Chapitre VIII. Transfiguration nocturne des corps
p. 311-351
Texte intégral
1La transfiguration nocturne met en avant une forme de violence et d’étrangeté qui conduit vers la représentation d’un invisible. Violence et beauté sont associées par les distorsions, petits ou grands à-coups de la lumière, des couleurs, de l’espace, des corps, du son, dans une nuit a priori calme et homogène par sa teinte foncée. La transfiguration lorsqu’elle touche aux corps, évoque plus souvent la mort mais aussi la folie ou le surnaturel alors que la sublimation nocturne, même lorsqu’elle le fait par le biais d’un récit fantastique ou onirique, relate un dépassement de soi, ce qui, en un sens, fait le lien avec le sublime.
2La sublimation nocturne se situe donc dans la réalité, tandis que la transfiguration nocturne a trait à l’irraisonnable, tant sur le plan des excès formels que du contenu. La transfiguration Christique peut d’ailleurs être considérée comme l’un des premiers récits fantastiques. Elle transmet l’espérance d’une possible résurrection dont seule l’image nocturne du fœtus astral, qui symbolise aussi le cycle de la vie tel qu’il a été commenté par Bergson1, est porteuse, parmi les séquences filmiques des quatre cinéastes. En effet, le cinéma de Kubrick, Lynch et de Palma, n’est pas optimiste. Si l’on considère uniquement Dracula et Twixt – et certainement pas Conversation Secrète (1974), Apocalypse Now (1979), Outsiders et Rusty James (1983) – celui de Francis Ford Coppola, l’est un peu plus.
3Il sera donc question de la transfiguration inéluctable des corps pouvant parfois donner lieu à résurrection ou à métamorphose et, d’autre part, à des scènes qui pourraient être anodines et qui ont résonance mystique lorsqu’elles sont filmées sous les couleurs nocturnes. Corps et décors sont alors unis par l’éclairage nocturne. Cette interaction concourt à symboliser ces moments de transition de la vie jusqu’à la mort ou à transmettre une aura spirituelle à des situations plus banales. La transfiguration nocturne des corps sera abordée spécifiquement pour le cinéma à travers des films de Stanley Kubrick et de David Lynch. L’étude d’un certain nombre de séquences nocturnes dans leurs œuvres révèle que lorsque les personnages vivent des situations tragiques, la mise en valeur des décors par des distorsions vient suppléer les expressions, les angoisses, la folie ou l’agonie du ou des protagonistes. Décors et corps font alors corps.
4L’interaction entre corps et décors dans le cinéma de Stanley Kubrick a été soulignée par Michel Cieutat2 et Gilles Deleuze3. En revanche, Michel Chion fait part de réflexions contraires4. Il remarque, cependant, des oxymorons répétitifs sur les accessoires ou décors dans Full Metal Jacket et dans la filmographie même de Kubrick, qui selon lui converge vers la représentation de la mort5. Cette recherche autour de la mort et de son acceptation apparaîtrait en filigrane6. Peut-on conclure qu’il y aurait, pour l’individu qu’était Stanley Kubrick, une sublimation et une transfiguration de cette angoisse à travers le cinéma ?
5On note en effet qu’une obscure clarté et la mort, en conditions nocturnes, jalonnent ses films. On observe également du côté de David Lynch, que celui-ci a consacré, au tout début des années 1990, une série de vingt-neuf épisodes et un long métrage, à une morte, Laura Palmer. Le titre de la série porte le nom d’une ville, Twin Peaks. En 2017, il consacre de nouveau dix-huit épisodes à cette même petite ville. Il tente alors, dans le cadre de la fiction, d’influer sur le cours du temps et de dévier Laura Palmer de son funeste sort. Cette péripétie finale suggère que le destin, l’esprit des lieux et des individus, interrogent également David Lynch. Il déclare d’ailleurs à Chris Rodley, que dans la réalité comme dans The Shining (cité dans le texte) « l’architecture est un outil d’enregistrement7 ».
6Depuis Eraserhead, pour lequel il a réalisé les décors, jusqu’à Inland Empire (nom d’un quartier de Los Angeles quand Mulholland Drive est celui d’une route qui surplombe la ville), en passant par Twin Peaks, David Lynch réfléchit à l’esprit des lieux8. Cet aspect est l’un des points de convergence entre les univers pourtant très distincts des deux cinéastes.
7Cette association spirituelle des corps et des décors est souvent mise en exergue par des séquences nocturnes dans leurs films respectifs. Dans le cinéma de David Lynch, les visions psychiques sont plus nombreuses que dans celui de Stanley Kubrick9. Elles viennent s’intercaler dans la narration et se confondre avec les décors pour plonger plus intimement dans l’esprit des personnages. Par ce choix d’emprunter le détour du rêve et des fantasmes, d’apparences surnaturelles, David Lynch transfigure les sujets qu’il aborde. Ces crochets oniriques se déploient presque systématiquement lors de séquences nocturnes. Lorsque les individus meurent ou se métamorphosent, dans 2001 : L’Odyssée de l’espace, Full Metal Jacket, Mulholland Drive et Lost Highway, les lieux nocturnes qu’ils occupent, les accompagnent dans leurs souffrances jusqu’à leur dernier soupir ou leur résurrection. Certains décors sont altérés par des visions mentales (Lynch), d’autres sont filmés d’une manière plus subjective dans un contexte réaliste (Kubrick).
8La clarté des images de Stanley Kubrick est alors comme cette « flamme intérieure environnée d’obscurité10 » dont Étienne Souriau note qu’elle miroite sur tableaux et poésies nocturnes11. Si l’artiste et son œuvre reflètent une clarté implacable – affirmation qui mériterait également d’être nuancée –, ils s’apparentent ainsi à un aspect du nocturne associé au rationalisme, voire au cartésianisme12. D’une certaine façon, affectionnant les ténèbres et la confusion parce qu’ils sont nécessaires pour accéder à la lumière13, David Lynch incarne l’autre versant du nocturne. Il est rejoint en cet aspect par Francis Ford Coppola.
9Brian de Palma et Stanley Kubrick partagent, en revanche, une vision technologique du monde à laquelle le nocturne sert de faire valoir. On notera que la perception de la société de Brian de Palma est d’un pessimisme et d’une intransigeance bien supérieure à celle de Stanley Kubrick, qui demeure, comme le souligne Michel Chion, avant tout humaniste14. Le rôle du nocturne paraît évident dans le cinéma de David Lynch puisque les fantasmes et les rêves ont connotation nocturne – et bien qu’il revendique personnellement, comme Gaston Bachelard, l’attrait de la rêverie diurne15 – tandis que pour Stanley Kubrick, il symbolise la part sombre de la société.
Le dispositif nocturne
10La seconde partie de ce chapitre est fondée sur l’observation courante que lorsqu’un discours commence par la nuit, l’auditeur s’attend au pire16. L’éclairage paradoxal du nocturne donne une dimension plus étrange aux individus. Dans Mulholland Drive, la rencontre d’un jeune réalisateur et d’un cow-boy, dans une ferme abandonnée située aux confins de l’avenue éponyme, a ainsi valeur insolite. Quant aux photographies de Bill Henson, elles transmettent une aura spirituelle à des adolescents aux occupations pourtant très banales. Stanley Kubrick, David Lynch et Bill Henson transcendent le réel. Ils semblent à la recherche d’un invisible, qui se révèle parfois sous les projecteurs du nocturne. Ce dernier apparaît alors comme un dispositif qui permet de dévoiler l’éphémère et l’insaisissable. Il est aussi cet « impalpable17 », cet « englobant18 », qui en abolissant les contours, en transfigurant les lieux mais aussi les expressions des acteurs, met en relief les liens entre les personnages et leur environnement. Le nocturne se définit alors comme dispositif artistique et atmosphère. Selon Giorgio Agamben, le dispositif est le réseau qui s’établit entre différents éléments19. Le dispositif agit donc de l’intérieur20, comme l’atmosphère sur les images. Soulignant les origines théologiques du terme – Dieu serait le dispositif premier –, Giorgio Agamben met en évidence qu’un dispositif « implique un processus de subjectivation » qui produit son sujet21. Dans cette optique, le dispositif nocturne au cinéma et en photographie produit une atmosphère, comme sujet, laquelle provoque différentes métamorphoses – entendues aussi comme des mécanismes –, les distorsions, la sublimation et la transfiguration. Le nocturne est bien « la manière dont sont disposées les pièces d’une machine ou d’un mécanisme, et, par extension, le mécanisme lui-même22 ». En ce sens, le nocturne est à la fois dispositif et atmosphère. Les techniques de la photographie et de l’éclairage (pour les deux médiums) sont les rouages du nocturne. Elles provoquent une atmosphère avec laquelle il se confond.
Morts ou renaissances
11Le terme transfiguration n’est évidemment pas utilisé dans son acceptation biblique, car en ce cas, les scènes analysées se devraient d’être diurnes et de représenter uniquement le passage de la mort à la vie.
12Grâce aux couleurs et luminosités exacerbées par l’obscurité nocturne, Stanley Kubrick et David Lynch transfigurent des actions qui, par leur teneur, pourraient être sinistres et affligeantes. Celles-ci restent dramatiques mais, grâce aux mises en scène nocturnes, elles transportent émotionnellement. Stanley Kubrick filme avec réalisme et David Lynch avec plus de lyrisme et de mystère. Pourtant, pour enregistrer ces moments de passage vers un invisible, tous deux usent des effets du nocturne pour explorer ou mettre à jour le psychisme de leurs personnages. L’atmosphère nocturne symbolise alors la complexité humaine et simultanément la dévoile.
Le final de 2001 : L’Odyssée de l’espace, Transfiguration parfaite
13Ce long extrait de 2001 : L’Odyssée de l’espace, constitué de trois séquences, tel un triptyque en mouvement, apparaît comme une variation contemporaine parfaite de la Transfiguration au sens théologique du terme. Il se situe, bien sûr, dans une dimension nocturne cosmique plus symbolique que réelle. Ce nocturne est tour à tour, irradié par la couleur, blanc et enfin noir. Les dernières images du film manifestent selon Garett Stewart « moins une épiphanie religieuse que technologique23 », une « auto-transfiguration » du film lui-même24. Les réflexions de ce théoricien qui font le lien entre cinéma et photographie seront mises en perspective au cours des lignes qui vont suivre. Ayant déjà donné lieu à des commentaires sous l’angle des distorsions de la lumière et de l’espace, l’analyse sera concentrée sur l’importance du regard et sur la coïncidence entre corps et décors. On observe en effet une convergence visuelle entre les cellules, le corps et le cosmos.
14Cette nuit cosmique est un fond noir prétexte à des effets lumineux qui viennent se superposer assez sobrement ou alors en balayages latéraux par le processus du slit-scan. D’une certaine façon, il y a transfiguration par l’apparition d’une nuit, alors même qu’il n’y en a pas. Cette transfiguration nocturne a alors une dimension plastique. Réel ou symbolique, le nocturne se fait lumière, couleurs et parfois même présence invisible. Dans ce dernier cas, ses valeurs sombres persistent car les réalisateurs accordent les teintes générales des scènes à l’idée de nuit. Durant la longue séquence du slit-scan, la couleur noire se maintient sur la rétine du spectateur après même qu’elle ait disparu, irradiée par la lumière. Enfin, quand apparaît la nuit cosmique sur le dernier plan, c’est alors la luminosité du fœtus astral qui éclaire l’obscurité. Ce film témoigne ainsi d’une forte clarté nocturne dans le cinéma de Stanley Kubrick.
15Le final radieux de 2001 : L’Odyssée de l’espace est annoncé de manière expérimentale par le voyage hypnotique et mystique au-delà de Jupiter, matérialisé par les ondes lumineuses et colorées du slit-scan sur fond d’obscurité interstellaire. La transfiguration se produit, après une scène mystérieuse au cours de laquelle Dave Bowman, arrivé avec son vaisseau dans un appartement cosmique à la couleur blanche incandescente, apparaît dans sa combinaison de cosmonaute rouge et découvre qu’il est déjà attablé pour manger, tandis que le spectateur entend uniquement sa respiration saccadée puis des sons étranges, symbolisant, peut-être, cet extraterrestre qu’il fut impossible de matérialiser dans le film. Alors que son double, intrigué par le bruit, se lève de table, Dave Bowman, sous sa forme initiale en combinaison, a disparu. Lorsque le verre de vin blanc de Dave, plus âgé, se casse, indiquant qu’il n’y a plus d’apesanteur dans ce lieu pourtant situé aux confins de Jupiter, la boucle se referme, puisque l’os qui n’a pas été vu retomber au début de l’odyssée, s’est mué en verre brisé25. Dave Bowman se découvre alors encore plus âgé sur son lit de mort. Enfin, après avoir vu le monolithe noir dans la grande pièce blanche, Dave Bowman se métamorphose en fœtus astral.
16On note que si Bowman signifie « archer », son vaisseau peut aussi être assimilé à un char spatial. Symboliquement, « dans l’épopée védique, comme plus tard chez Platon, le char est le véhicule d’une âme à l’épreuve, il porte cette âme pour la durée d’une incarnation. Les conducteurs de char sont les messagers, les ambassadeurs symboliques du monde de l’au-delà, un tour de char symbolise la durée d’une existence humaine, soit la durée d’une existence planétaire, soit la durée d’un univers26 ». Dave Bowman apparaît bien, au spectateur, comme le messager du monde terrestre mais aussi de l’au-delà. En effet, la fin de son voyage interstellaire correspond à celle de son existence humaine, mais il renaît sous la forme simultanée d’un fœtus et d’une planète. Dans la logique mise en exergue par Gilbert Durand, il est possible d’envisager qu’après une nouvelle existence stellaire, Dave Bowman puisse encore être transfiguré, cette fois-ci, sous forme d’univers. Quoi qu’il en soit, ce personnage et son vaisseau, la transfiguration qui le fait renaître sous forme de fœtus-astral, font écho à la mythologie, comme le titre même du film, une odyssée. La référence la plus évidente est celle des voyages relatés par Homère, cependant on sait aussi, combien Stanley Kubrick avait à cœur le mythe d’Icare. Il en détourna astucieusement la morale lors du discours de remerciement qu’il enregistra – bien qu’ayant un brevet de pilote, Stanley Kubrick ne voyageait plus en avion depuis de très nombreuses années27 – lorsqu’il obtint le prix D.W. Griffith pour l’ensemble de sa carrière28. Michel Chion note qu’au lieu d’entendre la maxime comme « ne quitte pas ta condition d’homme, n’essais pas de t’égaler aux Dieux », Stanley Kubrick a préféré souligner : « Je n’ai jamais trop bien compris si la morale qu’il convenait d’en tirer était “N’essais pas de voler trop haut”, comme on le comprend généralement, ou bien plutôt “Oublie la cire et les plumes et construits des ailes plus solides”29. » Il est certain que dans 2001 : L’Odyssée de l’espace et tout au long de sa vie, le cinéaste, a préféré la seconde solution, celle des ambitions, de la science et du progrès.
