Du bon usage des lieux communs, d’Aristote à la Renaissance
p. 23-47
Texte intégral
1En prenant le parti d’interroger le sens politique des lieux communs, on ne peut qu’être déçu de constater que l’une des premières occurrences connues de l’expression « lieux communs » dans un texte théorique n’a qu’un sens purement technique. Chez Aristote en effet, les différents « lieux » (topoi) seraient ce qui permet de trouver les différentes prémisses valides pour construire un raisonnement logique et créer de nouveaux arguments. Il n’appelle alors « communs » (koinoi) que les lieux suffisamment indéterminés pour pouvoir être utilisés indifféremment dans toutes les disciplines et être appliqués à diverses sortes de sujets. L’adjectif « commun » s’oppose dans ce cas pour Aristote à l’adjectif « spécifique » (idios) et n’aurait donc a priori aucune dimension politique1.
2Un tel constat ne fait que creuser davantage le fossé qui pourrait exister entre, d’un côté, le rôle purement scientifique que les « lieux » jouent dans la méthode de recherche exposée par Aristote, et de l’autre le sens politique que nous percevons aujourd’hui dans l’expression – que ce sens politique soit positif, comme à la Renaissance, quand les lieux communs renvoient à l’ensemble des formules gnomiques issues de la tradition commune et dignes de mémoire ; ou bien négatif, quand ils deviennent au xixe siècle synonymes de banalités sans pertinence2. On voudrait ici non pas développer le tableau esquissé en introduction des aléas du sens politique des lieux communs depuis la Renaissance, tantôt positif, tantôt négatif, mais plutôt regarder en amont pour tenter de saisir le moment où l’on passe du sens strictement scientifique des « lieux » à un sens proprement politique.
3Face à un tel questionnement sur l’origine de la « politisation » des « lieux », il convient d’emblée d’indiquer que c’est traditionnellement à Cicéron, dans ses traités rhétoriques, que l’on attribue cette inflexion majeure de la théorie des lieux d’Aristote. Loin de contredire cette analyse, il s’agirait plutôt ici de montrer brièvement que Cicéron ne fait qu’accentuer une tendance déjà bien présente chez Aristote, à cause des multiples rôles que ce dernier avait assignés à la méthode des lieux dans l’édification de sa philosophie. Nous voudrions de là faire l’hypothèse que cette réinterprétation postérieure de la théorie aristotélicienne a maintenu deux traditions d’usage différentes des lieux communs – l’une plus « politique », l’autre plus « scientifique ». Ces deux usages se seraient particulièrement entremêlés à la Renaissance, ce dont le Dictionnaire de Furetière garde encore la trace :
Lieu se dit figurément en choses spirituelles et morales. En Logique, en Rhetorique, on appelle lieux, certaines classes et distributions des qualitez ou circonstances des choses, qui sont les sources des arguments. C’est dont traitte Aristote en ses Livres des Topiques. Tout l’art de Raimond Lulle ne consiste qu’en la distribution dans plusieurs lieux ou cellules des choses qu’il évacuë l’une aprés l’autre pour épuiser tout ce qu’on peut dire sur un sujet.
C’est en ce sens que lieu signifie raison, et moyen. Il y a lieu de croire cette proposition par telle et telle raison. J’ay lieu, j’ay occasion de vous servir par tels et tels moyens. Il y a lieu d’esperer quelque chose de bon de ce jeune homme.
On dit dans le même sens, En premier lieu, en second lieu, en troisiéme lieu, quand on divise ses raisons, les points de ses matieres en plusieurs articles, pour les traitter methodiquement et l’un aprés l’autre.
Lieu se dit aussi des sentences et edits notables des Anciens, et des choses les plus remarquables qu’on extrait des Livres : et c’est en ce sens qu’on appelle lieux communs, les recueils qu’on fait des plus beaux passages des Auteurs. Voilà un lieu singulier de St. Augustin. Cette decision se trouve en un lieu estranger, traittée hors de son sujet. Le Polianthea est un grand recueil de lieux communs. Lycosthene a fait des lieux communs d’Apophthegmes et de similitudes. Zuinger les a augmentez, et en a fait plusieurs Tomes3.
4D’un côté l’organe de la raison qui divise les problèmes en « classes » et de l’autre les beaux tours et les belles maximes dignes de mémoire. Il ne s’agira cependant pas de résumer la très complexe histoire de la notion de « lieu », mais de reconsidérer quelques grandes étapes de cette évolution du point de vue des aspects politiques de la question, c’est-à-dire de comprendre comment les lieux communs entrent dans la rhétorique et quelles en sont les conséquences. On examinera ainsi d’abord la façon dont Aristote négocie dans son système les tensions entre une vocation scientifique des lieux et une vocation politique. Puis on va essayer de montrer comment Cicéron, lecteur d’Aristote, parvient à remonter d’un usage strictement politique des lieux à un usage plus scientifique. Enfin dans un dernier temps les enjeux du système de Cicéron, qui servira de modèle pour les « humanistes », devraient permettre de rendre compte de certaines ambivalences dans les usages des lieux communs tels qu’ils sont préconisés à la Renaissance.
Aristote : dialectique et rhétorique des lieux communs
Les lieux, de la science à la dialectique
5Comme on l’a évoqué précédemment, ce qu’Aristote appelle « lieu » – notion qu’il ne définit jamais précisément d’ailleurs – se présente avant tout comme un outil de recherche à vocation scientifique. En effet, les lieux seraient tout d’abord une sorte de crible logique issu des catégories de l’être (substance, quantité, relatif, etc.) et des prédicats du langage (genre, accident, etc.). Le crible des lieux serait ce qui permet d’appréhender rationnellement un objet donné et de garantir la validité d’un raisonnement par syllogisme. Aristote assimile le « lieu » au « point de vue » à partir duquel on examine une question4. Aussi, de manière générale, les lieux servent de grammaire et de fondement à la rationalisation du savoir et peuvent être rapprochés de la notion d’« éléments » en physique ou en mathématiques5. Les lieux permettent de systématiser la recherche scientifique, en fondant une méthode générale valide quel que soit le domaine concerné. Aristote rappelle ainsi au début de ses Topiques :
Le présent traité se propose de trouver une méthode qui nous rendra capables de raisonner déductivement, en prenant appui sur des idées admises sur tous les sujets qui peuvent se présenter […] Mais on peut encore en attendre un service de plus, qui intéresse les notions premières de chaque science. […] de fait, sa vocation examinatrice lui ouvre l’accès des principes de toutes les disciplines6.
6Si la méthode des lieux occupe ici une place de premier ordre dans la recherche scientifique7, toutefois, par rapport aux autres traités de logique que sont les Catégories, De l’interprétation, les Premiers et Seconds Analytiques (qui partent d’une approche linguistique des modalités de l’être pour élaborer la démonstration logique par syllogisme), les Topiques semblent introduire une rupture. En effet, dans les Topiques, la méthode élémentaire des lieux n’a pas vocation à s’appliquer in petto, dans l’esprit du philosophe, mais doit être insérée dans ce qu’Aristote appelle la « dialectique », c’est-à-dire dans l’espace concret d’un dialogue entre deux interlocuteurs, un questionneur et un répondant qui débattent d’un problème8. La dialectique fait sortir le savoir d’une appréhension immédiate et absolue, déliée des conditions de sa découverte et de toute situation d’énonciation. Dans un passage fameux du début des Topiques, Aristote oppose ainsi deux types de raisonnement syllogistique :
Un raisonnement déductif (sullogismos) […] est une démonstration lorsque les points de départ de la déduction sont des affirmations vraies et premières […] ; c’est au contraire une déduction dialectique lorsqu’elle prend pour points de départ des idées admises. Sont vraies et premières les affirmations qui emportent la conviction non pour une raison extérieure à elles, mais par elles-mêmes (devant les premiers principes des connaissances, en effet, il n’est plus légitime de se poser encore la question de leur pourquoi : chacun d’eux, pris en lui-même, doit être totalement convaincant) ; sont des idées admises, en revanche, les opinions partagées par tous les hommes (endoxa), ou par presque tous, ou par ceux qui représentent l’opinion la plus éclairée, et pour ces derniers par tous, ou presque tous, ou par les plus connus et les mieux admis comme autorités9.
7La méthode dialectique est ainsi apparentée à la méthode scientifique sur la forme (celle du syllogisme), mais pas sur le fond. En effet, le syllogisme « scientifique » a pour point de départ des prémisses considérées comme vraies en soi, fondées comme des axiomes mathématiques ou physiques. En revanche, le syllogisme dialectique s’appuie sur des prémisses seulement admises ou autorisées par l’ensemble de la communauté politique ou par une fraction compétente de cette communauté. Le but de la dialectique est alors justement de faire s’entrechoquer des énoncés qui se contredisent entre eux afin de réfuter l’un et de confirmer l’autre10. Dans l’amas hétérogène des opinions reçues (endoxa), celles admises par « presque tous » peuvent contredire celles admises par « l’opinion la plus éclairée », et il faut parvenir à les départager, car conformément à une tendance très aristotélicienne, l’opinion autorisée ne l’emporte pas nécessairement sur le sens commun. Ainsi, face à des objets qui ne s’imposent pas de façon absolue, mais sont seulement a priori admissibles, il faut élaborer une épreuve d’admission la plus objective possible. Autrement dit, la dialectique s’impose pour les cas où l’élaboration d’un savoir doit passer par un intermède « politique » de rencontre avec l’autre. Elle se charge alors de subordonner les éventuels rapports de pouvoir au critère logique objectif que sont les lieux.
