Chapitre VII. Participation
p. 197-248
Texte intégral
1Les problèmes philosophiques naissent d’étonnements. Nos expériences des fictions doivent nous étonner. Au siècle dernier, Wittgenstein ne disait pas autre chose : « Ne considère pas comme allant de soi, mais plutôt comme un fait singulier, que les tableaux et les récits imaginaires nous donnent du plaisir et nous occupent l’esprit1. » Des années plus tard, notre philosophe renouvelait l’étonnement.
« Nous savons maintenant ce que sont les représentations. Il est temps de demander ce pour quoi elles sont faites. Quel est l’intérêt de l’institution de la fiction ? Pourquoi les gens s’embêtent-ils à inventer des histoires et à se les raconter les uns aux autres ? Pourquoi n’ignore-t-on pas Anna Karénine et La Grande Jatte au motif qu’elles sont de “simples fictions”, dépourvues d’intérêt pour nos vies dans le monde réel ? C’est un fait – un fait remarquable – que nous apprécions les œuvres d’art représentationnelles. Nous sommes émus, fascinés, envoûtés par elles, parfois presque hypnotisés, même lorsque nous sommes parfaitement conscients de leur simple fictivité. Pourquoi ? Et quelle est la nature de nos expériences appréciatives2 ? »
2Dans ce chapitre, nous abordons la théorie de la participation. Elle porte sur le concept d’appréciation. La théorie de la participation est au confluent de la pensée de Walton. Elle est nourrie de ses idées méthodologiques et fictionalistes, elle abreuve en retour l’anthropologie de la représentation et la théorie de la fictionalité. Avant d’entrer au cœur des problèmes concernant les expériences appréciatives, nous devons immédiatement chercher à comprendre la place de la théorie de la participation dans l’économie de la théorie du faire-semblant.
Théorie de la participation
3La partie consacrée à la fictionalité de la théorie du faire-semblant nous met dans une position curieuse. D’après elle, une vérité dans la fiction n’est pas une sorte de vérité, puisqu’un monde fictionnel n’est pas une sorte de monde. Pourtant, la théorie préserve le concept de fictionalité et le concept de monde fictionnel. Ils sont même indispensables. N’est-ce pas là une contradiction ? Aucunement.
4Une histoire d’amour-désamour entre pensée populaire et pensée philosophique est responsable de la décision. Les théories populaires comportent une conception véritative de la fictionalité et une conception réaliste des univers de fiction. Il résulte de quelques analyses qu’elles sont, de ce fait, confuses, coûteuses ou incohérentes. Cependant, toutes les erreurs commises par les théories populaires ne suffisent pas à les rendre caduques. La méthodologie de Walton impose aux théories philosophiques de respecter une contrainte particulière.
Contrainte Méthodologique
5Une théorie philosophique est en droit d’écarter une théorie, un concept ou une intuition populaire seulement si la construction philosophique rend compte des raisons pour lesquelles une théorie populaire comprend ce concept populaire, provoque cette intuition du sens commun.
6Nous sommes ordinairement en proie aux tentations véritatives et réalistes. Satisfaisant à la Contrainte Méthodologique, la mission de la théorie du faire-semblant est, dès lors, de « comprendre pourquoi nous sommes tentés », ce qui est « au moins aussi important que de combattre » la tentation3. Le respect de la Contrainte Méthodologique est crucial : « La source de la tentation repose sur les fondations mêmes de l’institution de la fiction4. » Nous gagnerons à comprendre les représentations fictionnelles en cherchant à comprendre les intuitions véritatives en matière de fictionalité et réalistes en matière de monde fictionnel. La théorie de la participation est la partie de la théorie du faire-semblant qui met au jour les racines de ces intuitions populaires.
7Une expérience de pensée permet d’appréhender la source des tentations.
« Henry, un habitant d’un village éloigné assistant à une performance théâtrale, saute sur scène pour sauver l’héroïne de l’emprise d’un scélérat et d’une mort horrible. Bien sûr, Henry se trompe s’il pense qu’il peut sauver l’actrice. Elle n’est pas en danger. Mais le personnage qu’elle représente est en danger et aurait bien besoin d’être sauvé. Est-ce que Henry peut l’aider, en dépit du fait qu’il ne vit pas dans son monde5 ? »
8L’analyse ordinaire se présente ainsi. Il paraît impossible que Henry y parvienne. Tout ce qu’il semble pouvoir accomplir est de recevoir une volée de légumes mûrs pour son geste. La réponse nourrit l’intuition que les mondes fictionnels sont des mondes insulaires, isolés du monde actuel. Tout se passe comme si « une barrière logique ou métaphysique » proscrivait toute interaction physique6. Nous avons là une raison importante pour laquelle nous sommes tentés de penser que les mondes fictionnels sont bien des mondes. L’expérience de pensée peut nous en apprendre plus encore.
« [La barrière comporte] des trous épistémologiques. Nous savons beaucoup de choses sur ce qu’il se passe dans les mondes fictionnels. Dans certains cas, nous connaissons même les pensées les plus privées des personnages de fiction et parfois nous avons le privilège d’informations à propos de ce qu’il se passera dans le futur – dans les années 1984 ou 2001. »
« Notre accès épistémologique aux occurrences fictionnelles est accompagné de la capacité d’être affectés par elles. Nous répondons à ce que nous savons des mondes fictionnels de bien des manières comme nous répondons à ce que nous savons du monde réel – ou au moins il semble que nous le fassions7. »
9L’analyse ordinaire semble être la suivante. Il paraît indéniable que nous pouvons avoir connaissance de ce qu’il se passe dans les mondes fictionnels. Henry sait que, dans la pièce, l’héroïne est en danger. Il paraît indéniable que nous pouvons éprouver des sentiments, ou des états apparentés, pour les personnages fictionnels. Un concitoyen de Henry moins zélé peut ressentir de la pitié, ou d’autres choses semblables, pour l’héroïne. La barrière est épistémologiquement et psychologiquement malléable, « poreuse8 ». Nous avons là une raison importante pour laquelle nous sommes tentés de prendre la fictionalité pour une espèce de vérité. En somme, la théorie de la participation est supposée rendre compte de la prétendue barrière. Le chemin emprunté est sinueux. L’arrivée est clairement délimitée. La feuille de route l’est bien moins.
10La théorie de la participation a, en son cœur, une thèse nommée dans ce qui suit thèse de l’appréciation qua participation : la thèse est que « l’appréciation des œuvres d’art représentationnelles est premièrement question de participation9 ». La thèse de l’appréciation qua participation nous impose de revenir sur nos pas. Dans un premier temps, nous devons reprendre la phénoménologie waltonienne de l’imagination, à savoir l’analyse de la structure des expériences imaginatives. La partie de la théorie du faire-semblant en question est complétée par la thèse que tout imaginé est ou est accompagné d’imaginé de se. Dans un second temps, nous devons reprendre la pragmatique de l’imagination, à savoir l’analyse des rapports entre imagination et monde. Notre philosophe présente un complément qui vise à rendre compte du phénomène d’absorption, d’immersion, par l’élaboration d’un espace logique en mesure de reconnaître que certaines propositions fictionnelles sont des mandats à imaginer de se. La théorie de la participation comprend donc principalement un amendement à la phénoménologie, un amendement à la pragmatique et la thèse de l’appréciation qua participation. Les ajouts permettent, en bout de parcours, de rendre compte des intuitions attachées aux théories populaires. Dans la présentation de la théorie de la participation, nous suivrons la structure mentionnée.
Phénoménologie de l’imagination
Le concept d’imagination de se
11La phénoménologie de l’imagination regroupait la classification des traits éidétiques des imaginés et la classification des structures des vécus imaginatifs. Elle est amendée par une thèse, jusqu’ici passée sous silence : « Je tends à penser qu’imaginer fait essentiellement référence à soi d’une certaine manière10. » La déclaration, malvenue, nous pousse au contresens.
12L’amendement doit être interprété comme la nécessitation d’une conditionnelle. Il faut comprendre par là que l’affirmation ne porte pas sur ce qui est constitutif de l’imagination, sur ce qu’elle est essentiellement. Il n’y a (toujours) pas de définition de l’imagination chez Walton. L’affirmation concerne un phénomène nécessairement concomitant des phénomènes imaginatifs. La première phénoménologie mentionnait que le philosophe soutenait un holisme des imaginés : aucun imaginé n’est isolé. Tous intègrent un projet imaginatif. Dans le cadre de ce holisme, Walton rend nécessaire que tout imaginé soit ou soit accompagné d’imaginés d’une sorte particulière, qu’il nomme de se. On peut transcrire la déclaration confondante de cette manière.
Nécessité Imaginative (INEC)
13Pour un projet imaginatif, T, comportant un faisceau d’imaginés, p1,…, pn, si s imagine p1 en tant que partie de T, alors il n’est pas possible que s n’imagine pas de se p1 ou que s n’imagine pas de se pn.
14Au cœur de la thèse (INEC), un concept nouveau est introduit. Il est urgent de le clarifier. L’imagination de se est littéralement l’imagination de soi. Lorsque nous parlons de nos expériences imaginatives de se, nous employons typiquement les expressions « imaginer réaliser », « éprouver », ou « une certaine manière d’être11 ». Les manières de parler ne sont aucunement innocentes. Le concept d’imagination de se est dans une relation problématique à deux couples de notions, concernant respectivement les objets et les modes de présentations de nos pensées. Brièvement, abordons quelques particularités de nos esprits.
15Nos pensées ont, en apparence, une grande diversité d’objets. La plupart des philosophes estiment, pour reprendre Lewis, que la diversité est une illusion :
« Les objets de nos attitudes sont peut-être uniformes en catégorie, et ce sont nos façons de parler elliptiquement de ces objets uniformes qui sont variées. C’est là, en fait, notre consensus12. »
16Nos pensées ont, suggère le consensus, des propositions pour objets. De ce fait, les philosophes parlent, après Russell, d’attitudes propositionnelles. Cependant, Quine introduit un problème pour le consensus. Nos manières de rapporter les attitudes psychologiques comportent une confusion, suggérant d’importantes différences au sein de la catégorie supposée uniforme13. Reprenons, à peu de chose près, son exemple.
171. Ralph imagine que quelqu’un est un espion.
18La phrase comporte une ambiguïté entre deux sens du verbe attitunal « imaginer ». L’analyse de Quine différencie deux interprétations de la phrase. Les interprétations diffèrent en cela qu’elles donnent différentes portées à la quantification existentielle. Dans une première alternative, le verbe attitudinal peut être interprété de dicto. On pourrait alors dire :
2. Ralph imagine qu’il y a des espions,
2’. Ralph imagine que ∃(x) (x est un espion).
19Dans ce cas, Ralph ne pense spécifiquement à personne, ce n’est pas à propos d’un individu particulier qu’il imagine. L’interprétation était mentionnée plus tôt sous la dénomination d’imagination propositionnelle. Dans une seconde alternative, le verbe peut être encore interprété de re. On pourrait plutôt dire :
3. Il y a quelqu’un que Ralph imagine être un espion.
3’. ∃(x) (Ralph imagine que x est un espion).
20Dans ce cas, Ralph pense spécifiquement à quelqu’un, c’est à propos d’un individu particulier qu’il imagine. L’interprétation était mentionnée plus tôt sous la dénomination d’imagination objectuelle. La philosophie du langage et de l’esprit préserve traditionnellement la différence entre de dicto et de re, évitant ainsi la confusion.
21Le concept d’imagination de se est-il le concept d’une attitude de dicto, d’une attitude de re, ou d’une autre sorte d’attitude ? Lorsque le verbe attitudinal est interprété de se s’ajoute à l’équation qu’un individu particulier est à l’esprit de Ralph, à savoir lui-même. Dans une interprétation de se, le sujet imaginant se trouve dans une position particulière par rapport à ce qu’il imagine : il reste, en un sens distinct, l’objet de l’imagination. On peut être tenté de subsumer, pour de bonnes raisons, les imaginés de se sous les imaginés de re : après tout, lorsque Ralph s’imagine être un espion, il se peut qu’il imagine de lui-même qu’il est un espion. Prenons un léger temps d’avance. D’après Walton, « le sujet imaginant de se n’est pas forcément l’objet de re de son imaginé14 ». Il résiste à la tentation de prendre les imaginés de se pour une sorte d’imaginés de re. Abordons la seconde particularité.
22Nos pensées sont accompagnées de modes de présentations. Les imaginés se présentent, pour employer une métaphore, sous des perspectives variées. L’article « Vicarious Experience » de Zeno Vendler s’ouvre sur une illustration intéressante :
« Nous regardons l’océan en contrebas, depuis une falaise. L’eau est agitée et froide, mais il y a quelques nageurs prenant les vagues. “Imagine juste nager (imagine swimming) dans cette eau”, dit mon ami. Je sais quoi faire. “Brr !”, dis-je, alors que j’imagine le froid, le goût salé, le reflux du courant et ainsi de suite. Pour peu qu’il ait dit “Imagine-toi juste nager toi-même (imagine yourself swimming) dans cette eau”, il y aurait eu une autre manière de me conformer à la requête : en me visualisant moi-même être ballotté, un maigre corps oscillant de haut en bas dans le résidu écumeux. Dans ce cas, je n’ai pas à quitter la falaise en imagination : si je le décide, je peux me voir depuis cette même perspective. Il n’en est pas ainsi dans le cas précédent : si j’imagine être en fait dans l’eau, alors je peux voir la falaise au-dessus de moi, mais non moi-même depuis elle15. »
23La théorie de Vendler est une analyse de la grammaire des consignes imaginatives. D’après lui, le verbe « imaginer » fonctionne comme un verbe aspectuel. En ce sens, il accompagne et modifie un verbe de sorte à conférer une perspective sur le déroulement de l’action. L’analyse grammaticale des consignes est la voie d’accès à l’analyse des perspectives imaginatives : d’après Vendler, il y a une correspondance entre sortes d’omissions verbales dans les rapports d’états imaginatifs et sortes de perspectives dans les états imaginatifs. Jérôme Dokic et Margherita Arcangeli remarquent que la séparation conceptuelles entre sortes de perspectives imaginatives paraît, chez Vendler, reposer sur les « manières dont le soi est inclus dans nos imaginés » et, ainsi, sur « le contenu de l’imaginé16 ». Dans le cas de la consigne :
4. Imagine nager dans cette eau,
« imaginer » est le modificateur aspectuel de « nager ». Il n’est pas demandé que l’on nage mais qu’on imagine nager. L’omission est celle du sujet de la phrase. En conséquence, la dictée requiert que le soi soit inclus seulement implicitement dans le contenu de l’imaginé. La première sorte d’activité imaginative est nommée subjective – d’autres penseurs diront qu’elle est « à la première personne », ou « de l’intérieur ». Répondant à la consigne, le sujet imagine autant endurer certaines expériences externes (imaginer percevoir l’eau glacée, ou son goût iodé) que certaines expériences internes (imaginer certaines proprioceptions, quelque chose comme une conscience de son corps, ou certaines expériences agentives, quelque chose comme une sensation d’être l’agent de son action). Dans le cas de la consigne :
5. Imagine-toi nager toi-même dans cette eau,
l’omission est celle du verbe modifé. Vendler défend que la phrase peut être paraphrasée ainsi : « Imagine-toi te voir toi-même nager dans cette eau. » L’ellipse taisait un verbe perceptuel. La dictée demande à ce que le soi soit explicitement inclus dans le contenu de l’imaginé. La seconde sorte d’activité imaginative est nommée objective – qu’on retrouve chez d’autres sous les appellations « à la troisième personne », ou « de l’extérieur ». Dans ces conditions, le sujet semble typiquement visualiser ce qu’il imagine.
24Le concept d’imagination de se est-il un concept du même ordre que ceux des perspectives de l’intérieur et de l’extérieur ? La théorie de Vendler définit les deux sortes de perspectives imaginatives par l’implication de soi dans le contenu de pensée. Tout bien considéré, la perspective de l’extérieur ne paraît pas l’apanage des imaginés de soi. On peut imaginer de l’extérieur Vendler nageant dans l’eau tumultueuse, le visualiser depuis le confort de la falaise. Il est même à suspecter que c’est ce que font de nombreux lecteurs de l’article, lors de l’expérience de pensée ! Dans une perspective de l’intérieur, le sujet est en un sens spécial l’objet de l’imagination. De ce fait, on peut être tenté de penser que les imaginés de se sont identiques aux imaginés de l’intérieur. Prenons encore une fois une légère avance. D’après Walton, les imaginés de se ne sont pas nécessairement de l’intérieur. Il résiste à la tentation de faire de l’imagination de se le concept d’une perspective imaginative.
