• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15381 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15381 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Newsletter
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Presses universitaires de Rennes
  • ›
  • La Licorne
  • ›
  • L’Apocalypse : une imagination politique...
  • ›
  • L’apocalypse nucléaire
  • ›
  • L’apocalypse selon Günther Anders
  • Presses universitaires de Rennes
  • Presses universitaires de Rennes
    Presses universitaires de Rennes
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Un prophète annonce l’apocalypse à New York L’apocalypse selon Anders Angoisse et prophylaxie « Je ne suis pas venu apporter la paix » : un oui à la violence pour un non à l’apocalypse Notes de bas de page Auteur

    L’Apocalypse : une imagination politique

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    L’apocalypse selon Günther Anders

    Christophe David

    p. 127-144

    Texte intégral Un prophète annonce l’apocalypse à New York L’apocalypse selon Anders Angoisse et prophylaxie « Je ne suis pas venu apporter la paix » : un oui à la violence pour un non à l’apocalypse Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    « Il y a des idées qui ne dévoilent leur vérité que lorsqu’elles deviennent des “idées fixes” et qui sont tellement excessives qu’elles peuvent légitimement refouler toutes les autres hors de l’âme. Les idées de la “fin” ou des “derniers temps” font partie de cette catégorie »
    Günther Anders, « L’Avenir pleuré [d’avance]1 » (1946)
    Pour Osamu Nishitani

    1Le Bulletin of Atomic Scientists, journal fondé par des physiciens ayant participé au Projet Manhattan qui existe depuis 1945 (et est publié aujourd’hui en ligne [http://thebulletin.org]), l’annonce sur sa couverture du n° 4, vol. 70 de juillet-août 2014 : « Il est minuit moins cinq. » C’est la mise à l’heure de la fameuse Doomsday Clock, l’horloge du jour du jugement dernier, qui a fait son apparition sur la couverture du n° 3, vol. 6 de juin 1947 et n’a jamais quitté, depuis, la couverture du Bulletin. Minuit symbolise ici la fin du monde et, en fonction de l’augmentation ou de la diminution du risque de fin du monde, l’aiguille avance ou recule. En 1947, l’humanité était symboliquement à 7 minutes de la fin du monde. En 1949, les relations entre les États-Unis et l’URSS étaient telles qu’elle n’en était plus qu’à 3 minutes. Les États-Unis testent leur première bombe à hydrogène en octobre 1952 ; neuf mois plus tard, c’est au tour des Soviétiques. En septembre 1953, l’humanité n’est plus qu’à 2 minutes de la fin du monde. En quatrième de couverture du n° 7, vol. 9, dans un texte intitulé « Nous vivons une époque périlleuse… », on peut lire : « L’horloge est conçue comme un symbole destiné certes non pas à terrifier mais à mettre en garde et à faire prendre conscience. » De 1953 à 1960, les aiguilles resteront bloquées à minuit moins deux. En 1953, Günther Anders a déjà publié la première version de « Die Frist » [ « Le Délai »], son texte sans doute le plus décisif sur la question de l’apocalypse (dans la revue Sinn und Form, Heft 1/1951) et c’est au cours de ces années qu’il publiera le tome I de L’Obsolescence de l’homme et écrira nombre de textes importants qui seront repris plus tard dans La Menace nucléaire. De 1991 à 1994, les aiguilles sont restées sur minuit moins dix-sept. Le n° 10, vol. 47 de décembre 1991 titrait avec un enthousiasme non dissimulé : « L’aiguille des minutes recule plus loin qu’elle ne l’a jamais fait. » Ce numéro s’achève même sur un tableau récapitulatif intitulé « une histoire de la guerre froide », comme si une page était définitivement tournée.

    2Aujourd’hui, à l’heure – c’est le cas de le dire – où certains événements ont « un goût de guerre froide réchauffée » (« L’Otan joue sa crédibilité », interview de Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, par Thomas Hofnung, Libération, 4 septembre 2014) et où la prolifération (horizontale et verticale) échappe en fait à tout contrôle, l’humanité est dans une « situation atomique » bien plus proche de celle des années 1950 que de celle du début des années 19902.

    3Le succès que rencontre Anders aujourd’hui n’est peut-être pas seulement dû au fait qu’il est notre contemporain mais aussi et surtout au fait que, d’une certaine façon, nous sommes ses contemporains. Adorno et Einstein se complètent pour dire qu’en ces matières, il n’y a pas de progrès3.

    4C’est dans les années 1950 qu’Anders a eu recours au mot « apocalypse » pour nommer l’horizon d’une guerre nucléaire totale – la troisième guerre mondiale – apparu avec la guerre froide. « La prochaine guerre, s’il devait y en avoir une, serait l’apocalypse générale4. » Du coup, qu’elle éclate volontairement ou « à cause d’une erreur technique », ce serait « la dernière des guerres5 ». Il n’est pas le seul, loin de là, à avoir parlé d’apocalypse nucléaire à l’époque. Cette expression est un cliché que tout le monde a dû utiliser et entendre dans les années 1950. Ce qui est intéressant, dans le cas d’Anders, c’est qu’il lui donne un contenu précis l’arrachant à son statut de cliché et opère ainsi quelque chose qu’on pourrait qualifier de revivification philosophique.

