Chapitre I. Les figures de gangsters : archétypes, caractères, génies ?
p. 13-41
Texte intégral
1Le projet de travailler sur les films de gangsters suppose une identification relativement claire de son objet. À quoi reconnaît-on un film de gangsters et plus encore, qu’est-ce qui rend le gangster identifiable ? La question se pose, pour deux raisons : d’abord, le gangster apparaît immédiatement comme un caractère identifiable, au sens que revêt cette expression pour désigner le fait « d’être un personnage », d’avoir une forte présence, un caractère affirmé, bref, d’être quelqu’un. Cet aspect introduit d’emblée l’un des éléments constitutifs de la figure du gangster : son aspiration, voire sa revendication, parfois pleinement réalisée ou non, « d’être quelqu’un ». Or, pour que naisse une revendication qui peut paraître aussi paradoxale, – car après tout, n’est-on pas nécessairement quelqu’un, par le simple fait de son individuation ? –, il faut que cette identité, il faut que l’existence elle-même fasse l’objet d’une négation ou d’un écrasement qui doit être élucidé.
2La seconde raison a trait au véritable jeu de masques auquel se livrent les gangsters, à la fois dans leur situation d’être traqués par la police et d’échapper à leurs poursuivants, et à travers la tentation de l’imposture qui caractérise leur rapport à l’honnêteté et plus largement, à la sphère de la légalité, qu’elle soit économique, juridique ou politique. Pour le dire autrement, bon nombre de gangsters agissent sous une couverture qui doit permettre de rendre difficile voire impossible leur différenciation d’avec les autres citoyens. Si de nombreux films de gangsters ne font pas mystère de l’imposture et mettent le spectateur dans la confidence, il y en a aussi qui jouent sur cette couverture pour tromper le spectateur qui n’en mène pas plus large que les autres personnages du film, dépossédé de l’éventuel privilège de la caméra omnisciente.
3Peut-on élaborer une figure unifiée du gangster au cinéma ? Existe-t-il, comme le suggèrent nombre de critiques cinéphiles, un « archétype » du gangster ? Et seconde question distincte à prendre en compte, peut-on également évoquer un « archétype du film de gangster » ? L’enjeu d’un tel questionnement n’est pas purement interne aux films de gangsters ; il touche à un enjeu esthétique et philosophique, qui est celui de la question du genre et de la généralisation possible dans un domaine où règnent les exceptions, les œuvres caractérisées par leur unicité et leur appréhension à travers la singularité de l’expérience esthétique. On peut dessiner deux réponses à ce problème, qui sont toutes deux décevantes pour des raisons différentes.
4La première réponse consiste à généraliser à partir de critères communs à un certain échantillon de films pour dégager un genre « film de gangsters », un archétype du film et derrière lui, un archétype de la figure cinématographique du gangster. Que sont alors les multiples films dudit genre par rapport au genre lui-même ? Les diverses occurrences ou instanciations d’un même concept ? Les nombreux token d’un même type ? Ou des objets ayant un air de famille ? Nous aurions besoin d’une liste claire des propriétés qui peuvent légitimer l’appartenance d’une œuvre particulière au genre : un personnage principal de gangster (un seul ? Plusieurs ? Combien ?) ; un décor urbain ; des accessoires précis comme les armes ; des scènes d’action et de combat, notamment avec les forces policières ; et quoi d’autre ? Plus nous tentons de cerner les critères nous autorisant à déterminer si un film relève de la catégorie « film de gangsters », plus nous voyons s’allonger la liste de nos attentes subjectives envers ces films.
5Est-ce qu’un film qui mettrait en scène un gangster repenti ayant totalement changé de vie et se consacrant à autre chose serait encore un film de gangster, du fait de la présence d’un tel personnage à l’écran ? Est-ce qu’un film de gangsters sans combats et scènes de violence trahirait nos attentes en la matière ? Peut-on imaginer un gangster désarmé ? Ces questions nous indiquent que nous ne disposons pas d’une telle catégorie déterminée du film de gangster, mais que nous formulons néanmoins des attentes, pas toujours conscientes ni claires, à l’égard de ce qui se laisserait décrire comme un film de gangsters. Ce premier chapitre vise à essayer de formuler ces attentes et de voir comment nous nous y prenons pour identifier les gangsters au cinéma et peut-être même ce que l’on serait tenté d’appeler les films de gangsters.
6Il y a une seconde réponse à la question de l’unité du genre cinématographique. Elle consiste à rejeter l’homogénéisation que la quête d’unité projette sur la diversité des films, gommant leurs spécificités et leur unicité/unité en tant qu’œuvres. Il faudrait alors s’en tenir à la multiplicité des œuvres et des expériences esthétiques, sans chercher à enfermer les films dans des catégories générales trahissant leurs particularités, sans chercher non plus à dépasser le caractère idiosyncrasique de l’expérience esthétique vécue en propre. Cette critique impressionniste fait fond d’un côté sur la nature subjective de l’expérience esthétique vécue, qui, si elle est partageable, n’en reste pas moins le critère personnel ultime d’appréciation de l’œuvre, et d’un autre côté, elle repose sur l’originalité de l’œuvre qui vaut par ses spécificités et non par ce qu’elle a de commun avec d’autres œuvres avec lesquelles elle est incommensurable.
7Entre ces deux positions, l’homogénéisation de la diversité des gangsters et des films au sein d’un genre, qui devient limitative de ce qui est identifiable comme figure authentique de gangsters et film de gangsters, et la multiplicité irréductible des œuvres particulières, qui résiste à tout effort de conceptualisation, de jugement comparatif et de catégorisation, on peut s’essayer à tenter une troisième voie qui articule la prise en compte de la singularité des œuvres avec leur inscription dans des catégories qui en émanent, et qui sont inachevées, sans cesse travaillées par la relation dialectique entre les œuvres et leur catégorisation. On pourrait alors parler pour ces films d’un « air de famille », de certaines ressemblances, de points communs qui se déploient à différents niveaux : esthétique, conceptuel, narratif… Ces airs de famille permettent des rapprochements et des confrontations fécondes sur des objets et des idées communs traités de manière spécifique par les œuvres.
Négation et affirmation de soi
8La question de l’identité est au cœur des films de gangsters, où elle s’inscrit dans une problématique d’affirmation de soi. Le film de gangster pose de façon aiguë une question existentielle. Celle-ci ne revient pas, comme pour Descartes, à interroger le savoir de sa propre existence (est-ce que j’existe ?), à douter de la réalité de son être dans le monde, lui-même suspect de n’être qu’illusoire. À travers cette question métaphysique, Descartes remettait en cause la totalité de ses connaissances, y compris ce savoir minimal de soi, le simple fait d’être conscient d’exister, et il suspendait son jugement en quête d’une certitude absolue. Et précisément, c’était l’activité même de son esprit en proie au doute méthodique qui lui fournissait la preuve existentielle : je pense, je suis, j’existe (en tant qu’esprit, du moins, ou « substance pensante »). Le gangster n’a pas de doute sur la réalité de son existence en tant que telle : le soupçon pèse sur la valeur de cette existence plutôt que sur sa réalité. En effet, on pourrait croire que la posture d’affirmation de soi est la conséquence d’un manque d’existence, d’un doute sur la réalité de son être, doute qui devrait être soulevé par un geste d’affirmation. Ce geste surmonterait l’incertitude et poserait une certitude existentielle indubitable.
9Mais ce n’est pas à ce niveau métaphysique que se joue la question existentielle dans ces films. Une seconde piste serait d’interpréter cette question comme un examen du contenu social, psychologique voire moral de sa propre identité : Qui suis-je ? C’est la question des confessions ou du régime autobiographique, celle à laquelle tentent de répondre Saint-Augustin ou Jean-Jacques Rousseau. Cependant, cette question est elle-même suspecte : en effet, s’interroger sur sa propre identité, n’est-ce pas suggérer que cette dernière est déjà constituée, voire figée et objectivée ? La conjugaison au présent est trompeuse : lorsque l’on se demande qui on est, on se demande plutôt qui on a été, et l’on inspecte les faits empiriques sur notre moi passé. Seul le passé offre cette distance qui permet au sujet de se considérer comme un objet et de tenir ses propres décisions, actes, délibérations, pour des faits empiriques. Il les rend en quelque sorte indépendants du sujet et de sa volonté, puisque le sujet n’a effectivement plus de prise sur ses attitudes mentales passées. Il n’a de prise que sur ses attitudes présentes et futures.
10La figure cinématographique du gangster représente une sorte de détournement vis-à-vis de cette question identitaire, car justement, ce n’est pas le passé qui compte, mais l’avenir. Le projet du gangster est bien de ne pas s’en tenir à son identité passée, de ne pas être dans un rapport théorique d’observation de soi, d’introspection et d’enquête sur les faits empiriques, psychologiques, qui le déterminent. Au contraire, son but est de s’en libérer, de ne pas en rester prisonnier. En ce sens, le gangster assume un rapport à soi pratique très proche de la philosophie existentialiste. Il est à lui-même son projet, il se constitue par ses actes et ses attitudes mentales, il est responsable de sa propre existence. Le cadre conceptuel de la philosophie offre un certain nombre d’éléments pertinents pour comprendre ces films, dont les personnages principaux se débattent avec la facticité qui les détermine et s’identifient à celui qu’ils veulent être.
