L’esthétique de Mikel Dufrenne
De la phénoménologie à l’ontologie
p. 39-54
Texte intégral
1Il s’agira d’abord pour nous d’analyser avec précision ce que nous voulons nommer la « troisième voie » tentée par M. Dufrenne entre la thèse du statut imaginaire de l’objet esthétique (thèse « irréaliste-imaginaire ») et l’antithèse qui affirmerait son statut d’objet idéal (antithèse « idéaliste-intellectualiste ») ; la position de M. Dufrenne nous semble être, à l’encontre de ces deux-là, celle d’une phénoménologie de l’œuvre « perçue », c’est-à-dire « appréhendée » tout à la fois par la perception de l’expressivité dynamique de l’image et par la perception interne d’un sentiment, comme exposition d’un schème de la « nature naturante ». L’engagement de notre commentaire sur cette voie exigera la confrontation de la phénoménologie de l’œuvre d’art, que nous exemplifierons de manière privilégiée par la peinture, avec l’ontologie de la nature de M. Dufrenne. Cette dernière autorise à penser la phénoménologie de l’œuvre, non seulement comme une phénoménologie de l’apparition de l’objet esthétique relative à l’homme, mais plus profondément, en rapport avec un « fond » (Grund) significativement mentionné par le philosophe, comme une ontologie de l’automanifestation exemplaire de la Nature dans les œuvres de l’homme qui en participent.
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2D’emblée, M. Dufrenne restreint la phénoménologie de l’expérience esthétique à la perception de l’objet esthétique qu’est l’œuvre d’art, délaissant le champ des objets naturels ou des objets purement imaginaires comme toujours susceptibles de contaminer les significations esthétiques par de tout autres valeurs : « la définition de l’expérience esthétique est alors sans rigueur, parce que nous n’introduisons pas dans la définition de l’objet esthétique assez de précision1 ». S’opère ainsi d’emblée une première réduction phénoménologique conférant à la perception des œuvres d’art le pouvoir d’intentionner l’essence esthétique comme telle dans toute sa pureté : « l’objet esthétique, c’est l’œuvre d’art perçue en tant qu’œuvre d’art, l’œuvre d’art qui obtient la perception qu’elle sollicite et qu’elle mérite, et qui s’accomplit dans la conscience docile du spectateur2 ». Sur cette base perceptive, le philosophe veut d’abord mettre en évidence l’ambiguïté de l’œuvre d’art qui, d’un côté, possède une signification plastique exhibant une morphologie matérielle, mais qui, d’un autre côté, est expressive d’une relation singulière au monde qu’elle nous propose de partager avec l’auteur, en nous transmettant une vision corrélative d’une gestuelle. Les formes perçues sont signifiées comme les corrélats de gestes plastiques singuliers, par exemple ceux du peintre ou du sculpteur, mais tout autant des gestes de composition sonore du musicien, ou verbaux du poète. C’est bien cette dynamique que l’œuvre nous propose d’abord d’intérioriser par la vue ou par l’ouïe et c’est ce qui fait d’une œuvre, selon l’expression réitérée de M. Dufrenne, un « quasi-sujet3 ».
3D’un côté, M. Dufrenne critique les thèses sartriennes relatives à l’objet esthétique comme à un irréel visé dont la réalité matérielle n’est qu’un analogon pour une attitude de libre intentionnalité irréalisante, produisant un imaginaire. Il reproche à cette conception de faire de la dimension perceptible de l’objet d’art une simple médiation, fournissant seulement une occasion de constituer le véritable objet esthétique qui la transcenderait radicalement. Sartre exploite ici son ontologie dualiste de l’en-soi (la dimension perceptible de la réalité) et du pour-soi qui transcende par sa négativité le réel en soi pour projeter des significations dans lesquelles il peut se réfléchir en tant que liberté : les significations imaginaires, les significations verbales ou conceptuelles, etc. M. Dufrenne veut au contraire ramener l’analyse esthétique à un certain monisme, celui de l’objet perçu, à l’intérieur duquel matière et forme, réalité sensible et signification appréhendée sont complémentairement constituantes4. La signification est certes un « irréel », mais imaginé et senti dans l’objet perçu plutôt que visé au-delà de lui : « c’est qu’il est intérieur à cet objet et doit être saisi en lui […] et l’irréel n’est chose que parce qu’il est dans le réel, dans la chose perçue, comme l’âme est dans le corps et se lit sur le corps5 ». Sans doute l’imagination intervient-elle dans cette expérience de l’imaginé dans le produit d’art, mais elle n’est pas celle de l’imaginaire au sens de Sartre : « et précisément, elle ne signifie pas que l’objet esthétique soit un imaginaire, pas plus que l’Amérique n’était un imaginaire avant Christophe Colomb6 ».
