nous33. De même l’a priori est cet accord premier, immémorial, qui sous-tend toute expérience et qui en est la condition nécessaire : à la fois absolu et donné comme la doublure d’expériences concrètes et contingentes. D’où la question, reprise à Spinoza notamment : comment l’un a-t-il pu devenir multiple34 ? Dufrenne ne répond pas en donnant une cause, ce serait justement surmonter la multiplicité, la résorber, il y a là un fait irréductible, contingent qui est à la fois origine, d’une part, du monde, de sa richesse, de la conscience, des plaisirs, des idées, des connaissances, et, d’autre part, du mal (douleur de la séparation, de l’erreur, de la confusion, de la difficulté de communiquer avec autrui…). Son ambivalence interdit de l’identifier à une providence ou une finalité nettement définie. Mais sans avoir besoin de donner la cause ultime, le principe même qui régit l’existence peut être décrit comme une nature une qui aspire à se connaître, à se saisir elle-même et, pour se faire, se dédouble35. Et en effet quand on demande : pourquoi y a-t-il du multiple, de la distance, des individus, des corps, des erreurs, etc.? La réponse donnée par la phénoménologie est que telle est la condition pour qu’il y ait un monde et une conscience. Puisque nous parlons toujours déjà du cœur même de cette multiplicité, il est absurde d’envisager un Être massif, une Unité qui resterait pure36. Ainsi notre questionnement, le drame de la perception et de la connaissance révèlent bien quel principe est à l’œuvre dans l’existence : il n’y aurait pas de monde, pas d’apparaître sans une certaine distance, sans une diffraction de l’être. Et notre curiosité insatiable, notre volonté de voir plus, de connaître mieux sont finalement exactement consubstantielles au monde, à l’être même du monde. Mais c’est justement encore le paradoxe et l’ultime absurdité de ce monde qui apparaissent ici : la perception et la connaissance entendent saisir complètement leur objet, en prendre une complète possession, l’embrasser, le dévoiler intégralement, mais cela n’est possible qu’à la condition de s’en écarter, de s’en séparer, d’instaurer et cultiver une dualité rendant impossible l’accomplissement de cette parfaite fusion que serait l’intuition totale. Dufrenne souligne la vanité qui sous-tend cette tendance : c’est celle du Dieu qui crée le monde pour se refléter et se faire adorer par la créature, ou encore de l’artiste qui veut se voir lui-même dans sa toile37. Si Dufrenne aspire à retrouver l’unité première, ce n’est certainement pas selon cette tendance narcissiste dont il montre justement les contradictions. Il l’identifie précisément à l’impérialisme de la connaissance qui est si patent de nos jours dans le positivisme, l’objectivisme et les philosophies systématiques38. En effet l’impérialisme consiste exactement en cet effort absurde pour poser nettement devant soi un objet afin de le dominer, complètement, s’en faire le maître, jouir et se glorifier de cette maîtrise en tant que sujet bien délimité, alors que, précisément, la distance rend la parfaite possession impossible. Plus l’affirmation d’un savoir et d’un pouvoir absolu se durcit, plus l’être se dérobe.
« Sans doute le dualisme est si insistant parce qu’il renvoie à l’aspiration de l’homme. Toute naissance est la rupture du cordon ombilical, et la vocation de l’homme est d’affirmer son autonomie et d’établir sa souveraineté. Mais, au sommet de sa gloire, peut-il jamais renier son origine et oublier sa Mère ? Quelle que soit la hauteur de laquelle il survole son empire, peut-il prétendre qu’il n’est pas présent au monde39 ? »
Pour une sensibilité non-impérialiste
15L’enjeu dépasse largement le cadre d’une esthétique. Il s’agit de faire droit à la fois à l’aspiration à l’unité et à un pluralisme irréductible du réel. Ancrée dans une « ontologie de l’imaginaire40 » la théorie de Dufrenne parvient à préserver une dimension d’ouverture, d’inachèvement et de virtualité au sein de l’être et invite à trouver l’impulsion créatrice même, une certaine responsabilité individuelle, dans une attitude de recueillement et un accueil amical fait à la nature anonyme qui est notre origine ainsi que l’a priori de chacun de nos vécus. Ainsi l’attitude esthétique, consistant, d’une part, en une attention patiente au divers contingent sensible qui constitue le tissu de l’existence et, d’autre part, en une capacité à faire librement fructifier les possibles dont le réel est gros, sans jamais se soumettre à des normes supposées faire autorité, va pouvoir s’étendre largement au-delà de la sphère restreinte de récréation – en marge des heures consacrées au travail et aux activités « sérieuses » – qui lui est conventionnellement réservée.