25L’introduction du concept d’imagination de se nécessite une clarification de ses rapports aux attitudes de re et de dicto, ainsi qu’aux modes de l’intérieur et de l’extérieur. Vaille que vaille, notre philosophe discute ces rapports. La présentation de la notion est condensée dans les quelques pages composant la partie « Imagining about Oneself », pages qui sont loin d’être simples à suivre. D’après moi, Walton écrivait en ayant à l’esprit un article important de Bernard Williams, « Imagination and the Self », qui présente deux questions initialement suscitées par le maître argument de Berkeley : l’une est un problème épistémologique, l’autre est un problème métaphysique. Notre philosophe discute principalement de ces deux problèmes, moins pour les résoudre complètement que pour introduire « d’importantes distinctions » et relever des « caractéristiques saillantes » des imaginés de se17. Ils lui permettent, pour ainsi dire, de rendre compte de l’imagination de se, puis donner raison à la thèse (INEC), sans s’aventurer sur les terres des définitions de l’imagination.
Autour d’un problème épistémologique
26Le problème épistémologique est le problème de l’identification, ou de l’erreur d’identification, des objets de l’imagination. De manière générale, il porte sur ce qui fait d’une chose le composant de ce qui est imaginé. Ainsi, il tient à la relation entre ce qui est imaginé et les connaissances et croyances de celui qui imagine. Williams le présente ainsi :
« Supposez qu’un homme imagine assassiner le premier ministre et que son imaginé prenne la forme d’une visualisation. Supposez encore qu’étant radicalement mal informé de la situation politique, il suppose que Lord Salisbury est le premier ministre. Qu’est-ce qu’imagine en fait cet homme ? Il semble difficile de nier qu’il imagine bien assassiner le premier ministre, puisque c’est l’acte qu’il cherche à imaginer – supposons de lui qu’il est un anarchiste violent. Mais il serait tout à fait faux de dire sans qualification qu’il imagine assassiner le premier ministre : cela impliquerait naturellement qu’en donnant le nom de l’actuel premier ministre, nous donnerions le nom de la personne qu’il imagine assassiner. […] Quoi qu’il en soit, si sa croyance erronée était opérative dans ce bout d’imaginé, il aurait certainement imaginé assassiner Lord Salisbury18. »
27Le problème épistémologique s’applique également lorsque le sujet est l’objet de son imagination.
« Un article à propos de Ted est publié dans un journal, mais l’article utilise un pseudonyme pour protéger son identité. Ted lit l’article sans réaliser qu’il est à propos de lui. Puis il imagine de la personne à laquelle l’article réfère – lui-même – qu’elle est riche et célèbre. Ted est un objet de sa propre imagination, bien qu’il ne réalise pas qu’il le soit19. »
28Le problème est dans les deux cas similaires, bien que l’accent soit placé différemment. Dans l’expérience de pensée de Williams, on ne peut pas tout à fait avoir une lecture intensionnelle du contenu de pensée. On ne peut pas simplement dire que l’homme imagine de re assassiner le premier ministre, puisqu’il se trompe sur l’extension du terme. Dans le scénario imaginatif de Walton, c’est une lecture purement extensionnelle qui se révèle fautive. On ne peut pas simplement dire que la personne imagine de re être riche et célèbre, puisqu’elle n’est pas intensionnellement identique à l’individu de l’article. Par contre, nous voyons que dans les deux cas, il y a erreur d’identification. Crucialement, aucune des expériences de pensée ne décrit, d’après Walton, un imaginé de se.
29Tout d’abord, notre philosophe mentionne le problème pour aborder plus précisément la nature des imaginés de se. Ils sont caractérisés de sorte que les erreurs d’identification ne surviennent pas à leur encontre. Une interprétation décente de la thèse de Walton peut être exprimée en termes de modalité épistémique.
- Une possibilité épistémique est logiquement cohérente avec nos connaissances ou nos croyances, elle est relative à un agent. Autrement dit, une proposition est épistémiquement possible dans le cas où, pour ce qu’on en sait, la négation de la proposition n’est pas obtenue. Il est épistémiquement possible que mon portefeuille soit dans la voiture dans le cas où rien ne me permet de savoir qu’il n’est pas dans la voiture.
- Une proposition est épistémiquement nécessaire dans le cas où l’on sait qu’il n’est pas possible que la négation de la proposition soit obtenue. Il est épistémiquement nécessaire que mon portefeuille soit dans la voiture dans le cas où, dans l’état actuel de mes connaissances, rien ne me permet de penser qu’il n’y est pas.
30Voyons pourquoi l’idiome des modalités est pertinent.
- Imaginer de l’intérieur, affirme le philosophe, « c’est, en partie, imaginer à propos de soi de manière à ce qu’on ne puisse ignorer que c’est à propos de soi qu’on imagine20 ». Lorsque, sous la dictée de Vendler, on s’imagine de l’intérieur nager dans cette eau, il n’est pas épistémiquement possible pour l’agent de croire qu’il n’est pas celui qui nage en imagination. Autrement dit, les imaginés de l’intérieur s’accompagnent de croyances. C’est une nécessité épistémique que l’agent soit en mesure de juger « Je suis celui qui nage ».
- Lorsqu’il est de se, un imaginé de l’extérieur est accompagné de la même certitude. Contrairement à ce qu’il advient dans les scénarios de l’assassin imaginaire et de la célébrité imaginaire, l’erreur est épistémiquement impossible. Lorsque, sous l’autre dictée de Vendler, quelqu’un s’imagine de l’extérieur nager dans l’eau, « il ne fait aucun doute qu’il est lui-même » le nageur, la petite forme battue par les remous21.
31En ce sens, celui qui imagine de se bénéficie essentiellement d’une sécurité épistémique sur l’objet de son imaginé : les imaginés de soi s’accompagnent de croyances infaillibles sur le fait qu’on est l’objet de ces imaginés22.
32Ensuite, notre philosophe aborde le problème pour approfondir sa taxinomie des imaginés. La classification waltonienne n’est pas compréhensive. Le but est moins de tendre à l’exhaustivité que de ménager une place pour les imaginés de se. Pour en faciliter l’exposition, voici un schéma de la taxinomie.
33Quelles sortes d’imaginés la taxinomie reconnaît-elle ? Contrairement à David Lewis, qui soutient que les attitudes de se sont une classe particulière d’attitudes de re, le philosophe suggère une séparation tranchée entre de re et de se23. Pour ceux-ci, il lui semble qu’il y ait « une histoire à raconter », histoire en partie causale, sur ce qui fait d’une chose l’objet de l’imaginé. Il ne détaille pas ce qu’elle serait. L’idée est qu’identifier un objet de re de l’imagination revient à faire une hypothèse sur ce que serait cette histoire : vraisemblablement, celui qui imagine assassiner le premier ministre et celui qui imagine du protagoniste de l’article qu’il est riche et célèbre se méprennent dans leurs hypothèses. Pour ceux-là, rien de comparable n’est en jeu : « Il semble qu’il n’y ait aucune histoire similaire à l’égard de ce qui fait d’un imaginé de se un imaginé à propos de soi-même24. » C’est la raison pour laquelle les imaginés de se n’appartiennent pas à la famille des imaginés de la chose, mais forment une sorte d’imaginés à part entière : en l’absence d’histoire sur ce qui fait de soi l’objet de l’imagination, l’erreur est épistémiquement impossible. C’est ainsi qu’il convient de lire la première ligne du schéma sur les attitudes de l’imagination.
34Quelles espèces d’imaginés de se et quelles espèces d’imaginés de re la taxinomie reconnaît-elle ? Comparativement à Christopher Peacocke, qui soutient radicalement qu’il est constitutif des états imaginatifs d’être de l’intérieur, le philosophe est plus mesuré25. Notre philosophe lui accorde une chose : un imaginé de l’intérieur est nécessairement un imaginé de se. Imaginer de l’intérieur voir un rhinocéros « n’est pas simplement imaginer une instance de rhinocéros vu » ; « celui qui imagine Napoléon voyant un rhinocéros, celui qui imagine une vue d’un rhinocéros sans imaginer la vue de qui elle est » n’imagine pas de l’intérieur voir un rhinocéros. Il me semble que Walton rejoint la thèse de l’imagination aspectuelle de Vendler, spécifiquement pour les imaginés de l’intérieur. Autrement dit, l’argument semble être que les rapports d’imaginés de l’intérieur emploient « imaginer » comme un verbe aspectuel. Preuve en est, Walton admet que « “Imagine” respecte, à cet égard, un motif répandu », qu’il compare au verbe paradigmatiquement aspectuel « commencer » (« commencer à nager c’est commencer sa propre nage »), puis au verbe « se souvenir » que Vendler tient pour aspectuel (« se souvenir discourir est se souvenir soi-même discourir »). Imaginer de l’intérieur voir un rhinocéros est nécessairement « s’imaginer soi-même voir un rhinocéros26 ». Bien que les imaginés de se soient typiquement des imaginés de l’intérieur, Walton considère que certains imaginés de l’extérieur sont de se : un imaginé de se n’est pas nécessairement un imaginé de l’intérieur. Puisque l’imagination de se est en partie définie en termes de sécurité épistémique et que certains imaginés de l’extérieur portant sur soi présentent une telle sécurité, Walton dispose bien d’une raison de le penser. En outre, Walton estime qu’imaginer de l’extérieur n’est pas nécessairement imaginer de se. Nous évoquions déjà ce fait dans la section précédente. C’est pourquoi l’imagination de se n’est pas dans une même relation à la perspective de l’intérieur et à la perspective de l’extérieur. Voilà comment il convient de lire une partie de la troisième ligne du schéma, sur les aspects de l’imagination.
35Notre philosophe reconnaît de manière élusive une dernière distinction qui importera pour le problème métaphysique.
« La question de savoir si un imaginé est de l’intérieur [ou de l’extérieur] émerge seulement lorsque ce qui est imaginé est une expérience (terme qui est à interpréter au sens large). On peut imaginer posséder des propriétés qui ne sont pas des expériences. On peut imaginer (de se) être un descendant d’un marin du treizième siècle ou avoir un groupe sanguin rare, mais pas de l’intérieur27. »
36Tous les imaginés de se ne sont pas expérientiels. Tous les imaginés de l’intérieur sont expérientiels. En conséquence de quoi, certains imaginés de se sont non expérientiels. Ceux-là sont des imaginés de l’extérieur. Le raisonnement est quelque peu expéditif. Toutefois, on comprend mieux comment il convient de lire la seconde ligne du schéma, sur les contenus de l’imagination.
37Le problème épistémologique n’est pas résolu. Cependant, les analyses de Walton confèrent une caractéristique importante aux imaginés de se, valorisée par une hiérarchisation particulière des sortes et des espèces d’imaginés.
Autour d’un problème métaphysique
38Le problème métaphysique est le problème de l’identité personnelle dans les imaginés. En imagination, l’identité personnelle jouit d’une plasticité certaine. Pour Williams, on peut bien penser à quelques propriétés qu’on ne possède pas actuellement et imaginer de soi qu’on possède ces propriétés. Inversement, on peut bien penser à quelques propriétés qu’on possède actuellement et imaginer de soi qu’on ne les possède pas.
« Si l’on presse cela suffisamment fortement, on obtient l’idée qu’il n’est pas nécessaire de devoir posséder quelques propriétés individuantes qui sont maintenant miennes, ce corps, ce passé, etc. pour être moi28. »
39Ces considérations conduisent à penser que le concept de soi qui est impliqué dans les imaginés est des plus ténus. Pour ces raisons, Walton et Williams envisagent, au moins pour le raisonnement, qu’il « pourrait être “un moi cartésien nu” », « une conscience cartésienne […] sans corps, sans passé ou sans personnalité29 ». On tombe alors sur le problème d’identité personnelle.
« Supposons que je conçoive qu’il soit possible que j’aie pu être Napoléon – et j’entends par là qu’il eût pu y avoir un monde qui contienne un Napoléon exactement identique au Napoléon que contient notre monde, sauf qu’il aurait été moi. Quelle pourrait être la différence entre le Napoléon actuel et celui imaginé ? Tout ce que j’avais à apporter à lui dans le monde imaginé est un centre de conscience cartésien ; et une telle chose, le véritable Napoléon en possédait déjà30. »
40De là, il faudrait conclure qu’imaginer une identité entre Napoléon et moi reviendrait à imaginer une impossibilité métaphysique.
41Dans The Thread of Life, Richard Wollheim apporte une réponse au problème métaphysique. Il nie que ce qui est imaginé puisse jamais être une identité entre soi-même et une autre personne. Wollheim concède qu’on puisse bien dire imaginer une telle identité, mais l’idiome est trompeur. Pour défendre son affirmation négative, il propose l’exercice suivant. Après avoir lu L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire Romain de l’historien Edward Gibbon (1776), on s’imagine l’entrée victorieuse du Sultan Mehmed II à Constantinople, après un terrible siège, le 29 mai 1453. Il précise qu’on visualise cela. Ce qui retient son attention est qu’on peut imaginer la scène à la première personne et dans la perspective du Sultan : on imagine entendre le fracas du défilé des troupes, voir Constantinople apparaître alors qu’on franchit les murs et se sentir triomphant de cette victoire militaire31. L’imaginé est expérientiel. Pourtant, procédant ainsi, on n’imagine en aucun sens une identité.
42Le premier argument est qu’une identité a pour propriété formelle d’être symétrique. Lorsqu’on dit « s’imaginer soi-même être identique à une autre personne », notre imaginé ne possède pas cette propriété.
« “Imaginer être soi-même identique au Sultan Mehmed II” et “imaginer le Sultan Mehmed II être moi” ne sont pas synonymes. Ils sont utilisés pour désigner deux projets imaginatifs différents. Maintenant, comment devons-nous comprendre ces idiomes ? La réponse est : comme des instances de substitution de “imaginer x à la place de y” (imagining x in y’s shoes). Ainsi, je peux imaginer le Sultan à ma place. Alternativement (et c’est alterné), je peux m’imaginer moi-même à la place du Sultan. L’identité est éliminée32. »
43Autrement dit, les idiomes d’identité sont trompeurs en cela qu’ils contiennent une confusion entre deux types de rapports d’imaginés supposément de se :
6. Quelqu’un s’imagine soi-même à la place de Mehmed II.
7. Quelqu’un s’imagine Mehmed II à la place de soi-même.
44Contrairement au fait d’imaginer une identité entre autrui et soi, il est tout à fait intelligible qu’un sujet s’imagine à la place de quelqu’un, ou quelqu’un à sa place. Aucune de ces manières de décrire n’est toutefois adéquate.
- En toute hypothèse, l’idée derrière l’exercice imaginatif du penseur n’est pas que j’imagine le Sultan commentant Walton et Wollheim sur des problèmes de philosophie de l’esprit. Aussi, la phrase (7) ne décrit-elle pas adéquatement l’état imaginatif.
- Il s’agit plutôt de s’imaginer de l’intérieur entrer à Constantinople, aux bruits cadencés des chevaux et des armures. La phrase (6) convient mieux. Or, pour Wollheim, cette manière correcte de comprendre l’idiome d’identité ne décrit toujours pas adéquatement ce qu’on imagine. Voyons pourquoi.
45Le second argument est que l’idiome des places n’est pas plus adéquat que l’idiome d’identité. Plus précisément, l’idiome des places (6) est lui-même porteur d’une confusion entre deux types de projets imaginatifs.
- La proposition (6), où l’on s’imagine soi-même à la place du Sultan, implique qu’il est possible que fictionnellement le Sultan imaginaire (= moi) se retrouve face à Mehmed II, mais impossible que fictionnellement il rencontre Guillaume Schuppert. La raison en est que, dans cette configuration, Guillaume Schuppert est Sultan en lieu et place de Mehmed II, adoptant ses atours, réalisant ses actions, empruntant ses dispositions. Mehmed II pourrait y être un paysan.
- Inversement, ce serait un tout autre projet s’il était possible que fictionnellement le Sultan imaginaire (= moi) se retrouve face à Guillaume Schuppert. Pour Wollheim, c’est cette dernière configuration qui retranscrit au mieux la sorte de projet qui est conduit. Or, on n’est à la place de personne, conclut-il presque par élimination.
46Ces subtilités sont supposées montrer que ni de près, ni de loin, « imaginer être le Sultan » n’est imaginer une identité.
47D’après Walton, la réponse de Wollheim au problème métaphysique n’est pas satisfaisante. La critique waltonienne entend montrer que dire s’imaginer soi-même à la place du Sultan (ou, à l’inverse, s’imaginer le Sultan à la place de soi-même) n’est pas apparenté à dire s’imaginer être le Sultan. Autrement dit, elle veut miner la première partie de l’argument de Wollheim. On peut retenir deux attaques. Le premier contre-argument est le suivant. D’après Walton, l’idiome d’identité suggère un projet imaginatif complexe. Toutefois, il semble important de l’interpréter, au moins en grande partie, en termes d’imaginés de se. Après tout, « imaginer être », comme « imaginer réaliser » ou « imaginer éprouver », est typiquement l’expression de l’imagination de se. Un problème pour l’analyse de Wollheim est que la proposition (7) ne se prête typiquement pas à une analyse de se. Il est plus vraisemblable qu’elle corresponde à un imaginé de re, de l’extérieur, du Sultan tapotant sur un clavier et consultant des livres. En conséquence, Wollheim ne lève aucune confusion en proposant l’alternative qui ne rend pas véritablement compte de l’idiome. Passons au second contre-argument. Bien que l’idiome suggère une interprétation de se, on ne peut en écarter complètement la lecture de re. Il semble important de maintenir que, en imaginant être le Sultan victorieux, c’est bien Mehmed II qu’on imagine marchant dans la cité, non un remplaçant. Walton affirme que la figure historique doit faire partie du contenu de l’imaginé. Un problème pour Wollheim est que la proposition (6) évacue grandement ce trait, puisqu’en prenant la place du Sultan, il ne reste de lui qu’un rôle qu’on occupe… Bien sûr, Wollheim ajoute, dans la seconde partie du raisonnement, qu’en s’imaginant à la place du Sultan, il est possible de rencontrer, par exemple, un Mehmed II cocher. Le problème reste précisément que, aux dires de Wollheim, Mehmed II ne figure la plupart du temps pas dans le contenu de ce qui est imaginé. La réponse de Walton garde sa force.
