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Introduction

p. 9-39


Texte intégral

1Qu’entendait Pierre Hadot quand il intitula l’un de ses derniers ouvrages N’oublie pas de vivre1 ? N’était-ce pas une invitation à nous ressaisir de notre existence et à prendre conscience de sa valeur ? Hadot voyait dans l’expérience de la philosophie, au travers des « exercices spirituels » qui lui étaient chers, une manière pour l’individu « de transformer sa manière de voir le monde, afin de se transformer lui-même ». Il ne s’agissait pas de « s’informer mais de se former2 ». Il soulignait que dans cette quête, d’autres voies pouvaient être explorées : « une action physique comme l’ascension d’une montagne » ou des exercices « imaginatifs » tels qu’un art qui n’aurait pas été séparé de la vie. C’est l’objet du livre de Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être, d’analyser justement en quoi la lecture pourrait être considérée comme l’un de ces arts de l’existence, comme une activité qui ne serait pas « en concurrence avec la vie3 ».

2Le théâtre ne peut-il pas être lui-même défini comme un art de l’existence ? Comme une pratique qui contribue à donner du sens, à conférer une cohésion, à enrichir la vie ? C’est l’hypothèse de cet écrit.

3Je partirai d’une conception minimale du théâtre comme lieu d’une interaction entre des spectateurs et des acteurs en situation de coprésence physique. Cette interaction se réalise par la nécessaire médiation d’une représentation comprise en ses deux sens d’exécution et de participation. La nature de cette interaction peut être envisagée en termes de jeu. Ceci suppose qu’un ensemble de règles préside à l’exercice de ce jeu tout en permettant l’ouverture d’un espace potentiel de liberté et de créativité. C’est dans cet espacement ou cet écart que se trouvent les conditions de possibilité symboliques et pratiques d’une réinvention de soi et du monde, c’est-à-dire les potentialités existentielles et pragmatiques du théâtre.

4 Les enjeux de la présente étude sont à la fois esthétiques, existentiels et éthiques. Il s’agit de donner du sens et de la valeur à l’expérience de l’art, ici celle du théâtre. Le théâtre convoque l’ensemble de nos facultés et de nos dispositions, à commencer par notre sensibilité et notre affectivité. En cela, il a une dimension esthésique qu’il convient d’interroger. Le théâtre est aussi une pratique existentielle par laquelle nous exprimons une certaine façon de vivre où soi-même et le monde redeviennent des espaces à explorer, à expérimenter, des espaces de possibles à inventer et à habiter. L’expérience du théâtre est enfin une ressource pour des pratiques du soi et du monde plus ouvertes, plus accueillantes et plus conscientes d’elles-mêmes. Elle semble pouvoir, dans certains cas et sous certaines conditions, contribuer à des transformations que l’on pourrait qualifier de mélioratives.

5En conséquence, ce livre analyse les thématiques de l’être et de l’existence sur les scènes théâtrales contemporaines françaises, en particulier sous les rapports qu’entretiennent acteurs et spectateurs à la représentation théâtrale. La question de l’être interroge le statut ontologique de la représentation théâtrale, la place de l’acteur et du spectateur, leurs modalités de participation et leur rapport à la scène. Celle de l’existence s’intéresse aux façons dont la représentation peut être vécue, mais aussi, dans une perspective concrète et ordinaire, à ce que nous « fait » l’art théâtral, à quoi il œuvre, à ce qu’il nous apprend sur nous-mêmes et sur la vie.

Théâtre et philosophie

6Cette étude se situe à la bordure des deux disciplines que sont la philosophie et les études théâtrales. L’une ne surplombe pas l’autre : le terrain des scènes contemporaines n’a pas une simple valeur d’exemplification dans le cadre d’un propos en philosophie de l’art ; les études théâtrales ne convoquent pas la philosophie de façon anecdotique. Théâtre et philosophie sont envisagés comme de véritables partenaires. L’objectif est de dégager les spécificités de l’expérience esthétique de l’art théâtral. J’en analyse les modalités d’existence, les conditions et les modes de fonctionnement4, des usages et pratiques possibles, les effets expérientiels, tant du point de vue des processus de création que de celui de la réception. Aussi, cette analyse tire-t-elle un bénéfice des concepts de la philosophie, qui sont utilisés comme des outils permettant d’appréhender ses objets.

7Malgré une longue tradition philosophique ayant traité de l’art poétique ou/ et des spectacles depuis Platon, Aristote, Augustin, en passant par la querelle du xviie et Jean-Jacques Rousseau, jusqu’à Henri Gouhier, le théâtre est resté assez marginalisé du champ de la philosophie de l’art et de l’esthétique5. À l’inverse les arts plastiques, la musique, l’opéra ou le cinéma sont des domaines artistiques largement investis et convoqués par ces disciplines6. En France, cette situation a cependant commencé d’évoluer avec les travaux d’Alain Badiou7, Denis Guénoun8 et Jacques Rancière9 au cours des années 1990. Philosophie et théâtre se rencontrent chez ces auteurs particulièrement autour des rapports entre théâtre et politique10. Pour Badiou, les deux peuvent s’articuler sans pour autant avoir des rapports constitutifs11, tandis que pour Guénoun le théâtre est d’essence politique puisqu’il a pour condition une assemblée de spectateurs, ce qui relèverait directement de la pratique politique12. Avec Rancière, c’est au niveau des effets expérientiels individuels que se joue la dimension politique du théâtre13, d’après cette idée que les régimes d’expérience politique et esthétique ont en commun l’expérience du dissensus14. Une autre génération de chercheurs travaille l’articulation du théâtre et de la philosophie, non pas sous un rapport disciplinaire mais plutôt comme deux manières de penser le monde et de se penser au monde. C’est du moins de cette façon que se présentent deux numéros de revues récemment parus : le n° 216 de Théâtre/Public sous le titre de « Scènes contemporaines : comment pense le théâtre » coordonné par Christophe Bident et Christophe Triau et le hors-série de la revue Incertains regards, « Le théâtre pense, certes – mais quoi, comment et où ? » dirigé par Emmanuel Cohen, Laure Couillaud et Christophe Bident. Ces travaux cherchent en confrontant ces deux modes de pensée que sont le théâtre et la philosophie à élaborer une théorie de la mise en scène contemporaine. Enfin, d’autres jeunes chercheurs français participent par leurs contributions à interroger et enrichir ce lien entre théâtre et philosophie. Ils sont en particulier présents au sein du Laboratoire des arts et des philosophies de la scène (LAPS)15, un laboratoire indépendant créé par Flore Garcin-Marrou16. Certains travaillent les liens entre théâtre et philosophie en s’appuyant sur la French theory – Jean-François Lyotard, Félix Guattari, Gilles Deleuze, Jacques Derrida – et sa reprise par des penseurs américains contemporains : Judith Butler, Avital Ronell, pour n’en citer que quelques-uns. D’autres orientent leurs champs de recherche vers le pragmatisme américain. C’est le cas de Nicolas Doutey, par exemple, qui s’appuie notamment sur la pensée de John Dewey ou encore de Richard Rorty pour penser les nouvelles formes théâtrales de type performatif dont l’enjeu est de briser toute représentation17. À l’instar des travaux de Doutey, je m’intéresserai dans ce livre aux apports du pragmatisme américain pour penser l’être et l’existence au théâtre. Au pragmatisme, j’ajouterai toutefois une approche phénoménologique en conservant le principe de la représentation comme condition nécessaire de l’expérience théâtrale.

Les ambivalences du statut ontologique de la représentation théâtrale

8Sans refaire l’histoire des tensions qui ont retardé la rencontre entre théâtre et philosophie de l’art18, interrogeons ce « rapport ambigu19 » entre les deux disciplines qui tient principalement au statut ontologique ambivalent de la représentation théâtrale. Si je ne propose pas de définition du théâtre ou de la scène contemporaine en un sens platonicien, celui d’une essence unitaire, immuable et intemporelle, par contre, il semble intéressant de s’arrêter sur la notion de « représentation ». Son statut est problématique pour deux raisons. Premièrement, car la représentation théâtrale manifeste une présence qui s’efface à mesure même qu’elle advient, ce qui la rendrait insaisissable. Deuxièmement, sa nature même de re-présentation, au sens d’une reprise du réel, risque de faire de cette présence non pas une réalité, fût-elle éphémère, mais l’ersatz d’un objet-modèle et une sorte d’illusion. Ce dernier point a longtemps justifié la traduction du terme mimèsis des textes anciens par « imitation » et non par « représentation », ce qui entraînait, dans une perspective platonicienne, une dévalorisation ontologique de l’art.

Quelle valeur pour la représentation ?

9Prenons le temps d’examiner un peu plus avant ces deux problèmes. Pour cela, revenons à la Poétique d’Aristote20. La tragédie se définit chez lui comme mimèsis au même titre que la comédie, l’épopée, l’art du dithyrambe, la musique ou la danse21. Au contraire de chez Platon, la mimèsis est active : elle est productrice d’effet et créatrice. Si elle imite, ce n’est pas dans le but de donner forme à un objet dont le modèle serait le seul étalon. Autrement dit, ce qui résulte de l’activité mimétique ne s’évalue pas par un critère d’identité à un modèle. Aristote note en effet que :

« Puisque ceux qui représentent représentent des personnages en action, et que nécessairement ces personnages sont nobles ou bas […], c’est-à-dire soit meilleurs, soit pires que nous, soit semblables – comme le font les peintres : Polygnote peint ses personnages meilleurs, Pauson pires, Dionysios semblables –, il est évident que chacune de ces représentations dont j’ai parlé comportera aussi ces différences et sera autre parce qu’elle représentera des objets autres sous le rapport qu’on vient d’indiquer22. »

10C’est ainsi que l’objet de création chez Aristote s’affranchit en quelque sorte de son modèle, il devient « autre » sans pour autant lui devenir tout à fait extérieur. Ce processus d’autonomisation conduit le philosophe à formuler une théorie de la mimèsis positive, lui reconnaissant par là sa valeur. Or, cette émancipation du concept de mimèsis jusqu’alors pensé uniquement dans sa relation unilatérale à l’objet-modèle constitue une des raisons principales du choix de certains traducteurs de la Poétique, ici Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, de rendre ce terme par celui de « représentation ». Ces derniers se justifient de la façon suivante : d’une part, ils soulignent que « le syntagme mimeisthai + accusatif peut recouvrir deux relations différentes selon la nature de l’objet : le complément peut désigner l’objet-modèle, l’objet naturel que l’on imite […] mais il désigne le plus souvent, dans La Poétique, l’objet-copie, l’artefact que l’on crée ». Dupont-Roc et Lallot montrent ici l’ambivalence du verbe mimeisthai. Si la mimèsis étend sa relation à l’objet produit, il devient en effet caduc de le traduire par « imitation ». D’autre part, ils insistent sur le fait que dans certains cas « la valeur sémantique de l’accusatif est indécidable23 » au sens où la structure de la phrase ne permet pas de déterminer avec précision si l’accusatif complément relève de l’objet-modèle ou de l’objet-copie. Dans cette perspective, l’objet créé en même temps qu’il « imite » un objet-modèle, le représente. Nous sommes tentés de dire que ces deux dimensions sont presque confondues, faisant ainsi de l’art poétique un art de la transformation. Cette ambiguïté conduit les traducteurs à affirmer que le poète « n’imite que pour représenter : les objets qui lui servent de modèles – Œdipe, Iphigénie, avec le caractère et les ventures que la légende leur prête – s’effacent derrière l’objet que compose Sophocle ou Euripide – l’histoire représentée qu’est l’Œdipe Roi ou l’Iphigénie à Aulis24 ».