4 Il nous semble qu’ici M. Dufrenne privilégie ce que nous avons appelé ailleurs les « significations plastiques » de l’œuvre (noèmes constitués de purs rapports entre les éléments matériels, colorés ou linéaires, mélodiques ou rythmiques, qui sont les corrélats gestuels de l’œuvre, qu’elle soit picturale ou musicale) au détriment des « significations iconiques » (corrélats iconiques irréels ou imaginaires de l’œuvre comme image de quelque chose de concret qu’elle figure ou représente)7. M. Dufrenne ne nie évidemment pas les significations iconiques imaginaires auxquelles renvoient de nombreuses œuvres, il nie seulement que ces significations constituent le caractère véritablement esthétique de l’œuvre d’art. Mais d’un autre côté, dans la mesure même où l’objet esthétique est tout entier immanent à l’objet perçu, son élucidation ne relève pas davantage d’une approche intellectualiste qui ramènerait sa signification à un concept plus ou moins clairement explicité. L’analogie du sens et du signe, ou de l’âme et du corps, dont il use souvent, pourrait le faire croire faussement. M. Dufrenne s’en prend d’abord ici8 à l’analyse phénoménologique de l’œuvre d’art par R. Ingarden9 auquel il reproche de confondre l’objet intentionnel visé dans l’œuvre avec un objet transcendant l’objet réel perçu. Mais plutôt que d’intellectualisme (M. Dufrenne), c’est d’un certain « culturalisme » ingardenien dont nous parlerions comme condition d’accès intentionnel aux « qualités de valeur esthétique » selon R. Ingarden pour qui la motivation intentionnelle spécifiquement esthétique relève paradoxalement de l’expérience, de la compétence, de l’érudition nécessaires à la constitution des idéalités d’art. En effet, pour le phénoménologue polonais, les valeurs esthétiques « ne sont, pour la plupart, accessibles qu’à des sujets humains hautement qualifiés10 », et sont des « déterminations propres d’un type particulier d’objectités bien composées et intimement harmonisées11 » ; cela ne signifie pas qu’elles soient « subjectives », mais que leur objectivité n’est accessible qu’à la condition d’un accès approprié (expérience, compétence, culture), en tant que motivation intentionnelle d’une visée authentiquement esthétique, tenue d’adopter une « juste » attitude, celle qui « rend justice à l’œuvre ». Si cet objet n’est plus un irréel imaginaire comme le veut Sartre, mais une signification engageant notre intellect, il n’en demeure pas moins qu’aux yeux de M. Dufrenne l’écart entre le contenu perçu de l’œuvre et son sens demeure fâcheusement dualiste relativement à ce dernier, « en le suspendant à une sphère d’être idéal12 ». M. Dufrenne prend encore comme échantillon de cette conception intellectualiste l’étude de Boris de Schlœzer, Introduction à J.-S. Bach13 : « l’œuvre exige donc d’abord d’être comprise par opération de synthèse intellectuelle14 » et « le privilège du sens spirituel est cautionné par une théorie intellectualiste de la perception15 ». Mais dans ses Notes précieuses que nous suivons ici16, J. Taminiaux estime que l’interprétation intellectualiste des analyses du livre porte à faux. Il rappelle que B. de Schlœzer entend par « objet esthétique » une « idée concrète » et non une synthèse purement conceptuelle, « idée concrète » dont il montre qu’elle s’apparente à la « quasi-subjectivité » de l’œuvre d’art selon M. Dufrenne plutôt qu’elle ne s’en écarte. L’objet esthétique est à la fois un en-soi dont non seulement l’existence et la forme immanente s’imposent à nous, mais cette forme est précisément ce qui nous impose une manière de la contempler, de sorte qu’elle est comme en attente de son achèvement dans notre perception d’elle, cet être en-soi est donc un « en-soi-pour-nous17 », car « cet être est suspendu à la perception et s’achève en elle : cet être est un apparaître18 ».
5Dans ses Notes citées, J. Taminiaux suggère de manière très éclairante que M. Dufrenne distingue trois moments constitutifs de notre rapport à l’œuvre, constituant trois niveaux de son appréhension mentionnés dans le second volume19. Le premier moment est celui de la présence. C’est la connivence de l’œuvre en ses formes sensibles avec notre corps qui, plus ou moins explicitement, intériorise ces formes grâce, en particulier, aux affinités de notre mémoire de formes semblables formant une structure d’accueil pour elles.
6D’où le second moment, celui de la « représentation » ou de l’« imagination ». Celle-ci, après l’intériorisation des formes sensibles de l’œuvre, y projette ses schèmes (Kant), schèmes dynamiques, avons-nous déjà dit, d’une gestuelle qui s’extériorise et permet d’achever en les totalisant les apparences sensibles. Car ces dernières, aussi intense que soit leur présence au premier coup d’œil ou à la première audition, restent en elles-mêmes esquissées et incomplètes. Selon nous, M. Dufrenne tente ici de faire se conjoindre les apports de Kant (l’imagination schématise transcendentalement, en réglant a priori les synthèses des données sensibles empiriques) et les apports de Husserl (l’imagination empirique comme totalisation noétique d’un présent vivant) : « nous vérifions par là, écrit-il, l’unité de l’imagination transcendantale et de l’imagination empirique20 ». Un autre texte nous semble vérifier ce qui se donne ici implicitement comme une double référence, purement transcendantale d’un côté et empiriquement intentionnelle de l’autre : « les rétentions ne constituent pas plus un passé que les protentions un avenir. Elles permettent que le temps vienne à la conscience, qu’une conscience vise le temps, elles ne tissent pas la trame du temps21 ». Ce qui en effet « tisse » la trame a priori du temps et ses déterminations n’est précisément rien d’autre que l’imagination transcendantale. La totalisation intentionnelle qui s’effectue sous la règle du temps, est celle qui donne au présent de la perception toute son épaisseur et sa continuité, car, de manière intentionnelle, elle anticipe empiriquement des aspects virtuels de l’œuvre (protention), tout en s’appuyant ou se « motivant » sur les acquis qui viennent d’en être confirmés l’instant auparavant (rétention).
7Le troisième niveau d’appréhension se situe après celui de la présence sensible et celui de la représentation imaginée, mais non imaginaire au sens sartrien, puisque l’imaginé, cet irréel intérieur au réel, est tout entier immanent à l’objet perçu esthétiquement. Ce troisième niveau noématique, avec son corrélat de « moment » noétique, est celui de l’œuvre comme « expression » corrélée à la « réflexion » et au « sentiment », au sens à nouveau et à la fois, nous semble-t-il, de Kant et de Husserl. Il s’agit, d’une part, de la visée d’un universel dans le particulier, comme nous visons un sens universel dans l’expression particulière qui nous est adressée. L’universel réfléchi est néanmoins visé comme corrélat intentionnel, ce que ne rendait pas l’Analytique kantienne du jugement réfléchissant esthétique. Toute expression extériorise une intériorité de telle sorte toutefois que, dans cette extériorité, l’intériorité est comprise comme au-delà de ce qu’elle extériorise d’elle, extériorité tout à la fois adéquate et inadéquate à ce qu’elle exprime. Or il ne s’agit plus dans l’œuvre d’art de l’inadéquation des « profils » ou « esquisses » (Abschattungen dans l’analyse husserlienne) d’un objet perçu comme simple chose indiquant son unité, mais de l’inadéquation de l’extérieur d’une subjectivité, libre de ses expressions, de leurs modifications, corrections ou esquisses à l’intention d’autrui.
