Chapitre VI. La génération musicale
p. 163-182
Texte intégral
1Davantage que la plupart des arts, la musique pâtit du traitement dont elle fait l’objet. Les difficultés à saisir le fonctionnement d’un art dont les matériaux sonores sont intangibles, fuyants et éphémères, sont redoublées par la tendance courante à employer des métaphores appartenant au domaine physique concret, ou autrement étrangères à elle, lorsqu’il s’agit de rendre compte des activités de création et d’appréciation musicales. Il est courant d’entendre même des musiciens parler de « construire » une composition, comme si la musique était un objet qui devait être structuré par l’assemblage de tons, d’accords ou d’éléments mélodiques, agencé en un ordre acceptable, conformément à des schémas métriques et formels établis. Le terme même de « composition » pour évoquer la création musicale suggère cette même présupposition mythique selon laquelle l’œuvre musicale serait une chose, une pièce produite par l’assemblage de matériaux préexistants. Si le processus de création artistique est difficile à comprendre de manière générale, il est encore plus abscons lorsqu’il s’agit de musique.
2Il est tentant de parodier ce préjugé constructiviste avec un trope qui condamnerait cette opinion en affirmant son contraire, et de parler alors de la création musicale comme d’une « dé-composition ». Cette image rappelle l’humour noir du grand iconoclaste Baudelaire qui, dans une vision de son amour futur, compare le devenir de sa bien-aimée à la carcasse d’un chien en décomposition1. L’examen qui suit de la création musicale paraîtra presque aussi choquant aux yeux des conformistes de l’esthétique que la chanson du poète à ceux de l’amour ; aussi permettez-moi de mettre un terme à cette comparaison et de proposer, non pas un renoncement romantique à l’amour, mais, en filant la métaphore biologique du poème, une affirmation romantique de l’art. Quoi qu’il en soit, ce qui m’intéresse ici n’est pas la dégénérescence organique, mais la génération artistique, et j’essaierai de montrer que dans le cas de la musique comme, mutatis mutandis, des autres arts, certaines opinions communément admises concernant le processus créatif portent à confusion, d’autant qu’elles sont elles-mêmes confuses. Plus positivement, émergera une autre conception permettant peut-être de mieux appréhender la nature de la création musicale et, par extension, celle de l’exécution et de l’appréciation de la musique, en la considérant comme un processus d’engagement esthétique d’une spontanéité et d’une intimité exemplaires.
3La manière dont la musique se crée laisse souvent perplexe le non-musicien, probablement parce que ses matériaux et les procédés de sa mise en forme paraissent très différents de ceux que l’on trouve dans les autres arts. Ils semblent par ailleurs n’avoir que peu de lien direct avec nos activités et expériences en dehors de cet art, qui nous sont bien plus familières et faciles. C’est pourquoi le défi de l’agencement de ses matériaux sonores semble incompréhensiblement étrange. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la musique classique occidentale traditionnelle est souvent considérée comme le plus abstrait des arts : elle est rarement directement inspirée des sonorités du monde extérieur à la salle de concert, et elle ne revêt généralement pas non plus les formes fragmentaires et illimitées sous lesquelles ces sonorités apparaissent. Même quand la musique est combinée avec le théâtre, comme dans l’opéra, avec la poésie, comme dans la chanson, avec la rhétorique, dans la déclamation musicale, ou avec l’environnement, dans la musique concrète, elle ne paraît posséder en aucune manière le caractère référentiel que le langage semble avoir dans la littérature. La musique ne comporte pas non plus les images et les formes du monde que la peinture et la sculpture, jusqu’à peu, donnaient à voir clairement, et auxquelles, même dans les cas les plus abstraits, elles restent toujours connectées. La musique ne se façonne pas à partir des conditions sociales de l’action et de la réflexion humaines, comme c’est le cas pour la narration littéraire ; elle ne peut pas davantage s’appuyer sur le support stabilisant d’une structure ou d’une fonction, éléments inhérents à l’architecture à laquelle Goethe et Schopenhauer l’ont comparée par le passé2.
4Il est vrai que les théoriciens ont parfois affirmé que la musique reflétait les qualités et les formes dynamiques des états émotionnels, ou qu’elle en était l’incarnation. L’histoire, respectable, de cette idée remonte à la philosophie classique. Elle est réapparue dans certaines théories aux xvie et xviie siècles, a émergé comme un courant à part entière dans l’Affektenlehre ou « théorie des affects » de l’Allemagne du xviiie siècle, et s’est perpétuée au xxe à travers la théorie de Langer, selon laquelle les arts symbolisent les sentiments. L’idée conserve une certaine popularité et reste l’un des truismes esthétiques qui prêtent à discussion. Pourtant cette corrélation nécessite une théorie développée pour être prise au sérieux, et de telles propositions n’ont en aucun cas été entièrement convaincantes. Au-delà de la banale mise en relation de la musique avec les sentiments, association dont résulte relativement peu d’intelligibilité et qui met à égalité l’intangibilité de l’une avec l’indétermination des autres, la musique reste peut-être le plus mystérieux des arts majeurs, une merveille de la création, fascinante et pourtant incompréhensible. Et l’on trouvera sûrement l’occasion de méditer et de rediriger notre pensée dans cette remarque de Schoenberg : « [d’]un point de vue purement esthétique, la musique n’exprime rien d’extra-musical3 ».
5Voilà donc le labeur particulier et la gloire du compositeur : parce qu’il invente et ordonne des sons qui n’ont pas de lien direct avec le monde extérieur et ne répondent à aucun besoin fondamental, il devient un rival prométhéen du monopole divin sur la création originale. Avec pour point de départ apparent rien de plus qu’une histoire de pratiques et de techniques autonomes, le compositeur fait exister quelque chose là où rien n’existait auparavant.
6Pourtant, si la musique est abstraite et mystérieuse, elle est aussi concrète, car elle utilise les qualités les plus directes de l’expérience auditive. Ces qualités ont souvent été spécifiées par les termes de ton, de hauteur, de timbre, de durée, d’intensité, de volume, de rythme, de mesure, de tempo, etc. Combinées dans une œuvre musicale, ces qualités immédiatement perceptibles rendent la musique instantanément accessible. Il n’y a besoin d’aucun intermédiaire pour accéder à ces expériences perceptuelles que nous pouvons appréhender dans leur soudaineté saisissante et dont la force ne nécessite aucune explication, même s’il est souvent tentant d’en chercher une.
7Les complications et les défis de la composition musicale résident dans l’arrangement de ces qualités auditives, et bien des propositions concernant ce processus ont été faites et réfutées. Certains ont essayé de caractériser les résultats d’un tel agencement en des termes très généraux. C’est à Hanslick que revient l’expression classique de la position formaliste : tönend bewegte Formen – qui peut être traduite de différentes manières, comme « son et mouvement », « formes mouvant selon un système tonal », ou « formes en mouvement tonal », mais qui peut être comprise, au plus près de la dernière proposition, et de façon moins catégorique, comme « formes de tonalités en mouvement4 ». C’est une position qui trouve un écho dans l’observation de Stravinsky selon laquelle « le phénomène musical est un phénomène de spéculation [qui vise] les éléments du son et du temps5 », comme dans l’affirmation de Langer qui dit de l’essence de la musique qu’elle est « la création du temps virtuel et sa détermination complète par le mouvement de formes perceptibles6 ». Reste que ces caractérisations très générales, louables parce que plus littérales que les autres, semblent de peu de secours pour rendre compte des manières par lesquelles, à partir de ces matériaux de base, la musique prend la forme d’œuvres individuelles.