Auto-transfiguration du film et du temps
17D’un point de vue concret, Garett Stewart observe sur l’avant-dernière scène, que le monolithe forme tout d’abord un crucifix avec le décor blanc30 puis qu’il se transforme en écran de cinéma31 par un travelling-avant et un gros plan. Ceci lui évoque une auto-transfiguration du film lui-même32. C’est également selon le théoricien, « un moment de sublime, par cette transition subliminale entre le regard du personnage vers le monolithe et le passage dans l’espace. Le monolithe symbolise ce mouvement vers l’abstraction tout en étant la synecdoque de l’écran tandis que le tombeau devient lieu de naissance33 ».
18Garett Stewart remarque également l’importance de la géométrie dans ce final constitué de rectangles et de cercles34. On relève aussi la lenteur de mouvement des images qui permet de regarder les scènes, photogramme par photogramme. Par ces plans très lents, se joue la jonction entre la vie, la mort et la résurrection. Garett Stewart note également au sujet des champs et contre-champs au cours de cette séquence dans la « chambre galactique » qu’ils sont la manifestation d’un temps totalement inverse à celui habituellement transmis par la photographie. En effet, chaque plan subjectif émanant de l’œil de Bowman s’arrête sur celui-ci à un âge plus avancé. Or, la photographie représente le passé, « ce qui a été », et non la matérialisation du futur devenu présent comme c’est le cas à chaque mouvement du regard, par image interposée. Il écrit, littéralement : « Here is exactly where, and why, one might resist the notion of a character’s seeing his own future body as a bending of real toward photographic time (where our past is made present against to us) in the direction, and service, of epiphanic — another word for apocalyptic — time (where our future is made present in revelation)35. » Il est vrai qu’aujourd’hui grâce aux applications de morphing, une photographie peut simuler le portrait futur d’un individu. Toutefois, la remarque de Garett Stewart, va au-delà de la temporalité photographique. Elle évoque un temps apocalyptique où le futur pourrait se révéler au présent. C’est bien une torsion temporelle que représente Stanley Kubrick dans cette séquence. En quelque sorte une distorsion transfigurant le temps.
19Autre indice de ce temps concentrique, alors que le commandant Bowman est, selon les intertitres du film, arrivé au-delà de Jupiter, devenu fœtus astral, il fait face à la terre. Ceci pourrait apparaître comme une sorte d’incohérence, mais c’est assurément encore le signe de la torsion temporelle qui régit alors le final de 2001 : L’Odyssée de l’espace. Les lignes fuyantes et les cercles concentriques, ondes de couleurs, du slit-scan incarnent ce mouvement spatio-temporel. On note toutefois qu’avant ce voyage, le déroulement du temps, depuis l’aube de l’humanité jusqu’en 2001, s’avérait respecter la logique terrestre. Par extension, on observe que les films de David Lynch, Lost Highway et Mulholland Drive, exaltent tout autant un temps concentrique qui se referme sur lui-même. Coïncidence ou influence, on ne le sait pas.
L’œil cosmos
20Auparavant, la scène du slit-scan, s’achève sur l’œil de Dave Bowman, après l’avoir longtemps considéré et reproduit sous forme de phénomène cosmique, comme les cellules organiques qui jalonnent les cieux du voyage, marquant cette convergence entre l’humain et le cosmos, le microcosme et le macrocosme. Or, dans cette nouvelle séquence, Bowman observe une série de transformations sur son propre corps par regards interposés comme s’il était spectateur de sa propre évolution, de la même façon qu’il a été témoin des transformations cosmiques durant son voyage au-delà de Jupiter.
21La transfiguration de Bowman a déjà débuté au cours du voyage au-delà de Jupiter. Les contre-champs sur son visage et ses yeux qui manifestent les effets des vibrations lumineuses et un vieillissement progressif, sont en effet nombreux. Le trajet semble également s’effectuer en caméra subjective, depuis les yeux de Dave Bowman. Enfin, la forme de ses pupilles apparaît dans l’espace interstellaire accompagnée d’autres phénomènes organiques devenus cosmiques. Dans cette séquence corps et environnement sont bien unis par cet englobant qu’est le nocturne. Il est ici sous sa forme de nuit interstellaire, dont l’infinitude a résonance avec la spiritualité et l’invisible, bien différente par sa nature des nuits terrestres.
22La séquence du slit-scan qui mêle ondes lumineuses, cratères et mers aux couleurs rouges, bleues, mauves, formes physiologiques aux origines de l’existence, condense humain et cosmos, soit le corps de Bowman avec le nocturne cosmique qu’il traverse, corps et décors mêlés. Les formes abstraites des ondes lumineuses qui symbolisent la traversée du temps et de l’espace, les couleurs étranges, évoquent également l’abstraction, telle qu’elle s’exprimait en peinture dans les années soixante, période de réalisation du film.
23Sur la séquence située dans l’appartement lumineux, corps et décors semblent très distincts. Cependant, sur les premières images, le vaisseau prend à son tour forme d’œil, depuis une vue prise à l’intérieur de celui-ci. C’est alors une vision anachronique que cet objet futuriste posé sur le sol rétro-éclairé de ce lieu décoré selon le style Louis XVI. Cet appartement lumineux n’est-il pas aussi la métaphore du regard de Dave Bowman ébloui par le voyage et par la vitesse prodigieuse du temps, qui l’ont projeté vers sa propre finitude ? Daniel Arasse précise, au sujet de la Transfiguration de Raphaël, que la « brusque illumination, d’une vision éclatante après l’aveuglement exprime l’attente des hommes du moment, [… ]36 », ce moment étant La transfiguration du Christ. On observe également l’aveuglement progressif de Dave Bowman par les ondes de couleurs puis par la blancheur de cet appartement cosmique, dans lequel il meurt puis renaît, comme transfiguré. Cet aveuglement serait paradoxal puisque Dave Bowman est, au contraire, spectateur de son propre futur, puis projeté dans celui-ci.
Spiritualité et technologie
24La figure du fœtus astral dans l’obscurité stellaire face à la terre, cernée par la forme concentrique du plasma, matérialise la boucle temporelle du film. Il signifie le début d’une nouvelle odyssée, l’espoir que la mort puisse se convertir en vie, image renouvelée de la spiritualité. Il fait converger l’infiniment petit et l’infiniment grand. Stanley Kubrick crée une nouvelle échelle, place à égalité deux sphères, ce qui selon Gilles Deleuze signifie peut-être qu’elles « ont une chance d’entrer dans un nouveau rapport incommensurable, inconnu, qui convertirait la mort en une nouvelle vie37 ». Le cosmologiste et physicien Edward Harrisson observe, par ailleurs, que les étoiles, comme les humains, ont une durée de vie limitée dans le temps ce qui leur est commun, même si leurs échelles temporelles diffèrent.
25C’est aussi une image sur laquelle corps et décors (planètes) se confondent, placés sur le même plan, à la même échelle, dans un nocturne qui est, lui aussi, un décor. Ce dernier est le support de cette transfiguration. En effet, comme le rappelle Gérard Genette, « il n’est pas besoin d’une forte dose de psychanalyse pour reconnaître en la nuit un symbole maternel, symbole de ce lieu maternel, de cette nuit des entrailles où tout commence, et pour voir que l’amour de la nuit est retour à la mère, descente chez les Mères, signe inextricablement noué d’instinct vital et d’attirance mortelle. Ici se marque un dernier renversement dans la dialectique du jour et de la nuit, car si le jour dominateur est, en son plein éclat, la vie, la nuit féminine est, dans sa profondeur abyssale, à la fois vie et mort : c’est la nuit qui nous donne le jour, c’est elle qui nous le reprendra38 ». En ceci réside peut-être l’explication, pour ce choix récurrent du nocturne pour accompagner la mort.
26Enfin, il faut noter également, comme le rappelle Garett Stewart, qu’en 1968, les astronautes américains n’ont pas encore marché sur la lune tandis qu’en 1965, le photographe suédois Lennart Nilson est le premier a avoir immortalisé les étapes de développement d’un fœtus, avec un appareil photographique Hasselblad39. Un appareil de même marque sera utilisé par les astronautes américains en 196940. Garett Stewart envisage alors à travers les dernières images de 2001, la jonction faite par cet appareil photo, entre le fœtus d’un côté et la lune de l’autre, la terre entre les deux, microcosme et macrocosme réunis par la technologie41. Cette image d’une convergence entre le fœtus, la lune et la terre est une vision simultanément spirituelle et technologique de la transfiguration. Elle ne saurait exister sans les progrès scientifiques qui ont été faits au xxe siècle. En outre, si l’année 1965 correspond à la première photographie d’un fœtus, elle est aussi celle du début de la gestation du film de Stanley Kubrick42. Une coïncidence, en quelque sorte, mise en relief par ce plan final.
Regarder la mort. Lumières bleues et rouges à l’unisson des corps dans Full Metal Jacket (1987)
Directeur de la photographie Douglas Milsom (1939). Il fut assistant de John Alcott sur Orange Mécanique, Barry Lyndon et The Shining.
Trois scènes nocturnes anxiogènes
27Le film Full Metal Jacket porte sur la guerre du Vietnam. Il traite, plus spécifiquement, du conditionnement psychologique et physique des marines, jusqu’à la déshumanisation, et des conditions de vie et de mort de ceux-ci pendant ce conflit. Il s’achève pendant la bataille du Têt dans la ville de Hué. Trois séquences nocturnes le ponctuent, tandis qu’il est par ailleurs très diurne, filmé avec réalisme, parfois comme un documentaire. Ces trois scènes qui marquent chacune une transformation des individus, plongent dans leurs profondeurs psychiques et s’éloignent de la vision de surface et impartiale adoptée pour les autres séquences du récit. Kubrick, habituellement plus proche de la théorie freudienne43, a souhaité représenter ce que Jung nommait l’ombre, c’est-à-dire la part sombre et immergée des humains, ainsi que leur dualité, ici personnifiée à l’écran, et sur l’affiche du film, presque caricaturalement par le sigle « Peace » du badge porté par Joker, le personnage qui parcourt le récit, et le « Born to Kill » inscrit sur son blouson. Joker est l’emblème du conflit intérieur que peut mener un homme, ayant choisi de combattre et de tuer, et pourtant convaincu de l’horreur de la guerre. Ce questionnement est le thème du film. Celui-ci dépeint le conflit sans état d’âme, sauf lors des scènes nocturnes qui interrogent la psyché des personnages en présence. À l’inverse, les scènes diurnes, beaucoup plus nombreuses, restent en surface. L’objectif des scènes nocturnes n’est cependant pas de faire ressortir une inversion par rapport au jour. La narration souligne, au contraire, que la perte des repères identitaires et la mort rôdent autant de jour que de nuit. Le journaliste et écrivain Michael Herr, qui participa à l’écriture du scénario, relate que pendant trois ans – l’élaboration du film dura quatre années – l’unique objet de ses très longues discussions téléphonique avec Stanley Kubrick portèrent sur la représentation de cette ombre, archétype de la menace44.
28La première séquence nocturne retrace le changement de comportement des soldats à l’égard d’un des leurs, Pyle, jeune homme perdu, engagé semble-t-il plus par masochisme que par conviction ; la douleur qui s’ensuit, puis la dépression et la folie qui le gagne peu à peu. Pyle est également persécuté depuis son arrivée par l’insupportable et tyrannique sergent Hartman45. Il y a, au cours de cette scène nocturne, transformation des comportements des collègues de Pyle par un déferlement de violence envers lui – ils ont été punis par sa faute – et altération du psychisme de Pyle, induite par la douleur et le sentiment d’injustice. C’est-à-dire une transformation des corps à l’égard du jour, dans une atmosphère nocturne dès à présent bleutée. Pour les deux scènes cruciales, dans le centre d’entraînement en Caroline du sud (tournées en studio à Londres), des éclairages d’appoint ont été placés à l’extérieur des fenêtres. Un éclairage bleu accompagne ainsi la douleur et la progression vers la mort de Pyle.
29Le directeur de la photographie, Douglas Milsome, confirme qu’ayant assisté John Alcott sur Barry Lyndon et The Shining, il aimait fabriquer cet éclairage extérieur et hors champ46. Il confirme avoir joué sur les effets contrastés, les ombres, que permet cette lumière bleue, tout à fait opposée à l’éclairage diurne plus chaud et plus naturel qu’il a pratiqué pour les scènes diurnes47. La première scène ne sera pas analysée mais plus spécifiquement les deux suivantes sur lesquelles personnages et décors semblent converger de concert vers la mort.
30La seconde scène nocturne scande le dénouement dramatique de la première partie, elle s’achève par un long fondu au noir et un changement de territoire puisque l’action se situe désormais au Vietnam. Joker devient ensuite le personnage principal, Pyle et le sergent Hartman ayant perdu la vie au bout de quarante-cinq minutes de film, avant même d’affronter l’ennemi. Toutefois, c’est aussi parce que la guerre commence dès l’étape d’entraînement, que ces deux personnages meurent dans ces circonstances, de surcroît de nuit, quand le calme est censé régner. Joker est à la fois acteur et témoin de ce premier drame puis du second.