Les lieux, de la dialectique à la rhétorique
8Avec les Topiques d’Aristote, la dialectique se définit comme une réflexion non plus sur l’être mais sur l’opinion11. Cela permet de statuer sur des questions dont les réponses ne s’imposent pas de façon absolue, et notamment sur l’ensemble des activités humaines, considérées comme des données problématiques admises que l’on peut traiter à l’égal des données physiques ou logiques :
Parmi les prémisses [dialectiques], certaines sont éthiques, d’autres sont physiques, d’autres enfin sont logiques. Exemple de prémisse éthique : doit-on obéissance à ses parents plutôt qu’aux lois, en cas de discordance ? De prémisse logique : les contraires relèvent-ils ou non du même savoir ? Prémisse physique : le monde est-il éternel ou non ? La division est la même pour les problèmes. […] Ces questions doivent être traitées, au niveau philosophique, selon la vérité, mais dialectiquement au niveau de l’opinion12.
9Consentir à traiter dialectiquement de l’opinion permettrait ainsi de faire entrer les principes moraux dignes des dilemmes tragiques dans le champ des études scientifiques. Mais en acceptant d’affronter à part égale la nécessité de la nature et la contingence de l’action humaine, le dialecticien doit adapter la méthode des lieux. En effet, face à des phénomènes stables, les lieux permettent d’exhiber des relations stables. Mais face à des phénomènes accidentels, il faut trouver un moyen de produire des arguments valides le moins arbitrairement possible13. Or précisément à cause de cette contingence qui rend les choses difficiles à trancher en toute logique, les lieux utilisés pour appréhender les phénomènes accidentels impliquent la formulation de maximes de « préférence14 ». Dès lors, les lieux ne servent plus seulement à définir ce qui est logiquement valide, mais aussi ce qui semble éthiquement valable. L’ambition de traiter dialectiquement des affaires humaines donne ainsi naissance à des « maximes », au plus près du sens actuel : des énoncés généraux prescrivant des constantes dans le monde humain.
10Cette décision épistémologique d’appliquer la méthode des lieux dans le monde sublunaire a pour conséquence de faire sortir la dialectique des questions purement théoriques pour l’importer dans le domaine pratique, où l’objectivité est en question15. Cette exportation se traduit par une seconde « politisation » des lieux, et par un risque de glissement dans le royaume de la rhétorique, qu’Aristote définit fameusement comme
le rejeton de la dialectique, ainsi d’ailleurs que de l’étude des caractères [c’est-à-dire l’éthique], qu’il est légitime de nommer politique. De là vient également que la rhétorique, et ceux qui en revendiquent la possession, revêtent le costume de la politique […]. C’est en effet comme une partie de la dialectique et elle lui ressemble, comme nous l’avons déjà dit en commençant, car elles ne sont ni l’une ni l’autre, sur un objet délimité, la science de ce qu’il est, mais certaines capacités à produire des arguments16.
11Si la production d’arguments convaincants est bien commune à la dialectique et à la rhétorique, toutefois le changement de situation d’énonciation modifie le statut de ces arguments. En effet, en faisant passer la méthode des lieux de l’art du dialogue à celui du discours, Aristote laisse pleinement se déployer les enjeux de pouvoir sous-jacents de la dialectique. Avec la rhétorique, le statut de ce qui est donné au départ change fondamentalement : le donné n’est plus soumis à l’évaluation de l’auditeur, mais tente de s’imposer comme un fait déjà là à un auditoire passif qui n’est plus appelé à répondre. Les diverses opinions admises ne sont plus ce que l’on étudie, comme dans la dialectique, mais un fonds dans lequel l’orateur peut puiser à loisir pour produire un grand discours, faire valoir son point de vue et servir ses intérêts. Autrement dit, en posant comme certain ce que le dialecticien ne faisait que proposer ou supposer, en figeant le mouvement du raisonnement et en précipitant les conclusions, l’orateur tronque le dialogisme inhérent de la dialectique au profit d’un point de vue monologique.
Les lieux, de la rhétorique à la sophistique
12En raison du manque de compétence de l’auditoire, Aristote recommande à l’orateur d’éviter d’être long et de retirer l’échafaudage technique de ses raisonnements logiques. Il faut éviter dans un discours la partie aride des syllogismes dialectiques, c’est-à-dire leur arrimage sur les catégories de l’être et les prédicats du langage, afin de ne constituer que des syllogismes plus simples : les enthymèmes17. L’orateur doit éviter la sécheresse du raisonnement et privilégier l’expression directe des opinions admises, car elles sont susceptibles de flatter l’auditoire qui la partage. L’orateur ne doit donc pas être avare de formulations gnomiques plus ou moins admises sur la nature de l’activité humaine : les maximes.
La maxime (gnômè) est une assertion portant non pas sur le particulier – par exemple quelle sorte d’homme est Iphicrate –, mais sur le général, et non pas sur tous les sujets – par exemple sur le fait que le droit est le contraire du courbe –, mais sur tout ce qui est du domaine de l’action et des choix, positifs ou négatifs, en matière d’action. Par conséquent – puisque les enthymèmes se ramènent pratiquement au syllogisme sur les questions de cette nature –, les conclusions ainsi que les prémisses des enthymèmes ne sont autres, une fois le [raisonnement déductif] enlevé, que des maximes18…
13Alors que la dialectique n’entrevoit l’énoncé gnomique à vocation pratique que pour en interroger la validité, la rhétorique au contraire en fait un usage flatteur pour confirmer implicitement les valeurs partagées par l’auditoire19. En effet, dans le syllogisme dialectique, la proposition qui sert de conclusion n’est validée qu’à deux conditions : si la prémisse est admise comme opinion (endoxon) et si un crible logique (topoi) garantit la cohérence de l’inférence. Par ce moyen, la conclusion, même si elle n’est pas une opinion reçue (paradoxon), est validée et pourra servir de prémisse à un autre syllogisme, et ainsi de suite. En revanche, dans l’usage rhétorique de la maxime, le raisonnement formel cesse d’être une condition de validité. Autrement dit, la conviction dans la dialectique, en restant tributaire des « topoi », est davantage indépendante des croyances et des préjugés de l’interlocuteur que dans la rhétorique20.
14En dernière analyse, cette opposition entre, d’un côté, un usage dialectique de l’opinion qui la met à mal en exhibant ses conditions et en progressant par interrogations21, et de l’autre, un usage rhétorique qui exhibe la maxime pour elle-même, pourrait être analysée à travers la « problématologie » de Michel Meyer22. Pour ce dernier, si la pensée est essentiellement dialogique avant d’être monologique, si elle soulève des problèmes avant d’asserter des réponses, alors toute réponse assertive revient à court-circuiter la dynamique de l’activité « questionnante » qui fonde la quête philosophique. Dans cette perspective, une assertion n’est que le résultat d’une unification et d’une stabilisation bancale de cette dynamique, qui ne se maintient qu’en parvenant à faire oublier la question qui l’a vu naître, c’est-à-dire en dissimulant tout ce qu’il y avait de problématique. Cette dissimulation de l’« interrogativité » sous-jacente de la pensée par le discours peut alors être considérée comme l’effet même de l’idéologie23.
15L’idéologie de la maxime (gnômè) consisterait ainsi à faire oublier son origine « doxique ». Séparée des topoi qui la validait sous conditions, la maxime fait oublier le point de vue d’où on la tire24. Elle se pose de façon inconditionnelle, elle se réifie et devient une chose qui tient par elle-même. Produite par la technique mais « naturalisée », elle peut rivaliser avec les preuves « extra-techniques » (atekhnoi). Ce faisant, elle se substitue aux lieux logiques (topoi koinoi) qui auraient légitimé son existence pour devenir elle-même un « lieu ». Non plus un « lieu commun » logique au sens de la dialectique, mais un « lieu commun » au sens de la sophistique, c’est-à-dire une opinion répandue et banale qui sert à emporter rapidement l’adhésion grâce à l’emploi de raisonnements préfabriqués. L’effet idéologique, qui substitue le résultat au processus25, aurait donc finalement opéré ici par métonymie en transférant le mot « lieu » du crible rationnel à l’opinion banalisée26.
Cicéron : topique et idéal politique
16La doctrine aristotélicienne des lieux a connu une très large postérité dans l’antiquité, chez les philosophes autant que chez les rhéteurs. Mais il appartient sans doute à Cicéron de lui avoir donné une forme préférentiellement « rhétorisante ». On considère en effet qu’avec Cicéron, les lieux basculent entièrement dans la rhétorique : ils ne désignent alors plus tant le crible général vide applicable à tout type de raisonnement, qu’une collection de thèmes généraux dans lesquels on range des maximes qui serviront à composer des discours. Ils se remplissent, se réifient et perdent leur caractère interrogatif27. Mais on fait ici l’hypothèse qu’il ne s’agit pas de la part de Cicéron d’une erreur d’interprétation de la topique aristotélicienne28, mais plutôt d’une tentative d’appliquer la méthode des lieux au domaine de l’éloquence judiciaire, tout en en limitant les conséquences idéologiques.
« Rhétorisation » de la topique cicéronienne
17En tant qu’avocat impliqué au plus haut point dans les dernières heures de la République romaine, formé tout autant à l’école d’Aristote que de la Nouvelle Académie, Cicéron s’inscrit avant tout dans la tradition philosophique de condamnation des sophistes qui considèrent la rhétorique comme un art de la manipulation. Son entreprise peut être alors interprétée comme la volonté d’un retour partiel à l’idéalisme platonicien à l’intérieur même de la topique aristotélicienne. Cependant, à la différence de ses modèles grecs, sa démarche est bornée de l’autre côté de l’échiquier philosophique par le développement exceptionnel de la dialectique chez les philosophes stoïciens. Contre cette dialectique jugée trop abstraite et éloignée de l’art de discourir29, Cicéron place résolument ses Topiques dans le domaine de l’action :
Toute méthode exacte de discussion (ratio diligens disserendi) comporte deux parties, trouver [les arguments] et juger de leur valeur ; dans les deux cas, Aristote me semble vraiment avoir montré la voie. Les stoïciens se sont appliqués à la seconde partie. Ils ont en effet parcouru très exactement toutes les avenues du jugement, dans la science qu’ils appellent dialectique (dialectikèn). Mais l’art de trouver [les arguments], nommé topique (topikè), préférable dans la pratique et, dans l’ordre naturel, assurément le premier, ils l’ont complètement laissé de côté30.