8Des systèmes spécifiques de règles sont parfois invoqués, le plus célèbre étant sûrement la technique sérielle de Schoenberg. Toutefois, à l’exception de ses manifestations post-weberniennes les plus cabalistiques et atténuées, si la série dans cette acception détermine un agencement de douze notes plus ou moins comparable à un mode ou à une gamme – sauf que la séquence des tons est obligatoirement reprise une fois la série déterminée –, aucune des notes ne doit être répétée. Un grand éventail de possibilités s’offre dès lors à la liberté individuelle du compositeur, ce qui a produit des résultats aussi variés que le Concerto pour violon de Schoenberg, le Lulu de Berg ou la Symphonie, Op. 21, de Webern, pour ne citer qu’eux. Des règles plus détaillées concernant l’écriture de la musique ont été proposées, depuis la codification de la pratique du contrepoint par Fux et la théorisation par Rameau de la notion d’accord parfait et des harmonies ternaires à ordonner, toutes deux du début du xviiie siècle, jusqu’à la classification précise par Goetschius des formes musicales homophoniques et contrapuntiques au tournant du xxe, en passant par les tentatives périodiques de spécification de règles pour l’harmonie à quatre voix. À l’exception de la composition sérielle, ces systèmes de règles ont en fait découlé de la pratique plutôt qu’elles ne l’ont prescrite, et cela a conduit au maintien de conventions inintéressantes du fait que les pratiques qu’elles codifiaient ne pouvaient plus être spontanées ou imprévisibles. Le compositeur qui ne reprend pas le travail des autres est susceptible de suivre, consciemment ou non, ce conseil de l’un de ses confrères : « le compositeur moderne ne devrait connaître aucune règle de composition, mises à part quelques vagues généralités ». Ceci n’est pas un rejet romantique de l’ordre, ou autre expression iconoclaste de l’époque contemporaine, puisque l’auteur en est Benedetto Marcello, un compositeur du début du xviiie siècle dont l’œuvre reflétait plus que celle de tout autre musicien de l’époque les conventions du baroque7. Mises à part la perfection technique et la sensibilité auditive qui peuvent être acquises par la maîtrise d’une technique déjà figée, les règles ont bien peu à offrir, que ce soit du point de vue de la méthode ou de celui de l’explication de la création musicale.
9Il y a une autre conception, encore plus répandue, dont la simplicité et l’évidence sont tout aussi convaincantes pour le mélomane que pour le musicien. Celle-ci demande à considérer la composition musicale comme un processus de modelage de matériaux sonores selon les exigences d’une certaine forme musicale. Outre qu’une grande partie de la littérature musicale (classique, folklorique ou populaire) se conforme à une structure formelle facilement identifiable, ces formes fournissent aussi la plupart des dénominations qui jalonnent cette littérature. Chansons, ballades, fugues, canons, sonates, symphonies, rondos et variations offrent, simultanément, à la fois le titre et l’explication de la musique. Il est assez simple, et facile, de considérer qu’une forme musicale est en bien des points comme un moule qui donne forme à son contenu. Les sons se trouvent arrangés selon les contraintes imposées par une forme, et celle-ci guide le compositeur dans l’élaboration et la disposition des matériaux. Ces formes sont grossièrement analogues aux catégories kantiennes de l’entendement et s’avèrent fonctionner comme des déterminants a priori du contenu de la matière sonore qui, sans cet ordonnancement, serait tout aussi informe qu’incompréhensible. Même s’il est sage, pour ce qui est de la littérature et de la peinture, d’admettre l’argument selon lequel il vaut mieux éviter de séparer fond et forme, cette distinction paraît commode et séduisante dans le cas de la musique, et semble offrir une explication plausible du processus compositionnel. En effet, comme nous l’avons noté au départ, le mot « composer » lui-même signifie, d’un point de vue étymologique comme selon l’usage, « mettre ensemble », et suggère une activité de construction. Ainsi, usage, convention et intuition convergeraient ici.
10Comme façon de rendre compte de la manière dont les compositeurs écrivent effectivement leur musique, l’idée qu’ils façonnent les matériaux musicaux conformément aux modèles et contraintes d’une forme prédéterminée est sans nul doute vraie dans bien des cas. L’idée de production à partir de formules toutes faites a une longue histoire, plutôt assommante, autant pour les auditeurs que pour n’importe quel artiste à l’originalité limitée. Et bien que nous soyons enclins à admirer Bach pour ces merveilleuses dissonances, qui s’imposent comme des exceptions aux conventions de la conduite des voix, codifiées seulement après lui, et à louer Beethoven et Mahler pour leur audace à repousser les limites de la symphonie classique, il n’en reste pas moins vrai qu’une vaste littérature musicale semble plus ou moins se conformer à ces modèles désormais établis.
11Pour autant, certains problèmes persistent. Par exemple, les formes musicales ne sont pas des structures neutres qui peuvent être remplies de n’importe quelle matière sonore disponible. De même que, en dépit de Philip Johnson et du postmodernisme, il n’existera jamais de gratte-ciel de style colonial hollandais, de même, on ne peut pas avoir une symphonie classique monumentale. Quand Mozart s’en est approché, dans le Finale de la Symphonie Jupiter par exemple, il a dû faire éclater le cadre de l’allegro de la forme sonate pour l’adapter à son propre objectif, tout comme Beethoven l’a fait, pour les mêmes raisons, dans le premier mouvement de la Symphonie héroïque. Il ne peut y avoir de nature morte monochrome ou de sonnet épique pour la même raison que le sujet d’une fugue de Bach ne peut pas aisément servir de thème à une symphonie ou à une chanson en trois parties. C’est parce que la matière musicale impose ses contraintes au compositeur : elle requiert un traitement particulier et s’oppose à d’autres formes d’élaboration. Et quand le compositeur est poussé par la force de la convention plutôt que par la force des idées musicales, l’effort s’en ressent, comme lorsque Schubert bride son sens extraordinaire de la mélodie lyrique pour se couler dans des modèles inconfortables et maladroits sous la contrainte du développement expansif de la symphonie. Pour fonctionner dans une forme différente et inhabituelle, le caractère des idées musicales doit être modifié, comme lorsque le thème d’un mouvement de forme sonate est employé comme sujet d’un fugato. Mais l’inverse est également vrai, car si elle est menée à terme, l’idée change aussi la forme. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a bien une corrélation entre les matériaux et les formes musicales : les matériaux suggèrent une forme privilégiée, et la forme détermine le type de matériau le plus approprié. Mais cela fonde un équilibre précaire, probablement parce que les termes de l’équation ne sont pas les bons. En fait, et avant tout, parce qu’il n’y a pas d’équation.