Vers unité première
16La référence aux travaux de Pradines et au processus de distanciation dans L’Œil et l’oreille permet d’abord à Dufrenne de resituer les perceptions articulées sur fond d’un mode d’être plus originaire à partir duquel elles se sont formées en creusant progressivement l’espace : un fond de présence avec lequel une rupture radicale est impossible. « À trop insister sur la différence entre ces deux formes de l’être au monde [sentir et percevoir], on risque d’oublier que l’homme peut parfois retrouver l’innocence du sentir et qu’aussi bien il lui a fallu accomplir un “saut” pour accéder au percevoir. A-t-il l’initiative de ce saut ? Ou faut-il le mettre au crédit de quelque instance pré-humaine, nature ou esprit ? Et ne fallait-il pas que la sensation comme telle se prêtât au jeu41 ? » Il faudrait nuancer l’idée selon laquelle nous pouvons retrouver l’innocence du sentir : Dufrenne l’a parfaitement montré, nous pensons toujours du cœur du dualisme. Toutefois le champ esthétique notamment invite particulièrement à retrouver cette jouissance à même la sensation qui nous rend plus proches que jamais de la présence première42.
17Précisons que ce n’est pas cet aspect de l’esthétique qui est mis en avant par les théories classiques, celle de Kant notamment : c’est au contraire en prenant ses distances par rapport au sentir pur que l’on est supposé accéder à une contemplation esthétique digne de ce nom, c’est-à-dire, formelle, bienséante et désensualisée43. Aussi Kant exclut du champ esthétique l’art des couleurs44 et se montre extrêmement méfiant à l’égard de la musique45. En effet cette dernière ne donne pas véritablement accès à une forme, en tout cas ne suggère pas de concept dont elle donnerait l’idée esthétique. Elle suscite une rêverie fluente, des « impressions passagères46 » et il est difficile de savoir si le sentiment ressenti « a pour principe les sens ou la réflexion47 ».
18Mais l’esthétique se réfère essentiellement à des formes incarnées, sensibles et, si l’on peut admettre qu’il s’agit toujours de jouir du surgissement d’un sens, celui-ci est toujours éprouvé à même le sensible et comme émergeant de sa matière même. Au fond l’esthétique kantienne indique irrépressiblement cette piste, ne serait-ce que grâce à la thèse selon laquelle c’est spontanément – sans mise en forme imposée par l’entendement – que le sensible, le paysage, l’œuvre d’art engendrent une forme harmonieuse : c’est de la matière que, miraculeusement, la forme émerge. Kant développe même l’idée tout à fait audacieuse dans le cadre de son esthétique de la forme, que le plaisir est toujours animal, corporel et consiste dans l’intensification du sentiment de santé48.