31Au cours des lignes suivantes, il s’agira de définir la transfiguration nocturne qui se manifeste conjointement sur corps et décors au cours de la scène qui clôture la première partie du film, puis sur celle par laquelle il s’achève. L’une est baignée par la couleur bleue et la seconde par la couleur rouge, évoquant par cet aspect le bleu-vert-blanc du labyrinthe et le rouge de l’hôtel Overlook de The Shining. Une comparaison que confirme Douglas Milsome. Il explique avoir créé une photographie similaire à celle qui a été réalisée pour The Shining sur les scènes nocturnes de Full Metal Jacket48. Il ajoute avoir tenté, dans un souci d’émulation vis-à-vis de son mentor, John Alcott, qu’il assistât pendant vingt ans, d’aller au-delà de celui-ci, tout en appliquant toujours le mode opératoire que celui-ci lui avait enseigné49. Ces séquences sont également accompagnées par une musique électronique composée sur un ordinateur synthétiseur par Vivian Kubrick (sous le pseudonyme Abigail Mead) qui participe par des mélodies lancinantes ou des notes coupantes à leurs atmosphères anxiogènes.
Bleu mélodique et prémonitoire
32Sur la séquence nocturne qui clôt la première partie, la caméra suit Joker, de garde. Il parcourt le grand dortoir, se rend dans un couloir, puis observe, de part et d’autres de ce dernier, la porte de la chambre du sergent Hartman, puis celle des toilettes qui est entre-ouverte. Spartiates, ces lieux de vie dénoncent la perte de l’individualité et le contrôle par l’austérité. En revanche, ils sont nimbés d’une lumière bleue, dont on peut souligner comme Bruno Duborgel « le caractère céleste, la relation à l’infini, au mystère, à la sagesse50 ». Ils forment un plan cruciforme, ce qui ajoute encore à la connotation spirituelle. La transfiguration nocturne s’insinue alors sur les décors par le choix des focales et des effets de luminosité. C’est-à-dire, la façon d’appréhender les lieux dans l’obscurité, par un effet de tremblé malgré le steadycam ; par la position de la caméra, qui change plusieurs fois de point de vue, alternance de champs-contrechamps de face et de dos, quand elle filme Joker et Pyle, l’instant d’après, et s’attarde simultanément sur les ombres qui se détachent sur les murs des toilettes ; par un travelling arrière lors de la surveillance de Joker, ainsi que les contrastes entre le bleu persistant et le rose orangé de l’éclairage de la torche, sur les deux portes rouges et par là même, introduction de la teinte rouge, puis du sang, dans cette nuit inquiétante.
33On observe que la couleur bleue de l’éclairage évoque la sublimation nocturne, tandis que les décors sont filmés par moments avec des effets de distorsions (flous, halos…). Les distorsions participent ainsi de la sublimation et de la transfiguration tandis que l’effet dramatique résulte des trois processus précédents. Enfin, cette importance accordée à un invisible prémonitoire s’exprime par le son, le silence et la musique, qui se suivent, se chevauchent accompagnent la progression de l’action et suppléent le regard dans cette nuit pourtant claire. Kubrick, dont il a été souligné par Michel Ciment, combien la culture allemande et autrichienne lui étaient proches à travers les textes de Sigmund Freud, Arthur Schnitzler, Stefan Sweig et Friedrich Nietzche51, aura sans doute mis à profit cette remarque du philosophe dans l’Aurore : « L’oreille, organe de la peur, n’a pu se développer aussi amplement qu’elle l’a fait que dans la nuit ou la pénombre des forêts et des cavernes obscures, selon le mode de vie de l’âge de la peur, c’est-à-dire du plus long de tous les âges humains qu’il y ait jamais eu : à la lumière, l’oreille est moins nécessaire. D’où le caractère de la musique, art de la nuit et de la pénombre52. » Présente cependant de jour comme de nuit dans l’œuvre de Kubrick, la musique diffère en fonction de la temporalité et de la trame narrative à l’intérieur de ses films. Full Metal Jacket se particularise par sa bande sonore musicale composée de quelques succès des années 1967-1968, placés sur les deux génériques et sur plusieurs scènes diurnes, l’action se situant avant et pendant 1968. En revanche, la musique qui surgit lors des trois scènes nocturnes a été composée de manière électronique, avec des tonalités qui évoquent l’inspiration de Ligeti, Penderecki, Bartok, compositeurs chers aux cinéastes, présents les uns ou les autres, par leurs œuvres dans 2001, The Shining et Eyes Wide Shut. En définitive, l’angoisse latente qui éclate ensuite en tragédie dans ce décor d’aspect initialement très neutre, sublimé par un bleu spirituel, des rais de lumières blanches et des ombres plus mauves que noires, est initiée par ces petites notes métalliques qui interviennent en alternance avec une mélodie de caractère mélancolique.
Chute vers le vide
34Entré dans les toilettes, Joker a stoppé son parcours face à Pyle puisque celui-ci est armé. Bien qu’impassible, il est dans une position de défensive, pétrifié, les jambes arquées. Il semble alors que la vie de Pyle n’ait plus été qu’un jour sans fin. En effet, son insomnie le conduit à la mort, et l’on sent, par le décor, teinté de bleu et de gris, que son existence est devenue uniforme et sans répit, et non plus rythmée par une alternance de jours et de nuits. L’agrypnie, en effet, rompt le cycle naturel. Elle annule la venue d’une nouvelle aube. Michaël Fœssel souligne que sans nuit, le jour n’existe plus53. Comme dans Passion (2012) de Brian de Palma, le décor est, semble-t-il, éclairé de bleu, parce que le regard du personnage ne peut plus distinguer la nuit du jour. Les nuits de Pyle sont devenues jours et il erre dans les couloirs une arme à la main, reproduisant les entraînements de tirs. Ce qu’il fait tout à coup, dans les toilettes, en hurlant les sentences du sergent Hartman apprises par cœur, déplaçant son arme sur sa gauche, puis sur sa droite, et visant un ennemi invisible. C’est par ce manège qu’il éveille tous les soldats endormis dans le dortoir. Un contre-champ les révèle tous levés se rejoignant dans un même mouvement très chorégraphié – Kubrick avait habitude de faire inscrire les déplacements sur le sol54.
35Le sergent Hartman surgit, très agité, et ne se maîtrise que quelques instants, ce qui causera sa perte. Comprenant que Pyle est dangereux, il lui parle plus gentiment, mais, il ne parvient pas à maîtriser sa colère au-delà de quelques minutes, et reprend ses litanies injurieuses. En quelque sorte, il se suicide par l’intermédiaire de Pyle, qu’il a déjà auparavant épuisé d’insultes. Celui-ci écoute en silence le sergent Hartman, ce n’est qu’après ses injures et ses inflexions de voix, qu’il tire. Lorsque le corps d’Hartman tombe, la musique, telle une vague, se fait comme un écho de sa chute. Le mouvement est alors au ralenti, en slow motion. Cet effet permet de voir surgir le sang de la poitrine du sergent, et de percevoir le vertige de ce passage vers le vide. Il n’y a pas d’agonie, la mort est immédiate, sans possible rémission.
36Gilbert Durand souligne que la chute « est la quintessence vécue de toute la dynamique des ténèbres55 » et que « cette métaphore est solidaire des symboles des ténèbres et de l’agitation56 ». En effet, si la première chute humaine, la naissance, conduit à la lumière, dans l’imaginaire, la chute conduit à l’obscurité, au sol, voire au gouffre. La chute est une figure de la mythologie. Elle apparaît dans les mythes d’Icare, de Tantale, de Phaéton, Ixion, Béllerophon et enfin dans celui d’Atlas57. La chute est également reliée à la temporalité, et se place du côté de la vie – ultime moment du vivant dans les scènes nocturnes étudiées. Au cours de celle-ci se produit une accélération de mouvement. C’est aussi une angoisse qui serait reliée à la naissance, première peur que connaît l’humain58. D’où peut-être ce vertige produit sensiblement à l’intention du spectateur, par le ralenti et le suivi du corps du sergent Hartman jusqu’au sol tandis que la musique semble déferler vers un abîme sans fond. Cette même chute vers la mort sera visible dans la seconde scène de Full Metal Jacket et dans l’ultime scène de Mulholland Drive de David Lynch.
37Joker reste calme, bien que paniqué, et doit probablement son salut, à sa voix amicale et à l’aide qu’il a prodigué à Pyle durant les entraînements. Celui-ci a déclaré dès le début de leur dialogue « I am in a world of shit » n’incluant pas son collègue. La gaucherie, la timidité et enfin le désarroi et la dépression de Pyle ont été filmés depuis le début du récit avec bienveillance, engageant la compassion du spectateur à son égard. Joker a tenté de l’aider, sous l’impulsion du sergent Hartman. Il a pourtant participé, comme les autres soldats, à sa punition nocturne. Ces trois personnages sont liés, et la folie de Pyle résulte, en partie, du comportement des deux autres. Certains plans, au cours de scènes d’entraînement de jour, ont déjà souligné l’aliénation progressive de Pyle, mais, éclairé par cette nuit devenue blanche, de par les lumières placées sur les façades extérieures du camp d’entraînement, il apparaît désormais vidé de toute humanité, assis sur un des toilettes, les yeux blancs, un rictus aux lèvres, une arme à la main et des munitions « 7-62 chemisées métallisées (7-62 full metal jacket)59 » de l’autre. Son corps imposant est affalé comme s’il avait déjà abandonné la lutte. Son visage marqué par des yeux exorbités devenus blancs et un rictus ironique, qui s’insère à plusieurs reprises, par le même plan américain, lors de l’essai de dialogue amorcé par Joker et lors de l’échange muet et menaçant, avant son suicide, évoque pour certains, les rictus de Jack ayant basculé dans la folie dans The Shining60, mais aussi, un gros mammifère marin – il est dénommé Pyle, baleine – qui aurait échoué trop loin sur le sable et ne serait plus approvisionné en oxygène. Néanmoins, si l’attitude de Pyle manifeste qu’il a déjà basculé dans un ailleurs, il est suffisamment conscient pour se rendre compte que tuer Joker serait inutile. Après l’avoir tenu en joue, quelques longues secondes, il soupire, renonce et dirige le fusil vers lui. Son attitude dénote alors du désespoir qui a généré cette aliénation. Quand Pyle tire, Joker hurle, mais, apparemment – et c’est là une ambiguïté voulue par la mise en scène – il lui est impossible de tenter un geste de sauvegarde à l’égard de Pyle. Celui-ci se suicide faute de pouvoir affronter plus encore de mauvais traitements qu’il ne l’a fait jusqu’à présent.
Rouge, bleu, noir
38Cette séquence s’achève par un flot de sang qui vient gicler sur un mur blanc, après que Pyle se soit littéralement fait sauter la cervelle. Ce flux de sang est comme annonciateur des horreurs de la guerre du Vietnam, à laquelle conduit le fondu au noir qui s’empare du corps de Pyle. L’attitude de son cadavre, assis, la tête en arrière, est à rapprocher de celle d’une des seules victimes vietnamiennes des marines montrée dans le film, un jeune Viêt Công, arboré comme un trophée par les soldats dans une séquence plus tardive.
39Il y a transfiguration nocturne par le sujet de cette scène, la mort de deux personnages et par l’éclairage liturgique qui modifie la perception du décor et lui donne valeur anticipatrice du drame à venir. En effet, nimbé de bleu, composé de trois pièces et un couloir, le décor, symbolise par son plan cruciforme et sa couleur, le sacrifice, celui des deux hommes. De ceux-ci, gicle un sang rouge sur les murs de ce même lieu. Il y a bien fusion entre les corps, les décors et l’action. Cette scène nocturne est également comme un lointain écho à La transfiguration peinte par Raphaël. Elle est en effet baignée de cette même lumière bleue et blanche qui nimbe le Christ ressuscité et met en scène un personnage « possédé » qui demeure dans l’obscurité. La couleur bleue la définit comme une nuit mystique. La luminosité nocturne s’oppose au réalisme du récit. Toutefois, celui-ci converge vers cette nuit qui plonge le spectateur face au spectacle de l’aliénation de Pyle, du meurtre qu’il commet et de son suicide, événements dramatiques qui demeurent invisibles à l’ensemble des soldats, excepté à Joker, le personnage conducteur, un anti-héros, du film.
40Cet éclairage bleu n’a pas été choisi par hasard par Stanley Kubrick et Douglas Milsom. Il apparaît dans d’autres films, lors de scènes nocturnes également dramatiques : dans Orange Mécanique (attaque du vieux clochard), dans le final extérieur de The Shining et dans Eyes Wide Shut, sur lequel, cependant, Douglas Milsome n’est pas intervenu. Il est difficile de déterminer dans cette séquence s’il est le résultat d’une nuit américaine, ou s’il s’insère dans une nuit réelle, par les éclairages d’appoint aux fenêtres et le choix de l’ouverture du diaphragme de la caméra. Quoi qu’il en soit, l’éclairage bleu n’interviendra plus au cours de la seconde partie située au Vietnam. Le conflit est filmé de jour et les teintes dominantes sont plutôt le blanc, le vert et le gris. Toutefois, c’est le rouge et le noir qui contaminent la longue nuit du final situé pendant l’offensive du Têt dans la ville de Hué. Ils sont introduits par le dernier plan sur le sang qui a giclé autour de Pyle et le fondu au noir, suffisamment long, pour sous entendre les événements qui ont suivi cette nuit. Le nocturne bleu devient non pas symbole d’espoir mais de sa perte, et le nocturne rouge cerné de flammes, un résumé de l’enfer sur terre.
Rouge et noir
41Dans cette ultime scène nocturne qui clôture la seconde partie de Full Metal Jacket et débute au crépuscule pour se poursuivre dans une nuit hors champ, l’ordre et la froideur implacable ont fait place au désordre des ruines, des débris, de la poussière et du feu. Les ondulations orangées de ce dernier, s’opposent et se conjuguent au fond noir de l’obscurité et s’emparent des murs peints à la chaux qui ont en partie résisté aux assauts des combats.