    Un prophète annonce l’apocalypse à New York

    5Un sujet d’étude passionnant pour qui s’intéresse à l’œuvre d’Anders, c’est le rapport entre les journaux et les essais. Il y a d’un côté « les yeux du journal6 » et de l’autre le regard du théoricien, auteur d’une œuvre philosophique qui, sans être systématique, présente une puissante cohérence7.

    « Mes frères, réveillez-vous ! »
    « Je suis réveillé », me suis-je écrié […].
    « Non, mon frère […]. Tu ne l’es pas ! Car un de nos descendants doit être le dernier homme8 ».

    6C’est avec ces mots que l’apocalypse fait son apparition dans l’œuvre d’Anders. Il s’agit d’une section du Journal de l’exil et du retour datée de l946. La scène se passe dans un hôpital de New York. C’est McK, un « prédicateur itinérant » écossais, « les cheveux en broussaille et les yeux clairs », qui hurle. Cette section porte le même titre (« Die beweinte Zukunft ») que la réécriture de l’histoire de Noé9 de 1961. McK hurle en 1946 comme il aurait pu hurler dans l’Antiquité. Son cri semble intemporel. McK a quelque chose de Noé ; W. H., un ami d’Anders qui lui rend visite à l’hôpital10, trouve qu’il s’exprime comme Salomon11 ; Anders lui-même le compare aux premiers chrétiens12. Mais c’est pourtant bien en 1946 que ces mots retentissent dans cet hôpital de New York. Que dit-il au juste ?

    Un de nos descendants doit donc être le dernier homme. Dès maintenant, je peux savoir comment il va s’allonger. Mais tous mourront avec lui – pas seulement ses enfants, les enfants de ses enfants et les enfants des enfants de ses enfants ; mais nous aussi et nos parents et nos ancêtres, pour une deuxième fois et cette fois pour toujours13.

    7« Par un effet de court-circuit14 », son discours intemporel s’actualise en 1946. « Les fous comme McK [un des “derniers premiers chrétiens égarés dans notre époque”] sont […] soudain en phase avec la situation actuelle15. »

    8Les fous qui, depuis l’Antiquité, ont annoncé la fin des temps se retrouvent en accord avec l’époque folle qui a commencé par le bombardement d’Hiroshima. C’est comme si les fous étaient en meilleure santé que les gens normaux : « La normalité mentale et la normalité de comportement n’ont de sens que dans un monde normal16. » Or, le monde est devenu fou le 6 août 1945 (qu’on se rappelle le « Gentlemen, you are mad ! » de Lewis Mumford17). Du coup, Anders n’hésite pas à qualifier la « bonne santé » des gens normaux de « puante18 ».

    Le défaut de ceux qui sont trop sains est seulement d’être incapables d’avoir une « idée fixe » et de rester incapables de fixer une idée ou, en l’occurrence, de se laisser fixer par une idée lorsque celle-ci a le droit de devenir une « idée fixe » comme c’est le cas des idées de « fin » ou de « derniers temps »19.

    9Là encore, ce n’est pas parce que ces fous sont les contemporains de Truman qu’ils sont en accord avec le « temps de la fin », c’est plutôt parce que Truman est devenu leur contemporain en donnant un contenu à leur discours qui tournait à vide. Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ont réactualisé l’idée d’apocalypse et rendu le « contexte […] apocalyptique20 ». « Depuis des siècles, nous sommes vraiment les premiers (et peut-être les derniers, pour de bon cette fois), à éprouver un sentiment apocalyptique21. »« Ce qui nous fait peur aujourd’hui, c’est vraiment la possibilité d’un anéantissement, l’idée que tôt ou tard, tout pourra vraiment être fini22. » Tout ?

    Nous avons à nous inquiéter pour nos pères et pour nos fils, pour l’avenir et le passé, pour l’histoire dans son ensemble et l’existence toute entière de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui sera. Lorsque l’éclair frappera, il frappera rétrospectivement jusqu’aux replis les plus obscurs de notre passé le plus lointain, et il réduira en cendres aussi bien Abraham et Hésiode que McK, et toi et moi, qui sommes aujourd’hui, dans cette salle d’hôpital, dans cette ville, dans ce continent et dans ce monde23.

    10Mais qui est ce « nous » ? Tous les fous, tous les égarés se valent-ils ? « L’avenir pleuré » en met trois en scène : McK, W.H. et Anders lui-même.

    11McK est un « prédicateur à l’ancienne » : il n’est pas « dans le vrai », « il a l’air de parler de ce qui nous concerne aujourd’hui24 », mais, lorsqu’il parle de la « fin des temps », c’est une « métaphore ». Il ne parle pas de l’apocalypse nucléaire qui est désormais une réalité possible25. Du coup, cette apocalypse, il la redoute et la souhaite à la fois, parce qu’il sait, comme tous les « prédicateurs à l’ancienne », qu’elle précède la venue du royaume. Que son discours n’ait pas de référent n’empêche pas McK d’avoir, comme toujours les prophètes, « la peur apocalyptique […] chevillée au corps26 ».