48Le problème persiste. Walton n’est pas enclin à reconnaître qu’on est incapable d’imaginer une impossibilité, qu’elle soit logique, métaphysique, ou autre. Il n’est pas davantage prêt à reconnaître que l’imagination de se et l’imagination de l’intérieur fassent figure d’exception à cet égard. Pour ceux qui se sentent obligés d’éviter cela, il offre une solution. La solution est particulièrement intéressante pour qui veut comprendre son propos sur l’imagination de se, car elle mobilise autant la proposition (INEC), la définition de l’imagination de se, que la taxinomie des imaginés.
« On peut imaginer être Napoléon, comme il est coutume de dire, et voir un rhinocéros à travers ses yeux. Supposons que Joyce fasse cela33. »
« Elle s’imagine (elle-même) voir un rhinocéros. Et par le moyen de cet imaginé de soi à la première personne, elle imagine de Napoléon qu’il voit un rhinocéros. Disons qu’elle s’illustre pour elle-même ce qu’elle s’imagine Napoléon expérimenter en imaginant l’expérimenter elle-même34. »
49La thèse holiste (INEC) doit maintenant paraître au grand jour. L’imagination fonctionne sur la base de pluralités d’imaginés qui sont en relation entre eux de manière complexe. D’après la réponse proposée, Joyce imagine de re Napoléon. Toujours d’après la réponse, Joyce imagine de se un contenu expérientiel, ce qu’elle fait à la première personne. L’imaginé d’une identité laisse place à un complexe d’imaginés. Bien sûr, la relation que Walton décrit entre ces imaginés n’est pas claire. Pour le moins, on comprend, à l’aune de toutes les pièces de la seconde phénoménologie de l’imagination, la voie qu’elle nous suggère d’emprunter.
Pragmatique de l’imagination
Le concept de participation
50Notre philosophe défend, disais-je, une théorie de l’appréciation qua participation. Le concept de participation est de prime abord caractérisé ainsi :
« Une condition minimale de la participation dans un jeu est de se considérer soi-même contraint d’imaginer les propositions qui sont fictionnelles en lui. Les participants considèrent que les règles ou principes de génération s’appliquent à eux-mêmes35. »
51Le propos est ici de rapporter comment Walton rend compte de la « condition minimale de la participation » introduite dans le passage. Sa théorie n’est, à cet égard, pas aussi simple que la caractérisation ne le suggère. La théorie de la participation nécessite un complément à la pragmatique de l’imagination et un amendement corrélatif à la logique des fictions.
52Un premier amendement est un complément de l’enquête pragmatique sur l’imagination. La pragmatique est la partie de l’anthropologie de la représentation qui porte sur les rapports entre monde et imagination. Notre philosophe apporte deux concepts supplémentaires : le concept d’objet et celui de support réflexif. La seconde notion dépend logiquement de la première. Il faut donc d’abord introduire le concept d’objet. Beaucoup s’accorderont sur le fait que l’imagination est une attitude de l’esprit, qui peut être dirigée vers un objet de conscience. Pour sa part, notre philosophe ne se prononce aucunement sur l’existence d’objet, à proprement parler, intentionnel : l’expression « objet de l’imagination » est toujours réservée aux choses réelles à propos desquelles on imagine quelque chose. Typiquement, il y a objet de l’imagination lorsqu’on imagine de re. C’est le cas, pour reprendre l’exemple de Walton, lorsqu’on imagine de Georges Bush qu’il prend des paris illégaux. Toutefois, il n’est, je crois, pas suffisant d’être ce à propos de quoi l’on imagine pour être un objet de l’imagination au sens de Walton. Un objet de l’imagination est, semble-t-il nécessairement, « le centre d’intérêt » du projet imaginatif36. Voilà en quel sens être l’objet de l’imagination est une des fonctions que peut assurer le monde dans nos projets imaginatifs. Cette fonction est à la fois indépendante de et compatible avec les fonctions de souffleur et de support. Dans le jeu des ours-buissons, le buisson est autant un souffleur qu’un support, mais il n’est pas l’objet de l’imaginé. Aussi, « le buisson n’est pas de la même manière le centre d’intérêt [des garçons] comme Bush pouvait l’être » dans le cas précédent37. À l’inverse, pour reprendre une idée saugrenue du Gargantua de Rabelais (1534), on peut imaginer que le lac Nantua dans le Jura est né d’un géant qui s’est un jour soulagé à cet endroit. Le lac est alors un objet autant qu’un support. Walton parle alors de support réflexif. Des choses variées sont des supports réflexifs. Parfois, les représentations le sont. Certaines représentations littéraires (comme Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift [1721], où il est fictionnel du roman qu’il est un journal de bord), certaines représentations cinématographiques (comme Le Projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez [1999], où il est fictionnel du film qu’il est un enregistrement trouvé) sont ainsi qualifiées. Parfois, chose bien plus perturbante, ce sont les appréciateurs eux-mêmes qui sont des supports réflexifs.
53La condition minimale de la participation repose sur l’amendement à la pragmatique. Un participant endosse trois rôles pragmatiques qui sont « étroitement combinés en un ensemble soigné38 ». Il est constitutif de la participation qu’un participant est un support, c’est-à-dire qu’un participant génère la fictionalité d’un ensemble de propositions puisque « les principes de génération s’appliquent à lui », un objet, c’est-à-dire qu’un participant est un constituant de l’ensemble des propositions en question, un individu imaginant, c’est-à-dire qu’un participant est « contraint d’imaginer les propositions » qui sont fictionnelles de lui. Reprenons les ours-buissons. La théorie de la participation veut montrer que, au moment de la rencontre des garçons et du buisson, il n’est pas seulement fictionnel, ou seulement imaginé, qu’il y a un ours. La participation est bien plus excitante.
- La seconde phénoménologie permet de dire que les garçons imaginent de se, expérientiellement et de l’intérieur qu’ils voient un ours, qu’ils se cachent de lui pour mieux l’observer, qu’ils lancent un assaut, qu’ils battent en retraite. Ils imaginent de manières spécifiques.
- La seconde pragmatique permet de dire qu’Eric et Gregory imaginent de ces manières, parce qu’il est fictionnel qu’ils voient un ours, qu’ils se cachent de lui, qu’ils l’attaquent et qu’ils le fuient. Ils sont objets de ce qui est fictionnel et de ce qui est imaginé.
- La seconde pragmatique ajoute que les garçons sont eux-mêmes responsables d’une partie des prescriptions qu’ils suivent ; leurs faits et gestes, leurs pensées et dires génèrent de la fictionalité de ces propositions. Par exemple, c’est parce qu’Eric et Gregory s’accroupissent actuellement dans un fourré qu’il est fictionnel qu’ils épient l’ours. Ils sont des supports imaginatifs réflexifs.
54En somme, la théorie de la participation comporte l’idée selon laquelle certaines propositions fictionnelles sont des prescriptions à imaginer de manière non propositionnelle.
55Le second amendement est un complément à la logique de la fictionalité. Notre philosophe doit ménager un espace logique pour la participation. Il n’est pas anodin philosophiquement de rendre compte de mandats adressés à l’imagination de se. C’est un coup de force que rien ne présageait. De fait, la fictionalité était caractérisée comme « une propriété de propositions », propositions au sein desquelles « les modes de présentations » n’étaient pas tenus pour des « constituants39 ». Le coup de force est de rendre compte de la régulation d’une dimension non propositionnelle de l’imagination par des propositions, rien que des propositions. L’échappatoire est qu’un participant, qua support réflexif, rend fictionnelles des propositions dans lesquelles il est un constituant. Fondamentalement, un participant appartient à un monde fictionnel.
« Nous n’observons pas seulement les mondes fictionnels de l’extérieur. Nous vivons en eux […] aux côtés d’Anna Karénine et d’Emma Bovary et de Robinson Crusoé et de tant d’autres, partageant leurs joies et leurs peines, nous réjouissant et compatissant avec eux, les admirant et les détestant. C’est vrai, ces mondes sont simplement fictionnels, ce que nous savons parfaitement. Mais de l’intérieur, ils semblent actuels […] et notre présence en eux […] nous donne un sentiment d’intimité avec les personnages et leurs autres contenus. L’essentiel de notre fascination et de l’emprise qu’ont les représentations sur nous est fondé sur cette expérience40. »
56La réponse de notre philosophe rend compte, dans le même temps, de la « porosité épistémologique et psychologique » de la « barrière métaphysique ou logique » entre le monde réel et les mondes fictionnels. Dans ce qui suit, nous revenons sur ces intuitions populaires. Les remarques apportées permettront de mettre en évidence ce qui autorise Walton à parler des normes de l’imagination de se.
57La malléabilité épistémologique et psychologique est revisitée par le second amendement. Les mondes fictionnels sont connaissables. Ils nous affectent de sorte que, de l’intérieur, ils paraissent réels. Pourtant, aucun monde fictionnel n’existe réellement. Qu’est-ce à dire ? La théorie de la participation introduit des propositions fictionnelles concernant nos connaissances de ces mondes lointains et nos émotions envers leurs habitants. Elle ménage un espace logique dans lequel les participants sont les habitants des mondes fictionnels, strictement dans la mesure où, fictionnellement, ils en sont les habitants. Nous, qua participants, sommes dans la portée de l’opérateur de fictionalité lorsque nous apprenons les déboires d’un personnage et en sommes émus. L’espace logique différencie conceptuellement, par exemple, « savoir ce qui est fictionnel » et « fictionnellement, savoir ce qui est vrai ». Dès lors, deux relations épistémologiques distinctes entre, par exemple, X et les aventures de Jack et du haricot magique, sont rapportées par deux propositions informelles régimentées :
8. X sait que, fictionnellement, Jack échappe au géant.
9. Fictionnellement, X sait que Jack échappe au géant.
58Les propositions présentent des formes logiques distinctes. La proposition (9) implique que, fictionnellement, X existe. La proposition (8) n’implique rien de tel. De là, les propositions suggèrent des situations épistémologiques distinctes.
- La proposition (9) suggère que X est actuellement en train de lire l’ouvrage. Dans sa lecture, X en vient au moment où il lui est prescrit d’imaginer apprendre l’échappée de Jack. La connaissance des événements est fictionnelle, imaginée.
- La proposition (8) ne suggère pas nécessairement que X lit actuellement le roman. Elle indique que X connaît le dénouement des aventures, par exemple, pour l’avoir lu il y a quelques années. La connaissance des événements est réelle.
59Notre philosophe admet volontiers que savoir ce qui est fictionnel et, fictionnellement, savoir ce qui est vrai sont parfaitement compatibles. On peut relire un roman. Cependant, les deux relations sont relativement indépendantes l’une de l’autre. Vraisemblablement, la proposition (9) implique la proposition (8), la réciproque n’est pas vraie. On comprend mieux la porosité épistémologique et psychologique mentionnée plus tôt.
60Un problème survient immédiatement. Considérons deux propositions fictionnelles, où l’indice de l’opérateur f est éludé.
10. f, Lemuel Gulliver échoue sur Lilliput,
11. f, X apprend que Lemuel Gulliver échoue sur Lilliput.
61La première proposition est innocente. Dans le monde fictionnel de Gulliver, Lemuel Gulliver échoue bien sur Lilliput41. Par contre, la seconde proposition est problématique. Il n’est pas vrai que, dans le monde fictionnel de Gulliver, X apprend le naufrage. Disons que X n’est personne d’autre que Guillaume Schuppert, enseignant, lisant des fictions durant ses heures de préparation de cours. Les écrits de Swift ne prescrivent pas d’imaginer que Guillaume apprend l’arrivée du naufragé à Lilliput. D’aucuns lisent le roman, ils n’y retrouveront pas trace de pareilles prescriptions. L’histoire ne s’arrête pas là, puisque la conséquence est bien plus ampoulée encore. De fait, on devrait admettre que, pour tout X tel que X est un participant passé, présent ou à venir, la proposition (11) est fictionnelle dans le monde de Gulliver. Il s’en faut que, dès qu’un nouveau lecteur se plonge dans les aventures du capitaine Lemuel Gulliver, le roman lui prescrive d’imaginer non seulement que Lemuel Gulliver échoue sur Lilliput, mais encore que Guillaume apprenne le naufrage et, en toute généralité, que l’ensemble de ses prédécesseurs et l’ensemble de ses successeurs face au roman apprennent l’événement. La conséquence est folle. La leçon est subtile. Un participant n’appartient pas au monde fictionnel de l’œuvre.
62La barrière métaphysique ou logique est revisitée par le second amendement. L’espace logique tient la bride du déferlement de mandats invraisemblables par une distinction entre deux types de mondes fictionnels. Il n’est pas vraisemblable que, dans les mondes des œuvres, les participants existent. Par contre, notre philosophe admet que, dans quelques autres mondes fictionnels, ils existent ! Les mondes des œuvres sont différenciés des mondes des jeux. Les mondes fictionnels sont des ensembles de propositions faites fictionnelles par des principes de génération. Les deux types de mondes fictionnels sont distingués sur la base des principes de génération desquels ils procèdent. La principale différence est que :
- Les mondes des œuvres comprennent « seulement les vérités fictionnelles générées par l’œuvre »,
- Les mondes des jeux autorisés par les œuvres comprennent les vérités fictionnelles générées « par l’appréciateur comme par l’œuvre, et par les relations entre eux42 ». Ils sont des « expansion[s] du monde de l’œuvre43 ».
63Selon Walton, les mondes des jeux autorisés résultent des mêmes opérations que les mondes des œuvres des romans illustrés, par exemple d’une édition de La Divine Comédie de Dante Alighieri enrichie des gravures de Gustave Doré. La classe des propositions-indiquées-par-le-texte n’est pas complètement identique à la classe des propositions-indiquées-par-les-gravures. Il n’y a pas, cependant, une pluralité de mondes fictionnels de l’édition illustrée. Les deux classes de propositions forment un seul monde fictionnel élargi. Il en est de même des mondes des jeux. La classe des propositions-indiquées-par-l’œuvre et la classe des propositions-indiquées-parle-participant forment un grand monde fictionnel, à savoir, le monde du jeu du participant autorisé par la représentation. Au bout du compte, les propositions fictionnelles qui impliquent que, fictionnellement, les participants existent sont des propositions fictionnelles des mondes des jeux des participants. Introduisons les indices w et g à l’opérateur f, qui correspondent respectivement au monde de l’œuvre (work world) et au monde du jeu (game world). Cela donne simplement.
10’. fw,g, Lemuel Gulliver échoue sur Lilliput,
11’. fg, X apprend que Lemuel Gulliver échoue sur Lilliput.
64La première proposition appartient au monde de Gulliver ainsi qu’au monde des jeux autorisés par le roman. La seconde n’appartient qu’aux mondes des jeux. La notation permet également de clarifier nos relations épistémologiques précédentes.
8’. X sait que, fw, Jack échappe au géant,
9’. fg, X sait que Jack échappe au géant.
65La première proposition rend compte d’une connaissance réelle sur le monde fictionnel du conte. La seconde proposition rend compte d’une connaissance fictionnelle du monde du jeu de X avec le conte.
66La condition minimale de la participation repose sur le complément complexe apporté à la logique. Premièrement, l’espace logique réfute, mais explique, la tendance d’un engagement ontologique ordinaire envers des mondes, des faits, des vérités de fiction. On comprend mieux le sentiment d’une barrière entre le monde actuel et le monde de l’œuvre, barrière physiquement infranchissable, mais épistémologiquement et psychologiquement pénétrable. Nous, qua participants, ne franchissons aucune barrière. Nous ne sommes pas – dans des circonstances normales – dans les mondes des œuvres. Par contre, nous sommes déjà dans les mondes des jeux. Deuxièmement, l’espace logique rend compte des normes régulant l’imagination de se. Les mondes des jeux s’accommodent de la présence des participants. Ils comprennent des propositions fictionnelles desquelles les participants sont des constituants. La logique de la fictionalité n’est pas modifiée substantiellement. La fictionalité s’attache toujours à des propositions. Rien qu’avec des propositions, l’espace logique de la participation admet des propositions fictionnelles qui sont des prescriptions à imaginer de se. Lorsqu’on lit les aventures de Jack, on apprend que fw, Jack échappe au géant, et fg, on apprend que Jack échappe au géant. Il nous est prescrit d’imaginer d’une manière spécifique la proposition.