42Selon les explications de Stanley Kubrick, le début de cette séquence fut tourné en conditions réelles, chaque soir, pendant quarante-cinq minutes après des répétitions qui duraient toute une journée, afin que le feu et les fumigènes soient bien visibles61. Les scènes situées en extérieur, au cours desquelles les soldats approchent du bâtiment qui cache le sniper, exaltent un crépuscule mauve plein d’espoir tandis que d’autres plans montrent un ciel gris envahi par les fumées provenant du feu, des tirs et des fumigènes. L’action se concentre ensuite dans une vaste demeure dévastée par les flammes, évoquant alors, en mouvement, la partie supérieure de l’enfer, peint par Jerôme Bosch sur son triptyque intitulé Le jardin des délices (1494-1505). L’épilogue du film prolongera cette référence, avec la vue sur de très jeunes soldats, tandis qu’ils parcourent la ville embrasée par le feu, sorte de brasier géant rougeoyant dans une obscurité très noire. Cette atmosphère sombre parsemée de feu pourrait aussi avoir une connotation spirituelle. En effet, dans la tradition chrétienne le feu est aussi une allégorie de Dieu62.
43Enfin, la présence de la chanson, Paint It Black des Rolling Stones, pour conclure, après ces derniers plans sur lesquels se combattent rouge et noir, sorte de condensé coloré des forces en présence, Viêt-Congs et américains, n’est pas anodine. Bande sonore d’un générique sur fond noir, les paroles résonnent avec les couleurs qui ont dominé la fin du film. « I see a red door and I want it painted black/No colours anymore, I want them to turn black […]. » Le feu s’empare du noir de la nuit, semble gagner le combat, mais les vestiges rouges des décorations des demeures des civils vietnamiens sont brûlés et voués à devenir noirs. Il y a consumation par le feu pour aboutir au noir des cendres et de la mort. Rouge et noir se rejoignent et sont unis par le nocturne.
Mise à mort
44La mort hante cette séquence, d’une part parce que précédemment trois soldats ont été tués par le tueur embusqué dans les décombres et les flammes, et parce que ce même tueur, qui s’avère être une très jeune adolescente, sera tué. C’est une preuve encore, après la scène précédemment analysée, que la préparation à la guerre, ne permet pas forcément d’affronter l’ennemi tel qu’il se présente. Tous les éléments de la mise en scène convergent vers la représentation de la mise à mort de ce tueur tapi dans l’ombre : le décor incandescent dans l’obscurité nocturne ; les travellings latéraux qui suivent les parcours des soldats ; la chorégraphie de leurs mouvements calculés pour se protéger de l’ennemie ; la musique électronique inquiétante qui les accompagne pas à pas ; le flou sur la sniper lorsqu’elle est découverte ; les gros plans sur son visage lorsqu’elle repose sur un gravier devenu rouge sous l’éclairage du feu ; l’illumination bleue sur l’arme qui la tue et sur le décor qui entoure le soldat, qui l’a abattue. Pourtant, la mort de la jeune femme est esquivée à l’écran. Les derniers plans la montrent vivante. Sa mort est uniquement personnifiée par le tir de Joker et les expressions de son visage, durant ce moment ambigu. Kubrick filme consciencieusement l’agonie, ce passage de la vie à trépas, et d’autre part, il interroge l’acte de la mise à mort. Tout d’abord, il s’attache à restituer le processus de transformation vers le néant. Le volte-face de l’ennemi, blessé par un tir, est enregistré dans un flou au ralenti, pour ménager la surprise avant la découverte de son visage. Puis, l’adolescente apparaît, filmée de plus loin, forme noire tombée au sol sous les impacts de balles. Enfin plusieurs gros plans se focalisent sur le visage de la jeune vietnamienne, éclairée par la lumière rouge du feu, tandis qu’elle supplie qu’on l’achève. Gaston Bachelard déclare que « la mort dans la flamme est la moins solitaire des morts. C’est vraiment une mort cosmique où tout un univers s’anéantit avec le penseur. Le bûcher est un compagnon d’évolution63 ». En effet, même si la jeune femme ne meurt pas par l’entremise du feu, la présence de celui-ci évoque bien un environnement cosmique. L’atmosphère nocturne se fait spirituelle. La jeune femme est encerclée par des ennemis qui ont des visages graves. Dans cette nuit orangée, elle ne connaît pas une mort solitaire. Elle disparaît, tandis que s’écroulent, sous les flammes, les fondations du village qu’elle a défendu, désormais lui aussi déserté par la vie. L’obscurité balayée par le feu met en évidence ce moment. Elle lui apporte une solennité, dont on peut douter qu’elle fut de mise dans le contexte réel de la guerre du Vietnam.
45La scène de mise à mort de la jeune sniper dure de longues minutes, durant lesquelles chaque soldat, le visage filmé en gros plan sur fond d’obscurité rouge, s’interroge sur le bien-fondé de la laisser périr – probablement mangée vivante par les rats – ou de la tuer. Ce lent questionnement des soldats est évidemment une transfiguration de la réalité. Tout à coup morale et philosophie viennent interrompre l’action normalement rapide de la guerre. Gaston Bachelard note que la lenteur est inhérente au nocturne64. Or, dans cette scène, ainsi que dans la précédente, Stanley Kubrick l’adopte. Elle apporte gravité et spiritualité. Il y a donc transfiguration, par le sujet de la séquence, consacré au passage de la vie à la mort, mais aussi par une action, qui s’éloigne de la réalité. Le nocturne rougeoyant apporte une dimension plus méditative.
Transfiguration du réel
46Stanley Kubrick parvient subtilement à unir corps et décors par une atmosphère sombre et mystique qui transfigure une réalité bien plus atroce qu’il ne la représente. En ce sens, Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola rend compte avec plus de célérité « du bourbier » dans lequel évoluent les soldats, du chaos, de la saleté, du bruit infernal et discontinu des hélicoptères et des bombes, de la violence, de la fatigue, de la maladie. Dans ce film, les scènes nocturnes renvoient unanimement à l’obscurité de la fin du monde, aux ténèbres de l’humanité. Elles évoquent la mort dans sa définition violente et sinistre.
47Dans Full Metal Jacket, le silence, la gestuelle parfaite des marines, alors que règnent l’obscurité et le désordre, s’intègrent à une représentation transfigurée des scènes de violence. L’enfer filmé par Kubrick est sans commune mesure avec celui que dépeint Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Par son minimalisme, paradoxalement étayé d’innombrables détails visuels, auxquels le nocturne sert de fond et de réflecteur, Kubrick parvient à transfigurer et donner une aura spirituelle à une scène qui aurait pu se caractériser comme une sommaire exécution de l’ennemie. Celle-ci devient une scène philosophique et spirituelle. L’immense pièce noire consumée par le feu qui rougeoie dans l’obscurité nocturne est comme la sombre grotte de Platon, prétexte à des questionnements existentiels de la part des marines. À l’inverse, le film Apocalypse Now rend compte de la vitesse de la violence à laquelle ceux-ci sont confrontés. Ce nocturne parcouru de brasiers est synonyme de l’enfer dont il est impossible de ressortir, une métaphore de la guerre. Il y a transfiguration par cette déviation philosophique. L’obscurité met en lumière les dilemmes et les conflits intérieurs des individus, un invisible rendu visible à l’écran par Kubrick dans le contexte privilégié du nocturne.
48Très subtile est son utilisation d’une texture réaliste dans le traité filmique. S’il se rapproche « d’un hyperréalisme pictural et photographique65 » presque documentaire, Stanley Kubrick parvient lors des scènes nocturnes qui figurent des aspects plus immergés de la guerre, à une transfiguration du réel. Son approche est alors plus passionnée que cartésienne. Il apporte humanité à la séquence d’affrontement avec l’ennemi, en lui donnant un visage féminin, et dignité aux soldats, sujets principaux de ce film. Le rouge et le noir forment comme un magma dans lequel tous sont enlisés. Orange, noir et rouge portent le récit vers la représentation de l’ombre, cette force qui conduit les hommes à détruire et à tuer. Paradoxalement, le personnage de Joker, flegmatique et ambigu, en est l’expression. Il est la personnification d’une certaine ambivalence qui le porte vers la lâcheté. Intelligent, il participe à la guerre en tentant de se préserver, sans convictions profondes pour ce combat. Il est une des ombres du conflit. Toutefois, comme l’exprime le final du film, sa jeunesse, comme celle de ses collègues, excuse ce comportement. Joker, comme tous les jeunes soldats, est enlisé dans un marécage de noirceur et encourt la mort. Le cinéaste s’est d’ailleurs refusé à le faire mourir à l’écran, après l’avoir pourtant envisagé dans ses premiers scripts66.
49Après cette scène, par un fondu enchaîné, l’action se situe désormais dans une nuit totale. Le sol est recouvert de boue, le ciel est noir, seule la ville embrasée par un feu rouge éclaire l’obscurité. Par une alternance d’éclairages majoritairement orangés, les notes métalliques et la mélodie lancinante, la progression de l’action semble aller, de concert avec le feu, vers l’enfer, avec pour seules notes d’espoir, le mauve du crépuscule et le bleu qui auréole l’arme qui tue l’ennemi. La personnification de celui-ci en adolescente, apparaît comme une critique du gâchis et de l’absurdité de ce conflit mené par des jeunes gens à peine sortis de l’enfance. Elle est encore symbolisée par le refrain du club Mickey, que tous les soldats entonnent en chœur alors qu’ils parcourent la ville en feu dans un bourbier noir, au cours des derniers plans du film. Durant ce long final qui dure dix minutes, au cours duquel la caméra progresse avec les soldats, non pas dans un mouvement implacablement symétrique, comme dans celui de The Shining mais plutôt par des avancées latérales, permettant d’observer le sol devenu noir et poussiéreux, les décombres des murs et des palissades, les restes de peinture rouge aux murs, les brasiers qui traversent le grand bâtiment en ruine, les corps et décors sont unis par cette nuit fauve. L’esthétisme de ce dénouement est proche de celui de The Shining, tourné sept ans auparavant. En effet, l’atmosphère à la fois sombre et rouge-orangée, le choix des grands angulaires, ainsi que quelques plans sur des individus encadrés par des embrasures de portes non plus rectangulaires mais orthogonales s’avèrent évocateurs.
50La transfiguration nocturne ainsi observée est sans relation avec l’exaltation de la beauté nocturne. Elle est en revanche une forme de vision plus allégorique et passionnée qui s’insère dans un contexte réaliste. Tenter de représenter la mort est, en quelque sorte, essayer d’incarner un mystère. Tout à coup, dans Full Metal Jacket, les décors ne sont plus aussi neutres qu’ils l’étaient de jour. Ils se transforment sensiblement, par les objectifs grands angles qui accentuent les perspectives, quelques flous, très rares mais disséminés par deux fois au cours des deux séquences qui ont été étudiées, par la lumière et le rapport des couleurs froides ou chaudes opposées à la nuit noire. Celle-ci raccourcit la vision ou l’environne d’obscurité. On note que les couleurs bleues et orange qui viennent contrarier l’obscurité, l’une, dans la première scène étudiée, la seconde, dans la dernière, sont complémentaires.
51Selon Goethe, le bleu est bien la couleur de l’ombre et de l’inquiétude, tandis que l’orange, qu’il nomme jaune-rouge est celle de l’ardeur67. Cette dernière, qui se mue en rouge, s’oppose à la couleur noire qui l’atténue. Stanley Kubrick, n’est pas un peintre, mais un cinéaste également photographe. Le chef opérateur Douglas Milsome rappelle que le style de Stanley Kubrick est particulièrement graphique. Il souligne que la symétrie règne sur ses compositions, que son choix des grands angulaires permet d’enregistrer de nombreux détails et d’action, tandis que les acteurs évoluent toujours de façon chorégraphiée sur les décors minutieusement conçus68. Par son attention au rendu photographique et aux couleurs, Stanley Kubrick filme, tels des tableaux en mouvement, des scènes de transformation inéluctable. Qu’il tente de sublimer la peur de sa propre mort en la transfigurant par des scènes nocturnes à consonances mystiques est une hypothèse. Michel Chion formule cette éventualité. Selon lui, à travers tous ses films, et plus particulièrement Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut, qui évoque la mort dans son titre même, Stanley Kubrick, aurait tenté d’affronter sa peur de mourir69. Le thème de la mort, par sa récurrence, pourrait être une entrée dans son cinéma. La mort, dont Evgen Bavcar souligne qu’elle peut être ramenée aux ténèbres sans fin qui anéantissent le souvenir du vivant70, prend une ampleur plus mystique et plus forte dans le contexte nocturne. Les éclairages artificiels et les couleurs atténuent sa réalité sordide, la transfigurent.
Projections mentales. Le suicide de Mulholland Drive (2001), la métamorphose de Lost Highway (1997)
Directeur de la photographie : Peter Deming.
Guerre intérieure dans Mulholland Drive
52Les scènes de transfiguration sont typiques de la mise en scène de David Lynch qui met en relation corps et décors unis par le nocturne lorsque surgissent angoisses, changements psychiques et physiques et enfin la mort. Les images mentales s’intercalent et se mélangent alors aux décors signifiant les pensées des personnages à l’écran. En quelque sorte extérieur et intérieur se rejoignent dans une atmosphère au préalable nocturne qui ne permet plus d’envisager distinctement les limites dans l’espace.
53Le final de Mulholland Drive (situé de 2 : 12 : 19 à 2 : 16 : 40) composé de cinq séquences, dont quatre très courtes, illustre encore combien la transfiguration, dans sa version dramatique, conduit au néant. Au cours des premiers plans, qui répondent à une scène diurne située au début du film, la caméra fixée à un bras pivotant71 contourne un muret construit à l’arrière du café Winkies situé sur Sunset Boulevard. Tout à coup des couleurs sont insufflées à l’obscurité, et viennent s’opposer à des plans très noirs, signifiant, peut-être, la part d’illusions que fait miroiter Los Angeles, ville de cinéma, et l’obscurité dans laquelle elle peut entraîner. Mauve et fuchsia éclairent le mur de pierre qui abrite un étrange clochard, interprété par une femme, et soulignent par ce contraste le tragique des destinées dans cette ville dédiée au cinéma. Ce personnage, qui pourrait être la disparue, Camilla Rhodes, les symbolise. Par un fondu enchaîné, l’action se situe désormais à l’intérieur d’un appartement dans une temporalité indéterminée, puis signifiée comme nocturne, par un plan très furtif, en surimpression, sur la femme SDF dans l’obscurité, au moment de la mort de Diane Selwyn. La quatrième séquence montre Los Angeles nocturne et rayonnante, par des plans alternativement fixes et en mouvements, contaminés par la surimpression du portrait en surexposition des deux héroïnes du film. Le nocturne sur la ville devient écran de cinéma tandis que les deux jeunes femmes sont comme deux anges irradiés dans les cieux. Le film se clôt par un retour au théâtre Silencio. Les rideaux de scène ainsi que la salle apparaissent sur une image fixe filtrée par du bleu intense, puis sur un plan en couleurs réelles. Une spectatrice, coiffée d’une perruque bleue – couleur d’une mystérieuse boîte et de sa clef, qui font office d’indices et de jonction entre les deux parties du film – proclame le « silencio » définitif.