8 C’est dans cette inadéquation que l’expression est paradoxalement adéquate à l’intérieur qu’elle révèle ainsi comme liberté et autonomie : « c’est à condition d’affronter cette contradiction que le rapport de l’intérieur et de l’extérieur est vraiment dialectique, comme le veut Hegel22 ». M. Dufrenne ne cite ici aucun texte de Hegel à l’appui de cette dialectique. Il nous semble pourtant que, lecteur de la Phénoménologie de l’esprit, il se réfère implicitement à La relation de la conscience de soi à son effectivité immédiate, où Hegel écrit notamment : « l’intérieur dans ce phénomène est bien de l’invisible visible, mais sans être lié à un tel phénomène ; il peut être dans un autre phénomène23… » Toutefois, afin de ne pas revenir à une interprétation idéaliste de cette intériorité, il convient de la saisir comme un processus de production, comme puissance active dont je me fais le participant : « je le vise comme consubstantiel à moi en pénétrant en lui ou en me laissant pénétrer par lui plutôt qu’en le tenant à distance24 ». C’est finalement en nous que paradoxalement se trouve réalisé ce sens perceptible de l’œuvre : « c’est en moi que l’objet esthétique se constitue comme autre que moi25 ». De fait, je retrouve en moi, sollicité par les formes sensibles et imaginées de l’objet, les mêmes schèmes producteurs qui m’imposent leurs règles comme elles l’ont fait à l’auteur de l’objet : « car il (l’objet) reste une règle pour moi et m’impose son sens26 ». M. Dufrenne est ici sur le point de reconnaître que nous sommes, le peintre et moi par exemple, co-auteurs d’une œuvre à la manière dont deux modes « con-substantiels » se laissent agir par la substance, le premier invitant l’autre à le rejoindre.
9C’est de la même manière que, comme « quasi-subjectivité », l’objet esthétique sollicite notre réflexion, et ce d’autant plus vivement qu’il est fait pour nous, qu’il est « un signe par lequel quelqu’un cherche à me dire quelque chose27 ». Certes, il y a une réflexion qui nous sépare de l’œuvre en tentant de l’interpréter, voire de l’expliquer, mais « de même que Kant distingue jugement déterminant et jugement réfléchissant, il y a une réflexion qui sépare et une réflexion qui adhère28 ». Cette adhésion réfléchissante est le mouvement de participation au sens immanent de l’œuvre, participation qui implique une identité partagée par le sentiment esthétique : « le sentiment est communion où j’apporte tout mon être ; la nécessité de cette participation à l’objet esthétique, nous l’avons vue à tous les plans29 ». Ce sentiment n’est pas celui du plaisir pris à la saisie de simples valeurs esthétiques formelles, le beau comme « libre jeu de l’imagination », par exemple. Ce partage, cet échange entre la profondeur de l’œuvre et celle de mon moi, s’effectue en effet « par la participation, à condition que nous nous identifiions assez à l’objet pour retrouver en nous ce mouvement par lequel il est lui-même30 ». Cette appropriation du mouvement productif de l’œuvre par le spectateur affecté sera particulièrement bien soulignée par M. Dufrenne dans un essai ultérieur sur la peinture : « ce faire qui produit le tableau s’inscrira en lui. Notre œil le verra en broutant le tableau […] nous revivrons la gestation de l’œuvre31 ». Cette réflexion est bien analogue à celle par laquelle nous comprenons les gestes d’autrui, nous y refaisons en nous intérieurement le processus générateur de son expression, car « la compréhension d’autrui comme tel suppose premièrement que je sois en quelque sorte consubstantiel à lui, loin qu’il me soit radicalement étranger comme l’est l’objet matériel32 ». On notera, dans ce passage du second volume, la reprise du vocabulaire de la « consubstantialité » dont il était déjà fait usage dans le premier.
10C’est à ce moment de la phénoménologie esthétique qu’affleure, nous semble-t-il, son lien avec une ontologie de la nature de tonalité substantialiste. Le rapprochement avec l’analyse husserlienne de la constitution d’autrui comme « accouplement » entre ego, ne visait qu’à souligner que « l’accouplement suppose une ressemblance, une parenté33 ». Mais par cette analogie entre connaissance d’autrui et acte d’amour34, c’est le dépassement d’une phénoménologie de la conscience vers une ontologie de la nature substantielle qui, nous semble-t-il, se met à poindre alors. De façon analogue, dans notre compréhension du passé historique, c’est le sentiment de ce que l’histoire, à travers cette remémoration, opère une réflexion de soi et prolonge son être, c’est-à-dire son action, par nos moyens : « comprendre l’histoire, c’est en retrouver l’écho en moi, être pleinement historique ou pleinement vivant35 ». Tout se passe comme si l’histoire, en une reprise de la participation naturelle, – n’est-elle pas notre « seconde nature » ? – achevait son acte d’être à travers cette réflexion remémorante, tantôt nostalgique tantôt heureuse de soi, comme la substance spinozienne accomplit son existence à travers les modes qui exercent en elle leur réflexion pensante. S’éprouvant et se connaissant elle-même à travers notre savoir d’elle, la substance de l’œuvre d’art manifeste de la même manière l’infinité de son sens à travers une appréhension fondamentalement affective, que nous exprimerons à notre tour dans un « jugement esthétique » : « nous nous sommes pénétrés de l’œuvre, assez pour la laisser se développer et s’affirmer en nous, et pour trouver dans cette intimité avec elle la volonté de chercher son sens en elle36 ».
11Il n’est nullement étonnant que la phénoménologie de l’expérience esthétique s’achemine finalement, après plusieurs passages qui en esquissaient l’anticipation, vers une « perspective métaphysique37 » sur cette expérience. Une telle perspective contient l’hypothèse d’« admettre un être du sens – le sens étant l’être – antérieur à la fois à l’objet et au sujet à qui il se manifeste38 ». M. Dufrenne rejoint manifestement ici la problématique d’une métaphysique de la « participation » dont on retrouverait le schème ontologique, mais non spécifiquement esthétique, chez Spinoza plus intimement que chez Hegel, auquel toutefois il emprunte la notion de dialectique expressive. Le schème spinozien nous semble cependant le plus affine avec les présupposés de l’argumentation de M. Dufrenne : c’est l’être39 qui à travers l’étendue et la pensée, l’espace de l’étendue et le temps de la pensée, l’étant objectif et subjectif, se réalise et se réfléchit en nous. Et la production de l’œuvre d’art est comme l’emblème de cette métaphysique de l’agir participé : c’est l’apport original de M. Dufrenne ici.
