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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral La distinction entre architecte et ingénieur et la question des rapports entre utilité et beauté La tension entre la norme et le hors-norme dans la définition corbuséenne de l’architecture et la question de la nature de la beauté L’architecture comme art des rapports et comme art du temps : une pensée des normes esthétiques de la création de la beauté architecturale Notes de bas de page

    La philosophie architecturale de Le Corbusier

    Ce livre est recensé par

    • Caroline Albinet, Lectures, mis en ligne le 18 novembre 2021. URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/52549 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.52549
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    Table des matières

    Chapitre V. La production normative du hors-norme

    La conception corbuséenne de l’architecture

    p. 217-256

    Texte intégral La distinction entre architecte et ingénieur et la question des rapports entre utilité et beauté La tension entre la norme et le hors-norme dans la définition corbuséenne de l’architecture et la question de la nature de la beauté L’architecture comme art des rapports et comme art du temps : une pensée des normes esthétiques de la création de la beauté architecturale Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Dans cette troisième partie de notre travail, nous chercherons à montrer comment, à partir des grands manifestes, Le Corbusier reconnaîtra dans sa définition de l’architecture, une tension structurant l’ensemble de sa recherche. Le concept de beauté sera ici absolument central. Si tant est que l’architecture (à la différence de la simple construction) a pour objectif spécifique la production du beau, comment comprendre l’idée même d’une telle « production » de ce qui, de l’aveu même de l’architecte, relève de l’événement pur et renvoie au potentiel créateur du génie architectural singulier ? Comment tenter de régler la pratique architecturale par un ensemble de normes contraignantes, dès lors que l’objectif même de cette pratique semble être l’impossible création du hors-norme, du non normalisable par excellence ? Tout le paradoxe de la conception corbuséenne de l’architecture semble bien ici résider dans le fait que la discipline architecturale constitue une sorte de tentative de production normative du hors-norme.

    La distinction entre architecte et ingénieur et la question des rapports entre utilité et beauté

    2Comprendre le sens de la conception corbuséenne de la nature de l’architecture implique tout d’abord de comprendre ce à quoi elle s’oppose, ce qu’elle n’est pas. La caractérisation corbuséenne de l’art architectural prend ainsi toute sa place au sein d’un débat né au xixe siècle, celui des rapports entre architectes et ingénieurs, entre architecture et construction, sorte de variante architecturale de la problématique esthétique concernant les relations entre art et technique. Rappelons simplement de quelques mots les tenants et aboutissants de cette controverse entre architectes et ingénieurs. Le xixe siècle est tout entier un siècle en quête de son style propre. Quelle architecture pour une époque neuve ? Telle pourrait être l’expression la plus lapidaire du moment architectural inauguré au xixe et nous avons vu à quel point la question était encore au centre des débats au moment où Le Corbusier embrassait la carrière architecturale. Or, deux voies semblaient prédominantes en réponse à cette question : la voie majoritaire des architectes prônant un style fondé en référence au passé architectural (selon diverses modalités : néoclassicisme, néogothique, éclectisme, etc.) ; la voie ouverte par les ingénieurs et certains architectes « rationalistes » prônant quant à eux un style entièrement non mimétique, basé sur l’expression esthétique des nouveaux matériaux et des nouveaux modes de structure. La question est ici avant tout esthétique et concerne le statut artistique de l’architecture. Les débats de l’époque, montrent bien à quel point les discussions semblent orientées par une dichotomie entre deux attitudes radicalement opposés : d’un côté la position des architectes des Beaux-Arts, qui se vivent comme des sortes de garants du goût et des défenseurs des vérités du canon classique, restent très timides à l’égard de la modernité et semblent soutenir, qu’au mieux, on peut faire usage des nouveaux matériaux, mais que les nouvelles techniques doivent être dissimulées pour ne pas porter atteinte à la beauté de l’ouvrage ; de l’autre, la position de certains ingénieurs et architectes précurseurs, parvenant à créer avec les nouveaux matériaux et les nouveaux modes structurels et militant pour l’affichage explicite de l’esthétique ainsi générée.

    3Ayant cet horizon historique à l’esprit, intéressons-nous maintenant à la reprise de la distinction entre architecte et ingénieur dans la pensée de l’auteur de Vers une architecture. C’est d’ailleurs de cet ouvrage fondateur que nous partirons ici pour comprendre les positions de Le Corbusier sur ce point. L’objectif de l’architecte dans cet ouvrage-manifeste réside bien dans la promotion de la cause de l’architecture moderne. Or, il s’agit d’abord, selon l’un des leitmotivs corbuséens, de déciller le regard et d’ouvrir un nouvel horizon à ces « yeux qui ne voient pas » que l’architecture doit faire face aux nouveaux défis des temps nouveaux. Il s’agit bien pour Le Corbusier de faire advenir « l’esprit nouveau », propre à répondre aux difficultés nées de la modernité machiniste, cela en renouvelant la discipline architecturale par un retour au sens fondamentalement humain de la discipline, qui doit pour cela graviter autour de son centre véritable et éternel, à savoir l’échelle humaine.

    4Cet « esprit nouveau » est partout perceptible aux yeux qui savent voir de l’architecte, et notamment dans les ouvrages issus du savoir-faire industriel des ingénieurs, eux qui savent mieux que quiconque mettre en œuvre les moyens de production modernes au service d’une plus grande efficacité rationnelle. Vers une architecture est bien en ce sens un éloge vibrant du travail de l’ingénieur, ainsi que l’affirmation de l’existence d’une véritable esthétique de l’ingénierie (par l’utilisation de formes géométriques simples et primaires pour les besoins de la production standardisée en série et en masse). En même temps, on ne saurait réduire cet ouvrage à cette seule dimension d’éloge de l’efficacité technique, car c’est du même geste et sans contradiction que Le Corbusier célèbre la beauté miraculeuse des chefs-d’œuvre de l’histoire architecturale et qu’il affirme que l’architecture est une discipline hautement artistique, irréductible à toute préoccupation technique et utilitaire. Car il ne s’agira jamais pour Le Corbusier de faire de l’architecture une discipline simplement technique ou scientifique. Et c’est bien dans la démonstration du caractère non contradictoire de ces deux vérités que réside toute la force de l’ouvrage. Pour répondre aux défis du présent, l’architecte entend montrer que ces deux aspects doivent être réconciliés et tenus ensemble. Ainsi, même si Le Corbusier affirme une forme de solidarité entre les travaux de l’ingénieur et de l’architecte, il n’a jamais entendu confondre leurs rôles respectifs et a toujours affirmé tant l’existence d’une distinction de droit entre les deux domaines que la nécessité d’une continuité de fait entre leurs recherches. C’est pourquoi, en nous intéressant à la différence entre architecte et ingénieur, nous allons maintenant tenter de circonscrire au plus près le domaine singulier de l’architecture tel qu’il est défini par Le Corbusier. La question des rapports entre la normativité et le hors-norme sera ici tout à fait centrale.

    5Ce que tente de penser Le Corbusier, c’est donc à la fois la continuité et la distinction entre les champs d’action et les domaines propres à l’architecte et à l’ingénieur. Et si l’architecte entend ramener sa discipline à la prise en compte fondamentale et première des besoins humains, du sens humain de l’art de bâtir et des nécessités de l’homme réel et concret, alors il faut tout d’abord affirmer une forme de primauté du travail de l’ingénieur sur celui de l’architecte. Le travail de l’ingénieur, chronologiquement et logiquement, apparaît comme le fondement indispensable sur lequel devra s’appuyer l’exercice proprement architectural :

    « Le plan implique, dès le début, les procédés de la construction, l’architecte est tout d’abord ingénieur1. »
    « Il est certain que l’architecte doit posséder sa construction au moins aussi exactement que le penseur possède sa grammaire2. »

    6Dans ces deux citations, un ordre de priorité est clairement indiqué entre architecture et construction, à la fois en termes chronologiques et en termes logiques : « l’architecte est tout d’abord ingénieur », l’architecte doit nécessairement en passer par l’apprentissage de cette « grammaire » fondamentale de la pensée architecturale qu’est la « construction », terme définissant ici en propre le domaine de l’ingénieur et comprenant des questions programmatiques, structurelles, fonctionnelles et techniques comme celles de la résistance des matériaux, de la stabilité de l’agencement structurel et du jeu des forces qui s’y exercent, de la solidité générale de l’ouvrage, etc. Le Corbusier affirme nettement que, sans ce détour indispensable par le travail de l’ingénieur, celui qui prétendrait faire profession d’architecte ressemblerait à celui qui affirmerait vouloir faire œuvre de pensée sans maîtriser le niveau fondamental de la structuration des éléments du langage, sans pouvoir articuler logiquement et correctement des phrases, sans respecter les règles élémentaires de la logique. Idée absurde que celle d’un penseur ne possédant pas sa grammaire… Il s’agit ici de montrer que l’idée d’un architecte ne possédant pas l’ensemble nécessaire de connaissances techniques et constructives est tout aussi absurde. Il est clair que Le Corbusier n’est pas de ceux qui pensent que les règles ou les contraintes sont de l’ordre de ce qui brime et enchaîne la pensée. Bien au contraire, si « la joie véritable est de créer » comme aime à le répéter l’architecte, seules la maîtrise et l’intériorisation des règles peuvent permettre un exercice réellement libre et créatif de la pensée. En architecture comme ailleurs, créer, cela ne s’improvise pas, si l’on entend par improvisation un exercice créatif non réglé ou non « assis » sur un tissu fondamental de contraintes élémentaires (ce que Le Corbusier appelle très souvent des « assiettes »). À l’inverse, l’improvisation véritable n’est pas l’absence de règles, mais bien plutôt l’intériorisation de celles-ci à un niveau tel que peut s’ouvrir l’espace de la liberté créatrice, faisant de l’obstacle apparent un tremplin (ce qui est ici exactement le sens de la formule de Perret selon laquelle l’architecture est « l’art de faire chanter le point d’appui »).

    7Deuxièmement, et il s’agit là d’un point non moins important, il est à noter que suivant les propos de l’architecte dans les deux courtes citations précédentes, architecte et ingénieur ne semblent pas à proprement parler désigner deux personnes ou individus physiquement nécessairement distincts, comme si la possession de la qualité d’architecte excluait celle d’ingénieur et réciproquement (en bref : on serait nécessairement ou bien ingénieur ou bien architecte, mais pas les deux simultanément). Les deux termes désignent bien plutôt en réalité deux fonctions dissociables en pensée (correspondant conceptuellement à deux champs de l’exercice constructif global) et trop souvent dissociées en réalité, alors même que Le Corbusier appelle de ses vœux l’incarnation de ces deux caractères en tout architecte véritable. Il y a là encore une forte réminiscence de la figure du « constructeur » telle qu’elle fut représentée par Auguste Perret : « ni l’ingénieur seul, ni l’architecte seul, mais tous les deux dans un tout responsable3 ». Tout architecte digne de ce nom doit aussi être ingénieur, même si tout ingénieur n’est pas architecte. La connaissance du travail de l’ingénieur est un critère nécessaire mais non suffisant pour faire œuvre d’architecture, comme nous allons le voir maintenant.

    8Car, si tout architecte doit d’abord en passer par les fonctions d’ingénieur, qu’est-ce qui distingue en droit ces deux domaines qui, en fait, devraient pouvoir s’unir dans une seule et même personne ? À cet égard, Le Corbusier est on ne peut plus clair, cela dans d’innombrables textes portant sur ces questions. Citons ici un passage de l’article « Architecture et purisme », témoignant de la précocité de la découverte par Le Corbusier d’une solution conceptuelle à cette difficulté :

    « L’architecture est un phénomène organisé dans le cycle des choses plastiques. La qualité de l’architecture naît de rapports élevés ; elle est une jouissance supérieure d’ordre mathématique. L’architecture émeut. La construction précède l’architecture ; elle satisfait à des problèmes pratiques d’agencement, à des solutions techniques de stabilité et de résistances ; elle fait état des lois physiques du monde qui nous mettent en contact direct avec notre univers. La construction est affaire de raison4. »

    9Ou encore, toujours dans le même article :

    « Le domaine de l’architecture commence là où finit celui de la construction : quand la raison est tranquille, alors peuvent intervenir les émotions plastiques. Autre affaire, toute autre affaire5 ! »

    10Pour distinguer entre les champs respectifs de l’architecte et de l’ingénieur, Le Corbusier commence par tisser un réseau d’oppositions assez tranchées (qui, nous le verrons, se relâcheront par la suite), cela afin de distinguer entre les deux concepts pris dans toute la pureté de leurs acceptions respectives : l’ingénierie est chose de « construction », elle met avant tout en œuvre cette faculté qu’est la raison, cela au service d’objectifs de rationalisation, d’efficacité technique et pratique, visant à résoudre des problèmes liés à la physique de l’ouvrage ; l’architecture, quant à elle, est « chose d’émotion », elle mobilise avant tout la sensibilité esthétique et s’occupe des questions relatives à la beauté de l’ouvrage. Les rapports entre ces deux domaines sont en réalité beaucoup plus complexes dans le dispositif corbuséen, cela en ce qu’ils obéissent à un certain ordre de priorité (et donc qu’ils sont distincts) et que pourtant ils semblent en dernière instance indissociables. C’est pourquoi il faut d’abord réaffirmer et repartir de la priorité temporelle et logique de l’ingénierie sur l’architecture :

    « Le calcul est le plus sûr fondement de l’art ; par lui les créations de l’homme retrouvent l’harmonie universelle ; la physique de l’univers entre par là dans les œuvres de l’homme et nous sommes sensibles à cette unité. Une fois encore nous percevons l’ordre et l’homme dont tout acte est une tentative d’ordre, ressent une joie à mesurer l’ordre6. »

    11Pourquoi et en quel sens l’ingénierie est-elle première par rapport à l’architecture ? Il est ici intéressant de noter à quel point Le Corbusier mêle les niveaux argumentatifs afin de justifier une seule et même idée. Dans la citation que nous venons d’indiquer, nous retrouvons une argumentation typique du recours à la notion centrale d’« échelle humaine », mobilisant ici l’idée selon laquelle l’homme est un « animal géométrique » et qu’il est en quelque sorte instinctivement destiné à l’ordre. En effet, Le Corbusier réaffirme ici sa conviction que la nature nous destine à l’ordre, ceci ayant pour preuve que lorsque nous sommes face à une réalité ordonnée, nous nous sentons bien (et quoi de plus lisible qu’une forme géométrique simple qui est précisément le moyen privilégié dont l’ingénieur use pour répondre aux impératifs techniques et économiques du mode de production moderne ?). C’est à même le corps, par le biais du sentiment de plaisir, que nous goûtons l’ordre, que nous rejoignons la destination de notre nature et, conformément aux spéculations cosmologiques de Le Corbusier, que nous rejoignons la structure fondamentalement ordonnée de l’univers.