54La scène du suicide de Diane Selwyn, placée entre ces différents plans, est un déferlement de couleurs, de lumière et d’agressions physiques qui n’émanent pourtant que de son esprit. Malgré la profusion de mouvements, de bruits, de cris, l’intrusion d’un couple de retraités devenus agressifs alors qu’ils étaient sympathiques sous l’éclairage du soleil californien, la guerre qui se joue, a contrario de Full Metal Jacket sur lequel, par ailleurs, les scènes de mort sont assez silencieuses, est uniquement de l’ordre de l’intime. Pourtant, il y a déferlement de violence, tant dans la narration que par le biais des effets de son, lumière et mouvement. Comme dans le film de Stanley Kubrick, cette scène nocturne permet d’envisager le psychisme du personnage. Alors que Pyle dévoilait désespérément, et pourtant avec plus de réserve, sa folie à son camarade Joker et au spectateur, au plus profond d’une nuit bleue, Diane Selwyn achève sa vie par une violente agonie. Elle doit lutter et hurler contre des personnages issus d’hallucinations alors que les cloisons de son appartement, sous des éclairages stroboscopiques bleus, ne semblent plus l’isoler des agressions du monde. Intérieur et extérieur se confondent dans sa tête et sur son lieu de vie.
Suicide hallucinatoire
55Dans cette scène de suicide, l’atmosphère nocturne et les effets d’éclairages plus intenses, qui lui sont associés, servent à rehausser les couleurs et donner consistance aux nombreuses fumées, dont par ailleurs Stanley Kubrick a expliqué, au sujet de Full Metal Jacket, qu’elles ne peuvent prendre forme qu’en conditions nocturnes ou crépusculaires72. Même la SDF, vêtue d’un costume de singe noir qui se fond dans l’obscurité, est environnée d’une fumée rouge, qui permet d’observer la boîte bleue qu’elle tient dans la main, puis qu’elle glisse dans un sac en papier d’où ressortent les deux retraités, miniaturisés et filmés en accéléré. Ils gesticulent et se glissent sous la porte de l’appartement de Diane Selwyn. Enfin, lorsque retentit le coup de feu fatidique, une fumée bleue surgit depuis le lit où repose désormais la jeune femme et monte vers le plafond de la chambre. Entre ces deux moments, la caméra aura zoomé sur la clef bleue posée sur une table basse et progressé jusqu’à Diane Selwyn, tout d’abord assoupie, puis songeuse, le regard fixé sur la clef, installée sur son canapé dans la pénombre et le silence – silence dont il faut noter la présence pendant quelques secondes. On note que le film débute par un rapide plan sur la couverture rouge qui recouvre le corps de Diane Selwin. La boucle est ainsi bouclée. En quelque sorte, comme en référence à Sunset Boulevard (1950) de Billy Wilder, c’est un cadavre qui est à l’origine du récit. En ces instants de dénouement du film, le silence et l’obscurité prévalent. Ils sont cependant interrompus par les coups frappés à la porte, le surgissement des deux retraités, des cris d’enfants et d’adultes. Lorsque Diane bondit de son canapé, l’éclairage se fait dense. Il balaie la pièce décorée de tons mauves. Alors que le couple l’agresse et l’accule jusqu’à sa chambre en s’élançant contre elle, en tentant de la frapper ou de lui arracher les cheveux, un éclairage stroboscopique dans des tons bleus s’empare des lieux, prolongeant la violence physique et auditive, par des effets lumineux fulgurants. Pour échapper à la violence et au tumulte, Diane Selwyn, tombe sur son lit, s’empare du révolver placé dans le tiroir d’une commode et tire – sans se rater, à l’identique de Pyle dans Full Metal Jacket. Le traité filmique de David Lynch s’avère d’emblée plus excessif que celui de Stanley Kubrick, même si tous deux s’accordent sur cette union des corps et décors nocturnes. Pour rendre compte d’un événement tragique mais non surnaturel, David Lynch recourt visuellement à des effets proches du cinéma fantastique en introduisant à l’écran les hallucinations ou les angoisses d’un personnage qui viennent se fondre dans les décors. Il restitue, par des effets de couleurs opposées à l’obscurité, les désordres et la nuit psychique d’un individu dont la mort apparaît comme un soulagement. En effet, le coup de feu marque la fin immédiate du déchaînement de violence physique et sonore.
56Cette séquence spectaculaire scénographie le cheminement psychique et physique de l’actrice jusqu’à sa transformation inéluctable. Il y a bien transfiguration car David Lynch ne se contente pas d’un plan pour signifier le suicide, il suit la progression jusqu’au geste fatal. Il y a donc une transformation introduite par différentes distorsions, sonores, lumineuses, corporelles. Cet événement dramatique a lieu dans une atmosphère nocturne picturale et spirituelle, pour sa signification dramatique mais aussi parce qu’elle concourt à la production de tous ces effets visuels. En ce sens, le nocturne est un dispositif qui permet de visualiser des images mentales sur son fond sombre. Les distorsions participent de cette transfiguration aux tonalités théâtrales et baroques. Après le coup de feu, la fumée et la caméra progressent vers le plafond, comme pour signifier une ascension vers les cieux.
57Un dernier plan montre la femme SDF dans l’obscurité, puis Diane/Betty et Camilla/Rita, irradiées par une surexposition photographique, évoluant sur le ciel nocturne et lumineux de Los Angeles. L’iconographie chrétienne du Christ transfiguré sur le mont Thabor dont « le visage resplendit comme le soleil et les vêtements devinrent éblouissants comme la lumière73 » peut être évoquée. Enfin, par le dernier mot du film, « Silencio » le cinéaste semble confirmer qu’il a filmé une allégorie et transfiguré, la vie des comédiennes et des réalisateurs, comme le fit jadis Billy Wilder dans Sunset Boulevard74.
Dramatisation nocturne
58Il ressort des trois scènes de progression vers la mort issues de Full Metal Jacket et de Mulholland Drive, que personnifier celle-ci à l’écran, demande des efforts de mise en scène. Le dispositif nocturne permet de faire surgir lumières, couleurs, fumigènes et de donner une dimension spectaculaire à ces moments fatidiques. Les alternances de silence et de fonds sonores ou de musique, avec celles de l’obscurité et de la lumière, sont communes au cinéma de Kubrick et de Lynch. Elles concourent à la tension dramatique. Malgré leurs dissemblances esthétiques et narratives, les trois séquences ont une progression et un final comparables. Tous les personnages trouvent la mort. Les uns dans une nuit sublimée par une couleur bleue liturgique, une autre dans une nuit rouge, enflammée par des tirs de soldats, et la dernière dans une obscurité imprégnée de couleurs, travaillée en surexposition et en surimpression.
59Le dénouement de Mulholland Drive est paroxystique. Extérieur et intérieur se rejoignent à travers les décors mais aussi par le biais du personnage, présent à l’écran par son corps et par les pensées qui l’assaillent. Couleurs, sons agressifs, corps fantasmatiques du couple âgé et décors semblent aussi vivants les uns que les autres et poursuivent l’héroïne pour la détruire.
60Il existe une grande différence entre l’objectivité et le réalisme de Stanley Kubrick, parfois interrompu, lorsqu’une menace ou la mort surgissent, par des élans plus lyriques de la caméra, par des flous, des tremblés, des grands angles et des choix de couleurs symboliques sur les décors et pour les éclairages, et les envolées baroques de David Lynch. Cette exubérance formelle s’exprime, dans cette séquence, par le port de la caméra, innovant, par l’intermédiaire d’une tige métallique qui exécute des huit dans l’espace, lors du travelling avant vers la femme qui se cache derrière un mur75 ; par l’utilisation de projecteurs munis de filtres de couleurs (mauve, fuchsia) ; des effets spéciaux comme la miniaturisation des individus qui s’introduisent depuis le sac de la SDF jusqu’à l’appartement de Diane Selwyn ; la fumée bleue qui envahit le dernier plan. Les fondus enchaînés qui lient les différentes scènes, les surimpressions, surexpositions, irradiations de couleurs blanches et bleues, jusqu’au théâtre Silencio qui réapparaît tout d’abord éclairé d’un bleu aussi intense que celui de la mystérieuse boîte, donnent matière au film. Il apparaît comme composé d’images superposées et non comme une structure lisse, ce qu’est habituellement la pellicule. Ceci participe de la symbolisation des différentes strates du psychisme et de l’intrigue. Le nocturne environne, englobe et permet de donner formes et couleurs à tous ces effets cinématographiques qui concourent à décrire le drame d’une vie qui s’achève dans la folie.
61Il est à l’initiative de cette transfiguration du réel. En effet, cette scène de suicide, filmée en lumière naturelle, en plein jour, sans entrelacements entre fantasmes et réalité, aurait une consonance plus sordide. Transfigurée par le nocturne, elle n’en est pas moins violente, mais la réalité apparaît idéalisée. En définitive, les trois séquences issues de Full Metal Jacket de Kubrick et de Mulholland Drive de Lynch sont des allégories de la mort. Elles démontrent que le nocturne transfigure le réel en lui apportant une aura plus spirituelle par son éclairage et ses couleurs. Les violences de la guerre et de la folie sont filmées avec réalisme, mais les effets de lumière et de couleurs altèrent l’horreur en lui donnant un aspect pictural.
62Tableaux en mouvements, ces extraits de films rejoignent, par leur exaltation de la luminosité et des couleurs, dans l’obscurité, l’iconographie religieuse telle qu’elle a été interprétée par Raphaël ou Caravage. Il y a, à travers ces scènes, comme un renouveau postmoderne de la peinture nocturne, plus traditionnellement associée aux tableaux religieux.
Métamorphose dans Lost Highway
63La séquence de métamorphose de Lost Highway (de 00 : 46 : 44 jusqu’à 00 : 49 : 13), par son ouverture sur un monde qui prend forme par le biais d’apparitions aériennes, évoque l’envers du voyage au-delà de Jupiter qui conclue 2001 : L’Odyssée de l’espace. En effet, aussi différentes soient-elles, ces séquences symbolisent pour l’une, un voyage cosmique dans l’espace et le temps, mais aussi dans le psychisme, pour la seconde, un voyage sur terre dans un temps et un espace fantasmatiques. Alors que le premier traverse espace et temps grâce au processus du Slit-scan, le second parcourt une route sans fin – filmée en conditions réelles mais dont le défilement continue évoque ce procédé – qui le conduit à une autre identité. Dans les deux situations, les individus placés dans l’obscurité sont saturés par la couleur et les visions. L’un termine ce voyage, aux confins de l’univers, dans sa forme vieillissante puis redevient fœtus (astral), le second se transforme en un jeune homme, après avoir parcouru des souvenirs spatialisés qui sont à la fois les siens et ceux d’un autre. Deux séquences qui atteignent également le spectateur de manière physique par la cadence des surgissements de formes, de couleurs, de sonorités et d’images, toujours sur fond d’obscurité.
64Après une séquence traumatique, Fred Madison aura disparu de sa cellule, remplacé par Pete Dayton. Cette transformation apparaît tout à fait irrationnelle, à moins de l’envisager sous l’angle du rêve et de la fuite du réel par celui-ci. C’est la thèse de David Lynch76. La séquence débute par la vision, qui contamine la porte de la cellule de prison, d’une maison en bois sur pilotis en proie aux flammes sur fond nocturne. La maison se reconstruit d’elle-même, grâce à une inversion du temps projeté. Le feu disparaît, tandis que surgit l’homme-mystère, qui salue apparemment Fred Madison. Ce que l’on observe sur cette scène est de l’ordre du surgissement, grâce à l’obscurité, de la projection des songes de Fred Madison comme confondus avec le décor. Le personnage quant à lui est de plus en plus égaré, le regard révulsé et le visage convulsé, soulignés par des contrechamps. Enfin, alors que des chants accompagnaient le mirage de la maison en feu, le silence et le bruit du vent les remplacent. Après l’apparition de l’homme mystère, une déflagration sonore se fait entendre, la cellule de Fred Madison est apparemment envahie par une fumée bleue. Cependant, lorsque celui-ci regarde vers le haut de sa cellule, il ne voit qu’une lampe grillagée. Il est donc en proie à une hallucination. La lampe s’éteint et une nouvelle rêverie survient. Après un fondu au noir de quelques secondes, surgit le plan séquence générique de Lost Highway, une route éclairée par des phares d’automobile dans l’obscurité, accompagné d’un son toujours en déflagration mais un peu assourdi. Au bout de quelques secondes la voiture s’arrête, sur le bas-côté de la route et Pete Dayton paraît. En surimpression, sa petite amie et ses parents sur le pas de la porte de leur maison, appellent désespérément le jeune homme. Filmée en surexposition, cette séquence a une consistance irréelle, exacerbée par une alternance d’obscurcissements, puis d’éclaircissements, qui confèrent aux images l’apparence d’un négatif. Enfin, en couleur et dans la prison, le visage et les yeux de Pete et non plus ceux de Fred, émergent derrière les barreaux de la prison. Ce plan évoque les surimpressions du visage de Dracula dans le film de Coppola. Fred Madison n’est-il pas, selon Julien Modot, « le vampire introuvable de Lost Highway77 » et Pete Dayton l’une de ses formes78 ? S’enchaînent ensuite à un rythme très rapide, grâce à des fondus enchaînés et des surimpressions, les yeux puis le visage de Pete Dayton associés aux barreaux, la fumée bleue, un corps en morceaux, puis surajouté au plan de la grille, le visage de Pete surexposé, et enfin Fred Madison au sol, dans le sang, qui se tient la tête en roulant. Cette dernière séquence est plus longue. Le son se fait de plus en plus intense tandis que Fred Madison, la tête entre les mains, est allongé, comme en transe au milieu du sang et des viscères de sa victime.