67Au bout du compte, la condition minimale de la participation est qu’un participant, qua support réflexif, nourrisse le monde fictionnel du jeu de propositions qui sont à propos de lui, de sorte qu’il lui soit prescrit d’imaginer de se réaliser ou éprouver ou une certaine manière d’être. Revenons maintenant aux expériences appréciatives.
Le concept d’appréciation qua participation
68La cuisine philosophique de Walton sert un concept particulier d’appréciation. Tous les ingrédients sont à disposition. Reste à les marier. La recette paraît simple à suivre. Elle ne l’est pas. La thèse de l’appréciation qua participation se prête à un contresens. La clarification de la thèse est organisée autour de deux temps. Dans un premier temps, nous allons exposer une version prima facie de la thèse de l’appréciation qua représentation. À cet égard, nous verrons qu’elle est porteuse d’une conception particulière de la valeur des représentations. Dans un second temps, nous allons qualifier de manière importante la version prima facie de la thèse. À cet égard, nous verrons qu’elle ne saurait être isolée d’une conception particulière de l’épistémologie des représentations.
69La thèse de l’appréciation qua participation repose intuitivement sur l’opposition méthodologique entre participation et observation d’un jeu de faire-semblant. Elle est de prime abord caractérisée ainsi :
« Les participants aux jeux de faire-semblant doivent être distingués des simples observateurs (onlookers). Une condition minimale de la participation dans un jeu est de se considérer soi-même contraint d’imaginer les propositions qui sont fictionnelles en lui. Les participants considèrent que les règles ou principes de génération s’appliquent à eux-mêmes. Les observateurs, observant le jeu de l’extérieur, ne se pensent pas comme assujettis à ces règles ; la fictionalité d’une proposition n’est pas comprise comme une raison pour eux de l’imaginer44. »
70Il semblerait prima facie que la participation et l’observation caractérisent deux sortes de relations qu’entretiennent les individus aux vérités fictionnelles. Reprenons le jeu des ours-buissons. Eric et Gregory, principaux protagonistes des ours-buissons, participent à un jeu de faire-semblant. Ce qui les intéresse est précisément que les prescriptions s’imposent à eux, dans le sens où, comme on a pu le voir, la participation est un comportement régi par des règles. Typiquement, on pourrait penser que les lecteurs d’un roman, les spectateurs d’un film sont également des participants. Susan, mère inquiète d’entendre ses enfants crier à l’ours, observe un jeu de faire-semblant. Outre ses obligations de surveillance, ce qui peut l’intéresser est d’apprendre ce qui est fictionnel, ce qui est impliqué par là, quels principes de génération sont opérants, et ainsi de suite. Autrement dit, à défaut d’imaginer quoi que ce soit, ce qui l’intéresse sont les raisons que peuvent avoir Eric et Gregory d’imaginer ceci ou cela. Typiquement, on pourrait penser que les critiques d’art, les historiens de l’art, les théoriciens et les analystes sont des observateurs. Il s’ensuit deux interprétations de la thèse de l’appréciation qua participation.
- Une interprétation forte qui se révélera bientôt une mésinterprétation de la thèse est que l’appréciation d’une représentation est constitutivement une participation. La théorie de la participation épouse l’idée qu’un participant est « pris dans la fiction », qu’il est immergé dans un monde fictionnel. Toutes les participations sont similaires en cela que les participants adoptent un comportement régi par des règles où ils endossent le rôle pragmatique de support réflexif. Pourtant, il n’est pas essentiel d’être « pris dans la fiction » en ce sens pour apprécier une représentation.
- Une interprétation modérée mais correcte de la thèse est que l’appréciation est souvent une participation. La participation pleine et entière n’est pas nécessaire à l’appréciation. Cependant, la participation reste conceptuellement cruciale à l’appréciation. D’après Walton, lorsque l’appréciation n’est pas, à proprement parler, une participation, elle doit néanmoins être « largement comprise en termes de participation45 ».
71Il n’est pas besoin de plonger immédiatement dans le détail. Il est mieux de comprendre, dans l’ensemble, les raisons pour lesquelles Walton confère une place théoriquement centrale au concept de participation. Faisons comme si l’interprétation forte était correcte.
72La thèse de l’appréciation qua participation, sous ce rapport, supporte une thèse sur l’importance des représentations dans nos vies, sur la valeur des représentations. Walton n’apporte pas, à cet endroit, « de réponses complètes » mais un « ensemble de suggestions prometteuses46 ». Il ressort, tout au long de son grand livre, deux sortes de valeur des représentations. La première sorte de valeur, nous le savons déjà, est expérientielle.
« Nous n’observons pas simplement les mondes fictionnels de l’extérieur. Nous vivons en eux (dans les mondes de nos jeux, non les mondes des œuvres), aux côtés d’Anna Karénine, d’Emma Bovary, de Robinson Crusoé et d’autres, nous partageons leurs joies et leurs peines, nous nous réjouissons et nous apitoyons avec eux, nous les admirons et les détestons. Il est vrai, ces mondes sont seulement fictionnels, ce dont nous sommes bien conscients. Mais, vus de l’intérieur, ils paraissent réels – ce qui est fictionnellement le cas est, fictionnellement, véritablement le cas. Notre présence en eux […] nous donne un sentiment d’intimité avec les personnages et leurs autres contenus. C’est cette expérience qui sous-tend dans l’ensemble notre fascination pour les représentations et le pouvoir qu’elles ont sur nous47. »
73La thèse de l’appréciation qua participation prête foi à l’idée que la valeur des représentations est, en partie, la valeur de l’expérience des représentations. Nos expériences sont accompagnées d’une phénoménologie particulière que permettent de décrire l’imagination de se et l’espace logique de la participation. La seconde sorte de valeur est cognitive.
« La compréhension de soi (self-illumination) est une fonction clé autant des jeux de faire-semblant que des autres activités imaginatives. À cet égard, le rôle de support réflexif des participants participe grandement de l’efficience des jeux de faire-semblant. Les imaginés à propos de soi-même contribuent, plausiblement, à la compréhension de soi ; ainsi de la valeur des vérités fictionnelles à propos des participants et du fait qu’il leur soit prescrit d’imaginer à propos d’eux-mêmes48. »
74La thèse de l’appréciation qua participation supporte l’idée que l’expérience des représentations nous aide à apprendre des choses sur nous-mêmes. Encore une fois, la réponse est possible en vertu du fait qu’un participant imagine précisément de se, qu’il place de lui dans les mondes de ses jeux. Sommairement, l’analyse axiologique est fondée sur l’idée que les valeurs des représentations sont les valeurs du faire-semblant. L’analyse n’est possible qu’en vertu des similarités entre la participation ludique, qui est typiquement enfantine, et la participation esthétique, ou artistique, qui est typiquement adulte. Les similarités sont magnifiées par l’interprétation forte de la thèse de l’appréciation qua participation.
75L’interprétation forte de la thèse de l’appréciation qua participation mécomprend la participation. La participation n’est pas quelque chose d’uniforme. Au-delà des similarités subsistent des différences importantes entre des sortes de participation distinctes. Les comportements de faire-semblant se répartissent entre participation ludique et participation esthétique ou artistique, en fonction de différences « dans la nature et dans la mesure » de la participation49. Il faut expliquer la formule.
- Les différences sont abordées, de prime abord, par le constat que des restrictions de types variés peuvent être imposées sur la participation. Principalement, la participation esthétique présente des restrictions sur la participation physique, alors que la participation ludique la permet presque toujours pleinement. Lorsqu’un petit frère griffe méchamment la poupée de sa sœur, la participation comprend une action qui rend fictionnel qu’il griffe le bébé. Lorsque le lecteur d’un Harry Potter griffe l’inscription « Drago Malefoy », son geste n’ajoutera pas à l’inventaire des propositions fictionnelles l’idée qu’il griffe Drago Malefoy, du moins pas dans le monde d’un jeu autorisé par la représentation50. La théorie de la machinerie vole au secours de la théorie de la participation. Les différences de restrictions imposées à la participation sont des différences de principes de génération en vigueur. La sorte de principes de génération qui opère dans une participation ludique n’est pas identique à la sorte de règles régulant la participation esthétique. C’est en ce sens qu’il y a des différences dans la mesure ou la portée de la participation.
- Les différences sont étudiées, ensuite, par le constat que les restrictions imposées sur la participation peuvent provenir de types de supports variés. Les poupées, les voitures miniatures, les épées en mousse sont des représentations, puisqu’elles ont pour fonction de servir de supports dans des jeux de faire-semblant. Par contre, elles n’ont pas pour fonction de servir dans certaines sortes spécifiques de jeux. Il n’y a pas de mauvaises utilisations (misuse) d’une poupée. Si j’imagine que Harry Potter n’est pas vraiment un sorcier, mais un mutant, alors cela sera vrai de mon jeu non autorisé avec l’œuvre, mais cette proposition ne sera pas fictionnelle du monde de Harry Potter. Par comparaison, aucune transgression semblable ne survient si j’imagine que la poupée n’est pas humaine, mais mutante. La raison en est que les représentations artistiques, mais non les représentations ludiques, disposent d’une autonomie générationnelle. Les mondes des œuvres s’imposent à nous, en quelque sorte, au sens où la fictionalité de Harry remportant la Coupe de Feu est le fait de la représentation seule, conjointe à quelques règles de génération. Le monde d’une représentation ludique dépend générativement des participants et de leurs environnements. On pourrait dire qu’une poupée ne génère par elle-même qu’un très petit nombre de propositions fictionnelles, peu intéressantes, comme le fait qu’il y a un bébé. Délaissée sur le canapé, la poupée pourrait bien rendre fictionnel que bébé fait une sieste ; mais la réalité l’y aide. Par comparaison, allonger la première de couverture d’un Harry Potter sur un canapé ne rendra pas fictionnel que Harry fait une sieste. Les différences entre participations ludique et esthétique tiennent particulièrement au fait que les poupées, les voitures miniatures, les épées en mousse, et autres représentations similaires, « n’ont pas leurs mondes fictionnels propres51 ». Elles n’ont que des mondes des jeux. C’est en ce sens qu’il y a des différences dans la nature des supports et, par extension, des variations significatives entre les participations.
76Notre philosophe reconnaît donc bien des différences importantes entre participations ludique et esthétique. Cependant, la théorie du faire-semblant ne tiendrait pas debout si elle n’affirmait pas immédiatement qu’il est « essentiel de les tenir pour des différences de degrés52 ». Il argumente en faveur de l’idée en montrant qu’entre la participation ludique et la participation esthétique, de nombreuses participations intermédiaires existent. Les sculptures, notamment, présentent des restrictions physiques moindres. Marcher autour du buste de Poincaré ou le saisir en certains endroits revient fictionnellement à tourner autour de Poincaré ou à lui tirer la barbiche. Une image épinglée à un sac de frappe ou à une table de fléchettes nous incite fictionnellement à attaquer la personne représentée. Les cas intermédiaires permettent à Walton de considérer les participations esthétiques comme des « variantes tronquées » des participations ludiques53.
77L’interprétation modérée de la thèse de l’appréciation qua participation met en avant l’idée que la dichotomie entre participation et observation n’est qu’un marche-pied. Elle est fondamentalement qualifiée de la manière suivante :
« La participation et l’observation ne sont pas véritablement séparées. On ne peut que difficilement réaliser l’une sans réaliser l’autre, presque simultanément. Pour apprécier une œuvre, on doit remarquer ce qu’elle rend fictionnel ; on doit être sensible au monde fictionnel. Dans cette mesure, l’appréciateur doit être un critique. Le critique ne peut généralement aller bien loin dans la description du monde de l’œuvre s’il ne se laisse pas prendre, dans une certaine mesure, dans l’esprit de feintise des appréciateurs54. »
78Bien que sa simplicité soit utile, la caractérisation prima facie ne doit pas être plaquée à l’appréciation des représentations. Aussi, il faut répéter une mise en garde contre un contresens. La thèse n’est pas que l’appréciation est toujours une participation apparentée aux comportements des enfants et n’est jamais une observation apparentée aux comportements de Susan. D’après Walton, l’appréciation des œuvres d’art représentationnelles tient autant du comportement des garçons que de leur mère ! Il est faux que vous et moi adoptions une posture de pure participation, alors que le critique et l’historien de l’art adoptent une posture de pure observation. La théorie de la participation n’est pas, seule, une théorie de l’appréciation : « La participation n’est pas tout55. » La participation et l’observation sont les deux racines conceptuelles de la notion d’appréciation. Une théorie de l’appréciation repose à égale mesure sur l’épistémologie de la fictionalité.
« La perspective de l’appréciateur est une perspective double. Il observe les mondes fictionnels et il vit en eux. Il découvre ce qui est fictionnel et, fictionnellement, il prend connaissance des personnages, de leurs situations et y réagit56. »
79La thèse de l’appréciation qua participation ne vaut que tant qu’un mythe est défait. Un participant n’est pas un animal passif qui se trouve bêtement passionné par une fiction. Un observateur n’est pas une triste créature qui oriente une intelligence froide vers une fiction. Toute appréciation comporte, sous des degrés variés, une part de participation et une part d’observation. Sans hasard, la Tête de taureau de Pablo Picasso (1942) qui siège en première de couverture du livre de Walton en est l’exemple le plus parlant. Indéniablement, l’œuvre objet-trouvé nous prescrit d’imaginer une tête de taureau autant qu’elle nous incite à reconnaître les parties de vélo. À cet égard, l’appréciation de l’œuvre est le mariage de la participation et de l’observation. Une appréciation de la Tête de taureau n’implique vraisemblablement pas de « se perdre dans un monde fictionnel », pourtant, « à moins que l’on ne goûte au jeu, à moins que l’on ne participe dans la mesure où, fictionnellement, on reconnaît le taureau, on ne saisira pas à quel point les morceaux de vélo sont bien adaptés à un emploi comme support57 ». La thèse de la double perspective marche particulièrement bien à cet endroit.
80Notre philosophe parle, l’essentiel du temps, de participation pleine et entière. Il propose, cependant, quelques éléments d’analyse en deçà des appréciations de cette espèce.
« L’appréciation n’a pas, en général, à être simplement identifiée avec la participation, encore moins avec la sorte de participation qui constitue le fait d’être “pris dans une histoire”. Mais, pour autant que les aspects représentationnels des œuvres appréciées soient en cause, la notion de participation est fondamentale. L’appréciation qui n’implique pas la participation doit en tout cas être comprise en termes de [participation]58. »
81L’appréciation n’est pas nécessairement une participation pleine et entière. Cependant, le concept de participation est nécessaire pour décrire l’appréciation qui n’est pas une participation complète : « La pensée de l’usage de l’œuvre comme support dans un jeu de faire-semblant est centrale à notre expérience59. » Les appréciations supposent minimalement de songer aux potentialités qu’ont les représentations de revêtir un rôle dans une participation pleine et entière. Walton nomme cela participation nominale. Deux sortes de cas problématiques président à la concession.
- L’une provient de la thèse épistémologique d’une double perspective. Il est certainement inenvisageable que les observations critiques, historiques, théoriques, analytiques des représentations artistiques ne comptent pas comme des appréciations. Mais les participants les plus immergés dans les mondes des représentations sortent parfois des jeux imaginatifs pour « s’émerveiller de la manière par laquelle le support accomplit magnifiquement sa tâche60 ».
- L’autre provient du constat que, parfois, les représentations elles-mêmes limitent, voire découragent la participation pleine et entière. C’est le cas pour la Tête de taureau de Picasso qui n’encourage vraisemblablement pas un bain émotionnel. Walton considère également des cas limites, comme les représentations ornementales ou les panneaux de signalisation routière qui sont, selon lui, des « “représentations” non fonctionnelles61 ».
82Deux analyses sont chaque fois envisagées.
- Parmi les cas limites non fonctionnels, il en est qui accomplissent leur propos en tenant complètement à l’écart l’imagination des appréciateurs. Elles ne sont, alors, pas des représentations au sens de Walton. C’est là une première analyse.
- Parmi les représentations non fonctionnelles, il en est qui sont des représentations réflexives. Prenons deux exemples. Les musées d’art contemporain comportent parfois des sections d’art design, où l’on retrouve des chaises qui n’ont pas pour fonction de permettre de s’asseoir. L’analyse de Walton est qu’elles prescrivent d’imaginer qu’elles ont pour fonction de nous permettre de nous asseoir. Les tapisseries comportent parfois des motifs, où l’on reconnaît des créatures mythologiques, des personnes, des fleurs. L’analyse est qu’elles prescrivent d’imaginer qu’elles ont pour fonction de servir de support à des jeux de faire-semblant. Nous avons alors une participation nominale, où le participant, fictionnellement, reconnaît ce qui est représenté, songeant seulement par là à la possibilité de son rôle dans des activités de faire-semblant. C’est là une seconde analyse.
83Nous comprenons maintenant pourquoi, dans la thèse de l’appréciation qua participation, l’appréciation des représentations qui n’est pas une participation pleine et entière reste une participation, nominale.