12La thèse ultime est donc que l’art est voulu par la Nature et que l’artiste ne se veut pas d’abord, car il est avant tout voulu lui-même par l’art40. Ne reconnaissons-nous pas ici l’ordre spinozien : la Nature ou l’être comme substance en soi et par soi, ses attributs (l’étendue, la pensée, la science, auxquels M. Dufrenne ajoute l’art), enfin ses modes (les esprits singuliers dont l’artiste) ? L’art, en tant qu’essence a priori matérielle, ici affective, aurait le privilège d’être un attribut parfaitement synthétique, unité originaire de pensée et de productivité matérielle, à l’image de la substance. Et l’artiste serait ce mode singulier dans lequel la puissance expressive de soi de la Nature s’affirme intensément et particulièrement par la médiation de l’art. Cette tendance à l’expression de soi, ou plutôt du soi naturel, serait si forte en lui qu’il ressentirait la nécessité impérieuse de porter à l’œuvre cette expression : « c’est à la nature avant tout que l’art est nécessaire : il est un service que la nature attend de l’homme41 ». Enfin, au terme de ce processus d’expression du soi naturel, le spectateur est lui aussi sollicité par la médiation et la méditation de l’œuvre de sorte que, s’il accepte d’entrer dans le monde de l’œuvre, de séjourner en elle, « il participe à cette histoire absolue où se réalisent les a priori42 », dont les modalités sont innombrables. M. Dufrenne refuse néanmoins de répondre ici en métaphysicien à la question suivante : « Faut-il en faire hommage à l’être, comme fait Spinoza de l’infinité des attributs ? » Il préfère se contenter de demeurer au sein d’« une phénoménologie de l’expérience esthétique (qui) nous conduit au seuil de ce problème43 ».
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13Si La phénoménologie de l’expérience esthétique s’achève au seuil d’une hypothétique ontologie métaphysique qu’elle ne saurait explorer sans quitter les restrictions méthodologiques que lui impose la corrélation noèse-noème, il n’en va pas de même des autres ouvrages de M. Dufrenne dans lesquels il approfondit le lien entre art et nature. C’est en particulier le cas dans les analyses finales du livre Le poétique44. Prolongeant les remarques hypothétiques de la fin du premier ouvrage, il affirme ici que, questionner en deçà même du transcendantal, c’est poser la question du « fond » (Grund) et que « poser la question du fond, c’est donc bien une interrogation métaphysique ». Dans un contexte où il s’agit de penser les relations entre art et politique, il n’hésitera d’ailleurs pas à assumer cette interrogation : « Mais oui, une métaphysique : si l’on dénonce l’idéologie de la “physique” comme science positive, pourquoi s’interdire la métaphysique ? Elle est à la pensée conceptuelle ce que la pratique artistique est à la pratique utilitaire ; tant qu’elle ne se dogmatise pas, elle est la poésie de la pensée45. »
14Il s’en suit que « chercher le fond, en un sens, c’est chercher Dieu : Natura sive Deus46 » et plus bas : « l’idée vraie de Dieu, que Spinoza nous attribue et explicite, c’est peut-être, sous sa forme immédiate, le sentiment de la Nature47 ». C’est ainsi que « le poétique », avant d’être une catégorie esthétique, est une catégorie proprement ontologique : « le poétique désigne en premier la puissance qui se révèle dans l’apparaître de la nature48 ». Le poétique expose cette puissance d’expressivité de la Nature dans des images archétypiques auxquelles puisera la poésie en tant qu’art, ou plutôt ce qu’il y a de poétique en tout art, et non seulement dans la poésie entendue comme art particulier. Cette reprise de la poiesis naturelle par l’art s’opère d’abord dans les grandes mythologies et leurs symboliques, antérieurement même à l’avènement des religions proprement dites : « l’homme est poétique lorsqu’il se déclare, dans l’innocence et la grâce de la fantaisie… De même ce qui est poétique dans le monde, c’est d’abord la fantaisie de l’apparaître49 ». Cette « fantaisie » n’est point le dérèglement arbitraire des apparences, mais l’imagination des grandes images cosmiques : l’arbre, la voûte céleste, la source, les éléments, etc. M. Dufrenne a évoqué plus haut « les thèmes qui n’appartiennent à personne, que l’on peut retrouver partout dans les mythes et dans les œuvres : ainsi le ciel, l’eau vive, l’arbre, la jeune fille ou les puissances nommées par Hésiode autour de la Nuit, comme le Chaos et la Terre50 ». « Mais précisément, ajoute-t-il un peu plus bas, le mythe est la première poésie51 ». C’est là un point sur lequel son analyse rejoint les thèses des romantiques allemands sur la « poésie originaire » (Urdichtung), notamment celle-ci, d’A.-W. Schlegel : « aux premières époques de la culture est née dans le langage et à partir de lui, mais de façon nécessaire et aussi peu intentionnelle que possible, une vision poétique (dichterisch) du monde, c’est-à-dire une vision gouvernée par la fantaisie (Phantäsie). C’est la mythologie52 ». La mention des « archétypes53 » est celle d’une notion de transition entre l’image « archaïque » que nous donne la nature et le modèle ou « type » artistique qui est en nous comme une sorte d’a priori matériel de notre « inconscient » : « c’est la Nature qui les dépose en nous sous les espèces d’images puissamment expressives54 ».