65L’image s’accélère et déforme le corps et le visage de Fred Madison, puis, a lieu un retour sur un gros plan de fumée blanche autour des grilles de la cellule. L’image tremble, l’écran clignote, la musique tressaute et une lumière bleue stroboscopique envahit l’écran, évoquant le téléviseur des Madison. On note alors, que sous sa forme noire le nocturne devient écran de cinéma et sous forme bleue, un écran de téléviseur – aspect qui a déjà été observé sur une image de Gregory Crewdson. L’écran continue à vaciller sous la lumière bleue qui devient ensuite plus intense, puis la caméra suit les ombres des barreaux sur le mur. Après un fondu au noir rapide, une fumée blanche envahit la cellule. La caméra redescend sur Fred Madison.
66Enfin dans une lumière jaune et blanche, apparaît un corps déchiqueté et ensanglanté. La caméra s’introduit dans les entrailles, atteint l’obscurité et laisse place à un fondu au noir assez long. La musique se fait plus douce, et sur ce fond noir se détache ce qui se devine être Pete Dayton. Dans une lumière surexposée, on comprend qu’il a remplacé Fred Madison. Il semble se tenir la tête de ses deux mains. La caméra fixe une dizaine de secondes cette forme altérée, puis un fondu au noir de douze secondes introduit la seconde partie.
Nocturne mortifère
67Le corps du spectateur, immergé dans l’obscurité – celle de l’écran et théoriquement de la salle de projection – est soumis aux lumières pulsées, à la violence des images et des sons. Il est, en quelque sorte, propulsé dans les cauchemars de Fred Madison, qui évoquent, par leur brutalité et la présence du corps humain ensanglanté, les performances des actionnistes viennois. Ceux-ci comme le rapporte Gérard Mayen, usaient de leurs corps « dans un processus énergétique dévastateur » pour crier leur haine au conservatisme autrichien79. La violence de leurs mouvements et de leurs actes avait une forte répercussion sur les spectateurs, devenus parfois acteurs de ces performances. Le témoin de la transformation de Pete Madison, est également pris à parti par l’intensité tant visuelle que sonore de ses projections mentales, lesquelles sont facilitées par l’importance du fond noir. Le nocturne apparaît comme un espace de visions parallèles. Certaines d’entre elles sont projetées sur la porte de la cellule, d’autres, particulièrement celles relatives à Pete Dayton, apparaissent dans une autre dimension. Les plans sur Fred Madison dans le sang et les viscères semblent, de leurs côtés, bien provenir de sa conscience. L’obscurité prédominante sur les images mentales se confond avec celle de l’espace clos de la cellule. La teinte noire qui prévaut au cours de cette séquence abolit les limites entre extérieur et intérieur psychique. Cette cellule ouverte sur un monde parallèle fait écho aux lieux de cultes de la mythologie et de la religion dont Michel Pastoureau note qu’ils ont double facette. D’un côté, les « cavernes, antres, grottes, gouffres, galeries souterraines ou rupestres […] sont des creusets fertiles, des lieux de naissances ou de métamorphose, des réceptacles d’énergie et par la même des espaces sacrés80 […] » et de l’autre, « la symbolique de tels espaces est ambivalente et comporte une forte dimension négative : tous les lieux obscurs et matriciels sont aussi des lieux de souffrances et de malheur, habités par des monstres, enfermant des prisonniers, recélant toutes sortes de dangers d’autant plus inquiétants qu’il y fait noir81 ». Fred Madison/Pete Dayton est apparemment un monstre prisonnier de sa propre obscurité. Le noir qui règne dans la cellule est bien « mortifère82 ».
Fantôme
68Par ces déflagrations sonores et cette combinaison de plans sur Fred Madison, se produit un amalgame entre le corps du personnage, son environnement et ses pensées, qui le conduisent spatialement très loin du lieu où il se trouve présentement. L’obscurité de la cellule se confond avec celle des songes. Elle unit ce qui est pourtant incohérent. La lumière stroboscopique bleue rompt au contraire ce semblant d’harmonie et accuse encore plus l’état schizophrénique de Fred Madison. L’analyse de Maurice Merleau-Ponty sur cette maladie s’associe parfaitement à ce qui se déploie à l’écran : « L’espace sombre qui envahit le monde du schizophrène ne peut se justifier comme espace et fournir ses titres de spatialité qu’en se reliant à l’espace clair83. » Par cette alternance de plans sombres et d’autres violemment éclairés par la lumière bleue, David Lynch rend compte de la dualité de Fred Madison partagé entre deux mondes. Il n’est pas anodin que la prétendue métamorphose de Fred Madison en Pete Dayton soit rendue par un plan flou et surexposé et suivie d’un long fondu au noir. En effet, cette métamorphose n’est-elle pas un fantôme, pour reprendre le terme de Merleau-Ponty ?
69Le cinéaste prend parti pour la schizophrénie84. Cette duplication de personnage peut également être envisagée comme une forme de vampirisme85. Celle-ci est d’autant plus justifiée que la scène dans la demeure des Madison met en évidence une seconde ombre lors des trajets de Fred Madison. Le plan final, flou et surexposé, peut aussi être interprété comme la naissance du jour et ses effets sur la psyché malade de Fred Madison. La thèse de Julien Modot sur un invisible vampire, explique aussi aisément cette disparition de la figure de Fred Madison (comme de Pete Dayton) consumée par la lumière. Quoi qu’il en soit, il y a bien eu transfiguration au cours de cette séquence, seulement elle n’a pas eu lieu dans le monde sensible, mais dans l’imaginaire de Fred Madison. C’est tout l’art profondément nocturne de David Lynch que de parvenir à donner corps, formes et sens à des songes et des errances psychologiques, par le biais de l’obscurité et de la lumière.
Conclusion
70La transfiguration nocturne ainsi observée est en adéquation avec une transformation par « un aspect éclatant et glorieux86 ». Les scènes étudiées donnent une version idéalisée des derniers moments qui précèdent la mort. C’est bien par l’entremise de rayonnements azurés, faisant écho à la transfiguration christique, que se déclinent ces scènes de transition entre vie et disparition. Le nocturne accompagne et finalement incarne, la violence d’une fin irréversible – ou d’une renaissance.
71L’étude de ces séquences permet d’observer des aspects communs dans le traité filmique des deux cinéastes et d’autres très distincts. Tous deux attachent importance à la couleur. Les scènes nocturnes de Full Metal Jacket se déclinent du bleu au rouge. La scène de Mulholand Drive est gouvernée par du bleu, mais aussi du fuchsia et du rose. Environnées par la couleur noire de l’obscurité, les couleurs s’intensifient87. Le nocturne apparaît alors comme un dispositif de projection de la couleur. Les deux cinéastes font intervenir une lumière bleue de façon récurrente. Celle de Stanley Kubrick est stable. Elle enjoint à la contemplation spirituelle tandis qu’utilisant des stroboscopes, qui alternent obscurité et plans violemment éclairés, David Lynch propulse le spectateur dans l’univers fragmenté de ses personnages. La fumée a valeur esthétique pour Lynch, elle permet d’obscurcir les scènes et de leur apporter une autre texture88. Pour Kubrick, elle vient uniquement illustrer le contexte de la guerre.
72Ces scènes de transfiguration sont caractérisées par une violence qui s’inscrit par une convergence entre les corps et les décors, agités les uns et les autres, par les soubresauts du désespoir, ou par le choix des réalisateurs de filmer selon certains angles.
73Dans Full Metal Jacket, Stanley Kubrick privilégie des effets de tremblé malgré le steadycam ; des alternances de point de vue, champs contre champs d’un personnage à l’autre ; une lenteur toute nocturne89 ; des plans focalisés sur des ombres ; des travellings arrières et latéraux ; ainsi que les insertions de blanc, bleu, rouge, orange dans l’obscurité. Dans 2001, à l’inverse c’est un blanc éclatant, précédé d’un arc-en-ciel de couleurs dans la séquence du slit-scan, qui transfigure le nocturne avant de représenter la mort et la renaissance. Dans Mulholland Drive et Lost Highway, les images mentales du personnage s’intercalent et se mélangent aux décors. Grâce à ce travail formel, parfois presque expérimental, David Lynch transfigure la mort et la folie. Le nocturne est alors une figure à part entière tant sa profondeur et son amplitude s’emparent du monde extérieur et intérieur des individus représentés. Il est cette figure-forme mouvante, plus plastique que liée à une absence de lumière. Cette figure-forme noire est mortifère. Elle symbolise simultanément le vide et le trop-plein psychique, la schizophrénie, la proximité de la mort. Elle est un espace mental parallèle, celui de la folie. Ce nocturne est « transfiguratif » puisqu’il projette ailleurs, ce qui est aussi le propre du cinéma. Garett Stewart note que sur les derniers plans de 2001, une auto-transfiguration du processus filmique se produit par le biais du monolithe qui projette le spectateur dans le cosmos90. Par extension, on note que sur l’extrait de Mulholland Drive, une auto-transfiguration du film advient par l’intermédiaire du nocturne. Celui-ci permet de représenter un invisible : la conscience du personnage qui prend forme à l’écran. L’approche de Stanley Kubrick est plus intériorisée. Pourtant, lors de la mise à mort de la jeune sniper, dans Full Metal Jacket, chaque gros plan sur un soldat auréolé par les lumières antagonistes du feu et de l’obscurité, parvient à transmettre la dualité qui l’habite. La conscience des individus est suggérée par de petits mouvements de la caméra, le choix des focales, quelques flous, des projections de lumières colorées et le son. Sur tous ces extraits, le nocturne permet d’éclairer les conflits intérieurs et de leur donner corps à l’écran.
74Les effets spéciaux sur les films de Stanley Kubrick et de David Lynch, sont facilités par l’atmosphère nocturne qui neutralise, par sa teinte noire, les détails de l’environnement et permet de faire ressortir, dans la luminosité, ce qui est essentiel. Enfin, le son et la musicalité semblent appartenir au nocturne même, ils participent de sa texture sombre et lyrique tandis que les dialogues sont succincts voire inexistants, remplacés par le dispositif de mise en scène. Le tempo accéléré des séquences de Mulholland Drive et de Lost Highway, leur consonance baroque par l’accumulation d’images et d’effets de lumières dans l’obscurité, s’opposent, en quelque sorte, à la lenteur et à la sobriété du style de Stanley Kubrick. Celui-ci, plus mesuré dans ses actions, déploie toutefois une large palette d’effets à la caméra et de jeux d’éclairage. Il pose plus de limites par ses cadres et un certain minimalisme dans ses décors nocturnes. Cependant, la folie, l’angoisse, le désespoir sont clairement présents grâce à la mise en scène qui dramatise l’expression d’ensemble en associant l’obscurité à la couleur, une gestuelle des comédiens quasi chorégraphiée et des décors appréhendés plus subjectivement que lors des scènes diurnes.
75David Lynch élude et passe sous silence un certain nombre d’éléments narratifs en les fondant au noir, tandis que Stanley Kubrick, tout en ayant également recours à ce procédé, transmet un récit très détaillé. On a déjà noté, que David Lynch privilégie l’obscurité et la confusion, s’exprimant presque avec les mêmes mots qu’Edmund Burke91, tandis que Stanley Kubrick apparaît comme un esprit éclairé analysant l’obscurité du monde. Toutes ces séquences pourraient être pénibles, si n’intervenaient les ralentis de Stanley Kubrick et les accélérés de David Lynch (en cela s’opère une véritable opposition dans leurs processus) et leurs choix symboliques de couleurs. Il est évident qu’une transfiguration du sordide a été effectuée par leurs mises en scène. Le dispositif nocturne opère alors une transfiguration du réel. Il enrobe d’effets esthétiques une réalité plus difficile à regarder sous un jour objectif.
Transfiguration du banal
76Il s’agit maintenant de démontrer qu’en conditions nocturnes la moindre action peut prendre tournure plus mystérieuse et par ce biais interroger l’invisible et, même, paradoxalement, sur certaines vues, donner à penser plus que ce qu’il ne paraît, créant ainsi comme une sur-visibilité, paradoxale dans l’obscurité. À l’inverse des scènes dramatiques précédentes, on observe alors que des actions anodines, lorsqu’elles sont photographiées ou filmées dans l’atmosphère contrastée du nocturne rendent compte de l’action de manière à la fois plus symbolique et plus expansive que de jour. En ce sens, s’effectue une transfiguration du banal.
77Arthur Danto a observé que la transfiguration est inhérente à l’art en s’appuyant sur certaines œuvres d’Andy Warhol, Rauschenberg ou Claes Oldenburg, répliques ou détournements d’objet du quotidien92. On observera qu’appliquée à la problématique nocturne, la transfiguration du banal, notion plus contemporaine que la transfiguration christique, conduit finalement à questionner de nouveau les symboliques religieuses de la lumière et des ténèbres. Peut-être, le nocturne introduit-il la question du postmodernisme, car les images étudiées dans ce chapitre peuvent être appréhendées comme des réinterprétations de la peinture classique et religieuse. Néanmoins, elles interrogent aussi le rêve et sa dimension psychanalytique, ce qui est une notion plus contemporaine.
78Le nocturne en photographie et au cinéma entre donc en discussion avec les représentations picturales issues du Baroque, du Romantisme et de la peinture religieuse. Il interroge également l’âme humaine mais aussi, la technologie, dont il est redevable, et qui l’ancre dans le concret. Quelques similitudes s’observent alors avec les œuvres décrites par Arthur Danto : l’imitation du réel est permise par les moyens de reproductions mécaniques que sont la photographie et le cinéma. Toutefois, la présence du nocturne altère le réel. Enfin, si l’on considère que les boites Brillo et les soupes Campbell d’Andy Warhol, sont des allégories de la société de consommation des années soixante, alors, certaines images de Bill Henson ou de David Lynch, les rejoignent en tant qu’elles fonctionnent également comme des métaphores – de la jeunesse, du temps mais aussi de la société contemporaine.