84La théorie de la participation est structurellement complexe. Elle est au confluent de courants forts de la théorie du faire-semblant. Cela était prédit. Une fois abreuvée de tant de sources, la pensée de Walton est parée au combat. Elle est en mesure de résoudre une grande diversité d’énigmes philosophiques. Les énigmes défaites fourmillent dans le grand livre et dans les articles de Walton. Il me faut choisir. Tout d’abord, nous discuterons de ce qu’il est de coutume de nommer paradoxe de la fiction. La raison de ce choix est que le problème occupe une place centrale dans la théorie du faire-semblant, tant du point de vue de sa genèse, que du point de vue de ses ambitions. La théorie de la participation est, dans une certaine mesure, taillée pour y répondre. Ensuite, nous rapporterons, dans les grandes lignes, la théorie de la représentation verbale et la théorie de la représentation dépictive de Walton. La raison de ce choix est, dans le contexte de la présente étude, évidente : nous avons ouvert les hostilités sur les représentations par les conceptions mimétiques de l’imitation perceptive et de l’imitation dramatique, poursuivies par la conception symbolique de la description et de la dépiction. Nous nous devions de terminer sur la position de la théorie du faire-semblant à l’égard de ces sujets. L’enquête restera basique. Mille subtilités seront laissées de côté.
Énigmes de la participation
Le paradoxe des émotions fictionnelles
85Ces dernières décennies, le problème nommé paradoxe de la fiction, ou paradoxe des émotions fictionnelles, retint énormément d’attention. On doit l’émergence contemporaine de la question à un article de Colin Radford : « Comment pouvons-nous être émus par le destin d’Anna Karénine ? » L’origine historique du problème est généralement située dans la seconde partie du xviiie siècle, dans un débat critique sur l’œuvre de Shakespeare, principalement entre Samuel Johnson et William Kendrick. Les deux critiques s’écharpent sur un problème causal. Quelle est la cause du plaisir procuré par les représentations théâtrales ? Pour Johnson, il procède de notre conscience du caractère fictif de l’œuvre, pour Kendrick, il procède du fait que nous nous laissons tromper par elle62. De nos jours, on aime à donner au problème les atours d’un paradoxe : il est formulé par le moyen de trois propositions en lesquelles nous avons des raisons indépendantes de croire, mais qui s’avèrent conjointement incohérentes.
Condition émotionnelle
86Nous avons des émotions authentiques pour les personnages ou face aux événements fictionnels.
Condition doxastique
87Nous ne croyons pas en l’existence de personnages ou en la factualité des événements fictionnels.
Condition cognitive
88Si nous avons d’authentiques émotions pour un objet, alors nous croyons en l’existence ou en la factualité de l’objet de l’émotion.
89Le condition émotionnelle est certainement la plus intuitive. La plupart des émotions s’accompagnent de caractéristiques phénoménologiques et entraînent des réactions physiologiques. Il est, à ces égards, peu controversé que nous soyons émus. Après tout, qui ne s’est jamais retrouvé à verser « de vraies larmes, pas des larmes de crocodile » face à un drame fictif, qui n’a jamais tressailli face à une scène horrifique, qui n’a jamais éprouvé de la compassion, de la pitié, face à la souffrance de personnages fictifs63 ? La condition doxastique fait ordinairement l’objet de plus de tensions. La plupart de nos croyances s’accompagnent de caractéristiques comportementales. Personne ne s’étonnera qu’on affirme que croire que la bibliothèque en feu, c’est, au moins en partie, faire un pas dans la direction d’un seau d’eau. Nos comportements face aux événements fictifs ne sont pas ceux de personnes convaincues de leur réalité. Comme le dit Noël Carroll : « Si l’on pensait réellement que le cinéma était assailli de changeformes mortels, de démons, de cannibales intergalactiques, ou de zombies toxiques, on ne resterait sûrement pas assis bien longtemps64. » Or, nous n’avons pas « la moindre inclination à quitter le cinéma ou à appeler la police65 ». La condition cognitive est, peut-être, moins évidente, en cela qu’elle est une proposition théorique. La théorie cognitive des émotions fait « de certains aspects de la pensée, souvent une croyance, quelque chose de central pour le concept d’émotion66 ». Radford introduit simplement l’idée. Il nous demande d’imaginer un ami nous confiant les déboires de sa sœur. Devant l’amoncellement cruel de misères et la mine déconfite de l’ami, nous sommes pris d’un sentiment de compassion. La chute est rude quand il nous révèle que rien de cela n’est vrai, qu’il n’a pas même de sœur. Toute émotion disparaît en conséquence du changement de croyance, à l’exception peut-être d’une incompréhension, ou d’une colère grondante, dirigée cette fois vers l’ami, non vers sa sœur inexistante. D’après Radford, le pseudo-paradoxe ne laisse aucune échappatoire : les trois propositions doivent être maintenues. Il conclut, de ses analyses sur « l’apparente incongruité » de nos émotions fictionnelles, à notre « inconsistance et donc incohérence67 ». Alternativement, un philosophe peut rejeter l’une des trois propositions pour éviter le pis-aller de Radford.
90La théorie de la participation construit sa réponse au problème en prenant une émotion particulière, dans un contexte particulier. L’article « Fearing Fiction » analyse un scénario hypothétique. Il y est question de peur, ou de terreur – pour l’argument, j’emploie les termes comme des synonymes. La partie « Appréciating Representations » de Mimesis reprend l’analyse et cherche à en généraliser les conclusions. Il y est, en plus, question d’admiration, de tristesse, de surprise, entre autres choses. Pour l’heure, on se contentera de l’analyse particulière. On peut ajouter une remarque historique. La thèse de Walton n’est pas, à l’origine, une thèse de philosophie de la psychologie. Il déclarait alors : « Je n’appronfondirai pas les dimensions psychologiques de la question, […] mais j’établirai une fondation sur laquelle une recherche complémentaire peut être bâtie68. » Le philosophe finira par ériger sur ces fondations. L’article « Spelunking, Simulation and Slime » engagera la théorie de l’appréciation envers une théorie simulationniste de l’esprit. Dans un premier temps, on se contentera de la version psychologiquement neutre, avant de la compléter en fin de parcours. Voici le cas imaginé par Walton :
« Charles regarde un film d’horreur à propos d’un terrible slime vert. Il grimace dans son siège alors que le slime s’écoule lentement mais implacablement sur le monde, détruisant tout sur son passage. Bientôt, une tête poisseuse émerge de la masse ondulante et deux yeux, petits et brillants, révulsent chaotiquement, avant de fixer la caméra. Le slime, accélérant, s’écoule dans une nouvelle direction : droit vers le spectateur. Charles pousse un cri et se cramponne désespérément à son siège. Plus tard, toujours tremblant, Charles avoue avoir été “terrifié” par le slime. L’était-il69 ? »
91La réponse de Walton au paradoxe de la fiction est composée de deux thèses. La première de ces affirmations est négative. Elle consiste à défendre que la proposition de condition émotionnelle est fausse : il n’est pas vrai que nous ayons des émotions pour des entités fictionnelles70. Charles n’est pas terrifié par le slime. La seconde affirmation est positive. Elle consiste à défendre la proposition suivante : il est seulement fictionnel que nous avons des émotions envers les personnages de fiction. Il est fictionnel du monde du jeu de Charles avec le film horrifique que Charles est terrifié par le slime vert.
92La thèse négative de notre philosophe consiste à répondre à la question « Pourquoi nous intéressons-nous à des personnes et des événements que nous savons seulement fictifs ? » de manière tranchée : « On ne le fait pas71. » Les arguments de Walton sont liés à une distinction conceptuelle entre émotions et quasi-émotions. Les termes de la distinction ne sont pas définis en toute généralité : il ne donne de conditions nécessaires et suffisantes ni pour la notion d’émotion ni pour la notion de quasi-émotion. La différenciation est introduite en prenant le cas particulier de Charles. Charles est dans un état physiologico-phénoménologique particulier : « Ses muscles sont tendus, il se cramponne à son siège, les battements de son cœur s’accélèrent, il ressent une poussée d’adrénaline. » L’état décrit est un état de quasi-peur. Le concept de peur est, au moins typiquement, associé aux symptômes de quasi-peur : « La condition de Charles est similaire à certains égards évidents à celle d’une personne effrayée par un désastre du monde réel imminent. » D’après Walton, la peur ne se réduit pas à ces réactions : « [L’état de quasi-peur] ne constitue pas à lui-seul une peur authentique72. » Arrêtons-nous un instant. La quasi-peur est une condition psychologique des individus, caractérisée en termes physiologico-phénoménologiques (pour ce qui suivra, il importe d’ajouter que les quasi-émotions ne sont pas nécessairement un état physiologique et phénoménologique : on l’a dit, elles ne sont pas définies généralement). Elle accompagne typiquement la peur, mais n’est pas conceptuellement attachée à la peur. Pourquoi ? Différencier la quasi-peur de la peur requiert d’admettre la condition doxastique et, dans une certaine mesure, la condition cognitive. Conformément à la proposition doxastique, Charles ne croit pas que le slime existe. Contre une thèse répandue hors de cercles analytiques, il n’est pas vrai que Charles suspendrait sa croyance, quoi que cela puisse signifier : Charles ne croit pas à moitié que le monstre n’existe pas, il ne cesse pas momentanément d’y croire, pas plus qu’il n’est habité d’une croyance « intestine » en l’existence du monstre en deçà d’une croyance « intellectuelle » en sa non-existence. Sans détailler, les critiques de ces versions de la thèse de la suspension de croyance reposent sur un même fait : pour chacune d’elles, on s’attendrait à ce que Charles ait au moins quelques tendances (inclinations) à réagir comme c’est l’habitude dans de tels cas. Or, personne ne peut être convaincu qu’il réprime le besoin d’appeler l’armée ou de fuir la salle. Dans le vocabulaire de Walton, la croyance est, dans ces circonstances, motivante. Conformément à la proposition cognitive, lorsque Charles est terrifié par une chose, Charles pense typiquement être lui-même menacé par elle. La proposition cognitive met en lumière la pertinence de la proposition doxastique : vraisemblablement, si Charles pense être menacé par le slime, alors Charles croit (ou est dans une relation cognitive apparentée) que le slime existe. Toutefois, la proposition cognitive ressemble de près à une condition nécessaire de la peur. Il faut insister, une fois encore, sur le fait que la peur ne reçoit pas de définition. Walton se tient à l’écart des débats en théorie de l’émotion. Il est prêt à concéder qu’on puisse avoir peur d’une chose sans se penser menacé par elle, c’est-à-dire à rejeter la condition cognitive. On peut être terrifié par l’araignée minuscule qui s’est réfugiée dans la cuisine, sans penser qu’elle menace notre intégrité physique. Sa réponse est alors la suivante : « Si la peur ne consiste pas en partie en une croyance que l’on est en danger, elle est néanmoins similaire à une telle croyance (combinée au désir de ne pas être blessé) dans sa force motivationnelle73. » Il se peut que la peur d’une chose soit, elle-même, motivante, non la croyance que la chose est une menace. Du reste, nous comprenons pourquoi il faut différencier peur et quasi-peur : « La peur édulcorée en lui soustrayant sa force motivationnelle distinctive n’est en aucun cas la peur74. » Dès lors, on ne peut échapper à une distinction entre l’état physiologico-phénoménologique de quasi-peur et l’état motivant de peur. À cet égard, Charles n’est pas terrifié par le slime. Il est toutefois dans un état de quasi-peur.
93Les contre-arguments opposés à la thèse négative de Walton sont nombreux. Pour une partie d’entre eux, ils reposent sur des incompréhensions. Ces erreurs de lecteur sont l’occasion d’apporter quelques clarifications. Il fut un temps où Carroll affirmait que la théorie de Walton « semble se débarrasser de la phénoménologie de l’état pour les besoins de la logique75 ». Quelques années plus tard, il estimait « contre-intuitive » la proposition négative, « au vu de l’intensité de nos sensations », avant de finalement concéder qu’il n’y a pas là matière à objection76. De toute évidence, Carroll n’avait pas pris bonne note de ce qu’est la notion de quasi-peur. Bien que Walton ait lui-même répondu à ces semblants d’objections, Alex Neill est peut-être celui qui en expliqua la faute avec le plus de clarté :
« Ce que ces auteurs manquent est que le fait que Charles soit véritablement affecté par le film horrifique […] est précisément ce qui est à l’origine de la théorie de Walton. En nommant cette sorte d’état “quasi-peur”, Walton ne suggère pas qu’elle consiste en sentiments et sensations feintes ou prétendues. (De fait, il est difficile de voir ce qu’un “sentiment feint” serait). Au contraire, Walton nomme “quasi-peur” l’état physiologique/psychologique de Charles pour marquer ce qui est précisément problématique, à savoir de quoi ses sentiments et sensations sont sentiments et sensations77. »
94Notre philosophe n’affirme aucunement que nous ne ressentons rien. Il y a bien quelque chose que Charles éprouve, ce qui est compris dans ce que Walton nomme quasi-peur. Il n’affirme pas plus que nous ressentons moins intensément. Ce quelque chose que Charles éprouve face au slime pourrait bien être plus intense que le quelque chose qu’il éprouve face à l’araignée minuscule. Par contraste, notre philosophe admet tout à fait que l’on puisse avoir de véritables émotions face aux œuvres de fiction – mais non qu’elles ont pour objet des entités fictionnelles. Parfois nos émotions sont dirigées vers les représentations, plutôt que (supposément) vers ce qu’elles représentent. La séquence de La Fiancée du monstre d’Ed Wood (1955) où le docteur Vornoff est pris dans les tentacules d’un octopus (mécaniquement inanimé) peut véritablement susciter la moquerie. On ne rit pas du fait que fictionnellement le docteur essaie désespérément d’échapper à l’emprise du monstre : on rit de la représentation elle-même, de Bela Lugosi et des morceaux de silicone. Parfois, nos émotions sont dirigées vers des personnes et des situations réelles, plutôt que (supposément) vers des personnages et événements représentés. Il me paraît indiscutable que les représentations fictionnelles peuvent raviver l’ancienne tristesse liée à la perte d’un frère, d’une mère, ou la crainte liée à quelque événement traumatique. D’autres fois encore, dans des circonstances spéciales, nos émotions peuvent être dirigées vers des pensées. Pour reprendre la variation de Walton, si Charles souffre d’une faiblesse cardiaque, il peut bien redouter la pensée du slime, se penser menacé par l’expérience du film horrifique78. La prospection pourrait continuer : peu importe, il n’y a pas là matière à discuter la proposition négative.
95La thèse positive de notre philosophe convoque les notions introduites dans la théorie de la participation. Dans les termes des amendements à la pragmatique, « Charles participe psychologiquement à son jeu de faire-semblant ». Dans ce cadre, Charles est lui-même un support réflexif, il génère – aidé de quelques principes de génération – la fictionalité de propositions portant sur lui. Dans les termes logiques associés, « il n’est pas vrai mais fictionnel qu’il a peur du slime79 ». Autrement dit, dans le monde fictionnel propre au jeu de Charles avec le film horrifique, nous avons la proposition fictionnelle selon laquelle Charles a peur du slime. Conformément à la définition de la fictionalité, il est prescrit d’imaginer cela. Charles, qua participant, respecte la dictée imaginative. Dans les termes des amendements à la phénoménologie de l’imagination, « il imagine être effrayé, il l’imagine de l’intérieur » et « imaginer de cette manière est prescrit80 ». La question cruciale devient : Qu’est-ce qui est responsable de la fictionalité de la proposition ? La réponse est découpée en trois parties, que je nomme : analyse cognitive, analyse affective, analyse générative. Parlons tout d’abord de l’analyse cognitive. D’après Walton, la responsabilité en incombe, en partie, à des faits à propos de Charles, à « ce qu’il pense et ressent », à « son état d’esprit actuel81 ». Bien que l’analyse qu’il propose ne soit pas généralisable, elle décrit, dans le cas particulier de Charles, les états mentaux pertinents ainsi :
12. Actuellement, Charles croit (realizes) que, fictionnellement, il est menacé par le slime,
13. Actuellement, Charles est dans un état de quasi-peur.
96Dans l’ensemble, si, fictionnellement, Charles a peur, c’est parce que, fictionnellement, il est menacé par la bête gluante et que, actuellement, Charles est dans un état de quasi-peur. Faisons une remarque avant d’étudier le rapport entre les trois propositions. Il me paraît vraisemblable que Walton ait plusieurs propositions à l’esprit lorsqu’il met au premier plan (12). Il n’est pas seulement fictionnel que Charles soit menacé, car on peut ignorer être menacé : il est fictionnel qu’il se sait en péril mortel82 ! Nous avons donc plutôt :
12’. Charles croit que, fg, il est menacé par le slime [littéralement, (12) = (12’)]
12’’. fg, Charles croit qu’il est menacé par le slime.
97Ce qui différencie les propositions (12’) et (12’’) est le placement de l’opérateur. C’est ce qu’il convient de retenir en premier lieu. On pourrait éventuellement synthétiser tout cela ainsi :
12*. Charles croit que, fg, il croit qu’il est menacé par le slime.