15Les recherches de M. Dufrenne sur les a priori matériels qu’il a effectuées entre temps, après l’ouvrage de phénoménologie et avant celui sur le poétique, prennent ici tout leur sens de médiation. À la différence de l’a priori formel55 qui règle la forme du discours logique ou mathématique sans référence à un contenu d’expérience, l’a priori matériel est éminemment et paradoxalement un a priori qui règle, écrivait-il, l’expérience et l’existence d’une « singularité eidétique concrète56 » dans une « région » de nos expériences intentionnelles. M. Dufrenne en donnait déjà nombre d’illustrations « esthétiques », telle celle du sentiment de « l’enfance » qui anime les singularités que sont le jeu de l’enfant, le bourgeonnement du printemps, ou l’allégresse d’un thème de Mozart57, tous modes d’expression convergents ; or, de l’enfance, « ce ne sont pas des exemples qui se proposent à moi, mais la notion elle-même dont le savoir s’éveille ou se ranime en moi58 ». L’analyse phénoménologique de notre auteur déterminera les a priori esthétiques comme des « a priori affectifs », car ce sont avant tout des contenus d’affects émotionnels, qu’il illustre à nouveau par « l’allégresse de Mozart59 » ou, chez le peintre Rouault, par « l’idée de la misère humaine, mais cette idée s’exprime chez lui par la profondeur des bleus et des pourpres, par le cerne écrasé des traits60 ». Nous pouvons rapprocher cette déclaration de l’affirmation de Van Gogh relative à son Café de nuit : « dans mon tableau, j’ai cherché à montrer que le café est un lieu où l’on peut se ruiner, devenir fou, ou commettre un crime. J’ai cherché à exprimer les terribles passions humaines par le rouge et le vert61 ».
16Si nous revenons à l’illustration par la peinture qui a été, dès le début de notre étude, l’exemple privilégié sur lequel s’est faite la lecture d’essence phénoménologique de M. Dufrenne, nous ne nous étonnerons pas de rencontrer une citation du peintre C. G. Carus62 commentée sous la plume de notre auteur, rappelant que, si l’a priori affectif est inconscient, il n’est pas seulement en nous mais identifié sur des contenus extérieurs à nous, ceux que nous offre la Nature : « l’inconscient signifie précisément ce hors de nous dans le romantisme allemand63 ». Par sa conception du « Tableau de la vie de la Terre » (Erdlebenbild), C. G. Carus nous invitait à penser que c’est le cosmos qui, par la médiation du sentiment esthétique et de l’œuvre d’art, est amené en nous à la conscience. Cette participation ontologique à l’expressivité vivante de la Nature au moyen de l’art semble bien être le lieu où s’articulent clairement chez M. Dufrenne la phénoménologie de l’expérience esthétique et l’ontologie de l’œuvre d’art.
17Une analyse un peu approfondie de son ultime grand livre synthétique, L’inventaire des a priori. Recherche de l’originaire, confirmerait d’ailleurs cette unité de l’originaire naturant et des manifestations inventoriées de l’a priori, unité qu’effectue l’imagination productrice : « une imagination si bien transcendantale que c’est la Nature qui imagine en l’homme lorsque l’homme imagine64 ». Dans un passage particulièrement précieux de son « Avant-propos », l’auteur précise le statut difficile sinon aporétique de sa philosophie de la Nature. Celle-ci ne peut faire l’objet d’un savoir dogmatique, sur le modèle spinoziste ou hégélien ; mais elle ne peut davantage coïncider avec son fondement à travers une expérience qui, pour être inexprimable conceptuellement, nous renverrait à une sorte de mysticisme incontrôlable. Cette métaphysique de la Nature est « impossible » sous ces deux aspects, rationaliste et mystique, « parce que, avait écrit ailleurs le philosophe, elle est le fait d’un homme qui devrait – et ne peut – s’abolir comme homme pour parler de ce qui est avant l’homme65 ». La reconstitution assurée de la genèse des a priori à partir de la nature comme fondement est donc impossible, et l’affirmation du fond naturant reste de l’ordre d’une Idée régulatrice : « la philosophie de la nature est toujours indiquée et toujours impossible, elle ne peut qu’être esquissée sur le mode du comme si66 ». Après le rappel de la profondeur non consciente de l’imagination productrice « dont Heidegger trouve l’idée chez Kant67 », la thèse anti-sartrienne d’un irréel imaginé et senti dans le réel se creuse et s’explicite par l’usage nouveau du terme de « sur-réel68 ». Le sur-réel est ce qui, à même le réel, excède le réel lui-même, restrictivement perçu en ses significations prosaïques, utiles à la vie. Il s’agit pourtant d’un possible dont le réel est surchargé, de sorte que « le surréel, c’est aussi bien la jointure de l’imaginaire et du réel69… ». C’est lui dont l’imagination de l’artiste se saisit et qu’il nous donne à notre tour à imaginer dans une œuvre. Celle-ci est une invite à enrichir imaginativement notre propre perception du réel : on devrait ne plus voir les pommes après Cézanne de la même façon, ni les nervures des troncs après Van Gogh, etc. L’élargissement décisif de l’ontologie dufrennienne s’amorce alors. C’est que le réel est complémentairement formé, d’une part, par les images normatives de nos systèmes d’action et de pensée, mais, d’autre part et aussi, par les images autrement normatives de l’art, dont la fonction est de libérer un excès d’images virtuelles : « l’image créatrice, elle-même à l’œuvre dans l’art, sera le retour à la nature – à l’imprévisible spontanéité – du geste ou de la parole qui auront été formés aux systèmes70 ».
18L’art a donc une fonction libératrice de la Nature à l’égard des systèmes présupposés et codés du sens, ces conventions intériorisées qui deviennent eux-mêmes des a priori culturels. En effet, reprenant sa conception du schématisme dynamique des structures de l’œuvre, M. Dufrenne souligne que « dans l’art ou le geste est roi, c’est par lui que s’exerce une liberté qui ignore ou transgresse les codes71 ».
19La réflexion sur l’être de l’art s’élargit alors en une réflexion sur la dualité ontologique de l’homme, à travers un inventaire de ses a priori naturés et naturants, convenus et non convenus, systématiquement clos et esthétiquement ouverts, les uns et les autres nécessaires à l’effectuation totale de l’humain, tant pour la maîtrise d’une objectivation de la nature tournée vers l’avenir que pour le ressourcement dévoilant la Nature toujours présente en nous et hors de nous. Il est vrai que l’auteur a déjà consacré un Chapitre antérieur à « la région homme72 », mais il s’agissait seulement d’une description des modes fonctionnels de cette région, non point encore de leur « émergence » à partir de la Nature et de la mobilité historique de leur dualité73, auxquelles s’attache la présente quatrième partie74. Bref, il s’agissait essentiellement d’a priori fonctionnels, non encore d’a priori proprement génétiques.