19Au-delà de Kant, ainsi que le souligne Dufrenne, les développements de l’art au xxe siècle, les monochromes par exemple, ou la réintégration du bruit à la musique49, obligent à se questionner sur l’esthétique de la sensation. Mais, avant cela, et c’est tout le thème de L’Œil et l’oreille, il y a dans l’histoire de l’art, un jeu permanent sur les synesthésies, les collaborations, les associations, les échanges et même la fusion entre les divers arts qui renvoie à l’unité originaire des sens. Ce jeu culmine avec le rêve d’une œuvre totale, d’une « fête primitive vécue à même la chair du monde en deçà de la division du sensible50 », d’une fête à laquelle un plaisir dionysiaque51 est convié comme authentiquement et fondamentalement esthétique. Un tel rêve « n’a pas été loin de se réaliser à Athènes, Versailles ou à Bayreuth52 », mais il est déjà à l’œuvre dans tous les arts qui cultivent les synesthésies et auxquels Dufrenne consacre de nombreuses analyses dans L’Œil et l’oreille (la danse, l’opéra, la poésie mise en musique, la poésie illustrée…) et plus généralement dans tout art car c’est toujours à même le sensible qu’est goûtée la forme esthétique de sorte que c’est le sensible même qui fait sens et fonde le passage d’un sens à l’autre.
20Ainsi les travaux de Bachelard auxquels Dufrenne se réfère à de nombreuses reprises53 permettent de redéfinir, après Kant, le rôle de la matière et de la forme dans l’attitude esthétique. Bachelard accorde la priorité à l’imagination matérielle54 précisément parce qu’il est exclu d’envisager une forme qui se donnerait et serait appréciée esthétiquement indépendamment ou abstraction faite d’une matière sensible. Les images formelles, ces significations hypostasiées et circonscriptibles – précisément pour cela susceptibles d’être identifiées en elles-mêmes comme des formes à part entière – sont également pauvres, prévisibles et dévitalisées. Corrélativement la matière sensible n’est jamais pure matière. Ce qui intéresse Bachelard c’est, au contraire, dans la continuité de Kant, la manière dont les séries de sensations laissent transparaître des thèmes et peuvent ainsi engendrer un vaste « système » (sans rigueur impérieuse) mouvant d’« éléments », de « complexes »». L’entendement jugerait un tel « système » (Bachelard le nomme plus justement « rêverie ») trop lâche et flottant. L’organisation des idées exposées par Bachelard dans ses ouvrages sur l’imaginaire, présente en effet un aspect erratique et rhapsodique assumé, mais qui donne à découvrir une conception de la « forme » esthétique profondément renouvelée, plus ouverte, plus frustrante pour l’entendement mais également plus libératrice pour l’inventivité que ne l’était la théorie kantienne de l’accord mystérieux des facultés – sensibilité et entendement – dont Dufrenne relève, citant Adorno, qu’elle « anticipe intuitivement ce qu’Hollywood fut le premier à réaliser consciemment […] : un processus de production d’images précensurées conformément aux normes de l’entendement55 ». Dufrenne comme Bachelard récusent cette manière d’esquiver un vrai retour à la nature, un retour qui accepterait l’intégration de l’irrationnel, du sauvage. En outre Dufrenne souligne que l’imagination matérielle telle que la définit Bachelard entre dans un rapport de co-résonnance avec les choses56, au lieu de les objectiver (afin de circonscrire leur forme et des caractères bien délimités) elle laisse le sensible faire sens, autrement dit elle sympathise avec la chose – ainsi l’enfant rêveur qui pétrit un peu de pâte ou de glaise et laisse la plasticité de la matière inspirer ses gestes – elle capte les schèmes moteurs, le style d’être de cette chose (tel qu’il s’esquisse dans la série de ses apparences et textures) et le laisse continuer à produire en nous des esquisses, des images, des impressions diverses, sans ordre impérieux mais selon une douce cohérence. Dans cette logique Dufrenne envisage, se démarquant radicalement de l’approche classique, une esthétique de la nage57 ou même propose de considérer l’érotisme comme un art du toucher et de la chair58 : le plaisir esthétique ne vient pas de la seule re-présentation désinvestie de toute vie et dénuée de prise directe sur le monde concret, il est plaisir de faire, d’engendrer, non comme démiurge, mais dans un co-sentir59, dans une co-opération avec le monde. C’est « faire l’amour avec l’objet esthétique » et « engendrer dans l’amour60 ». L’enjeu, immédiatement politique, de tels développements est clairement de réintégrer l’esthétique, le plaisir du jeu attentif-actif61, sensuel et néanmoins riche de sens, à la vie quotidienne, contre le sérieux conventionnellement attendu et qui incarne en fait l’assujettissement à des normes figées et, finalement, arbitraires : « c’est subvertir le régime du travail, de la fatigue et de la soumission62 ».