11Ainsi, la question existentielle à l’œuvre dans ces films touche à la possibilité et aux modalités pratiques de cette existence : Comment exister ? Si l’existence n’est pas seulement un fait empirique, alors la question a bien une pertinence et elle indique à la fois qu’il y a plusieurs manières de vivre, et que ces manières ne se valent pas, qu’il y a des gens qui parviennent à exister authentiquement, à véritablement exister et d’autres, non. Le versant négatif de cette question correspond à une critique d’un mode de vie honnête mais laborieux, celui des gagne-petit inscrits dans le système, qui vivent une vie moyenne. Le film de Martin Scorsese, Goodfellas (Les Affranchis), entre plus en détail sur ce rapport du gangster à la moyenne et son affirmation en dehors du système, c’est-à-dire en dehors des normes qu’il implique. Le film, sorti en 1990, est adapté du roman de Nicholas Pileggi, The Wiseguy, lui-même inspiré de la vie du véritable gangster Henry Hill, incarné par Ray Liotta (fig. 1).
12Dans cet opus, la vie de gangster est d’abord présentée comme une vie rêvée, comme un projet d’avenir séduisant et attractif. Le film démarre avec le personnage de Henry Hill enfant, contemplant avec admiration et envie les gangsters de son quartier de Brooklyn. Sur le mode du récit autobiographique, la voix off permet au personnage d’être également le narrateur du film (narration à deux voix, croisée avec celle de son épouse Karen), récit dont l’incipit est sans équivoque : « Autant que je me souvienne, j’ai toujours rêvé d’être gangster. » Le récit se centre ensuite logiquement sur la façon dont ce rêve d’enfant va devenir réalité puis virer au cauchemar à cause des mauvaises décisions prises par le personnage. L’intérêt de ce film pour notre réflexion est qu’il nous présente la vie de gangster comme une alternative sur fond d’une distinction conceptuelle capitale entre les « affranchis » et les « ploucs ». En effet, la hantise de Henry Hill est de devenir un plouc, c’est-à-dire un Américain moyen, comme tout le monde. Le plouc (schnook) vit une vie laborieuse mais aussi relativement confortable, centrée sur la consommation de biens accessibles au grand nombre et de loisirs communs. Il mène, au fond, une vie tranquille et banale, en s’appuyant sur le système qui lui garantit un certain nombre de satisfactions matérielles.
Fig. 1. – Le jeune Henry Hill admirant les « affranchis » de sa fenêtre, rêvant de devenir comme eux, Les Affranchis, 3’.

13Bien plus que le luxe et l’enrichissement, c’est le rejet de la moyenne qui motive Henry Hill à embrasser la voie mafieuse. Il ne veut pas être comme tout le monde et la séduction du monde mafieux repose alors sur son caractère marginal, différencié, sur la conscience de se démarquer de la moyenne par une aisance et un style de vie différent. Cette différence revêt parfois une dimension mystérieuse voire magique dans le film : c’est toute la différence entre des pâtes sauce marinara et « des nouilles au ketchup » :
« En arrivant ici j’ai commandé des spaghetti sauce marinara, et j’ai eu des nouilles au ketchup. Je fais partie du troupeau. Je vais finir ma vie dans la peau d’un plouc » (Henry Hill, 1 : 04).
14Cet exemple culinaire n’est pas si trivial : il montre que le monde du gang inclut une certaine idée de raffinement, voire de bon goût, qui tranche avec le vulgaire. Ce thème de la finesse se retrouve encore dans l’univers culinaire très présent dans le film : c’est la finesse des tranches d’ail coupées au rasoir dans la prison, celle des étoffes précieuses dans les maisons, celle aussi du comportement pudique. À plusieurs reprises, les comportements m’as-tu-vu sont pointés du doigt dans le film, où ils représentent une certaine bêtise (celle du mauvais goût tapageur, du clinquant et de l’indiscrétion).
15Les gangsters sont des figures séduisantes qui se sont affranchies du système, c’est-à-dire de la moyenne. Le comportement moyen n’est pourtant, lui aussi, qu’un idéal résultant du calcul de la moyenne des comportements. Il n’a pas d’existence réelle : on est plus ou moins conforme ou en écart avec la norme. Mais la tendance à reproduire de manière uniforme les mêmes comportements renforce cette moyenne et neutralise les écarts. C’est la loi des grands nombres qui explique que les rares excès par rapport à la moyenne aient un impact négligeable et se fondent dans la norme. Le fait de devenir gangster représente alors pour Henry l’appartenance à une petite communauté marginale, qui coexiste en quelque sorte avec le système et qui peut vivre en toute impunité à condition de ne pas trop l’impacter. Et il se trouve qu’une large part des gangsters du film mettent l’accent sur la nécessité de maintenir cette coexistence pacifique, de ne pas se faire remarquer, et cela, en suivant des règles. Le drame d’Henry sera de ne pas respecter ces règles et de se faire immanquablement repérer par la police et coincé. En échange d’un programme de protection de témoins, par lequel il enfreindra au final la règle la plus importante de toutes, celle de la loyauté, il trahira ses acolytes et se retrouvera alors dans l’anonymat, dans une zone pavillonnaire. De son propre aveu, il sera alors passé du côté des ploucs : « Je suis un individu ordinaire. Je vais devoir vivre le reste de ma vie comme un plouc. » (« I am an average nobody. Get to live the rest of my life like a schnook. »)
16Les affranchis se définissent donc par opposition, émancipation, mise à distance des normes qui régulent le système social. Ils s’affirment sur fond de négation de ce système : East Brooklyn, 1955, Henry Hill :
« Pour moi, être gangster, c’était mieux que d’être président des Etats-Unis. Même avant d’entrer au dépôt des taxis pour un petit boulot, je savais que je voulais être comme eux. J’ai compris que ma place était là. Ça voulait dire être quelqu’un dans un quartier où les gens n’étaient rien. Ils n’étaient pas comme les autres. Ils faisaient ce qu’ils voulaient. Ils se garaient devant les bouches d’incendie sans avoir de P. V. Ils jouaient aux cartes toute la nuit, personne n’appelait les flics. »
17Le film de Scorsese engage une profonde réflexion sur les normes : les gangsters refusent les normes communes et en même temps, leur écart ne doit pas être trop important. Pourquoi un tel souci de ne pas dépasser un certain écart par rapport à la norme ? Une première hypothèse est le souci de discrétion, qui conditionne l’acceptation par le système de cette forme déviante. Le système peut donc tolérer certains écarts à condition qu’ils ne soient pas trop excessifs. Une seconde hypothèse renvoie au souci de reconstruire une forme de normalité, avec une sociabilité alternative, une micro-société marginale. Le personnage de Karen raconte son introduction dans le milieu suite à son mariage avec Henry Hill, et l’effort collectif pour recréer des normes communes qui donnent l’illusion d’être normal. Cet effort suppose de vivre dans l’entre-soi, de forger un second micro-système clos sur lui-même, d’où toute intrusion qui rappellerait l’écart est bannie.
18Peut-être qu’un écart excessif rendrait toute forme de sociabilité impossible, et ne pourrait être le fait que d’un être isolé, un ange ou une bête ? La normalité alternative s’enracine donc dans la communauté des gangsters, qui se définit elle-même comme un ensemble de familles, faisant fond sur ce qui apparaît comme la forme sociale la plus naturelle, première et donc, « normale ». Dès lors, le film fait une large place à la famille, aux épouses, qui passent ensemble leur temps, aux rencontres familiales qui rythment le quotidien. Par exemple, il est rare qu’un personnage féminin ait autant de place dans un film de gangster que Karen, la femme d’Henry. Même si elle ne doit sa présence à l’écran qu’à son mariage, elle se positionne tout de même comme personnage central de la vie ordinaire du gang et actrice à part entière du crime organisé. Elle est parfaitement au courant des activités de son époux, et elle lui apporte occasionnellement son soutien. Sa complicité est donc totale (fig. 2).
19Cette volonté de ne pas se conformer à la moyenne n’est pas sans rappeler l’homme du possible d’Emerson, ce grand philosophe américain, ou l’esprit libre nietzschéen (Freier Geist) qu’il a d’ailleurs inspiré. L’un des éléments de la séduction que suscitent les gangsters à la fois sur le personnage de Henry et sur nous, spectateurs, est bien leur proximité avec ces esprits libres que décrivait le philosophe allemand. En quoi consiste cette figure intellectuelle et morale de l’homme du possible ? Elle porte sur un enjeu crucial qui est celui de la constitution morale du sujet. Cet enjeu a été développé au xixe et au xxe siècle de manière particulièrement saillante par des penseurs comme Emerson, Nietzsche ou Robert Musil, qui sont liés par une sorte de filiation intellectuelle. Qui donc est l’homme sans qualités du roman éponyme de Musil, si ce n’est un individu qui refuse de se considérer comme prisonnier de son identité passée, sociale, de sa facticité ? Qui est-il, si ce n’est un homme du possible en quête d’une alternative à la moyenne ? Il y a une congruence effective entre les réflexions qui animent le roman de Musil, qui sont une reprise de celles antérieures, de Emerson et de Nietzsche, et celles que déploie dès les années trente le cinéma de gangsters. De quelles préoccupations ces ouvrages et ces films sont-ils le reflet ? Quelle réflexion mènent-ils sur la question de savoir comment exister ?
Fig. 2. – Un après-midi normal parmi les femmes et mères des gangsters, Les Affranchis, 44’03.