98Je ne m’embête pas de ces redondances dans ce qui suit. Évoquons rapidement l’analyse affective. D’après Walton, entre les propositions (12) et (13), il y a une relation de causalité. La croyance sur ce qui est fictionnel ne suffit pas à elle seule à causer l’état de quasi-peur. Si Charles avait été quelque peu différent, la croyance aurait pu entraîner des rires. Aucun doute que « la personnalité et le caractère » jouent un rôle83. Dans le cas présent, il en résulte toutefois de la quasi-peur. Croire, fictionnellement, être menacé cause actuellement l’état physiologico-psychologique. Enfin, rapportons l’analyse générative qui requiert, dans une certaine mesure, d’admettre une proposition conceptuelle participant d’une théorie cognitive des émotions : « Être (réellement) effrayé par une tornade, par exemple, c’est avoir certaines expériences phénoménologiques (quasi-peur) du fait de savoir ou de croire que la tornade nous met en danger. » D’après Walton, si la théorie cognitive des émotions n’est pas vraie, elle n’est « pas invraisemblable84 ». Autrement dit, il existe un certain nombre de cas pour lesquels elle paraît satisfaisante. Pour ces cas où la théorie cognitive est correcte, nous avons la proposition conditionnelle suivante :
14. Si, actuellement, la croyance de X que Y menace la vie de X cause l’état de quasi-peur de X, alors, actuellement, X est terrifié par Y.
Par Principe de Réalité, nous avons un corrélat fictionnel de (14).
14’. Si, fictionnellement, la croyance de X que Y menace la vie de X cause l’état de quasi-peur de X, alors, fictionnellement, X est terrifié par Y.
99L’analyse cognitive nous donne les propositions (12) – (13) et l’analyse affective nous donne une relation causale de (12) sur (13). L’antécédent du corrélat fictionnel (14’) est vrai. De là, on obtient la proposition escomptée et, par extension, l’état imaginatif attendu :
15. fg Charles a peur du slime.
16. Charles imagine être terrifié par le slime.
100Quelques remarques s’imposent. Nos peurs fictionnelles fonctionnent typiquement ainsi que l’analyse du cas de Charles le révèle. L’analyse n’est toutefois pas satisfaisante en tant que définition de la peur fictionnelle. Pour le répéter, notre philosophe n’est pas engagé envers la vérité de la théorie cognitive des émotions. La peur fictionnelle « pourrait être générée d’autres façons85 ». Une alternative fait fi de la proposition problématique (12) pour suggérer une approche plus dispositionnelle :
« L’imaginé [rapporté par la proposition (16)] est déclenché plus ou moins automatiquement par la conscience des sensations de quasi-peur. Il est simplement disposé à se penser terrifié par le slime lorsqu’il sent son cœur battre, ses muscles se tendre, et ainsi de suite. C’est précisément la sorte de disposition qui suggère la reconnaissance implicite d’un principe de faire-semblant, par lequel son expérience rend fictionnel qu’il est terrifié par le slime86. »
101Du reste, notre philosophe est confiant quant à la puissance explicative de sa première analyse. Il est même prêt à la défendre, dans certaines circonstances, pour expliquer nos réactions choquées ou stupéfaites aux jump scares du cinéma d’horreur. Pour conclure, on ne peut que concéder que la réponse de Walton est confusément précautionneuse à l’égard de la théorie cognitive des émotions87. Tant et si bien qu’il n’en résulte presque aucune considération généraliste sur les émotions fictionnelles.
102Le contre-argument opposé le plus couramment à la thèse positive de Walton est présenté de diverses manières88. Pour les réponses qu’on pourra apporter, on va leur préférer la version de Neill, dans « Fear, Fiction, and Make-Believe ». Neill présente successivement deux objections, l’une portant seulement sur l’analyse générative, l’autre portant également sur l’analyse affective. Le premier contentieux porte sur la théorie de l’esprit (au sens de l’attribution d’états mentaux) que la théorie de la participation attribue à Charles. Walton suggère que Charles « reconnaît implicitement » un principe de génération, selon lequel ce qu’il éprouve actuellement implique qu’il est fictionnellement ému. Neill rappelle très justement qu’un « principe doit être compris comme étant en vigueur » pour opérer. Le principe de génération que la théorie waltonienne attribue à Charles est jugé « sophistiqué », tant et si bien que l’attribution « encourt le risque de surestimer » les connaissances de Charles sur l’esprit humain89. Notons sans détailler que l’argument de Neill paraît présupposer que le problème de philosophie de l’esprit de la compréhension ordinaire des états mentaux d’autrui (mindreading) doit être réglé par la théorie-théorie, autrement dit, par la théorie selon laquelle on explique et prédit les comportements des autres par le moyen d’inférences reposant sur une théorie populaire de l’esprit. Tant qu’on garde en tête son orientation spéciale en philosophie de l’esprit, il n’est pas étonnant qu’il considère « sophistiqué » un principe qui devrait être populaire, facile d’accès. Le second contentieux porte sur la cause des états de quasi-émotion désignée par la théorie de la participation. C’est précisément sur ce point que les critiques de Walton s’accordent : pour eux, il est improbable que
12. Actuellement, Charles croit (realizes) que, fictionnellement, il est menacé par le slime,
cause les quasi-émotions. Toujours d’après eux, l’inverse est bien plus probable : la véritable cause de la quasi-peur de Charles est que Charles imagine (is making-believe) qu’il est menacé par le slime. Les critiques aimeraient amender la théorie de la participation de sorte à remplacer les connaissances ou croyances sur ce qui est fictionnel par ce qui est pour eux l’attitude psychologique appropriée face aux œuvres fictions. Ce n’est pas rendre service à la théorie waltonienne : « La modification […] menace la théorie tout entière90. » De fait, dès lors que les quasi-émotions résultent sans détour de ce qu’on imagine simpliciter, on peut se dispenser de ce qui est fictionnel du monde du jeu, c’est-à-dire de ce qu’on doit imaginer, pour rendre compte des émotions face aux fictions. La conséquence, selon Neill, est que le cas de Charles ne « nous donne plus un modèle pour comprendre certaines autres sortes de réponses affectives envers ce qui sait être fictionnel91 ». Que répondre ?
103Notre philosophe est engagé envers une conception simulationniste de l’esprit. Du moins, il la pense « sur la bonne voie92 ». Walton n’est guère pointilleux sur une thématique par ailleurs brûlante dans certains pans de la philosophie contemporaine. Il en retient le principe général : la simulation mentale est intuitivement l’idée de se mettre imaginativement dans les baskets d’autrui (in other shoes). Face à la première critique, le tournant simulationniste est des plus pertinents. La théorie-théorie est souvent opposée à la théorie simulationniste sur le problème de la compréhension des autres esprits. Notre philosophe n’a pas besoin d’attribuer à Charles une connaissance poussée des mécanismes complexes de l’esprit humain. Tout ce dont il a besoin est de caractériser son activité comme une simulation mentale. D’après la théorie simulationniste, la simulation mentale est possible grâce à un mécanisme cognitif plaçant nos opérations psychologiques sur « hors-ligne » (off-line). La simulation mentale prend en entrée (input) des états de choses et des états mentaux et donne en sortie (output) des semblants, des substituts d’états mentaux. Lorsqu’on lit l’esprit d’autrui, on se plonge par l’imagination dans sa situation, endossant au passage ses croyances, ses perceptions, ses désirs, pour se retrouver dans un fac-similé imaginatif d’un certain état qu’on attribue réellement à autrui. Il n’est pas question d’un raisonnement théorique établi sur une théorie de l’esprit. Il en va de même pour Charles. Notre philosophe répond à l’argument de Neill simplement en refusant sa philosophie de l’esprit. Face à la seconde critique, l’adhésion à la psychologie simulationniste me paraît à double tranchant. Elle revient à dire que Charles simule l’expérience qu’on encourt lorsqu’on se fait attaquer par le slime. Tout n’est cependant pas clair sur les étapes de la simulation. Voici ce que Walton en dit :
« [La simulation] suppose qu’il imagine le slime et qu’il imagine que le monstre est après lui. Par conséquent, il jouit – ou subit – une combinaison complexe d’expériences qui incluent à la fois des réponses affectives (que je nommais sensations de quasi-peur dans Mimesis) et des imaginés supplémentaires, en premier lieu s’imaginer soi-même encourir un grave danger. […] Des personnes différentes réagissent différemment aux films d’horreur ; les différences entre leurs réactions reflètent des différences dans leurs personnalités et caractères. Charles imagine craindre le slime. C’est l’un des imaginés supplémentaires qui résultent de ceux que le film causait initialement93. »
104Le passage est perturbant. Une possibilité est de l’interpréter comme une modification de la théorie. Il n’y a plus, ici, de relation causale entre la croyance fictionnelle en la menace du slime et l’état de quasi-peur. Il n’est plus fait mention d’un rapport conceptuel entre, d’une part, croyance fictionnelle et quasi-émotion et, d’autre part, émotion fictionnelle. La croyance imaginée d’un danger, la quasi-peur et la peur imaginée sont simplement la sortie de la simulation mentale. Une autre possibilité est de l’interpréter comme un complément à la théorie. Le passage n’indique pas, contrairement à ce que Neill voudrait, que la quasi-peur résulte seulement de la dangerosité imaginée du monstre. Il ne concède aucunement que la cause des quasi-émotions est ce qu’on imagine effectivement plutôt que ce qu’on doit imaginer. La psychologie simulationniste ne remet pas en cause l’analyse affective ou l’analyse générative. La seconde interprétation permet plus ou moins de répondre à la critique de Neill. La proposition « fg, Charles est menacé par le slime » est générée par un aparté, à savoir par un moment d’interaction entre monde de l’œuvre et monde du jeu que permet le regard-caméra du monstre. Il me paraît légitime de penser que la simulation mentale procède du fait que Charles comprend que la proposition est fictionnelle. En ce sens, le fait que Charles réalise que fictionnellement le monstre le poursuit, le menace, et ainsi de suite, cause, par l’intermédiaire de la simulation mentale, la quasi-peur. Que Neill se rassure, Walton disposait de cartes à jouer.
105La généralisation de l’analyse du cas de Charles ne va pas de soi. Alex Neill est en droit d’affirmer que « nos réponses affectives aux fictions pourraient bien ne pas former un ensemble monolithique94 », ou Jerrold Levinson, qu’elles « ne forment pas une “espèce naturelle” » mais « un spectre » où à un extrême se trouvent « les réactions de sursaut qui impliquent minimalement la cognition », « à un autre extrême, entre autres, la fierté, l’envie, la honte, la jalousie, le deuil, le remords, l’embarras qui impliquent des cognitions complexes souvent conditionnées moralement » et, « emplissant un vaste entre-deux, la faim, la surprise la concupiscence, la peur, la colère, la joie, la peine95 ». Notre philosophe propose quelques remarques, cherchant à nous convaincre qu’une généralisation est possible. Les plus importantes me semblent être les suivantes. Les émotions liées aux relations de sympathie, souvent hautement cognitives, ne sont pas nécessairement accompagnées d’une phénoménologie très spécifique, en particulier quand on pense à l’admiration ou la pitié. Aussi, tout en maintenant que les quasi-émotions jouent un rôle, il est forcé d’admettre qu’elles ne sont pas constitutivement des expériences phénoménologiques96. Le problème classique des émotions tragiques ou négatives est, selon Walton, « surfait97 ». Dans l’ensemble, notre philosophe ne considère pas le paradoxe de Hume comme un paradoxe, simplement parce qu’il n’est pas contradictoire de, tout à la fois, désirer que, fictionnellement, le malheur s’abatte sur un tel pour des raisons esthétiques et, fictionnellement, désirer que le malheur ne s’abatte pas sur un tel pour des raisons de jeux imaginatifs. La surprise et le suspense fonctionnent de la même manière. Ils sont liés à l’énigme de l’itération de l’expérience des fictions. Notre philosophe pense, dans l’ensemble, qu’on peut connaître le dénouement d’une histoire, c’est-à-dire savoir ce que, fictionnellement, il advient, mais y revenir encore et encore, pour, chaque fois, fictionnellement, apprendre ce qu’il advient. Dans l’ensemble, la réponse de Walton au paradoxe des émotions fictionnelles paraît résistante. Parfois, elle manque de clarté, notamment lorsqu’elle jongle avec la théorie cognitive des émotions. Elle permet tout de même de mettre à jour des aspects importants, souvent ignorés, de l’expérience des fictions.
La question de la dépiction, la question de la narration
106Au commencement, nous abordions la jungle de la théorie de la représentation de Walton par le problème de la dépiction et celui de la différence entre dépiction et description. Au moment de sortir de la jungle, il est temps de passer à nouveau par ces questions. Tout d’abord, nous étudierons sa théorie de la dépiction. Puis, nous observerons ses analyses de la narration. Dans l’économie de la théorie de Walton, dépiction et narration sont des modes de représentation.
107La théorie des représentations picturales (depictive representations) est une partie à la fois très critiquée et bien défendue de la théorie de la représentation du philosophe. On ne pourra pas entrer dans les jeux des réponses et des réponses aux réponses. Il n’est pas nécessaire de descendre dans les tréfonds de ce terrier pour comprendre qu’il existe deux sources principales de réticence.
- D’une part, ce qui est critiqué est le rapport étroit entre dépiction et fiction, puisque d’après Walton : « Les images sont des fictions par définition98. » Nombreux sont les philosophes à trouver cela contre-intuitif. On tend plutôt à penser, à l’instar de Currie, que « la nature de la dépiction est un problème qui s’impose aux œuvres autant fictionnelles que non-fictionnelles99 ».
- D’autre part, ce qui est critiqué est le rapport étroit entre dépiction et imagination que suggère la définition générale de la représentation. Beaucoup de penseurs préconisent, à l’instar de Wollheim, une orientation tout autre : « La représentation iconique (pictorial representation) est un phénomène perceptif et plus étroitement visuel100. » En réponse aux critiques convergeant vers la position de Currie, on verra que le concept de représentation picturale ou dépiction résulte d’une construction de théorie. Autant que pour les concepts de représentation et de fiction, l’extension ordinaire de la notion est chamboulée. En réponse aux critiques s’inscrivant dans la perspective de Wollheim, on verra que la perception et l’imagination prennent part à la définition constructive. Commençons par là.
108La première sorte de réticence, concernant la plausibilité d’une théorie de la dépiction liant perception et imagination, est adressée en rejouant la critique du mythe de l’œil innocent. Contre ceux qui voudraient débarrasser la perception de l’imagination, Walton affirme, non sans évoquer Kant ou Goodman, qu’on « ferait tout aussi bien de se déclarer aveugle101 ». Les expériences perceptives, en premier lieu visuelles, contiennent des pensées. Et : « Les imaginés, comme les pensées d’autres sortes, entrent également dans les expériences visuelles102. » Aussi, du point de vue de la philosophie de l’esprit, une théorie des représentations picturales peut reposer sur l’idée « [d’]une expérience visuelle colorée par l’imagination », « [d’]une expérience perceptive qui est également une expérience imaginative103 ». Notre philosophe définit, approximativement, les représentations picturales de la manière suivante :
Réprésentation picturale (FDEP)
109Une représentation A est une représentation picturale de B si, et seulement si, la sorte de jeux de faire-semblant autorisée pour A consiste en prescriptions à imaginer, de manière riche et vivace, de sa perception des propriétés perceptibles de A qu’elle est perception de B.
110Le principe de la définition est le suivant : le mode de représentation qu’une représentation possède dépend de la sorte de jeu de faire-semblant qu’elle autorise. Autrement dit, il dépend des propositions fictionnelles, non du monde de l’œuvre, mais des mondes des jeux autorisés par l’œuvre. Tâchons de décrypter la définition en la prenant à revers.
- Le contenu d’une dépiction répond d’un fait : « Les images peuvent représenter […] sans dépeindre104. » Ce qui est dépeint, ou est représenté de manière picturale, appartient nécessairement au monde fictionnel de l’œuvre. La réciproque n’est pas vraie : tout ce qui est fictionnel dans le monde de l’œuvre n’est pas dépeint par elle ; une dépiction représente plus qu’elle ne dépeint. Le portrait d’une femme s’arrêtant au buste peut représenter ses deux pieds (dans le monde de l’œuvre, la femme a deux pieds) sans les dépeindre. D’après Walton, « ce qui manque est, fictionnellement, notre vue (our seeing) de ses pieds105 ». Une dépiction dépeint ce qu’elle représente dans la mesure où il est fictionnel dans les mondes des jeux autorisés qu’un participant perçoit ce qui est représenté.