21Dufrenne s’inscrit ici dans la parfaite continuité de Merleau-Ponty et des développements exposés dans la Phénoménologie de la perception notamment concernant le syncrétisme enfantin, développements qui trouveront leur aboutissement plus tard dans la notion de chair universelle. « Pendant les neuf premiers mois de la vie les enfants ne distinguent que globalement le coloré et l’achromatique ; dans la suite les plages colorées s’articulent en teintes chaudes et teintes froides et enfin on arrive au détail des couleurs63. » L’origine de la perception est une présence globale indifférenciée (plus exactement, en voie de différenciation). Comme le montrent le dessin enfantin64, caractérisé par des structures d’empiètement, de rabattement, d’emboîtement spatiaux et temporels, ou les études consacrées à ce qu’on appelle, improprement selon Merleau-Ponty65, l’animisme enfantin, l’enfant ne se distingue pas comme sujet particulier et ne distingue ni autrui ni le monde comme autres que lui. Les choses sont des caractères qui vivent en lui, ils partagent une vie commune et échangent de manière fluide modes d’être, manières de vibrer, styles, etc. Par conséquent il devient impossible d’affirmer que ma chair est un être singulier, un îlot de sensibilité au sein d’un monde inerte, d’un être en soi. Elle ne peut sentir les objets que si elle est apparentée à eux, si elle partage jusqu’à un certain point leur mode d’être et s’ils se prêtent à ce sentir. La chair commence donc au-delà des limites de mon organisme, la sensation est le fruit d’une coopération entre mon corps et les choses, il est par conséquent caricatural de me réserver le statut de sujet de la perception et de les qualifier comme objets passifs : la sensation commence, en amont de mon corps propre, dans les choses et dans une nature sensible (être à la fois sentant et senti) commune que nous partageons avec elles. Ainsi Dufrenne l’affirme clairement : la réflexion sur l’unité du sensible avant la différenciation des sens reconduit à « l’énigme de la chair66 », cet impensable qui hante toute pensée toujours déjà articulée, et nous met au défi de penser « la chair du monde67 ».
22Mais Dufrenne insiste : la chair demeure un impensable et l’on ne peut partir d’elle comme d’un principe positif sans prendre le risque de rendre cette fois l’apparition de la dualité et la naissance de l’homme comme pour-soi libre impensable68.
23Et précisément pour Merleau-Ponty, Dufrenne le souligne69, l’unité de la chair universelle n’est jamais achevée, le sujet et l’objet ne coïncident jamais, pas plus que mon corps comme sentant et mon corps comme senti (lorsque je touche ma main droite avec ma main gauche, puis renverse le rapport et tente de toucher ma main gauche comme sujet sentant avec ma main droite, cette perception est imminente mais toujours avortée en un basculement du sentant en senti70).
24Je suis toujours séparée, le sens est toujours articulé et diffracté. Faut-il voir en cela une malédiction de l’existence ? Est-ce une condamnation au conflit, à l’opacification du sens et à la quête absurde de l’unité par le biais d’un impérialisme voué à l’échec ? La définition d’une dimension imaginaire du réel permet de surmonter cette difficulté.