L’homme du possible : utopie et normativité
20Qu’est-ce qu’un homme sans qualités ? Il faut dire qu’en choisissant ce titre pour son roman, Musil plongeait d’emblée ses lecteurs dans une certaine perplexité, à la recherche d’un sens qui viendrait éclairer ce curieux objet anthropologique. Ulrich, personnage principal du roman, incarnation fictive de l’homme indéterminé, cristallise autour de lui un certain nombre de réflexions sur ce que c’est que d’être homme, sur les différentes manières de l’être, esquissant une typologie de l’humain. Entre l’idée d’une nature humaine commune, celle d’un tempérament individuel inné et le déploiement de la singularité de chacun, l’homme sans qualités nous invite à penser à nouveaux frais les rapports entre les déterminismes et l’indétermination qui structurent l’être humain.
21Dans un passage où il réfléchit sur la nature de l’utopie, Musil nous fait saisir toute l’importance de cet enjeu moral : l’utopie n’est pas une transformation du monde, sa fonction est de conduire l’individu à se transformer lui-même. Puisqu’il n’y a pas d’autre monde, faire advenir le possible requiert un changement de notre façon de percevoir la réalité qui nous entoure. C’est « l’utopie de soi-même » (die Utopie seiner selbst). Telle est la double découverte qui préside à l’éducation morale du sujet : le changement utopique opère sur le potentiel de l’individu, sa capacité à devenir différent, à réaliser d’autres manières d’être au monde. Le second élément est la reconnaissance que cette véritable conversion explose le cadre des normes morales établies par la société. Elle suppose donc l’invention d’une autre morale ou d’une autre conception de la dimension morale de nos vies.
22Plusieurs éléments sont de nécessaires préliminaires si l’on veut saisir le sens moral de ce que serait un homme sans qualités. Le premier correspond à la critique de l’idéalisme au profit des idéaux et de ce que Musil appelle « le sens du possible ». C’est une notion qui apparaît dès les premiers chapitres du roman. L’homme du possible est celui qui, loin de se définir par ses qualités réelles, est résolument tourné vers les possibilités qu’il pourrait réaliser, vers sa propre transformation en un autre moi possible. Voici un long extrait du chapitre quatre, qui met en place les principaux enjeux de la constitution morale du sujet :
« Mais s’il y a un sens du réel, il doit bien y avoir quelque chose que l’on pourrait appeler le sens du possible.
L’homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose ; et quand on lui dit d’une chose qu’elle est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre. Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être “aussi bien”, et de ne pas accorder plus d’importance à ce qui est qu’à ce qui n’est pas. On voit que les conséquences de cette disposition créatrice peuvent être remarquables ; malheureusement, il n’est pas rare qu’elles fassent apparaître faux ce que les hommes admirent et licite ce qu’ils interdisent, ou indifférents l’un et l’autre… Ces hommes du possible, comme on dit ici, vivent dans une trame plus fine, trame de fumée, d’imaginations, de rêveries et de subjonctifs ; quand on découvre des tendances de ce genre chez un enfant, on s’empresse de les lui faire passer, on lui dit que ces gens sont des rêveurs, des extravagants, des faibles, d’éternels mécontents qui savent tout mieux que les autres.
Quand on veut les louer au contraire, on dit de ces fous qu’ils sont des idéalistes, mais il est clair que l’on ne définit ainsi jamais que leur variété inférieure, ceux qui ne peuvent saisir le réel ou l’évitent piteusement, ceux chez qui, par conséquent, le manque de sens du réel est une véritable déficience. […] Mais un tel homme est chose fort équivoque. Comme ses idées, dans la mesure où elles ne constituent pas simplement d’oiseuses chimères, ne sont que des réalités non encore nées, il faut, naturellement, qu’il ait le sens des réalités ; mais c’est un sens des réalités possibles, lequel atteint beaucoup plus lentement son but que le sens qu’ont la plupart des hommes de leurs possibilités réelles1. »
23La définition du sens du possible comporte plusieurs aspects fondamentaux qui le situent explicitement dans une dimension éthique. Il y a d’abord le rôle central joué par l’imagination morale, qui met en balance les concepts et les normes moraux. La morale établie est un ensemble de prescriptions qui permet d’évaluer les actes passés et présents et de justifier les actions futures. Or, l’imagination, plus libre, ne remplit pas cette fonction normative et elle peut substituer des motifs et des conduites originaux à ceux qui sont convenus. Elle opère une émancipation à l’égard des conventions morales qui ne sont plus tenues pour absolues. Il y a donc l’idée que le pouvoir de l’imagination nous permet finalement de nous soustraire à une sorte de censure pratiquée par les normes morales, intériorisées ou imposées de l’extérieur. Cela signifie qu’il faut être capable d’échapper à sa propre éducation morale, rejoignant par là le freier Geist nietzschéen. L’enjeu éducatif apparaît très bien dans la figure de l’enfant, chez qui l’on tente de tuer dans l’œuf cette capacité à se tenir libre à l’égard des normes de sa société.
24Le sens du possible, loin d’être une faculté de l’enfance, est au contraire le ferment d’une éducation des adultes, une fois ceux-ci formés par les convenances communes. L’éducation des adultes est ce qui permet de ne pas se plier docilement aux règles établies, mais de conserver un pouvoir de mise en question de ces règles. D’où le caractère marginal, voire asocial, des hommes du possible, pointés du doigt comme des « rêveurs », des « extravagants », etc., parce qu’ils constituent une menace pour l’ordre socio-moral. On comprend mieux aussi l’incipit du film de Scorsese : le personnage de Henry Hill se présente d’emblée comme relevant de cette catégorie de rêveurs affranchis des conventions. La voie du gang offre la possibilité de rompre avec ces normes, elle nous montre qu’une vie est possible sans s’y conformer, vie qui ne peut logiquement que recevoir la désapprobation des représentants de l’ordre social et de la moyenne. En même temps, les gens comme Henry sont des hommes du possible au sens où ils gardent un esprit pragmatique, et ne sont donc pas à confondre avec des rêveurs idéalistes. Les idéalistes désignent plutôt une classe inférieure des hommes du possible, et même, si l’on peut dire, des hommes du possible « ratés ». La raison de cet échec est leur manque de sens du réel, l’imagination d’idéaux irréalisables, ou peut-être la frilosité, la crainte de voir ces idéaux se réaliser.
25Ainsi, l’homme du possible a un rapport particulier au réel : il est d’abord très critique à son égard, parce qu’il ne s’en satisfait pas et qu’il donne sa chance au possible en espérant une amélioration. C’est ce qui assimile ce sens à une forme d’anticonformisme. L’insatisfaction envers la réalité prend une tournure critique qui dément la hiérarchie des valeurs en place et offre d’autres façons de voir possibles. Il y a, au principe du sens du possible, quelque chose comme une conviction : même si le changement n’est pas synonyme d’amélioration, sans changement, la réalité n’a aucune chance de s’améliorer. Le sens du possible n’est donc pas une faculté au service du progrès. En revanche, l’aspiration à une vie meilleure motive l’imagination de possibilités qui en permettraient la réalisation. C’est le second aspect du rapport de l’homme du possible avec le réel : le réalisme, au sens précis qui consiste à veiller à ce que les possibilités soient réalisables, qu’on puisse les mettre en pratique dans notre monde ordinaire, autrement dit, à ce que les possibilités soient « réelles ». C’est ce qui fait toute la différence avec l’idéaliste, qui ne prend pas le risque de la réalisation et manque ainsi de sens du réel. L’homme du possible a le sens des réalités parce qu’il projette de réaliser des manières nouvelles d’être homme.
26À partir de ces éléments, il est clair que l’orientation morale qui correspond à la mise en œuvre de ce sens du possible est une orientation de type perfectionniste. L’hypothèse perfectionniste a été développée par le philosophe américain Stanley Cavell à propos du cinéma américain : Cavell a en effet proposé une telle lecture « perfectionniste » des comédies hollywoodiennes de remariage des années trente et quarante, et du mélodrame américain. Il suggère que ces films mettent en œuvre un questionnement éthique, au même titre que des ouvrages de philosophie morale ou des romans, questionnement centré sur une certaine vision morale, articulant perfectibilité, possibilité de changer et sentiment d’accord avec soi-même. L’idéal moral visé par les personnages de ces films tranche avec toute norme de la perfection : il s’agit plutôt d’insister sur notre sentiment d’insatisfaction envers nous-même, et la possibilité de nous transformer, de changer pour devenir meilleur, c’est-à-dire plus conforme à l’image de celui que nous voulons être. Nous retrouvons ici le même topos existentialiste du changement de soi-même, de la possibilité de se projeter différemment dans l’avenir et de choisir de devenir celui que l’on veut être, une personne plus en adéquation avec une certaine image qui représente pour nous « quelqu’un » (au sens « d’être quelqu’un ») ou « quelqu’un de bien ».
27Le perfectionnisme est une dimension morale qui consiste en la recherche du meilleur moi. Il s’appuie sur la capacité à penser par soi-même, à être authentique et à opérer une transformation de soi dans le sens d’un perfectionnement. Cette quête d’un moi meilleur suppose non pas une accumulation de qualités, ni un progrès linéaire qui aboutirait à l’excellence de la personne, mais plutôt une perte, un renoncement au réel au profit du moi possible, ou, comme le dit Sandra Laugier à propos d’Emerson : « L’homme se définit autant par ce qu’il quitte et abandonne que par ce qu’il possède, par ses possibilités que par ses qualités2. » L’homme sans qualités ne serait autre que cet homme du possible qui poursuit la quête du perfectionnisme, c’est-à-dire qui renonce à se laisser emprisonner dans les qualités qu’il possède déjà et abandonne ces qualités pour réaliser un autre moi, c’est-à-dire d’autres possibilités d’être soi.