    12À un autre niveau, les arguments avancés par l’architecte sont beaucoup plus terre à terre et d’une évidence implacable (et ils relèvent pourtant là encore de l’appel à un certain sens de la notion d’échelle humaine) : impossible d’apprécier la beauté d’une œuvre architecturale, d’accéder à sa dimension proprement artistique, si auparavant les questions de structure, de résistance et de stabilité, ou d’agencement pratique ne sont pas résolues :

    « Il va de soi que si la toiture coulait, que si le chauffage ne fonctionnait pas, que si les murs se lézardaient, les joies de l’architecture seraient fortement gênées ; de même, un monsieur qui écouterait une symphonie assis sur une pelote d’épingles ou dans le courant d’air d’une porte7. »

    13Tel est donc le rôle dévolu à l’architecte-ingénieur (ou à l’architecte en tant qu’il doit d’abord faire œuvre d’ingénieur), homme de science et de calcul, qui est de faire régner l’ordre dans la matière architecturale, de ramener la raison à sa tranquillité pour, peut-être, ouvrir une dimension autre et supérieure, à savoir celle du plaisir esthétique8 (qui est un mixte de plaisir sensible et intellectuel). Rappelons que selon Le Corbusier, l’architecture a pour destination première de satisfaire aux besoins humains et que ceux-ci obéissent également à un ordre de priorité inébranlable : d’abord les besoins élémentaires, vitaux et typiques qui sont avant tout de nature physiologique et corporelle, puis les besoins qualifiés par l’architecte de « spirituels9 » (tels la délectation du beau ou la sensation de l’ordre universel par la « mathématique » de l’œuvre et le jeu des formes). Sans la satisfaction des premiers, celle des seconds est impensable. L’ingénieur doit avant tout fournir cet effort préalable, qui est de mettre l’ouvrage en conformité avec nos besoins élémentaires :

    « Quand une chose répond à un besoin, elle n’est pas belle, elle satisfait toute une part de notre esprit, la première part, celle sans laquelle il n’y a pas de satisfactions ultérieures possibles, – rétablissons cette chronologie. L’architecture a un autre sens et d’autres fins que d’accuser et de répondre à des besoins (besoins pris dans le sens, sous-entendu ici, d’utilité, de confort, d’agencement pratique10). »

    14La distinction entre architecture et ingénierie rejoint ici une différence classique en philosophie, celle entre art et technique : l’ingénierie en tant que discipline technique satisfait à des préoccupations essentiellement utilitaires et fonctionnelles, c’est-à-dire fondamentalement intéressées, alors que l’architecture comme discipline artistique s’occupe de ce qui n’est plus de l’ordre d’un moyen en vue d’une fin autre qu’elle-même, mais fin en soi, à savoir la beauté et l’émotion. « L’architecture est au-delà des choses utilitaires11 », ne cesse de marteler Le Corbusier. Mais ce qui fait la spécificité de l’architecture au sein du système des arts, ce qui la rend traditionnellement si difficile à penser pour le philosophe, c’est précisément que les domaines de l’art et de la technique sont le plus visiblement et le plus indissolublement liés en tout ouvrage d’architecture. L’architecture est en effet un art essentiellement mixte (c’est-à-dire qu’il ne l’est pas de manière simplement accidentelle et contingente), une discipline à la fois artistique et technique, formelle et fonctionnelle, désintéressée et utilitaire, etc. Chaque couple d’opposés n’est pas ici à penser sur le modèle de deux éléments se superposant comme deux composantes absolument indépendantes et autonomes, extérieures les unes aux autres, mais comme des ensembles singuliers pratiquement indiscernables : l’aspect technique détermine l’orientation esthétique, tout autant qu’en toute grande architecture l’élément technique devient lui-même une composante de l’esthétique du bâtiment. La distinction entre architecture comme fait d’art et ingénierie comme ensemble de solutions techniques à des problématiques purement utilitaires isolables comme telles n’a ainsi pas réellement de fondement dans la chose bâtie et n’est en cela qu’une distinction de raison, rétrospectivement nécessaire à des fins didactiques et militantes. Car il s’agit ici d’éviter deux écueils symétriques : celui des architectes uniquement formés à la mode « Beaux-Arts », qui mépriseraient la dimension technique de la discipline, renvoyant celle-ci à son aspect purement utilitaire ; celui d’architectes (ou d’ingénieurs à prétention architecturale) pensant pouvoir réduire l’architecture à une discipline uniquement scientifique et technique, sorte d’ingénierie des formes pensant pouvoir faire l’économie d’un travail spécifique sur la forme (au nom d’une sorte de génération spontanée des formes à partir de la seule analyse fonctionnelle des problèmes). On reconnaîtra ici bien entendu la figure du « pur fonctionnaliste12 », également rejetée et combattue par Le Corbusier.

    15Ainsi, réduire l’architecture à son aspect artistique et négliger la dimension essentiellement fonctionnelle de la discipline revient à réduire l’architecture à un simple art du décor plaqué sur des nécessités ; tenter de ramener l’architecture à une discipline purement scientifique revient à louper ce qui en fait la spécificité en tant que phénomène d’art et à se priver de toute chance de produire l’objectif véritable de l’architecture selon Le Corbusier, à savoir la beauté et l’émotion proprement plastique13. L’architecture au sens le plus plein du terme est au contraire pour l’architecte de Ronchamp l’union organique et indissoluble entre ces deux éléments en une œuvre qui forme unité14. Il ne faut pas non plus oublier ce fait absolument fondamental ici que, contrairement à une tendance somme toute assez naturelle lorsqu’on pense à la dimension artistique de l’architecture, Le Corbusier n’a pas avant tout ni uniquement en tête des monuments remarquables ou des édifices de prestige. Le problème qui l’occupe est bien plus complexe du point de vue architectural et conceptuel, puisqu’il s’intéresse précisément et avant tout au « problème du logis », c’est-à-dire à la construction d’un mode d’habitation à la fois nécessairement utilitaire/fonctionnel et ayant pourtant des velléités esthétiques extrêmement élevées, visant ainsi à combler la totalité de l’humain dans la multiplicité et la complexité de ses besoins (les besoins de l’esprit étant tout aussi réels et nécessaires dans leur dimension de « besoins »). C’est bien tout cela qu’est une maison envisagée non comme une simple « boîte à loyer », mais comme un véritable « palais » du quotidien, permettant à la fois l’accomplissement le plus aisé possible des tâches liées aux nécessités de la vie et la libération d’un espace pour la méditation et la considération du beau. C’est pourquoi, à côté des textes dans lesquels Le Corbusier maintient de manière extrêmement tranchée la distinction utilité/beauté (« Quand une chose répond à un besoin, elle n’est pas belle »), soit pour délimiter et fonder conceptuellement la distinction entre architecture et ingénierie, soit pour insister sur la dimension utilitaire du mobilier et railler la sentimentalité du décor inutile, il arrive également à l’architecte de relativiser cette distinction entre le beau et l’utile d’une manière qui semble tout à fait conforme à ses propres productions. Citons ici un passage intéressant :

    « Mais le problème n’est pas à deux notions si nettement différenciées. À tout ce que nous touchons, nous insufflons une part de la passion qui nous anime et l’objet d’utilité lui-même devient pour un temps – avant que son usage ne se démode – une création en laquelle notre fierté s’inscrit et notre affection s’incruste. Notre monde se remplit d’objets touchants ; le poète découvre dans l’époque des lieux innombrables où éclate sa sensibilité15. »

    16La question de la juste saisie des rapports entre utilité fonctionnelle et beauté (une chose belle peut-elle être en même temps utile ? un objet technique peut-il être beau ?) est extrêmement difficile à démêler et à reformuler en des termes clairs pour qui s’en tient à la lettre (multiple) des textes de Le Corbusier. En même temps, elle est absolument centrale si l’on veut saisir ce que Le Corbusier entend par « architecture » en son sens le plus spécifique et véritable. Cette juste compréhension est par ailleurs indispensable en regard de la problématique de la norme et du hors-norme qui est la nôtre ici.

    17Plusieurs remarques s’imposent d’emblée. Comme le faisait déjà Kant, il est ici judicieux de tenter d’éclaircir les qualités esthétiques en partant d’une description des jugements d’appréciation dans lesquels ces qualités sont énoncées. Prenons donc ici appui sur les jugements de Le Corbusier lui-même. Premièrement, il est clair qu’il existe tout un ensemble d’objets qui peuvent être qualifiés de « beaux » sans pour autant répondre à aucune utilité fonctionnelle en termes de satisfaction des besoins vitaux et corporels élémentaires (pensons ici à la précision apportée par l’architecte lui-même dans l’une des citations précédemment relevées : « besoins pris dans le sens, sous-entendu ici, d’utilité, de confort, d’agencement pratique ») et ce sont ici les œuvres d’art désintéressées comme les tableaux, les sculptures, les poèmes, les symphonies. Deuxièmement, de manière symétrique, il existe à coup sûr des objets utilitaires qui n’ont aucune propriété esthétique particulière de beauté. Ce qui laisse le problème entier, puisque ce qui nous intéresse, c’est bien de savoir si des objets peuvent posséder en fait et en droit les propriétés de beauté et d’utilité. C’est donc vers une autre classe d’objets que nous devons nous tourner et les objets architecturaux semblent ici tout désignés.

    18La première certitude ici, c’est qu’aux yeux de Le Corbusier, il existe sans aucun conteste des œuvres architecturales, c’est-à-dire des objets fonctionnels, qui sont d’une beauté remarquable. Le Parthénon comme la Chartreuse d’Ema sont à la fois des objets techniques et des œuvres d’art. Comment rendre raison de tels jugements dès lors que quand « une chose répond à un besoin, elle n’est pas belle » ? En effet, la Chartreuse répond bien à de multiples besoins (loger un certain nombre de personnes ; fournir un abri contre la chaleur, la pluie ou le froid ; permettre le rassemblement religieux, la vie en commun et l’existence privative des habitants, etc.) et pourtant c’est également pour Le Corbusier une œuvre architecturale de toute beauté. Utilité et beauté semblent ici coexister de fait dans les appréciations de l’architecte. Deuxième certitude, c’est l’existence aux yeux de Le Corbusier d’une hiérarchie entre les productions humaines et d’une supériorité de certains objets sur d’autres alors qu’ils appartiennent apparemment au même domaine de l’architecture. Nul doute que certaines productions architecturales sont supérieures à d’autres en ce que, d’une part, certaines ont une valeur artistique supérieure à d’autres œuvres de l’art architectural (le Parthénon supérieur à la Madeleine dans Vers une architecture), mais également, d’autre part, en ce qu’une œuvre utilitaire et belle sera toujours supérieure à une œuvre uniquement utile. Le beau (même s’il répond également et par ailleurs à des préoccupations utilitaires) sera toujours supérieur à ce qui est simplement utile. Ce qui dure n’est pas ce qui sert mais ce qui émeut, répète à l’envi notre architecte.

    19La vraie difficulté correspond ici réellement au fait de savoir quelles sont l’acception et l’extension exactes des concepts d’« utilité » et d’« architecture ». En ce qui concerne le terme d’« utilité » (Le Corbusier reviendra plusieurs fois sur cette question lors des débats controversés autour de l’idée-slogan de la maison comme « machine à habiter »), on peut l’entendre en deux sens ou à deux niveaux selon ce que l’on considère comme « utile » : au sens restreint, n’est utile que ce qui répond à des besoins corporels, vitaux et élémentaires (pour des objets : abriter, protéger, nourrir, vêtir, etc.). Ce niveau correspond à celui des besoins du corps. Au sens large, l’« utilité » comprend à la fois ce premier niveau et celui de ce que nous pourrions appeler la « grande utilité16 », à savoir celle correspondant à des besoins (certes seconds en termes de priorité temporelle) spirituels ou besoins de l’esprit (qu’il appelle volontiers des « passions »), qui incluent le besoin de beauté et le besoin d’art17. Au fond, pour Le Corbusier, si la maison-palais doit d’abord être utile au sens restreint, elle doit au final être utile au sens large et englobant du terme18. Comme toujours en bonne logique, l’intension détermine l’extension des concepts19.

    20De la même manière, le terme « architecture » peut désigner des choses et des classes d’objets très diverses selon la signification intensionnelle donnée à ce terme (et Le Corbusier en fait de multiples usages selon les visées de l’argumentation). Du point de vue de l’extension, il existe en effet chez lui un sens large du terme dès lors que l’on entend par « architecture » l’ensemble des objets ayant été produits et mis en ordre (au niveau spatial et visuel) selon l’intention de pensée d’un individu-architecte. De ce point de vue, relèvent de l’architecture non seulement un bâtiment singulier et déterminé, mais également le plan d’urbanisme d’une ville ou la conception d’une poignée de porte ou d’une chaise. Au sens restreint extensionnel, l’architecture ne désigne plus que les œuvres architecturales comme telles, à savoir les édifices ou bâtiments déterminés (ici la ville ou le fauteuil de bureau ne sont plus à strictement parler du domaine de l’architecture, mais relèvent d’autres disciplines entendues elles aussi de manière spécifique). Au fond, Le Corbusier penche toujours plus pour le sens large du terme et ce n’est que dans des contextes portant spécifiquement sur l’architecture au sens restreint qu’il exclue les œuvres de l’urbanisme ou du design non pas tant de la définition de droit de l’architecture que du contexte factuel des discussions.

    21En termes purement intensionnels cette fois-ci, la caractérisation corbuséenne de l’architecture (du point de vue du débat beauté-utilité) rejoint parfaitement le sens large extensionnel en ce que ce qui fait la spécificité de l’art architectural est moins défini par la possession de propriétés matérielles par les objets que par la qualité spirituelle de l’intention ayant présidé à leur conception. Le résultat de cette intentionnalité de pensée, lorsque celui-ci est réussi et atteint son objectif, c’est la production matérielle de quelque chose de beau. Cette intention, c’est celle d’ordonner la matière dans un but d’émotion, c’est-à-dire dans un but qui n’est pas uniquement de satisfaire aux besoins utilitaires restreints et fonctionnels. C’est ainsi, à partir de (puisqu’on ne peut partir que de là : l’architecte est d’abord ingénieur) et à même la satisfaction des besoins corporels primaires, que l’architecture consiste à s’élever en direction d’une intentionnalité plus élevée visant la production d’une beauté véritablement émouvante et bouleversante. Faisant résider la qualité proprement architecturale de l’objet dans la qualité d’une intention, Le Corbusier montre que pour lui, l’architecture est avant tout « création de l’esprit », c’est-à-dire chose de pensée. Mais architecture veut dire ici présence d’une intention de beauté, présence d’une intention de viser à partir des nécessités un dépassement de la simple considération du nécessaire.

    22Dans le champ de la production visuelle des objets spatiaux (le domaine qu’il qualifie de « plastique »), voici comment Le Corbusier caractérise cette intention d’architecture, cette intention de faire œuvre d’architecture (et non de simple construction) ou encore cette orientation et cette qualité de l’intention de pensée qui semblent définitoires du caractère architectural :

    « DE LA NAISSANCE FATALE DE L’ARCHITECTURE.
    Car l’architecture est un événement indéniable qui surgit en tel instant de la création où l’esprit, préoccupé d’assurer la solidité de l’ouvrage, d’apaiser les exigences du confort, se trouve soulevé par une intention plus élevée que celle de simplement servir et tend à manifester les puissances lyriques qui nous animent et nous donnent la joie […].
    Cette intention élevée devient pour nous, aujourd’hui, une définition de l’architecture. Il se peut qu’autrefois le terme englobait ce qu’on entendait par l’art de bâtir des maisons, des temples ou des palais. Mais, à ce jour, où la plus grande part de l’activité humaine s’absorbe dans la construction d’innombrables objets, l’architecture étend sur tout cela ses effets et s’en va au-delà de la maison, du temple et du palais, déborde, surgit comme un phénomène de cristallisation partout, en tout, là où une intention autre que celle de simplement servir éclaire l’enfantement de l’œuvre20. »

    23Cela a déjà été remarqué à de nombreuses reprises, Le Corbusier réitère ici encore une fois son « rejet » d’une détermination extensionnelle de sens restreint du terme « architecture », défini ici comme art de bâtir des édifices déterminés par des types de programmes spécifiques (« Il se peut qu’autrefois le terme englobait ce qu’on entendait par l’art de bâtir des maisons, des temples ou des palais »). Sa définition est bien plutôt une certaine caractérisation intensionnelle ayant pour conséquence d’élargir considérablement l’ensemble des objets tombant sous l’extension du concept (au sens extensionnel large). Relève de l’architecture, au sens le plus strict, tout objet, incluant une dimension utilitaire/fonctionnelle21, dont les rapports constitutifs ont été mis en ordre au niveau de l’organisation spatiale et de la composition visuelle suivant une intention « plus élevée que celle de simplement servir ». L’objet d’architecture et non de simple construction, est un objet utile qui dépasse la sphère de l’utile pour s’élever en direction de la dimension du beau et de l’émotion plastique. Il y a architecture lorsque l’intention de pensée ayant présidé à la composition de l’objet aboutit à la production de la beauté. Là où il n’y a pas beauté, il n’y a pas architecture.