Pré-réel et sur-réel : la sensibilité comme libératrice. Raison et utopie
25« [Le peintre] fait retour au pré-réel, qui est aussi sur-réel – et au sens même où l’entendent les surréalistes, car leur hasard objectif est un autre nom de l’événement inaugural –, en ce que l’homme y est encore tout mêlé aux choses71. » Le pré-réel est cette unité syncrétique originaire antérieure à l’apparition d’êtres bien délimités, des sujets et des objets, des registres sensibles circonscrits… En quoi est-il surréel ? Breton nommait hasard objectif « l’indice de réconciliation possible des fins de la nature et des fins de l’homme aux yeux de ce dernier72 » : il prend la forme d’événements soudains, apparemment complètement contingents et abrupts, interrompant la banalité des régularités quotidiennes et entrant pourtant en résonnance avec les désirs les plus profonds d’un individu. Quoique manifestant un accord entre l’homme et la nature, le hasard objectif est néanmoins rebelle à toute intégration dans un ordre rationnel, une logique, une théorie expliquant ses causes. En effet ce à quoi accède l’artiste, en deçà de l’ordre prosaïque des dualismes nettement découpés, c’est à un moment créateur, et les surréalistes entrevoient dans les hasards objectifs moins des révélations limpides que des faisceaux d’indices à la fois insistants et sibyllins qui mettent en ébullition leur désir et leur imagination, motivent l’exploration des méandres et des contradictions de l’inconscient et non des concepts de la raison. Si l’artiste remonte en deçà du « monde administré », du monde arraisonné et prévisible, s’il accède au « moment où les choses se font choses et le monde monde73 », c’est en ce qu’il découvre (accueille en lui et participe à) une fécondité du sensible capable de donner naissance aux êtres, laquelle fécondité est, nous l’avons vu, nécessairement transcendante et incompréhensible, sauvage et indéterminée : elle est cet accord moi-nature qui m’enveloppe, me précède toujours. Il y a là un fait – et non pas une raison – absolument ultime. Cette contingence se lit dans la création même qui, corrélativement, ne saurait prendre la forme d’une déduction limpide et donne un objet épais, à la fois signifiant (familier) et opaque (transcendant). Et, en effet, c’est toujours à travers une diversité d’esquisses sensibles particulières que l’objet apparaît : rien ne l’attache nécessairement à telle couleur, tel profil, telle taille choisis par l’artiste, c’est plus flagrant encore lorsque celui-ci crée au mépris de tout parti-pris réaliste ; l’objet est donc là comme par hasard et, pourtant, si l’œuvre est réussie, sa présence est incroyablement prégnante, les autres aspects passés et perçus, jugés « réels » de l’objet hantent l’œuvre comme invoqués par les synesthésies et le pouvoir des métaphores, leur présence est « virtuelle […] imaginaire74 », tandis que, réciproquement, la création inédite et fantaisiste qui naît dans l’œuvre apparaît comme ce qui existait à l’état de puissance de l’objet réel même, comme une de ses possibilités. L’on accède à un a priori affectif, un style antérieur à la distinction sujet-objet et qui régit leur création, la naissance d’un monde, d’une présence selon une certaine modalité donnée comme un possible parmi une infinité d’autres75. « Tout tableau est à quelque degré surréaliste ; on dit bien qu’il est image, et cela invite à penser qu’il sollicite l’imaginaire. Ce qu’il rend “visible”, selon un mot fameux, ce n’est pas ce qui est déjà vu, c’est la part d’invisible qui hante le visible, c’est ce que le visible rêve, comme rêvent les mots du poème76. » « L’imagination est le naturant du monde77. » Si l’on veut rendre justice à l’originalité de cette thèse dans toute sa nuance, il importe de spécifier que l’imaginaire n’est pas réintégré au perçu ou au réel, il ajoute une irréductible dimension de quasi-être, d’inachèvement, d’imprévisible à l’être.