28C’est une piste qui apparaît aussi dans le roman de Musil sous le nom de « morale du pas suivant », une suggestion éthique introduite à la suite d’une réflexion sur « la morale des cinq faillites ». La morale du pas suivant repose sur l’affirmation que lorsque l’on agit, ce qui compte, ce n’est pas tant ce que l’on a fait que le pas suivant, ce que l’on fera après. Quant à la morale des cinq faillites, c’est une morale cynique, celle des entrepreneurs, qui justifient des actes répréhensibles par leurs résultats, une sorte de conséquentialisme sans scrupule : peu importe que l’on ait fait cinq faillites frauduleuses, du moment que la cinquième apporte la prospérité, cela suffit à justifier les précédentes. Ulrich lui-même se demande s’il faut réduire la morale du pas suivant à cette morale des cinq faillites. Autrement dit, comment comprendre la morale du pas suivant ? Le pas suivant ne signifie pas que le passé ne compte pas, mais que chaque acte doit compter sur le moment, au présent, que je dois agir avec conviction à chaque fois. Il faut être présent à soi-même et confiant en chaque pas du chemin.
29On peut alors se demander si cette variante ne correspond pas davantage à l’univers conceptuel du film de Scorsese : Henry Hill est-il animé par une morale semblable à celle « des cinq faillites » ? Car le résultat est bien un critère très important dans l’univers moral des gangsters, celui qui justifie le choix fait par Henry de trafiquer des stupéfiants en dépit de l’interdiction du chef de gang Paulie. La raison de ce choix est le succès de l’opération et l’enrichissement qui en découle. Quelle est la part, dans les motivations de Henry, entre la conviction de mener une vie d’affranchi, une vie raffinée, distinguée, par opposition aux ploucs, et le vulgaire attrait d’un enrichissement supérieur ? N’est-ce pas justement la perte de cette conviction, de cette adhésion au mode de vie original du gang qui mène Henry à sa perte, lui qui trahit les règles de ce monde à des fins égoïstes et matérielles ? N’est-ce pas, au fond, le plouc qui ressurgit en Henry, alors même qu’il voulait l’éviter ?
30Je voudrais montrer que le cinéma de gangsters entre en résonance avec l’idée d’un homme du possible, telle que Musil ou Emerson l’ont développée, que le gangster correspond à cette figure du brigand moral chère au romancier autrichien, et que les concepts d’homme-caractère, d’homme potentiel et d’esprit libre permettent de mieux comprendre la pensée de ces films. Ils sont des critiques de l’homme-caractère et envisagent une certaine version, très problématique, de l’esprit libre, de « l’affranchi ».
Caractère, sens du possible et perfectionnisme
31Au fond, c’est le sens du possible qui est au cœur de la problématique perfectionniste. Il faut donc déterminer comment articuler ce sens du possible avec l’idée du perfectionnement de la nature humaine. Or, il y a trois manières de comprendre cette articulation :
- le sens du possible est ce qui libère l’individu de la nature humaine. Dans ce cas, le perfectionnisme serait à entendre dans une version large où il s’agirait de développer des « qualités individuelles », indépendantes d’une nature commune. Dans cette version subjectiviste, il s’agit d’expérimenter des manières inédites d’être homme et de défier en quelque sorte la nature humaine en la dépassant, en la laissant se dissoudre dans le vertige de la multiplicité infinie des qualités. Une telle interprétation pose le problème de l’articulation entre les manières d’être humain et la forme de vie humaine : cette forme de vie n’opère-t-elle pas comme une limite qui infléchit nos comportements ? N’y a-t-il pas dans cette conception du possible la réactivation du fantasme de la création continue, de l’originalité absolue et permanente ? C’est le genre de malentendu que l’on peut être amené à tirer de conception comme celle de Foucault, lorsqu’il dit : « Je pense qu’il n’y a qu’un seul débouché pratique à cette idée du soi qui n’est pas donné d’avance […] nous devons faire de nous-mêmes une œuvre d’art3 » ;
- le sens du possible est ce qui accomplit la nature humaine. Si les qualités ne sont pas actualisées, rien n’empêche qu’elles soient virtuellement inscrites dans notre nature humaine. Dans ce cas, il serait libre à chacun de développer telles ou telles qualités inscrites dans notre nature commune et de se perfectionner en le faisant. Elle correspond à une position plus libérale, qui considérerait que le choix des vertus à développer est un choix privé et qu’il dépend donc de chacun de choisir selon ses préférences personnelles ;
- il y a une tension entre le sens du possible et la nature humaine et c’est leur articulation qui motive le perfectionnisme. Dans ce cas, on peut penser d’abord l’antagonisme persistant entre une part de naturalité, qui résiste à l’innovation, et le sens du possible comme promotion d’un changement radical. Cette part de naturalité peut revêtir la forme du caractère. En outre, on peut envisager que les impulsions éthiques proposées par le sens du possible élargissent la nature humaine qui ne serait pas déterminée à l’avance et immuable, la travaillent de l’intérieur en « naturalisant » ce qui était d’abord une possibilité inédite. On peut très bien s’appuyer sur la distinction musilienne entre éthique et morale à ce propos : dans la mesure où l’éthique est créatrice d’une possibilité inédite d’être homme, avec le temps, cette possibilité devient normale et finit par s’intégrer dans le système moral, dans le répertoire des manières humaines connues de vivre. Elle est intégrée à la nature humaine, au sens de nature morale et de seconde nature.
32Comme le remarque Musil, c’est bien le propre d’un esprit borné « d’assigner pour caractère à un homme une tendance à la répétition acquise involontairement, pour rendre ensuite son caractère responsable de ces mêmes répétitions4 ». L’induction qui tend à dégager à partir de l’observation de la répétition des comportements, renforcée par l’habitude, un substrat physiologique ou cérébral, est une spéculation fantaisiste. Le caractère-substrat alimente les théories pseudo-scientifiques dès le xviiie siècle, avec les travaux de Gall ou de Lavater. La phrénologie propose une typologie des caractères, de l’homme sanguin au flegmatique, en passant par l’hypocrite et le brave, et postule une relation psychophysique entre la forme du crâne et le tempérament ainsi défini en catégories. Pour le phrénologue, comme le dira Hegel : « L’être de l’Esprit est un os5. »
Fig. 3. – César Rico, (Edward G. Robinson), Little Caesar, 27’03.

33Ces pseudo-sciences reposent sur une caractérologie fondée sur un déterminisme du tempérament. L’une des formulations les plus connues de la typologie des caractères humains, est celle de René Le Senne, qui fait la synthèse de différents travaux sur les traits du caractère, conçu comme « l’ensemble des dispositions congénitales qui forme le squelette mental d’un homme ». La métaphore n’est pas anodine, qui confirme la critique hégélienne de l’ossification de l’esprit. Les types humains sont classés selon un répertoire de traits communs, de qualités, liées à l’émotion, à l’activité et à la réceptivité à l’égard des représentations, dont la combinaison permet de définir les catégories des individus (sanguin, flegmatique, exubérant, etc.). Le problème, c’est que cette caractérologie imprègne notre conception ordinaire du caractère, qui revient, à nouveau, à l’essentialiser. Il est donc très tentant de voir dans le gangster un « caractère » en ce sens, un type sanguin, colérique, ou autre, auquel la psychologie peut donner des contours nets. L’idée d’un caractère du gangster contribue alors à homogénéiser cette figure (fig. 3, 4 et 5).
34C’est sur ce genre d’éléments que repose l’idée d’un archétype du gangster au cinéma. Un tel archétype aurait été façonné par des figures originelles et fondatrices, notamment Edward G. Robinson dans Little Caesar, James Cagney dans The Public Enemy et Paul Muni dans Scarface. À quoi reconnaît-on le gangster ? À ses traits, à son habit, à ses accessoires. César Rico est d’abord un visage, presque un masque grimaçant de la comedia dell’arte : un visage aux traits rudes, expressif d’une rage de vaincre, d’une nervosité et d’une violence pas vraiment contenues. L’acteur Edward G. Robinson a donné à son personnage ce caractère impulsif, mégalomane voire sadique, qui constitue l’un des paradigmes psychologiques de la figure du gangster au cinéma.
Fig. 4. – Tom Powers, (James Cagney), The Public Enemy, 1931.

Fig. 5. – Tony Camonte alias Scarface, (Paul Muni), Scarface, 43’43.

35Ces personnages des films des années trente ont des traits de caractère extrêmement marqués : ambitieux, orgueilleux, colériques, belliqueux, violents, incapables de garder leur sang-froid, dominateurs, jaloux, possessifs… avec ces « qualités » se dessinent un portrait psychologique de l’âme du gangster, un être d’un type sanguin, prisonnier de son tempérament, et dont le caractère va précisément causer la ruine. Car au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit dans ces premiers films des années trente : la ruine des chefs de gang que sont Rico et Scarface n’est pas directement la conséquence de leurs actes et de leurs choix ; elle est la réponse du destin à leur volonté de s’extirper de leur condition naturelle, à savoir leur origine modeste et leur tempérament. Dans le sillage du déterminisme d’un Zola, un personnage comme Rico est marqué d’une empreinte indélébile par son origine modeste : « le caniveau », qui a forgé son caractère et le prédestine à retourner au caniveau. La tentative de Rico pour s’extraire de sa condition naturelle est donc d’emblée vouée à l’échec.