    12W. H., lui, « s’intéresse au concept de “fin des temps” du point de vue de l’histoire des idées27 ». Son attitude est purement intellectuelle. Anders, enfin, articule l’intellectualisme de W. H. et la sensibilité de McK. Il a une compréhension intellectuelle de la situation et du fait que celle-ci exige un « état d’esprit » orienté vers « la lutte contre l’apocalypse28 » ; il sent aussi qu’il ne faut pas lâcher l’idée fixe de la fin des temps et que, du coup, il faut garder la peur apocalyptique chevillée au ventre. Son objectif est de faire renaître face à la possible réalité de l’apocalypse nucléaire une peur apocalyptique comparable à celle de McK. Une peur qui ne soit pas qu’un moment avant le souhait de l’apocalypse et, avec elle, du royaume. Une peur qui conduise à lutter contre l’apocalypse, parce que le « contexte » est, pour la première fois dans l’histoire, authentiquement « apocalyptique29 ». Du moins aux yeux d’hommes comme Anders. Car la grande majorité des hommes, les « philistins » sains et normaux, dont l’« affairement » même réfute que la fin du monde puisse être proche30, est « aveugle » face à l’apocalypse et, du coup, incapable d’avoir peur.

    13Ceux qui ont lu la quatrième partie du tome I de L’Obsolescence de l’homme et La Menace nucléaire trouveront tout cela bien familier. Les « concepts » clés de ces essais sont ici réunis. L’apocalypse conçue comme disparition des hommes et par là (et seulement par là) du monde31, l’avenir transformé en « délai » ou « sursis » [Frist32], l’incapacité à avoir peur à cause de l’idéologie du Progrès33 et le recours à une psychologie des seuils, pour dire notre incapacité à percevoir ce qui est trop grand, ce qu’Anders appelle ici « supraconscient34 » et pas encore « supraliminaire35 », la nécessité d’avoir la peur chevillée au corps et pas seulement de s’intéresser au concept de fin des temps36.

    14On a l’impression que tout est là, mais vu avec « les yeux du journal ». C’est au tome I de L’Obsolescence de l’homme et aux plus anciens textes de La Menace nucléaire qu’il reviendra de porter un regard théorique sur la situation. Un regard qui analysera, en s’appuyant sur la thèse du décalage prométhéen et le démantèlement de la finalité des activités humaines, les raisons de cet aveuglement et dira aussi la nécessité d’agrandir son imagination.

    L’apocalypse selon Anders

    15La veine apocalyptique chez Anders part donc de ces pages du journal. Avant de voir comment, après une dizaine d’années de réflexion, Anders transpose cet ensemble de faits et d’impressions sur le plan théorique dans les années 1950, donnons quelques précisions sur ce qu’Anders entend par « apocalypse » et comment il convient de situer son propos par rapport à l’apocalypse religieuse et par rapport aux autres conceptions de l’apocalypse nucléaire37.

    16Anders commence par donner une définition de l’apocalypse qui ne renvoie à aucune religion particulière : « Ce mot signifie que la terre […] errera à travers l’espace comme une planète parmi d’autres planètes, sans vie et sans être connue de personne38. » C’est le meurtre de l’humanité par elle-même – et non son suicide – qui aura mené à cette situation39. Dans « Le délai », il se lancera dans une comparaison de son apocalypse avec l’apocalypse chrétienne – nous y reviendrons –, mais ce sera pour mieux montrer ce qui l’en sépare. Si Anders – qui se présente lui-même comme « notoirement irréligieux », « notoirement athée » – flirte avec la théologie en intitulant, par exemple, un chapitre « Théologie de la situation atomique », l’idée de la religion qu’il mobilise est assez peu religieuse :

    La situation dans laquelle nous sommes pris est […] un religiosum. […] Il est incontestable qu’on ne peut qualifier ces réflexions autrement que comme « théologiques », même si aucun dieu n’y apparaît. Où pourrais-je sinon classer ce qui est démesuré40 ?

    17Cette situation est religieuse, même si aucun dieu n’y intervient, parce qu’elle est « énorme ». Elle est religieuse au sens où le serait le premier moment du sublime41, le moment de la terreur, s’il n’était pas suivi d’un second moment, celui du délice – qui relativise le démesuré tout en le projetant dans l’espace de la représentation, projette le démesuré dans l’espace de la représentation tout en le relativisant. Telle qu’envisagée par les Chrétiens42, l’apocalypse comme révélation du royaume, n’est finalement qu’une métaphore sublime suscitant terreur mais ensuite délice43 ; telle qu’envisagée par Anders, l’apocalypse sans royaume, l’apocalypse comme fin ultime, est – ou plutôt devrait être – la source d’une pure terreur. Pour Anders, la question de l’apocalypse articule, comme on va le voir, ontologie et politique. S’il est question de religion sous la plume d’Anders, c’est dans des développements servant à préciser sa position propre qui est tout sauf religieuse44. Ce qui l’intéresse, c’est éventuellement le discours religieux et sa capacité d’entraînement, pas la religion elle-même45.