20Pour approfondir cette complémentarité et cette double fidélité des œuvres de l’homme, articulant « l’anthropologie philosophique75 » prise en son historicité à l’ontologie de la nature, M. Dufrenne engage une lecture dialoguée avec la thématique de l’image motrice humaine également présente chez G. Simondon76, pour lequel l’alternance de clôture et de fermeture des systèmes, ainsi individués dans un milieu lui-même instable, amène leur autodépassement par « trans-duction ». Il y a là un modèle pour penser les émergences des a priori dits « humains » ou « culturels » à partir de leurs origines dans les systèmes naturels qui voient leur cohérence compromise par des tensions mettant à l’épreuve leur capacité de régulation et d’autotransformation. Le caractère paradoxal de la thèse de M. Dufrenne, faisant sa difficulté ainsi que son affinité avec celle de G. Simondon, est qu’aussi bien l’institution des systèmes de règles que l’instauration des œuvres d’art procède d’a priori naturels. D’une part, « la loi, le langage, l’outil77 » reposent sur une puissance de négativité naturelle permettant la mise à distance de la nature objective : nature interdite par la loi, nature signifiée par le langage, nature élaborée par l’outil. Mais cette négativité est proprement dialectique, c’est celle d’une Nature qui se nie elle-même dans des produits qui se séparent d’elle tout en s’affirmant encore dans leur processus de production. Cela signifie que l’a priori de la négativité – négation de soi de la nature et négation de cette négation en une positivité supérieure – est déjà à l’œuvre dans la Nature qui s’humanise dans les œuvres de la culture : « Ne pouvons-nous pas, se demande M. Dufrenne en un autre ouvrage, être à la fois poètes de l’origine et artisans de l’histoire, assumant ce statut ambigu d’un être qui appartient à la Nature et que la Nature veut séparé78 ? »
21Cette interprétation audacieuse motive une nouvelle rencontre positive avec Hegel, et une nette divergence cette fois avec G. Simondon chez qui le déphasage d’autotransformation des systèmes tant naturels que culturels n’implique pas l’« intervention de la négativité comme moteur du progrès79 ». Si le nom de Hegel est mentionné lorsqu’il s’agit de poser que, pour penser l’émergence de la représentation, « tout dépassement met en jeu une négativité80 », le texte non cité de la Phénoménologie de l’esprit qui correspond à coup sûr au développement qui suit est celui dans lequel Hegel montre que « le travail, en revanche est un désir réfréné, un disparaître arrêté, ou (encore : ) il forme ou cultive81 ». Les expressions de M. Dufrenne sont proches de celles dont use le philosophe allemand. De la loi : « elle réprime le besoin et du même coup éveille le désir82 ». Du langage : « par lui, la pensée ne maîtrise l’objet qu’en le maintenant à distance, en se tenant elle-même dans l’irréel ou dans l’idéal83 ». Hegel écrivait, en montrant que le travail implique un langage exprimant la forme conceptuelle de l’objet : « la relation négative à l’objet devient la forme de celui-ci84… » Du travail enfin : « avec lui, l’homme encore se tient à distance de l’objet : il agit par procuration, et ses pouvoirs, à s’extérioriser, se trouvent multipliés85 ». Et Hegel : « la singularité ou le pur être-pour-soi de la conscience (qui), maintenant, dans le travail, en sortant d’elle-même, entre dans l’élément de la permanence86 ». Mais, plus radicalement encore que Hegel maintenant la négativité singulière de l’esprit dans son face à face avec une Nature qu’il n’est pas, M. Dufrenne assigne l’a priori du négatif à cette Nature elle-même qui, nous l’avons dit, se nie comme esprit. Nous le savons : notre philosophe est ici plus proche de Spinoza et de Schelling que de Hegel dans sa pensée du « Fond » (Grund) ontologique de la Nature, même s’il dialectise le processus instaurateur de ce Fond : « la négativité que l’homme assume se prépare dans cette positivité du réel où l’homme est d’abord immergé87 ». C’est ce qui lui permet d’ajointer en quelque sorte l’a priori esthétique à l’a priori culturel en des références parallèles au sein du processus de la Nature.
22D’abord, l’opposition de la Nature à elle-même dans la distance engendrant la relation sujet-objet rend possible a priori la représentation et « l’accès à la représentation, c’est l’avènement de la culture88 ». Mais si la Nature se forme ici en nature objectivée, s’enfermant provisoirement dans des systèmes de lois, de signes et d’outils, c’est encore elle qui s’ouvre aussi, cette fois en contexte culturel, au moyen de l’art et de la pensée esthétique : « apparaît la pensée esthétique (qui n’est pas une phase) mais un rappel permanent de l’unité rompue et une recherche de l’unité future89 ». Car l’ouverture des systèmes et l’unité retrouvée avec la Nature comme fond inépuisable d’énergie ne sont pas, comme l’a montré G. Simondon, des phases d’ouverture qui succèderaient aux phases de fonctionnement clôturé des systèmes culturels, mais des genèses simultanées de formes, les unes tendant à la clôture, les autres tendant dans le même temps à l’ouverture régulatrice90. C’est précisément leur simultanéité et leur interaction, ce qu’elles peuvent s’apporter l’une à l’autre, qui confirme le bon état de fonctionnement d’une culture, et à travers lui, de l’homme qui y vit91. Pour M. Dufrenne cela signifie que l’homme total doit être respecté dans sa constante bi-dimensionnalité92. Car, dans les systèmes de la dimension objectivante de la nature, où le naturé risque sans cesse de faire oublier le naturant, « en même temps que le désir, l’imagination est réprimée, et aussi cette mémoire de l’imaginaire qui n’est pas au service de l’entendement, et peut-être encore cette fonction de la sensibilité par laquelle le réel retentit en nous93 ».