- On ne peut pas séparer le contenu d’une dépiction de ce que les appréciateurs, qua participants, font pour générer ces vérités fictionnelles. Que font-ils ? Sans conteste, ils perçoivent. La description théorique de l’expérience perceptive, typiquement visuelle, concernée engendra d’importants débats entre Walton et Wollheim. Les deux penseurs s’accordent à dire qu’un aspect spécifique de la phénoménologie de la perception des dépictions, dénommé « dualité » (« twofoldness »), est central. La description retenue par notre philosophe trouve un exemple dans le cas d’une personne appréciant Paysage d’automne avec une vue de Het Steen au petit matin de Rubens (1636) :
« (a) [La personne] voit la peinture, le motif (pattern) de marques colorées sur la surface du tableau ; »
« (b) elle imagine voir la scène dépeinte : des arbres et des champs, une calèche et un chasseur, des nuages en arrière-plan, et des bâtiments sur la gauche ; »
« (c) elle imagine sa perception actuelle de la surface de la peinture être perception d’arbres et de champs, de nuages, de calèche et ainsi de suite106. »
111On comprend en quoi « le voir et l’imaginer sont inséparablement liés » en une unique expérience, qu’on peut analyser sous deux aspects pragmatiques107. Les principes de génération opérant sur les mondes des jeux génèrent la fictionalité de propositions à partir des actes, des pensées, de ressentis des participants. Les expériences perceptives décrites en (a) génèrent, en vertu desdits principes, des vérités fictionnelles, qui seront des raisons de conduire les expériences imaginatives décrites en (b). Les expériences perceptives (a) sont également les objets des expériences imaginatives (b). La description est ramassée en (c). Elle décrit une unique expérience, non pas où la personne d’abord verrait puis imaginerait, mais où l’imagination informerait la perception.
- Les qualités de richesse et de vivacité sont caractérisées ainsi : « [Les jeux] sont riches dans la mesure où ils permettent la réalisation fictionnelle d’une grande variété d’actions visuelles, en vertu de la réalisation actuelle d’actions visuelles vis-à-vis de l’œuvre » ; « la vivacité d’un jeu (visuel) consiste en la vivacité avec laquelle le participant imagine réaliser les actions que fictionnellement il réalise108 ». Il est certainement supposé qu’il y a des degrés de richesse et vivacité qu’ils importent à la définition de la dépiction. Notre philosophe ne disserte pas plus avant sur ces notions.
112En somme, nous avons rapidement observé en quoi le contenu d’une dépiction, la nature des prescriptions et la qualité des jeux imaginatifs entrent dans la définition de la dépiction.
113La seconde sorte de réticence concerne l’extension du concept de dépiction. La classe des représentations dépictives qui est déterminée par la définition (FDEP) n’est pas commune. Il serait bon de prendre la mesure des écarts entre la classe envisagée et la classe ordinaire de dépiction.
- La classe des représentations dépictives inclut bon nombre de choses qui sont ordinairement qualifiées de dépictions. Les représentations cinématographiques, picturales, photographiques, théâtrales et sculpturales sont généralement des représentations dépictives. Les images nous dictent d’imaginer de nos vues d’elles qu’elles sont des vues de ce qu’elles représentent de manière dépictive. Il est fictionnel de nos mondes de participation que nous voyons ceci et cela. Une partie des bandes sonores au cinéma ou des déclamations au théâtre nous dictent d’imaginer de nos ouïes d’elles qu’elles sont des ouïes de ce qu’elles représentent dépictivement. Il est fictionnel de nos mondes de participation que nous entendons ceci et cela.
- La classe constructionnelle exclut des choses qu’on qualifie ordinairement de représentations imagées – plutôt que descriptives. Les représentations graphiques, diagrammatiques, cartographiques ne sont pas des représentations dépictives. Un graphique indiquant les hausses et baisses des températures sur une période de temps donnée ne nous prescrit pas d’imaginer de nos perceptions qu’elles sont des perceptions des températures, notamment au sens où nous n’imaginons pas percevoir parfois le froid, parfois le chaud. Dans une certaine mesure, ce ne sont même pas des représentations au sens de Walton.
- La classe constructionnelle inclut des choses qu’on ne prend pas ordinairement pour des représentations tout court. Les musiques sont parfois représentationnelles ; elles sont alors des représentations dépictives. Les musiques expressives, que l’on dit angoissantes, exubérantes, et ainsi de suite, sont, pour Walton, de l’ordre d’un « art “introspectif”109 ». La théorie de la dépiction est étendue de manière à porter non seulement sur nos perceptions mais également sur nos expériences privées. Dans ce cadre, les musiques expressives sont des dépictions parce que les auditeurs imaginent éprouver des émotions et ils imaginent de leurs expériences des sons qu’elles sont des expériences de ces émotions. Les peintures abstraites sont parfois représentationnelles ; elles sont alors des représentations dépictives. L’une des fondations de la peinture abstraite est le Tableau à l’arc noir de Vassily Kandinsky (1912). Il n’invitera à guère mieux qu’une participation nominale, mais il prescrit tout de même des imaginés à propos « des parties de l’œuvre elle-même », parties qui sont alors des objets actuels de l’imagination et des propositions fictionnelles110. La peinture façonne des relations fictionnelles entre ses éléments. Elle organise les formes massives de couleurs de sorte que, fictionnellement, elles convergent vers un même point commun. De même, elle travaille l’arc noir de sorte que fictionnellement il tient à l’écart les trois formes colorées.
114La classe des représentations dépictives de Walton est, pour le moins, surprenante, mais est-elle acceptable ? D’après la méthodologie du penseur, la question se joue, une fois de plus, sur la puissance explicative de la théorie et sa capacité à rendre compte de nos intuitions populaires, qu’elles soient correctes ou erronées.
115Les réticences quant aux délimitations de la classe constructionnelle sont adressées par la capacité de la théorie à résoudre des problèmes. Le principal conflit résolu porte sur l’opposition conceptuelle entre représentation dépictive et représentation descriptive. Il était introduit au début de ce livre par la confrontation entre théorie de la ressemblance et théorie des symboles. Les théories populaires reposent sur l’intuition qu’une dépiction ressemble naturellement à ce qu’elle dépeint, là où une description symbolise conventionnellement ce qu’elle décrit. Les critiques faites par Goodman montrent que la dépiction repose sur des systèmes de représentation, que la ressemblance est un sous-produit de la familiarité. Notre philosophe admet, fait siens, les reproches. La critique adressée par Walton à Goodman est qu’une théorie philosophique doit tout de même rendre compte de nos intuitions populaires. Elle doit répondre à la question : « Comment le sens commun a-t-il pu tant se tromper111 ? » La théorie du faire-semblant propose une résolution, voire le dépassement dialectique, du conflit. L’intuition populaire de la ressemblance est expliquée par des similarités entre percevoir une dépiction et percevoir une chose. Les similarités ne sont pas phénoménologiques, puisqu’elles reviendraient alors à des similarités entre l’apparence d’une dépiction et l’apparence d’une chose – en somme, une ressemblance entre elles. Les similarités concernent les choses que nous faisons lorsque nous percevons la réalité pour évaluer ce qui est vrai et lorsque nous percevons la représentation pour évaluer ce qui est fictionnel. L’argument est que nos faits et gestes face aux dépictions sont semblables à nos faits et gestes face aux choses réelles et dissemblables de nos faits et gestes face aux descriptions. Les similarités et différences ne se résument pas au fait que les premières supposent d’être perçues, mais non les secondes. Après tout, les écrits fictifs supposent d’être vus, les paroles fictives supposent d’être entendues. Le raisonnement de notre philosophe est plus fin. Face à une dépiction, face à une chose, un individu acquiert des informations d’une certaine sorte – des informations perceptives, canoniquement visuelles. Face à une description, un individu acquiert des informations de différentes sortes – parfois perceptives, parfois psychologiques, parfois sociales et ainsi de suite. Les informations glanées face aux dépictions et face aux choses sont acquises dans un certain « ordre », au sens où un coup d’œil révélera certaines informations, une longue scrutation en révélera d’autres112. Les informations amassées face aux descriptions répondront à un ordonnancement strict, tout différent, qui est celui du récit. Ces différences-là ne sont pas cruciales, puisqu’il est facile de produire une description rapportant seulement des informations perceptives, narrées dans un ordre semblable à celui d’une perception de ce qui est décrit. Une différence décisive est l’illimitation (open-endedness) de l’enquête perceptive, commune aux environnements réels et dépeints. L’enquête perceptive est un état continu, alimenté par « la possibilité constante de nouvelles découvertes ». Dans l’examination ordinaire d’une image, « on n’épuise pas les vérités fictionnelles qu’elle génère […] ; il en est constamment plus à trouver ». Rien de comparable dans l’enquête perceptive d’une description. Une phrase après l’autre, un écrit fictif est lu jusqu’à atteindre sa fin. À cet égard, « regarder une image […] est comme regarder la vie113 ». Notre philosophe s’accorde avec Goodman sur l’idée que les systèmes dépictifs sont – souvent, pas toujours selon lui – syntaxiquement et sémantiquement denses. Cependant, la thèse de Walton explique pourquoi les systèmes symboliques sont denses : « La densité contribue à une analogie entre les enquêtes visuelles des mondes des images et l’enquête visuelle du monde réel, et ainsi à la facilité avec laquelle les premières sont imaginées être des secondes114. » La thèse sur l’opposition entre dépiction et description, ou, dans la terminologie de Walton, entre représentation dépictive et représentation verbale, n’est pas éloignée de l’explication symbolique de Goodman. Elle cherche, dans une certaine mesure, à l’assimiler, tout en lui refusant le fin mot de l’histoire.
« Certains textes verbaux sont des fictions, d’autres ne le sont pas. Ainsi description et dépiction – nonobstant l’allitération – ne sont pas des concepts parallèles. L’un est une espèce de fiction, l’autre coupe à travers la catégorie. La “description” (les “mots”, les “symboles verbaux”) doit être définie, d’après moi, en termes sémantiques et/ou syntaxiques ; la dépiction est une notion pragmatique, concernant la manière dont on doit employer les choses disposant d’un contenu sémantique115. »
116Le rejet de la théorie de Goodman est, évidemment, au profit de sa propre théorie. L’aspect pragmatique des dépictions est, affirme Walton de manière à peine nuancée, logiquement premier à l’aspect sémantique des dépictions. Il le défend sur le plan de l’épistémologie principalement, puisqu’il pense que ce qu’une image communique, informe, enseigne procède d’une participation perceptive à un jeu de faire-semblant. Mais il est prêt à endosser l’idée plus forte qu’une image renvoie, dénote, ou acquiert un contenu sémantique en vertu du fait qu’elle rend fictionnel de jeux avec elle que l’on voit quelque chose. La conclusion était annoncée de longue date, mais on est maintenant en mesure de comprendre pourquoi notre philosophe cherche à dépasser le conflit entre ressemblance naturelle et symbole conventionnel, préservant certaines intuitions théoriques qui les caractérisaient. La transition est assurée vers une autre portion de la théorie du faire-semblant.
117L’analyse des représentations verbales (verbal representations) n’est pas, à proprement parler, une théorie. Une représentation verbale n’y est jamais mieux caractérisée qu’en tant que représentation qui comporte des mots. La notion qui donne son nom au neuvième chapitre du livre n’intéresse pas vraiment Walton. Rien d’anodin dans ce choix. Un coup d’œil à la littérature contemporaine sur les fictions révèle que les philosophes, à l’instar de Peter Lamarque et Stein Olsen, se restreignent très majoritairement aux « fictions verbales », dans l’espoir, vain selon Walton, que la théorie puisse « relativement facilement s’étendre aux autres médias116 ». Bien sûr, cela ne signifie pas que notre philosophe reste pleinement silencieux sur les représentations verbales, ou littéraires. Son regard porte sur une sorte de représentation verbale, à savoir les représentations narratives. La théorie des représentations narratives est, me semble-t-il, une évaluation de la thèse répandue selon laquelle « le postulat d’un narrateur fictionnel […] est une partie significative de la pratique de raconter des histoires117 ». La position qu’il retient amoindrit, au moins, la supposée importance fondamentale du postulat. On va observer le raisonnement du philosophe en deux temps. D’une part, les remarques apparemment éclatées sur les représentations narratives sont mieux comprises comme une partie de la théorie de la machinerie. Nous verrons alors que notre philosophe est intéressé par les rapports variés entre les narrateurs et les propositions fictionnelles impliquées, ou secondaires. À cet égard, les narrateurs importent significativement à ce qui est fictionnel. D’autre part, les remarques sur la mécanique générationnelle des représentations narratives aboutissent à prendre avec précaution le postulat mentionné. On suivra cet ordre.
118Les représentations narratives sont définies de manière moins précise que les représentations picturales. Voici ce qu’il faut en retenir.
Représentation narrative (FNAR)
119Une représentation est une représentation narrative si, et seulement si, la représentation est composée d’une collection « de mots que, fictionnellement, un personnage dit ou écrit118 ».
120Corrélativement, le narrateur est le personnage qui, fictionnellement, réalise l’acte de produire les mots qui, actuellement, composent la représentation. En somme, les lecteurs doivent imaginer non seulement que les mots sont énoncés ou écrits, mais imaginer « quelqu’un les énonçant ou les écrivant119 ». La définition (FNAR) est accompagnée d’une conséquence surprenante, qu’endosse volontiers Walton. Une pièce de théâtre comporte typiquement des mots que, fictionnellement, les personnages déclament. Les mots sont alors, on l’a dit, des dépictions. Ils sont aussi, d’après la définition, des narrations. Tant et si bien que, dans la plupart des pièces, « chaque personnage parlant est narrateur120 ». Il en résulte différentes sortes de narrateurs qui varient dans leurs rapports aux mondes fictionnels. Les narrateurs se répartissent, donc, en différents groupes.
- Un premier groupe oppose les narrateurs fiables aux narrateurs non fiables. Les représentations verbales indiquent des propositions fictionnelles concernant les narrateurs. Fictionnellement, les mots exhibent un comportement verbal. Sur cette base, il est fictionnellement impliqué que le narrateur est fiable ou non fiable. Il y a là un mécanisme de génération indirecte. Un autre paraît très vite : « Les vérités fictionnelles impliquées sont fréquemment affectées par les vérités fictionnelles sur la fiabilité des narrateurs121. » Après l’évaluation épistémologique d’un narrateur réalisée dans un monde de participation, le personnage peut se révéler ignorant, duplice, ou menteur. Dès lors, ces mots que fictionnellement il dit ou écrit ne sont pas, ou ne sont que partiellement, conformes à ce qui est fictionnellement vrai.
- Un second groupe qualifie les narrateurs de rapporteurs ou de conteurs. Le narrateur est un narrateur-rapporteur dans la mesure où il appartient au monde fictionnel des événements qu’il rapporte. Il est fictionnel du monde de l’œuvre qu’il raconte ce que, actuellement, il se passe. Le narrateur est un narrateur-conteur dans la mesure où il n’appartient pas au même monde fictionnel que les événements contés. Il est fictionnel du monde de l’œuvre qu’il conte, qu’il crée ce que, fictionnellement, il se passe. En somme, aux mots composant la représentation correspond typiquement le fait que, fictionnellement, il est fictionnel que quelque événement se déroule. La conséquence sur la mécanique générationnelle est, encore une fois, des implications fictionnelles dans deux directions. Dans une direction, à savoir vers le narrateur fictionnel, notre philosophe admet que les narrateurs-conteurs sont parfois des auteurs impliqués, des personnages fictionnellement responsables de ce qu’on lit, mais qui ne sont pas explicitement portraiturés par la représentation. Les participants en viennent ainsi à l’idée d’un auteur impliqué d’une histoire par « une impression sur quelle sorte de personne l’a rédigée, ou sur les objectifs de l’auteur en la réalisant, ou sur la manière par laquelle elle a été écrite122 ». Il se peut alors que le roman prescrive à ses lecteurs d’imaginer qu’elle fut écrite par une personne de cette sorte, de ces manières, pour ces raisons ; ainsi, que, fictionnellement, elle en est l’auteur. Dans l’autre direction maintenant, à savoir vers les événements fictionnels, notre philosophe reconnaît qu’une pluralité de mondes de l’œuvre doit être admise. Les mots d’une représentation génèrent dans le même moment des vérités fictionnelles dans plusieurs mondes. Parallèlement, le participant typiquement « alterne entre deux jeux de faire-semblant correspondant aux deux mondes de l’œuvre, se concentrant parfois sur le narrateur, le conteur fictionnel et sa narration de l’histoire, parfois sur le contenu de l’histoire123 ».
121Les représentations narratives, contrairement aux représentations picturales, ne reposent pas sur une sorte spéciale de jeux de faire-semblant. Cependant, la présence d’un narrateur ajoute de la complexité dans la mécanique générationnelle.
122Les représentations narratives occupent une place particulière dans la catégorie constructionnelle de Walton. Toutes les dépictions sont des représentations. Par contre, certaines descriptions ne sont pas des représentations. La catégorie constructionnelle exclut une partie des textes littéraires. Cependant, pour ce que j’en comprends, si une œuvre littéraire est une représentation, alors elle est une représentation verbale. Toutes les représentations verbales sont, par définition, des représentations. Les représentations verbales ne forment pas vraiment une classe bien circonscrite dans la théorie de Walton. Les représentations narratives forment une partie mieux délimitée de la catégorie des représentations-fictions. Le rapport entre représentation narrative et texte littéraire présente une particularité : « Les représentations narratives excluent non seulement les œuvres de non-fiction qui ne sont pas des représentations en notre sens, mais également certaines œuvres littéraires qui sont des représentations124. » Pour le répéter, toutes les représentations verbales qui sont des œuvres littéraires ne sont pas des représentations narratives. C’est là une thèse controversée : Walton défend que certaines représentations littéraires n’ont pas de narrateur. Il revient ensuite sur la thèse pour la nuancer. Notre philosophe affiche une position plus « libérale125 ». Il opte pour une certaine neutralité de façade quant à l’idée que toute représentation littéraire est une représentation narrative. Son affirmation originale est transformée en thèse sur la mécanique générationnelle indirecte. En quelques mots, s’il est plausible que toutes les représentations verbales sont des représentations narratives, il est faux que tout ou partie des propositions fictionnelles impliquées dérivent nécessairement de propositions fictionnelles sur le narrateur. Il est faux que les mondes fictionnels des représentations littéraires soient nécessairement présentés indirectement, à travers les narrateurs. Les arguments de Walton sont les suivants.