12En effet, il y a plus de réponses à attendre que n’en peut fournir cette fausse proposition, pourtant commode. Les formes dont nous parlons n’apparaissent pas toutes faites : elles ont leur histoire. Différentes formes et différents matériaux font leur apparition dans la pratique musicale, et s’ensuit une altération de la sensibilité. Tout au long de l’histoire de cet art, il y a eu des évolutions du style mélodique, des arrangements différents de ligne et de texture, des structures harmoniques altérées et élargies, des sonorités et des effets nouveaux rendus possibles par les capacités techniques des instruments nouvellement inventés, comme le piano au xviiie siècle ou le synthétiseur au xxe, et aussi des changements majeurs dans les conditions sociales de l’expérience musicale, comme celui impliqué par les concerts publics. Ces développements nouveaux entraînent une extension des formes prédominantes : la forme binaire du baroque s’est élargie à l’allegro de la forme sonate, la symphonie classique a évolué vers la symphonie romantique, les hauteurs individuelles et les accords comme unités de l’ordre musical ont été remplacés par des modèles, des textures et des agglomérats sonores. N’est-il pas dès lors plus plausible de suggérer que ce sont les types de matériaux thématiques, harmoniques et de textures caractéristiques d’une période qui influencent et façonnent en effet les formes dominantes de l’époque ? En tout cas, les compositeurs de talent insufflent vitalité et nouveauté dans les conventions dont ils héritent, comme Bach, Brahms et Stravinsky l’ont fait. Souvent, ils développent et élargissent ces conventions, comme Haydn et Mozart, les distendent jusqu’à ce qu’elles en deviennent méconnaissables, comme cela s’est passé avec Bruckner, Mahler et Wagner, et se saisissent de nouveaux moyens pour promouvoir leurs idées novatrices, comme l’ont fait Chopin, Liszt et Satie. On peut difficilement dire de ces compositeurs qu’ils « suivent la forme » quand leurs matériaux musicaux ne supportent justement pas les limitations que constituent ces formes. Comme Elliott Carter l’affirme, considérer la forme comme un « cadre formel imposé » équivaut, « soit à la mort, soit à l’emprisonnement de la chose8 ».
13Le problème de la relation entre forme musicale et matériaux n’a pas été réglé de façon satisfaisante, quelles que soient les manières de le poser ou les tentatives de le résoudre en atténuant la distinction et en forçant la réciprocité entre ses termes. C’est parce que les phénomènes musicaux, complexes et récalcitrants, ne peuvent pas être présentés de la sorte en matière de perception. La distinction entre forme et matériaux en musique vient après les faits, pas avant. Elle fournit un cadre grâce auquel nous espérons, à tort, avoir une meilleure compréhension des phénomènes, mais il est difficile de ne pas penser que cette façon de concevoir les choses n’est qu’un exemple de plus du phénomène philosophique classique des concepts et des distinctions qui génèrent plus de difficultés qu’ils n’en résolvent. Quand c’est le compositeur qui s’appuie sur la distinction forme/matériaux et qui conduit les idées musicales selon les besoins de la forme, il en résulte toutes les longueurs de l’art dérivatif, des formules toutes faites aux productions prévisibles. Tandis que les nouvelles possibilités sonores et technologiques sont une cause majeure de l’évolution des sensibilités musicales, lesquelles poussent en retour vers des directions inconnues pour trouver à s’incarner, elles ne font qu’offrir l’exemple le plus évident de ce que tout art impose. En musique comme dans les autres arts, l’œuvre n’est pas une construction à partir d’éléments, mais un développement vers une unité totale. La perception musicale confirme cet accomplissement de la sensibilité auditive.
14Comment mieux développer une théorie de la composition musicale qu’en adoptant l’angle de l’expérience perceptuelle ? Si nous sommes sensibles aux sons musicaux quand ils sont perçus directement, nous pourrions découvrir qu’ils possèdent un caractère dynamique et génératif9. Par exemple, une note ne tient pas toute seule : sa durée même l’étend et projette une tension qui la propulse en avant. Les accumulations et les groupements se développent, et chacun d’eux contient ses propres impulsions auditives qui le forcent à avancer. Depuis la passacaille baroque en passant par le motif initial de la Symphonie n° 5 de Beethoven jusqu’au motif de cinq notes qui débute la Musique pour Cordes, Percussion et Célesta de Bartók, l’histoire de la musique regorge d’œuvres qui se sont développées à partir des forces embryonnaires inhérentes aux idées de motifs initiales.
15Il y a cependant bien d’autres façons dont les forces musicales évoluent. Les modèles mélodiques, rythmiques ou harmoniques, par exemple, peuvent conduire à un élan qui demande à être soutenu et porté à sa pleine réalisation. De nombreux préludes du Clavier bien tempéré de Bach présentent une mise en figure uniforme, dérivée de progressions harmoniques en cercle, liées dans leur relation séquentielle au cycle des quintes, qui constitue presque toute la pièce. Plus récemment, la musique minimaliste soutient une même impulsion pour mener à leur terme les pressions dynamiques établies par un modèle harmonique et rythmique. Les commentaires de Zuckerkandl sur les propriétés dynamiques des tons dans le système diatonique mettent bien en lumière le fait que les connexions entre intervalles ne sont pas fortuites, mais générées à partir des tensions inhérentes à leurs relations. Ainsi, les mélodies possèdent une sorte de logique interne, même si les termes de « logique » ou de « nécessité » ont des connotations trop rationnelles pour exprimer les qualités dynamiques du son que le compositeur modèle selon son intuition. Une œuvre telle que le Boléro de Ravel constitue une occurrence complexe de ces processus : une structure rythmique persistante s’y trouve combinée à deux mélodies similaires répétées en continu, le tout soumis au cadre dynamique d’un seul grand crescendo qui confère à l’ensemble une force obsédante.
16En réalité, c’est peut-être la répétition qui est le seul facteur véritablement significatif pour ce qui est du développement de la matière musicale. Mais il est important de ne pas considérer la répétition dans un sens mécanique, car la musique ne se construit pas à partir de la répétition d’unités identiques, comme on construit un bâtiment à partir de briques, de morceaux de pierre ou de parpaings de ciment coulé, ou comme dans la combustion interne d’un moteur qui enclenche inlassablement les cylindres dans un ordre invariable. Les structures mélodiques, rythmiques ou harmoniques, quand elles sont répétées, engendrent en quelque sorte leur propre devenir, parce que les étapes par lesquelles la continuité se développe ne sont pas cumulatives mais génératives.