23Rien n’atteste mieux cette présence permanente à soi du Fond de la Nature en l’homme que l’expérience du sentiment qui dépasse celle de la présence sensible et de la représentation réfléchie94. Certes, le sentiment de la Nature, cet a priori implicite qu’explicite et dévoile l’œuvre d’art, n’est pas un retour à l’on ne sait quelle naïveté utopique ou à l’expérience régressive d’une mystique naturaliste : « le sujet que le sentiment ouvre à l’objet n’est pas un sujet nu ; sa culture l’habille, parfois jusqu’à le ligoter95 », et l’on sait que du peintre naïf, « on peut dire que c’est encore avec la culture qu’il se défend d’être cultivé96 ». Mais nous l’avons déjà dit, il s’agit de simultanéité et de reprises intra-culturelles, d’interactions nécessaires entre les deux dimensions, les unes tournées vers les formes naturées, les autres vers le Fond naturant. Car « il s’agit toujours, écrit M. Dufrenne dans les dernières lignes de l’ouvrage, pour l’individu comme pour le groupe, de retrouver le naturant sous le naturé, c’est-à-dire sous ce que le système social dénature97 ». Les implications éthiques et politiques de cette conception libératrice de pensée et de pratiques « utopiques » avaient été brièvement indiquées dans l’« Avant-propos » de l’ouvrage : « c’est qu’une réflexion sur l’a priori, et surtout quand elle s’efforce de remonter vers sa source, peut apporter quelque appui aux options éthico-politiques pour lesquelles j’ai plaidé ailleurs : un pari sur l’homme et sur la pratique utopique par laquelle l’homme tente de se vouloir et de se libérer98 ».
Notes de bas de page
1 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. I, op. cit., p. 8.
2 Ibid., p. 9.
3 Ibid., p. 197.
4 Il s’agit essentiellement des pages 259 à 266.
5 Ibid., p. 264.
6 Ibid., p 288.
7 Une œuvre totalement « non figurative » ou « abstraite » ne dispose d’aucune signification iconique, elle n’est pas image de quelque chose ou de quelqu’un visé à travers elle. Elle n’en possède pas moins significations et valeurs plastiques, corrélats de conscience intentionnelle. Nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage Peinture et philosophie, Rennes, PUR, 2011, p. 41-46, où nous exposons et discutons la thèse de M. Dufrenne.
8 Nous ne reviendrons pas sur l’analyse du quatrième auteur étudié, Waldemar Conrad, L’objet esthétique, 1908, qui ne semble pas rompre avec la thèse de l’idéalité transcendante de l’objet esthétique, comme « objet idéal » (p. 280).
9 Nous noterons la récente et précieuse publication de R. Ingarden, Esthétique et ontologie de l’œuvre d’art. Choix de textes (1937-1969), présentation, traduction et notes de Patricia Limido, Paris, Vrin, coll. « Essais d’art et de philosophie », 2011.
10 Ibid., p. 107.
11 Ibid., p. 113.
12 Ibid., p. 273.
13 Ibid., p. 274-77. Il s’agit de Boris de Schlœzer (1881-1969), Introduction à Jean-Sébastien Bach, 1947 (rééd. Rennes, PUR, 2009).
14 Ibid., p. 275.
15 Ibid., p. 276.
16 Jacques Taminiaux, « Notes sur une phénoménologie de l’expérience esthétique », in Revue philosophique de Louvain, 1957, vol. 55, n° 45, p. 93-110.
17 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. I, op. cit., p. 287.
18 Ibid.
19 Ibid., t. II, p. 421-480 : chap. 1 : « La présence », chap. 2 : « Représentation et imagination », chap. 3 : « Réflexion et sentiment dans la perception en général ». Cette tripartition structure également l’étude de Eunice Pinho Estudo, « A Estética de M. Dufrenne ou a procura da origem », in Revista filosofica de Coimbra, n° 6, 1991, qui repère également « une étape de description, conditionnée par une analyse transcendantale, exigeant à terme une élucidation métaphysique » (p. 361).
20 Ibid., p. 439.
21 Mikel Dufrenne, Le Poétique, op. cit., p. 155.
22 Mikel Dufrenne, t. II, op. cit., p. 475.
23 G. W. F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, traduit de l’allemand par Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 2006, p. 297-298.
24 Mikel Dufrenne, t. I, op. cit., p. 296.
25 Ibid.
26 Ibid.
27 Ibid., t. II, p. 482.
28 Ibid., p. 487.
29 Ibid., p. 503.
30 Ibid., p. 489.
31 Cf. l’article « Peindre toujours », in Revue d’esthétique, 1976, repris dans Esthétique et philosophie, t. II, op. cit., p. 203-222.
32 Mikel Dufrenne, t. II, op. cit., p. 489.
33 Ibid., note.
34 Cf. Mikel Dufrenne : « il y a même de l’amour, et nous y reviendrons, dans l’attitude esthétique » (ibid., p. 503).
35 Ibid., t. II, p. 490.
36 Ibid., p. 491.
37 Ibid., t. II, p. 665-677.
38 Ibid., p. 667.
39 Lorsque nous parlons ici de l’être, il ne s’agit évidemment pas de l’ens generale de la scolastique, abstraction vide constamment critiquée par Spinoza, mais de l’activité d’« être » (esse) comme autoactivité infinie de la substance.
40 Cf. aussi l’article « L’expérience esthétique de la Nature », in Revue internationale de philosophie, XXXI, 1, Bruxelles, 1955, et reproduit dans Esthétique et philosophie, t. I., op. cit.
41 Ibid., p. 674.
42 Ibid., p. 675.
43 Ibid.
44 Mikel Dufrenne, Le Poétique, livre III : « Le poétique dans la nature », Paris, PUF, 1963, p. 139-194. Dino Formaggio note lucidement que « c’est précisément dans Le Poétique que le thème de la Nature vient au premier plan » (« Mikel Dufrenne, la Nature et le sens du poétique », in Pourquoi l’esthétique ? Hommage à Mikel Dufrenne, Revue d’Esthétique, Paris, J.-M. Place 1992, p. 186).
45 Mikel Dufrenne, Art et politique, Paris, UGE, 1974, p. 188, note.
46 Ibid., p. 146, et « si pour penser le fond comme Nature naturante il nous faut un patronage, c’est à Schelling que nous pourrions le demander (ibid., p. 149).
47 Ibid., p. 147.
48 Ibid., chap. iii : « Le poétique comme catégorie esthétique », p. 182.
49 Ibid., p. 193.
50 Ibid., livre II, chap. ii : « L’imagination », p. 126.
51 Ibid., p. 128.
52 A. W. Schlegel, Leçons sur l’art et la littérature, Berlin, 1801-1802, traduit in Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, L’Absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1978, p. 349. Sur la catégorie du « poétique » dans le romantisme allemand, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage La philosophie romantique allemande, Paris, Vrin, 2011, chap. ii : « L’esthétique romantique allemande comme poétique », p. 105-160.