    24C’est bien pour cela que Le Corbusier peut apparemment affirmer sans aucune contradiction que l’architecture « est dans l’appareil téléphonique et dans le Parthénon » ou que les ingénieurs « font de l’architecture », puisque l’architecture « surgit comme un phénomène de cristallisation partout, en tout, là où une intention autre que celle de simplement servir éclaire l’enfantement de l’œuvre ». En regard des éléments précédents, il semble qu’il y ait pourtant là comme une contradiction. Au sens strict du terme « architecture », il n’est pas vrai que pour Le Corbusier un simple objet technique ou que le travail de l’ingénieur puisse prétendre au titre d’architecture selon les mêmes modalités que le Parthénon. Il semble ici y avoir une tension parcourant toute l’œuvre de Le Corbusier, tension qui rend à la fois légitime et illégitime l’affirmation conjointe des deux énoncés suivants : l’affirmation selon laquelle le terme « architecture » couvre un champ extensionnel allant de la poignée de porte à la ville, en passant par la maison individuelle et tous les objets qui la composent ; l’affirmation selon laquelle l’architecture, par opposition au domaine plus large de la construction, désigne spécifiquement l’ensemble des constructions belles et émouvantes du fait de la qualité d’une intention désintéressée inscrite dans la matière architecturale par un individu singulier et génial.

    25Là aussi, il s’agirait de distinguer entre des niveaux d’usage de la notion et des contextes dans lesquels celle-ci est employée : dès lors que le contexte renvoie à la nécessité d’étendre le champ de la notion d’architecture bien au-delà de la sphère des édifices et de l’art de bâtir, le terme est employé de manière à contenir tous les objets susceptibles d’être produits dans l’espace par l’architecte ; dès lors qu’il s’agit de distinguer ce qui, au sein de l’ensemble étendu de ces mêmes objets, relève de la simple construction et ce qui relève plus proprement de l’architecture (entendu ici comme une qualité esthétique et non comme un champ ou un domaine d’objets sur lequel l’intervention de l’architecte est légitime), le terme ne concerne plus que quelques rares chefs-d’œuvre appartenant selon toute vraisemblance uniquement au champ restreint de l’art de bâtir ! Ainsi, si en droit, tous les objets d’utilité (la ville, une chaise comme une maison) appartiennent au domaine de l’architecture, la qualité architecturale suprême de beauté n’est le plus souvent reconnue par Le Corbusier qu’à des édifices ou à des bâtiments. Pour autant, si l’architecture désigne plus une notion qu’un ensemble matériel et si le terme renvoie moins à un champ d’objets qu’à une activité et à une certaine intentionnalité de l’esprit, il semblerait bien qu’en droit toute construction organisée visuellement et spatialement par l’esprit humain devrait pouvoir recevoir au même titre la qualité de beauté. Pensons ici à ce passage des Précisions :

    « L’architecture est un acte de volonté consciente.
    Architecturer, “c’est mettre en ordre”.
    Mettre en ordre quoi ? Des fonctions et des objets. Occuper l’espace avec des édifices et avec des routes. Agir sur nos esprits par l’habileté des solutions, sur nos sens par les formes proposées à nos yeux et par les distances imposées à notre marche. Émouvoir par le jeu des perceptions auxquelles nous sommes sensibles et auxquelles nous ne pouvons pas nous soustraire. Espaces, distances et formes […] – quantités, poids, distances, atmosphères, c’est avec cela que nous agissons. Tels sont les événements en cause. Dès lors je confonds solidairement, en une seule notion, architecture et urbanisme22. »

    26Selon ces définitions, une chaise comme une ville semblent pouvoir être utiles, bien conçues, bien organisées ou agencées (autant de qualités relevant de la dimension constructive de l’architecture, ce qui n’est pas antithétique puisque l’architecture contient pour une part l’ingénierie) et également belles, au même titre que le Parthénon, si tant est que ces réalités impliquent le même type d’acte de l’esprit comme leur principe et la même intention de dépasser la sphère de la simple utilité pratique. Pour autant, et il faut ici avouer la difficulté, on n’a jamais l’impression que Le Corbusier pourrait désigner quelque chose comme un Phidias de l’urbanisme ou un Michel-Ange du design ! C’est bien qu’il place tout de même la discipline architecturale (au sens restreint) à un autre plan hiérarchique dès lors qu’il s’agit de discuter des objets dans un contexte avant tout esthétique et de prendre en considération la dimension artistique de l’architecture.

    27L’architecture, comprise en tant que discipline spécifique, semble bien occuper le haut hiérarchique au sein de l’ensemble des disciplines comprises au sein du domaine architectural entendu au sens extensionnel large. Dans son amour inconditionné pour l’architecture, Le Corbusier semble lui avoir réservé la capacité de produire des chefs-d’œuvre (nous excluons de fait ici toutes les disciplines artistiques qui ne relèvent en aucune manière des considérations utilitaires). En tous les cas, nous aurons compris ici qu’en dépit du maintien d’une stricte distinction conceptuelle entre utilité et beauté (du fait qu’elles correspondent à deux visées intentionnelles différentes et qu’elles mobilisent des capacités de l’esprit différentes) et d’une hiérarchie également affirmée, il semble également clair que l’union dans le même objet de l’utilité et de la beauté ne sont incompatibles ni en fait, ni en droit pour notre architecte.

    28Mais la supériorité de l’art architectural semble tout à fait claire si nous continuons à examiner maintenant quelques-unes des formulations les plus célèbres de Vers une architecture. Si donc l’art de l’ingénieur est une condition nécessaire à l’exercice de la dimension artistique de l’architecture, il s’agit de revenir sur les raisons pour lesquelles celui-ci ne saurait être suffisant. Il y a dans l’architecture un surplus, un excès que l’ingénieur seul ne saurait apporter et qui définit en propre le rôle de l’architecte. Voyons avec quelques formules comment Le Corbusier caractérise ce surplus :

    « L’architecture est un fait d’art, un phénomène d’émotion, en dehors des questions de construction, au-delà. La Construction, c’est pour faire tenir ; l’Architecture, c’est pour émouvoir23. »
    « L’architecture c’est, avec des matériaux bruts, établir des rapports émouvants.
    L’architecture est au-delà des choses utilitaires.
    L’architecture est chose de plastique.
    Esprit d’ordre, esprit d’intention, les sens des rapports ; l’architecture gère des quantités.
    La passion fait des pierres inertes un drame24. »

    29Si l’architecte doit maîtriser sa construction comme le penseur sa grammaire, si le fondement de l’art réside bien dans un certain état d’esprit d’ordre basé sur une mise en œuvre rationnelle de procédés techniques et scientifiques visant à résoudre des problèmes constructifs et pratiques, l’architecture au sens le plus fort et déterminé du terme, dans sa dimension artistique la plus élevée, implique bien un excès par rapport à ces problématiques. « L’Architecture, c’est pour émouvoir », elle est « chose de plastique ». D’une manière extrêmement intéressante, Le Corbusier évoque « cette conception normale de l’architecture : émouvoir25 ». L’émotion plastique liée à l’expérience de la beauté est au sens strict ce qui doit être la norme et la mesure de l’architecture dans sa dimension artistique et dans sa prétention à satisfaire d’autres fins que les « fins pratiques », d’autres nécessités que les nécessités fonctionnelles de l’habitat. L’émotion apparaît ici comme ce qui norme la pratique architecturale, c’est-à-dire comme ce qui doit l’orienter selon cette valeur qui doit en constituer le principe et comme ce qui donne l’idée adéquate de ce que doit être l’architecture en son sens plein, permettant ainsi une évaluation des productions concrètes selon cette norme de l’accomplissement de l’émotion plastique et de l’ouverture d’un espace de méditation et d’ouverture aux idées spirituelles (grâce au spectacle du beau). L’ingénieur (ou les qualités de celui-ci), bien qu’indispensable à la réalisation de l’œuvre, ne peut faire advenir avec les moyens dont il dispose la véritable finalité de l’ouvrage architectural, à savoir l’émotion plastique liée au sentiment de la beauté. Le Corbusier, bien qu’il affirme la nécessaire continuité entre l’architecte et l’ingénieur, affiche du même geste l’existence d’un niveau proprement architectural, c’est-à-dire plastique et artistique, ayant des règles et une finalité propres26. En tant que tel, Le Corbusier a des difficultés à déterminer précisément ce surplus ou cet excès apportés par les grandes œuvres de l’art architectural, c’est pourquoi il recourt à la notion de génie artistique et nomme souvent la beauté ainsi produite un « impondérable27 ». Il parle dans un autre texte de la beauté comme de « ce qui nous est le plus sacré28 ».

    La tension entre la norme et le hors-norme dans la définition corbuséenne de l’architecture et la question de la nature de la beauté

    30À partir de la distinction entre l’architecte et l’ingénieur, on peut voir à quel point Le Corbusier en vient à lier d’une manière essentielle et intime architecture et beauté dans sa conception de la nature de la discipline architecturale. Si ce lien constitutif entre les deux termes a des racines dans ses réflexions antérieures aux années vingt, c’est bien dans ce moment de constitution d’une pensée clairement articulée que sa définition de l’architecture prend toute son envergure. Le terme d’« architecture », entendu dans le sens le plus spécifique qui puisse lui être donné dans le cadre d’une discussion concernant les fondements esthétiques et artistiques de la discipline, entretient un lien essentiel avec la question de la production du beau. L’intention de pensée désintéressée qui se trouve au fondement de la visée artistique constitutive de l’œuvre d’architecture a pour finalité la production de la beauté, qui pourtant représente en quelque sorte un « improductible », dès lors que l’on entendrait par le terme de « production » un processus réglé par des mécanismes déterminés et clairement assignables. Il s’agit dès à présent de montrer (avant que de revenir plus en détail sur cette figure majeure du hors-norme qu’est la beauté) en quoi nous pouvons parler de l’architecture comme d’une tentative de production normative de ce hors-norme. Si la présence d’une pensée de la norme et d’innombrables éléments normatifs dans la pensée théorique et les dispositifs pratiques de l’architecte semblent indéniables, il convient de montrer maintenant en quoi la définition corbuséenne de l’architecture elle-même recèle une telle tension entre ce qui relève du domaine normatif et ce qui l’excède nécessairement. Car, s’il y a bien du hors-norme à titre de finalité visée par le jeu architectural en tant que producteur de formes, il faut également montrer en quoi ce hors-norme est visé par un ensemble de procédés rationnels normatifs utilisés à titre de moyens en vue de l’atteinte d’une telle finalité. C’est pourquoi nous allons maintenant revenir sur la très célèbre définition corbuséenne de l’architecture afin de montrer qu’elle recèle en son sein une tension qui la structure.

    31Cette définition est la suivante dans sa variante la plus connue :

    « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière29. »

    32Commençons par commenter les éléments les plus évidents et les plus immédiatement compréhensibles en regard des éléments théoriques dont nous disposons jusqu’ici. La deuxième partie de la définition (« des volumes assemblés sous la lumière ») fait indéniablement référence à la mise en ordre, en rapport (« assemblés ») des éléments simples dont dispose l’architecte (« des volumes ») et qui constituent pour lui le langage véritable de l’architecture. Le terme « volume » est ici un terme générique qui renvoie à l’élément final, déterminé, réel et concret qui sera offert à la perception de l’homme lui aussi concret (c’est-à-dire charnel, singulier, etc.) faisant l’expérience vivante du bâtiment (en effet, un volume a une matérialité, est délimité par une surface, possède telle forme, telle couleur singulière, est composé de tel matériau, etc.). Ce que je vois lors d’une promenade architecturale, c’est bien une telle succession organisée de volumes (rôle du plan), ce sont bien « des volumes assemblés sous la lumière » (dans cet élément de sa définition en termes de volumes architecturaux, Le Corbusier souhaite se démarquer d’une architecture de plan, de papier, de beaux dessins) selon un certain ordre répondant à l’intention de pensée de l’architecte. Si l’architecture est bien un art de l’espace, elle est au même titre un art du temps : celui de l’appréhension temporelle de l’espace (à la manière d’une symphonie, de mélodies en contrepoints). C’est le fait que l’expérience du bâtiment est toujours celle d’un homme percevant une telle succession de volumes selon les nécessités propres à l’échelle humaine et aux modalités générales de la perception incarnée qui justifie cette conception « stéréométrique » de l’architecture (personne ne « perçoit » jamais comme tel un plan ou toute autre représentation à deux dimensions).

    33L’architecture est donc le « jeu », c’est-à-dire une activité intentionnelle de l’architecte créateur, fruit de son effort personnel de pensée, qui consiste à composer des volumes en un ensemble de rapports précis et réfléchis30. Le terme de « jeu » renvoie également au fait que les rapports constitutifs de l’œuvre architecturale finie (le bâtiment) permettent un certain « espace de jeu » (comme lorsqu’on dit à propos d’une porte qu’« il y a du jeu »), de distance entre les éléments simples pour que la pensée puisse modeler la matière architecturale (les rapports sont aussi des écarts). De plus, il ne faut pas minimiser la dimension ludique du terme ici : le fait que l’architecture soit faite de rapports permet au créateur des rapprochements inédits (placer une fenêtre industrielle produite en série dans une villa de luxe par exemple), des agencements innombrables, un véritable jeu de la pensée avec elle-même, procurant du même geste l’expérience de la joie authentique de créer. Le terme « jeu » indique ici des déterminations multiples.

    34De plus, ce jeu consistant à mettre en rapport des volumes simples sous la lumière31, doit posséder trois déterminations : être « savant », « correct » et « magnifique ». La première qualification de l’architecture comme « jeu savant » renvoie sans conteste au fait que l’architecte doit être en même temps ingénieur, que l’architecture doit se fonder sur un ensemble de savoirs scientifiques et techniques pour résoudre les premiers problèmes qui sont de structure, de stabilité ou de résistance. L’ordre de priorité chronologique entre, d’un côté, les besoins du corps et, de l’autre, les besoins (tout aussi réels) de l’esprit, est toujours pris en considération par l’architecte. Un tel ensemble de connaissances constructives forme une condition nécessaire mais non suffisante pour faire proprement œuvre d’architecture (si tout architecte doit être constructeur, tout constructeur n’est pas architecte).

    35La deuxième qualification de l’architecture comme jeu « correct » semble au premier abord d’interprétation moins aisée. Cependant, il paraît clair qu’il faille la renvoyer aux considérations corbuséennes sur le thème récurrent de la « physiologie des sensations ». Un bâtiment est non seulement, de manière interne, un ensemble de volumes mis en rapport, mais ces rapports n’ont de sens qu’en tant qu’ils se « rapportent à quelqu’un », à savoir au récepteur de l’œuvre. L’harmonie interne des rapports dans le bâtiment renvoie nécessairement à ses effets sur le sujet parcourant l’édifice, si bien que le jeu est « correct » non seulement quand l’économie d’ensemble du bâtiment est harmonieuse et consonante, mais également lorsque l’enchaînement des volumes sous la lumière prend en compte les constantes de la sensibilité humaine et produit des réactions esthétiques subjectives adéquates. Le langage architectural doit être un langage humain de l’architecture, un langage référé, orienté et centré par rapport à la norme fondamentale de l’« échelle humaine ». Telle est donc la « correction » dont parle Le Corbusier : l’adéquation entre la syntaxe des formes et des couleurs dans le bâtiment et la « grammaire » générale de la sensibilité qui est le fondement constant de l’appréciation de l’art. Ceci se justifie aisément par le fait que pour l’architecte, qui recherche la beauté de l’ouvrage, celle-ci n’advient que dans la rencontre entre des propriétés de l’objet et les constantes subjectives de la sensibilité humaine.

    36Enfin, dernière détermination, le jeu architectural est qualifié de « magnifique ». Il est ici important de noter que l’ordre dans lequel Le Corbusier indique ces trois déterminations de l’architecture n’est nullement indifférent, mais qu’il suit une progression logique dans laquelle les places ne sont pas interchangeables : le fondement premier (ce sans quoi aucun des deux autres niveaux ne serait possible), c’est que l’architecture soit « savante ». Puis, si cette condition est remplie, la poétique des rapports qu’est l’architecture doit se composer de manière correcte, en accord avec les constantes de la sensibilité humaine. Enfin, fait rarissime en même temps que hautement désiré, cet agencement des éléments architecturaux peut atteindre à un tel niveau de perfection, de justesse, que l’œuvre entière se met à rayonner, à consonner en une belle unité pour atteindre le sommet de l’émotion plastique.