11L’espace de création est là : dans cette brèche laissée par l’ambivalence des structures grammaticales où s’insère le verbe mimeisthai. Aussi est-ce dans la manière de représenter, c’est-à-dire dans ce que nous appellerions aujourd’hui de façon quelque peu anachronique le style que se révèle la possibilité de la création. Dans la continuité des traducteurs d’Aristote, Paul Ricœur souligne le caractère actif de la mimèsis : « Il faut […] entendre imitation ou représentation dans son sens dynamique de mise en représentation, de transposition dans des œuvres représentatives25. » Cette dynamique de la mimèsis permet une revalorisation ontologique de l’acte poétique en même temps que de l’œuvre qui en résulte. Comment cette revalorisation s’étend également à la scène ? Une autre raison préside en effet au choix des traducteurs pour le verbe « représenter » : signaler à travers ce verbe les origines théâtrales au sens scénique de la mimèsis. Grâce à l’usage de ce verbe, il est possible de préserver une indétermination de sens par laquelle l’appréhension de la mimèsis est susceptible de se faire dans sa dimension spectaculaire. Cela permet de rattacher les arts mimétiques à leur pratique, de les réarticuler à la scène, c’est-à-dire au lieu par excellence de la représentation.

12S’inscrivant dans cette interprétation, Denis Guénoun, dans son ouvrage Le théâtre est-il nécessaire ? la poursuit et la renforce. Afin de montrer que « la Poétique nous apparaît bien, globalement, vouée à l’analyse du théâtre26 », il revient sur le caractère indécidable de la valeur sémantique de l’accusatif succédant au verbe mimeisthai souligné par Dupont-Roc et Lallot. De cette indétermination, Denis Guénoun en fait un argument pour traduire mimeisthai non plus par « représentation » mais par « présentation27 ». Selon lui, cette indécidabilité permet l’hypothèse selon laquelle « Mimeisthai signifie peut-être, exactement : (re)présenter devant le regard, montrer, fabriquer, monter au-devant de la vue28 ». Denis Guénoun sort le propos d’Aristote sur la tragédie du cadre strictement littéraire pour le remettre sur la scène exposée au regard. La mimèsis autant qu’elle est acte de représenter est acte de « présenter » cette représentation. Si nous observons ces glissements, il reste une part de représentation dans l’art de la performance puisque l’action et l’activité de performer sont soumises au regard. Le terme « représenter » vaut, finalement, pour tout art de la scène.

13Plusieurs éléments peuvent être dégagés de ce propos introductif sur le théâtre envisagé du point de vue de la représentation théâtrale. Tout d’abord, en vertu de son autonomisation et de son émancipation par rapport à un objet-modèle, le théâtre acquiert un statut ontologique par lequel il conquiert sa valeur d’être et de vérité pour lui-même. Ensuite, cette valeur réside dans la mise en présence d’un style. Cela signifie qu’il n’existe pas de création ex nihilo qui soit indépendante d’un contexte, mais que nous avons affaire au théâtre à des manières de représenter et de présenter singulières29. Enfin, ces considérations permettent d’associer les termes de « scène » et de « représentation ». La notion de « scène » met l’accent sur la performance ou l’acte de présenter, que ce soit d’ailleurs dans un temps de répétition ou de diffusion auprès d’un public. Dans un cas comme dans l’autre, elle s’effectue dans un dispositif spectatoriel et met en jeu des corps au cœur d’une activité de représentation. Par ailleurs, ce mot, « scène », souligne un aspect essentiel de l’art théâtral qui consiste à montrer « le passage à l’existence, sa survenue ». Car comme le soutient Thomas Dommange, « le théâtre ne montre pas seulement des étants mais leur venue à l’être30 ». Ce qu’il entend par cette idée, c’est que la scène n’est pas un lieu d’exhibition du corps historique de l’acteur, ni du corps du personnage et de son rôle. La scène manifeste la naissance d’une présence qui les excède tous deux. Selon Dommange, cette présence serait celle d’un « corps ressuscité31 ». Dans une version non théologique, la scène est le lieu de « l’apparaître » des choses qui deviennent, par ce mouvement même, des événements pour ceux qui en font l’expérience. Comme le signalent les tensions que je viens d’exposer, la représentation est travaillée par un écart qui implique qu’il n’y ait ni imitation, ni pure création. Il n’y a pas non plus adéquation ou fusion à l’œuvre, qu’elle soit celle du texte ou celle du spectacle, encore moins univocité de l’œuvre. La distance que produit la représentation permet que ce qui est représenté sur scène s’adresse à la pensée, plus précisément à une pensée de l’expérience. C’est donc par le fait de (re)présenter que la scène devient un lieu de problématisation possible de l’existence.

Quelle ontologie pour un art évanescent ?

14Si un acte scénique peut être défini comme « passage32 », alors il relève bien d’une performance33 évanescente, qui rend en quelque sorte insaisissable le théâtre lui-même, et à nouveau problématique son statut ontologique. Puisqu’il ne dépend pas à proprement parler d’un texte ou d’un objet-source qui lui servirait de modèle d’une part, et qu’il a un caractère éphémère d’autre part, le théâtre apparaît comme « un art sans œuvre34 ». Comme la danse et d’autres formes de performances, il s’épuise dans le temps même de sa manifestation et de son activation35. L’« absence d’œuvre36 », au sens traditionnel du terme, pourrait expliquer le désintérêt persistant de la philosophie pour cette activité artistique. Pourtant, paradoxalement, c’est cette disparition de l’œuvre dans les arts plastiques qui a stimulé le renouvellement des pratiques et des théories de l’art au xxe siècle et encore aujourd’hui.

15Certaines formes artistiques nées autour de la Première Guerre mondiale ont bouleversé à la fois nos représentations des beaux-arts et nos pratiques. Elles ont davantage mis l’accent sur les processus et les contextes de création et de réception que sur les objets d’art eux-mêmes. C’est le cas des ready-made de Marcel Duchamp qui signalent un effacement de l’intérêt pour l’objet par rapport à d’autres procédures d’artialisation, plus tardivement des happenings d’Allan Kaprow qui n’ont de réalité que dans le temps de leur effectuation, ou encore des installations dont les modalités d’existence dépendent de leur activation dans l’exposition et l’expérimentation de leur dispositif. C’est ainsi que, comme le note Yves Michaud, « là où il y avait des œuvres, il ne subsiste plus que des expériences ». Ces changements dans les pratiques ne signent « pas pour autant la fin de l’art : c’est la fin de son régime d’objet37 ». Ainsi, l’art contemporain s’est-il rapproché des arts du spectacle en raison de ce que d’aucuns ont nommé « une tendance à l’“allographisation”38 », qui autorise à parler d’« ontologie friable » ou d’« ontologie éphémère39 » comme le propose Jean-Pierre Cometti. D’ailleurs, à bien des égards, tout un pan de ce que nous appelons l’art contemporain revêt des modes d’existence similaires à ceux du théâtre. Ils relèvent non pas d’un questionnement ontologique au sens fort – les œuvres d’art existent-elles ? quelle est leur nature ? – mais plutôt d’un problème portant sur les conditions et les effets d’une expérience ontologique complexe qui se réalise dans la relation à un événement artistique voué à disparaître40. C’est dans cette perspective que le terrain des scènes théâtrales contemporaines semble pouvoir apporter des éclairages à la philosophie de l’art et à l’esthétique en général. Dans son dernier ouvrage, Marianne Massin souligne que l’expérience esthétique a été ces dernières années « en question41 » : elle est « déniée d’un côté, sollicitée de l’autre, réexaminée dans des approches multiples et des perspectives divergentes, entre autres phénoménologiques, pragmatistes et analytiques42 ». Massin propose un renouveau de l’expérience esthétique dans le souci de ses répercussions sur l’expérience en général et dans l’existence de chacun en particulier. Cet écrit s’inscrit dans les pas de cette approche, appliquée au théâtre.

Les scènes contemporaines et leurs caractéristiques

16Le renouvellement de l’expérience esthétique est corrélé aux mutations des pratiques artistiques. Qu’en est-il alors de ce que nous nommons le « théâtre contemporain » ou les « scènes contemporaines » ? En quoi leurs caractéristiques questionnent-elles à nouveaux frais l’expérience esthétique qui en est faite ? Je n’aborderai pas ces questions sous celles des écritures textuelles contemporaines, ou des jeux d’influence entre textes contemporains et mises en scène contemporaines43. Ma première observation quant aux pratiques théâtrales contemporaines consiste à dire qu’elles sont marquées par la diversité et la pluralité, ce qui suppose que des styles et des genres distincts cohabitent dans un même temps. C’est une caractéristique commune que celle de l’hétérogénéité des formes en art aujourd’hui, dont certaines n’ont de ce point de vue rien de contemporain44 si l’on entend le « contemporain » comme un genre artistique, voire comme un paradigme de l’art à part entière45, et non comme l’équivalent de l’actuel. Partant de cette distinction, trois éléments principaux caractérisent la scène contemporaine : son ouverture aux autres arts, aux nouvelles technologies et aux autres langues46.

17Du premier aspect, il résulte d’une part une dé-hiérarchisation des éléments de la représentation, grâce à laquelle se met en place une dynamique conversationnelle entre des arts et des artistes d’horizons différents. Ce mouvement s’oppose au théâtre comme représentation d’une écriture textuelle, qui fait du texte littéraire l’élément premier et essentiel de la scène. Les scènes contemporaines se distinguent de deux traditions divergentes qui s’accordaient cependant sur la centralité du texte, et ce jusque dans les années 1960 environ. Celle d’un Henry Becque47 ou d’un Pierre Brisson48, par exemple, pour lesquels la représentation se réduisait à une illustration accidentelle du texte ou celle du « Cartel des Quatre49 », qui accordait une valeur propre à la représentation théâtrale et à la mise en scène grâce auxquelles le texte pouvait trouver sa pleine expression.

18La scène contemporaine se caractérise par l’agencement de différentes formes d’expressions artistiques : vidéos, sons, dispositifs scéniques, arts numériques, arts plastiques, performances d’acteurs, danse, musique, textes, etc. qui coexistent pendant le temps de la représentation. Les modalités de cette hybridation sont variées : jouant sur des rapports horizontaux ou attribuant à l’une de ces expressions une suprématie par rapport aux autres. Cette mise en relation de différentes formes de médiation correspond à ce que l’on a nommé l’intermédialité. En raison de ce mélange des arts, le théâtre n’échappe pas à une tendance générale de l’art contemporain qui est celle de son « impureté constitutive50 » selon les termes de Marianne Massin. Cette impureté ouvre sur des expériences esthétiques troublantes et brouillées pouvant provoquer des attitudes de rejet51, de répulsion, de résistance ou encore de désarroi. La difficulté que pose ce premier aspect des scènes contemporaines, aux réalités plurielles, réside dans l’impossible définition de cet art. L’art théâtral, en ne relevant pas d’un domaine d’activité humaine spécifique, qui se distinguerait d’autres domaines d’activité tels que la danse, les arts plastiques, les arts de la performance, la musique, semble échapper à toute tentative de systématisation. Mais une absence de définition minimale pose également problème dans la mesure où elle entraîne un soupçon et de nombreuses incertitudes sur le sens et les usages d’une catégorie telle que « scènes contemporaines », voire même « théâtre ». Aussi, le maintien de telles catégories requiert-il, malgré les maladresses et les risques qu’implique une telle démarche, un travail de spécification52.

19Le deuxième aspect caractéristique des scènes contemporaines figure dans la présence et l’usage des nouvelles technologies au plateau. Celles-ci peuvent aussi bien entrer au service d’une mise en scène de façon relativement discrète, comme être travaillées pour elles-mêmes dans le cadre d’un spectacle reposant sur leurs potentiels théâtraux. Dans ce dernier cas, « les nouvelles technologies se développent comme un acteur à part entière, une posture qui oblige à reconsidérer fondamentalement les relations entre la scène et la technique53 ». Mais cette introduction des nouvelles technologies interroge également les relations entre la scène et les spectateurs parce qu’elle déploie de nouvelles formes d’interactivité et mêle différents régimes d’expérience. Tous ces aspects contribuent à « approfondir la crise de la représentation54 » et celle de la mise en scène55.