26Dufrenne rejoint ici et développe l’un des aspects les plus audacieux de la philosophie de Merleau-Ponty : son concept de « texture imaginaire du réel78 ». La chose réelle, perçue, apparaît nécessairement dans une série contingente d’esquisses sensibles. Par conséquent la chose est la série des esquisses, série à la fois cohérente (puisqu’il y a bien des phénomènes diacritiques d’écho, de correspondance qui font que telle chose, caractérisée par tel style d’être apparaît et est reconnue d’une esquisse à l’autre) et ouverte parce que chaque esquisse est singulière et contingente, chaque registre de sensation est irréductible à l’autre, de sorte que demeurent toujours, au sein des êtres mêmes, une dimension d’incertitude et d’inachèvement, mais également une marge pour la création et l’interprétation : est toujours possible l’ajout d’esquisses nouvelles imprévues par des expériences surprenantes ou par l’imagination du rêveur ou de l’artiste. Ainsi une métaphore poétique audacieuse parvient à rendre présent un objet en dehors de ses esquisses habituelles, mais toute métaphore n’est pas juste, elle doit réussir à entrer en syntonie avec la mélodie perceptive à travers laquelle la chose s’est donnée à nous dans les milliers de perceptions passées. Aussi Merleau-Ponty peut-il écrire que la peinture est « l’imaginaire logé dans le monde79 » : les déformations imaginaires sont un « mentir pour être vrai80 » et les choses « appelaient la métamorphose même que nous leur imposons81 ».
27Par conséquent l’art accomplit une étrange décompression grâce à laquelle on accède à une zone ontologiquement douce au sein de laquelle l’originaire se découvre comme antérieur à toute position d’être massif, achevé, délimité. Comme l’annonçait Merleau-Ponty dans L’Œil et l’esprit, il va s’agir d’appeler être ce qui n’est jamais tout à fait.
« À être lesté de latent, le patent ne devient-il pas latent lui-même ? Si la musique du tableau n’est pas encore musique, ne peut-on dire aussi que le tableau n’est pas encore tableau ? Non pour ne pas l’être assez, mais cette fois pour l’être trop. Parce qu’à force d’être vu il se charge de pré-sens […]. Quand le réel se charge de virtuel, il risque d’être lui-même virtualisé. […] Le voyant revient dans les parages de l’originaire. Il ne s’éprouve plus définitivement naturé, totalement individualisé, différent, il retrouve un moment l’intimité prénatale, que la réflexion pourra expliciter en théorisant l’a priori, avec l’autre, avec l’objet qui n’est pas non plus définitivement naturé, qui n’est pas encore objectivé, l’objet comme chair encore indifférencié82. »
28Cette métamorphose frustrante pour qui cherche des formes solides et des appuis pour des concepts et une action faisant autorité, possède sa fécondité propre. La réalité « virtualisée » apparaît plus radicalement que jamais en continuité avec le champ traditionnellement marginal et inopérant de l’esthétique, et, d’autre part, ce n’est pas seulement la douce et patiente amitié avec les choses qui devient la clef de la révolution dont Dufrenne lit les dans l’art, c’est également la création, une création non-démiurgique, une création affranchie de toute norme, par co-opération avec la nature et qui cesse de se focaliser sur les créations83 (au sens de substances supposées incarner et manifester, par la solidité et la massivité de leur être, la puissance du créateur) : le jeu créatif incessant, le « droit à inventer84 » sont réaffirmés pour chacun.
29L’impérialisme n’est pas une fatalité, l’homme est condamné à être séparé, mais il a perdu son innocence innocemment85. C’est la nature qui appelle l’homme à créer86. Ainsi peut-on arracher la raison à sa complicité traditionnelle avec les autorités institutionnelles87 : « On ne fait pas tort à la raison en la situant du côté de l’imaginaire, surtout si l’entend l’imaginaire comme un possible dont le réel est gros, surréel plutôt qu’irréel. Soyons donc réalistes ! Mais cela ne signifie pas qu’il faut adorer le réel et le système qui s’y est installé ; il faut au contraire réaliser autre chose88. »
Notes de bas de page
1 Le présent texte a été écrit dans le cadre du projet « Philosophical Investigations of Body Experiences : Transdisciplinary Perspectives », Czech Science Foundation, GAP 401/10/1164.