    37Reste maintenant à cerner ce dernier aspect faisant de l’architecture un jeu « magnifique », correspondant à la conception corbuséenne de la beauté plastique, sommet de la création architecturale. Le plus souvent, face à cette question de la nature et des causes de la beauté esthétique, Le Corbusier semble à court de déterminations rationnelles pour la caractériser, comme si tout l’effort de l’architecte s’achevait précisément dans ce qui dépasse la compréhension et le discours rationnels. Tout se passe comme si, au bout d’un chemin hautement réfléchi et rationalisé (et qui ne pouvait être que tel), advenait quelque chose comme un excès, un dépassement des procédures rationnelles et normatives, sorte de grâce miraculeuse, non déterminable selon un ensemble de règles générales. Le Corbusier reprend dans un texte important et synthétique tout le parcours (présenté dans sa définition de l’architecture) que doit suivre le créateur pour faire advenir le beau, mais s’arrête au seuil de l’explication du niveau le plus fondamental :

    « La beauté ? C’est un impondérable ne pouvant agir que par la présence formelle des bases primordiales : satisfaction rationnelle de l’esprit (utilité, économie) ; ensuite, cubes, sphères, cylindres, cônes, etc. (sensoriel). Puis… l’impondérable, les rapports qui créent l’impondérable : c’est le génie, le génie inventif, le génie plastique, le génie mathématique, cette capacité de faire mesure l’ordre, l’unité, d’organiser selon des lois claires toutes ces choses qui excitent et satisfont pleinement nos sens visuels32. »

    38Le Corbusier réaffirme ici l’existence de conditions nécessaires et déterminables en vue de la création d’un bel ouvrage : résolution des problèmes structurels et pratiques, c’est là le rôle de l’ingénierie (« satisfaction rationnelle de l’esprit ») ; puis utilisation et mise en rapport de formes et d’éléments primaires conformément aux « standards de l’émotion », aux lois régissant les constantes de la sensibilité humaine (« ensuite, cubes, sphères, cylindres, cônes, etc. »). Ces formes simples sont universellement belles selon l’architecte, car elles sont parfaitement « géométriques » (et la géométrie est le langage de l’homme pour Le Corbusier), c’est-à-dire parfaitement lisibles.

    39« Puis… l’impondérable » : cette formule et ses points de suspension révèlent à elle seule l’embarras dans lequel se trouve Le Corbusier pour tenir un discours sur cet événement qu’est l’expérience de la beauté véritable. La beauté est l’impondérable33, c’est-à-dire le non prévisible, le non calculable, ce avec quoi l’on ne saurait « compter », une singularité absolue que l’on ne peut produire selon des règles générales et déterminables rationnellement. Or, paradoxe difficilement concevable, la création d’un tel impondérable est bel et bien l’objectif ultime de l’architecture selon Le Corbusier. De plus, toute la pensée de l’architecte est une tentative pour déterminer rationnellement des normes pour orienter et diriger la création architecturale, alors même que ce qui est suprêmement désiré n’obéit à aucune tentative de normalisation. En ce sens, elle est bien une « production normative du hors-norme ».

    40Ce paradoxe s’enracine dans une difficulté philosophique et esthétique de fond : nous ne disposons d’aucun concept du beau, seulement de certains critères tirés de l’expérience antérieure entre certaines propriétés des objets de l’art et l’universalité subjective de nos réactions esthétiques. Le Corbusier semble ici retrouver à sa manière (qu’il n’indique certes pas en ces termes), la question du jugement esthétique (aussi bien en ce qui concerne le récepteur que le créateur), qui ne saurait être un jugement « déterminant », mais seulement « réfléchissant » (Kant). On ne peut créer un bel objet par simple application et déduction de lois générales dont cet objet ne serait qu’un cas particulier. De telles normes, même si elles existent peut-être idéalement et qu’il s’agit pour nous simplement d’un défaut de connaissance, nous manquent. L’œuvre à faire ou à critiquer est toujours un événement plastique singulier, fondée certes sur des données générales (la « physiologie des sensations »), mais non sur une universalité déterminante. Il y a bien des règles, des procédures normatives générales à respecter et qui doivent nécessairement orienter le processus de création. La beauté ne saurait être produite sous l’effet d’un geste arbitraire, advenir par chance ou au hasard si un ensemble de préconditions n’est pas respecté. Et pourtant il y a toujours dans l’expérience singulière du beau quelque chose comme une grâce de la rencontre, une faveur que l’on ne saurait provoquer. La beauté ne peut être provoquée, forcée par l’application déductive de procédures mécaniques et pourtant elle n’est pas non plus le résultat d’une simple production spontanée placée sous le signe de l’arbitraire de l’événement singulier. Et c’est bien pourquoi Le Corbusier insiste tant sur l’existence de telles données générales, des lois régissant la sensibilité esthétique en rapport avec les propriétés de l’objet, sans quoi il serait impossible de comprendre pourquoi une œuvre venant d’époques et de cultures différentes de la nôtre puisse encore nous émouvoir ou pourquoi certaines œuvres sont presque universellement reconnues comme étant des chefs-d’œuvre du génie humain. S’il n’y avait pas là quelque chose touchant à une forme d’universel anthropologique, ceci serait incompréhensible. Pour autant de tels éléments ne sauraient déterminer a priori les cas singuliers, ni servir de base à des vérités démonstratives.

    41C’est également pourquoi Le Corbusier est obligé de recourir, en dernier recours, à un appel au « génie ». En effet, comment expliquer la création d’œuvres d’une beauté saisissante en l’absence de tout concept déterminé du beau ? Cela semble seulement possible par le recours à l’existence de personnalités exceptionnelles, dotées par la grâce de la nature de facultés elles-mêmes exceptionnelles et, de ce fait, non rationalisables, ne faisant pas l’objet d’un apprentissage selon des procédures déterminées. Persiste ici une aura de mystère : seule une forme de force intérieure, d’énergie spontanée et singulière, peut « expliquer » l’apparition de cet « impondérable » qu’est la beauté. Ce qui n’est, au final, qu’une autre manière de mettre un nom sur notre ignorance tout en cherchant pourtant à en rendre « raison ». L’appel au génie n’étant finalement qu’une manière de chercher à rendre raison du hors-norme par le hors-norme. Le génie (hors-norme subjectif) est un concept cherchant à rendre compte de la beauté de l’œuvre (hors-norme objectif) en des termes « homogènes » (et non pas en cherchant à rendre compte du hors-norme dans les termes hétérogènes du « normal »). En même temps, il est tout à fait clair que l’appel à la singularité exceptionnelle du génie34 est du même geste un arrêt immédiat de la chaîne des raisons, un « stop » indiquant à l’esprit d’arrêter là les recherches rationnelles. La formule utilisée par Le Corbusier dans Vers une architecture résume très bien ce point : « Tel homme, tel drame, telle architecture. » Pour autant, il est clair que Le Corbusier, même s’il indique en de telles formules qu’il ne possède pas non plus la clé du mystère, n’aura au fond rien fait d’autre que de chercher à rendre raison de cette énigme de la production du beau par l’individu génial, cela pour appuyer sa propre ambition de produire un équivalent moderne du Parthénon. Car au fond, tout dans la recherche corbuséenne porte à montrer que devant « l’éternel fait architectural35 » la réalisation d’une œuvre de toute beauté est toujours possible. L’architecture est composée à partir d’éléments fondamentaux (formes pures et volumes géométriques simples, rapports mathématiques proportionnés et harmoniques, constance de la sensibilité humaine, mesure de l’échelle humaine) qui sont les mêmes en Bretagne ou en Amérique centrale, qui étaient ceux des Grecs anciens et sont encore les nôtres aujourd’hui. S’il faut certes reconnaître ou en quelque sorte « exhumer » le sens architectural de cet élémentarité, par-delà les dénaturations et la perte de sens architectural au gré des aléas de l’histoire36, rien n’est nécessaire si ce n’est le talent individuel permettant de composer en des rapports magnifiques les éléments architecturaux de toujours. Pour faire une architecture sublime, nul besoin de répondre à un programme prestigieux37 ou d’avoir à sa disposition des matériaux nobles38. La noblesse et la dignité résident toujours aux yeux de Le Corbusier dans l’intention et dans la qualité de mise en œuvre du jeu architectural, jamais dans les matériaux ou dans le programme. Encore faut-il avoir du génie. Cette question a très longtemps hanté le jeune Charles-Édouard Jeanneret, tout comme elle hante nécessairement tout artiste sentant la force d’une vocation dont il souhaite être à la hauteur. Or le génie tout comme la beauté (et certainement le génie propre) est un « impondérable » que l’on ne saurait forcer.

    42Citons ici un beau passage, dans lequel on croirait entendre un appel que Le Corbusier se lance à lui-même :

    « à l’autre bout de l’Europe, dans la cour d’une ferme de Bretagne, nous notons la même expérience. Ici aussi existe la même réserve architecturale. Je dis : réserve. Réserve, c’est-à-dire un capital, une puissance, un potentiel d’architecture ; les éléments sont là, à disposition, que l’invention lyrique, que l’imagination de l’artiste créateur peuvent mettre en travail, peuvent cultiver, faire fleurir, faire briller en une œuvre de splendeur, fruit rond et ferme d’une pensée haute39 ».

    43« Puis… l’impondérable », Le Corbusier semble donc ici accepter ou se résigner à la faillite des explications rationnelles. Cela peut-être au nom d’une certaine forme de justice envers ses expériences de jeunesse… Nous pensons ici particulièrement à ce que le jeune Charles-Édouard Jeanneret dit de son expérience éprouvante de beauté sur l’Acropole, face au Parthénon (qu’il qualifiera à de nombreuses reprises comme une « machine à émouvoir », ce qui permet déjà à un premier niveau de neutraliser trop de discussions stériles autour de l’expression non comprise de « machine à habiter »), qu’il arpenta de manière obsessionnelle durant trois semaines lors de son fameux « Voyage d’Orient » (et qu’il a dû quitter car ce qu’il ressentait était trop fort, trop intense ; l’épreuve si douloureuse de la beauté étant pour lui la preuve que celle-ci existe, en même temps qu’une mise à l’épreuve de lui-même en tant que sujet créateur) :

    « Le sentiment d’une terrible fatalité extra-humaine vous saisit. Le Parthénon, terrible machine, broie et domine. […] Voir l’Acropole est un rêve qu’on caresse sans même songer à le réaliser. Je ne sais trop pourquoi cette colline recèle l’essence de la pensée artistique. Je sais mesurer la perfection de ses temples et reconnaître qu’ils ne sont nulle part ailleurs si extraordinaires ; et j’ai de longtemps accepté que ce soit ici comme le dépôt de l’étalon sacré, base de toute mesuration de l’art. Pourquoi cette architecture et non une autre ? […] C’est en moi un problème inexplicable40. »

    44Nous pensons très sérieusement qu’il est possible de lire dans ces quelques lignes la matrice de l’œuvre de celui qui sera appelé à devenir Le Corbusier. Loin du cliché techniciste ou fonctionnaliste dans lequel on a parfois tenté de l’enfermer, Le Corbusier rappelle que l’envers des déterminations normatives renvoie à l’ordre du sentiment, au fait que nous sommes parfois submergés avec une force insondable par la beauté d’une œuvre (raison et sentiment ne s’opposent jamais chez lui41). « Je ne crois en fin de compte qu’à la beauté », dira-t-il dans Précisions42. Le Corbusier n’aura eu de cesse de prendre le parti de ce sentiment que nous éprouvons, comme si celui-ci avait une vérité incontestable, comme si l’expérience de la beauté avait un caractère d’une évidence telle que nous ne puissions la remettre en cause (cela en dépit du savoir que nous possédons que nous n’en trouverons aucun concept). Pour juger de la beauté, nous ne disposons en dernière instance que d’un sentiment, critère certes subjectif, mais d’une force telle, que l’on ne saurait ni l’écarter ni ne pas tenter de le rationaliser et de le comprendre. Semblable en cela à l’intuition bergsonienne, l’épreuve de la beauté est pour l’architecte à la fois inexprimable et source d’une expression infinie, tentative tout aussi fondamentale et en apparence contradictoire que de rechercher les normes présidant à la constitution de ce qui n’obéit à aucune.

    45Dans un autre passage de Vers une architecture, l’architecte va cependant tenter d’éclairer par une comparaison astucieuse (puisque les explications directes manquent, l’on n’a plus d’autre choix que de recourir à l’analogie) les raisons de ce sentiment débordant que l’on ressent face à une œuvre d’une beauté admirable. Il va prendre appui sur sa propre expérience d’une telle émotion, celle qu’il a ressentie si intensément lors de sa découverte du Parthénon à l’occasion d’un voyage de jeunesse, pour comparer la beauté d’un édifice avec celle d’un visage humain. Voilà ce qu’il nous dit de la beauté d’un visage :

    « Ce qui distingue un beau visage, c’est la qualité des traits et une valeur toute particulière des rapports qui les unissent. Le type du visage appartient à tout individu : nez, bouche, front, etc. ainsi qu’une proportion moyenne entre ces éléments. Il y a des millions de visages construits sur ces types essentiels ; pourtant tous sont différents : variation de qualité des traits et variation des rapports qui les unissent. On dit qu’un visage est beau lorsque la précision du modelage et la disposition des traits révèlent des proportions qu’on sent harmonieuses parce qu’elles provoquent au fond de nous, par-delà nos sens, une résonance, sorte de table d’harmonie qui se met à vibrer. Trace d’absolu indéfinissable préexistant au fond de notre être. Cette table d’harmonie qui vibre en nous est notre critérium de l’harmonie. Ce doit être cet axe sur lequel l’homme est organisé, en accord parfait avec la nature et, probablement, l’univers, cet axe d’organisation qui doit être le même que celui sur lequel s’alignent tous les phénomènes ou tous les objets de la nature43. »

    46On reconnaîtra ici aisément certains des éléments évoqués à propos de la logique de la création architecturale comme « poésie des rapports ». Tout comme un bâtiment, un visage est « construit » à partir d’un certain nombre d’éléments simples et typiques (« nez, bouche, front, etc. »), qui sont dans des rapports suivant des proportions à la fois récurrentes (« une proportion moyenne entre ces éléments ») et à chaque fois singulières (« pourtant tous sont différents »). Ces éléments simples et généraux, mis en rapport d’une manière à la fois déterminée et fluctuante, sont ici l’équivalent du « langage de l’architecture », vocabulaire et syntaxe, dont dispose l’architecte. Tous les visages, comme tous les édifices, possèdent ces éléments généraux. Pourtant, peu d’entre eux font résonner cette « table d’harmonie » nous constituant du « fond de notre être », nous procurant une joie indicible au contact du beau. Reprenons les termes de l’architecte : « On dit qu’un visage est beau lorsque la précision du modelage et la disposition des traits révèlent des proportions qu’on sent harmonieuses parce qu’elles provoquent au fond de nous, par-delà nos sens, une résonance, sorte de table d’harmonie qui se met à vibrer. Trace d’absolu indéfinissable préexistant au fond de notre être. » Cette phrase marque bien à la fois une tentative déterminée de rendre raison de la beauté d’un visage (la phrase commence comme une sorte de définition, indiquant des critères précis) et en même temps un formidable aveu d’impuissance dans cette recherche (« Trace d’absolu indéfinissable »). Comme souvent chez Le Corbusier, l’échec des explications rationnelles dès qu’il en vient à devoir affronter théoriquement les figures du hors-norme (cet absolument indéfinissable) est marqué par un appel à des considérations cosmologiques ou métaphysiques, des spéculations probables (« Ce doit être cet axe sur lequel l’homme est organisé »). Même si cela est indémontrable, « indéfinissable », il doit bien y avoir quelque chose comme cette « table d’harmonie » permettant d’expliquer pourquoi, en dépit de l’absence de critères parfaitement objectifs, nous sommes parfois submergés du sentiment de la beauté d’un visage ou d’une chose. Comment expliquer autrement que certaines œuvres nous parlent aussi directement ? Pour juger de la beauté, nous ne disposons que d’un sentiment (« des proportions qu’on sent harmonieuses »), critère certes subjectif, mais d’une force telle, que l’on ne saurait l’écarter. Ce qui fait la difficulté du jugement esthétique, en même temps que son charme, c’est bien cette discordance apparente entre la force d’un sentiment que l’on voudrait universel et le savoir que nous possédons de sa nécessaire relativité. Ceci rejoint de manière tout à fait conséquente les réflexions de Le Corbusier sur les données générales de la sensibilité, mais comme leur pointe inverse, leur excès, les ramenant à leur réalité de règles simplement générales.