17La chaconne et la passacaille sont des exemples instructifs de la façon dont cela se produit. Employés principalement à l’époque baroque, mais encore aujourd’hui dans la tradition populaire aussi bien que classique, ce sont deux modes de composition apparentés qui donnent forme à une pièce à partir d’une seule unité répétée. Bien qu’historiquement il y ait quelques divergences concernant la distinction exacte entre les deux, il y a des raisons d’associer la chaconne avec la répétition d’une séquence harmonique et la passacaille avec un ostinato, ou une basse obstinée – une ligne mélodique qui apparaît principalement, mais pas toujours, à la basse. À partir d’une unité en germe qui est généralement composée d’un ensemble de quatre ou huit mesures à trois temps, une série de variations continues se déroule, ces dernières étant portées par leur propre mouvement jusqu’à des conclusions parfois spectaculaires, comme c’est le cas avec les trente et une répétitions des huit mesures d’ouverture de la chaconne finale de la Partita n° 2 de Bach pour violon non accompagné, ou avec les trente-quatre variations des huit premières mesures qui constituent la passacaille finale de la Symphonie n° 4 de Brahms10. La base de la technique sérielle de Schoenberg fait un usage différent de la répétition d’une unité musicale : son unité structurelle, la série de notes, généralement composée des douze demi-tons d’une octave, est arrangée par le compositeur dans un ordre de hauteurs et d’intervalles différent pour chaque œuvre musicale individuelle. La série s’y trouve répétée toujours dans le même ordre, mais soumise aux variations de rythme et d’étendue, ainsi qu’aux formes harmoniques et mélodiques qui fondent le caractère distinctif de chaque œuvre particulière.
18La répétition prend bien des formes différentes en musique. Parfois, elle est centrée sur une seule note : sur les treize premières notes de la mélodie de l’Étude, op. 25, de Chopin, onze d’entre elles sont le même mi bémol. Elle peut être aussi la répétition d’un simple intervalle, comme la seconde mineure qui domine dans les Quatuors op. 95 et op. 132 de Beethoven ou comme les quintes et les quartes dans sa Symphonie n° 9. Les sujets de fugue sont typiquement répétés dans leur intégralité et chacune des transformations prend soin de ne pas affecter l’intégrité du sujet et sa reconnaissance. Encore une fois, à l’époque baroque, les signes sur la partition musicale indiquant la répétition littérale de chaque section d’une composition de forme binaire étaient universels, et ils se sont maintenus comme pratique courante dans l’« exposition » de mouvement allegro de forme sonate dans la sonate et la symphonie jusque tardivement dans le xixe siècle. Si ces signes sont compris comme des recommandations en vue de l’expérience et non pas simplement comme une notation conventionnelle, et s’ils sont exécutés dans cette optique, alors ces répétitions ne sont pas de simples duplications à l’aveugle, mais des expériences nouvelles et différentes à part entière. La répétition devient alors régénération plutôt que réitération. Et l’on peut se rappeler le commentaire insistant de William James :
« Aucun état, une fois disparu, ne peut jamais revenir identique à ce qu’il fut […]. La touche d’un piano frappée toujours avec la même force ne nous fait-elle pas toujours entendre le même son ? […] Suggérer que ce n’est pas le cas pourrait sembler relever d’une sophistique toute métaphysique ; et cependant, tout bien considéré, rien ne prouve que nous ressentions jamais deux fois la même sensation11. »
19Du fait que les forces et les tensions inhérentes au son musical se présentent de façon insaisissable, on peut penser que le compositeur est un artiste qui possède une sensibilité spéciale à leurs pressions dynamiques. Tout matériau musical possède des traits distinctifs et, dès lors, génère son propre développement individuel. Et parce que ces sons et leur forme embryonnaire sont toujours différents, il n’y a pas de formule toute faite pour réaliser tout leur potentiel de richesse et d’émerveillement, en particulier dans l’écoute répétée. Toutes les œuvres originales sont donc des créations nouvelles, non pas par la construction ou l’élaboration d’une structure, mais par un processus de germination et de développement ou de croissance. Dans la création musicale, le compositeur s’engage dans la rencontre avec les matériaux sonores, il participe à leurs forces dynamiques, qu’il conduit jusqu’à leur épanouissement par le jeu réciproque de l’intuition compositionnelle et de la perception auditive.
20La création musicale est donc une activité d’engagement sonore, une fusion du compositeur et du son dans un processus dynamique d’élaboration et de réalisation. Des exemples frappants viennent en tête ici, comme les poèmes symphoniques de Liszt, dont les motifs émergent et croissent, les drames musicaux de Wagner, avec leur enchevêtrement incessant de leitmotivs, et même une œuvre comme la Quatrième Symphonie de Sibelius, dont les thèmes apparaissent au point culminant du mouvement plutôt qu’à son début. Mais ce n’est qu’une manifestation de la caractéristique fondamentale et majeure de la création musicale qui apparaît là de manière plus prononcée. Ainsi, la génération musicale signifie que faire de la musique n’est pas un acte de combinaison, mais un processus de production de séquences et de structures sonores par réalisations successives des possibilités extensives du matériau musical. L’écriture de la musique est donc une activité d’extension plutôt que de rétention ou de construction.
21De même que la matière musicale devrait être considérée comme germinative, et non substantielle, de même, notre compréhension de la forme en musique doit subir une transfiguration parallèle. Quand la forme musicale est considérée de manière perceptuelle, elle subit une métamorphose : de structure à l’intérieur de laquelle les figures ou les thèmes sont placés et développés, elle devient processus de formation de l’expérience auditive. Une forme musicale n’est pas un contenant à l’intérieur duquel les sons sont posés, ou un cadre à l’intérieur duquel ils sont arrangés. La forme en musique, comme dans les autres arts en réalité, est plutôt de l’ordre de l’expérience : elle est « forme en tant que processus en cours », dit Carter, c’est-à-dire, en musique, une succession perçue de sons regroupés, identifiés et modelés de façon séquentielle. La continuité dynamique de l’Erwartung dans son ensemble, par exemple, donne à l’œuvre de Schoenberg son mouvement musical, un « sentiment d’interrelation propulsive12 ». Ainsi, la forme musicale est au mieux un guide pour l’écoute de la séquence des matériaux musicaux, mais certainement pas une abstraction de cette séquence.
22Les cadences offrent une belle illustration de la façon dont une caractéristique formelle peut fonctionner directement au niveau de la perception auditive. Signes de divisions formelles au sein d’une œuvre musicale, les cadences sont les notes ou accords qui concluent une phrase musicale, une partie dans un morceau ou une œuvre entière, et elles imposent une sorte de fermeture, momentanée ou complète. Certaines structures cadentielles ont été étudiées et classifiées selon leur place dans le système modal ou tonal dans lequel elles apparaissent. Ainsi il est courant de considérer les cadences comme des formules que l’on peut exporter et employer pour marquer les ruptures aux moments appropriés d’une œuvre et ainsi contribuer à définir sa structure. Bien que cette façon de les décrire reflète l’usage courant, bien commode, elle ne dit rien de la manière dont les cadences fonctionnent réellement, ni de la qualité de complétude, d’indécision, d’impénétrabilité ou de fuite des terminaisons qu’elles articulent. Davantage que la plupart des termes désignant des caractéristiques formelles, la terminologie prévalente des xviiie et xixe siècles pour la classification des formules harmoniques des cadences offre, en fait, des pistes pour la description de leur fonction sonore ; ainsi en va-t-il des cadences dites parfaites, imparfaites, rompues, ou demi-cadences. D’autres termes, tels ceux désignant les cadences authentiques et plagales, n’opèrent pas de même. Ce qui compte vraiment toutefois pour la description de la fonction des cadences, ce n’est pas l’enchaînement ou la structure des accords qui distingue les différents types de cadences à des fins taxonomiques, mais plutôt comment elles sont réellement perçues, la qualité et la force de la clôture qu’elles entraînent. Le choix du compositeur en matière de structure cadentielle est là guidé par l’influence et la force du mouvement auquel il est en train de donner forme, et par la perception qu’il a des exigences des matériaux musicaux. Dans quelle mesure le mouvement de la musique doit-il être ralenti ou interrompu ? Quelle impression de complétude ou d’incomplétude la musique doit-elle produire à ce moment précis ? Quel type d’arrangement cadentiel maintiendra le juste degré de clôture à ce stade de l’œuvre ? À quel moment convient-il de mettre un terme à la pièce, et qu’est-ce qui donnera à cette terminaison le poids adapté pour équilibrer ce qui précède ? Ce sont là des types de considérations opérants en matière d’expérience musicale. Plutôt que de choisir une cadence à partir d’un ensemble de formules, le compositeur sensible aux exigences de la musique se laisse guider par ses nécessités.