36Scarface est également victime de son caractère excessif : sa colère et sa soif de possession le conduisent à assassiner l’époux de sa sœur, qui est aussi son ami proche. Car plus encore que l’inceste, c’est le désir de dominer qui explique le comportement de Scarface envers Cesca, la sœur. C’est donc le caractère qui cause chaque fois la perte de ces gangsters qui se consument aux cimes du pouvoir. Et pourtant, on considère que ce sont ces personnages et les acteurs qui les incarnent qui ont « codifié » le type du gangster à l’écran. Ce type désigne une forme de représentation désormais a priori, fixe, définie, du gangster au cinéma, assorti d’un horizon d’attentes que nous projetons. Il fournit le modèle de la vie du gangster, une vie dont le choix est assombri par l’idée de perdition (idée que l’on retrouve explicitement dans le titre du film de gangsters de Sam Mendes, Road to Perdition, 2002). Il y aurait donc un archétype du gangster cinématographique, qui fixe la manière de le représenter et assure à la fois l’homogénéité du genre tout en le condamnant à la répétition et aux stéréotypes.
37Cependant, s’il faut reconnaître une importance constitutive à ces premiers acteurs marquants, force est de constater la variété des figures de gangsters, aux visages, carrures, et psychologies diverses, qui tranchent avec les archétypes évoqués par un auteur comme Jim Smith6. Que l’on compare Robinson à la folie bien plus sombre de Muni, à la réserve de Whitaker, au charisme brutal de Cobb, à la tenue et au pragmatisme de Pacino, etc. Ces grands acteurs ont su incarner à leur manière personnelle des figures de gangsters très diverses, ce qui montre que leur point commun n’est pas d’ordre psychologique, relevant d’une « nature » du gangster, mais est tributaire d’enjeux plus larges, anthropologiques, socio-économiques, politiques et moraux. Ces figures de gangsters sont donc bien plus complexes qu’au premier abord. Les films fondateurs évoqués proposent des personnages contradictoires, tortueux, parfois opaques, et ne donnent aucunement dans une quelconque analyse psychologique. Leurs motivations ne sont pas toujours transparentes, leur trajectoire, pas si simpliste. Comme je le montrerai ultérieurement, leurs personnages manifestent des questionnements philosophiques qui les rendent irréductibles au cliché du « type sanguin » du gangster. D’autre part, un nombre considérable de films nous présentent des figures de gangsters qui se démarquent tout à fait des « qualités » évoquées : Henry Hill, pour ne prendre que cet exemple, ne correspond absolument pas à l’archétype décrit. Il est sensible à la violence, fuyant le conflit, toujours inquiet, faible, toxicomane… Quant à Paulie, l’un des chefs de gang dans le même film, il est une figure patriarcale rassurante, calme, raisonnable, affable. Nous sommes très loin des stéréotypes du « genre ». Force est non seulement de faire droit à la diversité des figures de gangsters à l’écran, qui ne se conforment pas à une représentation prédéfinie, mais aussi de l’expliciter. Cette diversité m’apparaît être la conséquence de l’attachement du gangster au sens du possible, de son intérêt à se construire un mode de vie original, c’est-à-dire conforme à ses propres désirs et valeurs, de s’affranchir de toute identité statique : caractère, tempérament, condition sociale, normes sociales communes… (fig. 6, 7, 8 et 9).
38Par conséquent, il faut clarifier l’articulation entre le caractère et le sens du possible. Là encore, la pensée de Musil peut nous aider à y voir plus clair. Musil distingue deux types d’homme : l’homme potentiel, qui incarne le sens du possible, « conçu comme le résumé de ses possibilités », et l’homme du réel, encore désigné comme « l’homme caractère7 ». Être un homme du possible, ce serait donc donner une chance aux qualités virtuellement inscrites en soi, être attentif à ce que l’on peut faire du fait de notre nature, à ce que l’on peut être plutôt qu’à ce que l’on est déjà. Le sens du possible implique de ne pas se contenter d’être comme on est, de ne pas se satisfaire des qualités acquises, mais de s’imaginer autrement, de faire de soi-même un projet, une œuvre de transformation constante ; c’est accepter de changer.
39À ce titre, on comprend bien que le caractère, tel qu’il est présenté à travers la caractérologie, constitue une entrave au changement. Il inscrit les qualités acquises sur l’arrière-plan de dispositions naturelles, immuables, qui conditionnent l’individu à être ce qu’il est et qui en sont l’expression figée, statique. Dès lors, celui en qui est inscrite la disposition à l’agressivité, quand bien même ses efforts de pacification auraient endormi provisoirement sa nature, aurait toujours au-dessus de sa tête l’épée de Damoclès de son tempérament. En revanche, le fait d’« être un caractère » correspond à la force de volonté nécessaire pour transcender son caractère, pour prendre sa vie en main et décider de se changer.
Fig. 6. – Paulie, le parrain discret et raisonnable des Affranchis, 1 : 14’58.

Fig. 7. – Paulie coupant l’ail au rasoir, des tranches tout en finesse…, Les Affranchis, 1 : 17’58.

Fig. 8. – Henry Hill, gangster tourmenté, figure de l’inquiétude, Les Affranchis, 1 : 39’09.

Fig. 9. – Henry Hill, au beau milieu d’une journée à cent à l’heure, fébrile et paranoïaque, Les Affranchis, 1 : 54’06.

40Cependant, Musil est ouvert à l’idée d’une ingénierie des comportements moraux. Cette conception s’intègre dans ce qu’il appelle la morale et qu’il distingue de l’éthique, la première renvoyant au système rationalisé et stabilisé des forces éthiques conflictuelles qui constituent la seconde. La morale comme équilibre des forces normalise les comportements à partir des régularités observées et prescrit un comportement moyen correspondant à la moyenne des comportements réels. Sur ce point, le caractère engage également une dimension statistique, qu’Emerson et Musil puisent à la même source : les travaux de Quételet. Jacques Bouveresse a consacré un chapitre à l’intérêt que porte Musil à ces travaux8. Appliquant le calcul des probabilités aux phénomènes sociaux, le statisticien repère des qualités physiques ou morales qui sont mesurables, à partir desquels il peut observer la répétition de certaines d’entre elles, jusqu’à former une norme, celle d’un homme type ou homme moyen. Ce dernier est la quintessence abstraite des qualités de la population échantillon, et en tant que norme, il est le principe de standardisation des comportements moraux. Musil opère donc une distinction importante, entre d’une part, le caractère comme notion morale, garant de l’équilibre du système, norme fixe qui joue le rôle d’explication du comportement à l’échelle individuelle et de prescription à l’échelle sociale ; et d’autre part, le caractère comme notion éthique, spontanéité et expression de la singularité de l’individu. Cela se traduit par la précédente distinction entre « avoir un caractère » et « être un caractère ».
41Dans son essai, « Caractère » (Character, 1844), Emerson présente le caractère comme :
« une réserve de force qui agit directement par la présence et sans expédients. On peut le concevoir comme une certaine force indémontrable, un Démon familier ou un Génie, dont les impulsions guident l’homme mais dont il ne peut transmettre les conseils ; qui est pour lui une compagnie telle que de tels hommes sont souvent solitaires, ou s’ils viennent à être en société, ils n’ont pas besoin de la société, mais peuvent très bien se tenir seuls compagnie à eux-mêmes9 ».
42On peut mettre le caractère émersonien en regard d’un concept de Musil, le « dixième caractère » qui désigne aussi une telle réserve de force :
« Car l’habitant d’un pays a toujours au moins neuf caractères : un caractère professionnel, un caractère de classe, un caractère sexuel, un caractère national, un caractère politique, un caractère géographique, un caractère conscient, un inconscient, et peut-être encore, un caractère privé ; il les réunit en sa personne, mais s’en trouve dissocié, et n’est plus finalement qu’un petit vallon creusé par cette multitude de cours d’eau, vallon dans lequel ils viennent s’écouler pour en ressortir ensuite et remplir d’autres vallons avec d’autres ruisselets. C’est pourquoi tout habitant de la terre possède encore un dixième caractère, qui n’est rien d’autre que l’imagination passive d’espaces non encore remplis ; ce caractère donne à l’homme toutes les libertés, sauf une : celle de prendre au sérieux ce que font ses autres caractères […] et ce qui leur arrive ; donc, en d’autres termes, la seule liberté, précisément, qui pourrait remplir cet espace10. »
43La conception d’un caractère comme réserve des possibles est dans le sillage du génie émersonien, qui oppose la confiance en soi à la conformité du caractère-tempérament. Le moi apparaît chez Emerson comme une « force profonde », ainsi que le souligne Barbara Packer11, « qu’il désigne par le triple nom de Spontanéité, Instinct et Intuition ». La spontanéité s’oppose à la conformité aux lois statistiques, l’instinct, à la soumission aux impératifs extérieurs, qui se développe en conformisme, et l’intuition, à une rationalisation sans âme. Telle est l’ambivalence de la self-reliance, qui est aussi soumission à l’ordre de la nature, avec l’idée d’inspiration stoïcienne d’être soi-même en trouvant sa place déterminée dans cet ordre.
44Cette lecture permet d’éclairer le « dixième caractère ». Il y a d’abord l’exhortation à imaginer les possibles, qui contraste avec l’exigence de cohérence caractéristique de l’homme du réel. Ce dernier est soumis à l’impératif de la cohérence, qui lui impute d’agir sans contredire ses actions passées, comme si l’individu n’avait aucune marge de liberté pour changer ni aucune spontanéité, condamné à répéter invariablement ses comportements passés sous peine de pécher par incohérence. Emerson est le premier à dénoncer « cette cohérence stupide, […] croquemitaine des petits esprits12 », dont le pouvoir répressif empêche le jugement du présent en le soumettant à l’influence de la mémoire et aux préjugés. C’est à travers le fantasme de la cohérence que le caractère apparaît comme un destin, auquel Musil oppose également l’importance des convictions et « le courage de vivre dans les contradictions morales13 ».