    47Le Corbusier va reprendre cette même métaphore de la corde vibrant à l’intérieur de nous-mêmes (remarquons encore une fois le caractère musical de cette métaphore), pour tenter cette fois de caractériser ce qui différencie un bâtiment qui le bouleverse, le submerge d’émotion, et un édifice qui le laisse indifférent :

    « Si l’on s’arrête devant le Parthénon, c’est qu’à sa vue la corde intérieure sonne. On ne s’arrête pas devant la Madeleine, qui comprend comme le Parthénon gradins, colonnes et frontons (mêmes éléments primaires), parce qu’au-delà des sensations brutales, la Madeleine ne va pas toucher notre axe ; nous ne sentons pas l’harmonie profonde, ne nous sommes pas cloués sur place par cette reconnaissance44. »

    48Encore une fois, Le Corbusier se trouve confronté à la même énigme que celle que lui avait révélée l’expérience de la beauté d’un visage : comment se fait-il que face à des réalités possédant objectivement les « mêmes éléments primaires », l’une fasse que « nous sommes […] cloués sur place » tandis que l’autre nous laisse indifférents ? Seule explication plausible, même si elle n’est nullement satisfaisante, si nous voulons rendre justice à la vérité de notre sentiment, c’est le recours à une « trace d’absolu indéfinissable », signe de notre appartenance à un ordre naturel et universel qui nous dépasse. Seul le sentiment, en tant qu’il renvoie à « cette table d’harmonie » qui est en nous et qui est notre « critérium de l’harmonie », peut nous aider à juger.

    49On voit bien ici toute la difficulté qu’il y a pour penser cette expérience de la beauté, objectif de la création architecturale selon Le Corbusier, autrement que par un appel à des méditations plus ésotériques que proprement conceptuelles et démonstratives. Mais la difficulté semble bien s’enraciner dans la chose elle-même, comme nous avons essayé de le montrer. À défaut d’être de véritables explications, les spéculations de Le Corbusier ont la vertu d’être à la fois éclairantes et sincères, pour faire justice à la vérité d’une expérience qui était pour lui le sommet de l’art architectural.

    L’architecture comme art des rapports et comme art du temps : une pensée des normes esthétiques de la création de la beauté architecturale

    50Si l’architecture dans sa dimension artistique la plus affirmée vise bien la production du hors-norme de la beauté, comment faut-il penser le rapport entre un ensemble de procédures normées et le hors-norme lui-même ? Et même si, nous l’avons vu, cette « production » n’est pas à entendre au sens d’une dérivation automatique d’un résultat (ici la beauté) sur le modèle de la déduction d’une conclusion dans un raisonnement syllogistique, comment et selon quelles modalités comprendre une telle tentative de production de ce qui renvoie certes à des données générales mais excède en même temps toujours cette généralité (car procédant d’un événement singulier) ? De quels moyens pensés comme des normes du processus de création architecturale (ou comme des composantes servant de normes, c’est-à-dire d’éléments devant servir de référence orientant nécessairement la direction du processus de création) l’architecte dispose-t-il ? Il s’agira ici de décrire, d’un point de vue avant tout esthétique, la manière dont Le Corbusier considère et décrit normativement le processus de la création architecturale dans sa pensée « constituée ». Deux points seront ici à aborder en lien avec la question des règles de fonctionnement du langage architectural : du point de vue du créateur-architecte, l’idée que l’art architectural est un art des rapports ; du point de vue du récepteur-usager, l’idée que l’architecture est également un art du temps. En dernière instance, si toute architecture véritable est retour aux données issues de la prise en compte de la norme fondamentale de l’« échelle humaine », l’œuvre architecturale se constitue toujours dans la corrélation entre l’activité de l’architecte et celle du récepteur. La distinction des points de vue sera ici accentuée avant tout à des fins d’analyse et à des fins didactiques de présentation du propos.

    51Pour comprendre la constitution chez Le Corbusier d’un langage proprement architectural visant une finalité déterminée, à savoir la création et l’appréciation de la beauté plastique, il faut revenir aux « données élémentaires du problème », à savoir l’échelle humaine et la vision concrète de l’œil humain, rejoignant ainsi les réflexions précédemment menées à propos de l’anthropologie de Le Corbusier. De toutes les façons, selon Le Corbusier, on ne peut faire autrement que de partir de ces évidences presque banales à propos de la physiologie des sensations et des constantes de nos réactions esthétiques. Il faut les rappeler sans cesse, car nos yeux sont « des yeux qui ne voient pas », qui ne savent plus voir ce qui est le plus constamment présent à leur vue. Comment donc « commencer par le commencement » en matière architecturale ?

    « Les yeux voient se dresser des volumes sous la lumière, fait brutal, physique ; les surfaces limitent les volumes, les accusant et les détruisant ; un “plan” organise les volumes et les surfaces. Les yeux regardent un objet ; la raison s’éclaire sur la destination de cet objet et sur les conditions qui le maintiennent en stabilité ; les sens réagissent, brutalisés ou caressés, sous le choc des masses qui se déploient ; mais une émotion définitive émane des sens et de l’esprit en face d’un phénomène organisé, provocateur de sensations, déclencheur de sentiments à longue percussion et répercussion45. »

    52Faire la juste part de l’œil, repartir des données empiriques et sensibles de la perception, telle est bien l’obsession corbuséenne. Que voient ces yeux ? Des volumes sous la lumière, délimités par des surfaces, et dont l’ensemble est organisé par un plan. Rien de plus, rien de moins. Critiquant la conception académique d’une architecture intellectualiste et abstraite, succombant à ce qu’il nomme « l’illusion des plans », Le Corbusier réaffirme de manière incessante que l’architecture réelle est la durée concrète, singulièrement vécue par un « corps d’homme », au contact d’une œuvre architecturale. Par ailleurs, la finalité de l’art architectural est d’émouvoir cet homme, de lui faire ressentir une beauté plastique qui l’élève. Toute la question sera donc de savoir comment arriver à organiser, à agencer selon un certain plan cette suite de volumes et de surfaces, de telle sorte à transmettre cette émotion qui constitue la finalité dernière du jeu architectural, et qui pourtant relève bien de ce qui excède les procédures rationalisées et les décisions volontaires pouvant être mises en œuvre par l’architecte. Mais pour espérer l’advenue du beau, il faut aux yeux de Le Corbusier « commencer par le commencement », ne pas chercher à brûler les étapes et respecter un ensemble de conditions nécessaires, cela en dépit du fait qu’elles ne seront jamais par elles-mêmes et en tant que telles des conditions suffisantes à la tenue de leur propre objectif. Pour qu’il y ait beauté véritable, le respect des conditions esthétiques nécessaires au bon fonctionnement et à la bonne constitution du langage architectural est absolument nécessaire à titre de précondition. Mais les œuvres les plus admirables nécessitent l’intervention non prédéterminable selon un ensemble de règles normatives de la singularité créatrice de l’individu de génie. Au hors-norme de la beauté est nécessaire le hors-norme du génie. Pourtant, il faut bien chercher à élucider l’ensemble des conditions nécessaires si l’on veut chercher à comprendre à la fois ce qui fait pour une part la beauté des chefs-d’œuvre et si l’on veut en produire soi-même (ce qui est bien le double objectif de Le Corbusier). C’est pourquoi il faut d’abord commencer par maintenir le caractère primordial de l’ordre proprement technique et fonctionnel, propre au travail de l’ingénieur (et qui est réaffirmé par Le Corbusier dans cette citation : « la raison s’éclaire sur la destination de cet objet et sur les conditions qui le maintiennent en stabilité »). Mais nous quittons maintenant ce point de vue pour examiner la logique proprement esthétique de la création architecturale. De quels éléments l’architecte dispose-t-il pour faire advenir cette émotion ?

    53Citons Le Corbusier à ce propos :

    « On met en œuvre de la pierre, du bois, du ciment ; on en fait des maisons, des palais ; c’est de la construction. L’ingéniosité travaille.
    Mais, tout à coup, vous me prenez au cœur, vous me faîtes du bien, je suis heureux, je dis : c’est beau. L’art est ici.
    Ma maison est pratique. Merci, comme merci aux ingénieurs des chemins de fer et à la Compagnie des Téléphones. Vous n’avez pas touché mon cœur. Mais les murs s’élèvent sur le ciel dans un ordre tel que j’en suis ému. Je sens vos intentions. Vous étiez doux, brutal, charmant ou digne. Vos pierres me le disent. Vous m’attachez à cette place et mes yeux regardent. Mes yeux regardent quelque chose qui énonce une pensée. Une pensée qui s’éclaire sans mots ni sons, mais uniquement par des prismes qui ont entre eux des rapports. Ces prismes sont tels que la lumière les détaille clairement. Ces rapports n’ont trait à rien de nécessairement pratique ou descriptif. Ils sont une création mathématique de votre esprit. Ils sont le langage de l’architecture. Avec des matériaux inertes, sur un programme plus ou moins utilitaire que vous débordez, vous avez établi des rapports qui m’ont ému. C’est l’architecture46. »

    54Après avoir réaffirmé la distinction entre la logique utilitaire (« Ma maison est pratique ») de l’ingénieur et la logique artistique de l’architecte (« c’est beau »), Le Corbusier compare l’architecture à un langage (« le langage de l’architecture »), ce qui est ici tout à fait remarquable et par ailleurs parfaitement récurrent dans ses textes. Il indique par ailleurs, par une sorte de mise en scène des paroles du récepteur d’une œuvre s’adressant à l’architecte, que c’est par une mise en œuvre (« un ordre tel ») intentionnelle (« vous avez établi ») de ce « langage de l’architecture » que l’on peut arriver à l’effet désiré, à savoir l’émotion plastique (« j’en suis ému »). Suivons-le donc dans cette comparaison et essayons de l’éclairer.

    55Remarquons tout d’abord que Le Corbusier n’assimile pas purement et simplement l’architecture et le langage (au sens où nous entendons couramment ce terme), les mots composant une langue et les éléments constitutifs de l’architecture (matériaux, couleurs, lumières, volumes…) restant irrémédiablement hétérogènes. Cependant les mots du langage et les éléments architecturaux ont pour point commun d’être des réalités physiques qui, mises en un certain ordre peuvent, selon Le Corbusier, produire un « sens », une « signification ». Si ceci semble acquis en ce qui concerne les mots, cela semble beaucoup plus problématique en ce qui concerne l’architecture. Le Corbusier entend donc bien comparer le fonctionnement de l’œuvre architecturale au fonctionnement d’un langage, mais comment comprendre la légitimité d’une telle comparaison ? Comment doit-on se représenter cette « pensée qui s’éclaire sans mots ni sons » ? Prenons cependant les propos de l’architecte au sérieux. Quel serait l’équivalent pour l’architecte des mots employés par celui qui parle ? Pour expliciter cette comparaison de l’architecture, ou plus précisément de son mode de fonctionnement, avec un langage, reprenons un texte que nous avons cité plus haut :

    « C’est que l’architecture, qui est chose d’émotion, doit, dans son domaine, commencer par le commencement aussi, et employer les éléments susceptibles de frapper nos sens, de combler nos désirs visuels, et les disposer de telle manière que leur vue nous affecte clairement par la finesse ou la brutalité, le tumulte ou la sérénité, l’indifférence ou l’intérêt. […] Ces formes primaires ou subtiles, souples ou brutales, agissent physiologiquement sur nos sens (sphère, cylindre, horizontale, verticale, oblique, etc.) et les commotionnent. Étant affectés, nous sommes susceptibles de percevoir au-delà des sensations brutales ; alors naîtront certains rapports, qui agissent sur notre conscience et nous mettent dans un état de jouissance47. »

    56L’équivalent architectural des mots du langage, à savoir les éléments simples du langage de l’architecture, sont principalement ces « formes primaires » dont il a été question à propos du rôle de la physiologie des sensations chez Le Corbusier. Nous avions vu qu’à ces formes géométriques simples correspondaient des réactions esthétiques élémentaires et constantes chez l’humain. Or, dans la réalité concrète d’un bâtiment, ces formes constituent autant de volumes simples (sphère, cylindre, carré, rectangle, losange, etc.), délimités par des surfaces (d’où l’usage de la verticale, de l’horizontale, de l’oblique, etc.). Le bâtiment, quant à lui, est l’ensemble formé par l’ordonnancement suivant un plan précis de tels volumes simples. Les mots de l’architecte, son vocabulaire, sont composés d’un ensemble d’éléments simples (volumes, couleurs, matières, lumières, espaces…), qui seront combinés d’une manière déterminée et délibérément voulue par l’architecte. Outre le vocabulaire, un langage est également composé d’une syntaxe, c’est-à-dire d’un ensemble de règles de composition des éléments simples constituant le langage. C’est là qu’intervient une notion décisive en ce qui concerne la constitution d’un langage proprement architectural chez Le Corbusier, celle de « rapport ». Le Corbusier lui-même a reconnu l’importance de cette notion dans sa pensée :

    « Architecture, c’est « rapports », c’est pure création de l’esprit48. »
    « L’architecture, c’est avec des matériaux bruts, établir des rapports émouvants49. »

    57En effet, cette notion de « rapport » est au centre du dispositif théorique de Le Corbusier. Comment avec des « matériaux bruts », des « pierres inertes », faire naître quelque chose qui soit de l’ordre de l’émotion, quelque chose qui donne à penser50 ? Un bloc de béton, un morceau d’acier, une fenêtre, sont en eux-mêmes des éléments radicalement muets, qui ne nous disent rien, qui ne suscitent en nous aucune émotion. Celle-ci ne pourra naître que de certains rapports entre ces éléments simples, d’une certaine mise en ordre, d’un certain agencement, tout comme dans le langage un mot en lui-même ne signifie rien, mais n’a de sens qu’au sein de la phrase dans laquelle il est employé, du discours au sein duquel il est prononcé. Ces rapports ne préexistent pas à la réalisation concrète de l’œuvre, ils sont « pure création de l’esprit », matérialisation du projet de pensée réfléchi de l’architecte. Ils font donc inévitablement intervenir l’activité créatrice de l’architecte.

    58C’est ce dispositif fondamental que l’architecte Pierre Litzler51 a nommé dans un ouvrage sur Le Corbusier la « poésie des rapports ». L’architecte dispose d’éléments simples, qui sont la base d’un vocabulaire qu’il partage avec les autres « locuteurs » du langage architectural (« On met en œuvre de la pierre, du bois, du ciment », expression où l’on pourrait insister sur le pronom personnel « on »), il dispose donc de matières, de couleurs, de volumes, de lumières, qui sont autant d’éléments auxquels correspondent des réactions esthétiques subjectives relevant des constantes de la sensibilité humaine. En ce sens, la syntaxe des associations de couleurs et de formes doit inévitablement se fonder sur cette autre « syntaxe » qui est celle des associations de sensibilité et d’idées provoquées par les moyens plastiques. En eux-mêmes, ces éléments n’ont aucun « sens », ils ne signifient rien. Mais c’est uniquement par le tact singulier du créateur, par l’habileté avec laquelle il va mettre ces éléments en rapport que pourront naître de l’émotion ou du sens. Chaque bâtiment sera donc composé des rapports entre ces éléments simples, selon une logique à chaque fois singulière. Chez Le Corbusier, nous avons en ce sens moins affaire à une esthétique de la forme qu’à une esthétique des relations et des tensions spatiales, puisque tout repose sur les rapports. Ceci s’apparente d’ailleurs, comme cela a été remarqué par de nombreux commentateurs, à une véritable « esthétique du montage », proche de certains procédés cinématographiques ou des rapprochements inédits des surréalistes (où il faut rappeler que le purisme de Le Corbusier et Ozenfant est contemporain de tels développements artistiques). Cette pensée des rapports est par ailleurs au centre de la libération des structures fondamentales de l’architecture menée notamment par Le Corbusier. Il est peut-être à cet égard le premier architecte dont le langage peut être comparé à celui des peintres et des sculpteurs modernes, dans la mesure où, émancipé comme eux de plusieurs contraintes physiques et constructives (par le plan libre rendu possible par l’emploi du béton et de l’acier) et des justifications rhétoriques et académiques52 qui les accompagnaient, il peut s’adonner à des opérations créatives, voire ludiques, faites de rapprochements inédits et d’intensités nouvelles.