79Sur les images de Bill Henson, provenant des séries Untitled #1998-00, et Untitled #2005-06, des adolescents, aux occupations pourtant très ordinaires, sont photographiés comme des sculptures. Éclairés subtilement dans l’obscurité, ils prennent allures d’icônes de la jeunesse. David Lynch, de son côté, opère une transfiguration du réel en filmant le sommeil et les rêves de certains personnages, comme des moments d’activités médiumniques intenses. Apparaissent également, au cours de ses récits, des séquences nocturnes qui entrent en résonances avec d’autres séquences diurnes, sans que soit clairement établi s’il s’agit ou non du déroulé d’un rêve. Or, par le travail de transformation qu’opère ce dernier, une transfiguration du réel n’est-elle pas à l’œuvre ? Selon Freud, les éléments rencontrés dans les rêves sont toujours des réinterprétations d’événements survenus le jour précédant93. Dans un extrait de Mulholland Drive, lors d’une séquence très sombre, un personnage apparaît avec la lumière et disparaît avec celle-ci. Durant un court moment, il répète à son interlocuteur des propos que celui-ci a déjà entendu durant le jour. L’obscurité et la lumière sont à l’œuvre pour accroître l’attention du témoin. Les images de Bill Henson et de David Lynch témoignent alors d’une transfiguration nocturne du banal par l’alchimie de l’obscurité et de la lumière (plutôt artificielle) sur un support d’enregistrement en couleur. Cet aspect est presque plus probant encore sur les images de Bill Henson qui ne sont accompagnées d’aucune narration tangible pour renforcer l’idée du monde allégorique qui s’observe.
Des adolescents placés dans les « ténèbres éblouissantes » de Bill Henson
Ondes
80Les photographies mélancoliques de Bill Henson, dont l’obscurité et les éclairages subtils composent l’atmosphère poétique et mystérieuse, rejoignent par certains aspects l’œuvre vidéo de Bill Viola. On observe sur les images de ces deux artistes, des reflets, des halos, des corps évanescents dans une obscurité aussi mouvante que l’eau. On comprend d’ailleurs, en regardant leurs images, pourquoi eau et nocturne ont été associés par Gaston Bachelard et Gilbert Durand. Les profondeurs aquatiques, univers sombres, immenses, peu explorés, sont porteuses de mystère tandis que les mouvements atmosphériques du ciel dans l’obscurité composent aussi des ondes comme en surface de l’eau. Sur les photographies de Bill Henson, certains adolescents semblent ainsi se mouvoir dans une atmosphère nocturne ondoyante, ce qui accroît la valeur métaphorique de leur silhouette. Pourtant, ces portraits ont parfois été perçus comme le reflet d’un quotidien transgressif et inconvenant aux bonnes mœurs94. En effet, sur les séries Untitled #1998-00 et Untitled #2005-06, les images semblent relater le quotidien d’adolescents désœuvrés. Elles montrent explicitement que la période nocturne est propice à l’exploration de la sexualité ainsi que de l’alcool et des drogues.
81Bill Henson s’est attaché à photographier ces adolescents occupés à des activités quelconques – ils boivent, fument, se parlent ou s’enlacent – tout en les figeant dans une lumière émanant de l’obscurité. Il est difficile de déterminer de prime abord si ces séries ont été mises en scène ou prises sur le vif. Il semble que les deux processus aient été associés afin de scénographier une réalité plus symbolique. Bill Henson travaille, en effet, avec des adolescents depuis les années 198095, dans un contexte toujours nocturne. Certaines images sont réalisées en studio, d’autres, en extérieur, sur une aire de déchets industriels parmi des carcasses d’automobiles. Sur certaines images, les adolescents ont l’air de faire à leur guise tandis que sur d’autres, il s’avère plus probable qu’ils aient suivi les indications du photographe. Sur Untitled #52, 2000-01, une adolescente pose ; sur Untitled #53, 1998-00, un jeune homme est posté en équilibre sur une voiture sans se soucier apparemment du regard de Bill Henson. L’obscurité prégnante et la nudité des jeunes gens, ceinte par des clairs-obscurs, viennent contredire la trivialité apparente de la narration. En effet, alors que cette nudité a pu choquer – Bill Henson a été accusé de pornographie en 2008 et l’une de ses expositions a été, dans un premier temps, interdite puis enfin autorisée, les charges ayant été annulées96 – elle est au contraire le signe, dans ce contexte d’obscurité, d’une incarnation plus atemporelle de cette période particulièrement complexe qu’est l’adolescence.
Ténèbres divines
82Une distinction s’opère entre les postures des adolescents sur les photographies, qui peuvent être définies comme communes, et l’Adolescence, une période singulière de transition entre l’enfance et l’âge adulte. C’est pour cette raison que Bill Henson capte les jeunes gens dans une lourde nuit noire et n’éclaire que pudiquement certaines parties de leurs corps et de leurs visages. Il les place, en quelque sorte, dans « les ténèbres éblouissantes97 » qui font écho aux écrits du Pseudo Denys l’Aréopagite. Selon ce dernier, il existe au-delà de la lumière terrestre, « une autre lumière, impénétrable, inaccessible, celle de l’Essence divine impossible à nommer, à peine évocable par voie négative et terminologie paradoxale : “la lumière-ténèbre”, la lumière qui est plus lumineuse que la lumière98 ». Cette lumière n’est pas blanche et éblouissante puisqu’elle est symbolisée sur les icônes qui représentent le Christ par des auréoles de plus en plus foncées, autour de son visage. Bruno Duborgel précise que l’auréole centrale bleu foncé ou noire est « comme une sorte d’ultime indication du passage à la ténèbre éblouissante, à la lumière incréée99 ». D’autre part, une icône est toujours éclairée, comme le sont ces adolescents sur fond noir, car elle doit susciter le sentiment du « Tout Autre100 » à la fois divin et ténèbres. Or, ces jeunes gens symbolisent l’Adolescence, une période qui peut être à la fois sombre et lumineuse, qui se singularise aussi par un sentiment d’immortalité. Par ailleurs, l’icône est un reflet conçu à l’image d’un modèle. Elle s’en distingue par sa nature mais lui ressemble et opère ainsi l’union entre le visible et l’invisible101. En quelque sorte, ces adolescents, dont on sait qu’ils travaillent avec Bill Henson et n’errent pas sur des aires de décharges industrielles, si ce n’est pour les prises de vues de l’artiste, sont bien le reflet d’une adolescence symbolique. Celle-ci existe dans le monde entier. Des jeunes gens boivent et mangent joyeusement au soleil ou dans l’obscurité, à la nuit tombée, dans des parcs en été. D’autres adolescents n’ont pas cette chance et effectivement, ils patrouillent sur des lieux de décharges industrielles et se droguent pour supporter leur misère. Par leurs silhouettes éthérées, comme détériorées par l’obscurité, les adolescents de Bill Henson en sont aussi des échos. D’autres interprétations sont possibles encore. Selon le curateur Simon Gregg, lorsque les adolescents apparaissent comme flottant dans les ténèbres, ils évoquent les enfants disparus dans « le bush australien » d’une légende de ce pays102. Ces images sont une invitation à des réflexions plus philosophique sur la jeunesse, la destinée, et « le sentiment sous-jacent de perte103 ». Selon Bill Henson, la photographie est l’expression même de ce sentiment, qui est aussi preuve de désir104. L’obscurité, l’altérité symbolisée par ces jeunes individus, doivent éveiller, selon le photographe, « les capacités spéculatives105 » du spectateur.
Adolescence, adolescents
83Sur la photographie Untitled #52, 2000-01, composée de trois plans, une adolescente est allongée de profil sur un transat, éclairée par le miroitement bleu d’une tour (ou d’un écran de cinéma de plein air) située en contre-bas. Au troisième plan, les halos rouges et jaunes de la ville forment comme des lucioles.
84Cette scène pourrait être très banale, par son sujet, une jeune fille allongée sur un transat un soir d’été, si ce n’était, d’une part l’obscurité nocturne noire et compacte, et le reflet de son visage sur le dossier du siège. La pose de la jeune fille, une main figée sous son corps, le visage suffisamment relevé pour qu’apparaisse ce reflet capturé, apparente cette photographie à une construction. Rien de fortuit sur cette image. Un léger effet d’anamorphose est produit par ces deux visages rapprochés, dont l’un s’avère plus énigmatique que le premier. Une évocation du mythe de Narcisse et des questionnements identitaires propres à l’adolescence apparaissent en filigrane. La survenue d’un rayonnement azur qui balaie l’obscurité depuis plusieurs sources et se transforme en miroir, produit cette transfiguration nocturne. La jeune fille devient Narcisse, un adolescent songeur mythique, en prise avec son reflet et sa peur de grandir. Des volutes orange, une construction lumineuse, un halo qui tombe sur le corps très clair de la jeune fille, rompent la sévérité de l’obscurité, l’enchantent, tout en interrogeant ainsi le regard.
85Selon le curateur Simon Gregg, l’obscurité qui prévaut sur les images de Bill Henson pourrait produire un effet de surenchère quant à la jeunesse et à la vulnérabilité des adolescents106. Il semble que par sa symbolique et sa couleur noire, le nocturne apporte une dimension tout à la fois érotique et anxiogène. L’éclairage accentue la blancheur et la plasticité de la peau de la jeune fille et le noir compact de la nuit semble l’enfermer, de par le cadrage serré qui a été effectué. Comme surexposés par les clairs-obscurs, les adolescents semblent effectivement plus jeunes et plus vulnérables dans leur nudité. Toutefois, le photographe veille à ce que les corps soient en partie voilés par cette même obscurité tandis que son usage de l’éclairage met en valeur les courbes et la texture de la peau, comme s’il s’agissait de sculptures et non d’humains. Ces images représentent ainsi, sous une forme métaphorique, et de ce fait plus outrée, des adolescents, comme il y en a de par le monde et dans tous les milieux sociaux. En ce sens, la nudité – très cadrée par l’obscurité et la lumière travaillée – participe de la transfiguration de ces adolescents en Figures de la Jeunesse.
86La seconde image en est une autre illustration. Sur celle-ci, un jeune homme émerge de l’obscurité, couleur encre noire. Pratiquement au centre de la composition, de profil et nu, il se tient très droit, genoux posés sur le capot d’une automobile. Cette dernière est à peine visible, si ce n’est grâce à la luminosité argentée que renvoient les cadres du pare-brise et des deux rétroviseurs. La portière de l’automobile est ouverte. Sur le bas-côté, à droite de l’image, un vélo en acier surgit de l’obscurité. Trois volutes, deux rouges à l’horizon, une orange sur la roue du vélo ponctuent le noir de la nuit. La présence d’une ou deux personnes se devine à l’intérieur de l’automobile. Des zones plus claires affleurent dans l’obscurité. Le jeune homme, quant à lui est bien visible. Son visage et ses cheveux bruns se dessinent sur fond noir tandis que la texture de sa peau, plus brune ou plus blanche par endroit est éclairée par une source hors champ. Bill Henson attire le regard sur la morphologie encore enfantine de ce garçon qui semble avoir grandi subitement. L’image peut être lue comme l’illustration de ce passage soudain de l’enfance à l’adolescence. La fragile silhouette est celle d’un enfant devenu grand plutôt que d’un jeune adulte. Dans cette obscurité mystique en laquelle son visage coïncide avec une volute rouge, surplombant l’automobile, le regard plongé vers ses amis assis à l’intérieur, il semble comme mis en perspective avec son destin. Un destin symbolisé par cet environnement plus cosmique que terrestre.
87Bill Henson aime à rappeler que « les ombres peuvent animer les capacités spéculatives du spectateur plus que les lumières107 ». En effet, dans cette obscurité aussi noire que les premières ténèbres évoquées par la Bible, semble se cacher la question universelle du destin. Michael Heyward souligne d’ailleurs que « bien que l’on ne sache pas vraiment ce que signifie la destinée, la résonance des images de Bill Henson exprime qu’elle existe108 ». Selon l’artiste, les adolescents ont une conscience diffuse de ce que sera leur avenir et celui du monde109. Les ténèbres éblouissantes de Bill Henson transfigurent le quotidien de ces jeunes gens et les emporte, vers un au-delà, plus spéculatif et plus aérien qui questionne le sens de l’existence. Encore une fois, corps et environnement sont en symbiose pour interroger le regard du spectateur sur l’Adolescence, une période de métamorphoses infimes ou spectaculaires, commune à tous les êtres humains.
Le rêve comme transfiguration nocturne du réel. Mulholland Drive (2001) de David Lynch
88Au cours de plusieurs de ses longs métrages, Blue Velvet (1986), Sailor and Lula (1990), Twin Peaks (1990-1991-2017), Twin Peaks : Fire Walk with me (1992), David Lynch a manifesté un intérêt similaire à celui de Bill Henson, pour la période tourmentée de l’adolescence, mais aussi pour le sommeil et les rêves, ce que sa filmographie entière met en évidence. Or, il a souvent été observé que l’évanescence des adolescents photographiés par Bill Henson évoque le rêve110. Parés de lumière, ceux-ci semblent s’évanouir dans l’obscurité des songes. Finalement, bien que très distincts, les univers de Bill Henson et de David Lynch ont en commun cet intérêt similaire pour l’adolescence et le versant nocturne de l’existence. Ce dernier est un moment de haute intensité dramaturgique dans le cinéma de David Lynch. Il apparaît comme un moment de révélation qui éclaire les individus sur le sens de leur existence ou sur le destin d’une personne de leur entourage.