123Les représentations narratives comportent parfois des narrateurs-rapporteurs. Dans cette perspective, il arrive que l’ensemble de propositions fictionnelles d’une œuvre dépende, en partie, des propositions fictionnelles sur le narrateur-rapporteur, en particulier concernant sa fiabilité épistémologique. Ce n’est pas nécessairement le cas. Certains narrateurs-rapporteurs sont, dit-on, omniscients. Dans l’ensemble, les narrateurs prétendument omniscients sont souvent des personnages « effacés », sur lesquels on ne peut pas dire grand-chose126. Pourtant, il est conventionnel de tenir pour fictionnel ce qu’ils rapportent. L’idée d’omniscience est problématique, selon Walton, puisque cela revient à dire que, fictionnellement, quelqu’un connaît toute chose. D’une part, cela impliquerait que, fictionnellement, le narrateur épistémologiquement infaillible est de nature divine. Or, dans nombre de cas, « fictionnellement, le narrateur est humain et faillible127 ». D’autre part, cela supposerait qu’on se demande comment, fictionnellement, le narrateur obtint ses connaissances. Cela conduit à des questions bêtes, au sens technique de Walton, qu’il faudrait atténuer. Les cas de prétendus narrateurs omniscients sont des « exceptions partielles » à la thèse selon laquelle les narrateurs médient nécessairement notre accès aux mondes fictionnels128. Dans ces cas, l’accès paraît souvent immédiat et trop s’apesantir sur les attributs fictionnels du personnage-narrateur peut nous sortir de la participation. Un contre-argument plus fort survient quand on considère les représentations narratives qui comportent des narrateurs-conteurs. Un narrateur-conteur peut être également effacé, notamment lorsqu’il est l’auteur impliqué, ou l’artiste apparent de l’histoire. Ainsi, une histoire peut laisser « l’impression d’avoir été écrite par quelqu’un de perspicace, ou stupide, ou sagace, ou névrotique, ou égocentrique, ou brutalement honnête ». L’histoire peut rendre fictionnelles ces impressions, cependant, il est « improbable que cela affecte quelles sont les propositions que l’histoire rend fictionnelles (dans l’autre monde de l’œuvre)129 ». Notre philosophe ne dit pas que les propositions sur le narrateur-conteur n’impliquent jamais rien sur ce qui est fictionnel de l’histoire que, fictionnellement, il crée. Il affirme qu’il n’est pas nécessaire que ces propositions-là impliquent d’autres propositions fictionnelles ou participent à leur implication.
124La théorie de la participation porte sur les expériences appréciatives. Dans une certaine mesure, la théorie du faire-semblant tout entière s’est construite pour aborder finement ces expériences. Il en résulte des renvois constants aux autres parties de la pensée de Walton. Le concept de participation, par exemple, repose sur l’idée de propositions fictionnelles qui sont des prescriptions à imaginer de manière non propositionnelle. Il dépend principalement d’analyses phénoménologiques concernant l’imagination de se et d’analyses pragmatiques concernant les supports réflexifs. La théorie de la participation est, à cet égard, nouée à l’anthropologie de la représentation. La théorie de la dépiction, l’analyse de la narration et la réponse au paradoxe de la fiction, autres exemples, sont intégrées à la théorie de la participation. Dépiction et narration sont des modes de représentation qui sont caractérisés par des formes particulières de participation. Les émotions fictionnelles sont des réactions affectives qui sont causées par les participations pleines et entières. Les modes et les réactions en question reposent sur l’idée de propositions vraies dans un monde fictionnel du jeu dans lesquels nous, appréciateurs, apprenons, percevons, devinons ce qu’il se passe. Ils dépendent de l’opération de principes de génération particuliers. La théorie de la participation est, à cet égard, nouée à la théorie de la fictionalité, à la machinerie générationnelle. La pensée de Walton fait système. La théorie de participation, appréhendée dans toute sa complexité, en est une éminente illustration.
Notes de bas de page
1 Wittgenstein Ludwig, Recherches philosophiques, op. cit., § 524.
2 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 190.
3 Ibid., p. 42.
4 Ibid., p. 42.
5 Ibid., p. 192.
6 Ibid., p. 191.
7 Walton Kendall, « How Remote Are Fictional Worlds From the Real World ? », dans Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 37, n° 1, 1978, p. 12.
8 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 192.
9 Ibid., p. 213.
10 Ibid., p. 28.
11 Ibid., p. 29. « Imaginer une certaine manière d’être » traduit mal « imagining being in a certain way ». « Imaginer être quelqu’un » pourrait être plus juste, mais la formule anglo-saxonne évite soigneusement de convoquer des personnes qu’on imaginerait être. De profondes difficultés philosophiques concernant l’identité sont liées à cela, ce qu’on abordera rapidement. Sous ce jour, « imaginer une certaine manière d’être » semble plus acceptable.
12 Lewis David, « Attitudes de Dicto and de Se », dans Philosophical Review, vol. 88, n° 4, 1979, p. 513.
13 Quine Willard Van Orman, « Quantifiers and Propositional Attitudes », dans Journal of Philosophy, vol. 53, n° 5, 1956, p. 177-187.
14 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 25, n. 9.
15 Vendler Zeno, « Vicarious Experience », dans Revue de Métaphysique et de Morale, vol. 84, n° 2, 1979, p. 161.
16 Dokic Jérôme et Arcangeli Margherita, « The Heterogeneity of Experiential Imagination », dans Metzinger Thomas et Wind Jennifer (éd.), Open MIND. Philosophy and the Mind Sciences in the 21st Century, vol. 11, Cambridge, MIT Press, 2016, p. 7-8.
17 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 28.
18 Williams Bernard, « Imagination and the Self », dans Problems of the Self, Cambridge, Cambridge University Press, 1973, p. 29-30.
19 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 29.
20 Ibid.
21 Ibid., p. 30.
22 Jérôme Dokic me faisait remarquer un problème. Ma présentation appuie l’idée que l’immunité aux erreurs d’identification des imaginés de se de l’extérieur implique bien, chez Walton, une identification, fixée par le projet imaginatif de manière stipulative. Or, dans une conférence nommée « Imagining de se » à l’occasion de Mimesis, Metaphysics and Make-Believe : A Conference in honour of Kendall Walton (université de Leeds, 21-23 juin 2007), François Recanati défend que cela n’est pas sans difficulté. D’après lui, la sorte d’immunité dont il est question ici est due à une propriété générale de l’imagination (celle de projet imaginatif) plutôt qu’à une caractéristique de l’imagination de se. Le problème jette le doute sur la caractérisation des imaginés de se proposée par Walton.
23 Cf. Lewis David, « Attitudes de Dicto and de Se », art. cité, p. 543.
24 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 30.
25 Cf. Peacocke Christopher, « Imagination, Experience, and Possibility », dans Foster John et Robinson Howard (éd.), Essays on Berkeley : A Tercentennial Celebration, Oxford, Oxford University Press, 1985, p. 21.
26 Pour les dernières citations : Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 31. Bien que le raisonnement de Walton soit similaire à celui Vendler, Walton ne respecte pas du tout les formes grammaticales que propose Vendler. Qu’on ne s’y trompe pas, « s’imaginer soi-même voir » rapporte, ici, un imaginé de l’intérieur.
27 Ibid.
28 Williams Bernard, « Imagination and the Self », art. cité, p. 41.
29 Respectivement : Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 32 ; Williams Bernard, « Imagination and the Self », art. cité, p. 41.
30 Ibid., p. 42.
31 Wollheim n’admet pas la distinction entre de l’intérieur et de l’extérieur. Le propos de son argument est de faire valoir une autre taxinomie des imaginés, qui n’est que de peu d’importance pour mon propos.
32 Wollheim Richard, The Thread of Life, New Haven, Yale University Press, 1986, p. 75.
33 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 32.
34 Ibid., p. 34.
35 Ibid., p. 209.
36 Cf., par exemple, ibid., p. 211.
37 Ibid., p. 26.
38 Ibid., p. 212.
39 Ibid., p. 36.
40 Ibid., p. 272.
41 Noté jusqu’ici : fw (ϕ).
42 Ibid., p. 215-216.
43 Ibid., p. 216. Pour l’analogie qui est présentée immédiatement ensuite, se reporter au même endroit, ou encore à : Walton Kendall, « Fearing Fictions », art. cité, p. 17.
44 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 209.
45 Pour ces deux citations : ibid., p. 213.
46 Ibid., p. 271.
47 Ibid., p. 273.
48 Ibid., p. 211.
49 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 225.
50 Il est très possible que griffer Voyages rende fictionnel d’un monde du jeu non officiel avec le roman qu’on griffe le journal de bord de Lemuel Gulliver, puisque la représentation est réflexive. Je n’entre pas dans ces détails. Cf. ibid., p. 159-160, chap. 10, § 4.
51 Ibid., p. 61.
52 Ibid., p. 225. Mes italiques.
53 Ibid., p. 227.
54 Ibid., p. 394.
55 Ibid., p. 280.
56 Ibid., p. 273-274. Mes italiques.
57 Ibid., p. 276-277.
58 Ibid., p. 275.
59 Ibid.
60 Ibid., p. 280.
61 Ibid., p. 282.
62 Cf. Vickers Brian (éd.), William Shakespeare, 1765-1774 : The Critical Heritage, vol. 5, Londres, Routledge, 2005. Pour une brève présentation du débat critique, cf. Lamarque Peter, « Peur et pitié », dans Cometti Jean-Pierre, Morizot Jacques et Pouivet Roger (éd.), Esthétique contemporaine : art, représentation et fiction, Paris, Vrin, 2005 (1981), p. 408-411.
63 Radford Colin, « Comment pouvons-nous êtres émus par le destin d’Anna Karénine ? », dans Cometti Jean-Pierre, Morizot Jacques et Pouivet Roger (éd.), Esthétique contemporaine : art, représentation et fiction, Paris, Vrin, 2005 (1975), p. 332.
64 Carroll Noël, The Philosophy of Horror : Or Paradoxes of the Heart, New York, Routledge, 1990, p. 63.
65 Walton Kendall, « Fearing Fictions », art. cité, p. 8.
66 Lyons William, Emotion, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 33.
67 Radford Colin, « Comment pouvons-nous êtres émus par le destin d’Anna Karénine ? », art. cité, p. 333, 345.
68 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 190.
69 Walton Kendall, « Fearing Fictions », art. cité, p. 5.
70 Très étrangement, Derek Matravers nie cela. Il propose de dire que Walton rejette plutôt la condition cognitive. Nous verrons qu’il n’a pas tout à fait tort. Nous verrons également qu’à tout prendre, Walton est parfaitement explicite quant à son refus de la condition émotionnelle, alors qu’il est, disons, nuancé, prudent, dans sa position face à la condition cognitive. Cf. Matravers Derek, Fiction and Narrative, op. cit., p. 109, n. 5.
71 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 271.
72 Pour ces citations : ibid., p. 196.
73 Ibid., p. 202.
74 Ibid.
75 Carroll Noël, The Philosophy of Horror, op. cit., p. 74. Pour être juste, Carroll se réfère à « Fearing Fictions », où le mot « phénoménologie » n’est pas employé. Chacun jugera si l’ambiguïté provient de l’article ou de son lecteur.
76 Carroll Noël, « Critical Study : Mimesis as Make-Believe », dans The Philosophical Quarterly, vol. 45, n° 178, 1 janvier 1995, p. 95.
77 Neill Alex, « Fear, Fiction and Make-Believe », dans Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 49, n° 1, 1991, p. 49.
78 Walton a en ligne de mire la théorie des pensées de Peter Lamarque : Lamarque Peter, « Peur et pitié », art. cité. La variation où Charles souffre d’un problème cardiaque n’est pas un contre-argument à Lamarque, mais l’exemple d’une peur réelle d’une pensée. Contre Lamarque, il utilise les objections mentionnées dans le paragraphe précédent. Cf. Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 202-203 ; Walton Kendall, « Duality without Paradox : A Response to Robert Newsom », dans Narrative, vol. 2, n° 2, 1994, p. 158, n. 8.
79 Pour ces deux dernières citations : Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 242.
80 Ibid., p. 247.
81 Ibid., p. 243.
82 Le cas que décrit Walton n’est, à cet égard, pas innocent. La séquence du film horrifique joue des mécanismes de l’aparté pour générer la fictionalité de cette proposition. L’espace me manque, mais les apartés sont conçues comme « moments d’interaction », bien qu’ils ne soient « que des moments », entre le participant et les personnages de fiction (ibid., p. 235). L’exemple est minutieusement choisi…
83 Walton Kendall, « Spelunking, Simulation, and Slime On Being Moved by Fiction », dans Hjort Mette et Laver Sue (éd.), Emotion and the Arts, New York, Oxford University Press, 6 novembre 1997, p. 39.
84 Pour ces deux dernières citations : Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 244.
85 Ibid., p. 245.
86 Ibid., p. 246, n. 3.
87 Cf. Ibid., p. 245, n. 2.
88 Cf., par exemple, Currie Gregory, The Nature of Fiction, op. cit., p. 210 ; Levinson Jerrold, « Making Believe », art. cité, p. 269-270.
89 Pour ces dernières citations : Neill Alex, « Fear, Fiction and Make-Believe », art. cité, p. 51-52.
90 Ibid., p. 52.
91 Ibid.
92 Walton Kendall, « Spelunking, Simulation, and Slime On Being Moved by Fiction », art. cité, p. 41, n. 5.
93 Ibid., p. 43. Mes italiques.
94 Neill Alex, « Fiction et émotions », dans Cometti Jean-Pierre, Morizot Jacques et Pouivet Roger (éd.), Esthétique contemporaine : art, représentation et fiction, Paris, Vrin, 2005 (1993), p. 355.
95 Levinson Jerrold, « Emotion in Response to Art : A Survey of the Terrain », dans Hjort Mette et Laver Sue (éd.), Emotion and the Arts, vol. 57, New York, Oxford University Press, 1997, p. 21.
96 Cf. Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 251-252.
97 Ibid., p. 256.
98 Ibid., p. 351.
99 Currie Gregory, The Nature of Fiction, op. cit., p. 98.
100 Wollheim Richard, « La représentation iconique », dans Cometti Jean-Pierre, Morizot Jacques et Pouivet Roger (éd.), Esthétique contemporaine : art, représentation et fiction, Paris, Vrin, 2005 (1998), p. 222. Une autre source de discussion concerne le rapport entre la présente théorie de la représentation dépictive et la tout aussi célèbre théorie de transparence de Walton : Walton Kendall, « Transparent Pictures », art. cité. Sur ce désaccord comme sur les autres, notre philosophe s’est longuement exprimé. On peut lire les articles regroupés dans la partie II « Pictures and Photographs » du recueil : Marvelous Images, op. cit.
101 Walton Kendall, « Seeing-In and Seeing Fictionally », dans Marvelous Images : On Values and the Arts, Oxford, Oxford University Press, 2008 (1992), p. 141.
102 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 295.
103 Walton Kendall, « Seeing-In and Seeing Fictionally », art. cité, p. 138.
104 Walton Kendall, « Experiencing Still Photographs. What Do You See and How Long Do You See It ? », dans Marvelous Images : On Values and the Arts, op. cit., p. 171.
105 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 297.
106 Walton Kendall, « Experiencing Still Photographs. What Do You See and How Long Do You See It ? », art. cité, p. 165.
107 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 295.
108 Ibid., p. 296. L’expression « vis-à-vis » est en français.
109 Walton Kendall, « Listening with Imagination : Is Music Representational ? », dans In Other Shoes : Music, Metaphor, Empathy, Existence, New York, Oxford University Press, 2015 (1994), p. 151-174.
110 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 56.
111 Ibid., p. 299.
112 Ibid., p. 305.
113 Pour ces dernières citations : ibid., p. 308.
114 Ibid.
115 Ibid., p. 351.
116 Lamarque Peter et Olsen Stein Haugom, Truth, Fiction, and Literature, op. cit., p. 46.
117 Ibid., p. 62.
118 Walton Kendall, Mimesis as Make-Believe, op. cit., p. 355.
119 Ibid., n. 1.
120 Ibid., p. 356.
121 Ibid., p. 360.
122 Ibid., p. 370.
123 Ibid., p. 371.
124 Ibid., p. 292.
125 Ibid., p. 367.
126 Ibid., p. 365.
127 Ibid., p. 361.
128 Ibid., p. 373.
129 Ibid., p. 373-374.
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