    59Chaque architecte devra donc tenter d’inventer son idiome, sa manière propre d’inscrire sa singularité dans la généralité de la langue architecturale, de rythmer et de scander les inflexions de sa voix propre. Cela ne sera possible que par une certaine manière personnelle de mettre en rapport, d’ordonner et d’utiliser les éléments communs de l’architecture (tout comme un écrivain peut inscrire son propre style dans la langue, bien qu’il partage celle-ci avec tous les autres locuteurs de cette langue ; un style étant toujours en quelque sorte une manière singulière, et de ce fait reconnaissable, de reprendre un universel). De plus, cette possibilité créatrice de faire preuve d’une liberté de composition considérable, d’inventer son propre style, est fondée dans la nature même du langage architectural, celui-ci étant composé de rapports (c’est-à-dire de différences), qui seuls créent du sens, et qui sont avant tout des écarts, des distances entre les choses. Il y a donc un certain espace de jeu, à l’interstice, entre les éléments, pour que la pensée créatrice puisse s’exprimer. C’est cela qui permet d’inscrire le mouvement de la pensée dans la présence même de la matière architecturale et de répondre au problème de départ qui était celui de Le Corbusier (mais qui est finalement celui de tout créateur) : comment, à partir de certaines notions et constantes architecturales, créer sur la base d’éléments simples une variété indéfinie de formes, et d’architectures résultantes qui énoncent une pensée ? Comment produire dans l’immobilité de la matière constitutive de l’architecture un mouvement de l’esprit, une action de la pensée qui s’y trouve exposée ? Pour reprendre les termes de Le Corbusier : comment faire « des pierres inertes un drame » ? Tel est le défi de l’architecte :

    « Émettre des fluides, des orages, des brises douces sur la plaine ou la mer, dresser des alpes hautaines avec des pierres qui font les murs de la maison d’un homme, c’est réussir des rapports concertés53. »

    60L’architecture est donc la construction d’une totalité à partir de la mise en ordre intentionnelle d’éléments simples ; la beauté émerge d’un ensemble de rapports spatiaux créé par un geste personnel54. Si l’architecture est une réalité matérielle, elle est tout aussi bien œuvre de pensée, « chose de l’esprit », le bâtiment étant au final la matérialisation, la concrétisation de la pensée de l’architecte. Si donc « tout est rapport » dans l’œuvre architecturale, quelles conséquences devons-nous tirer de ce fait en ce qui concerne l’expérience concrète du bâtiment telle qu’elle est faite par chacun de nous au contact d’une œuvre ? Passons donc du niveau de la création à celui de la réception du bâtiment.

    61Revenons à ce que Le Corbusier nomme inlassablement « les données du problème », puisqu’il faut toujours « commencer par le commencement » :

    « L’architecture se marche, se parcourt et n’est point, comme selon certains enseignements, cette illustration toute graphique organisée autour d’un point central abstrait qui se prétendrait homme, un homme chimérique, muni d’un œil de mouche et dont la vision serait simultanément circulaire. Cet homme n’existe pas et c’est par cette confusion que la période classique amorça le naufrage de l’architecture.
    Notre homme est, au contraire, muni de deux yeux placés devant lui, à 1 m 60 au-dessus du sol et regardant au-devant. Réalité de notre biologie, qui suffit à condamner tant de plans faisant la roue autour d’un pivot abusif. Muni de ses deux yeux et regardant devant lui, notre homme marche, se déplace, livré à ses occupations, enregistrant ainsi le déroulement des faits architecturaux apparus à la suite l’un de l’autre. Il en ressent l’émoi, fruit de commotions successives. Si bien qu’à l’épreuve les architectures se classent en mortes et vivantes selon que la règle du cheminement n’a pas été observée ou qu’au contraire la voilà exploitée brillamment55. »

    62Luttant inlassablement contre le règne des abstractions et militant pour un retour à l’échelle humaine, Le Corbusier dénonce encore une fois dans ce texte ce qu’il nomme dans Vers une architecture « l’illusion des plans ». « Réalité de notre biologie », le retour à l’échelle humaine est un retour à l’homme concret, sensible, incarné, au regard inévitablement limité et fini. L’architecture qui doit prendre son contenu pour mesure (les bâtiments étant des « contenants d’homme » selon l’expression de Le Corbusier) et finalité, ne doit jamais perdre de vue l’homme sensible56. C’est encore une fois pour cela que Le Corbusier dénonce une architecture abstraite, intellectualiste, qui ne serait plus qu’une « illustration toute graphique », fondée sur un oubli des évidences concrètes de l’existence biologique de l’homme. L’homme de l’architecture de plan n’est qu’un « homme chimérique », muni d’une vision qui n’a plus rien d’humaine. Un plan est un instrument extrêmement utile, mais l’architecture qui se complaît dans les belles images, les vues synoptiques, où tout semble donné d’un seul coup, risque de perdre le réel de l’architecture qui est l’expérience concrète et singulière, non reproductible, faite par un corps d’homme, d’un bâtiment lui-même singulier57. Personne ne voit de manière « simultanément circulaire » un bâtiment, celui-ci ne m’est jamais donné en entier dans une sorte de position de surplomb majestueuse, mais il « se marche, se parcourt » de l’extérieur à l’intérieur, offrant des perspectives toujours mesurées à la limitation de mon regard d’homme, des « commotions successives ».

    63Comme le rappelle Le Corbusier dans un autre texte :

    « Le plan procède du dedans au dehors ; l’extérieur est le résultat d’un intérieur. Les éléments architecturaux sont la lumière et l’ombre, le mur et l’espace. L’ordonnance, c’est la hiérarchie des buts, la classification des intentions. L’homme voit les choses de l’architecture avec ses yeux qui sont à 1 m 70 du sol. On ne peut compter qu’avec les buts accessibles à l’œil, qu’avec des intentions qui font état des éléments de l’architecture. Si l’on compte avec des intentions qui ne sont pas du langage de l’architecture, on aboutit à l’illusion des plans58. »

    64« On ne peut compter qu’avec les buts accessibles à l’œil » : Le Corbusier affirme encore une fois la primauté de l’œil, de la vision concrète de l’homme sensible. Si l’architecture est un langage, les éléments le composant et devant être mis en rapport pour constituer l’œuvre bâtie doivent être des éléments directement « accessibles à l’œil », à l’expérience vivante. Les plans, les éléments de représentation généraux, « faisant la roue autour d’un pivot abusif », « ne sont pas du langage de l’architecture ». Dans le bâtiment réel, celui dont nous faisons l’expérience singulière, personne n’a affaire à un trait représentant un mur sur un plan, mais bien à un volume singulier sous la lumière, ayant telle couleur, tel grain de béton, telle résonance acoustique, telle matérialité en somme. Voilà un autre aspect essentiel pour qui veut constituer un langage spécifiquement architectural, irréductible à toute autre forme expressive. Les architectures de plan ne pensent pas en architecture (l’expression est de Le Corbusier lui-même), elles se trompent de moyens d’expression, elles font appel à des éléments extérieurs au langage proprement architectural, fait d’éléments immédiatement concrets, investis dans la matérialité sensible et perceptible par l’œil de l’homme réel. De la même manière que selon Deleuze il n’y a pas d’idées générales, mais « des potentiels déjà engagés dans tel ou tel mode d’expression et inséparables du mode d’expression », il ne faut pas se tromper sur les éléments composant le mode d’expression propre à la discipline singulièrement considérée, sous peine de faire parler une langue étrangère à celle-ci59, de la laisser être envahie par un idiome intraduisible en ses propres termes, de lui faire perdre toute signification. L’architecture succombant à l’illusion des plans semble ne pas pouvoir envisager d’autre mode de réception d’une œuvre architecturale que celui de la contemplation visuelle, du recueillement attentif. Or, ce n’est pas du tout là le destin que Le Corbusier attendait pour ses œuvres : « l’architecture se marche, se parcourt », elle est faite de « commotions successives ». Il ne s’agit pas du tout de respecter une distance caractéristique de la contemplation (comme lorsque je contemple un tableau par exemple), mais d’entrer dans le bâtiment, d’évoluer à même sa matérialité, de mêler la réalité de son corps à la présence elle aussi physique du bâtiment. Ce qui prime pour Le Corbusier, ce n’est pas le « voir » abstrait de la contemplation avec les yeux de l’esprit, c’est la vision en mouvement tout au long d’un parcours qui est une épreuve réelle, « tactile » de l’œuvre architecturale. Autrement dit, c’est l’usage du bâtiment par ses habitants qui prime. Le Corbusier n’a jamais construit des œuvres destinées à être de beaux objets à contempler, mais toujours des « contenants d’homme » incitant à l’activité, aux mouvements, aux gestes, des plus quotidiens aux plus sublimes (les activités quotidiennes des usagers dans les Unités d’habitation, mais aussi les rituels religieux à la Tourette ou les activités productives de l’usine Duval). Il y a expérience de la beauté et de l’émotion autrement que dans la pure et simple contemplation.

    65Nous voyons bien ici que si l’architecture est bien un art de l’agencement spatial, cela par la mise en rapport de volumes au sein de l’espace architectural, elle est aussi de manière indissociable un formidable art de la temporalité, une discipline du temps. Cela là encore pour des raisons essentielles : l’objet architectural n’étant jamais donné d’un seul coup, de manière synchronique (puisque notre vision est par définition finie et non synoptique), l’émotion ne peut advenir que suivant une certaine durée concrète, celle d’un parcours ou d’une promenade architecturale, qui sont des expériences par nature diachroniques. L’émotion naît de rapports, le sens émerge de la relation entre les termes ainsi concrètement reliés dans et par l’expérience du déplacement, les éléments architecturaux agissent physiologiquement sur le spectateur comme autant de « commotions successives » correspondant aux différents « événements plastiques » ponctuant le parcours selon un plan intentionnellement agencé par l’architecte. Étant par nature « poésie des rapports » et les rapports ne pouvant être appréhendés que selon une certaine durée, l’architecture ne peut qu’être une réalité mettant en œuvre une expérience temporelle de l’espace. Temps et espace sont inséparables en architecture. La cohérence de cette pensée est admirablement restituée par l’architecte dans le texte suivant :

    « Succintement aussi, disons que l’architecture est circulation intérieure et pas pour des d’exclusives raisons fonctionnelles […] mais très particulièrement pour des raisons d’émotion, les divers aspects de l’œuvre, la symphonie qui, en fait, se joue, ne pouvant être saisissable qu’au fur et à mesure que les pas nous portent, nous placent et nous déplacent, offrant à notre regard la pâture des murs ou de perspectives, l’attendu ou l’inattendu des portes livrant le secret de nouveaux espaces, la succession des ombres, pénombres ou lumières qui gère le soleil pénétrant par les fenêtres ou les baies, la vue des lointains bâtis ou plantés comme aussi celle des premiers plans savamment aménagés. La qualité de la circulation intérieure sera la vertu biologique de l’œuvre, organisation du corps bâti liée, en vérité, à la raison d’être de l’édifice60. »

    66L’aménagement de l’espace intérieur, plus essentiellement encore que l’aspect extérieur du bâtiment, devra être le souci premier de l’architecte, cela pour des « raisons d’émotion ». L’architecture est une expérience temporelle, faite de rétentions et de projections, une aventure singulière faite de surprises au détour d’un couloir, de merveilles cachées derrière une porte, d’enchantements au fil d’un parcours irremplaçable. C’est pourquoi l’architecte, poète des rapports, devra avant tout prendre en compte cette dimension de la découverte temporelle de l’espace. Architecture comme art des rapports et architecture comme art du temps sont ici indissociables61. C’est la qualité du parcours, la somme de ces perceptions successives constituant une expérience de l’œuvre, qui décidera si une architecture est « vivante » ou « morte », pour reprendre les termes de Le Corbusier. C’est pourquoi aussi dans de nombreux textes, dans lesquels il présente ses propres réalisations, Le Corbusier adopte un mode de description privilégiant l’approche diachronique du bâtiment :

    « Des formes sous la lumière. Dedans et dehors ; dessous et dessus […]
    Dehors : on approche, on voit, on s’intéresse, on s’arrête, on apprécie, on tourne autour, on découvre. On ne cesse de recevoir des commotions diverses, successives. Et le jeu joué apparaît. On marche, on circule, on ne cesse de bouger, de se tourner. Observez avec quel outillage se ressent l’architecture… Ce sont des centaines de perceptions successives qui font sa sensation architecturale. C’est sa promenade, sa circulation qui vaut, qui est motrice d’événements architecturaux. Par conséquent, le jeu joué n’a pas été établi sur un point fixe, central, idéal, rotatif et à vision circulaire simultanée62. »

    67Enfin, dernier aspect que nous voudrions aborder ici, la persistance de métaphores musicales pour désigner l’accord réussi des moyens plastiques au fil d’un parcours architectural. De manière plus que récurrente, Le Corbusier insiste sur le fait que la mise en rapport des éléments plastiques ponctuant l’expérience d’un bâtiment doit pouvoir aboutir, si l’œuvre est réussie, à une forme de consonance, de « symphonie » des rapports et du jeu plastique, qui marque le sommet de l’émotion esthétique63. Il parle par ailleurs très souvent de l’architecture comme d’une discipline d’« acoustique plastique », c’est-à-dire comme un art de la juste « mise en résonance » des formes perçues. Les événements plastiques, découverts successivement comme nous entendons la suite des notes dans une mélodie, doivent donc résonner, se faire écho de telle sorte qu’ils se composent de manière harmonieuse, bien proportionnée, bien accordée, qu’ils fassent du bâtiment une seule mélodie (puisqu’une mélodie est bien plus que la somme des notes qui la composent, elle a une existence propre, qualitativement différente d’une autre mélodie), une seule belle totalité unitaire. Une seule fausse note, un élément mal mis en rapport avec les autres, provoquerait une dissonance et rendrait l’ensemble disharmonieux. Le Corbusier rapproche sans cesse architecture et musique dans ce genre de descriptions :

    « J’ai parlé d’accord et évoqué le désastre d’une rupture de l’enchantement qui nous est venu. Terminologie qui conviendrait à la musique… Précisément, architecture et musique sont sœurs, proportionnant l’une à l’autre le temps et l’espace64. »

    68Ou encore évoquant l’importance de la musique dans son cadre familial (principalement par sa mère et son frère) et l’influence de ce fait sur son travail architectural :

    « Il est d’une famille de musiciens, mais il ne connaît pas même les notes ; pourtant il est musicien intensément et sachant fort bien comment est faite la musique et capable de parler musique et de juger. La musique est : temps et espace, comme l’architecture. La musique et l’architecture dépendent de la mesure65. »

