Épilogue
p. 365-367
Texte intégral
Le slit-scan et la sphère astrale de l’épisode 8, saison III de Twin Peaks The Return (2017) de David Lynch, directeur de la photographie Peter Deming. Séquence située de 15 : 49 à 41 : 39.
1Cette séquence anachronique dans le contexte de Twin Peaks The Return (2017) a nécessairement attiré mon regard. Elle débute par l’explosion de la première bombe atomique dans le désert du Nouveau-Mexique (le 16 juillet 1946 à White Sands) sur la musique de Krzysztof Penderecki, Polymorphia (Threnody for the Victims of Hiroshima) daté de 1961, qui accompagne également The Shining (1980) de Stanley Kubrick. Le processus utilisé par David Lynch pour parcourir les cieux embrasés par des explosions ocres, dorées puis pourpres et mauves, est un slit-scan, proche de celui qui symbolise le Voyage au-delà de Jupiter dans 2001 : L’Odyssée de l’espace (1968).
2À la fin d’un parcours plus explosif que stellaire, apparaissent soudain des vues du paysage terrestre filmé depuis le ciel teinté en mauve et noir. On relève une proximité avec ces images et celles par lesquelles s’achève l’odyssée de Dave Bowman. Enfin, cette traversée nocturne abstraite se termine par une évocation du final de 2001 : L’Odyssée de l’espace : après la mort d’un personnage, sa dépouille s’élève dans les cieux pour rejoindre les étoiles tandis qu’une sphère translucide jaune prend place dans le cosmos et descend vers la terre. Avant cela, elle aura transité par les mains d’une jeune cantatrice puis sera passée à l’intérieur d’un trombone doré en lévitation dans une salle philharmonique. Ces images expérimentales, métissées noir et blanc-couleur, rappellent celles de Stanley Kubrick tout en s’en distinguant. Il y a sur ces plans de nombreuses distorsions, une sublimation et même une transfiguration du cinéma de Stanley Kubrick. Cette séquence rassemble ainsi les trois métamorphoses nocturnes.
Sous l’angle des distorsions nocturnes
3Les premières images représentent une explosion qui provoque perturbation et déformation fatale de l’environnement. Puis, par le procédé du slit-scan, le spectateur traverse des formes nébuleuses qui se confondent avec les cieux dans des teintes tout d’abord ocre et dorées, puis rouges, mauves, noires, sur lesquelles se détachent une sphère et d’autres formes organiques. Un basculement soudain dans l’obscurité permet de saisir le mouvement horizontal et dynamique de la caméra à travers des dessins rouges sur fond noir. L’allusion au voyage interstellaire de 2001 : L’Odyssée de l’espace se fait plus évidente, l’œil subjectif de la caméra traverse la forme noire de l’espace, puis survole un paysage océanique violet et noir. La fin du voyage conduit vers un bâtiment en béton à l’architecture futuriste sur ciel nocturne. Il surplombe les flots – ou un magma – mauves et noirs. Le slit-scan par lequel sont composées ces images est une figure de la distorsion. En effet, c’est un dispositif d’animation image par image sur lequel « une caméra de banc-titre munie d’un obturateur à fente filme avec un temps d’exposition prolongé un dessin coloré. Son déplacement pendant l’obturation crée des effets de filage et autres kaléidoscopes de formes abstraites1 ». Le fond nocturne n’est rien d’autre qu’une feuille noire qui par déformations optiques provoque des ondes de couleurs. Les ténèbres (en papier) deviennent couleurs.
Sous l’angle de la sublimation nocturne
4La sublimation tend à dévoiler une vérité plus enfouie tout en mettant en œuvre des moyens esthétiques qui visent le sublime. Cette séquence filmique découvre-t-elle une admiration cachée de la part de David Lynch pour Stanley Kubrick ou est-elle avérée ?
5Par un processus artistique qui lui est propre, David Lynch invente un autre récit et d’autres formes tout en faisant écho au cinéma de Stanley Kubrick en lequel il a, apparemment, trouvé inspiration. L’interprétation de David Lynch est subtile. Il peut être considéré qu’il y a sublimation du cinéma de Stanley Kubrick par un art qui s’en différencie. Pour qu’il y ait sublimation, il faut nécessairement qu’un déplacement ait eu lieu2.
6Relever ce qui distingue cette séquence de celle du slit-scan de 2001 : L’Odyssée de l’espace pourrait s’avérer laborieux car tout diffère. On note que sur le slit-scan de 2001, des ondes de couleurs signifiaient la circulation à travers l’espace et le temps tandis que sur celui de Twin Peaks The Return, le mouvement s’effectue par les formes ovales des explosions. Les couleurs employées par Stanley Kubrick et David Lynch sont totalement distinctes. Enfin, il faut noter, que dans une optique déraisonnable, la bombe atomique et ces effets miroitants sur les cieux ont pu être considérés comme sublimes. David E. Ney relate qu’aux États-Unis, afin de rassurer l’opinion publique, les recherches et essais sur la bombe atomique ont été associés aux explorations dans l’espace et présentées comme des expériences de sécurité dans le contexte de la guerre froide3. Les images témoins de l’explosion dans le Nouveau-Mexique dévoilent des cieux bouleversés par d’incroyables fumées colorées. Les termes employés par David E. Ney pour les décrire se rapprochent alors, à desseins, de ceux de Burke au sujet du sublime : « The effects could well be called unprecedented, magnificent, beautifull, stupendous and terrifying4. » (« Les effets furent sans précédents, magnifiques, beaux, prodigieux et terrifiants. »)
7Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick aborde, par la dérision, la période de guerre froide et l’explosion fortuite de la bombe atomique, tandis que l’épisode VIII de Twin Peaks de David Lynch, exprime clairement la menace qu’elle représente.
Sous l’angle de la transfiguration nocturne
8Enfin, il peut être considéré qu’il y a transformation d’un héritage cinématographique tandis que les dernières images relatent une transfiguration. Le final de 2001 situé dans un appartement cosmique est ainsi transposé, en noir et blanc, dans une salle de récital qui flotte sur un ciel étoilé. Un personnage meurt dans le théâtre, s’envole dans les cieux, tandis que surgit une météore translucide et orange – hybridation du noir et blanc et de la couleur. Toutefois, si le déroulé poétique du parcours de la sphère fait surgir une chanteuse d’opéra, le visage souriant de Laura Palmer, des instruments de musique cuivrés dont un trombone traversé par la sphère, il ne faut pas s’illusionner, le final abandonné par Kubrick pour 2001 : L’Odyssée de l’espace5 ressurgit : l’astre descend sur terre pour exploser. Violence et surréalisme sont associés sur des images nocturnes qui relatent une transfiguration par les distorsions de la lumière et des couleurs, par la musicalité et le silence d’un déroulé filmique ralenti à la projection.
Notes de bas de page
1 La cinémathèque, Stanley Kubrick, Au croisement d’une œuvre, Inventions, [http://www.cinematheque.fr/expositions-virtuelles/kubrick/item.php?id=120].
2 Saint Girons Baldine, « À quoi sert la sublimation », op. cit., p. 59.
3 Nye David E., op. cit., p. 225-227.
4 Ibid., p. 227.
5 Chion Michel, op. cit., p. 174.
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