    18Après l’apocalypse telle qu’Anders la définit, il ne restera plus aucun humain, il n’y aura plus personne pour témoigner qu’un monde a existé. Dans le premier numéro des Temps modernes, évoquant, lui aussi, la possibilité d’une troisième guerre mondiale nucléaire, Sartre écrit qu’elle peut faire « sauter […] la terre46 ». Ce n’est pas du tout de cela que parle Anders. Il parle de la disparition des hommes et du fait que, comme c’est pour eux que la terre est un monde, une fois qu’ils auront disparu, la terre ne sera plus qu’une planète tournant « autour du soleil comme un astre mort, c’est-à-dire inhabité et connu de personne47 ». Quand il se rend au Japon en 1958, Anders survole l’Alaska dans un avion de ligne et, après avoir aperçu un avion de chasse probablement équipé de missiles nucléaires, il réfléchit sur la faible différence entre un « vol d’essai », si les nerfs du pilote lâchent, et le « commencement » de la troisième guerre mondiale nucléaire :

    Après une demi-heure, tout ce qui se trouve au-dessous de nous sera devenu un unique Hiroshima, une terre qui ne conservera pas la moindre trace du fait que nous avons été là. Regarde en bas : cette planète sans hommes au-dessous de toi – n’est-elle pas peut-être déjà la terre après ce jour48 ?

    19L’Alaska vue du ciel comme une image d’un nouvel âge de glace. Cette expérience permet de prendre la mesure de ce que signifie le mot « apocalypse » pour Anders.

    20À l’époque où Anders a publié le tome 1 de L’Obsolescence de l’homme, en 1956, la thèse qui prévalait quant à l’impact des « armes » nucléaires était américaine. Aux États-Unis, en 1950, le Département américain de la défense et la Commission pour l’énergie atomique avaient publié la première édition d’un ouvrage « signé » par Samuel Glasstone mais rédigé en fait « under the direction of the Los Alamos Scientific Laboratory » : The Effects of Atomic Weapons. Le chapitre VIII intitulé « Residual Nuclear Radiations and Contamination » explique que, pour que toute la terre soit contaminée, il faudrait « quelque chose comme un million de bombes », or c’est une « situation improbable49 ». Cette étude n’envisage la contamination que comme locale. Sur ces bases, après la troisième guerre mondiale, la vie continuerait, contaminée certes, mais elle continuerait car elle ne serait que localement contaminée. C’est probablement à cette thèse que pense Anders lorsqu’il écrit en 1956 : « Si, malgré tout, l’homme survivait, ce ne serait plus en tant qu’être historique mais comme un pitoyable résidu : comme une nature contaminée dans une nature contaminée50. » Anders maximalise cette thèse en l’étendant à l’ensemble de l’humanité. Est-ce une de ses « exagérations en direction de la vérité51 » ? Est-ce une de ces idées vraies d’entrée de jeu « excessives » dont le destin est de devenir des « idées fixes52 » ? C’est sans doute une idée excessive qui, pour être exposée et convaincre, a besoin d’être exagérée. On trouve déjà cette idée chez Einstein (qu’Anders cite, justement à ce propos, dans « Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse53 ») : « Aujourd’hui, la guerre s’appelle l’anéantissement de l’humanité », voire de « toute vie sur terre54 ». Anéantissement de la vie par « contamination radioactive de l’atmosphère », précise-t-il. La modélisation de l’équipe TTAPS55 (1983), qui envisage la troisième guerre mondiale sur le modèle d’une éruption volcanique et d’où est sortie la fameuse thèse de l’« hiver nucléaire » (ainsi nommé par Richard Turco), s’inscrit dans l’esprit de la thèse du laboratoire de Los Alamos popularisée par Glasstone. Pour l’équipe TTAPS, les radiations seront localement meurtrières, du moins pendant les premières semaines mais le vrai problème sera surtout une famine et les conflits qu’elle ne manquera pas d’engendrer. Harwell et Hutchinson56 (1986) puis Robock, Oman et Stenchikov57 (2007) ont ponctuellement affiné ce scénario sans en modifier l’esprit.

    21La maximalisation de cette thèse par Anders – le passage d’une contamination locale à une contamination globale (sous la forme « Hiroshima est partout » et « Tchernobyl est partout58 »), de là, à l’anéantissement de l’humanité – le fait passer d’un plan où l’on spécule à partir des analyses réalisées par les Américains à Hiroshima et Nagasaki à un plan ontologique où il y va du passage de la chute de l’être dans le néant59.