    69Tout comme en architecture, dans la musique tout est rapports, affaire de distance, d’espacement, d’intervalle entre les sons (les différences de hauteur, les rythmes et les silences). Être bon architecte ou bon musicien, c’est connaître cet art de la mesure, de la proportion, du juste rapport. Lorsque chaque élément est parfaitement mesuré aux autres, la promenade architecturale s’écoule de manière harmonique et consonante, chaque élément rayonne et résonne avec tous les autres pour faire du bâtiment une symphonie de matériaux, de couleurs, de lumières, de volumes. L’architecture est musique de l’espace. Pour Le Corbusier, il est également clair que le couple formé par l’architecture et la musique doit être rapporté à un troisième terme : la mathématique66. Ceci renvoie au fait que dans l’architecture comme dans la musique nous avons affaire, selon Le Corbusier, à ce qu’il nomme une « mathématique sensible », un ordre incarné à même la matérialité des pierres ou des sons, que nous pouvons mesurer par notre corps et qui nous procure de l’émotion et nous fait ressentir la plénitude d’une expérience de la beauté :

    « Le déclanchement des sensations élevées est dévolu à la proportion qui est une mathématique sensible67. »
    « L’œil du spectateur se meut dans un site fait de rues et de maisons. Il reçoit le choc des volumes qui se dressent à l’entour. Si ces volumes sont formels et non dégradés par des altérations intempestives, si l’ordonnance qui les groupe exprime un rythme clair, si les rapports des volumes et de l’espace sont fruits de proportions justes, l’œil transmet au cerveau des sensations coordonnées et l’esprit en dégage des satisfactions d’un ordre élevé : c’est l’architecture68. »

    70Se joue ici ce que nous pourrions appeler une « rationalité du sensible », à la fois mise en ordre raisonnée du sensible architectural par la pensée du créateur et prise en compte d’une certaine autonomie du niveau plastique et de ses lois propres. L’art architectural, comme poésie des rapports et comme discipline du temps, est tout entier indexé sur la prise en compte d’une logique propre au niveau sensible, à la perception concrète de la vision humaine et à son expérience nécessairement finie, et de ce fait temporelle, de l’architecture. Toute la réflexion rationnelle de l’architecte, la matérialisation de sa pensée en une œuvre selon un projet rationnellement mis en œuvre, est orientée par les normes régissant la sensibilité esthétique et l’expérience concrète de l’art par un homme lui-même défini par ses déterminations d’être sensible. La logique de la création esthétique est bien une logique du sensible, tout comme l’anthropologie de Le Corbusier, déterminant son approche du rôle de l’architecture au sein de la culture, était une anthropologie de l’homme en ses déterminations empiriques et concrètes. Ici encore, aucun primat de l’intelligible sur le sensible ; l’œuvre architecturale n’est pas un objet à contempler par les yeux de l’esprit, mais une réalité dont il faut faire l’expérience directe au moyen d’un parcours tant perceptif que tactile. De même, la rationalité fonctionnelle de l’ingénieur n’est qu’un moyen en vue de la fin véritable de l’architecture qui est de satisfaire les aspirations les plus élevées de l’homme par le biais de l’expérience de la beauté plastique, procurant l’émotion la plus intense et la plus sublime.

    Notes de bas de page

    1 ADA, p. 146.

    2 VuA, p. 77.

    3 Lettres à Auguste Perret, p. 227.

    4 « Architecture et Purisme », p. 40.

    5 Ibid., p. 41.

    6 Ibid., p. 40.

    7 VuA, p. 175.

    8 Ibid., p. 13 : « Opérant par le calcul, les ingénieurs usent de formes géométriques, satisfaisant nos yeux par la géométrie et notre esprit par la mathématique ; leurs œuvres sont sur le chemin du grand art. »

    9 ADA, p. 85 : « l’art nous est nécessaire, c’est-a-dire une passion désintéressée qui nous élève ». Ou encore p. 120 dans le même ouvrage : « Art toujours. L’art est inséparable de l’être, véritable puissance indissoluble d’élévation apte à donner un bonheur pur. […] Il jalonne cet espace qui sépare le moment où la nature immense et dominatrice écrase, de celui où dans la sérénité acquise, l’on conçoit cette nature et où l’on travaille en harmonie avec sa loi ; passage de l’âge de sujétion à l’âge de création. »

    10 VuA, p. 86.

    11 Ibid., p. 186.

    12 Le Corbusier, bien qu’il reconnaisse le caractère salutaire de la tendance fonctionnaliste, n’a jamais souscrit à ce nouveau « dogme » (dans Vers une architecture, p. 8, il dénonce les architectes qui « discutent surabondamment de structure »), insistant toujours sur la nécessité de penser la question de l’art architectural, sans pour autant que la dimension artistique de l’architecture ait quelque chose à voir avec la simple application de critères décoratifs. Citons ici par exemple l’article « L’urbanisme et le lyrisme des temps nouveaux » : « Ma modeste contribution personnelle à l’élaboration du plan fut donc toujours alimentée par cette croyance tenace : la poésie. […] Je souffrais de ces exégèses borgnes : “son rationalisme”, “son fonctionnalisme”, “son jacobinisme impénitent”, “son raisonnement implacable”… etc. Je savais que, de toujours, un autre mobile m’actionnait. » Pensons encore à cet autre passage de l’Entretien où, évoquant le concept de « ville radieuse », l’architecte souligne que « le mot de “radieux” ne s’y trouvait pas fortuitement : il déborde le fonctionnel. […] Cette œuvre déborde les questions de technique (rationalisme et fonctionnalisme) […] mais il était regrettable de scinder le moderne en deux camps adverses, dont l’un proclame : Construire d’abord et l’autre : l’Architecture est le jeu savant, correct, etc. »

    13 « Ce qui signifie, pour le moins, qu’elle déborde de beaucoup le fief de l’ingénieur. »

    14 Une Maison. Un Palais, p. 32 : « Cette liaison des fonctions utilitaires, petites ou grandes et d’un potentiel émotif petit ou grand – fusion de deux intentions étrangères – s’exprime en une règle de coordination manifestée dans des objets ; nous les appelons des organismes. Et tout dans l’univers fonctionnant, nous apparaît organique. »

    15 Ibid., p. 4.

    16 L’expression est d’ailleurs utilisée par Le Corbusier lui-même dans l’article « L’urbanisme et le lyrisme des temps nouveaux », Le Corbusier. Un homme à sa fenêtre, op. cit., p. 92 : « La chose considérée, c’est le bien de l’homme. […] Question d’utilité ? Oui, mais de la grande utilité. »

    17 Le Corbusier insiste à de multiples reprises sur le caractère nécessaire de ces seconds besoins, dès lors que nous considérons dans la sphère du besoin ce qui relève du spécifiquement humain et non simplement ce qui nous ramène à ce que nous partageons avec les autres animaux. Citons ici par exemple ce passage d’Une Maison – Un Palais, p. 28 : « C’est après cette mise en ordre raisonnable et indispensable rassasiant la raison, que peuvent intervenir des émotions qu’on appellerait superflues si nous n’avions, qui provoque nos actes et conduit nos destinées, une passion dont l’assouvissement est aussi impératif que le sont les besoins de notre animal, – la soif ou la faim. »

    18 Une Maison. Un Palais, p. 3 : « Une maison est pour servir ; et à quoi ? abri, froid, chaud, etc.? Aussi, n’est-ce pas à satisfaire les besoins supérieurs qui sont en chacun (sensibles, c’est précisément vous qui niez la sensibilité !). Quelle mécanique déclenchera cette “jouissance” au-dessus du terre à terre ? »

    19 Dans ce qui suit, nous faisons usage d’une distinction traditionnelle en logique philosophique entre, d’une part, l’extension d’un concept entendue comme le nombre d’objets concernés par celui-ci et, d’autre part son intension, c’est-à-dire le nombre de qualités possédées par le concept. Il faut donc veiller à ne pas confondre ici intension et intention (comme visée subjective, but que l’on propose à l’action, etc.).

    20 Une Maison. Un Palais, p. 1-2.

    21 Cette « clause » semble indispensable pour bien délimiter les domaines de l’architecture et ceux d’autres formes d’art non essentiellement fonctionnelles ou utilitaires (peinture, sculpture, poésie, etc.).

    22 Précisions, p. 69-71.

    23 VuA, p. 9.

    24 Ibid., p. 121.

    25 Une Maison. Un Palais, p. 2.

    26 Précisions, p. 158 : « C’est alors que tout ce qui sert, tout ce qui est utile est dépassé. Un événement déborde : la création. Phénomène de lyrisme et de sagesse qui s’appelle la beauté. »

    27 VuA, p. 132.

    28 Une Maison. Un Palais, p. 12.

    29 Il existe de nombreuses occurrences de cette formule, ainsi que de nombreuses variantes, qui mériteraient un traitement pour elles-mêmes. Bien que Le Corbusier affirme à de nombreuses reprises avoir introduit cette formulation complète en 1919 dans L’Esprit Nouveau, on peut tout de même noter une occurrence extrêmement précoce de l’expression de « volumes sous la lumière » dans une lettre à L’Eplattenier datant de 1911. Voir Lettres à L’Eplattenier, p. 252 : « la nouvelle tendance aujourd’hui […] créer les volumes qui jouent sous la lumière en rythmes à base géométrique, joie de la forme enfin retrouvée pour le régal des yeux ».

    30 « Les Tendances de l’architecture rationaliste en rapport avec la collaboration de la peinture et de la sculpture » : « La notion de “jeu” impliquait donc le fait d’une intervention personnelle illimitée, puisque le jeu doit se jouer par toute personne mise en présence de l’objet. Cette notion de “jeu” affirmait l’existence du créateur du jeu, de celui qui avait fixé la règle, qui, par conséquent, avait inscrit dans cet objet une intention formelle et discernable. »

    31 La présence de la lumière au sein de cette définition si ramassée est bien évidemment essentielle et pas seulement pour des raisons purement physiques liées au fait que les volumes architecturaux et le jeu des rapports, pour être perçus par l’homme, doivent être visibles. Voir par exemple Précisions, p. 132 : « la lumière est pour moi l’assiette fondamentale de l’architecture. Je compose avec la lumière ». Ou encore, de manière bien plus importante, dans Précisions toujours, p. 232 : « J’ai, à chaque instant, fait appel à la lumière, matériellement autant que spirituellement. Matériellement : il faut voir jour pour apprécier. Apprécier, c’est juger, c’est intervenir spirituellement. »

    32 VuA, p. 113.

    33 Le terme désigne une substance dont la matérialité est constatée, mais dont le poids spécifique échappe à nos déterminations (fluides impondérables) ; ou encore, dans le cadre de notre discussion, le terme renvoie à un élément spirituel que l’on ne peut mesurer, mais dont l’effet est néanmoins puissant.

    34 VuA, p. 133 : « Ne pas affirmer avec trop de certitude que les masses suscitent leur homme. Un homme est un phénomène exceptionnel. »

    35 Une Maison. Un Palais, p. 48.

    36 C’est tout le sens de Vers une architecture et de ses chapitres indiquant soit des leçons à tirer du passé (pour l’avenir) ou nous incitant à revenir aux éléments et aux constituants premiers et véritables de l’architecture (volume, surface, plan).

    37 Le Corbusier aura prouvé lui-même qu’un simple cabanon était amplement suffisant.

    38 Le Corbusier a très rigoureusement dissocié la question de la qualité architecturale de celle de la noblesse des matériaux. Il obéit pour ainsi dire au « principe de Diogène » : « le grand art vit de moyens pauvres », aime-t-il à répéter. Citons ici, parmi d’innombrables autres possibilités, ces quelques mots dans Précisions, p. 76 : « Et que vous mesuriez que cet essentiel architectural est dans la qualité de votre choix, dans la force de votre esprit et non pas du tout dans des matières riches, des marbres ou des bois rares, ni dans des ornements dont le rôle n’existe qu’en dernier ressort. »

    39 Une Maison. Un Palais, p. 44.

    40 VO, p. 94-96.

    41 L’opposition première entre raison et passion, entendement et sensibilité se voit du même geste immédiatement relativisée, si tant est que ces qualités doivent coexister dans un seul et même esprit, celui de l’architecte véritable. Ce en quoi Le Corbusier se différencie de manière décisive du « rationalisme bêta » que l’on voudrait parfois lui attribuer, de ce « rationalisme technicien » qui ne prendrait en compte que la dimension fonctionnelle et efficace du phénomène architectural : « Le sentiment domine. Le sentiment n’est jamais anéanti par la raison. La raison apporte au sentiment les moyens épurés par lesquels celui-ci s’exprime essentiellement » (ADA, p. 170). La rationalité technique de l’ingénieur n’est donc pas du tout le contraire du sentiment artistique, selon une conception ridicule du rapport entre art et technique (et selon une opposition binaire qui n’a jamais eu aucune réalité dans une œuvre d’art quelconque), mais par la résolution des problèmes fondamentaux de statique et de résistance, celui-ci libère et ouvre un champ illimité à l’expression de la créativité de l’artiste. C’est aussi oublier à quel point l’imagination est également à l’œuvre chez le technicien, cela au nom d’une fausse conception de l’utilité ; à l’inverse, Le Corbusier, sans rien nier des différences entre l’artiste et l’ingénieur, affirme dans leurs œuvres respectives la présence d’un même génie humain, en l’espèce d’une imagination rationnelle : « On peut donc affirmer que l’avion a mobilisé l’invention, l’intelligence et la hardiesse : l’imagination et la raison froide. Le même esprit a construit le Parthénon » (VuA, p. 85).

    42 Précisions, p. 69.

    43 VuA, p. 165.

    44 Ibid., p. 174.

    45 « Architecture et purisme », p. 39.

    46 VuA, p. 123.

    47 VuA, p. 7.

    48 Ibid., p. 9.

    49 Ibid., p. 121.

    50 Comme le dit Le Corbusier lui-même : « Il faut faire passer le lyrisme dans les matériaux, les ployer, les plier au service du dessein. » Ou encore : « L’intelligence et la passion. Il n’est pas d’art sans émotion, pas d’émotion sans passion. Les pierres sont inertes, dormantes dans les carrières, et les absides de Saint-Pierre font un drame. »

    51 Pierre Litzler, La poésie des rapports, Paris, Economica, 2005.

    52 Ronchamp, une chapelle de lumière, p. 12 : « l’architecture n’est pas une affaire de colonnes mais affaire d’événements plastiques. Les événements plastiques ne se règlent pas par des formules scolaires ou académiques, ils sont libres et innombrables ».

    53 VuA, p. 133.

    54 ADA, p. 211 : « Le provocateur d’émotion est un complexe de formes assemblées en un rapport précis. »

    55 Entretien, p. 155-156.

    56 Une Maison. Un Palais, p. 78 : « Voici l’unique outil de mesure des choses de l’architecture ; un homme est debout, regardant et subissant les courses aventureuses de votre crayon traçant des plans et des coupes. Ces plans et ces coupes qui n’ont de raison d’être que parce que des hommes en subiront l’effet. »

    57 Dans Précisions, p. 230-231, Le Corbusier s’adresse à un jeune apprenti architecte : « Maintenant que j’ai fait appel à ton esprit de vérité, je voudrais te donner, à toi étudiant d’architecture, la haine du dessin. Car le dessin, ce n’est que couvrir de choses séduisantes une feuille de papier ; ce sont les “styles” ou les “ordres” ; ce sont les modes. L’architecture est dans l’espace, en étendue, en profondeur, en hauteur : c’est volume et c’est circulation. L’architecture se fait dans la tête. »

    58 VuA, p. 143.

    59 VuA, p. 157 : « On n’a pas compté avec les éléments architecturaux de l’intérieur qui sont des surfaces qui se joignent pour recevoir la lumière et accuser des volumes. On n’a pas pensé en architecture, mais on a fait des étoiles sur du papier. »

    60 Entretien, p. 156-157.

    61 Précisions, p. 74-76 : « Nous voici impressionnés par telle grandeur de pièce succédant à telle autre, par telle forme de pièce succédant à telle autre. Là est l’architecture ! Et suivant la manière dont vous entrez dans une pièce, c’est-à-dire suivant la situation de la porte dans le mur de la pièce, la commotion sera différente. Là est l’architecture ! Mais comment recevez-vous la commotion architecturale ? Par l’effet des rapports que vous percevez. Ces rapports sont fournis par quoi ? Par des choses, par des surfaces que vous voyez et vous les voyez parce qu’elles sont éclairées. […] Lumière sur formes, intensité lumineuse spécifique, volumes successifs, agissent sur notre être sensible, provoquent des sensations physiques, physiologiques. […] Cette horizontale ou cette verticale, cette ligne en dents de scie brutalement brisée, ou cette molle ondulation, cette forme fermée et centrique du cercle ou du carré, voici qui agit profondément sur nous et détermine nos sensations. Rythme, diversité ou monotonie, cohérence ou incohérence, surprise ravissante ou décevante, saisissement joyeux de la lumière ou froid de l’obscurité, quiétude de la chambre éclairée ou angoisse de la chambre pleine de coins d’ombre, enthousiasme ou dépression, voilà les résultats de ces choses […] par suite d’impressions auxquelles nul ne peut se soustraire. »

    62 Ronchamp, une chapelle de lumière, p. 26.

    63 Le Corbusier rapporte lui-même une telle expérience dans son Poème de l’angle droit : « Ici est un lieu où l’homme s’arrête, parce qu’il y a symphonie totale, magnificence des rapports, noblesse. »

    64 Entretien, p. 162.

    65 Le Modulor, p. 29.

    66 Ibid., p. 131 : « Mon travail, architecture et peinture, est depuis plus de trente années nourri de sève mathématique, puisqu’en moi la musique est toujours présente. »

    67 ADA, p. 86.

    68 VuA, p. 35.

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    1 ADA, p. 146.