45L’esprit de cohérence implique également l’idée selon laquelle il faut juger un homme d’après ses actes, ceux-ci laissant transpirer son caractère. La « prison de verre » du tempérament m’enchaîne en fait à mes actes passés, réduit mon identité à la somme de mes actions, de sorte que l’on attend de celui qui a volé une fois qu’il récidive, son acte témoignant de l’inscription de son vice dans sa constitution. Face au véritable destin tragique de César Rico, « du caniveau au caniveau », il paraît dès lors opportun de refaire entendre les voix d’Emerson et de Musil, leur ironie à l’égard du réflexe grossier de la phrénologie et leur conception anticonformiste du caractère.
46Emerson critique vivement la pensée suspicieuse de l’esprit de cohérence, qui attend et prévoit, presque sous forme d’impératif, tel ou tel comportement d’un individu dont il a analysé le passé, pour lui opposer la « pensée du génie14 », une pensée qui accepte de se laisser surprendre par l’actualisation de possibilités jusqu’alors inexplorées. Le sentiment moral doit toujours être neuf, ce que Musil exprime de son côté en introduisant la notion éthique de foi, dont il dit qu’« elle ne doit pas être vieille d’une heure15 ». L’exigence de fraîcheur, d’un engagement toujours renouvelé, à chaque instant présent, se heurte à la morale rabougrie et confite. Cette idée est exprimée avec beaucoup de force dans « Protestation » (The Protest), qui évoque l’ossification du cœur (ossification of the heart16), la lassitude, qui se transforme en surdité à l’égard de son propre cœur. Au contraire, il faut vivre au présent et donner ou refuser à chaque minute son consentement, quitte à changer d’avis, à se contredire ou à faire œuvre de transgression.
47En effet, si la morale rigide est bien un principe d’ordre qui prend la forme d’une collection de principes et de commandements, si elle apparaît comme une police idéale des rapports sociaux afin de permettre la vie en commun, la véritable morale, qui s’apparente plus exactement à ce que Musil appelle l’éthique, est l’imagination des possibilités de vie, qui prend en compte la diversité des perceptions possibles du monde et des sentiments. Le caractère musilien associe la dimension active de la self-reliance avec une dimension passive, qui n’est pas tant à entendre comme l’expérience quasi-extatique de l’abandon de soi que comme une réceptivité, une attention aux choses, le pouvoir de se laisser attirer par elles.
48Cependant, la reprise musilienne du caractère opère un certain infléchissement de la problématique émersonienne. En effet, le pouvoir de la volonté, le génie émersonien, fait l’expérience d’une contrainte toute autre que celle du déterminisme social. Emerson rappelle que le caractère comprend une dimension primordiale, supérieure à la volonté, qui se manifeste dans chaque souffle de la personne : « Les leçons du caractère dépassent nos volontés17 ». L’arrière-plan transcendantal opère une différenciation entre d’une part, l’expérience de la perte de l’individualité face aux contraintes sociales, une aliénation que seule peut aider à surmonter la confiance en soi et de l’autre, l’expérience de la perte de soi, du dégoût de soi-même, intégrée et sublimée en quelque sorte par l’abandon aux lois de la nature. Le caractère, lorsqu’il n’est pas un déterminant social et qu’il manifeste la perfection de l’ordre naturel, est un destin irrésistible, la promesse de l’harmonie par le consentement à un abandon de soi synonyme de changement.
49Ainsi, la notion de caractère possède un statut paradoxal dans la pensée d’Emerson : d’un côté, elle est l’expression de la forte individualité de celui qui a la capacité de se fier à lui-même et d’une certaine manière, de s’autodéterminer ; d’un autre côté, elle est aussi bien l’expression d’un ordre naturel qui nous échappe partiellement. C’est ce qui fait que le caractère se situe entre deux extrêmes qui le mettent en péril : l’individualisme du génie hors-norme et le fatalisme de la soumission à un destin naturel. L’homme de caractère est désigné dans « Confiance en Soi » (Self-Reliance) comme celui qui fait preuve d’une certaine autosuffisance, qui n’éprouve pas le besoin des autres, encore moins de les imiter. Il est aussi « l’homme incivil, inaccessible, qui est un problème et une menace pour la société18 ». Mais dans les mêmes années, Emerson tend à présenter le caractère comme une force qui exprime les pouvoirs de la nature19. Dès lors, le caractère est une participation à la force globale de la nature et il est partie intégrante d’une sorte de déterminisme naturel entérinant la contrainte du destin. La puissance du génie opère comme une reconnaissance des limitations imposées à l’être humain par la nature, avec pour conséquence positive l’exploration des possibilités ouvertes à partir de ces limites.
50Pour rendre justice à la complexité de la pensée du caractère chez Emerson, il faudrait l’analyser dans le temps, en tenant compte de son évolution. En ce qui concerne le caractère, il est remarquable que le fatalisme, à travers l’articulation des essais « Destin » et « Puissance », est progressivement abandonné au profit d’une accentuation sur l’ouverture au possible. La puissance d’agir n’est pas seulement synonyme d’abandon et d’acceptation de l’ordre naturel ; elle se développe au sein même de l’agir individuel comme capacité à s’emparer des possibilités de vivre et des meilleures manières de les réaliser. Ainsi, « l’homme faible peut voir les fermes clôturées et labourées, les maisons construites. L’homme fort voit les maisons et les fermes possibles20 ». Plutôt qu’une soumission à la nature, les derniers écrits d’Emerson invitent bien davantage à une réforme de l’action individuelle. À partir de La Conduite de la Vie, le caractère devient cette réserve de force qui rend possible la transformation de soi et du monde, motivée par des sentiments moraux et traduite dans la pratique.
51Il est intéressant de mettre en regard les deux versions des essais qu’Emerson publie sur le caractère. On connaît l’essai « Caractère » issu des Essays : second series, datant de 1844, où le caractère était présenté comme force individuelle, confiance en soi, parfois menaçant pour la société. Mais il existe un second essai plus tardif, également intitulé « Caractère », publié dans la North American Review en 1866. Emerson y insiste cette fois-ci sur la puissance de la volonté de l’individu, tout en la garantissant par les garde-fous des sentiments moraux. Entre-temps, le spectre du fatalisme de « Destin » a été surmonté, mais c’est le problème de l’individualisme qui ressurgit, à travers la difficulté à articuler cette puissance d’ouverture au possible avec la vie en commun, nécessairement normée. La part naturelle du caractère se retrouve dans sa dimension morale : les sentiments moraux sont considérés comme les moteurs de l’aspiration à un bien collectif. L’aspect asocial du caractère est donc finalement tempéré par les sentiments moraux fondamentalement altruistes et l’aspiration perfectionniste à un bien universel.
52Ainsi, le caractère est décrit en termes d’une « habitude à agir à partir de la vision permanente de la vérité21 ». L’homme de caractère est celui qui est capable de percevoir la vérité, c’est-à-dire le possible et l’idéal au-delà du réel, le bien derrière la situation de fait. L’habitude à agir en ayant à l’esprit cette vision du bien (de la vérité des sentiments moraux) est typique d’un perfectionnisme qui suggère l’exercice de la perception et de la vertu, ainsi que la transformation de soi et du monde dans le sens d’un méliorisme qui n’est pas nécessairement moraliste ni prescriptif. Évidemment, Emerson demeure aux prises avec cette question de la « vision de la vérité », une vision de nature éthique qui semble suggérer non pas l’élitisme, car cette vision est présentée comme accessible par la transformation de soi et le pouvoir de la volonté, mais un idéalisme typique du transcendantalisme. La nature de cette vérité d’essence divine rend éminemment problématique les conditions de son accès à partir de l’exercice et de la pratique. C’est l’une des irréductibles tensions qui structurent la philosophie d’Emerson, entre idéalisme et pragmatisme, entre vision d’une vérité métaphysique et exhortation à la self reliance.
53Musil, quant à lui, ne considère pas le caractère comme l’expression d’une nature, qu’elle soit cosmologique ou morale. L’homme du possible, on l’a dit, s’oppose à l’homme-caractère identifié et résumé à la possession de ses qualités. Mais en un second sens, le caractère est justement l’incarnation du sens du possible qui se heurte à la fois aux approches déterministes comme celles de la phrénologie ou de la physiognomonie, et au sens du réel, c’est-à-dire à la norme sociale que constitue le type humain. La première tension entre la nature et la puissance de la volonté est assez rapidement résolue si l’on considère la position de Musil comme tout à fait réaliste en ce qui concerne les limitations imposée par la forme de vie biologique. La transformation de soi opérée par la force de caractère n’est donc pas destinée à transcender des limites naturelles, mais à saisir le possible à partir de ces limites et à transcender d’autres limites. C’est donc la seconde tension, sociale, qui se retrouve au cœur de la problématique musilienne du caractère, à travers la triade caractère/génie/moyenne.
54D’une certaine manière, le caractère est la forme du génie, notion controversée, d’abord à cause de l’abus dont elle est victime à l’époque de Musil. D’une part, le terme de génie fait l’objet d’une surestimation dans la lignée du surhomme inatteignable, et à partir de là, l’on déplore l’absence de génies et la décadence de l’époque. D’autre part, le génie est célébré dans la personnalité de chacun et la moindre preuve d’originalité ou de succès lié à la mode suffit pour se voir qualifié de génie. Il y a partout des génies, ce qui serait le slogan démocratique d’une époque exaltant la valeur de la subjectivité personnelle, et rabattant le génie sur l’individualité. Si n’importe qui peut être un génie, alors la notion romantique consistant à exalter le caractère exceptionnel d’un individu se dissout. Le génie représente un écart, une exception par rapport à une moyenne. Il n’y aurait donc plus vraiment de sens à parler de génie en étendant ce qualificatif à tout le monde. L’analyse de la notion de génie révèle combien elle est prise dans une tension entre l’élitisme, qui met l’accent sur son caractère exceptionnel, et la vision démocratique, qui rappelle que, sur le plan éthique, chacun est une exception.