18Cette redéfinition par Cicéron du rôle de la topique comme art de produire plutôt que comme science de juger présente cependant un risque d’instrumentalisation rhétorique. En effet, le recentrement de la topique sur le seul domaine du discours fait ressortir la tension latente entre dialectique et rhétorique chez Aristote. Cicéron reprend d’ailleurs l’idée d’une sorte de continuum qui permet de passer de l’une à l’autre dans les deux sens, s’inscrivant explicitement en cela dans l’héritage stoïcien d’une différence de degré et non de nature :
Zénon [de Citium], le fondateur de l’école stoïcienne, avait coutume de montrer avec sa main la différence qu’il y avait entre ces deux disciplines : ayant fermé les doigts et serré le poing, telle était, disait-il, la dialectique ; mais quand il avait étendu les doigts et ouvert la main il disait que la paume donnait alors l’image de l’éloquence. Avant lui Aristote dit aussi, au commencement de son traité de la rhétorique, que cet art fait en quelque sorte le pendant de la dialectique de telle manière, à ce qu’il faut entendre, que la différence entre elles est que l’art de dire est plus large (ratio dicendi latior), celui de parler plus serré (loquendi contractior)31.
19À la sécheresse du dialecticien scrupuleux manipulant les « topoi koinoi » et les prédicats du langage diffèrent ainsi par degré l’abondance et la généralité des arguments de l’orateur ayant à sa disposition le vaste réservoir des lieux spécifiques32. Cet ample répertoire lui permet en effet de pallier d’éventuels manques d’imagination et de créer une abondance (copia) d’arguments vraisemblables – lesquels, dans l’impossibilité d’avoir jamais une certitude absolue sur la nature des faits incriminés, suffiront à produire de la conviction, pour peu que l’orateur sache agiter les lieux les plus sensibles pour chaque question. Comme le souligne Francis Goyet, cette technique de l’amplification oratoire donne à l’orateur talentueux un accès privilégié à la communauté politique33.
20Contre l’aridité sans éloquence des stoïciens qui leur ferme les portes du forum, un bon orateur saura parler avec une langue abondante et mobiliser des opinions reçues pour obtenir l’approbation. Cette aptitude à produire pléthore d’arguments vraisemblables pourra même l’aider à faire passer les opinions les plus irrecevables – petit jeu auquel Cicéron s’adonne d’ailleurs dans ses Paradoxes des stoïciens :
Pour moi, ces fameuses propositions mêmes que les Stoïciens ont de la peine à rendre probables dans la tranquillité studieuse de leurs écoles, à ton intention je me suis fait un jeu de les mettre en lieux communs (in communes locos). Comme elles surprennent et heurtent l’opinion courante (ils les appellent eux-mêmes des « paradoxes »), j’ai voulu essayer de voir si elles pouvaient être produites au grand jour, c’est-à-dire au forum, et s’exprimer de façon à devenir probables, ou si le langage des gens instruits diffère de celui du peuple34.
21Face à un peuple qui répugne au jargon philosophique, Cicéron recommande de « mettre en lieux communs », c’est-à-dire d’amplifier son discours pour rendre vraisemblable un propos a priori non « doxique » en l’entourant de maximes célèbres, de sentences, d’exemples connus puisés dans l’histoire et de jugements d’expérience. L’orateur doit donc avoir à sa disposition un réservoir de portraits et de sentences morales à appliquer au caractère des personnes incriminés, au nom de la régularité des passions humaines35.
22Cependant cet art des « lieux communs », qui permet à un individu singulier de submerger irrésistiblement son auditoire et de ravir l’approbation de la communauté, est à double tranchant, et peut tomber dans la sophistique à partir du moment où la recherche de l’effet prime sur la légitimité de la cause36. La technique de l’amplification oratoire n’est pas naturellement cantonnée aux causes indubitablement justes37. Mais plutôt que de condamner radicalement ce pouvoir de rendre probables des opinions improbables et orthodoxe l’hétérodoxe, Cicéron relève le défi de le mettre au service de la justice contre les intérêts privés. Autrement dit, pour ne pas abandonner aux seuls sophistes ce pouvoir éminemment politique d’instituer de nouvelles opinions admises (endoxa), de modifier le donné et d’insinuer du consensus autant que du dissensus, il faut que l’« opinion éclairée » (tois sophois) l’assume. Ni sophiste bavard ni stoïcien obscur, il faut parvenir néanmoins à parler en philosophe au forum38.
Dialectisation de la topique cicéronienne
23Dans ses aspects les plus rhétoriques, la topique cicéronienne semble insister moins sur la fonction judicative qui évalue les arguments (la science du jugement chère aux Stoïciens) que sur la fonction inventive qui utilise les lieux communs pour produire une abondance d’arguments vraisemblables. Cependant pour ne pas abandonner l’éloquence judiciaire aux manipulations des orateurs habiles, Cicéron entreprend parallèlement d’utiliser la capacité de la topique à tester la validité d’une proposition dans le domaine du droit. Il restreint ainsi l’universalité des domaines d’application de la méthode des lieux (éthique, logique, physique) aux seules questions pratique du droit.
24Cependant, contrairement aux phénomènes naturels, qui font toujours miroiter la possibilité d’une science objective, qui subsumerait les données empiriques dans un système de part en part rationnel qu’il suffirait d’exhiber, les textes juridiques ne se laisseraient pas facilement appréhender par un crible purement rationnel. En effet, le droit romain à l’époque de Cicéron forme un ensemble particulièrement hétérogène de maximes réunies par la tradition. Il n’est pas fondé sur des principes posés a priori, mais institué empiriquement à partir de différents cas particuliers faisant jurisprudence. Moins rationnel que raisonnable, il fait donc reposer sa validité sur une confiance de fait dans l’institué, comme un décret de foi39.
25Dans cette mesure, toute tentative d’appliquer la méthode aristotélicienne des lieux au droit romain met en conflit l’apodicticité des « topoi koinoi » comme crible rationnel issu des catégories et des prédicats, et l’apodicticité des maximes et sentences juridiques héritées de la tradition. La topique cicéronienne doit ainsi abdiquer en partie cette « interrogativité » qui caractérisait la dialectique chez Aristote. Comme ce n’est pas une opinion populaire mais une maxime de droit que l’orateur prend pour point de départ, le but du débat judiciaire ne peut pas être de la remettre en cause. Le droit étant consubstantiel au consensus politique, il ne peut pas être soumis à la question, car les simples avocats n’ont pas la qualification pour modifier les principes du droit institué. Cette impossibilité de détruire une maxime par une autre implique alors, non pas d’abandonner la topique, mais d’en transformer l’usage.
26En effet, le donné du droit romain ne pouvant être récusé, Cicéron donne pour but principal à sa topique de faire valoir parmi plusieurs schémas argumentatifs valides celui qui est le plus valable. Que toutes les lois soient efficientes de droit dans le domaine juridique n’implique pas qu’elles le soient de fait au même degré. La topique cicéronienne ne se propose donc plus de réfuter les maximes comme chez Aristote, mais plutôt de les hiérarchiser selon leur degré et le point de vue à partir duquel elles s’imposent au commun. Autrement dit, le crible des lieux évalue moins les contenus logiques de chaque maxime, que leur champ d’application et leur relation les unes par rapport aux autres (à partir d’entrées comme : genre, espèce, similitude, contradiction, etc.). Ainsi, entre deux raisonnements juridiques opposés, il s’agira de faire valoir par comparaison celui qui est « préférable », ce qui revient à mobiliser les lieux qui, chez Aristote, étaient les plus marqués idéologiquement comme on l’a vu40. La topique devient dès lors moins un crible de lieux vides qu’un classement des maximes faisant pleinement autorité, selon leur spécificité41. Cette transformation a pour ultime conséquence de donner une très grande importance à la qualification des faits empiriques en jeu dans chaque affaire42. L’orateur devra alors se munir d’un réservoir raisonné de schémas juridiques préfabriqués tenant à la nature des faits et à la connaissance des lois jurisprudentielles.
27C’est pourquoi Cicéron ne se contente pas de l’artifice édifiant du mythe pour allier l’éloquence et la sagesse43. Il exige une véritable éducation philosophique de l’orateur, et recommande à côté de l’étude de la nature humaine, celle de la science du droit – ce à quoi ses Topiques sauront servir44. L’application de la méthode des lieux communs au droit permettrait ainsi à l’orateur d’exercer son jugement personnel45, en saisissant les limites des domaines d’application de chaque loi, en résolvant leur potentielle contradiction et en évaluant quel schéma argumentatif est le plus proche de la justice46. Replacée dans l’horizon d’une connaissance scientifique, la topique exige une activité interrogative et une capacité de juger qui l’éloigne de la rhétorique de la production d’effets pour la rendre au giron de la dialectique47. Mais c’est une dialectique consciente du fonds idéologique et politiquement institué à partir duquel elle opère48.