    2 VuA, p. 77.

    3 Lettres à Auguste Perret, p. 227.

    4 « Architecture et Purisme », p. 40.

    5 Ibid., p. 41.

    6 Ibid., p. 40.

    7 VuA, p. 175.

    8 Ibid., p. 13 : « Opérant par le calcul, les ingénieurs usent de formes géométriques, satisfaisant nos yeux par la géométrie et notre esprit par la mathématique ; leurs œuvres sont sur le chemin du grand art. »

    9 ADA, p. 85 : « l’art nous est nécessaire, c’est-a-dire une passion désintéressée qui nous élève ». Ou encore p. 120 dans le même ouvrage : « Art toujours. L’art est inséparable de l’être, véritable puissance indissoluble d’élévation apte à donner un bonheur pur. […] Il jalonne cet espace qui sépare le moment où la nature immense et dominatrice écrase, de celui où dans la sérénité acquise, l’on conçoit cette nature et où l’on travaille en harmonie avec sa loi ; passage de l’âge de sujétion à l’âge de création. »

    10 VuA, p. 86.

    11 Ibid., p. 186.

    12 Le Corbusier, bien qu’il reconnaisse le caractère salutaire de la tendance fonctionnaliste, n’a jamais souscrit à ce nouveau « dogme » (dans Vers une architecture, p. 8, il dénonce les architectes qui « discutent surabondamment de structure »), insistant toujours sur la nécessité de penser la question de l’art architectural, sans pour autant que la dimension artistique de l’architecture ait quelque chose à voir avec la simple application de critères décoratifs. Citons ici par exemple l’article « L’urbanisme et le lyrisme des temps nouveaux » : « Ma modeste contribution personnelle à l’élaboration du plan fut donc toujours alimentée par cette croyance tenace : la poésie. […] Je souffrais de ces exégèses borgnes : “son rationalisme”, “son fonctionnalisme”, “son jacobinisme impénitent”, “son raisonnement implacable”… etc. Je savais que, de toujours, un autre mobile m’actionnait. » Pensons encore à cet autre passage de l’Entretien où, évoquant le concept de « ville radieuse », l’architecte souligne que « le mot de “radieux” ne s’y trouvait pas fortuitement : il déborde le fonctionnel. […] Cette œuvre déborde les questions de technique (rationalisme et fonctionnalisme) […] mais il était regrettable de scinder le moderne en deux camps adverses, dont l’un proclame : Construire d’abord et l’autre : l’Architecture est le jeu savant, correct, etc. »

    13 « Ce qui signifie, pour le moins, qu’elle déborde de beaucoup le fief de l’ingénieur. »

    14 Une Maison. Un Palais, p. 32 : « Cette liaison des fonctions utilitaires, petites ou grandes et d’un potentiel émotif petit ou grand – fusion de deux intentions étrangères – s’exprime en une règle de coordination manifestée dans des objets ; nous les appelons des organismes. Et tout dans l’univers fonctionnant, nous apparaît organique. »

    15 Ibid., p. 4.

    16 L’expression est d’ailleurs utilisée par Le Corbusier lui-même dans l’article « L’urbanisme et le lyrisme des temps nouveaux », Le Corbusier. Un homme à sa fenêtre, op. cit., p. 92 : « La chose considérée, c’est le bien de l’homme. […] Question d’utilité ? Oui, mais de la grande utilité. »

    17 Le Corbusier insiste à de multiples reprises sur le caractère nécessaire de ces seconds besoins, dès lors que nous considérons dans la sphère du besoin ce qui relève du spécifiquement humain et non simplement ce qui nous ramène à ce que nous partageons avec les autres animaux. Citons ici par exemple ce passage d’Une Maison – Un Palais, p. 28 : « C’est après cette mise en ordre raisonnable et indispensable rassasiant la raison, que peuvent intervenir des émotions qu’on appellerait superflues si nous n’avions, qui provoque nos actes et conduit nos destinées, une passion dont l’assouvissement est aussi impératif que le sont les besoins de notre animal, – la soif ou la faim. »

    18 Une Maison. Un Palais, p. 3 : « Une maison est pour servir ; et à quoi ? abri, froid, chaud, etc.? Aussi, n’est-ce pas à satisfaire les besoins supérieurs qui sont en chacun (sensibles, c’est précisément vous qui niez la sensibilité !). Quelle mécanique déclenchera cette “jouissance” au-dessus du terre à terre ? »

    19 Dans ce qui suit, nous faisons usage d’une distinction traditionnelle en logique philosophique entre, d’une part, l’extension d’un concept entendue comme le nombre d’objets concernés par celui-ci et, d’autre part son intension, c’est-à-dire le nombre de qualités possédées par le concept. Il faut donc veiller à ne pas confondre ici intension et intention (comme visée subjective, but que l’on propose à l’action, etc.).

    20 Une Maison. Un Palais, p. 1-2.

    21 Cette « clause » semble indispensable pour bien délimiter les domaines de l’architecture et ceux d’autres formes d’art non essentiellement fonctionnelles ou utilitaires (peinture, sculpture, poésie, etc.).

    22 Précisions, p. 69-71.

    23 VuA, p. 9.

    24 Ibid., p. 121.

    25 Une Maison. Un Palais, p. 2.

    26 Précisions, p. 158 : « C’est alors que tout ce qui sert, tout ce qui est utile est dépassé. Un événement déborde : la création. Phénomène de lyrisme et de sagesse qui s’appelle la beauté. »

    27 VuA, p. 132.

    28 Une Maison. Un Palais, p. 12.

    29 Il existe de nombreuses occurrences de cette formule, ainsi que de nombreuses variantes, qui mériteraient un traitement pour elles-mêmes. Bien que Le Corbusier affirme à de nombreuses reprises avoir introduit cette formulation complète en 1919 dans L’Esprit Nouveau, on peut tout de même noter une occurrence extrêmement précoce de l’expression de « volumes sous la lumière » dans une lettre à L’Eplattenier datant de 1911. Voir Lettres à L’Eplattenier, p. 252 : « la nouvelle tendance aujourd’hui […] créer les volumes qui jouent sous la lumière en rythmes à base géométrique, joie de la forme enfin retrouvée pour le régal des yeux ».

    30 « Les Tendances de l’architecture rationaliste en rapport avec la collaboration de la peinture et de la sculpture » : « La notion de “jeu” impliquait donc le fait d’une intervention personnelle illimitée, puisque le jeu doit se jouer par toute personne mise en présence de l’objet. Cette notion de “jeu” affirmait l’existence du créateur du jeu, de celui qui avait fixé la règle, qui, par conséquent, avait inscrit dans cet objet une intention formelle et discernable. »

    31 La présence de la lumière au sein de cette définition si ramassée est bien évidemment essentielle et pas seulement pour des raisons purement physiques liées au fait que les volumes architecturaux et le jeu des rapports, pour être perçus par l’homme, doivent être visibles. Voir par exemple Précisions, p. 132 : « la lumière est pour moi l’assiette fondamentale de l’architecture. Je compose avec la lumière ». Ou encore, de manière bien plus importante, dans Précisions toujours, p. 232 : « J’ai, à chaque instant, fait appel à la lumière, matériellement autant que spirituellement. Matériellement : il faut voir jour pour apprécier. Apprécier, c’est juger, c’est intervenir spirituellement. »

    32 VuA, p. 113.

    33 Le terme désigne une substance dont la matérialité est constatée, mais dont le poids spécifique échappe à nos déterminations (fluides impondérables) ; ou encore, dans le cadre de notre discussion, le terme renvoie à un élément spirituel que l’on ne peut mesurer, mais dont l’effet est néanmoins puissant.

    34 VuA, p. 133 : « Ne pas affirmer avec trop de certitude que les masses suscitent leur homme. Un homme est un phénomène exceptionnel. »

    35 Une Maison. Un Palais, p. 48.

    36 C’est tout le sens de Vers une architecture et de ses chapitres indiquant soit des leçons à tirer du passé (pour l’avenir) ou nous incitant à revenir aux éléments et aux constituants premiers et véritables de l’architecture (volume, surface, plan).

    37 Le Corbusier aura prouvé lui-même qu’un simple cabanon était amplement suffisant.

    38 Le Corbusier a très rigoureusement dissocié la question de la qualité architecturale de celle de la noblesse des matériaux. Il obéit pour ainsi dire au « principe de Diogène » : « le grand art vit de moyens pauvres », aime-t-il à répéter. Citons ici, parmi d’innombrables autres possibilités, ces quelques mots dans Précisions, p. 76 : « Et que vous mesuriez que cet essentiel architectural est dans la qualité de votre choix, dans la force de votre esprit et non pas du tout dans des matières riches, des marbres ou des bois rares, ni dans des ornements dont le rôle n’existe qu’en dernier ressort. »

    39 Une Maison. Un Palais, p. 44.

    40 VO, p. 94-96.

    41 L’opposition première entre raison et passion, entendement et sensibilité se voit du même geste immédiatement relativisée, si tant est que ces qualités doivent coexister dans un seul et même esprit, celui de l’architecte véritable. Ce en quoi Le Corbusier se différencie de manière décisive du « rationalisme bêta » que l’on voudrait parfois lui attribuer, de ce « rationalisme technicien » qui ne prendrait en compte que la dimension fonctionnelle et efficace du phénomène architectural : « Le sentiment domine. Le sentiment n’est jamais anéanti par la raison. La raison apporte au sentiment les moyens épurés par lesquels celui-ci s’exprime essentiellement » (ADA, p. 170). La rationalité technique de l’ingénieur n’est donc pas du tout le contraire du sentiment artistique, selon une conception ridicule du rapport entre art et technique (et selon une opposition binaire qui n’a jamais eu aucune réalité dans une œuvre d’art quelconque), mais par la résolution des problèmes fondamentaux de statique et de résistance, celui-ci libère et ouvre un champ illimité à l’expression de la créativité de l’artiste. C’est aussi oublier à quel point l’imagination est également à l’œuvre chez le technicien, cela au nom d’une fausse conception de l’utilité ; à l’inverse, Le Corbusier, sans rien nier des différences entre l’artiste et l’ingénieur, affirme dans leurs œuvres respectives la présence d’un même génie humain, en l’espèce d’une imagination rationnelle : « On peut donc affirmer que l’avion a mobilisé l’invention, l’intelligence et la hardiesse : l’imagination et la raison froide. Le même esprit a construit le Parthénon » (VuA, p. 85).

    42 Précisions, p. 69.

    43 VuA, p. 165.

    44 Ibid., p. 174.

    45 « Architecture et purisme », p. 39.

    46 VuA, p. 123.

    47 VuA, p. 7.

    48 Ibid., p. 9.

    49 Ibid., p. 121.

    50 Comme le dit Le Corbusier lui-même : « Il faut faire passer le lyrisme dans les matériaux, les ployer, les plier au service du dessein. » Ou encore : « L’intelligence et la passion. Il n’est pas d’art sans émotion, pas d’émotion sans passion. Les pierres sont inertes, dormantes dans les carrières, et les absides de Saint-Pierre font un drame. »

    51 Pierre Litzler, La poésie des rapports, Paris, Economica, 2005.

    52 Ronchamp, une chapelle de lumière, p. 12 : « l’architecture n’est pas une affaire de colonnes mais affaire d’événements plastiques. Les événements plastiques ne se règlent pas par des formules scolaires ou académiques, ils sont libres et innombrables ».

    53 VuA, p. 133.

    54 ADA, p. 211 : « Le provocateur d’émotion est un complexe de formes assemblées en un rapport précis. »

    55 Entretien, p. 155-156.

    56 Une Maison. Un Palais, p. 78 : « Voici l’unique outil de mesure des choses de l’architecture ; un homme est debout, regardant et subissant les courses aventureuses de votre crayon traçant des plans et des coupes. Ces plans et ces coupes qui n’ont de raison d’être que parce que des hommes en subiront l’effet. »

    57 Dans Précisions, p. 230-231, Le Corbusier s’adresse à un jeune apprenti architecte : « Maintenant que j’ai fait appel à ton esprit de vérité, je voudrais te donner, à toi étudiant d’architecture, la haine du dessin. Car le dessin, ce n’est que couvrir de choses séduisantes une feuille de papier ; ce sont les “styles” ou les “ordres” ; ce sont les modes. L’architecture est dans l’espace, en étendue, en profondeur, en hauteur : c’est volume et c’est circulation. L’architecture se fait dans la tête. »

    58 VuA, p. 143.

    59 VuA, p. 157 : « On n’a pas compté avec les éléments architecturaux de l’intérieur qui sont des surfaces qui se joignent pour recevoir la lumière et accuser des volumes. On n’a pas pensé en architecture, mais on a fait des étoiles sur du papier. »

    60 Entretien, p. 156-157.

    61 Précisions, p. 74-76 : « Nous voici impressionnés par telle grandeur de pièce succédant à telle autre, par telle forme de pièce succédant à telle autre. Là est l’architecture ! Et suivant la manière dont vous entrez dans une pièce, c’est-à-dire suivant la situation de la porte dans le mur de la pièce, la commotion sera différente. Là est l’architecture ! Mais comment recevez-vous la commotion architecturale ? Par l’effet des rapports que vous percevez. Ces rapports sont fournis par quoi ? Par des choses, par des surfaces que vous voyez et vous les voyez parce qu’elles sont éclairées. […] Lumière sur formes, intensité lumineuse spécifique, volumes successifs, agissent sur notre être sensible, provoquent des sensations physiques, physiologiques. […] Cette horizontale ou cette verticale, cette ligne en dents de scie brutalement brisée, ou cette molle ondulation, cette forme fermée et centrique du cercle ou du carré, voici qui agit profondément sur nous et détermine nos sensations. Rythme, diversité ou monotonie, cohérence ou incohérence, surprise ravissante ou décevante, saisissement joyeux de la lumière ou froid de l’obscurité, quiétude de la chambre éclairée ou angoisse de la chambre pleine de coins d’ombre, enthousiasme ou dépression, voilà les résultats de ces choses […] par suite d’impressions auxquelles nul ne peut se soustraire. »

    62 Ronchamp, une chapelle de lumière, p. 26.

    63 Le Corbusier rapporte lui-même une telle expérience dans son Poème de l’angle droit : « Ici est un lieu où l’homme s’arrête, parce qu’il y a symphonie totale, magnificence des rapports, noblesse. »

    64 Entretien, p. 162.

    65 Le Modulor, p. 29.

    66 Ibid., p. 131 : « Mon travail, architecture et peinture, est depuis plus de trente années nourri de sève mathématique, puisqu’en moi la musique est toujours présente. »

    67 ADA, p. 86.

    68 VuA, p. 35.

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