20Le troisième aspect des scènes contemporaines est l’ouverture des pratiques aux autres langues. Qu’il s’agisse de modes de diffusion qui traversent les frontières ou de projets d’échanges entre artistes ou institutions de nationalité différentes56, cet élément s’exprime particulièrement sur scène dans la présence du multilinguisme qui se dispense bien souvent de sous-titrage. Le fait que la scène soit en version originale met en exergue les dimensions musicales et rythmiques du théâtre. La présence de langues étrangères non traduites questionne d’abord le statut de la signification, en éloignant celle-ci d’une conception purement représentative. Elle rend ensuite problématiques les modes de compréhension qui y sont en jeu, en les replaçant dans le contexte d’une expérience sensible, affective et existentielle de la langue. Elle repose enfin la question d’un des fondamentaux du théâtral qu’est la musicalité de la langue57.

Ce que les scènes contemporaines font à l’esthétique

21Il va sans dire que ces transformations ont fait et continuent de faire débat. Le plus médiatisé fut celui qui a éclaté lors de l’édition 2005 du Festival d’Avignon. Certains spectacles du festival ont mis en scène des objets, des actions ou des événements en faisant appel à différents médiums artistiques (arts plastiques, arts vidéo, arts numériques, danse, musique etc.), provoquant chez les spectateurs des émotions vives et difficilement supportables. Jan Fabre, artiste associé lors de cette édition, a travaillé sur les sécrétions du corps humain dans son Histoire des larmes (2005) ; Thomas Ostermeier a montré de façon réaliste un viol et un enfant qui se fait dévorer dans sa mise en scène d’Anéantis de Sarah Kane (2005) ; Gisèle Vienne présentait la violence sexuelle dans Une belle enfant blonde de Dennis Cooper et Catherine Robbe-Grillet (2005). Ce que dénoncèrent les détracteurs de ces spectacles, ce furent les usages sur scène d’images violentes et provoquantes créées et/ou renforcées par les outils proposés par les nouvelles technologies. Furent désapprouvées également les affections désagréables qui en résultèrent, laissant les spectateurs à leur sentiment de répugnance, d’horreur, d’aversion ou encore de répulsion. Olivier Py tenta de systématiser les termes de cette polémique dans un article paru dans le journal Le Monde du 29 juillet 2005 en y repérant l’affrontement de deux manières opposées d’envisager le théâtre : celle qui revendique un théâtre de texte et celle qui se réclame d’un théâtre d’image58.

22Si l’on suit Carole Talon-Hugon, le différend se situe cependant ailleurs et, pour le comprendre, nécessite de revenir à la naissance de l’esthétique en tant que discipline autonome au xviiie siècle, notamment au texte d’Emmanuel Kant, La critique de la faculté de juger59. Au paragraphe 48 de cet ouvrage, Kant traite du rapport entre création et réception, soit selon ses termes, entre le génie et le goût. La rencontre du génie et du goût s’opère dans la production de l’objet où le goût de l’artiste guide son geste dans la réalisation d’une belle représentation, d’une œuvre relevant des beaux-arts ou de la beauté libre (et cela même si la chose représentée est laide). Aussi, le spectateur éprouvera-t-il une satisfaction liée au plaisir ressenti au contact de l’œuvre, faisant là une expérience similaire à celle du génie créateur. Ce sentiment de plaisir du spectateur procède de la forme de l’œuvre et non de ses qualités matérielles ou de la chose représentée. Les conditions de possibilité du plaisir résident dans le désintéressement et le détachement pour l’objet.

23Ce que montre alors la polémique de 2005 d’après Carole Talon-Hugon, c’est la séparation entre une esthétique du plaisir et une poïétique de la création60, qui étaient au xviiie reliées. Cette séparation s’exprime dans l’impossibilité de trouver les voies d’un plaisir à la monstration crue et non médiatisée du monstrueux au théâtre. L’absence de satisfaction esthétique résulte en effet de la force affective et émotionnelle des images et des sons déployés en contexte de réception/participation empathique. La rupture entre l’esthétique et l’artistique ouvre alors sur deux conceptions de l’art : une esthétique de la réception d’un côté et une approche de l’art du point de vue de l’artiste et de la production d’un autre côté. Cette dernière met au centre de l’appréciation de l’œuvre ses dimensions créatives, qui sont aussi transgressives, et cela indépendamment de son rattachement à un art ou un autre. L’esthétique de la réception accorde quant à elle une place essentielle au plaisir. Une des questions sur lesquelles ouvre ce débat réside dans les conditions de possibilité d’une ré-articulation de ces deux approches de l’art que Carole Talon-Hugon dit être aujourd’hui « antagonistes61 ». Une analyse de l’expérience des scènes contemporaines peut mettre sur la voie d’une telle réconciliation en montrant par exemple que l’artiste et le spectateur font l’épreuve d’une expérience esthétique au contact de l’art. C’est dans cette direction que j’orienterai mon propos.

24Outre ces débats qui opposent des conceptions différentes de l’art et plus particulièrement du théâtre, ces changements ont activé tout un champ de réflexion taxinomique. Esquissons-en les aspects les plus notables. C’est probablement le livre tout à la fois remarqué et critiqué de Hans-Thies Lehmann intitulé Le Théâtre postdramatique qui a redonné une certaine vivacité et intensité à ces questionnements. Dans cet ouvrage, paru en allemand en 1999 et en version réduite dans une traduction française en 2000, Lehmann met à disposition des théories de la mise en scène contemporaine une nouvelle catégorie, « le postdramatique », catégorie qui avait pour ambition d’englober l’ensemble des formes théâtrales novatrices nées à partir des années 1970. Sur la page de garde de l’édition française de son ouvrage, voici comment Lehmann définit ce théâtre : « Au lieu de représenter une histoire avec des personnages qui apparaissent et disparaissent en fonction de la psychologique de la narration, ce théâtre est fragmentaire et combine des styles disparates et s’inscrit dans une dynamique de transgression des genres. La chorégraphie, les arts plastiques, le cinéma et bien sûr, les différentes cultures musicales, le traversent et l’animent62. » L’idée est de prendre acte de la crise du drame moderne qui a commencé à la fin du xixe siècle en littérature et d’en analyser les effets sur les scènes63. L’auteur s’intéresse donc peu aux textes littéraires. En revanche, il cherche à définir les caractéristiques des formes spectaculaires qui ont transformé leur manière de faire théâtre suite à cette crise. Le néologisme « postdramatique » indique par ailleurs la thèse principale de l’auteur qui est de signaler la mort du drame comme principe premier des scènes contemporaines. Traditionnellement, ce qui constitue comme dramatique une action c’est sa mise en intrigue ou encore le muthos. Comme le signale Aristote dans la Poétique, le muthos est la partie essentielle de la mimèsis : « Le principe et si l’on peut dire l’âme de la tragédie, c’est l’histoire64. » L’histoire est l’arkhè et le télos de toute tragédie. Or le muthos doit former une unité, un tout autonome et suffisant. Pour ce faire, selon Aristote, il convient d’arracher une action spécifique à la consécution infinie des faits à partir de laquelle se déterminent un début et une fin, entre lesquels apparaît une relation de conséquence liant les différentes actions. Dans Actions et acteurs. Raison du drame sur scène, Denis Guénoun explique le processus d’institution du drame, comme action unique, dans la continuité des thèses d’Aristote :

« La totalisation qui fait le drame appellerait […] a) à couper l’attache entre l’action choisie comme début et ce qui la précède (à l’instituer en origine, en archè) ; b) à dénouer symétriquement le lien entre l’action qui sera élue comme terme et tout ce qui la suit (à la constituer comme une fin, achèvement, télos) ; et c) entre ces deux bornes, à tisser toutes les consécutions comme autant de conséquences – à saturer l’espace médian de causalité65. »

25Les mises en scène contemporaines ont provoqué un éclatement de l’unité du drame et sa définitive dissolution d’après Lehmann. La tentative de ce dernier fut largement reprise dans les discours théoriques et critiques, trouvant là un outil pratique pour nommer l’ensemble des nouvelles formes scéniques du théâtre contemporain66. Mais elle a aussi été critiquée par d’autres67, qui lui préfèrent d’autres qualifications. Jean-Pierre Sarrazac parle de « théâtre rhapsodique » (sachant que cette dénomination embrasse tout à la fois le drame moderne et le drame contemporain) ; Christophe Bident choisit l’option de reprendre la notion de « théâtre postmoderne » à nouveaux frais ; Arnaud Rykner invente celle de « théâtre du dispositif ».

26L’intérêt d’une notion comme celle de « théâtre rhapsodique » selon Sarrazac est qu’elle permet de rendre compte des mutations dans la forme dramaturgique depuis la fin du xixe siècle. Elle met l’accent sur « le désordre » qui règne dans le monde et dans les existences depuis cette époque. Ce désordre se retrouve dans les formes et les contenus des écritures théâtrales : « Il nous faut prendre en compte le fait que, depuis Ibsen, Strinberg et Tchekhov jusqu’à Kane, Fosse, Lagarce ou Danis, la dramaturgie moderne et contemporaine n’a pas cessé d’accueillir le désordre68. » De ce fait, les écritures théâtrales modernes et contemporaines admettent des formes rhapsodiques en « pratiquant l’alternance des modes dramatiques, épique et lyrique, qui permet au drame de reprendre contact avec le monde » en rendant compte du « Patchwork de la vie69 ». Le rhapsode est aussi la voix qui assemble et agence ce qui a été fragmenté et mis en pièces. Si bien que le théâtre rhapsodique s’insère dans un mouvement de crise et de reprise de la forme dramatique qui signale sa vitalité.

27Le concept de « postmoderne » chez Christophe Bident s’applique aux « tendances esthétiques dominantes de la mise en scène contemporaine70 ». Il peut selon l’auteur contribuer à nourrir une réflexion à condition d’entamer un travail critique sur la notion, qui commencerait par une analyse de ses usages et de ses significations chez Jean-François Lyotard. Christophe Bident voit trois raisons de s’intéresser à ce concept, qui toutes ont une valeur programmatique : des raisons historiques, rhétoriques et esthétiques. S’agissant des premières, Christophe Bident souligne tout d’abord que les débats qui ont éclaté lors du Festival d’Avignon en 2005 se sont cristallisés autour de questions posées par la philosophie postmoderne : qu’est-ce que le « référent », le « sens », le « destinataire », le « destinateur », le « consensus communicationnel71 » ? C’est ensuite une symétrie entre les « règles de procédures » de l’architecture postmoderne d’où proviennent le concept et les modes de production des mises en scène contemporaines qui est invoquée. Enfin, c’est la définitive disparition d’une pensée de l’émancipation ou du progrès après la Seconde Guerre mondiale que partagent art postmoderne et mises en scène contemporaines. Les raisons rhétoriques reposent dans la « dimension agonistique » des actes de langage qui permet de comprendre « le passage d’un modèle narratif à un modèle délibératif dans l’agencement du spectacle72 », laissant dans un état de crise celui qui a été pris au jeu. Enfin, des raisons esthétiques autorisent ce rapprochement : l’art postmoderne et les esthétiques scéniques contemporaines proposent un travail sur le sublime dans sa distinction d’avec le beau.

28C’est « un théâtre du dispositif » qui est proposé par Arnaud Rykner pour rendre compte des mutations de la scène contemporaine. Selon Rykner, le théâtre du dispositif se caractérise par trois éléments : sa dimension spatiale, sa dimension pragmatique et sa dimension discursive. D’après la première, le dispositif « valorise les enjeux visuels et plastiques de la scène73 » et contribue à développer l’interaction entre les éléments du plateau dans une dimension articulatoire dynamique. La dimension pragmatique signale que ce théâtre intègre le spectateur dans cette dynamique et entend produire des effets sur lui. La dimension discursive réside dans la présence du texte selon des manifestations et des usages variés. D’après Rykner, le théâtre du dispositif serait d’une certaine manière la cause de l’entrée en crise du drame et accompagne son épuisement dans le « théâtre postdramatique ». La notion de « théâtre du dispositif » a ainsi pour ambition d’englober les formes théâtrales modernes et contemporaines.