Quelques usages ambivalents des lieux communs à la Renaissance
28Le rappel des tensions épistémologiques entre la dialectique et la rhétorique chez Aristote a permis de mettre en valeur deux usages particulièrement distincts des lieux communs, l’un plus scientifique, l’autre plus sophistique. La distinction entre les deux dépendrait en première analyse de la situation d’énonciation, entre le dialogue et le discours public. Cicéron hérite de cette tension mais la redéploie à l’intérieur même de l’art du discours. Les deux usages différenciés des lieux communs doivent à ses yeux être exploités à égalité par l’orateur pour produire un discours à la fois juste et persuasif. Entre les deux, c’est l’exercice d’un véritable art de juger qui jouerait un rôle discriminant49. La présentation comparée de ces deux systèmes devrait dès lors nous permettre de comprendre les enjeux et les termes dans lesquels se rejouent les débats autour des lieux communs à la Renaissance, soumis à une semblable tension entre dialectique et rhétorique.
Pédagogies du recueil de lieux communs
29Comme le rappelle la définition de Furetière donnée en introduction, l’expression « lieux communs » au pluriel a fini par désigner en elle-même à partir de la Renaissance un recueil de sentences et formules remarquables extraites des textes qui font autorité. Mais pour un même objet, plusieurs usages se superposent. En effet, parce que la dialectique et la rhétorique sont en relation d’analogie et, comme on a essayé de le montrer, en tension l’une par rapport à l’autre, ces recueils s’adressent tout autant au dialecticien qu’à l’orateur. Aristote assumait ainsi déjà la promotion de deux pratiques parallèles : sa Rhétorique recommandait à l’orateur de collecter tous les propos qui ont un air d’autorité afin de produire un discours abondant et convaincant50 ; ses Topiques de leur côté préconisaient au dialecticien de se confectionner un carnet de maximes et de propositions reçues sur chaque sujet afin de les utiliser dans un débat et de les soumettre à une interrogation dialectique :
Il faut encore recueillir des prémisses dans les livres, et dresser des tableaux pour chaque catégorie de sujets, avec des têtes de rubriques séparées, par exemple « le bien », ou « l’animal », « bien » devant être entendu dans toute son ampleur, en commençant par l’essence. On indiquera en marge, à chaque fois, le nom des tenants de ces opinions, notant par exemple que c’est Empédocle qui dit que les éléments du corps sont au nombre de quatre51…
30À la suite des recommandations des Topiques, la pratique du carnet personnel de citations classées par têtes de rubriques (appelées justement « loci communes ») est devenue le centre des occupations des continuateurs de la dialectique aristotélicienne et se maintient de façon vivace à la Renaissance avec la rémanence de la disputatio scholastique dans les cursus scolaires. Les pédagogues voient en effet dans la mise en recueil des lieux communs un terrain propice pour exercer leurs élèves à juger et à raisonner dans tous les domaines des savoirs universitaires traditionnels (théologie, droit et médecine au premier chef). La méthode consiste alors à relever les sentences les plus remarquables des textes autorisés du domaine concerné. Mais il ne suffit pas de les relever, à l’image des bestiaires et des florilèges médiévaux ; il faut également les consigner dans un carnet et les classer par « loci communes » pour mieux les assimiler et les « digérer » personnellement. En outre, aux yeux des maîtres d’école, la digestion par les opérations de classement personnel doit être complétée par des exercices de comparaison, de commentaire, d’amplification ou de réduction des sentences ainsi que par la pratique de la discussion entre camarades52.
31Cependant, comme le rappelle Cesare Vasoli, en dépit de ces pratiques d’appropriation du savoir déposé par la tradition, les xve et xvie siècles voient apparaître, dans la lignée de Pétrarque (grand lecteur de Cicéron) de nouveaux pédagogues qui dénoncent la « barbarie » de la dialectique traditionnelle des universitaires, accusés de ne pratiquer qu’un jugement formel sophistique et de s’affranchir de toute véritable adhésion de cœur par un nominalisme creux53. Contre ces savants scolastiques accusés d’utiliser les techniques de la dialectique pour rigidifier la tradition des disciplines universitaires, des savants « humanistes », proches des institutions politiques, prônent au contraire une réinsertion du savoir au plus près de la vie humaine. Cette humanisation des sciences implique alors de redonner une place majeure à la rhétorique comme art de produire des discours publics et de servir le commun, conformément à l’idéal politique de Cicéron qui leur sert de modèle. L’usage des recueils de lieux communs se tourne alors vers les choses humaines et, sous l’impulsion d’Érasme, renoue avec la pratique rhétorique de l’abondance oratoire et du recueil de citations impressionnantes promue par Aristote dans sa Rhétorique :
Donc pour que l’on puisse récolter plus tôt des fruits plus copieux des auteurs chez lesquels j’ai dit qu’il fallait chercher l’abondance de la langue, […] au cours de la lecture des auteurs on relèvera attentivement tout mot remarquable, tout archaïsme ou néologisme, tout argument finement trouvé ou adroitement adapté, toute beauté rare du style, tout adage, tout exemple, toute sentence digne d’être confié à la mémoire. […] Si en plus de cela on décide d’ajouter la dialectique, je n’y serai pas catégoriquement hostile, pourvu qu’on l’étudie chez Aristote, non chez cette engeance si bavarde des sophistes54…
32Cette minimisation de la dialectique la plus fidèle à Aristote à l’intérieur du répertoire topique cher à Cicéron semble avoir permis aux pédagogues « humanistes » de reconstituer un usage proprement rhétorique des recueils de lieux communs. À l’image des fameuses Officina de Ravisius Textor, les recueils deviennent des manuels de composition de discours, de narrations, de descriptions, de dialogues ou de poèmes et trouvent application dans l’enseignement de la rhétorique comme de la poétique qui s’y trouve emmêlée. Il ne s’agit plus alors de collecter des maximes de droit ou de médecine (pratiques qui se perpétuent parallèlement dans les facultés), mais des formules remarquables pour leur contenu ou pour leur forme chez les plus grands écrivains de l’antiquité, et en particulier les formules sur l’agir humain, sentences, proverbes et maximes. En effet, parce qu’ils sont tournés vers la rhétorique et vers les choses humaines, les recueils de lieux communs de la pédagogie « humaniste » insistent sur la nature humaine et se présentent le plus souvent comme un répertoire des vices, des vertus et des passions humaines. Dans cette mesure, de tels recueils héritent sans doute des manuels médiévaux de prédication qui compilaient les citations bibliques ; mais ils en diffèrent sous l’influence directe des grands manuels de la rhétorique romaine : la Rhétorique à Hérennius et l’Institution oratoire de Quintilien, qui ressort de l’ombre à la Renaissance. De fait, chez ce dernier, l’enseignement concernait l’art de composer un plaidoyer mais plus généralement toute autre forme d’écrits, si bien que le réservoir topique s’ouvrait beaucoup plus largement que chez Cicéron aux sentences morales, portraits et caractères55. Les pédagogues « humanistes » récupèrent ainsi pour leurs exercices de composition les lieux communs moraux répertoriés par la rhétorique païenne.
33En fin de compte, la collecte des sentences, maximes et formules gnomiques des auteurs antiques conduit à instituer une nouvelle « tradition » de textes, digne d’être rigoureusement étudiée et assimilée au même titre que la théologie, la médecine ou le droit ; la Bible, le Digeste et Galien côtoient le canon des poètes antiques classiques. Cependant, à partir du moment où cet ensemble de sentences morales est institué en tradition égale aux autres, il présente le risque de se rigidifier et de tomber dans le formalisme creux que les « humanistes » dénonçaient chez leurs adversaires. Si les recueils de lieux communs présentent l’avantage pédagogique non négligeable de réunir toutes les propositions autorisées d’une discipline, autrement dit s’ils forment « un corps d’informations cohérent pour recueillir ce qui est le plus endoxon sur un sujet donné56 », ils risquent cependant d’avoir l’artificialité – certes opératoire – de nos corpus de chercheurs. Aussi, pour que les sentences ne soient pas qu’un effet de connivence culturelle entre happy few qui en reconnaîtraient l’origine, pour qu’elles ne soient pas récoltées et compilées avec indifférence, il faut que leur sens, leur fonction et leur valeur soient réellement appréhendées et digérées.
Problèmes de digestion
34L’émergence d’une véritable tradition scolaire des lieux communs moraux issus des lettres classiques semble avoir connu les mêmes dérives que les autres grandes traditions savantes de l’époque, à savoir de donner libre cours à l’exercice mécanique de recettes toutes faites57. Cette tendance latente a sans aucun doute été renforcée par la circulation de recueils déjà parachevés, que l’essor de l’imprimerie permettait de diffuser à grande échelle. Ces recueils complets de lieux communs imprimés, qui devaient servir de modèle pour expliquer aux élèves comment digérer leurs propres recueils personnels, ont pu se substituer directement à ce dernier58. À l’intérieur du corps de cette doctrine immuable déjà constitué, l’élève est appelé à exercer en priorité sa mémoire, à savoir s’y orienter par lui-même et à apprendre par cœur les sentences choisies déjà cueillies et décontextualisées par les soins des maîtres en la matière – lesquels pouvaient y appliquer des filtres chrétiens et censurer les licences du paganisme.
35Un tel apprentissage à partir de manuels prédigérés aurait eu pour conséquence de supprimer le contexte à partir desquels l’élève « remarquait » les sentences, quand il évaluait dans telle églogue la pertinence d’une formule, ce qui faisait qu’elle lui semblait « remarquable », digne d’être marquée, conservée précieusement et marquée de nouveau59. Le processus textuel qui donnait toute sa valeur à une sentence en contexte est ainsi remplacé par le résultat directement extrait et compilé dans le recueil. Cet effet idéologique tend alors à solidifier les lieux communs, à en faire des vérités indiscutables, des choses bien réelles et immuables. Aussi, contre le risque que l’imprimé fasse écran, il faut repartir de l’impression que les sentences font sur le sujet.