53 Cf. ibid., p. 129-131.
54 Ibid., p. 130.
55 Sur cette distinction fondamentale entre les deux sortes d’a priori, cf. notamment Edmund Husserl, Recherches logiques, t. II, et Idées directrices pour une phénoménologie, § 8-10, traduit de l’allemand par Paul Ricœur, 1950, Gallimard, coll. « Tel », p. 33-43.
56 Mikel Dufrenne, La notion d’a priori, op. cit., p. 93.
57 Ibid., p. 99.
58 Ibid.
59 Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, « Les a priori affectifs », op. cit., p. 544.
60 Ibid., p. 556.
61 Mikel Dufrenne cite d’ailleurs la dernière phrase dans son livre, ibid., II, p. 485. Il s’agit de Vincent Van Gogh, Lettre à son frère Théo sur Le café de nuit (1888). Nous avons commenté cet exemple dans notre ouvrage, Peinture et philosophie, Rennes, PUR, 2011, p. 101-103.
62 C. G. Carus (1789-1869), Neuf lettres sur la peinture de paysage, in De la peinture de paysage dans l’Allemagne romantique, traduit de l’allemand par E. Dickenherr, présentation M. Brion, Paris, Klincksieck, 1983, rééd. 1992. Sur le rapprochement entre Carus et Goethe, naturalisme et spinozisme, nous nous permettons de renvoyer à nouveau à notre ouvrage, La philosophie romantique allemande, op. cit., chap. ii. : « L’esthétique romantique allemande comme poétique », « La peinture », p. 146-153.
63 Ibid., p. 131.
64 Mikel Dufrenne, L’inventaire des a priori, op. cit., p. 270.
65 Mikel Dufrenne, Pour l’homme, op. cit., p. 172.
66 Ibid., « Avant-propos », p. 13, souligné par nous.
67 Ibid.
68 Ibid., p. 271, note 2.
69 Ibid., p. 272.
70 Ibid., p. 272.
71 Ibid., p. 273.
72 Ibid., troisième partie : « L’inventaire a parte objecti », chap. iv : « La région homme », p. 188-220.
73 Même si Mikel Dufrenne y note, mais sans plus de développement, que « l’historique, en effet, c’est d’abord l’originaire, un originaire qui réfère à la Nature naturante… Ce thème, ajoute-t-il, parcourt tout ce livre » (ibid., p. 215-216).
74 Dont le titre est précisément « Émergences », p. 221-316. Il est vrai que l’auteur y esquissait aussi la dualité entre l’objet d’usage fabriqué pour son utilité et l’objet esthétique qui s’ordonne à la valeur de la beauté (p. 205-206), mais sans les inscrire encore dans le processus de leur genèse naturelle et de leurs oppositions historiques, voire éthiques.
75 Ibid., p. 277.
76 Voir en particulier la remarque en note 2, p. 270-271. Voir aussi sur les concepts simondoniens de déphasage et de dédoublement de phases, les p. 282-284.
77 Ibid., p. 277.
78 Mikel Dufrenne, Pour l’homme, op. cit., p. 150, note.
79 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1955, p. 159, cité par Mikel Dufrenne, ibid., p. 282, note 1.
80 Mikel Dufrenne, ibid., p. 276.
81 G. W. F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, IV : La vérité de la certitude de soi-même, op. cit., p. 209-213.
82 Mikel Dufrenne, L’inventaire des a priori, op. cit., p. 277.
83 Ibid., p. 279.
84 G. W. F. Hegel, op. cit., p. 209. Rappelons l’identité étymologique de la formation et de la culture dans l’allemand Bildung.
85 Mikel Dufrenne, op. cit., p. 280.
86 G. W. F. Hegel, op. cit., p. 209.
87 Mikel Dufrenne, op. cit., p. 281.
88 Ibid., p. 282.
89 Ibid., p. 283.
90 Gilbert Simondon, op. cit., p. 161, cité par Mikel Dufrenne, ibid., p. 283, note 1 : « les étapes successives des différentes genèses sont simultanées au sein de la culture » et il existe des « interactions » entre ces phases simultanées, par exemple entre science et art, ou encore technique et religion. Cette simultanéité des deux dimensions est déjà vraie dans les systèmes naturels vivants.
91 Il y a chez Henri Bergson une opposition et une complémentarité qui peuvent paraître assez semblables dans l’opposition du clos et de l’ouvert en morale, en religion, etc., vis-à-vis de l’évolution créatrice de la Nature. Mais Bergson n’hésite pas à conférer à l’expérience mystique de l’ouverture à la durée créatrice de l’Être, une valeur de vérité. Chez Mikel Dufrenne, il s’agit seulement d’une Idée régulatrice visée par le philosophe sur le mode d’une hypothèse subjectivement nécessaire, d’un « tout se passe comme si », formule à nouveau kantienne.
92 Herbert Marcuse a montré à quelles aliénations mène, sous la pression d’exigences sociales déterminées, la réduction du sens et de la vérité aux seules dimensions de l’opératoire et de l’adéquation objective dans son Homme unidimensionnel, 1964, traduction et édition françaises, Paris, Le Seuil, 1968 : « de ce fait, les valeurs étrangères aux exigences sociales n’ont peut-être pas d’autre moyen de se transmettre qu’à travers la fiction. Dans la dimension esthétique, il y a encore la liberté d’expression qui permet à l’écrivain et à l’artiste d’appeler les hommes et les choses par leur nom – de nommer ce qui, sous une autre forme, serait innommable », p. 271. Mikel Dufrenne rencontre à plusieurs reprises les analyses de Herbet Marcuse dans son livre Art et politique.
93 Mikel Dufrenne, L’inventaire des a priori, op. cit., p. 285.
94 La tripartition « présence, représentation, sentiment », dont nous avions vu qu’elle sous-tendait la Phénoménologie de l’expérience esthétique, se retrouve ici au terme de l’ouvrage sur l’inventaire des a priori, quatrième partie : « Émergences », chap. 2,3 et 4.
95 Ibid., p. 307.
96 Ibid.
97 Ibid., p. 315-316.
98 Ibid., « Avant-propos », p. 13.
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