29Je montrerai que l’usage de la notion de « théâtre du dispositif » paraît délicat. Un autre travail pourrait venir approfondir les pistes proposées par Jean-Pierre Sarrazac et Christophe Bident en étudiant la possibilité de leur articulation.

Une méthode à la croisée de la phénoménologie et du pragmatisme

30L’examen de ces objets de recherche m’a conduite à choisir des méthodes différentes de celles convoquées par une approche cognitiviste de l’art. Je lui préfère les approches phénoménologiques et pragmatistes. Pour mieux comprendre ces choix, sans doute convient-il de faire un détour par d’autres travaux de recherche qui s’intéressent eux aussi à l’expérience esthétique, dans une optique toutefois assez différente de la nôtre. De récents travaux proposent en effet d’éclairer les questions relatives au jugement de goût, à la nature du beau, de l’émotion, du plaisir en art, à l’aide des sciences cognitives74 et, plus spécifiquement, des neurosciences. Ces démarches s’inscrivent dans le cadre du « tournant neuronal » qui a commencé dans les années 1990, dont l’ambition était d’analyser les bases neuronales des processus cognitifs et affectifs en jeu dans les activités humaines en appliquant les hypothèses et les méthodes des neurosciences à l’ensemble du champ des sciences humaines et sociales. C’est ainsi que l’on a vu naître des disciplines, telles que la neuroanthropologie, le neuro-droit, la neuroéthique ou, pour ce qui nous intéresse, la neuroesthétique75.

31Cette dernière est née au début des années 2000 sous l’impulsion de Semir Zeki, un chercheur britannique spécialisé dans le cerveau visuel des primates. Il a publié un ouvrage liant art et fonctionnement du cerveau intitulé Inner Vision : An Exploration of Art and the Brain en 1999 aux Presses universitaires d’Oxford76. Avec ce livre, Semir Zeki a ouvert la voie à une nouvelle discipline à laquelle se sont associés d’autres travaux depuis. On trouve, à titre d’exemple, le dernier ouvrage d’Edmond Couchot77 paru en 2012 : La nature de l’art : ce que les sciences cognitives nous révèlent sur le plaisir esthétique. Par ce titre, Edmond Couchot indique, dans une perspective similaire à celle de Semir Zeki, que le domaine de l’art rassemble des objets naturalisables. La thèse de doctorat en esthétique cognitive de Li-Hsiang Hsu, Le Visible et l’expression : étude sur la relation intersubjective entre perception visuelle, sentiment esthétique et forme picturale78 emprunte de son côté au neuropsychologue Antonio Damasio certains de ses résultats sur la nature de l’émotion, la création et la cognition79 pour rendre compte du jugement esthétique. L’auteure affiche pour ambition de proposer une modélisation de la relation sujet percevant/ œuvre d’art en dégageant « les variables du jugement esthétique80 ». Dans une même voie, la thèse d’Ancuta-Marina Mortu intitulée De la cognition esthétique à l’esthétique cognitive : une étude généalogique et soutenue en 2015 entend analyser l’expérience esthétique en l’abordant comme « un processus de traitement de l’information81 ». En esthétique théâtrale, Yannick Bressan propose quant à lui un travail portant sur la réception de la représentation s’intitulant Du principe d’adhésion au théâtre : approche historique et phénoménologique82. Bressan s’appuie sur une étude réalisée en 2007 et 2008 par des scientifiques d’horizons divers (neurologues, ingénieurs, cardiologues, psychologues) associés au Laboratoire d’imagerie et de neurosciences cognitives de l’hôpital de Strasbourg. Cette étude a pour but de mettre au jour les processus neurologiques à l’œuvre chez des spectateurs placés face à l’émergence d’une réalité, ici celle de la représentation théâtrale. Cette expérience a été menée au Théâtre national de Strasbourg alors sous la direction de Stéphane Braunschweig. Il s’est agi pour Yannick Bressan d’utiliser cette recherche pour expliquer l’adhésion au théâtre. Au travers de ces quelques exemples et remarques, il est déjà possible de déceler certains des présupposés, hypothèses et méthodes propres à ces démarches.

32Dans son article « La neuroesthétique, un esthétisme scientiste », Fernando Vidal s’emploie justement à définir quelques éléments communs de ce qu’il appelle les « neuroX » et à en dégager leurs conséquences ontologiques et métaphysiques. Il souligne trois principes généraux. Premièrement, ces disciplines soutiennent que l’esprit est réductible aux processus physico-chimiques du cerveau. Cela implique deuxièmement que tout phénomène ne peut être dit réel qu’à la condition de posséder des corrélats neuronaux et, inversement, que seuls ces processus sont réellement constitutifs et doivent faire l’objet d’une attention scientifique. Troisièmement, tout phénomène culturel est une production causée par le cerveau. Partant, tout phénomène est naturalisable et descriptible en termes physicalistes. Les outils et méthodes mis au service de ces disciplines sont ceux de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) et relèvent de nouvelles technologies de pointe. Les présupposés ontologiques et métaphysiques s’accordent avec un naturalisme de type réductionniste selon lequel notre identité serait réductible à des processus neuronaux, lesquels sont la cause de toute activité humaine.

33Dans la suite de son article, Vidal interroge la valeur de ces éléments communs dans le domaine de la neuroesthétique dont l’objectif est de réaliser une science de l’art et de son expérience. À l’issue de son analyse, il souligne que « la neuroesthétique ramène l’art à une batterie de tests, traitant les arts visuels comme s’ils étaient une forme primitive d’imagerie cérébrale, et la beauté comme une réponse automatique à des agencements de stimuli ». Il ajoute :

« En détachant tant le sujet que l’objet d’une relation qui véhiculerait nécessairement des contextes et une histoire, la neuroesthétique fait disparaître le premier aux dépens d’un seul organe, et porte sur le second un regard esthétisant, centré sur des qualités formelles. Le sujet de la relation esthétique se réduit à son cerveau, l’objet aux propriétés auxquelles le cerveau humain répondrait en vertu de son évolution83. »

34En effet, une attention à l’instant de la rencontre avec l’art seulement, que ce soit du côté de la production ou de la réception, semble insuffisante pour comprendre les ressorts, les enjeux et les impacts de l’expérience de l’art dans nos existences. La relation à l’art est irréductible à une description en termes physicalistes, notamment parce qu’elle se déploie dans un temps et un espace qui excèdent de toute part le moment du contact avec l’œuvre. De même, elle n’est pas entièrement dépendante des propriétés intrinsèques de l’objet d’art car « ce n’est pas l’objet qui rend la relation esthétique mais la relation qui rend l’objet esthétique84 ». C’est pourquoi, sans nier les apports et les intérêts de telles recherches, je propose de revenir au concept d’expérience esthétique qu’engage notre relation à l’art. Il s’agit d’attribuer à cette expérience une dimension « existentielle » qui s’étend au-delà et prend sa source en deçà de l’instant de la rencontre avec l’objet et dont le noyau est le corps phénoménal. Les méthodes cognitivistes qui s’appuient sur l’imagerie cérébrale pour expliquer la relation esthétique prétendent remettre au centre de l’attention scientifique la question du corps. Mais, si elles lui prêtent une importance, c’est d’abord au sens physicaliste du terme, c’est-à-dire en tant qu’il est réductible à des processus physico-chimiques objectivables. Il ne s’agit pas de refuser, sous certains aspects (en médecine par exemple), cette possible et nécessaire description du corps mais elle reste rudimentaire.

35Le corps de l’expérience du monde et de soi-même est un corps phénoménal. Corps sentant et percevant, il est ce par quoi nous sommes présents au monde de la façon la plus immédiate. L’expérience est d’abord sensible et affective. Elle est sensible car c’est sur ce mode premier que nous éprouvons la présence du monde et de nous-même ; elle est affective car lorsque nous sentons, nous nous sentons ressentir. En disant cela, cette étude revient au sens premier d’aisthesis, qui se rapporte à la sensation et à la perception par les cinq sens. Cette relation première au monde a tendance à nous échapper du fait « des exigences du connaître et de l’agir85 ». Par ailleurs, le corps n’est pas réductible au corps physiologique, car il est sujet au sens où il est corps vécu en première personne. Il est ce par quoi chacun s’éprouve comme existant et s’insère au monde, il est ce par quoi se manifestent notre existence et notre individualité. En ce sens, il est à comprendre comme corps propre. Enfin, le corps est aussi social et culturel86 : nos manières d’être, de faire, de penser et d’agir se constituent dans un monde déjà là dont nous portons des marques que nous relayons.

36Ces observations conduisent à adopter une méthode phénoménologique. Comme le signale Claude Romano, la phénoménologie a pour objet « l’expérience en deçà des constructions du langage et de la théorie87 », une antériorité pensée non pas de façon « chronologique mais logique88 », qui autorise à dire que le sens et la signification ne relèvent pas uniquement des structures du langage. Une attention à la dimension pathique de notre existence en témoigne et cette dimension est particulièrement mise en jeu au théâtre où celle-ci s’effectue à partir de la coprésence de corps vivant, pensant et sentant. L’outil de la phénoménologie de la perception est la description de cette expérience antéprédicative et sensible. Cette dernière a pour objectif de mettre à jour les opérations de perception au creux de cette insertion première. Il s’agit d’étudier les modes d’apparaître de l’être dans la sensation. Cette perspective permet de montrer que l’expérience de la perception s’opère dans une situation spécifique qui ne sépare pas le sujet percevant de l’objet perçu. Le corps ne se situe pas dans un face-à-face avec le temps et l’espace, mais il est à même le temps et l’espace. La perception se pense alors plutôt « comme un échange ou une boucle89 » entre le sentant et le sensible. C’est à partir de cet échange premier que se temporalise le temps et se spatialise l’espace et que pourra se constituer la connaissance. Il s’agira alors de comprendre comment se temporalise et se spatialise, à partir de la perception sensible, le temps et l’espace de la représentation et sur quoi ces opérations ouvrent.

37La phénoménologie « herméneutique événementiale » de Claude Romano viendra compléter cette première approche de notre objet. Précisons ce qu’entend Romano par elle. Premièrement, le phénomène qui y est décrit est l’événement. Or l’expérience de l’art théâtral peut sous certaines conditions faire événement. C’est en cela qu’une phénoménologie de l’événement peut nous intéresser. Deuxièmement, si la phénoménologie est herméneutique, c’est parce que toute description phénoménologique s’inscrit dans un monde, s’élabore avec un langage qui nous précède et porte en conséquence des hypothèses implicites qui leur appartiennent. Par conséquent il n’existe pas de donation pure. La phénoménologie n’échappe pas à la situation historique dans laquelle elle est conduite. Ce constat n’empêche cependant pas de soutenir l’idée selon laquelle il existe un sens premier, immanent, prélangagier, voire pré-herméneutique, de la sensibilité au sens de Merleau-Ponty. La phénoménologie est herméneutique également parce que la description des phénomènes qu’elle propose correspond à la compréhension ou au sens que nous leur donnons, en ce sens la description est en même temps compréhension. Enfin, la phénoménologie est herméneutique car, refusant l’idée d’une donation immédiate et pure des phénomènes, elle cherche à les comprendre. Ainsi, le sens n’est pas un donné, il est un « événemential », c’est-à-dire qu’il advient à celui qui fait l’épreuve de l’événement. C’est à partir de là que l’événement s’affirme comme une ouverture sur un nouveau monde. Troisièmement, si la phénoménologie est événementiale, c’est parce que l’événement en tant que tel est par définition manifestation primordiale de l’apparaître, il est en ce sens phénomène premier. Or l’objet de la phénoménologie consiste justement en la description de ce qui apparaît. L’événement concerne donc au premier chef la phénoménologie.