36À la différence du droit et de la théologie qui reposent sur une foi dans l’institué, et à la différence aussi de la médecine traditionnelle (dont le caractère non expérimental l’a toujours mise en difficulté), la connaissance des affaires humaines par la médiation des textes fictionnels peut toujours faire résonner une expérience individuelle, si bien que l’adhésion peut aussi s’autoriser d’une confirmation personnelle. Des lieux communs moraux comme « le temps efface toute chose60 » ou « la vertu brille dans l’adversité61 », quoiqu’ils soient reproduits de textes en textes et assertés comme des maximes de droit, peuvent toujours faire l’objet d’une assimilation préalable par la mise en débat de leur valeur. La sentence morale, en faisant résonner les expériences vécues, inviterait la conscience à faire retour et à méditer, à infirmer ou à confirmer ses croyances préexistantes par le travail de l’ascèse qui les isole et les interroge62. Autrement dit, en des termes davantage aristotéliciens, un usage rhétorique de la sentence peut donc toujours être repris dans une interrogation et faire l’objet d’une remontée dialectique63.
37Comme le rappelait Érasme dans le passage cité du De ratione studii, la réhabilitation d’un usage rhétorique du recueil de lieux communs, qui va de pair avec l’intronisation de la rhétorique au sommet du trivium, n’implique pas de renoncer radicalement à des usages plus dialectiques64. Dans la mesure où la dialectique permet de limiter les dérives sophistiques de la rhétorique, elle retrouve chez ces nouveaux pédagogues, et notamment chez Melanchthon, la fonction régulatrice qu’elle occupait dans les systèmes d’Aristote et de Cicéron. Ainsi, ces mêmes sentences et beaux tours que l’orateur utilise pour amplifier et orner ses discours retrouvent la fonction philosophique d’exercer le jugement personnel. En effet, dans la lignée du De Duplici copia verborum et rerum (1512) d’Érasme, les pédagogues « humanistes », invitent les personnes studieuses à faire varier aussi bien les termes que les concepts dont une sentence est composée, afin de véritablement saisir toutes les subtilités de la langue et de la pensée de l’auteur65. Ces jeux de variation apparaissent comme le moyen d’une digestion complète du sens le plus profond de chaque citation employée, et donc d’un usage sensé et conscient de soi66. Un tel usage réfléchi et digéré des lieux communs rhétoriques permettrait alors de leur redonner une épaisseur philosophique67. Autrement dit, cette dialectisation permettrait de faire remonter un adage comme « le changement est en toute chose agréable » de l’ornement poétique (on le trouve dans les stichomythies de l’Oreste d’Euripide et dans les Bucoliques de Virgile) à l’argument philosophique (il figure dans l’Éthique à Eudème d’Aristote68).
38Les deux usages du recueil de lieux communs que l’on a préalablement distingués par Aristote sont appelées à fusionner. Ce que l’utilisation de recueils déjà faits peut ôter en termes de jugement personnel, la pratique de la dialectique, de la réécriture et de la variation peut le compenser. Aux yeux des pédagogues « humanistes », la décontextualisation massive et indifférenciée des énoncés dans les recueils préfabriqués doit être modérée par une recontextualisation adaptée des lieux communs. C’est en effet dans la recontextualisation que le jugement critique revient de façon discriminante, et Aristote, repris par toute la tradition et paraphrasé par Quintilien, rappelait déjà que l’orateur ne doit pas employer ses lieux communs de façon mécanique, mais toujours de façon « judicieuse » et adaptée :
il est manifestement nécessaire, comme indiqué dans les Topiques, de disposer d’abord, sur chaque sujet, d’un choix de proposition portant sur le possible et le plus opportun ; et, quand un problème se pose à l’improviste, il faut mener la recherche de la même manière, en gardant les yeux fixés non pas sur ce qui est indéterminé mais sur les données mises en œuvre dans le discours, en en cernant le plus grand nombre possible et qui soient le plus proche de l’affaire en jeu, car plus on disposera de données afférentes à l’affaire, plus la démonstration sera facile, et plus ces données seront proches de l’affaire, plus elles seront adaptées et échapperont à la banalité. J’appelle « banal » (koinos) le fait de louer Achille parce qu’il est un homme, qu’il fait partie des demi-dieux et a participé à l’expédition de Troie, car ces traits appartiennent à beaucoup d’autres et que celui qui parle ainsi ne loue pas plus Achille que Diomède. Sont adaptées (idia) les données qui n’appartiennent qu’à la vie d’Achille, par exemple le fait d’avoir tué Hector69…
39Face à l’immense répertoire des sentences discutables du dialecticien, l’orateur qui cherche à développer son discours risque d’avoir l’embarras du choix et d’inonder à contre-emploi son auditoire de maximes hors de propos. Aussi la principale recommandation qu’Aristote lui adresse est-elle de toujours parler de façon adaptée (idios ou aptus). Un orateur expérimenté et doué de bon sens devra parler avec convenance et éviter de faire tomber son discours dans la tautologie, l’évidence et la banalité, bref de rouler sur les plus mauvais lieux « communs ». L’exercice du jugement critique intervient donc dans le discernement et la comparaison des propositions idoines, aussi bien quand on les extrait de leur contexte d’origine que quand on les réinsère dans un nouveau contexte.
40En outre, si la recontextualisation des propositions remarquables dans notre discours doit impliquer aux yeux d’Aristote un tri judicieux, c’est parce qu’elle reflète aux yeux de l’auditoire les croyances auxquelles l’orateur adhère :
[L’usage des maximes] rend les discours capables d’exprimer les caractères. Comportent une indication du caractère (èthos) les discours où le choix délibéré de l’orateur est évident. Or toutes les maximes ont cette propriété, parce que celui qui énonce la maxime générale dévoile ses préférences de principe (tôn proairetôn), de sorte que, si les maximes sont honnêtes, elles font apparaître celui qui les énonce comme honnête de caractère70.
41Dans l’amas très hétérogène des maximes, sentences et opinions remarquables consignées dans son carnet au fil de ses lectures, le bon orateur ne devra pas faire montre de psittacisme irréfléchi et de science sans conscience ; il devra au contraire choisir dans la variété qui s’offre à lui un chemin qui lui convienne et produire, à partir d’un ensemble de sentences communes, une série qui lui soit propre et qui réponde à son caractère. Ainsi la convenance des lieux choisis avec jugement dans le discours peut revêtir une dimension éthique forte71 ; au point qu’une longue tradition de lecture critique se propose d’évaluer la moralité d’un texte littéraire à partir des maximes que l’on en peut extraire72.
42Cependant, parce que les lieux communs demeurent en tension entre la dialectique et la rhétorique, ces opérations de recontextualisation ne semblent pas univoques. Ainsi, à côté de l’usage éthique des lieux communs, Aristote rappelle concurremment à l’orateur habile que les maximes ont un pouvoir idéologique, parce qu’« on les croit fondées sur le consentement unanime et d’une parfaite justesse73 ». Posée avec aplomb, la maxime flatterait les auditeurs « mal dégrossis […] contents d’entendre sous forme de généralité l’opinion qu’ils ont formée à l’avance à partir de cas particuliers74 ». Autrement dit, par leur fonction épidictique de confirmation des valeurs de la communauté, les lieux communs parviendraient à faire oublier les enjeux de persuasion sous-jacents à leur énonciation75. C’est donc bien dans le geste dialectique même de saisir une opinion à infirmer ou à confirmer que se glisserait le risque d’une confirmation seulement passive de la part de l’auditoire76.
43Enfin, cette « pathétisation » possible de l’auditeur n’est pas le dernier mot d’Aristote sur le pouvoir politique des maximes et des sentences. Ce dernier rappelle en effet que le succès d’une formule remarquable présuppose que, par l’exercice de son jugement, l’auditeur soit parvenu à reconstruire en un éclair le raisonnement syllogistique à peine ébauché qui rend la sentence saisissante dans son contexte77. Le plaisir qui nous persuade vraiment ne serait au fond que le plaisir d’acquérir une connaissance nouvelle (mathèsis). Cela revient à dire que toute recontextualisation de lieux communs à visée idéologique reste toujours ouverte à une nouvelle digestion instituante78.
Conclusion
44Le bref parcours des tensions entre dialectique et rhétorique nous a permis de mettre en valeur les ambivalences de certains usages des recueils de lieux communs à la Renaissance. Parce qu’ils servent à l’élève de « médiation entre son propre horizon mental et la matrice culturelle dans laquelle il était placé79 », ils relèveraient autant du pouvoir de l’institué, de la tradition et de la communauté, que de l’instituant et de l’individu sensible. Par leur jeu intrinsèque entre décontextualisation et recontextualisation, ils opposeraient toujours potentiellement au geste politique de figement, un geste éthique de défigement. Une telle ambivalence constitutive entre hétéronomie et autonomie nous conduirait finalement à les rapprocher des « dispositifs », au sens foucaldien du terme :
Les différentes lignes d’un dispositif se répartissent en deux groupes, lignes de stratification ou de sédimentation, lignes d’actualisation ou de créativité. [Les dispositifs] sont des machines à faire voir et à faire parler. […] [Mais] Foucault pour son compte pressent que les dispositifs qu’il analyse ne peuvent pas être circonscrits par une ligne enveloppante, sans que d’autres vecteurs encore ne passent au-dessous ou au-dessus […] Ce dépassement de la ligne de force, c’est ce qui se produit lorsqu’elle se recourbe […] s’exerce sur soi-même ou s’affecte elle-même. Cette dimension du Soi n’est nullement une détermination préexistante qu’on trouverait toute faite. Là encore, une ligne de subjectivation est un processus, une production de subjectivité dans un dispositif : elle doit se faire, pour autant que le dispositif le laisse ou le rend possible. C’est une ligne de fuite. Elle échappe aux lignes précédentes, elle s’en échappe. Le Soi n’est ni un savoir ni un pouvoir. C’est un processus d’individuation qui porte sur des groupes ou des personnes, et se soustrait des rapports de forces établis comme des savoirs constitués : une sorte de plus-value. Il n’est pas sûr que tout dispositif en comporte80.