23Ce qui est vrai des cadences s’applique aussi à une caractéristique structurelle courante de la musique tonale : la modulation, ou transition d’une tonalité à l’autre. La modulation est généralement analysée selon des formules harmoniques qui établissent clairement une nouvelle tonalité, et pourtant, c’est dans l’habileté à gérer ces transitions que le talent du compositeur est le plus manifeste. Quand la modulation est produite en fonction d’une formule, cela revient à annoncer de façon maladroite qu’un tel changement est en train de s’effectuer, comme dans les interludes modulatoires affreusement maladroits auxquels Schubert a souvent recours. C’est comme s’il nous disait, en fait, « attendez un moment que je module. Ensuite la musique pourra continuer son cheminement mélodique ». Au contraire, les modulations habiles qui apparaissent chez Mozart, Chopin ou Brahms semblent être le développement naturel du mouvement musical dans son exploration de nouvelles périphéries tonales avant son retour final à sa place d’origine. Plutôt qu’une formule utilisée de façon mécanique pour remplir les exigences d’une structure musicale, la modulation devient ici la découverte auditive de nouveaux espaces de tonalité.
24 Les grandes divisions de la forme musicale peuvent être comprises exactement de la même façon que les cadences et les modulations. Les formes classiques des périodes classique et romantique sont considérées soit comme des structures, soit comme des modèles expérientiels. Par exemple la forme ternaire, ou d’un chant en trois parties, incarne l’idée basique de contraste, dans laquelle une section intermédiaire offre un changement de caractère par rapport aux sections similaires qui l’encadrent. On la représente généralement au point de vue de la structure comme une forme A-B-A, mais on l’entend comme l’expérience de la différence et de la familiarité. On peut parler d’un même schéma d’opposition pour l’allegro de la forme sonate, qui est un ordonnancement différent de trois parties, plus complexe et élaboré, et la structure d’identification type du premier mouvement de la sonate, de la symphonie et du concerto de la fin du xviiie siècle et du début du xixe. De manière similaire, cependant, le contraste thématique présenté dans l’exposition, le travail des idées qui a lieu dans le développement, et le retour de ces idées originales qui signe la récapitulation peuvent être soit considérés comme constituant un cadre complexe d’ordonnancement des matériaux thématiques, soit entendus comme le modèle de leur déploiement. Ce qui se produit à l’écoute type de l’élaboration naturelle des matériaux musicaux peut se trouver mal interprété a posteriori comme une structure visant la présentation d’informations auditives.
25D’autres formes classiques de cette période se prêtent aux mêmes interprétations contrastées : le rondo, avec son alternance constante entre nouvelles idées thématiques et thème original ; la variation, avec sa succession de réaffirmations modifiées du thème initial ; le scherzo, avec sa transfiguration en une forme éphémère du caractère conventionnel et du genre cérémoniel du menuet. On les tient aussi soit pour des structures formelles, soit comme offrant une suite d’expériences qualitatives. C’est peut-être la fugue, une forme de l’époque baroque qui continue d’attirer les compositeurs, qui illustre le mieux l’insuffisance de toute formule. Certes les fugues commencent le plus souvent par l’introduction, ou exposition, de leur sujet par les différentes voix dans un ordre établi selon les relations entre les intervalles, mais il y a une grande part de flexibilité dans ce qui suit, et c’est la sensibilité du compositeur envers les implications musicales de son sujet qui détermine en grande partie le reste de la pièce. Bien sûr, des techniques et des procédés sont à disposition, mais ici, comme pour d’autres formes musicales, ce sont les sons qui guident les choix et non l’inverse.
26Ce qui se joue, cependant, au cœur de l’interprétation phénoménologique de la forme musicale, c’est l’opération de la mémoire. En effet, alors que les sons occupent un instant transitoire et insaisissable, la musique est bien davantage que le passage incessant d’instants sonores. Il y a des relations et une cohésion entre les sons musicaux. Certes, notre argumentation repose entièrement sur la reconnaissance de ce fait, mais le plus important est qu’il en va de même de la possibilité même de la musique, dans la tradition occidentale classique, à n’en pas douter, et probablement ailleurs aussi. C’est la capacité de la mémoire auditive qui permet de percevoir la continuité et la forme de la musique et qui permet la possibilité même de la répétition. En outre, il n’est possible d’atteindre l’expérience de la forme que par le concours de la mémoire, que la forme soit analysée comme une structure abstraite ou considérée comme une expérience à part entière. La mémoire est la dimension expérientielle de la forme musicale.
27Le thème de la mémoire est une question majeure de la philosophie et ne saurait ici être développé plus avant. Ce qu’il faut néanmoins noter, c’est que la fonction de la mémoire dans l’expérience musicale est assez différente de son fonctionnement dans d’autres domaines. La musique ne nécessite pas la remémoration de faits, ou ce que l’on a appelé la « mémoire à long terme ». La mémoire ici est plutôt une conscience du passé auditif immédiat, une conscience qui s’étend, par ailleurs, comme une projection depuis ce réservoir vers le futur. La musique opère au sein d’une aura mnémonique, pour ainsi dire, de passé et de prescience. Les sons de la musique résonnent un moment dans la perception imaginative et engendrent dans le même temps une anticipation des sons à venir13. Il y a donc dans cet art, comme dans les autres, une phosphorescence de la perception dont la luminescence se déploie jusqu’à englober l’œuvre entière et devenir la forme même de son expérience.
28Cette description expérientielle de la forme musicale offre un reflet de la composition musicale, non plus en tant que méthode, mais en tant que processus. Ce qui importe ici, ce ne sont pas les techniques de compositeurs particuliers, mais plutôt la signification esthétique de ce processus par lequel la musique advient. Peu importe si le compositeur travaille de manière laborieuse au développement de ses idées, comme Beethoven, ou si la musique surgit spontanément, souvent pleinement formée, comme dans le cas du génie unique de Mozart. Il ne s’agit pas non plus de savoir si le compositeur s’aide du piano ou d’un autre instrument pour composer, ou s’il écrit à son bureau et ne recourt qu’à son imagination auditive. Ce ne sont là que des différences biographiques concernant les techniques et les habitudes de travail. Ce que partagent tous les compositeurs, par-delà ces méthodes individuelles, c’est le processus de façonnement d’une expérience du mouvement du son dans le temps et l’espace.