55Pour Musil, l’homme génial est effectivement capable du meilleur comme du pire, ce qu’il exprime en reprenant une citation de « Cercles » : « Les vertus du saint sont des vices pour la société. » Le comportement génial est anormal et ne peut rentrer dans les cadres de la morale usuelle. Il constitue un extrême, une déviance dont l’évaluation pose problème. Il n’est que de se souvenir de cette labilité des frontières entre le sain et le malsain que soulignait son premier essai22, ou encore de la proximité entre le saint et le criminel. D’une certaine manière, les individus géniaux sont des créateurs éthiques, de sorte que la morale standardisée ne peut fournir les critères de leur jugement.
56Certes, Musil souligne l’importance du caractère exceptionnel du génie, mais c’est pour le saisir par le biais de la statistique. Si le génie se heurte à une forme de déterminisme, il ne s’agit pas d’un destin naturel, mais de la statistique. Au lieu de tirer une approche phrénologique à partir de la statistique, on peut simplement constater que le génie se définit par rapport à une norme, qui est en fait la moyenne statistique de tous les comportements. Il est à la fois angoissant et sécurisant de constater que la plupart de nos comportements sont tout à fait semblables et n’ont rien qui les distingue de ceux de nos voisins. Cette uniformisation des comportements, qui transparaît de manière limpide dans la routine, annule en quelque sorte l’effet des individus géniaux sur le monde réel. La loi des grands nombres exprime le diktat de la moyenne qui neutralise le génie dans la masse. Le génie perd par là son caractère menaçant, et là où Emerson privilégiait le problème de l’individualisme, c’est plutôt celui d’un fatalisme de la moyenne qui ressurgit chez Musil.
57La moyenne, dans la perspective de la statistique sociale, ne doit pas être considérée selon une échelle de valeurs, en termes de médiocrité, mais comme le résultat d’un calcul opéré sur les comportements réels. Il s’agit d’une composition dont le matériel est empirique : c’est parce que, années après années, les statistiques se révèlent relativement constantes, qu’il y a un sens à parler de comportement moyen. Cependant, dans l’esprit de Musil, la moyenne ne doit pas être comprise uniquement comme un pouvoir de normalisation, car elle laisse une marge à l’invention et à l’innovation, mais plutôt comme indice des comportements et en termes de probabilités. En effet, le calcul d’une moyenne n’exclut aucunement la possibilité d’agir de façon exceptionnelle : il montre simplement que l’écart entre l’exception et la règle est le plus souvent imperceptible à l’échelle de la masse des hommes. C’est-à-dire que la plupart des comportements sont quasiment conformes à certaines normes explicites ou tacites, et rares sont les actions qui s’en démarquent de manière visible. Par l’opération du calcul, celles-ci sont comme neutralisées, car elles ont peu de part dans nos conduites.
58Plusieurs indices dans le roman et les essais montrent que la probabilité est déterminée par l’efficacité de certains comportements et que, d’une certaine manière, la préservation de la moyenne assure la préservation de l’espèce. Cependant, le fait que le calcul de cette moyenne s’effectue non seulement sur les comportements naturels, mais aussi sociaux, pose de sérieux problèmes. Musil ne semble pas s’accommoder d’une explication déterministe de la tendance à la répétition des comportements sociaux. Il est très critique de ce qu’il considère comme le « laisser-aller » des hommes qui reproduisent confortablement les mêmes comportements, réservant les possibilités inédites pour le domaine de l’art, en particulier les romans. Lorsqu’Ulrich suggère de vivre la vie comme un personnage de roman, il s’agit effectivement d’une exploration du champ des possibles, de ce qu’il appelle les « possibilités réelles ». Plus que contre un pouvoir répressif des conventions, c’est plutôt contre le principe du train-train et du laisser-aller que se développe l’aspiration perfectionniste. Nous ne sommes pas obligés d’adopter un comportement conforme, moyen, mais nous le faisons spontanément, non pas parce qu’il y va de notre nature, mais parce que cela est plus confortable.
59La question n’est donc pas de tenter l’impossible, mais de prendre au sérieux ce que l’homme moyen tient pour des impossibilités, et qui ne sont en réalité que des possibilités moins probables. Faire advenir l’improbable revient pour Ulrich à vivre en permanence dans « le cercle du significatif », c’est-à-dire à ne jamais rien vivre qui ne soit personnellement motivé ou revêtu d’une signification. C’est l’utopie de la vie motivée. Cela rejoint une distinction éclairée par les essais entre morale et éthique : si la morale est effectivement un processus de normalisation des comportements, ce n’est pas le cas de l’éthique, qui se présente à la fois comme un démenti à la morale, et une réserve de possibilités. Il faudra donc distinguer les comportements moyens, qui sont moraux et les comportements inédits, qui sont éthiques.
60Ainsi, la dimension sociale du caractère prend une importance cruciale chez Musil, plus encore que dans les essais tardifs d’Emerson. L’homme de caractère peut être vu comme celui qui a la force de volonté de prendre l’impossible au sérieux et de faire advenir l’improbable, c’est-à-dire de se démarquer des comportements normalisés, moyens. En même temps, il ne s’agit pas de renouer avec le romantisme élitiste car tout individu possède en lui cette force, et le caractère, comme le sens du possible, se développe justement par la pratique perfectionniste. Chacun peut se transformer pour affermir son caractère et de ce point de vue, le caractère est au cœur de l’éthique de la transformation de soi. Il s’agit de prendre confiance en soi et de s’ouvrir au possible, dès le niveau perceptuel ; de ne pas se laisser aller à la facilité de la répétition et de l’imitation. En même temps, ne perdons pas de vue que l’individu ne saurait vivre dans une transformation et une création permanentes de soi. La moyenne est inéluctable au sens où elle est nécessaire à la vie naturelle et à la vie en commun. Principe de stabilisation et de conservation, elle permet à chacun d’affronter l’ordinaire avec des techniques partagées et transmises, et aussi de réguler les actions humaines par des normes. Les moments géniaux où s’exprime le caractère s’inscrivent dans le cadre plus large des comportements habituels et moyens, partagés et communs. Et c’est leur articulation qui rend possible la conciliation entre l’expression de l’individualité et la vie en commun.
Le gangster : un être génial ?
61Si l’on suit les précédentes analyses, il convient alors de se demander dans quelle mesure le concept de type, ou d’archétype du gangster doit être remplacé par celui de « génie ». Le gangster à l’écran est-il un génie ? Quelqu’un qui parvient à exprimer les virtualités de son caractère, à s’affranchir des normes collectives pour inventer un autre mode de vie ? Cela expliquerait l’attrait que nous éprouvons à son égard et aussi la censure sociale dont il est victime, notamment dans les films des années trente.
62En dehors de la sphère cinématographique, le concept de génie appartient bien au monde des gangsters. Il a par exemple été utilisé par Virgil W. Peterson de la Chicago Crime Commission pour désigner Johnny Torrio, bâtisseur de la mafia italo-américaine de Chicago et mentor d’Al Capone : un « génie de l’organisation » (« an organizational genius23 »). Génie du crime organisé, génie du mal, … ces expressions insistent sur le caractère exceptionnel de ces individus, qui ont fait preuve de qualités hors-norme mais aussi d’une certaine créativité. Faut-il y voir une vulgarisation du génie semblable à celle éprouvée par le héros musilien à la lecture d’un article de presse évoquant « un cheval de course génial24 » ? Si même un cheval peut avoir du génie, que reste-t-il d’exceptionnel dans le génie ? Le génie passe pour un concept romantique sans pertinence, élitiste ou fantasmatique. Et pourtant, lorsque Musil évoque la question du génie, ce n’est pas pour disqualifier ce terme, mais pour le réhabiliter et lui redonner le sens de l’exception, c’est-à-dire celui que nous donnons précisément aux gangsters. Et ce n’est pas un hasard si les personnages du roman montrent leur caractère exceptionnel dans une section intitulée « Les criminels ». Comment concilier cette reconnaissance de facultés exceptionnelles ou de transgression de la norme avec une dimension morale ? N’y a-t-il pas un embarras à honorer ou admirer ces figures du crime ? Peut-on abstraire le génie de son contexte criminel ?
63Ce questionnement porte toute l’ambivalence de la figure cinématographique du gangster, qui, contrairement aux gangsters du monde réel, est à la croisée du criminel et du brigand. Le criminel est celui qui agit pour des motifs immoraux, crapuleux, par pur égoïsme. Le brigand agit pour des raisons morales, en fonction de codes éthiques et de valeurs. Quelle différence cela fait-il dans le cas du gangster ? Il me semble que nos personnages cinématographiques de gangsters tiennent parfois plus de Robin des Bois ou du Karl Moor des Brigands de Schiller que du véritable Al Capone… Mon hypothèse est la suivante : plutôt que d’exemplifier des facultés exceptionnelles, la figure du gangster est une projection de notre réflexion sur notre rapport aux normes, de notre conscience du nécessaire conflit entre les désirs individuels et les règles communes, de notre désir de nous affirmer dans notre singularité, de ne pas être comme tout le monde, de ne pas disparaître dans une masse anonyme et indistincte. C’est ce souci moderne de se singulariser, d’affirmer son individuation contre ou en dépit de la contrainte des normes et de l’uniformisation des modes de vie, qui est l’une des raisons de la séduction que ces gangsters exercent sur nous. Ils incarnent la possibilité de se soustraire à l’impératif conformiste, de vivre une vie moins banale.