89En prenant pour hypothèse que la première partie de Mulholland Drive est un rêve, comme pourrait l’être tout aussi bien la seconde partie111, une scène nocturne de ce film a été envisagée comme l’expression, sous une forme transfigurée, d’une scène diurne plus ordinaire. Bien entendu, il faut aussi prendre en considération que l’ordinaire dans les films de David Lynch, l’est rarement autant que dans la réalité. Il l’est certainement plus que son versant sombre, transfiguré, par l’obscurité et l’intervention d’un curieux personnage qui surgit en concomitance avec la lumière. Il faut noter également que, si le terme transfiguration n’a pas de signification en psychanalyse, le rêve est pourtant, toujours, une transformation de faits réels qui surviennent sous une forme condensée et déplacée dans les songes du rêveur. Freud explique le processus « de compression ou condensation remarquable112 » de contenus issus du réel, et leur déplacement dans le rêve sous une forme dramatisée113 qui doit donner lieu à analyse pour être comprise. Il distingue trois sortes de rêves : les premiers sont sensés et compréhensibles, les seconds malgré une forme cohérente sont très déconcertants et enfin les troisièmes sont « incohérents, confus, absurdes114 ». C’est pourquoi, il distingue le contenu manifeste du contenu latent, qui pour être trouvé, doit donner lieu à un travail d’analyse115. Freud précise également que les éléments qui apparaissent dans les rêves proviennent d’événements ou de détails observés le jour précédent la nuit du rêve116.
90La scène choisie semble provenir de la seconde catégorie de rêves, et pourrait tout aussi bien provenir du sommeil de Diane Selwyn que de celui du réalisateur persécuté par ses producteurs dans la première partie de Mulholland Drive. La longue traversée en voiture sur la route de Mulholand Drive pour accéder à la maison en bois où a lieu la rencontre pourrait symboliser le passage dans les méandres du rêve. La même demande, sous forme plus menaçante, est ainsi proférée par un cow-boy qui apparaît lorsque s’allume une lampe. Lorsque la lampe s’éteint, le cow-boy, à la peau maladivement pâle, s’estompe du décor, évoquant, lointainement, le génie de la lampe d’Aladin. Dans une atmosphère aussi noire et dense que sur les images de Bill Henson, c’est par la lumière que naît et meurt le dialogue entre deux individus. L’importance de l’écoute dans l’environnement nocturne a déjà été soulignée, aussi est-il intéressant d’observer que le réalisateur entend mieux ou se rend à l’évidence, sous la contrainte certes, dans ce contexte. Le silence et l’obscurité obligent à plus de concentration, surtout, ils dramatisent la conversation.
Transfiguration électrique
91Dans ce décor si noir que se distingue à peine le lieu de rendez-vous, une ferme abandonnée, l’électricité crée une présence énigmatique chargée d’enseigner la marche à suivre au réalisateur. Le cow-boy, apôtre des producteurs, est chargé de convaincre le metteur en scène de faire « le bon choix ». Ce dernier permettra de redonner vie à son film. Il est donc question de transfiguration, celle du film qui, interrompu, pourrait reprendre, et celle de cette apparition prophétique devant un témoin. Issu de la clarté, glorifié par celle-ci, le cow-boy disparaît quand l’ampoule s’éteint. Le crâne placé au-dessus du luminaire, indique, éventuellement, qu’il est un revenant. Le réalisateur est donc face à une apparition mystique, tandis que sous un angle plus ordinaire, il est simplement en conversation avec le représentant des producteurs. Il y a ainsi transfiguration d’un dialogue, très banal dans le monde du cinéma : une production qui impose au réalisateur le choix d’un acteur en contrepartie du financement de son long métrage.
92Cette scène peut également être considérée comme un rêve, puisqu’il s’agit d’une situation qui a déjà été vécue de jour, sous une autre forme – le terme rationnel ne peut toutefois convenir à évoquer l’étrange réunion avec les producteurs. Elle apparaît ici, transformée de manière plus symbolique, réduite à deux individus. Les deux personnages évoluent dans les ténèbres d’un monde irréel. L’apparition et la disparition du cow-boy, concomitantes à celles de la lumière, sont l’œuvre du fantastique ou simplement du songe. On note encore une fois, le caractère éphémère de la transfiguration.
93Au regard de toutes les images, fixes et en mouvements, analysées, la transfiguration nocturne dénote d’une volonté de la part du photographe ou du réalisateur de créer une union plus mystique entre les individus, la lumière et le décor. Sur les derniers plans évoqués, la couleur, réduite presque exclusivement à sa déclinaison noire associée aux clairs-obscurs, transfigurent des vues dont le contenu est assez ordinaire. Les individus représentés sont en interaction avec le décor parce qu’ils le sont avec la lumière. Les différentes représentations ont en commun de représenter des corps qui se détériorent dans l’obscurité, évoquant les songes et le rêve. Ces images sont également animées par des volutes orange, des lueurs roses, beiges ou grises, qui viennent, plus délicatement que la teinte rouge, animer la couleur noire. Les prises de vue de Bill Henson semblent avoir eu lieu en réelles conditions nocturnes tandis que la scène de Mulholland Drive a été apparemment construite simultanément en studio et en extérieur. Le nocturne est ainsi une atmosphère composée à partir de nuits réelles ou artificielles. Dans ce contexte, la couleur noire est à la fois privation d’éclairage et synthèse additive de toutes les couleurs.
Notes de bas de page
1 Henri Bergson envisage la vie comme un tout ramené à l’espace dans lequel « l’essentiel est la continuité de progrès qui se poursuit indéfiniment, progrès invisible sur lequel chaque organisme visible chevauche pendant le court intervalle de temps qu’il lui ait donné de vivre […] où le passé presse contre le présent et en fait jaillir une forme nouvelle, incommensurable avec ses antécédents ». Bergson Henri, L’évolution créatrice, op. cit., p. 27.
2 Cieutat Michel, « Précis d’initiation à l’esthétique Kubrickienne », Positif, n° 464, 1999, p. 87.
3 Deleuze Gilles, op. cit., p. 267.
4 Chion Michel, op. cit., p. 462-463.
5 Ibid., p. 442.
6 Ibid., p. 439, p. 442.
7 Rodley Chris, op. cit., p. 74.
8 Ibid., p. 54, p. 55, p. 74, p. 123.
9 L’ascenseur en sang dans The Shining, la métamorphose de Dave Bowman en fœtus astral dans 2001, le cauchemar projeté en négatif dans Le Baiser du tueur (1954) sont des images mentales.
10 Souriau Étienne et Souriau Anne, op. cit., p. 1129.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Rodley Chris, op. cit., p. 19-20.
14 C’est le sujet même de l’ouvrage de Michel Chion Stanley Kubrick, l’humain, ni plus, ni moins.
15 Rodley Chris, op. cit., p. 16-17.
16 Fœssel Michaël, op. cit., p. 114.
17 Aumont Jacques, L’œil interminable, op. cit., p. 294.
18 Leutrat Jean-Louis, op. cit., p. 28.
19 Agamben Giorgio, op. cit., p. 10.
20 Ibid., p. 17.
21 Ibid., p. 27.
22 Ibid., p. 19.
23 Stewart Garett, Between film and screen. Modernism’s Photo Synthesis, Londres, The University of Chicago Press, Ltd., 1999, p. 279.
24 Ibid.
25 Chion Michel, op. cit., p. 252.
26 Durand Gilbert, op. cit., p. 348.
27 Cité dans toutes les biographies de Stanley Kubrick. Souligné par Chion Michel, op. cit., p. 276.
28 Discours de Stanley Kubrick lorsqu’il reçut le D. W. Griffith Award le 8 mars 1997, [https://www.youtube.com/watch?v=3p1T3sVX4EY].
29 Chion Michel, op. cit., p. 410. Cité dans le Bulletin de la Director’s Guild of America, vol. 22, n° 2, mai-juin 1997.
30 Stewart Garett, op. cit., p. 279.
31 Ibid., p. 277.
32 Ibid., p. 279.
33 Ibid., p. 277. Traduction de l’auteure.
34 Ibid., p. 277.
35 Ibid., p. 109. La traduction (mot à mot) qui a été faite : « Voici exactement où et pourquoi, on pourrait résister à la notion d’un personnage qui voit son futur corps comme une flexion du réel vers le temps photographique (où notre passé est rendu présent malgré nous) dans la direction et au service épiphanique – un autre mot pour apocalyptique – du temps (où notre futur est rendu présent par une révélation. »
36 Arasse Daniel, op. cit., p. 78.
37 Deleuze Gilles, op. cit., p. 268.
38 Genette Gérard, op. cit., p. 121. Note 3 : « Tout finit dans la nuit, c’est pourquoi il y a le jour. Le jour est lié à la nuit, parce qu’il n’est lui-même jour que s’il commence et s’il prend fin. » (Blanchot, L’espace littéraire, p. 174).
39 Stewart Garett, op. cit., p. 277.
40 Ibid.
41 Ibid.
42 Geduld Caroline, « La production : chronologie », in Castle Alison, op. cit., p. 404.
43 Ciment Michel, op. cit., p. 257.
44 Herr Michael, « L’obsession de l’Ombre », trad. Jean-Louis Bourget, Positif, n° 464, oct.- nov. 1999, p. 32.
45 L’acteur Lee Ermey fut choisi pour les longues litanies injurieuses qu’il avait su créer, qui terrorisaient réellement les jeunes interprètes des marines. Elles furent conservées telles quelles par Kubrick. Il était également conseiller scientifique, ce qu’il avait déjà fait pour Apocalypse Now.
46 Magid Ron, « Full Metal Jacket : Cynic’s choice », American Cinematographer, Hollywood, vol. 68, Iss. 9, September 1987, p. 68, 74-84. Retrieved from, [http://ezproxy.univ-paris3.fr/login?url=https://0-search-proquest-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/docview/196317848?accountid=13089] p. 5/11 du pdf.
47 Ibid.
48 Ibid., p. 6. Traduction de l’auteure.
49 Ibid., p. 1-2.
50 Duborgel Bruno, op. cit., p. 85.
51 Ciment Michel, op. cit., p. 257, p. 263.
52 Nietzche Friedrich, Aurore, Pensées sur les préjugés moraux, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1989 (précédentes éditions, 1968, 1970, 1980), réimpression 2011, p. 182-183, § 250.
53 Fœssel Michaël, op. cit., p. 132.
54 Ciment Michel, op. cit., p. 299.
55 Durand Gilbert, op. cit., p. 101.
56 Ibid.
57 Ibid., p. 102.
58 Ibid., p. 101.
59 Phrase prononcée par Pyle, qui a donné son titre au film.
60 Hill Rodney, « Full Metal Jacket », in Castle Alison, op. cit., p. 712.
61 Heymann Danièle, « Le Vietnam de Stanley Kubrick », entretien avec Stanley Kubrick, publié dans Le Monde, le 20 octobre 1987, in Castle Alison, op. cit., p. 732-733.
62 Choné Paulette, op. cit., p. 32.
63 Bachelard Gaston, La psychanalyse du feu, op. cit., p. 43.
64 Bachelard Gaston, L’air et les Songes, Essai sur l’imagination du mouvement, op. cit., p. 233.
65 Ciment Michel, op. cit., p. 234.
66 Castle Alison, op. cit., p. 714-715.
67 Goethe, op. cit., p. 260-262.
68 Magid Ron, op. cit., p. 8.
69 Chion Michel, op. cit., p. 439, p. 442.
70 Bavcar Evgen, « Les ténèbres comme oubli esthétique », in Noguez Dominique et Revault d’Allonnes Olivier (dir.), De la lumière, revue D’Esthétique, Paris, Jean-Michel Place, 2000, p. 27.
71 Rodley Chris, op. cit., p. 208.
72 Heymann Danièle, op. cit., p. 732.
73 La bible, Matthieu, 17, 2 ; Luc, 9, 29 ; Marc, 9, 3, in Duborgel Bruno, op. cit., p. 83.
74 Rodley Chris, op. cit., p. 206.
75 Ibid., p. 208.
76 Rodley Chris, op. cit., p. 179.
77 Modot Julien, op. cit., p. 67.
78 Ibid., p. 69-70.
79 Mayen Gérard, Qu’est-ce que la performance, [http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Performance/], consulté le 30 mai 2017.
80 Pastoureau Michel, op. cit., p. 27.
81 Ibid.
82 Ibid., p. 28.
83 Merleau-Ponty Maurice, op. cit., p. 341.
84 Rodley Chris, op. cit., p. 179.
85 Modot Julien, op. cit., p. 69-70.
86 Rey Alain, op. cit., tome IX, Suc-Z, p. 435.
87 Kandinsky Wassily, op. cit., p. 152.
88 Rodley Chris, op. cit., p. 168.
89 Bachelard Gaston, L’air et les songes, op. cit., p. 233.
90 Stewart Garett, op. cit., p. 279.
91 Burke Edmund, op. cit., p. 123. Rodley Chris, op. cit., p. 19.
92 Danto Arthur, op. cit., p. 23, p. 46, p. 321-322.
93 Freud Sigmund, op. cit., p. 86.
94 Le Moël Marie-Morgane, « Des photos d’enfants nus choquent l’Australie », Le Monde, 24 juillet 2008, p. 17.
95 Bright Susan, op. cit., p. 98.
96 Bibby Paul et Jensen Erik, « Art Obcenity charges », [http://www.smh.com.au/news/arts/art-obscenity-charges/2008/05/23/1211183097197.html].
97 Sendler Egon, L’icône, image de l’invisible, Éléments de théologie, esthétique et technique, Paris, Desclée de Brouwer, 1981, p. 161 cité par Duborgel Bruno, op. cit., p. 89.
98 Duborgel Bruno, op. cit., p. 89.
99 Ibid., p. 90.
100 Ibid.
101 Ibid., p. 29.
102 Gregg Simon, Bill Henson Dark Desire, Sale, Gippsland Art Gallery, National library of Australia, 2014, p. 14.
103 Bright Susan, op. cit., p. 98.
104 Ibid., p. 99.
105 Ibid.
106 Gregg Simon, op. cit., p. 11.
107 Gregg Simon, op. cit., p. 5.
108 Heyward Michael, op. cit., p. 25. Traduction de l’auteure.
109 Bright Susan, op. cit., p. 98.
110 Heyward Michael, op. cit., p. 26.
111 Rodley Chris, op. cit., p. 202.
112 Freud Sigmund, Sur le rêve, op. cit., p. 74.
113 Ibid., p. 81.
114 Ibid., p. 63-64.
115 Ibid., p. 65.
116 Laplanche Jean, Pontalis Jean-Bertrand (auteurs) et Lagache Daniel (dir.), op. cit., p. 423.
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