29 Et ce processus de mise en forme de l’expérience sonore est l’exemplification par excellence de l’engagement esthétique du compositeur avec les matériaux musicaux. Ces matériaux, bien qu’éphémères et entièrement tributaires de la perception, dépendent subtilement de son imagination. Dans aucun autre art cette relation n’est aussi intime que dans l’art de la musique, parce qu’ici les moyens et les matériaux sont extérieurs à la perception sensorielle, plus distants et étrangers à un certain degré que dans la plupart des autres arts. La peinture est liée à la vision, la danse au corps, la littérature au mot – tous ces moyens d’expression artistique sont coextensifs aux qualités perceptuelles de leur art. Ce n’est pas le cas de la musique. Comme pour le cinéma, la technologie de cet art est étrangère à sa matière. La production du son, à l’exception peut-être de la voix, utilise des moyens éloignés de la perception qu’ils stimulent, tels le mécanisme complexe du piano, les composants et les circuits du synthétiseur, ou bien encore le violon, dont le son, comme on l’a souvent remarqué, est produit par la friction de crins de cheval sur des boyaux. Le corps est assurément impliqué, pouvant s’identifier, en dernière analyse, avec d’autres moyens de production sonore, mais il l’est en tant que facilitateur, et non en tant que matière du son. Cependant, lorsque le compositeur s’absorbe dans la matière sonore, on trouve cette incorporation directe de l’acte de création et de son objet. Il y a ici une participation totale à l’objet esthétique, un processus engendré par le compositeur et reproduit par l’auditeur. La génération musicale requiert l’engagement total du compositeur dans l’univers des sons.
30La pratique musicale de l’improvisation permet de tester cette idée de manière intéressante. À première vue, il pourrait sembler que l’improvisation est un jaillissement spontané de musique gouverné par la seule impulsion de l’interprète sur le moment, comme cela semble être le cas dans les déambulations souvent subtiles du jazz et la frénésie parfois dionysiaque des improvisations rock. Pourtant une connaissance, même restreinte, de la pratique de l’improvisation révèle le contraire : celle-ci se déroule la plupart du temps dans les limites bien définies de la périodisation mélodique et de l’harmonie, de sorte que la marge de manœuvre de l’interprète se trouve réduite en fait à la variation mélodique et à la vocalisation harmonique, comme dans les ornementations baroques ou rococo, à la réalisation d’une basse chiffrée, à la cadence dans le concerto classique, ou à l’improvisation chorale dans la performance jazz.
31Stanley Cavell propose un point de vue qui semble à même de réconcilier les deux positions lorsqu’il remarque que jusqu’à l’époque de Beethoven en particulier, la musique sonne le plus souvent comme si elle était improvisée alors qu’elle prend place dans un contexte où les conventions musicales sont si bien établies que l’on sait toujours où l’on est et où l’on va. Ainsi l’impression de spontanéité s’associe à la fiabilité d’un ordre familier. Avec la disparition des conventions, nous avons perdu ces significations au profit de l’arbitraire, ou nous avons recouru au nihilisme de l’organisation totale14. Pour sa part, Francis Sparshott conçoit l’improvisation en termes de différence entre partition et exécution, ou performance, en l’opposant à la composition. La partition est du côté de la composition achevée, tandis que l’exécution véhicule la qualité de l’improvisation15. Il n’empêche que ces auteurs identifient tous deux l’improvisation à un sentiment de spontanéité et d’accroissement comme à la qualité de fraîcheur qu’apporte la création immédiate.
32L’improvisation peut être libre à divers degrés selon les contextes divers de pratique musicale, mais elle rend toujours quelque chose de ce caractère dynamique de la perception de la musique que nous avons cherché à repérer. En soi, telle qu’elle se produit, elle ne correspond pas vraiment à l’exemple pur et parfait de la création libre en musique. D’un côté, elle est par trop limitée par les conventions et les formules ; de l’autre, elle est souvent trop rapide pour que soient rendues les nuances de la musique et qu’un choix véritable soit fait entre les différentes forces dynamiques présentes à tout instant du déroulement d’un morceau. Sa fraîcheur réside dans la possibilité continuelle qu’une occurrence imprévue survienne dans un enchaînement d’accords ou une phrase mélodique, où la main parfois guide l’oreille, et non l’inverse16. Dans ce cas, l’improvisation reflète le caractère génératif de la musique et présente une première approximation de ce qui pourrait advenir par la suite. Mais il y a quelque chose de plus. L’improvisation communique l’impression d’une progression d’idées musicales se déroulant librement, une impression qui touche à la vie même au cœur de l’expérience musicale. La spontanéité est plus apparente que réelle, mais les sons, s’ils ne sont pas réellement inédits, présentent malgré tout un caractère de spontanéité, de génération spontanée, pour ainsi dire. À cet égard, l’improvisation incarne la qualité créative essentielle à l’expérience de la musique, une qualité qui fait la mesure de toute performance17.
33En fait, l’improvisation combine création et performance musicales dans un même acte. C’est un exemple spectaculaire de ce processus génératif par lequel la musique naît d’une absorption dans les matériaux musicaux, d’une participation à leurs qualités perceptuelles, et de la découverte de leurs impulsions dynamiques. En effet, compositeur et interprète sont engagés dans un même échange réciproque avec ces matériaux, le compositeur en concevant la partition, l’interprète en lui redonnant vie. La partition, bien entendu, n’est jamais complète et ne peut jamais indiquer tous les détails nécessaires à son exécution. Par conséquent l’interprète doit s’engager dans la matière sonore et s’approprier les sons pour suivre, dans le but d’une performance optimale, le même processus d’épanouissement des forces dynamiques de la musique que celui qu’a suivi le compositeur à l’origine.