Notes de bas de page
1 Voir Aristote, Rhétorique, [vers 330 av. J.-C.], I, 2 1358a10-26. Notons en outre que, contrairement à ses traités politiques, les traités logiques d’Aristote n’emploient guère l’adjectif « commun » (koinos) pour renvoyer à une communauté politique (koinônia). Cette surinterprétation des connotations politiques du mot « koinos » a toutefois permis à certains commentateurs de procéder à une sorte de reconstitution étymologique spontanée, historiquement illégitime mais théoriquement défendable (voir par exemple Alban Bouvier, « Une anthropologie sociologique des topoi : la théorie des dérivations de Pareto », dans Ch. Plantin (dir.), Lieux communs, topoï, stéréotypes, clichés, Kimé, 1993, p. 185).
2 Voir à ce propos F. Goyet, « Aux origines du sens actuel de “lieu commun” », Cahiers de l’Association Internationale des Études françaises n° 49, 1997, p. 59-74.
3 Dictionnaire de Furetière (1690), article « Lieu ». Ce n’est significativement que plus tard que les dictionnaires rangeront l’expression à l’entrée « commun ».
4 D’après les tournures employées par Aristote : « c’est ce qu’il faut examiner à partir des lieux qui concernent l’accident » (Topiques, [vers 360 av. J.-C.], VI, 1139a37, trad. Jacques Brunschwig, Belles Lettres, 1967). Voir aussi L. Pernot, « Lieu et lieu commun dans la rhétorique antique », Bulletin de l’Association Guillaume Budé n° 3, octobre 1986, p. 255.
5 Voir notamment Rhétorique, op. cit., II, 26 1403a. Pour une analyse de l’assimilation faite par Aristote entre le « lieu » et l’« élément » (stoicheion), voir W. A. de Pater, Les Topiques d’Aristote et la dialectique platonicienne. La méthodologie de la définition, Saint Paul, Fribourg, 1965, p. 110-112.
6 Aristote, Topiques, op. cit., I, 1100a18-21 et I, 2101a36-101b4.
7 Voir les travaux de Robert Bolton, et notamment « Le fondement épistémologique de la dialectique aristotélicienne », dans Science, dialectique et éthique chez Aristote. Essai d’épistémologie aristotélicienne, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2010 [1999], p. 30 et suiv.
8 Sur cette opposition entre ce qui est connu pour le philosophe et ce qui est connu pour le commun, voir Topiques, op. cit., VIII, 1155b10-16.
9 Aristote, Topiques, op. cit., I, 1100a25-30.
10 Voir à ce propos Topiques, op. cit., I, 11104b1-17.
11 Voir J. Brunschwig, introduction aux Topiques d’Aristote, op. cit., p. XI : « En se mettant en situation de dialogue, l’esprit substitue la juridiction des hommes à la juridiction des choses, la question “que t’en semble ?” à la question “qu’en est-il ?” En sollicitant l’approbation d’autrui, il s’est mis en posture de ne rien pouvoir faire sans l’avoir obtenue ; le oui et le non n’ont désormais plus pour lui le sens du vrai et du faux, mais celui de l’accepté et du refusé. Il est entré dans le règne hétéronome de l’opinion. » L’écart est grand avec la dialectique platonicienne pour qui la position de l’interlocuteur est justement ce qui, aux termes du débat, sera transformée en profondeur à la manière d’un accouchement.
12 Aristote, Topiques, op. cit., I, 14, 105b20-31.
13 Au début des Topiques, Aristote oppose ainsi aux trois « prédicables » stables (la définition, le genre et le propre) un quatrième que l’on pourrait qualifier de hautement instable : l’accident. Le « prédicable » accident est par essence ce qui dépend des circonstances, c’est-à-dire quand une chose peut être ou ne pas être attribuée à son sujet. Il est la relation qui reste quand on n’a pu établir aucune des trois autres relations (Topiques, op. cit., I, 5102a4-14).
14 On passe ainsi insensiblement de proposition comme : « ce qui est souhaitable par soi-même est préférable à ce qui n’est souhaitable que par autre chose que soi-même » (Topiques, op. cit., III, 1116a29-30), à des maximes beaucoup plus axiologiquement marquées comme : « Ce qui est superflu est meilleur que le strict nécessaire, parfois aussi il lui est préférable ; de fait bien vivre est meilleur que vivre […] » (ibid., III, 2118a6-7). Notons qu’un tel décrochage a fait naître des soupçons sur l’origine du livre III où sont concentrés ces « lieux du préférable » (voir J. Brunschwig, op. cit., p. LVIII et suivantes).
15 Voir M. Meyer, « Aristote et les principes de la rhétorique contemporaine », introduction à La Rhétorique d’Aristote, Livre de Poche, 1991, p. 17 : « si l’apodicticité se présente comme la norme intangible du logos, le discours qui laisse une place au jeu des contraires ne peut relever que d’un statut inférieur par rapport à la science. Science (ou logique) et rhétorique se partagent la structure propositionnelle, mais la vérité du logos demeure la logique ».
16 Aristote, Rhétorique, op. cit., I, 2 1356a25-33, trad. P. Chiron, Flammarion, coll. « GF », 2007.
17 Sur la définition de l’enthymème comme « syllogisme rhétorique », voir ibid., I, 2 1356a35-1356b18. Et sur la définition de l’enthymème comme syllogisme simplifié, dont ont été éliminés les lieux logiques qui ont permis de garantir la validité de l’inférence, voir ibid., II, 22 1395b21 et suiv.
18 Aristote, Rhétorique, op. cit., II, 211394a21-28.
19 Ibid., II, 211395b10-11.
20 Il y aurait ainsi une gradation entre l’analytique, la dialectique et la rhétorique. Dans la déduction analytique, l’essentiel d’un argument réside dans le geste qui permet de relier une prémisse à une conclusion (voir Aristote, Seconds Analytiques, [350-320 av. J.-C.], 90a35-36). Dans le syllogisme dialectique, l’appréciation des éléments référentiels contenus dans ce qui est prédiqué influe autant que les propriétés sémantiques du prédicat. Dans la rhétorique, le contenu référentiel domine largement sur le raisonnement, car il s’agit moins de prouver que de confirmer. Voir Michel Crubellier, « Y a-t-il un “syllogisme topique” chez Aristote ? », dans J. Biard et F. Mariani Zini (dir.), Les Lieux de l’argumentation. Histoire du syllogisme topique d’Aristote à Leibniz, Turnhout, Brepols, 2009, p. 18.
21 Voir Aristote, Topiques, op. cit., I, 10 104a8-9 : « Une prémisse dialectique est la mise sous forme interrogative d’une idée admise (érotèsis endoxos)… »
22 Voir notamment M. Meyer, « Dialectique, rhétorique, herméneutique et questionnement. Les fondements du langage », Revue internationale de philosophie n° 127-128, La Nouvelle rhétorique. Essais en hommage à Chaïm Perelman, Bruxelles, 1979, p. 145-177.
23 Voir M. Meyer, « Aristote et les principes de la rhétorique contemporaine », op. cit., p. 63 : « L’idéologie, en dernière analyse, est le mécanisme par lequel des problèmes bien réels sont transformés (métaphorisés) en problèmes dont la résolution préalable est acquise et hors de question. […] Ce n’est qu’après coup, de façon purement formelle, que l’on reconstruit l’argument sur base de principes qui semblent s’imposer d’eux-mêmes et entraîner des conséquences justes ou non. Mais ce n’est là qu’une illusion, bien souvent créée par le droit lui-même. » Voir également A. Kibédi Varga, Discours, récit, image, Liège-Bruxelles, Mardaga, 1989, p. 34.
24 « la première forme de la logique passionnelle est l’oubli du point de vue, du principe, d’où le fait que l’on ne fasse pas de retour sur lui mais que l’on opère à partir de lui », M. Meyer, « Aristote et les principes de la rhétorique contemporaine », op. cit., p. 55 .
25 Comme on va le voir plus loin, la réponse fréquemment apportée à cette potentielle dérive idéologique de la rhétorique se présente comme une véritable éducation à l’art de parler, pour lutter contre les recettes des sophistes et autres experts en communication. Voir Aristote, Réfutations sophistiques, [vers 340 av. J.-C.], 34 184a : « [les sophistes] croyaient en effet pouvoir assurer une formation en offrant non pas la technique, mais les résultats de la technique (ta apo tès tekhnès), exactement comme si quelqu’un, affirmant transmettre la science de n’avoir pas mal aux pieds, n’enseignait par la suite ni l’art du cordonnier, ni les moyens de se procurer des sandales, mais offrait un grand éventail de sandales en tous genres ; car il aurait soulagé un besoin, mais il n’aurait pas transmis une technique », trad. L.-A. Dorion, Vrin, 1995.
26 Voir L. Pernot, art. cit., p. 274 : « Ceux-ci sont un moyen d’explorer un sujet, ceux-là sont une manière stéréotypée de le traiter : le τóπος [topos] est une question, le lieu commun est une réponse. »
27 Voir A. Moss, Les Recueils de lieux communs. Apprendre à penser à la Renaissance, Genève, Droz, 2002, p. 25-26. Voir également R. Amossy et A. Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés. Langue, discours, société, Armand Colin, coll. « 128 », 2005, p. 15-16. Cette équivoque fondamentale sur la notion de « lieu » aura une très longue postérité dans l’histoire de la philosophie, voir W. A. de Pater, op. cit., p. 94 et 140-145.