2 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 97.
3 Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1961, p. 92.
4 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1964, p. 195
5 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, Paris, Jean-Michel Place, 1991, p. 88.
6 Ibid., p. 9.
7 Ibid., p. 20.
8 Voir Maurice Pradines, Traité de Psychologie générale, t. I, Paris, PUF, coll. « Logos », 1943, p. 281.
9 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 37-38.
10 Ibid., p. 40.
11 Cf. l’analyse par Foucault du caractère performatif de « Mais quoi ? Ce sont des fous » dans la première des Méditations métaphysiques (Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 56-58).
12 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 91.
13 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, traduit de l’allemand par Alexis Philonenko, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1993, § 53.
14 Aspect que je peux relativement endiguer si je prête l’oreille : dans une attitude plus analytique et discriminante, il est possible d’utiliser l’ouïe pour situer et assigner un son.
15 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 85.
16 Ibid., p. 88.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 265.
20 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 104.
21 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 256-257.
22 Ibid., p. 260.
23 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 65.
24 Dufrenne cite l’affirmation lapidaire et sibylline de L’Œil et l’esprit : « La musique est trop en deçà du monde et du désignable pour figurer autre chose que des épures de l’Être, son flux et son reflux, sa croissance, ses éclatements, ses tourbillons » (L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 14, cité par Dufrenne : Esthétique et philosophie, op. cit., t. III, p. 102). La tournure semble péjorative (« trop… pour figurer autre chose que »), pourtant, dans le cadre d’un projet ontologique et, qui plus est, d’un projet qui refuse de séparer l’ontologique de l’ontique (ainsi que le souligne très justement Dufrenne, Jalons, La Haye, Nijhoff, coll. « Phaenomenologica », 1966, p. 212), un art donnant des épures de l’Être semblerait devoir être particulièrement valorisé et faire l’objet d’analyses spécialement attentives.
25 Maurice Merleau-Ponty, Parcours (1935-1951), Lagrasse, Verdier, 1997, p. 200. Nous nous permettons de renvoyer, pour plus de détails, à notre ouvrage Merleau-Ponty. Une ontologie de l’imaginaire, La Haye, Springer, 2012, p. 232-243.
26 Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, op. cit., p. 36-60 notamment.
27 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 248.
28 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 118.
29 Ibid., p. 36.
30 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. I, op. cit., p. 2.
31 Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., 1959. Voir également Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. II, op. cit., p. 560 sq. notamment.
32 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. I, op. cit., p. 284.
33 Ibid.
34 La référence à Spinoza est centrale cf. par exemple Jalons, p. 6, 9-10 et 26, La notion d’a priori, p. 283. La question de la scission de l’un, de la nature en connaissant-connu, sujet-objet est notamment posée dans « The a priori and the philosophy of nature », in Philosophy today, 1970, vol. 14, Issue 3, p. 203.
35 « The a priori and the philosophy of nature », art. cit., p. 204, p. 205. On trouvait cette étonnante idée chez Plotin : Ennéades, III, 8 [30], 8 et V, 1 [10], 1.
36 Voir notamment Maurice Merleau-Ponty, La Nature. Notes de cours au Collège de France, Paris, Le Seuil, 1995, p. 34 et p. 371 (« Les apparences sont le canon de ce que nous pouvons entendre par “être”, à cet égard c’est l’être en soi qui fait figure de fantôme insaisissable ») et vi, p. 161.
37 Mikel Dufrenne, « The a priori and the philosophy of nature », art. cit., p. 205.
38 Ibid., p. 202.
39 Ibid., p. 203.
40 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 122.