34Cela dit, le compositeur et l’interprète ne sont pas les seuls à s’engager dans la rencontre des matériaux musicaux afin d’en réaliser les forces créatives. En tant que caractéristique centrale de l’expérience musicale, l’aspect génératif du développement musical ne se retrouve pas moins dans l’acte d’appréciation. Toute écoute active et engagée partage cette qualité de la performance en direct. Pas plus que la danse ne peut être considérée indépendamment du danseur, l’événement sonore ne peut être séparé de l’écoute, que ce soit de la part du créateur, de l’interprète ou du public. Dans l’expérience musicale, il n’y a pas d’objet indépendant – partitions, disques ou cassettes audio étant en soi des choses plutôt insignifiantes, des procédés qui servent à guider la performance ou à la reproduire. Comme le note Strawson, quand on considère l’expérience auditive pure, on ne peut établir de distinction entre l’auditeur et d’autres paramètres18. L’illusion même de séparation est par ailleurs difficile à maintenir du fait qu’il n’y a aucun objet qui incarne le phénomène musical, comme c’est le cas pour la danse avec le danseur, ou pour le roman avec le livre. Les sons qui émanent des instruments de musique sont aussi intangibles que ceux qui atteignent l’oreille. Avec la musique, il est certain que des qualités spatiales sont offertes à la perception, et une phénoménologie de l’expérience musicale établira certainement une distinction entre distance, direction et densité. Mais ces notions restent dépendantes de l’auditeur et n’apparaissent qu’à l’écoute, dans la mesure où ce sont des caractéristiques perceptuelles et non physiques. Avec son éloquence de poète, Paul Claudel fait une description saisissante de la participation de l’auditeur : « Nous l’absorbons dans le concert. Il n’est plus qu’attente et attention19. »
35Certaines situations font de cette expérience quelque chose d’extraordinaire dans ses effets, comme, par exemple, lorsque l’on va écouter des chants grégoriens dans une cathédrale de style gothique ou normand. La longueur du temps de réverbération (plus de six secondes en général) permet aux sons de perdurer, qui rebondissent sur les murs de pierre et perdent leur place d’origine, venant ainsi entourer l’auditeur d’une manière quasi palpable et produire une expérience d’immersion20. Il n’est pas surprenant que Bachelard emploie la métaphore auditive du retentissement pour définir le sens des sons comme coalescence du temps et de l’espace. Dès lors, il ne semble pas non plus étrange de considérer le chant comme facteur d’union entre chanteur et auditeur, puisque « le chant chante lui-même en nous ; nous sommes le chant le temps de sa durée, identifiés au chanteur et à la communauté21 ». Schopenhauer et Nietzsche avaient aussi tous deux de bonnes raisons de penser que l’on peut se perdre dans la musique.
36Il n’y a pas que l’interprétation qui imite l’absorption participative nécessaire à la création : l’écoute appréciative en est aussi une reconstitution. Igor Stravinsky, que l’on ne saurait accuser de céder aux langueurs romantiques, reconnaît la participation de l’auditeur au processus créatif de la génération musicale :
« l’auditeur réagit et devient le partenaire du jeu institué par le créateur […]. Cette participation exceptionnelle apporte au partenaire une jouissance si vive qu’elle l’unit dans une certaine mesure à l’esprit qui a conçu et réalisé l’œuvre qu’il écoute, et lui donne l’illusion qu’il s’identifie au créateur. Tel est le sens du fameux adage de Raphaël : “comprendre c’est égaler”22 ».
37La musique ne se réalise pas moins dans l’engagement appréciatif que dans l’activité créative. Comme l’a observé William James, chaque expérience perceptuelle est, en tant que telle, originale.
38La participation au caractère dynamique de l’expérience musicale est donc à la fois au cœur de l’acte créatif et la caractéristique centrale des actes de régénération que sont l’appréciation et la performance. Le même processus musical est à l’œuvre, qu’il soit original ou reproduit, conçu pour la première fois ou ressuscité. Les différences sont de l’ordre de l’action davantage que de la perception, de l’histoire davantage que de l’événement. L’auditeur engagé suit la trajectoire dessinée à l’origine par le compositeur. Nous devenons, s’il fallait adapter la célèbre formule de Roland Barthes, un « auditeur compositeur23 » qui régénère la musique dans la mesure où il répond à ces mêmes forces intérieures qui ont guidé le compositeur à l’origine, poursuivant ainsi un même processus le long du même chemin. « On est la musique le temps que dure la musique », a écrit T. S Eliot dans ses Quatre Quatuors24, et quand cela arrive, la différence entre compositeur et auditeur n’est pas qualitative, mais seulement chronologique.
39Traçant les contours de cette notion de caractère génératif de la création musicale, nous sommes donc conduits à transformer notre compréhension conventionnelle des traits caractéristiques de la musique. La répétition devient régénération, non plus duplication. Les cadences sont considérées comme des pauses avec des caractéristiques qualitatives différentes dans le cours dynamique du mouvement musical. La modulation, loin d’être une formule toute faite que l’on s’impose pour répondre à certains impératifs formels, se trouve redéfinie comme un mouvement instable de transition vers un nouvel espace tonal. Forme et matière sont transmuées en la mise en forme d’expériences sonores à partir des forces dynamiques implicitement contenues dans les idées musicales. La mémoire devient une aura de conscience qui persiste autour de la trajectoire mouvante des sons, tandis que l’improvisation évoque la vitalité déployée des idées, l’idéal de toute performance et la force vive de la création musicale. Enfin, le processus génératif qui donne son origine à l’œuvre musicale trouve son pendant et sa reproduction dans l’expérience perceptuelle de l’interprète comme de l’auditeur.
40Aucun art n’incarne l’engagement esthétique de manière plus complète et plus indiscutable que la musique. C’est, en effet, le primus inter pares des arts de l’engagement, et la génération musicale occupe une place centrale dans la participation esthétique. Partagé entre compositeur, interprète et public, c’est le son, dans toutes ses transformations, de timbre, de texture, de dynamique, de tonalité, de durée, ou encore d’accentuation, qui constitue le point focal de l’écoute attentive. Comme clé de compréhension de la façon dont la musique se fait, le concept de génération musicale permet en même temps de résoudre certains mystères relatifs à son exécution comme à son appréciation. C’est là une autre preuve de la fécondité de cette idée, car l’art ne peut être scindé en différentes parties, et reconnaître la continuité qu’il y a entre les différents aspects de la musique contribue à leur clarification mutuelle. La création originelle des objets musicaux et leur recréation dans l’interprétation et l’appréciation se rejoignent dès lors, en tant qu’expériences de participation à la génération et à l’accomplissement des idées musicales.
41Cette étude de la création en musique a débuté par une métaphore biologique qui rejetait l’image de pourriture invoquée dans le poème d’amour lyrique de Baudelaire, au profit d’une image de croissance. La sensibilité de Mikel Dufrenne, tout aussi française, l’a poussé lui aussi à suivre cette même métaphore dans une direction affirmative :
« Tout reste en suspens, et comme en gestation. En ce sens aussi l’œuvre est ouverte : comme une plaie qui n’est pas cicatrisée. […] La rigueur de la perfection peut être la rigor mortis ; à être achevée, l’œuvre risque d’être tuée. Et n’est-ce pas pour éluder cette pétrification solennelle que l’œuvre en appelle à une participation qui, jouant avec elle, la maintient en vie ? […] Non qu’elle [la création] déboute le sujet, comme le disent les philosophes qui prêchent la mort de l’homme, mais tout individu est invité à devenir créateur25. »
42La « génération » est une image appropriée pour tous les arts, mais elle convient tout particulièrement dans le cas de la musique. L’expérience sensorielle qui découle de cette dernière est en effet plus directe que dans les autres arts, et elle ne nécessite aucune médiation par le savoir ou la reconnaissance. L’immédiateté de l’événement musical, un événement qui requiert la participation conjointe du corps et de la conscience, reflète l’aspect direct de cette croissance par laquelle les forces internes poussent vers leur réalisation les potentialités inhérentes aux matériaux sonores. La croissance peut être guidée, bien sûr, mais elle porte davantage de fruits quand elle se développe, en art comme en biologie, en menant à leur accomplissement les possibilités qu’offrent les matériaux eux-mêmes, et non pas en suivant des exigences externes. La génération musicale exprime cette intention, et l’aspect positif de la « dé-composition » musicale réside dans ce qu’elle permet de libérer la musique de modèles fallacieux. Certes nous avons besoin de logique tout comme de rhétorique, mais en philosophie, comme en art, une métaphore porteuse de vérité peut être plus parlante qu’un argument valable.