    22C’est au point qu’il est parfaitement fondé de s’interroger sur la nature de cette troisième guerre mondiale. On peut déjà se demander si le bombardement d’Hiroshima était encore un acte de guerre ou déjà autre chose, car les armes nucléaires ne sont plus des armes. On les nomme « bombes » mais ce ne sont plus des pièces d’artillerie60. Continuer à les classer dans cette catégorie est un mensonge. Ce sont plutôt des machines, des machines meurtrières, puisque ce n’est pas de façon secondaire et contingente qu’elles liquident massivement des hommes, mais que tel est leur principe61. Si, une fois l’humanité liquidée, il reste non pas un monde mais une terre, Anders imagine que ces machines pourraient continuer à y faire leur travail, se localiser les unes les autres et poursuivre une guerre post-apocalyptique et donc inhumaine que, de son point de vue d’humain, Anders qualifie de « posthume62 ».

    23Plus tard, à la fin du tome II de L’Obsolescence de l’homme (1980), Anders n’aura plus recours au mot « apocalypse » pour désigner cet anéantissement total mais inventera pour ce faire le néologisme de « globicide ». Le mot « apocalypse » est essentiellement présent, chez Anders, à l’époque des débuts de la guerre froide.

    Angoisse et prophylaxie

    24Les deux textes les plus importants, lorsqu’on veut parler de l’apocalypse selon Anders, sont « Le délai » (première version de 1951 et seconde version de 1960) et la quatrième partie du tome I de L’Obsolescence de l’homme, « Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse » (1956).

    25« Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse » présente l’espoir eschatologique et l’angoisse apocalyptique comme deux moments formant un complexe. Jadis, l’un et l’autre allaient toujours ensemble, rappelle Anders. L’espoir eschatologique n’a jamais quitté la scène de l’histoire. Il est resté au premier plan jusqu’à aujourd’hui, chez les croyants mais aussi, sous une forme sécularisée, chez les révolutionnaires et les scientifiques, mais l’angoisse apocalyptique, elle, est passée au second plan. Voilà ce qu’Anders écrit au § 14 de ce texte : « Jadis l’espoir eschatologique était toujours accompagné d’une angoisse apocalyptique, alors que maintenant le côté apocalyptique de l’affaire reste dans l’ombre, quand il n’est pas complètement gommé63. » Ce retrait de l’angoisse apocalyptique a deux causes : une cause anthropologique – ce qu’Anders appelle le décalage prométhéen, c’est-à-dire, ici, le fait que les hommes soient capables de produire assez de bombes atomiques pour anéantir l’humanité entière mais soient pourtant incapables d’imaginer qu’ils le peuvent – et une cause idéologique – la croyance de l’homme actuel au Progrès64.

    26La seconde cause empêche l’homme actuel de cultiver son imagination et le rend aveugle à la désormais possible apocalypse nucléaire. Pourtant Anders insiste : aujourd’hui, une angoisse apocalyptique gagne des non-religieux, c’est-à-dire une avant-garde de physiciens (les 18 signataires de l’appel de Göttingen en 1957, parmi lesquels Max Born et Werner Heisenberg) et « ceux qui manifestent contre l’armement nucléaire, c’est-à-dire les militants pacifistes (allemands et japonais, entre autres)65 ».

    27Il ne s’agit pas d’une renaissance de l’angoisse apocalyptique religieuse, mais de l’apparition d’une angoisse apocalyptique d’un genre nouveau, qui partage avec l’angoisse apocalyptique religieuse la particularité de dépasser « toutes les peurs intramondaines que l’homme est capable d’éprouver face à tel ou tel danger ».

    Il ne s’agit pas de vouloir artificiellement réhabiliter l’angoisse de l’apocalypse et la peur de l’enfer. Ce que je veux dire, c’est seulement que l’attente du jugement dernier et de l’enfer est précisément ce qui a fait connaître l’angoisse aux hommes ; que cette peur des supplices démesurés auxquels ils devaient s’attendre dépassait toutes les peurs intramondaines que nous sommes capables d’éprouver face à tel ou tel danger, y compris face à notre propre mort ; et que cette peur s’apparente incomparablement plus que celle que nous avons pu ressentir sous le règne de la terreur ou sous les tapis de bombes, à l’angoisse qu’il serait légitime aujourd’hui d’éprouver66.

    28« Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse » est un texte qui porte avant tout sur l’incapacité de l’homme d’aujourd’hui à se laisser envahir par l’angoisse apocalyptique pour des raisons anthropologique et idéologique. Aveuglement face à l’apocalypse et, du coup, « indolence67 », « paresse68 », voire indifférence69 face à l’apocalypse, qui est un sujet désolant et ennuyeux70 devant lequel « notre âme déclare forfait71 ». Nous sommes incapables d’éprouver l’angoisse apocalyptique que requiert la situation et ne voyons plus en « apocalypse » qu’un « simple mot72 ».

    29L’autre texte, « Le délai », précise, lui, les effets du concept d’apocalypse comme « anéantissement de l’humanité par elle-même » sur le concept traditionnel de non-être de l’ontologie, sur l’articulation apocalypse-royaume de la religion et sur la politique.