38L’ambition de cette philosophie est de comprendre « l’aventure humaine au fil conducteur de l’événement90 ». Il s’agit de rechercher les modalités de cette aventure, c’est-à-dire les modalités par lesquels un individu s’individualise, ou les modalités par lesquelles « l’advenant s’advient ». L’approche événementiale aidera à comprendre en quoi l’expérience théâtrale peut faire événement pour un individu sans pour autant s’opposer à la dimension processuelle d’une histoire. Histoire et existence s’articulent dans la mesure où l’événement, qui constitue une déchirure dans la continuité de l’existence, est voué à être réintégré dans le tissu d’une vie en en transformant son sens et son interprétation. Grâce à ces deux approches phénoménologiques, j’espère dépasser les dichotomies traditionnelles entre sujet et objet, processus et événement, activité et passivité, création et réception.

39Que l’expérience esthétique soit sensible et affective est donc essentiel mais elle n’est pas que cela, elle est aussi mentale et cognitive : elle active notre imagination et notre pensée, elle déploie des espaces intermédiaires où se tissent les éléments de notre réalité, où s’inventent de nouvelles manières de penser, d’être et de faire, où s’ouvrent de nouvelles perspectives et de nouveaux mondes. Cette nature plurielle de l’expérience autour de laquelle s’assemblent et coopèrent nos différentes facultés l’oriente vers une autre dimension qui est elle aussi essentielle, à savoir sa dimension pratique. Ce qui autorise un glissement de la phénoménologie au pragmatisme, c’est la place et le rôle du corps dans l’expérience : sentir notre environnement et en être affecté, c’est être transformé par lui ; ces modifications se répercutent sur cet environnement, le changeant en retour. Ce sont ces relations relevées par la phénoménologie qui intéressent le pragmatisme. D’après Richard Shusterman, « [l]a contribution la plus importante de Merleau-Ponty à la philosophie est la revalorisation du corps comme point de départ de toute perception, action et pensée91 ». Grâce à cette valorisation du corps et à l’attention portée sur la perception sensible dans l’expérience de l’art, Merleau-Ponty a ouvert la possibilité d’une « esthétique […] libérée de l’emprise réductrice des Beaux-arts92 ». Mais la limite de la phénoménologie de la perception, selon Shusterman toujours, se situe dans l’absence de considération sur les prolongements pragmatiques possibles d’une attention à la conscience corporelle. Or cette attention au corps et aux perceptions sensibles permettrait d’élargir les capacités de ce dernier et d’ouvrir à une stylisation de l’existence. C’est ce que Shusterman propose avec la discipline de la « soma-esthétique » : aiguiser notre conscience du corps pour développer ses potentialités, dessiner des aménagements, se styliser, mieux vivre, devenir meilleur et trouver du plaisir à l’existence. Ainsi, la phénoménologie trouve ses prolongements dans une pratique de soi et du monde. C’est cette dimension pragmatique et éthique de l’expérience de l’art que je souhaite aborder, d’une part au niveau des modalités d’individuation et d’individualisation qu’elle met en œuvre, d’autre part dans leurs effets quant à nos relations aux autres et à notre environnement.

40Enfin, mon approche propose quelques incursions vers des pensées que l’on a tantôt regroupées sous le terme de post-structuralistes, tantôt sous celui de French Theory, avec une présence particulièrement importante de Michel Foucault. Ce dernier a forgé des concepts féconds pour cette étude comme ceux de « dispositif » et d’« esthétique de l’existence ». Mes usages de ces concepts correspondent à l’idée que se faisait Foucault de « la boîte à outils », à partir de laquelle s’engagent des processus et des expériences de pensée s’appuyant sur des éléments empruntés à d’autres penseurs et relancés librement.

41L’articulation de ces approches philosophiques du théâtre a été pensée à l’horizon d’une « esthétique de l’arabesque » sur la voie de laquelle invite Pierre-Henry Frangne. Ce dernier convoque le motif de l’arabesque dans le cadre d’une réflexion sur la décadence et le symbolisme de la deuxième moitié du xixe siècle dans son ouvrage La négation à l’œuvre, La philosophie symboliste de l’art (1860-1905). L’arabesque y apparaît comme « le symbole » du décadentisme de symbolistes comme Stéphane Mallarmé, Odilon Redon ou Gustave Moreau93. Il revient sur ce motif dans un article ultérieur où il propose de traiter son rôle et sa signification. C’est dans cet article que l’auteur définit trois principes d’une esthétique de l’arabesque94. Mais ce sont surtout les caractéristiques et la signification de l’image de l’arabesque qui m’intéressent. L’arabesque, selon Frangne, comprend trois aspects : une « contradiction se maintenant dans la contradiction même sous la forme [d’]un déploiement », « l’expression d’une attitude critique […] qui se pense comme immédiatement constitutive de l’œuvre elle-même en train de se créer », « la manifestation de la prégnance du modèle musical dans les arts poétiques et visuels »95. Je montrerai comment s’exercent la contradiction, la critique et le modèle musical dans l’expérience du théâtre. C’est sur ce chemin que je désire contribuer au renouvellement de l’expérience esthétique.

Une étude adossée à une enquête de terrain

42L’intérêt du pragmatisme réside également dans sa méthode d’enquête. Il privilégie l’étude des faits, les observations empiriques et met à l’épreuve de ceux-ci les hypothèses posées. Ma réflexion sur le théâtre s’articule à une étude de ses contextes spécifiques de création et de réception. C’est dans un dialogue constant entre théorie et pratique, dans un mouvement de va-et-vient entre hypothèse théorique et perception des participants que mon propos s’élabore. Outre ces aspects, il se nourrit de mes propres expériences de théâtre en tant que spectatrice et collaboratrice artistique.

43Concrètement, mon travail de terrain s’appuie sur des entretiens avec des praticiens du théâtre, qu’ils soient acteurs, metteurs en scène, collaborateurs artistiques ou techniciens. La parole de ceux qui font l’art au quotidien aura donc une place importante. Mes analyses seront liées également à des observations d’ateliers et de travaux d’élèves-acteurs de l’école de théâtre du Théâtre national de Bretagne (TNB) lorsqu’elle était sous la direction de Stanislas Nordey. J’ai entretenu avec cette structure des liens forts et j’y ai participé à des observations de processus de création96. Ma réflexion convoque d’autres entretiens ayant fait l’objet d’une publication ou des écrits d’artistes.

44À ces témoignages d’hommes et de femmes de théâtre, s’ajoute l’analyse d’un corpus. Les travaux de trois metteurs en scène français contemporains consacrés et reconnus institutionnellement sont étudiés : Stanislas Nordey (1966-), Claude Régy (1923-2019) et François Tanguy (1958-). À ceux-ci, nous avons joint l’analyse de spectacles d’une metteure en scène travaillant en marge des institutions : Clyde Chabot (1966-) avec la mise en scène de Hamlet-machine de Heiner Müller, et d’un jeune artiste : Simon Gauchet97 (1987-) avec L’Expérience du feu – Pour en finir avec Jeanne d’Arc. Stanislas Nordey, Claude Régy et François Tanguy sont particulièrement intéressants parce qu’ils jouent un rôle décisif dans l’histoire du théâtre par les transformations et les questionnements qu’ils y apportent.

45S’ils ne sont pas du même âge, ils sont cependant contemporains. Claude Régy, l’aîné, est à cheval sur les « deuxième » et « troisième génération » de metteurs de scène98, « troisième génération » dont Régy a été à l’avant-garde. Cette dernière s’est affirmée dans les années 1990 et poursuit ses travaux encore de nos jours. Ce qui rassemble cette génération, c’est la crise de la mise en scène en tant que création autonome et comme espace d’émancipation. Ses artistes mettent en doute les pouvoirs politiques du théâtre, questionnent l’autorité du metteur en scène comme créateur et herméneute, le rapport au public, au sens, à l’image, le statut de l’œuvre et de la représentation. Cette génération est animée par une profonde inquiétude qui l’oblige à repenser le sens de son activité. Elle s’interroge sur les « fondamentaux99 » du théâtre en particulier au travers d’un travail formel sur la mise en scène. Ces trois metteurs en scène font donc partie d’un large mouvement, qui dépasse leurs pratiques singulières.

46Il existe chez ces trois artistes « un air de famille » au sens de Ludwig Wittgenstein. C’est à partir d’une réflexion sur le jeu que Wittgenstein forme cette notion. Ce qu’il cherche, ce sont les éléments qui permettent de rassembler différents jeux sous le terme unique de « jeu » malgré leurs spécificités. Après examen, il constate qu’il ne parvient pas à énoncer une définition unifiante du jeu grâce à l’identification d’un ou de plusieurs éléments essentiels à tous les jeux, en revanche, il remarque « un réseau complexe de ressemblances qui se chevauchent et s’entrecroisent100 ». C’est à propos de ces « ressemblances » entre les trois démarches de Nordey, Régy et Tanguy que je dirai quelques mots. Tous trois travaillent une mise en scène qui est à elle-même son propre problème. La mise en scène déploie cette aporie et cette réflexivité par des procédés théâtraux spécifiques. Or, c’est en mettant au cœur de la théâtralité sa dimension musicale que ces trois metteurs en scène rendent visible l’aporie constitutive de la mise en scène dans sa dimension représentative. L’autre élément qui se croise dans ces trois démarches réside alors dans une musicalisation du modèle théâtral. Cette musicalisation s’effectue au niveau de la prise en charge du texte par une recherche sur les timbres, les rythmes, les tonalités, les attaques, les inflexions de la langue. Cette approche du langage engendre une mise à distance de la signification représentative des mots. Elle met l’accent sur la signifiance et les pouvoirs d’évocation ou de résonance de la langue. La musicalité de la scène se travaille également avec les autres éléments de la représentation : au niveau des mouvements, des déplacements d’acteur et d’objet, dans les jeux de lumière et de décor par exemple. Cette musicalisation permet d’ouvrir ou de rouvrir, par le détour de la musique, un questionnement théâtral sur le problème classique de la représentation de la réalité et de ses limites. Ces orientations signalent leur inscription dans la tendance contemporaine à « l’ouverture du sens » et au retrait de la figure du metteur en scène-dramaturge, de l’« auteur ». D’autres artistes participent de ce mouvement et peuvent être associés à cette « famille ». Mais ces trois metteurs en scène que sont Stanislas Nordey, Claude Régy et François Tanguy conduisent cette aporie et sa prise en charge musicale à un haut degré d’intensité. Je crois en effet que leur force consiste à préserver et à maintenir les tensions contradictoires de la représentation au plateau. Leur approche formelle de la langue, par exemple, ne se réalise pas dans un renoncement définitif et complet à l’histoire ou à la représentation de la réalité. Il me semble que ce maintien de l’aporie, sa remise en jeu permanente, permet aux participants de vivre une expérience esthétique complète car rattachable et réemployable dans leur vie ordinaire.

47Nordey, Régy, Tanguy proposent chacun des réponses spécifiques à ces interrogations, que l’on peut décrire sommairement dans la conscience du caractère réducteur de ces éléments. Leur présentation sera nécessairement rapide, mais le discours critique, qui cherche, dans cette introduction, un cadre philosophique et des conditions théoriques pour son interprétation, se déploiera avec plus de précision et d’ampleur dans le livre. Stanislas Nordey oriente son approche musicale du théâtre vers des rythmes rapides, soutenus, ponctués d’attaques, frontalement adressés. Claude Régy conduit sa recherche vers les procédés du ralenti et de la lenteur, que ce soit dans la diction ou dans les mouvements des corps. Les voix se font plus monocordes, les tessitures sont généralement peu étendues et les rythmes jouent sur des suspensions. Quant à François Tanguy, son travail musical pourrait être qualifié d’atonal. Il joue sur la multiplicité des modulations, sur la superposition de tonalités distinctes, sur des cadences et des tempéraments différenciés. Il transporte également ces mouvements à tous les éléments de la scène. Je m’attacherai à préciser ces caractéristiques, en cherchant à mettre en valeur leurs sens, leurs fonctions et leurs effets dans le cadre de notre réflexion sur l’expérience esthétique du théâtre.