Notes de bas de page
1 Charles Baudelaire, « Une charogne », Les Fleurs du mal (1857).
2 Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, 1966, trad. A. Burdeau, nouvelle éd. revue et corrigée par Richard Roos, Paris, PUF, 1989, p. 1196.
3 Arnold Schoenberg, Fondements de la composition musicale, trad. Denis Collins, Paris, J.-C. Lattès, coll. « Musique et musiciens », 1987.
4 « Sound in motion » est la proposition de Gustav Cohen, cf. Eduard Hanslick, The Beautiful in Music, trad. Gustav Cohen, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1957, p. 48 ; « forms moving in terms of a tonal system » est celle de Francis Sparshott, cf. « Aesthetics of Music – Limits and Grounds », in What is Music ?, éd. P. Alperson, New York, Haven, 1987, p. 45 ; « tonally moving forms » apparaît dans la traduction importante de Eduard Hanslick par Geoffrey Payzant, cf. Payzant, « Essay : Towards a Revised Reading of Hanslick », in Hanslick, On the Musically Beautiful, Indianapolis, Hackett, 1986, p. 101 ; ma préférence personnelle va à « forms of moving tones ».
5 Igor Stravinsky, Poétique musicale, 1945, Paris, Le Bon Plaisir/Plon, coll. « Amour de la musique », 1952, p. 20.
6 Susanne K. Langer, Feeling and Form. A Theory of Art Developed from Philosophy in a New Key, New York, Charles Scribner’s Sons, 1953, p. 125.
7 Cf. Sam Morgenstern (éd.), Composers on Music, New York, Pantheon, 1956, p. 48. Marcello nie en particulier la nécessité, pour le compositeur, de maîtriser les relations mathématiques dans l’exercice de composition.
8 Allen Edwards, « Une conversation avec Elliott Carter », in Entretiens avec Elliott Carter, par Allen Edwards, Charles Rosen et Heinz Holliger, trad. Suzanne Rollier, Carlo Russi, et Daniel Haefliger, Genève, Éditions Contrechamps, 1992, p. 9-85, 62.
9 Zuckerkandl et Schenker ont exploré en profondeur certains aspects de ces caractéristiques des sons et des motifs musicaux. Cf. Victor Zuckerkandl, Sound and Symbol, Princeton, Princeton University Press, 1956 ; Heinrich Schenker, Free Composition, trad. Ernst Oster, New York, Longman, 1979.
10 La célèbre « Chaconne » de Bach comporte en réalité trente variations, la dernière répétition étant une reprise des huit premières mesures. Les variations dans le Finale de Brahms sont suivies d’une brève coda. Cf. Willi Apel, Harvard Dictionary of Music, Cambridge, Harvard University Press, 1953, p. 126-29 pour le traitement des distinctions entre une chaconne et une passacaille.
11 The Principles of Psychology, New York, Henry Holt, 1890, chap. ix : « The Stream of Thought », p. 230-231 ; repris in William James : The Essential Writings, éd. Bruce Wilshire, New York, Harper Torchbooks, 1971, p. 47.
12 Allen Edwards, « Une conversation avec Elliott Carter », op. cit., p. 60-61, § 159, et § 157 : « le phénomène constant et global de la musique est une manifestation où chaque “moment” est inscrit dans un processus : il provient d’un moment antérieur et mène à quelque moment futur – contribuant de cette façon seulement à ce qui se passe dans le présent » (cf. aussi Allen Edwards, Flawed Words and Stubborn Sounds, 1972, p. 89-90, 95, 101).
13 Bachelard emploie la métaphore sonore du « retentissement » pour rendre le sens du son en tant qu’unité de temps et d’espace, parce que dans ce mot, l’espace et le temps sont tous deux présents et indifférenciés. Cela peut être pris comme un argument empirique, pour ainsi dire, en faveur de l’inséparabilité de la forme musicale et de ses matériaux dynamiques. Cf. Bachelard, La poétique de l’espace, op. cit., p. 2.
14 Stanley Cavell, « Music Discomposed », in William H. Capitan et D. D. Merrill (éd.), Art, Mind, and Religion. Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1967, p. 86-88.
15 Francis Sparshott, « Aesthetics of Music », op. cit., p. 56.
16 Dans Ways of the Hand, Cambridge, Harvard University Press, 1978, David Sudnow développe cette idée en lien avec l’improvisation dans le jazz.
17 Elliott Carter évoque précisément la chose : « D’un point de vue purement musical, j’ai toujours eu l’impression que l’improvisation était particulièrement fructueuse quand de bons interprètes se donnent la peine de jouer une musique écrite avec soin comme s’ils étaient “en train de la concevoir” eux-mêmes au cours de l’exécution – autrement dit, à force de réflexion et de pratique ils parviennent à ressentir cette pièce formulée avec soin comme si elle faisait partie d’eux-mêmes et de leur propre expérience, qu’ils communiquent ensuite aux autres en la puisant directement en eux-mêmes au moment où ils l’interprètent de façon vivante » (Edwards, op. cit., p. 43, § 108).
18 Peter F. Strawson, Individuals. An Essay in Descriptive Metaphysics, Garden City, New York, Anchor Books, 1963, p. 61. Voir aussi Alfred J. Ayer, The Foundations of Empirical Knowledge, 1940, Londres, Macmillan, 1955, p. 253-55.
19 Cité par Aaron Copland in Music and Imagination. The Charles Eliot Norton Lectures 1951-1952, 1959, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1980, p. 10.
20 Cf. Raymond Murray Schafer, The Tuning of the World, New York, Knopf, 1977, p. 118.
21 Mark W. Booth, The Experience of Song, New Haven, Yale University Press, 1981, p. 15-16.
22 Stravinsky, op. cit., p. 90-92. Stravinsky n’était pas le seul compositeur à reconnaître un partenariat avec l’auditeur. Hindemith aussi, quoique sans la qualité d’expression d’un Stravinsky : « Quand il écoute la structure musicale, pendant qu’elle se dévoile à ses oreilles, [l’auditeur] construit mentalement en parallèle et simultanément avec elle une image en miroir » (Paul Hindemith, A Composer’s World, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1953, p. 16).
23 En anglais, « a composerly listener » (N.D.T.), expression employée par David Schiff au cours d’une conférence sur la musique de Carter au Vassar College à Poughkeepsie, New York, le 2 avril 1989.
24 Citation tirée de « The Dry Salvages » (1941), in Four Quartets/Quatre Quatuors (1947), trad. Pierre Leyris, Paris, Seuil, coll. « Poétique bilingue/Le don des langues », 1950, p. 91.
25 Mikel Dufrenne, « Aujourd’hui encore, la création », in Esthétique et Philosophie, vol. 3, Paris, Klincksieck, 1981, p. 71-72.
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