    30Cette situation apocalyptique apparue avec la guerre froide est d’abord un kairós pour l’ontologie73. On n’a jamais pensé le non-être absolu auparavant, seulement le non-être relatif ; la situation apocalyptique apparue avec la guerre froide offre à l’homme la chance de pouvoir la penser. Quand Anders dit que cette situation est un kairós, c’est bien sûr de l’humour noir. L’homme se serait bien passé de l’opportunité qui lui est ainsi offerte d’approcher l’idée d’un non-être absolu. Car c’est cela que lui offre la situation apocalyptique née de la guerre froide.

    On a toujours parlé d’un non-être mais c’est d’un non-être dans l’espace de l’être qu’il était question. Il y a toujours eu des êtres pour parler de ce non-être. C’est toujours d’un « non-être pour l’être », d’un « non-être à l’usage de l’homme » qu’il était question. C’en est fini maintenant de cette époque idyllique du « non-être pour nous ». Ce qui se tient désormais devant nous, c’est un « non-être pour personne ». Plus personne n’aura la chance de lire l’inscription « il était une fois ». Et plus aucun conteur ne se servira de cette formule pour rendre compte de l’existence féérique de l’humanité. Parce que le cimetière qui nous attend est tel que les défunts qui y reposeront ne laisseront personne derrière eux74.

    31Ce kairós ontologique a pour conséquence une seconde révolution du « statut métaphysique » de l’homme, « une révolution […] encore plus profonde que celle qu’on tenait jusqu’à présent pour la plus profonde, à savoir celle que nos ancêtres ont dû vivre avec l’écroulement de leur image géocentrique du monde vieille de plusieurs milliers d’années75 ». Une dernière remarque sur ce point. La chance que la situation apocalyptique née de la guerre froide offre à l’homme est non pas de concevoir le non-être absolu, mais d’approcher l’idée de non-être absolu. Concevoir le non-être absolu est logiquement impossible à l’homme. Tant qu’il existera, il ne concevra qu’un non-être relatif. C’est seulement lorsqu’il ne sera plus là que règnera le non-être absolu, mais alors, il ne sera plus là pour le concevoir.

    32Ce qu’Anders va pouvoir ensuite concevoir grâce à cette idée de non-être absolu, c’est l’idée d’une apocalypse sans royaume, d’une apocalypse nue. Dans « Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse », Anders distinguait espoir eschatologique et angoisse apocalyptique. Chez la plupart des hommes d’aujourd’hui, disait-il, l’espoir eschatologique est toujours au premier plan et l’angoisse apocalyptique au second. Le retrait de l’angoisse apocalyptique est le résultat de causes anthropologique et idéologique qui contribuent à rendre la plupart des hommes actuels aveugles à l’apocalypse. « Le délai » envisage un nouveau rapport à l’apocalypse que n’envisageait pas « Sur la bombe ou les causes de notre aveuglement à l’apocalypse » : Anders le nomme « l’indifférence à l’apocalypse76 ». À la différence de celui qui est aveugle à l’apocalypse, celui qui lui est indifférent la voit, mais se sent déchargé d’agir car d’avance dépassé par un tel phénomène.

    33Or, la nouvelle situation apocalyptique requiert que l’homme ne soit ni aveugle ni indifférent à l’apocalypse mais qu’il agisse en vue de modifier cette situation. C’est parce que l’apocalypse est repassée chez eux au premier plan que les 18 physiciens signataires de l’appel de Göttingen et les militants pacifistes allemands et japonais sont à la hauteur de la situation apocalyptique engendrée par la guerre froide. Leur imagination est assez forte et leur croyance au Progrès assez ébranlée pour qu’ils saisissent le kairós ontologique que leur offre l’époque et s’approchent de l’idée d’un non-être absolu. Ils sont donc capables de concevoir une apocalypse qui ne soit plus la promesse d’un royaume, mais une apocalypse sans royaume, une apocalypse nue, une apocalypse qui soit pur anéantissement de l’humanité.

    Aujourd’hui, pour penser, nous disposons du concept d’apocalypse nue, c’est-à-dire d’un concept d’apocalypse qui consiste en une simple fin du monde n’impliquant pas l’ouverture d’une nouvelle situation positive (la situation du « royaume »). On a à peine réfléchi à cette apocalypse sans royaume auparavant, en dehors peut-être de ces philosophes de la nature qui ont spéculé sur la mort thermique77.

    34Anders semble reconnaître ici un modèle épistémologique à l’apocalypse sans royaume : l’entropie, mais pas d’ancêtre religieux. L’apocalypse sans royaume, l’apocalypse nue lui semble plus proche de l’entropie de Boltzmann que de l’apocalypse chrétienne. L’apocalypse chrétienne n’aura été qu’une métaphore, une fiction78. Sur cette question des emplois métaphoriques du mot « apocalypse », ajoutons cette phrase de Visite dans l’Hadès : « Alors que les armes atomiques sont littéralement “apocalyptiques”, les camps ne l’ont été et ne le sont encore que dans un sens métaphorique79. » L’arme nucléaire, c’est l’apocalypse : les camps, c’est l’enfer. C’est un peu comme si l’apocalypse était l’universalisation de l’enfer, la transformation du monde en camp d’extermination, pour reprendre une idée présente dans Hiroshima est partout80 (1958) et dans la première lettre ouverte à Klaus Eichmann81 (1964). On peut penser que c’est sous l’influence de ce genre de rapprochements entre l’apocalypse nucléaire et l’enfer des camps d’extermination qu’Anders en est venu à cesser de parler d’apocalypse nucléaire pour parler de globicide.