28 Indépendamment de ses remarques stimulantes, c’est l’interprétation de M. Angenot dans La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Payot, 1982, p. 160-164.
29 Voir Cicéron, De l’orateur, [55 av. J.-C.], III, 18, 65-66. Voir également J.-B. Gourinat, La Dialectique des stoïciens, Vrin, 2000, p. 293 et suiv.
30 Cicéron, Topiques, [44 av. J.-C.], 6, trad. He. Bornecque, Belles Lettres, 1924.
31 Cicéron, L’Orateur, [46 av. J.-C.], 113-114, trad. A. Yon, Belles Lettres, 1964.
32 Michel Crubellier rappelle en effet qu’il n’est pas totalement erroné de considérer qu’il n’y a chez Aristote qu’une différence de degré entre les lieux communs de la dialectique et les lieux les plus spécifiques de la rhétorique (voir « Y a-t-il un “syllogisme topique” chez Aristote ? », op. cit., p. 18). En outre, Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot rappellent que, dans la théorie aristotélicienne, ce sont bien les lieux « spécifiques », et non les lieux communs, qui importent une dimension « doxique » et idéologique au raisonnement (Stéréotypes et clichés, op. cit., p. 103-104).
33 Sur toute cette question, voir F. Goyet, Le Sublime du lieu commun. L’invention rhétorique dans l’antiquité et à la Renaissance, Champion, 1996, et notamment la première partie consacrée au « movere ».
34 Cicéron, Les Paradoxes des Stoïciens, [46 av. J.-C.], 3-4, trad. Jean Molager, Belles Lettres, 1971.
35 Cet aspect sera particulièrement développé chez Quintilien. Voir Institution oratoire, [vers 95 apr. J.-C.], V, 10 23 et suivants. Cette connaissance des caractères, des vertus et des passions était déjà recommandée au bon orateur par Aristote (Rhétorique, I, 2 1356a).
36 Sur la proximité potentielle de la dialectique et de la sophistique, voir Aristote, Réfutations sophistiques, 34 183a37 et suivants.
37 C’est tout le problème de la distinction entre deux usages des lieux, ceux qui amplifient à partir des choses certaines (certae rei) et les autres (dubiae rei). Voir F. Goyet, Le Sublime du lieu commun, op. cit., notamment p. 145 et suiv.
38 L’un des premiers dispositifs que Cicéron semble déployer pour émanciper l’orateur du règne hétéronome de l’intérêt se présente comme une rétrocession vers l’idéal platonicien. Ainsi, le geste anti-platonicien d’offrir la recette des lieux communs aux orateurs politiques semble alors être compensé par le geste platonicien du mythe. Cicéron développe en effet au début du premier livre de De l’invention, consacré à la « rhétorisation » massive des lieux pour donner des recettes faciles aux orateurs en mal d’arguments, un mythe orphique. L’institution de la société et l’abandon du droit du plus fort y sont présentés comme le résultat des actions d’un orateur idéal, dont les discours sages et éloquents seraient parvenus à convaincre les faibles et les forts de vivre ensemble. Le mythe entend de là montrer que la guerre civile ne peut être évitée que par une exclusion des orateurs judiciaires et une exigence éthique de subordination des intérêts privés au bien de la patrie, et donc une subordination des effets rhétoriques de l’amplification à une connaissance réelle de la justice.
39 Sur le rôle de la fides dans les Topiques de Cicéron, voir le remarquable article de F. Mariani Zini, « Les topiques oubliées de Cicéron », dans Les Lieux de l’argumentation, op. cit., notamment p. 75-82.
40 Comme le signale F. Mariani Zini (art. cit., p. 86-88), le choix du domaine juridique par Cicéron implique de facto une topique de l’accident. Face la contingence des choses, on ne peut pas éliminer radicalement une proposition en montrant son contraire. Il faut cependant produire une conclusion en dépit de cette « incompatibilité incomplète ». On en est alors réduit à établir des présomptions en montrant par comparaison que l’un des deux schémas possibles est « préférable » à l’autre par certains côtés. Ce genre de conclusion comparative évite de statuer dans l’absolu, et ne procède plus que par mise en relation. Sur la nécessité pour Aristote de recourir à une méthode de comparaison réciproque (hai pros allèla sunkriseis) pour rationaliser le plus possible les lieux de l’accident, voir Topiques, op. cit., I, 5 102a14-26 et le début du livre III (116a1-12).
41 Face à deux lois contradictoires, Cicéron propose ainsi de les hiérarchiser à partir des lieux de l’utile, de l’honorable et du nécessaire (voir De l’invention, [83 av. J.-C.], II, 49, 144 et suiv.).
42 Voir Cicéron, Divisions de l’art oratoire, [46 av. J.-C.], 5-6 et 51. F. Mariani Zini consacre la troisième partie de son article à l’analyse des procédures topiques de qualification des faits que Cicéron nomme les « états de la cause » (art. cit., p. 82-92).
43 Au début de son dialogue De l’orateur, rédigé significativement en 46 en pleine guerre civile, Cicéron réinterroge les présupposés et montre les limites du mythe orphique de De l’invention, œuvre de jeunesse rédigée en 83. Le débat dialectique entre les personnages démystifie alors la fable pour mieux exhiber ce qui était en jeu derrière le voile du mythe et notamment l’importance pour l’orateur éloquent d’acquérir une haute culture philosophique, seule capable d’allier la sagesse à l’art de parler au peuple.
44 Clara Auvray-Assayas fait ainsi l’hypothèse que l’omniprésence du domaine du droit dans les Topiques de Cicéron ne doit être prise comme une étroitesse d’esprit, mais comme un début de réponse au grand projet de Cicéron de faire une grammaire raisonnée du droit romain (« Les Topica de Cicéron et Aristote : réévaluation d’un projet philosophique », dans Les Lieux de l’argumentation, op. cit., p. 59-60). Voir également De l’orateur, op. cit., I, 11, 48.
45 L’un des buts qu’Aristote donnait à la dialectique était justement d’entraîner le jugement par une gymnastique mentale. Voir Topiques, op. cit., I, 2, 101a.
46 Voir par exemple L’orateur, op. cit., 14, 44-15, 49.
47 Aristote attribuait notamment à la dialectique la capacité de produire de proche en proche de véritables sciences indépendantes. Voir Rhétorique, op. cit., I, 2, 1358a22-26.
48 En attribuant une simple variation de degré entre l’orateur et le dialecticien, Cicéron rompt avec l’idéal platonicien. Il semble subir en cela l’influence de la Nouvelle Académie, pour laquelle il n’y a pas de conclusions nécessaires, plus que de Platon lui-même. Contrairement aux thèses de ce dernier dans le Phèdre, Cicéron semble considérer que, par le biais de la méthode comparative, l’homme peut distinguer et s’appuyer sur le vraisemblable sans pour autant connaître le vrai en soi. Pour lui, comme pour l’Aristote dialecticien, le vrai en soi pourrait être réduit à ce qui est le plus rigoureusement démontré, et n’a donc pas de différence de nature avec ce qui ressemble au vrai (voir Alain Michel, Les Rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l’œuvre de Cicéron. Recherches sur les fondements philosophiques de l’art de persuader, Louvain, Peeters, 2003 [1961], p. 97-99).
49 C’était également le cas chez Aristote, voir Réfutations sophistiques, 34 184a, cité précédemment en note.
50 Voir Aristote, Rhétorique, op. cit., II, 22, 1396a34-1396b20 que nous allons citer plus loin.
51 Aristote, Topiques, op. cit., I, 14, 105b12-18.
52 Par exemple pour la médecine, les recueils de lieux communs doivent être tirés des écrits de Galien et d’Hippocrate, puis classés et discutés comme le rappelle Girolamo Mercuriale dans son De modo studiendi (voir Jean-Michel Agasse, « Devenir médecin : le “De formandis medicinae studiis” de J. G. Schenck (1607) », dans Pratique et pensée médicales à la Renaissance, de Boccard, 2009, p. 52-53).
53 Voir Cesare Vasoli, « L’humanisme rhétorique en Italie », dans Marc Fumaroli (dir.), Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, PUF, 1999, p. 45-129, trad. de l’italien G. Ferretti. Voir dans le même ouvrage les analyses de J.-C. Margolin du livre In pseudodialecticos de Juan-Luis Vivès publié en 1519 (« Apogée de la rhétorique humaniste », op. cit., p. 192-198). Ces critiques contre la dialectique scolastique, accusée d’être incapable de servir à la vie pratique, rejoignent celles que Cicéron adressait déjà à la dialectique des stoïciens comme on l’a vu. Elles ont sans aucun doute perduré durant toute l’antiquité tardive, comme en témoigne par exemple l’idylle 17 du poète Ausone [ive siècle apr. J-.C.] : « Le Oui et le Non », v. 17 et 25 : « De ces deux mots, toutes les chicanes de la tourbe des philosophes dialecticiens. […] Quelle vie que la vie de l’homme, agitée ainsi par deux monosyllabes ! », trad. par C. Pomier, Paleo, 2006.
54 Érasme, De ratione studii, 1511, partiellement trad. du latin par J. Chomarat sous le titre de « La Méthode pour étudier » dans Œuvres choisies, Le Livre de Poche, 1991, p. 230-231.
55 Comme le rappelle A. Moss (op. cit., p. 30-33), la partie la plus technique de la topique judiciaire, celle qui contenait des schémas juridiques préfabriqués, s’est amenuisée avec l’effondrement de l’institution judiciaire romaine. La partie « doxique », c’est-à-dire la topique morale concernant les personnes (naissance, fortune, patrie, naturel, etc.), lui a survécu.