48Pour ce qui est de Clyde Chabot et Simon Gauchet, ces deux artistes font de l’hybridation et de l’intermédialité les objets mêmes de leur questionnement, tout en se confrontant à l’héritage critique de leurs aînés. La mise en scène de Clyde Chabot de Hamlet-Machine m’a particulièrement intéressée parce qu’elle cristallise les ambivalences et les ambiguïtés éthiques et politiques des usages des nouvelles technologies sur les scènes contemporaines. C’est dans cette perspective qu’elle éclaire les rapports du théâtre avec l’emploi de ces nouvelles techniques. Le spectacle L’Expérience du feu – Pour en finir avec Jeanne d’Arc de Simon Gauchet questionne quant à lui les rapports entre art et vie, avec le souci d’un dépassement de la crise de la mise en scène par une réflexion sur la valeur pragmatique, éthique et politique du théâtre.

Parcours

49Mon propos se déploie en trois moments. Le premier a pour objectif d’analyser les impacts de l’usage des nouvelles technologies au plateau sur le théâtre dans l’objectif de définir notre objet et de le circonscrire. Les mutations qu’entraînent les usages des nouvelles technologies modifient-elles le statut de la représentation théâtrale et les régimes d’expérience que nous en avons ? Nous obligent-elles à revisiter nos concepts ? Cette thématique a été abordée à partir de la description d’un cas : Hamlet-Machine d’Heiner Müller, mis en scène par Clyde Chabot. L’analyse de ce spectacle s’appuie sur le concept de « dispositif » pensé par Michel Foucault. Il permet d’évaluer les changements de régime de sensibilité et de compréhension au théâtre liés à l’introduction des nouvelles technologies au plateau et de caractériser, sans pour autant établir des contours rigides, le champ de cette activité artistique que nous appelons théâtre.

50L’analyse des modes d’être et d’existence sur les scènes contemporaines ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les jeux d’espace-temps qu’engage l’expérience théâtrale. C’est le deuxième moment de ce travail. Le traitement de cette thématique s’est réalisé par le détour d’un propos épistémologique où j’aborde les limites d’une approche strictement génétique et historiciste de la représentation théâtrale ainsi que les avantages d’une approche anachronique de celle-ci dans l’héritage de Georges Didi-Huberman. Cet anachronisme trouve un usage contrôlé au sein d’une perspective archéo-généalogique héritée de Michel Foucault. Ce détour permet de montrer comment le temps et l’espace de la représentation se constituent à partir du corps phénoménal de l’acteur en jeu. Ce sont ensuite les deux « temps » du théâtre, qui ne sont pas chronologiques mais logiques : le temps horizontal des processus de création et le temps vertical de l’événement que je présente. Le premier est étudié au travers de l’analyse de deux mises en scène de Stanislas Nordey : Living ! et Les Justes d’Albert Camus. Le second aura pour terrain la démarche de Claude Régy. L’analyse de ces deux temps et des façons dont ils s’enchevêtrent fait travailler ensemble les tensions propres au théâtre entre processus et événements, mémoire et oubli, histoire et existence, sans les annuler. C’est ainsi que les jeux des espaces-temps en scène peuvent se réarticuler selon le modèle de l’arabesque.

51Une fois déterminées les conditions d’advenue de l’événement au théâtre, ce sont ses effets expérientiels qui constituent un troisième moment. Ils s’expriment au travers d’une « stylistique de l’existence » selon la notion de Marielle Macé. Pour montrer les mécanismes de cette individualisation, je m’appuie sur la création de Simon Gauchet, L’expérience du feu – Pour en finir avec Jeanne d’Arc ainsi que sur les mouvements rythmiques dévoilés dans les pièces de François Tanguy qui sont à la fois ceux de l’art et de la vie. Enfin, c’est avec la force éthique du théâtre qui prend sa source dans une poétique de soi que je termine ce livre. L’expérience esthétique du théâtre développe les dispositions du care en nous confrontant à la vulnérabilité, à la fragilité et à la précarité de toute existence, autant de conditions d’existence qu’il revient à notre liberté d’assumer et de dépasser sans les nier.

Notes de bas de page

1 Hadot Pierre, N’oublie pas de vivre. Goethe et la tradition des exercices spirituels, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Idées », 2008.

2 Ibid., avant-propos.

3 Macé Marielle, Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard, 2011, p. 10.

4 Pour une analyse des conditions et modes de fonctionnement de l’art théâtral d’un point de vue socio-économique, voir Poirson Martial et Barbéris Isabelle, Économie du spectacle vivant, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2013 ; Menger Pierre-Michel, La Profession de comédien. Formations, activités et carrières dans la démultiplication du moi, Paris, La Documentation française, 1998.

5 Voir Aristote, La Poétique, traduite, introduite et annotée par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Seuil, 1980 ; Augustin, Confessions, t. III, 3, trad. Arnaud d’Andilly, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993, p. 89-92 ; Rousseau Jean-Jacques, Lettre à d’Alembert, Paris, Flammarion, 2003 (1758) ; Gouhier Henri, L’Essence du théâtre, Paris, Vrin, 2002 (1943) et Le Théâtre et l’Existence, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1991 (1952). Pour une anthologie de textes clés en philosophie du théâtre, on pourra se reporter à Haumesser Matthieu, Combes-Lafitte Camille et Puyuelo Nicolas (dir.), Philosophie du théâtre, Paris, Vrin, coll. « Textes clés », 2008.

6 Christophe Bident et Christophe Triau le soulignent dans leur avant-propos au numéro 216 de la revue Théâtre/Public : « La philosophie de l’art et l’esthétique, résolument tournées vers le cinéma et les arts plastiques, n’ont accordé que peu d’attention au théâtre. » Bident Christophe et Triau Christophe, avant-propos, « Scènes contemporaines : Comment pense le théâtre ? », Théâtre/Public, avril 2015.

7 Parmi les ouvrages qui croisent théâtre et philosophie d’Alain Badiou, voir Badiou Alain, Éloge du théâtre, en collaboration avec Nicolas Truong, Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2016 ; La Philosophie, le théâtre, la vraie vie, en collaboration avec Laure Adler, Avignon, Presses universitaires d’Avignon, coll. « Entre-Vues », 2016 et Rhapsodie pour le théâtre, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 2014 (1990).

8 Voir notamment Guénoun Denis, Relation (Entre théâtre et philosophie), Paris, Essai, coll. « Cahiers de l’Égaré », 1997 et Livraison et délivrance. Théâtre, politique et philosophie, Paris, Belin, coll. « L’Extrême Contemporain », 2009.

9 Voir en particulier Rancière Jacques, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000 et Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008.

10 Pour une histoire des rapports entre théâtre et politique, on pourra consulter Plana Muriel, Théâtre et politique. Modèles et concepts, Paris, Orizons, coll. « Universités/Comparaisons », 2015.

11 Badiou Alain, Éloge du théâtre, op. cit., p. 81 : « Le théâtre appartient, dans mon jargon, à la procédure de vérité artistique, distincte dans son essence même de la procédure politique, et avant même de se prononcer, dans telle ou telle conjoncture, sur les liens possibles entre ces deux procédures, il faut affirmer leur différence. »

12 Dans « L’Exhibition des mots. Une idée (politique) du théâtre », un texte de 1992, Denis Guénoun propose le raisonnement suivant : « Le théâtre veut un public, collectif, effectivement réuni. C’est le mode, déterminé, de sa présentation. » Il ajoute plus loin que « la convocation, par appel public, et la tenue d’un rassemblement, quel qu’en soit l’objet, est un acte politique », pour en conclure l’idée suivante : « Le théâtre est donc une activité intrinsèquement politique » (Guénoun Denis, L’Exhibition des mots et autres idées du théâtre et de la philosophie, Belfort, Circé, 1998).

13 Jacques Rancière critique cette pétition de principe d’après laquelle le théâtre est d’essence communautaire « [p]arce que des corps vivants sur scène s’adressent à des corps réunis dans le même lieu » et propose d’aller voir de plus près l’expérience des spectateurs. Il observe que « dans un théâtre […] il n’y a jamais que des individus qui tracent leur propre chemin dans la forêt des choses, des actes et des signes qui leur font face ou qui les entourent » (Rancière Jacques, Le Spectateur émancipé, op. cit., p. 22-23).

14 Le dissensus chez Rancière n’est pas synonyme de confrontation d’idées, il est « conflit de plusieurs régimes de sensorialités ». D’après le philosophe, « si l’expérience esthétique touche à la politique, c’est parce qu’elle se définit aussi comme expérience du dissensus » (ibid., p. 66-67).

15 Pour des précisions sur les activités et l’équipe du LAPS, on pourra consulter son site : [www.labo-laps.com].

16 Flore Garcin-Marrou a soutenu une thèse de littérature française en 2011 intitulée Gilles Deleuze, Félix Guattari : entre théâtre et philosophie, dir. Denis Guénoun, université Paris 4 – Sorbonne. Elle est maîtresse de conférences à l’université Toulouse-Le Mirail.

17 Doutey Nicolas, « “Une abstraction qui marche”. Deux hypothèses de conception de la scène », in Michel Deguy, Thomas Dommange, Nicolas Doutey, Denis Guénoun, Esa Kirkkopelto et Shirin Nowrousian, Philosophie de la scène, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2010, p. 51-69.

18 Pour quelques éléments de réponse sur ce retard, voir Abiteboul Olivier, Diagonales. Essai sur le théâtre et la philosophie, Avignon, Presses universitaires d’Avignon, coll. « Arias », 1997.

19 Badiou Alain, « Un entretien avec Alain Badiou : théâtre et philosophie, un vieux couple antagoniste et complice », Inferno, Art attitudes, [www.inferno-magazine.com], consulté le 1er septembre 2016.

20 L’objet de la Poétique, la tragédie, est principalement envisagé comme un art de l’écriture par Aristote. Pour autant, ce dernier est beaucoup plus ambivalent que ce que Florence Dupont a pu en dire sur la place à accorder à l’opsis, c’est-à-dire au spectacle ou à la représentation théâtrale. D’après Florence Dupont, Aristote est à l’origine d’une conception du théâtre dominante où la raison narrative l’emporte sur la raison spectaculaire, conception qui occulte d’autres formes de théâtre où le jeu d’acteur est pris dans une interaction avec le spectateur et détaché de tout texte préalable. Parmi ses arguments, Florence Dupont avance que le processus d’écriture ne se réalise pas dans l’objectif d’un spectacle et que « le muthos tragique n’a pas de valeur performative » selon Aristote. En réalité, ce dernier ne fait pas l’économie du spectaculaire dans l’acte poétique : il en est au contraire un préalable et une finalité. C’est ainsi que l’on pourra lire dans la Poétique : « Quant au spectacle, qui exerce la plus grande séduction, il est totalement étranger à l’art et n’a rien à voir avec la poétique » (chap. vi, 50b15), aussi bien que : « puisque ce sont les personnages en action qui font la représentation (mimèsis), nécessairement on aurait d’abord comme élément de la tragédie l’organisation du spectacle » (chap. vi, 49b31-33), ou « le spectacle implique tout » (chap. vi, 50a13), ou encore : « Pour composer les histoires et, par l’expression, leur donner leur forme achevée, il faut se mettre au maximum la scène sous les yeux » (chap. xvii, 55a22- 26). Aristote, La Poétique, traduite, introduite et annotée par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Seuil, 1980 et Dupont Florence, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, Paris, Flammarion, 2007, p. 43.

21 Aristote, ibid., chap. i, 47a13.

22 Ibid., chap. ii, 48a1-10.

23 Ibid., chap. ii, p. 156, note 1, souligné par les traducteurs.

24 Ibid., p. 20.

25 Ricœur Paul, Temps et récit, Paris, Seuil, 1983, p. 58.

26 Guénoun Denis, Le théâtre est-il nécessaire ?, Belfort, Circé, 1997, p. 17.

27 Ibid., p. 20, note 16.

28 Ibid., p. 21.

29 J’utiliserai dans ce travail le terme de création en un sens faible et non en un sens théologique. Cet usage s’apparente à l’invention, invention qui n’est pas libérée de tout rapport à la tradition mais au contraire la comprend, que ce soit en s’y opposant radicalement, en la transformant, en s’y inscrivant ou en déployant ses potentialités.