    35Anders précise les ressemblances et différences de l’apocalypse religieuse et de l’apocalypse nucléaire en rédigeant un synopse pointant quatre ressemblances et six différences82 entre les deux apocalypses. Ce sont les cinquième et sixième différences qui sont les plus significatives.

    5. Autrefois, il était nécessaire d’assurer les « frères » déçus par le non-avènement de la fin que celui qui était mort au monde avait sa fin derrière lui et vivait déjà racheté en Christ. – Notre tâche aujourd’hui est au contraire d’empêcher, en informant, que nous ne nous trouvions réellement déjà dans la situation eschatologique d’empêcher que l’eschaton [le dernier moment] n’arrive vraiment. 6. Aujourd’hui, le problème moral se pose d’une façon totalement nouvelle du fait que nous devons vivre sous la menace d’une situation apocalyptique que nous avons nous-mêmes créée83.

    36La spécificité de l’apocalypse nucléaire, c’est que, dans son cas, les hommes eux-mêmes seront à l’origine de l’anéantissement qu’ils essaient d’empêcher. S’agit-il des mêmes hommes dans les deux cas ? Non, répond Anders. Il s’agit bien d’un meurtre et non d’un suicide84.

    37Ce qu’Anders expose enfin dans « Le délai », c’est l’obligation pour les hommes confrontés à cette nouvelle situation apocalyptique de devenir ce qu’il appelle des « apocalypticiens prophylactiques85 ». C’est un concept assez étonnant puisqu’il inverse ce que la tradition religieuse a toujours entendu par « apocalypticien ». L’apocalypticien religieux appelle de tous ses vœux l’apocalypse car, porté par l’espoir eschatologique, il a en vue le royaume de Dieu que l’apocalypse révèle. L’apocalypticien au sens d’Anders, l’apocalypticien prophylactique, craint l’apocalypse, car il sait qu’elle est un terme absolu et définitif et que, après, il y a le néant absolu. D’un point de vue chrétien, l’apocalypticien au sens d’Anders, l’apocalypticien prophylactique, est un anti-apocalypticien. Tout son effort va consister à lutter pour repousser la fin du monde au lieu de la hâter. Cela va avoir pour conséquence de l’inscrire dans une temporalité inédite. Il sait que l’humanité n’a plus de futur, il sait qu’elle vit dans l’attente de son désormais inévitable anéantissement, il sait qu’elle a un délai devant elle, c’est-à-dire « un espace de temps défini par son caractère limité et son manque de durée86 ».

    38L’idée, c’est de faire en sorte que le plus grand nombre d’humains se mettent en mouvement pour allonger ce délai et repousser la fin du monde. Anders sera un théoricien et un animateur des mouvements pacifiste et antinucléaire allemands. Dans ce texte, Anders se réfère à plusieurs reprises à Paul et à la deuxième épitre aux Thessaloniciens. Malgré tout le respect que nous inspire le scandaleux Jacob Taubes, sa critique de la conception anderssienne de l’apocalypse (qui, du point de vue de sa théologie politique, serait faible et manquerait d’acuité87), nous persistons à croire qu’Anders a produit une conception apocalyptique forte, bien que non théologique, de la politique. Il a réussi à articuler en elle et l’impératif de conserver le monde et celui de le changer. Si l’on veut absolument trouver un kathékon, une instance qui retient et diffère la fin, chez Anders, c’est à coup sûr des apocalypticiens prophylactiques qu’il s’agit. À la différence du kathékon religieux, le kathékon d’Anders n’est pas un kathékon qui travaille à retarder la révélation du royaume de Dieu, mais un kathékon qui travaille à retarder l’apocalypse sans royaume.

    « Je ne suis pas venu apporter la paix » : un oui à la violence pour un non à l’apocalypse

    39Longtemps, Anders a pensé les apocalypticiens prophylactiques, c’est-à-dire les mouvements pacifiste et antinucléaire et leurs alliés, sur le modèle du mouvement ouvrier. Il a imaginé des mots d’ordre, des grèves possibles. Il a bien compris que pour faire de l’humanité menacée d’anéantissement par la guerre nucléaire totale l’équivalent du prolétariat de Marx, il fallait faire naître en elle l’équivalent d’une conscience de classe : une conscience d’être non pas mortelle mais tuable. Voici ce qu’il écrit dans un texte de 1959 qui s’intitule « Meurtre nucléaire n’est pas suicide » :