64« Être quelqu’un », voilà un désir qu’il faut d’abord entendre en l’interprétant au pied de la lettre : être un individu, « un » parmi d’autres qui soit identifiable en tant que celui qu’il est. Ne pas se fondre dans la masse, tel est sans doute l’un des enjeux de ces films, qui mettent l’accent sur la possibilité de s’affranchir de la répétition du même, de se créer sa propre voie en dehors du système. L’intérêt du personnage de César Rico pour la presse est de cet ordre : devenir célèbre, c’est une façon de se singulariser en sortant de l’anonymat (ce n’est évidemment pas la seule).
65Mais à côté de figures hautes en couleur comme César ou Scarface, il y a aussi ces gangsters réservés et discrets, qui préfèrent sortir du système sous couverture, sans se faire repérer. Quelle est alors leur conviction ? L’incarnent-ils mieux en adoptant un principe de prudence ou sont-ils des imposteurs ? On se souvient de la scène des Affranchis qui succède au casse de la Lufthansa : Jimmy Conway, joué par Robert de Niro, exhorte ses comparses à rester discrets et à éviter toute dépense excessive, blâmant l’achat d’une Cadillac rose bonbon ou d’un vison. Ce personnage vit dans la tension entre son affranchissement à l’égard des normes de la légalité et son souci de donner l’apparence d’une vie moyenne et ordinaire. À ce titre, les gangsters ne sont jamais complètement libérés de la vie moyenne : ils la vivent en apparence et rompent l’illusion dans certains lieux et à certains moments (la nuit, au casino, dans des bars tenus par la mafia, etc.)
66Dès lors, que signifie cet affranchissement ? Il semble que d’un côté, il suppose de recréer l’apparence d’une vie « normale » en vivant des moments normaux ; d’un autre côté, il vise lui-même à recréer une sphère de normalité alternative, qui imite à bien des égards celle de la vie moyenne (dimanche en famille, cinq à sept avec des maîtresses, mariage). Ajoutons à cela le fait qu’au côté de ces figures exceptionnelles que sont par exemple César Rico ou Scarface, gravite toute une foule de petites frappes et de menu fretin qui vit dans l’admiration, l’envie et l’imitation du chef. Qu’en est-il alors de la logique de l’affirmation de soi et de la singularisation ? Dans cette perspective, les gangsters sont affreusement communs et dépourvus de tout génie au regard des facultés exceptionnelles de leur chef ; mais ils demeurent des êtres exceptionnels par rapport aux « ploucs », au sens où ils font exception aux règles communes et assument un mode de vie alternatif.
67En outre, l’écart par rapport à la norme doit être mesuré, afin de ne pas tomber du normal au pathologique. À cet égard, certains personnages de gangsters flirtent avec le pathologique : c’est le cas du duo des affranchis, Jimmy et Tommy, dont la violence et les accès de fureur meurtrière contrastent avec le caractère raisonnable, voire « normal » de Paulie ou des caïds de la pègre, centrés sur le business. Ainsi, quelques scènes sanglantes illustrent cette folie au sens clinique qui habite certains gangsters : le meurtre du caïd Billy Batts, tué de façon très brutale par Tommy parce qu’il l’avait insulté ; la scène où le même Tommy descend le serveur du bar qui a refusé de le laisser l’humilier et lui dit d’aller se faire voir. Dans la grande diversité des gangsters à l’écran, il y a souvent ces personnages plus ténébreux, cruels et violents, qui tuent sans raison, qui ne se maîtrisent pas et n’ont aucun sang-froid. Ils incarnent le versant menaçant, monstrueux, le trop grand écart par rapport aux normes ; le pathologique.
68Quant au génie des grandes figures de gangsters, il pose effectivement un problème moral, car à l’évidence, nous n’y voyons pas des « génies du mal » qui se distingueraient par leur cruauté ou leur perversité. Leur génie est ailleurs, dans leur capacité à créer une autre vision de la vie, parallèle à la vision commune de la vie en société ; il réside dans leur capacité à inventer des possibilités de réussir inédites, dans un monde où les inégalités sont solidement entretenues et où l’idéal méritocratique est illusoire. Car le désir de se singulariser se déploie sur l’arrière-plan d’une prise de conscience aiguë de l’iniquité du système normatif, des inégalités qui structurent la vie commune. Les gangsters incarnent la transgression des règles morales au profit d’une autre voie qui n’est pas dépourvue d’épaisseur éthique (voir Chapitre Six). Nous les trouvons géniaux parce qu’ils tentent de se soustraire à l’ordinaire de la reproduction des inégalités et de l’exploitation récompensée par la consommation et le confort. Ils sont extraordinaires dans leur façon de renoncer à une certaine sécurité pour atteindre le succès.
69Cependant, cet effort anticonformiste vise-t-il autre chose que la simple consommation matérialiste de biens moins accessibles au tout-venant ? N’est-il pas une hypertrophie de ce désir consumériste, trouvant des moyens plus efficaces de se satisfaire ? En quoi est-il porteur d’une dimension éthique positive ? Telles sont les questions que nous aborderons dans les chapitres qui suivent.
Notes de bas de page
1 Robert Musil, L’homme sans qualités, traduit de l’allemand par Philippe Jaccottet, nouvelle édition préparée par Jean-Pierre Cometti d’après l’édition d’Adolf Frisé, Paris, Seuil, 2004, I, p. 34-35. Ci-après désigné par HSQ.
2 Sandra Laugier, Une autre pensée politique américaine. La démocratie radicale d’Emerson à Stanley Cavell, Paris, M. Houdiard, 2004, p. 30.
3 Michel Foucault, Dits et Écrits, t. IV, éd. établie sous la dir. de Daniel Defert et François Ewald avec la collab. de Jacques Lagrange, Paris, Gallimard, 1994, p. 390-392.
4 Robert Musil, HSQ, I, p. 291.
5 G. W. F. Hegel, Phänomenologie des Geistes, [1807]. Phénoménologie de l’Esprit, traduction française de Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 2006, p. 308 : « L’individualité consciente de soi […] est […] un os. »
6 Sur l’importance des acteurs paradigmatiques de la figure du gangster, lire Jim Smith, Gangster Films : Virgin Film, Londres, Virgin Books, 2011.
7 Robert Musil, HSQ, I, p. 290.
8 Jacques Bouveresse, Robert Musil. L’homme probable, le hasard, la moyenne et l’escargot de l’histoire, chapitre v, Combas, Éd. de l’Éclat, 1993.
9 Ralph Waldo Emerson, « Character », in Essays & Lectures, Éd. Joel Porte, New York, Literary Classics of the United States ; Cambridge, Press Syndicate of the Univ. of Cambridge, 1984, p. 495. Je traduis : « a reserved force which acts directly by presence, and without means. It is conceived of as a certain undemonstrable force, a Familiar or a Genius, by whose impulses the man is guided, but whose counsels he cannot impart ; which is company for him, so that such men are often solitary, or if they chance to be social, do not need society, but can entertain themselves very well alone ».
10 Robert Musil, HSQ, I, p. 54-55.
11 Barbara L. Packer, Emerson’s Fall. A New Interpretation of the Major Essays, New York, The Continuum Publishing Company, 1982, p. 143. Je traduis : « a “deep force” he calls by the triple name of Spontaneity, Instinct and Intuition ».
12 Ralph W. Emerson, La confiance en soi et autres essais, trad. fr. Monique Bégot, Paris, Éd. Payot et Rivages, 2000, p. 36.
13 Robert Musil, HSQ, II, p. 211.
14 Ralph W. Emerson, « Expérience », in Essays and Lectures, op. cit., p. 518.
15 Robert Musil, HSQ, II, p. 135.
16 Ralph W. Emerson, The Early Lectures of Ralph Waldo Emerson, Robert E. Spiller et Wallace E. Williams, Éd. Cambridge MA, Harvard UP, 1972, p. 89.
17 Ralph W. Emerson, Essays & Lectures, op. cit., p. 266. Je traduis : « Character teaches above our wills. »
18 Ralph W. Emerson, The Collected Works of Ralph Waldo Emerson, 4 volumes, Éd. Alfred R. Ferguson et al., Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 1959, 1964, 1972, III, p. 59.
19 Sur ce point difficile, on peut lire l’ouvrage de Sharon Cameron, Impersonality. Seven essays, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2007.
20 Ralph W. Emerson, « Power », Essays, and Lectures, op. cit., p. 974. Je traduis : « The feeble man can see the farms that are fenced and tilled, the houses that are built. The strong man sees the possible houses and farms. »
21 Ralph W. Emerson, « Character », in The Complete Works of Ralph Waldo Emerson, Éd. Edward Waldo Emerson, 12 volumes, Boston, Houghton Mifflin, 1903-1904, vol. 10, p. 120. Je traduis. : « the habit of action from the permanent vision of truth ».
22 Robert Musil, « L’obscène et le malsain dans l’art », in Essais, conférences, critique, aphorismes, réflexions, textes choisis et présentés par Philippe Jaccottet d’après l’édition d’Adolf Trisé, Paris, Seuil, 1984, p. 25-31.
23 Virgil W. Peterson, The mob : 200 years of organized crime in New York, Ottawa, Green Hill Publishers, 1983, p. 156.
24 Robert Musil, HSQ, I, p. 69.
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