30 Dommange Thomas, « Présence et représentation dans la philosophie du théâtre d’Henri Gouhier », L’annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, n° 40, 2006, p. 158-168.

31 Dommange Thomas, « Du salut qui vient par la scène », in Denis Guénoun (dir.), Philosophie de la scène, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2010, p. 27-48, p. 32.

32 Dommange Thomas, « Présence et représentation dans la philosophie du théâtre d’Henri Gouhier », art. cité.

33 J’utilise ici le concept de performance dans son sens large. C’est à « une définition neutre de la performance et de performer [que nous nous en remettons] : ne pas seulement faire, mais montrer qu’on fait, se placer dans un lieu qui convie d’emblée les partenaires de la relation de communication à s’intégrer dans un système d’interaction spécifique qui consiste d’abord à regarder et entendre les activités qu’on montre qu’on fait ». Dans cette perspective, il conviendra de ne pas la confondre avec une autre forme de performance dans son sens cette fois spécifique où les performers agissent de façon auto-référentielle comme cela est le cas par exemple de certains happenings. Biet Christian et Triau Christophe, Qu’est-ce que le théâtre ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2005, p. 66-67.

34 Cometti Jean-Pierre, Arts et facteurs d’art. Ontologies friables, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Æsthetica », 2012, p. 35.

35 Plutôt que de parler d’« art sans œuvre » à propos de la danse, Frédéric Pouillaude préfère l’expression de « désœuvrement chorégraphique » pour désigner son mode d’être. Selon l’auteur, la danse « consiste en une certaine mise en forme de la dissipation », en cela elle travaille sa propre condition d’impossibilité (Pouillaude Frédéric, Le Désœuvrement chorégraphique. Étude sur la notion d’œuvre en danse, Paris, Vrin, coll. « Essais d’art et de philosophie », 2009, p. 36, souligné par l’auteur).

36 Nous devons la notion d’« absence d’œuvre » à Maurice Blanchot parlant de l’écriture en littérature, en particulier dans L’entretien infini, au chapitre intitulé « L’absence de livre » (Blanchot Maurice, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 622).

37 Michaud Yves, L’Art à l’état gazeux. Essai sur le triomphe de l’esthétique, Paris, Stock, 2003, p. 11.

38 Une œuvre autographique existe sous la forme d’un objet unique qui ne peut pas être répliqué sans perdre son authenticité tandis qu’une œuvre allographique admet une multiplicité d’instanciation sans perdre de sa valeur. Voir Goodman Nelson, Langages de l’art, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2011 (1968) et Heinich Nathalie, Le Paradigme de l’art contemporain. Structures d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, 2014, note 2 de la p. 107 et p. 108.

39 Selon Jean-Pierre Cometti, « [p]lus on détache son regard des objets pour s’intéresser à leur fonctionnement, plus on les réinscrit dans un champ d’interaction et de réception, plus on en vient à se convaincre de la précarité de l’ontologie, sauf à l’étendre aux aléas et aux surprises de l’éphémère » (Cometti Jean-Pierre, Arts et facteurs d’art, op. cit., p. 69). Sur ce concept d’ontologie éphémère chez Cometti, on pourra également se reporter aux notes 1 de la page 69, 4 de la page 140 et 21 de la page 186 du même ouvrage.

40 Roger Pouivet opère une distinction entre « l’ontologie A » et « l’ontologie B ». La première s’interroge sur l’existence et la nature d’une chose, ce qui engage des questions sur les propriétés de cette chose ; la seconde s’intéresse aux modes d’existence pluriels des objets (Pouivet Roger, « L’ontologie de régime de Gérard Genette », Aisthesis. Pratiche, lingguaggi e saperi dell’esthetico, n° 1, vol. 4, mai 2012, consulté le 5 septembre 2016).

41 Massin Marianne, Expérience esthétique et art contemporain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Æsthetica », 2013, p. 10.

42 Baldine Saint Girons a souligné les dimensions mobilisatrice et active de l’expérience esthétique en forgeant le concept d’acte esthétique et en en décrivant les caractéristiques (Saint Girons Baldine, L’Acte esthétique, Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions », 2008). Richard Shusterman entend « promouvoir une analyse nouvelle de l’expérience esthétique » dans son ouvrage La Fin de l’expérience esthétique, qui articule le pragmatisme d’un John Dewey et la théorie critique d’un Walter Benjamin, « susceptible de se révéler plus utile et plus solide, parce que plus sensible aux conditions actuelles de l’évolution artistique et culturelle » (Shusterman Richard, La Fin de l’expérience esthétique, trad. Jean-Pierre Cometti, Fabienne Gaspari, Anne Combarnous, Pau, Presses universitaires de Pau, 1999, p. 12). Pour davantage de références sur ces questions et leurs orientations, voir l’introduction d’Expérience esthétique et art contemporain de Marianne Massin, op. cit..

43 Sur les rapports entre écriture et mise en scène contemporaines, on pourra se reporter à : Pavis Patrice, La Mise en scène contemporaine, origines, tendances, perspectives, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2011.

44 Le théâtre bourgeois, le théâtre naturaliste et le théâtre de distraction existent toujours.

45 Heinich Nathalie, Le Paradigme de l’art contemporain, loc. cit.

46 Le relevé de ces trois caractéristiques s’appuie notamment sur un article de Marie-Christine Lesage (Lesage Marie-Christine, « Théâtre et intermédialité : des œuvres scéniques protéiformes », Communications, n° 83, 2008/2, p. 141-155).

47 Dramaturge du xixe, Henry Becque note : « Le vrai théâtre est un théâtre de bibliothèque » (Becque Henry, Œuvres complètes, Paris, Crès, t. VII, 1928, Notes d’album, p. 118). Cité par Gouhier Henri, L’Essence du théâtre, Paris, Vrin, 2002 (1943), p. 25.

48 Pierre Brisson a été critique dramatique et directeur du Figaro dans les années 1930. Sa posture consistant à réduire le théâtre à la littérature est notamment rapportée par Michel Corvin (Corvin Michel, « Pour une réception “musicale” du théâtre contemporain », Communications, n° 83, 2008/2, p. 123-130).

49 Le « Cartel des Quatre » est une association d’hommes de théâtre qui a vu le jour le 6 juillet 1927 positionnée contre un théâtre mercantile et de boulevard, et en faveur d’un théâtre d’avant-garde libéré des injonctions du profit. Le Cartel rassemble Louis Jouvet (1891-1951), Charles Dullin (1885-1949), Georges Pitoëff (1884-1939) et Gaston Baty (1885-1952). Tous soutiennent, avec des divergences de points de vue, un théâtre de texte au sens où sa mise en scène viendrait en accomplir l’écriture. Le Cartel s’inscrit lui-même dans la continuité de l’Appel du Vieux Colombier de 1913 et de la conception de la mise en scène comme interprétation d’André Antoine. L’Appel du Vieux Colombier, tout en dénonçant le théâtre commercial, invite les spectateurs à participer et à soutenir un théâtre du renouveau sous l’impulsion de Jacques Copeau (1879-1949). À cet Appel s’ajoutera un manifeste écrit par Copeau qui signe la naissance du Théâtre du Vieux Colombier et en annonce le programme, les valeurs et les principes. Louis Jouvet et Charles Dullin feront partie de l’aventure (Copeau Jacques, « Un Essai de Rénovation dramatique : le théâtre du Vieux Colombier », Nouvelle Revue Française, Gallimard, 1913, p. 337-353).

50 Marianne Massin s’explique sur le sens et l’usage de ce terme de la manière suivante : « On emploie le terme dans son acception chimique pour désigner la possibilité de receler des particules en suspension qui brouillent et troublent la transparence et l’identification » (Massin Marianne, « Les vertus de l’impureté », in Christine Février, Pierre-Henry Frangne et Arnaud Guilloux (dir.), Revue Atala, Cultures et sciences humaines, n° 16 : « Sensibiliser à l’art contemporain ? », Rennes, lycée Chateaubriand, 2013, p. 31-42.

51 Voir Heinich Nathalie, L’Art contemporain exposé aux rejets. Études de cas, Paris, Arthème Fayard, coll. « Pluriel », 2012 (1997).

52 Cette question traverse tous les arts contemporains, notamment après le constat d’une « dé-définition » de l’art due à une impossibilité de trouver des critères permettant d’identifier et de distinguer ce qui relève de l’art de ce qui n’en relève pas. Voir Rosenberg Harold, La Dé-définition de l’art, trad. Christian Bounay, Nîmes, Jacqueline Chambon, coll. « Rayon Art », 1992 (1972). Les articles rassemblés dans cet ouvrage ont été publiés dans la revue The New Yorker entre 1969 et 1972.

53 Tackels Bruno, « Théâtre, technique, “nouvelles technologies” », entretien par Jean-Marc Lachaud, in Jean-Marc Lachaud et Olivier Lussac (dir.), Arts et nouvelles technologies, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 93-96.

54 Pavis Patrice, « Les écritures dramatiques contemporaines et les nouvelles technologies », in Jean-Marc Lachaud et Olivier Lussac (dir.), Arts et nouvelles technologies, op. cit., p. 97-115.

55 La crise de la représentation est un phénomène qui a touché l’ensemble des arts. Elle est d’autant plus problématique au théâtre qui est compris comme lieu d’une triple représentation : celle du texte, celle de la scène représentant le texte, celle des agents se représentant la scène. Cette crise s’est exprimée dans la volonté de certains artistes de réduire tout effet de distance dans la production et la réception, d’annuler tout écart avec le réel dans l’actualisation de la scène, rapprochant ainsi le théâtre de l’art de la performance ou du happening, enfin de renoncer au principe de la mimèsis comme muthos, comme « mise en intrigue » (Ricœur Paul, Temps et récit, op. cit., p. 57, note 2). Il est possible de voir dans la figure d’Antonin Artaud un des initiateurs de ce mouvement, qui voulait faire de la scène un espace pour l’événement à part entière. L’action au théâtre se veut alors auto-référentielle et se déroule dans un ici et maintenant séparé d’une conception de la temporalité classique. Cette crise de la représentation comprise en ce sens a conduit à la mise en question de distinctions classiques entre espace scénique et espace dramatique, entre personnage et acteur, entre salle et scène. La crise de la mise en scène accompagne ainsi logiquement la crise de la représentation, dans la mesure où elle est comprise comme passage à la scène d’un texte ou d’un montage de textes, ce qui suppose un travail sur les « conditions de visibilité du théâtre » (décors, lumières, jeu d’acteur, musique, déplacements, etc.) et une herméneutique du texte monté.

56 Autour de cette question des échanges internationaux ou européens, on pourra se reporter à Autissier Anne-Marie, Europe et culture, un couple à réinventer ? Essai sur 40 ans de coopération culturelle européenne, Toulouse, Éd. de l’Attribut, 2016 ou encore Autissier Anne-Marie, avec Ennafaa Ridha et Nunes Geraldo (dir.), France-Brésil. Échanges intellectuels et artistiques. Repères historiques et prospectifs, Saint-Denis, Le fil d’Ariane, université Paris 8 (Institut d’études européennes), 2013.

57 Michel Corvin, par exemple, fait de cette musicalité une des spécificités du théâtre (Corvin Michel, « Pour une réception “musicale” du théâtre contemporain », art. cité).

58 Py Olivier, « Avignon se débat entre les images et les mots », Le Monde, 29 septembre 2005.

59 Kant Emmanuel, Critique de la faculté de juger, éd. Ferdinand Alquié, trad. Alexandre J.-L. Delamarre, Jean-René Ladmiral, Marc B. de Launay, Jean-Marie Vaysse, Luc Ferry et Heinz Wismann, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1985 (1970).