41 Ibid., p. 23.
42 Ibid., p. 128 : « Les vitraux de l’église peuvent enseigner l’Histoire sainte, mais ils apprennent aussi à jouir des jeux de la lumière, comme l’auditeur à l’opéra peut jouir des vocalises sans discerner des paroles […]. Nous sommes donc en droit de dire que les arts produisent du sensible, qu’ils nous invitent à jouer et à jouir de nos yeux et de nos oreilles. »
43 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 117-118.
44 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., § 14, AK V 224-225.
45 Ibid., § 51, AK V 324-325.
46 Ibid., § 52, AK V 330. Voir aussi § 54, AK V 332.
47 Ibid., § 51, AK V 324.
48 Ibid., § 54, AK V 331 et 335. Relevé par Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 118.
49 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 119.
50 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 132.
51 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 59.
52 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 132.
53 Notons aussi que cette référence est cruciale chez Merleau-Ponty, lequel en fait, lui aussi, un usage bien au-delà de l’esthétique et des moments comme suspendus, « nocturnes », de la rêverie – champ auquel, finalement, Bachelard veut cantonner l’imaginaire – jusqu’à envisager leur portée ontologique (« L’imaginaire = l’étoffe insensible des sens, le milieu ontologique qui les conditionne [Bachelard] », note inédite, B. N., volume VI [238], 13, avril ou mai 1960, cité par Emmanuel de Saint-Aubert, Du lien des êtres aux éléments de l’être, Paris, Vrin, 2004, p. 258). Ces idées demeurent néanmoins très esquissées chez Merleau-Ponty et il est remarquable que Dufrenne en fasse un des thèmes explicites de réflexions bien plus développées (voir notamment Jalons, p. 20, et p. 174-187).
54 Voir notamment l’introduction de L’Eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1942.
55 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 14. Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974, p. 95
56 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 103.
57 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 90.
58 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 104-105.
59 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 128.
60 Ibid., p. 139.
61 « Plaisir pris à une activité qui n’est pas tout à fait la nôtre » (ibid., p. 127).
62 Ibid., p. 139.
63 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 38.
64 Maurice Merleau-Ponty, Psychologie et pédagogie de l’enfant. Cours de Sorbonne (1949- 1952), Lagrasse, Verdier, 2001, p. 210-234, voir aussi p. 513-524.
65 Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, PUF, 1942, p. 182 : le terme d’animisme suggère que l’enfant projette actuellement une âme dans les choses, or la distinction entre âme et choses est en fait une construction seconde : il y a toujours du sens et de l’esprit en formation dans les prétendues « choses » et notre esprit n’est jamais une âme substantielle désincarnée, il est toujours au monde et du monde.
66 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 113.
67 Ibid. Voir également Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 123.
68 Mikel Dufrenne, « The a priori and the philosophy of nature », art. cit., p. 204.
69 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 73-74.
70 Ibid., vi, p. 24.
71 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 100.
72 André Breton, La clé des champs, Paris, J.-J. Pauvert, 1967, p. 110.
73 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 69, cité par Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 100.
74 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 184.
75 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. II, op. cit., p. 645 sq.
76 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 161. Voir déjà Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. II, op. cit. p. 443-446.
77 Ibid., t. II, op. cit., p. 446.
78 Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, op. cit., p. 24.
79 Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1969, p. 67.
80 Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 71.
81 Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde, op. cit., p. 98.
82 Mikel Dufrenne, L’Œil et l’oreille, op. cit., p. 199-200.
83 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., « Aujourd’hui encore, la création », p. 70.
84 Ibid., t. III, op. cit., « La raison aujourd’hui », p. 21.
85 Mikel Dufrenne, « The a priori and the philosophy of nature », art. cit., p. 212.
86 Mikel Dufrenne, « Philosophie de l’homme et philosophie de la nature », in Les Études philosophiques, n° 3 : « La dialectique », PUF, juillet-septembre 1970, p. 315.
87 Dufrenne démontre cette idée dans « La raison aujourd’hui », Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., notamment p. 12-15.
88 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, t. III, op. cit., p. 20.
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