56 R. Bolton, « Le fondement épistémologique de la dialectique aristotélicienne », op. cit., p. 30.
57 Sur cette mécanisation de la production de maximes et de sentences chez les « humanistes », qui les distribuent comme des épiciers à leurs clients, voir par exemple les plaisanteries d’Ange Politien, commentées par Perrine Galand-Hallyn, « La rhétorique en Italie à la fin du Quattrocento (1475-1500) », dans Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, op. cit., p. 154.
58 Le remplacement de l’ordre alphabétique par un classement raisonné ainsi que l’insertion d’index thématiques restreignent la marge de l’activité manuelle de l’élève dont les exercices de classement stimulaient le jugement et la mémorisation. Voir par exemple les commentaires d’Ann Moss aux Bigarrures de Tabourot des Accords (op. cit. p. 306-307).
59 Il faut noter que de nombreux recueils indiquaient, pour ne pas entraver la perception de la pertinence de ces lieux communs en tant que vérité d’expérience possible, les sources de chaque proposition pour inviter le lecteur à s’y reporter. Le fait que certains recueils citaient plutôt des extraits conséquents du texte source montre sans doute que les pédagogues étaient conscients du risque latent de court-circuiter tout ce que la lecture en contexte mettait en jeu, à la manière des anthologies et de ce qu’on appelle aujourd’hui le « profil » d’une œuvre (voir A. Moss, op. cit. p. 325).
60 Traduit par A. Moss, op. cit., p. 313.
61 Ibid.
62 Comme le souligne Kees Meerhoff, la pratique du recueil de sentences a toujours été rapprochée de l’exercice de réflexion sur soi, de l’askèsis stoïcienne de Sénèque à l’« exercitation » de Montaigne. En cela elle ressortit aux « techniques de soi », théorisées par Michel Foucault ; voir parmi les nombreux travaux de K. Meerhoff sur la question, « Méditation/Modification », dans S. van Dijk et C. Stevens (dir.), (En) jeux de la communication romanesque. Hommage à Françoise van Rossum-Guyon, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1994, p. 3-19.
63 La méthode prônée par Philippe Melanchthon dans ses Elementa rhetorica (1531) revient ainsi à élever l’usage des lieux communs aux ambitions scientifiques de la dialectique, en condamnant les dérives rhétoriques du dilettantisme des florilèges : « Certains croient qu’ils sont en possession de lieux communs quand ils ont amoncelé des sentences sur des choses diverses, qu’ils ont extraites ici ou là des poètes et orateurs. Et parce qu’ils jugent que cet amoncellement de propos remarquables est le savoir dans sa totalité et perfection, ils n’ont pas d’autre dessein en lisant les auteurs que de cueillir certains propos comme si c’étaient des fleurs. Pendant ce temps, ils n’apprennent parfaitement aucun savoir, ils ne comprennent parfaitement aucun écrit dans son intégralité, ils ne considèrent en aucun cas un type de discours dans sa totalité. » (cité, trad. du latin et commenté par A. Moss, op. cit., p. 221). K. Meerhoff rappelle d’ailleurs que chez Melanchthon, sous l’influence du néoplatonisme de Reuchlin, la rationalisation du savoir par la dialectique n’était pas incompatible avec des pratiques ésotériques et initiatiques (« Méditation/Modification », op. cit. p. 13), du moment que ces dernières ne tombaient pas dans l’excès inverse de l’allégorèse effervescente (voir l’article d’Audrey Lecœur dans le présent volume).
64 C. Vasoli rappelle d’ailleurs que les « humanistes » et les « scholastiques » n’ont jamais été deux factions hermétiques l’une par rapport à l’autre, mais plutôt deux « visions » traversant un même milieu intellectuel (« L’humanisme rhétorique en Italie », op. cit., p. 47). Les « humanistes » font même de la « bonne » dialectique la condition d’un usage non sophistique de la rhétorique. C’est en effet par un exercice continu du jugement que l’élève pourra parfaitement comprendre la justesse d’une proposition et partant savoir comment l’utiliser de façon optimale dans ses propres productions. À l’intérieur du trivium, la dialectique (et même la grammaire) doit donc permettre à la rhétorique de produire un discours juste, en aidant les personnes studieuses à saisir les choses au plus près de leur vérité, comme le voulait Lorenzo Valla (sur le projet de ce dernier et l’influence de Quintilien, voir C. Vasoli, « L’humanisme rhétorique en Italie », ibid., p. 62-74).
65 Sur la varietas comme principe d’émancipation dans l’architecture des Adages d’Érasme, voir I. Diu et A. Vanautgaerden, « Le jardin d’abondance d’Érasme : Le De copia et la lettre sur les Adages non éditée par P. S. Allen » dans D. de Courcelles (dir.), La Varietas à la Renaissance, études et rencontres de l’École des Chartes, 2001, p. 43-55.
66 Sur le rôle du jugement critique (judicium) dans les recueils de lieux communs à visée rhétorique et poétique, voir les commentaires d’A. Moss sur les travaux de Fabricius (op. cit., p. 333-334).
67 Voir notamment A. Moss, op. cit., p. 207, à propos de Melanchthon : « Les lieux communs de la rhétorique coïncident avec les lieux communs de l’enquête philosophique, et plus particulièrement dans la sphère de la philosophie morale, où ils se renforcent l’un l’autre. »
68 L’identification des trois sources de ce lieu commun est explicitement faite par Érasme qui cite et commente cet adage (Adages n° 664).
69 Aristote, Rhétorique, op. cit., II, 22, 1396a34-1396b20, soit significativement après le chapitre consacré aux maximes (gnômai).
70 Aristote, Rhétorique, op. cit., II, 21, 1395b11-16.
71 Voir Sénèque, Lettre à Lucilius, II, 2 : « Or prends garde qu’une telle lecture d’auteurs nombreux et de volumes en tout genre n’ait quelque chose d’errant et d’instable. Il faut s’attarder et se nourrir auprès de génies choisis […]. On n’est nulle part quand on est partout », cité par K. Meerhoff, op. cit. p. 10. Voir également Michel de Montaigne, Essais, [1580-1588], III, 13, « De l’expérience » : « Ceste longue attention que j’employe à me considerer, me dresse à juger aussi passablement des autres […] J’en ay estonné quelqu’un, par la pertinence de ma description : et l’ay adverty de soy. […] Ainsi à mes amis, je descouvre par leurs productions, leurs inclinations internes : Non pour renger ceste infinie varieté d’actions si diverses et si descouppees, à certains genres et chapitres, et distribuer distinctement mes partages et divisions, en classes et regions cognuës… »
72 Voir par exemple la façon dont un auteur anonyme attaque la nouvelle de César Vichard de Saint-Réal, Dom Carlos, lui reprochant d’avoir inséré et cautionné des maximes « machiavéliennes » dans son récit des malheurs du prince d’Espagne (Les Sentiments d’un homme d’esprit sur la nouvelle intitulée « Dom Carlos », Luynes, 1673, cité dans l’éd. de L. Plazenet de Dom Carlos, Le Livre de Poche, 2004, p. 164). Tout le débat repose alors dans l’interprétation en contexte des maximes. Voir A. Kibédi-Varga, Discours, récit, image, op. cit., p. 44, n. 36 : « C’est que, pris d’une manière isolée, [les] maximes et [les] portraits [des moralistes comme La Rochefoucauld ou La Bruyère], ne font pas partie d’un raisonnement : ils établissent un terrain d’entente, comme L’Essay des Merveilles d’Etienne Binet. C’est de la matière brute qui n’acquiert une pertinence argumentative que si elle est contextualisée : citée dans un autre texte (“comme l’a dit La Rochefoucauld” : …) ou mise en rapport avec les autres maximes et portraits du même recueil. »
73 Voir Aristote, Rhétorique, op. cit., II, 21, 1395a12.
74 Aristote, Rhétorique, op. cit., II, 211395b1-3.
75 Voir à ce propos M. Meyer, « Aristote et les principes de la rhétorique contemporaine », op. cit., p. 55, cité plus haut note 25. Voir également A. Kibédi-Varga, Discours, récit, image, op. cit., p. 45. Sur le rôle persuasif de l’épidictique, voir M. Dominicy et M. Frédéric (dir.), La Mise en scène des valeurs. La rhétorique de l’éloge et du blâme, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 2001.
76 Voir à ce propos l’aphorisme 67 du Novum organum de Francis Bacon (1620) sur le dogmatisme des idoles philosophiques et le scepticisme.
77 Voir Aristote Rhétorique, op. cit., III, 10 1410b6-36.
78 On pourrait ici reprendre certaines analyses de Toni Negri et Judith Revel sur le pouvoir politique du capitalisme contemporain pour souligner le fait que le pouvoir, pour s’imprimer sur les sujets, doit prendre le risque de transiter par eux. On pourrait même dire plus précisément que le pouvoir, parce qu’il dépossède les sujets de leurs productions communes en les naturalisant, demeure toujours soumis à un éventuel « processus constituant » de réappropriation par ces derniers (Inventer le commun des hommes, Bayard, 2010, p. 289 et suiv.). La digestion serait donc paradoxalement l’outil de la gestion et ce qui lui fait potentiellement obstacle.
79 A. Moss, op. cit., p. 10.
80 G. Deleuze, « Qu’est-ce qu’un dispositif ? » (1988), repris dans Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975- 1995, Minuit, 2003, p. 324 et p. 317-319.
Auteur
Agrégé de lettres modernes, doctorant contractuel puis ATER à l’université de Paris 3, est l’auteur d’une thèse, sous la direction de Sophie Houdard, consacrée à l’institution polémique de l’autorité de Boileau, accusé de s’être érigé en « régent » du Parnasse. Il s’intéresse plus généralement aux enjeux politiques des théories, des textes et de l’histoire littéraires.
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