60 De ce point de vue, l’analyse de Carole Talon-Hugon entre en écho avec les raisons de Christophe Bident de prendre quelques distances par rapport au débat qui animait la presse dans les années 2005-2006 pour orienter la réflexion vers la relation spectateur/scène (Bident Christophe, « Danse, performance, violence, non-sens… le vrai-faux débat du festival d’Avignon », La pensée du midi, n° 17, 2006/1, p. 150-152).

61 Talon-Hugon Carole, Avignon 2005. Le Conflit des héritages, Paris, Broché, coll. « Hors-série », n° 16, juin 2006, p. 8.

62 Lehmann Hans-Thies, Le Théâtre postdramatique, trad. Philippe-Henri Ledru, Paris, L’Arche, 2002 (1999).

63 Lehmann s’est appuyé sur les analyses de Peter Szondi figurant dans Théorie du drame moderne publié en Allemagne en 1956. Dans cet ouvrage, Szondi décrit les transformations du drame à la fin du xixe dues notamment à l’introduction d’éléments épiques, alors que les conceptions du drame traditionnelles entées sur celles d’Aristote posaient la séparation du tragique et de l’épique. Ces éléments nouveaux viendront casser la linéarité et l’unicité du muthos (Szondi Peter, Théorie du drame moderne, Belval, Circé, coll. « Penser le théâtre », 2006 [1956]).

64 Aristote, op. cit., chap. vi, 50a38.

65 Guénoun Denis, Actions et acteurs. Raison du drame sur scène, Paris, Belin, 2005, p. 92.

66 Didier Plassard, par exemple, souligne les intérêts d’une telle notion, en disant qu’« elle propose une grille d’analyse permettant de penser ensemble les expérimentations conduites, depuis les dernières décennies du xxe siècle, tant du côté de l’écriture théâtrale que de celui des pratiques scéniques ». Elle « donne à lire les mutations apparues depuis la fin des années 1960 » et « offr[e] une plus grande hauteur de vue », trouvant ainsi sa valeur heuristique supérieure à celle de la notion de « postmodernisme » dont il souligne les échecs, sans tout à fait cependant en préciser la nature dans le cadre de cet article (Plassard Didier, « Le postdramatique, c’est-à-dire l’abstraction », Prospero European Review, [http://www.t-n-b.fr/en/prospero/european-review]).

67 D’après Jean-Pierre Sarrazac, le drame, s’il est bien en crise depuis la fin du xixe siècle, n’est pas mort, comme l’annonce Lehmann, mais évolue sous un nouveau paradigme, qui n’est plus celui du « drame-dans-la-vie », c’est-à-dire d’un conflit entre personnages mettant en jeu l’épisode d’une vie, mais celui du « drame-de-la-vie », c’est-à-dire d’un « drame à rebours » où l’on revient sur le cours d’une existence : « La nouvelle action dramatique apparaît comme une action morcelée couvrant toute une vie – voire la chronique d’une vie, souvent très quotidienne – à contre sens, à contre-vie. » De ce point de vue, la catégorie de « post-dramatique » ne fait pas sens selon l’auteur. Sarrazac Jean-Pierre, « Du drame-de-la-vie/Pulsion rhapsodique et débordement », Cadernos de Literatura comparada, n° 22/23, 2010, p. 13-29. Pour une description approfondie de ce qu’entend Sarrazac par « drame-de-la-vie », on pourra se reporter au livre suivant : Sarrazac Jean-Pierre, Poétique du drame moderne, Paris, Seuil, coll. « Poétiques », 2012. La critique de Christophe Bident portera davantage sur les aspects flous des analyses et de la catégorie de « postdramatique » ainsi que sur son étendue, Lehmann voulant l’appliquer à « toute la mise en scène occidentale ». Bident Christophe, « Et le théâtre devint postdramatique – Histoire d’une illusion », Théâtre/ Public, n° 194, Gennevilliers, septembre 2009, p. 76-82.

68 Sarrazac Jean-Pierre, « Du drame-de-la-vie/Pulsion rhapsodique et débordement », art. cité.

69 Sarrazac Jean-Pierre, L’Avenir du drame : écritures dramatiques contemporaines, Belfort, Circé, 1999, p. 197, souligné par l’auteur.

70 Bident Christophe, « Et le théâtre devint postdramatique », art. cité.

71 Ces termes sont tirés d’une citation de Lyotard dans Le Postmoderne expliqué aux enfants, (Paris, Galilée, 1986, p. 17) sur laquelle s’appuie Christophe Bident pour montrer les points de concordance entre l’art postmoderne et les mises en scène contemporaines (Bident Christophe, « Et le théâtre devint postdramatique », art. cité).

72 Ibid.

73 Rykner Arnaud, « Dispositif », Les Mots du théâtre, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2010, p. 36-42.

74 Les sciences cognitives « regroupent aussi bien les neurosciences que les recherches sur ce que l’on nommait naguère l’intelligence artificielle, s’intéressent au cerveau, à son organisation, à l’appareillage fixe qui sert de support matériel à la pensée, qu’il s’agisse dans un cas de l’organe lui-même, ou dans l’autre d’établir un modèle abstrait de fonctionnement cérébral » (Chouvel Jean-Marc et Hascher Xavier, Esthétique et cognition, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, p. 8).

75 Vidal Fernando, « La neuroesthétique, un esthétisme scientiste », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 25, 2011/2, p. 239-264, souligné par l’auteur.

76 Zeki Semir, Inner Vision : An Exploration of Art and the Brain, Oxford, Oxford University Press, 1999. Avec cet ouvrage, Zeki a donné naissance à la neuroesthétique.

77 Edmond Couchot est artiste et ancien directeur du département Arts et Technologies de l’image de l’université Paris 8, qu’il a cofondé en 1982. Ces recherches artistiques et scientifiques articulent art et sciences cognitives selon l’hypothèse de l’existence d’une neuroesthétique.

78 Hsu Li-Hsiang, Le Visible et l’expression : étude sur la relation intersubjective entre perception visuelle, sentiment esthétique et forme picturale, thèse de doctorat, dir. Jean-Marie Schaeffer, Paris, EHESS, 2009.

79 Cf. Damasio Antonio, Le Sentiment même de soi : corps, émotion, conscience, trad. Claire Larsonneur et Claudine Tiercelin, Paris, Odile Jacob, coll. « Sciences », 1999.

80 Hsu Li-Hsiang, Le Visible et l’expression, op. cit.

81 Mortu Ancuta-Marina, De la cognition esthétique à l’esthétique cognitive : une étude généalogique, thèse d’esthétique, dir. Jean-Marie Schaeffer, Paris, EHESS, 2015.

82 Bressan Yannick, Du principe d’adhésion au théâtre : approche historique et phénoménologique, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2011.

83 Vidal Fernando, « La neuroesthétique, un esthétisme scientiste », art. cité.

84 Genette Gérard, L’Œuvre de l’art, t. II : La Relation esthétique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1997, p. 18.

85 Talon-Hugon Carole, « La dimension affective du sentir dans l’expérience esthétique », Philosophie, en ligne, 2/1999, consulté le 1er septembre 2016.

86 Marcel Mauss l’a montré de façon convaincante dans Sociologie et anthropologie (Mauss Marcel, Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1999 [1950]).

87 Romano Claude, Au cœur de la raison, la phénoménologie, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2010, p. 41.

88 Ibid., p. 42.

89 Dupont Pascal, « Autour de la phénoménologie de la perception », intervention prononcée dans le cadre de la formation continue de l’Académie de Créteil, Philospsis éditions numériques, 2007, [http://philopsis.fr], p. 19.

90 Romano Claude, L’Événement et le Monde, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Épiméthée », 1998, p. 69.

91 Shusterman Richard, « La Soma-esthétique de Merleau-Ponty », Critique d’art, n° 37, printemps 2011, mis en ligne le 14 février 2012, [http://critiquedart.revues.org/1296].

92 Cette idée permettra à Shusterman d’introduire la culture populaire et en particulier le rap dans le champ de la réflexion esthétique (ibid.).

93 Pierre-Henry Frangne décrit ce que symbolise l’arabesque de la manière suivante : « L’arabesque dit d’un coup la réflexivité de l’œuvre qui se montre comme artifice et décor, et qui se scinde et s’enveloppe elle-même dans un miroir vivant où elle se plie, se meut, se fixe tout à la fois. Opposée à l’extériorité et à l’exigence d’imitation, l’arabesque dessine un espace creux et suggère les opérations ou les vibrations de l’imagination, du rêve et du désir. Enfin, elle montre la pensée et l’œuvre comme ce mouvement oblique qui s’élève et qui chute, qui s’élève dans la chute au sein d’une évanescence indéfinie, sentie, finalement, comme le fond du monde » (Frangne Pierre-Henry, La Négation à l’œuvre. La Philosophie symboliste de l’art [1860-1905], Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Æsthetica », 2009, p. 147-163).

94 Ces trois principes sont l’artificialisme, l’expressionnisme et l’idéalisme, que l’auteur définit en conclusion de son article. Frangne Pierre-Henry, « Du symbolisme de l’arabesque à l’arabesque du symbolisme : remarques sur la musicalité de l’arabesque », Musurgia. Analyse et pratique musicales, n° 2, vol. 17, 2010, p. 7-20.

95 Ibid.

96 De nombreux entretiens ont été réalisés à l’École supérieure d’art dramatique du Théâtre national de Bretagne, avec des élèves et des intervenants (Éric Didry, Laurent Sauvage, Blandine Savetier, etc.). D’autres ont eu lieu dans le cadre du projet de La Fabrique du spectacle consacré au suivi du processus de création de Living ! mis en scène par Stanislas Nordey (2012). Ce projet était dirigé par le Laboratoire Théâtre de l’université de Rennes 2. Il a consisté en la collecte de documents vidéo et audio autour du spectacle Living ! : entretiens avec l’équipe de création et l’équipe technique, captations de temps de répétition, de filages et de la générale. Ces documents sont consultables sur le site [www.fabrique-du-spectacle.fr]. J’ai eu de nombreuses autres conversations plus informelles avec des gens de théâtre : Simon Gauchet, Marie Favre, Marie Lelardoux, Carol Paimpol. Mais le fil rouge de toutes ces paroles recueillies et écoutées se situe sans aucun doute dans la présence de Claire-Ingrid Cottanceau. Elle m’a accordé de nombreux entretiens et m’a beaucoup appris sur le théâtre se faisant.

97 Simon Gauchet est un jeune metteur en scène rennais. Il a suivi la formation d’acteur de l’école d’art dramatique du Théâtre national de Bretagne de 2009 à 2012.

98 Ce découpage en trois générations de l’histoire de la mise en scène moderne et contemporaine a été proposé par Bernard Dort dans un article intitulé « Deux metteurs en scène de la troisième génération : Castri et Gosch », L’Art du théâtre, Actes Sud/Théâtre national de Chaillot, n° 2, automne 1985-hiver 1986. Il est convoqué par Christophe Triau dans son article « La conscience du temps. Éléments de mise en perspective de la scène contemporaine », Communications, n° 83, 2008/2, p. 157-167. La première génération explique Triau part de Jouvet et du Cartel à Strehler et revendique à la fois l’autonomie de la mise en scène et la primauté du texte. La deuxième génération naît vers les années 1960 avec les propositions de Roger Planchon, Patrice Chéreau, Ariane Mnouchkine. Elle assume l’autonomie gagnée de la mise en scène et met l’accent sur ses pouvoirs politiques et sociaux. La troisième génération, née dans les années 1990, met en question et inquiète à la fois ce statut de la mise en scène et doute de son effectivité.

99 C’est l’expression qu’utilisent Christian Biet et Christophe Triau pour parler des questions de ces artistes des années 1990 à nos jours (Biet Christian et Triau Christophe, Qu’est-ce que le théâtre ?, op. cit., p. 641).

100 Wittgenstein Ludwig, Recherches philosophiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 2005 (1953), § 66.

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