    Le prolétariat, qui existait avant Marx, n’était assurément pas un sujet d’action collectif : il n’était « un », quelque chose d’unitaire, que dans un sens passif, seulement en tant qu’« objet », en tant qu’ensemble de tous les hommes concernés et touchés par le même destin de l’exploitation. Ce constat n’a pas suffi à Marx, mais il lui a suggéré la tâche d’éveiller et de former une conscience de classe qui puisse l’aider à transformer cet objet unitaire en un véritable sujet d’action. Quelque chose d’analogue ne serait-il pas pensable aujourd’hui ? Ne pourrait-on pas essayer d’éveiller en l’humanité – devenue une victime une et virtuelle sous l’effet du destin commun de la menace – une conscience (analogue à la conscience de classe) à l’aide du slogan « Morts en sursis de tous les pays, unissez-vous ! » ? Dans un certain sens, les orateurs, les manifestants du « mouvement anti-nucléaire » et moi-même, nous ne faisons rien d’autre. Aucun d’entre nous n’est prêt à renoncer à faire des discours et à hurler des slogans, mais nous devons rester lucides sur le peu de chances que nous avons d’atteindre notre but88.

    40Le prolétariat a pu se constituer en classe sur la base d’une solidarité entre sujets partageant une même souffrance. La difficulté avec les « morts en sursis », dont parle ici Anders, c’est qu’ils ne souffrent pas et ne voient pas ce qu’ils ont en commun.

    41Puis en 1986, juste après le super-accident de Tchernobyl, Anders, âgé alors de 84 ans, a radicalisé sa conception de l’action politique. Dans un entretien puis dans plusieurs textes figurant dans La Violence : oui ou non, il a identifié le délai qu’il reste à l’humanité avant son anéantissement à une situation d’urgence [Notstand], une situation exceptionnelle justifiant une réponse violente mais légitime de type insurrectionnel, et a opté, ce faisant, pour une sorte de décisionnisme révolutionnaire89. Tous les éléments du décisionnisme sont là : l’histoire conçue comme un délai, la proclamation d’un état d’urgence, la contestation de la souveraineté de l’État libéral qu’il arrive à Anders d’appeler, en reprenant le mot forgé par son ami Robert Jungk, l’« État nucléaire » [Atomstaat]. Si, dans un texte de 1974 intitulé « Mein Judentum » [Ma judéité], il dit que le bombardement d’Hiroshima a mis fin à son messianisme, dans La Violence : oui ou non, il ne peut résister à adresser au lecteur une sorte de gimmick messianique et cite Mathieu 10.34 : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée90. » Citation parfaitement cohérente de la part de quelqu’un qui ne voit l’apocalypse que sans royaume ou nue et qui, malgré ses 84 ans, n’est pas prêt à poser son épée de chevalier apocalypticien prophylactique.

    42Je voudrais terminer en revenant une dernière fois sur la comparaison entre apocalypse religieuse et apocalypse nucléaire faite par Anders. Cette comparaison lui a valu des reproches. On lui a reproché d’avoir fait un usage métaphorique du mot apocalypse et d’avoir par cet usage transféré à une situation totalement étrangère à la religion le caractère sérieux et terrible de l’apocalypse religieuse. La réponse d’Anders à ces accusations ne manque pas de panache :

    Aussi ancienne et respectable que soit l’histoire des espoirs et des peurs eschatologiques […], il n’y a bien sûr jamais eu jusqu’à présent de véritable danger de fin du monde, malgré tout le sérieux subjectif avec lequel les prophètes ont parlé de ce danger. Le danger de fin du monde qui menace aujourd’hui est le premier à être objectivement sérieux. Il est même si sérieux qu’il ne pourrait pas l’être plus. Puisqu’il en va ainsi, voilà comment il convient de répondre aux questions : quel emploi des termes « fin du monde » ou « apocalypse » est métaphorique ? Quel autre ne l’est pas ? C’est aujourd’hui pour la première fois que ces termes prennent un sens sérieux et non métaphorique ; depuis l’année zéro (= 1945), ils désignent pour la première fois une fin réellement possible. Du coup, le concept d’apocalypse qu’on a utilisé en théologie jusqu’à présent se révèle n’avoir été qu’une simple métaphore. Pour être plus précis, ce qu’on a visé à travers ce concept […] se révèle aujourd’hui n’avoir été qu’une fiction91.

    43Ce qui est remarquable avec Anders, c’est qu’il prétend finalement arracher l’apocalypse à l’imaginaire et la faire entrer dans la réalité sous prétexte que « le danger de fin du monde qui menace aujourd’hui est le premier à être objectivement sérieux92 ». En dernière instance, l’objectif d’Anders, lorsqu’il veut faire entrer l’apocalypse dans la réalité, est pratique. Il s’agit de faire passer l’angoisse apocalyptique, qui persiste dans son retrait, au rang de peur intramondaine. Cette angoisse n’a-t-elle pas un objet maintenant avec la situation apocalyptique engendrée par la guerre froide ? L’idée, c’est de faire renaître l’angoisse apocalyptique, de la faire renaître sous la forme d’une peur de l’anéantissement total, de faire prendre conscience à l’humanité qu’elle est « tuable ». Le seul titre qu’ait accepté Anders sans trop rechigner est celui de « semeur de panique professionnel » (Süddeutsche Zeitung, 2 novembre 1983). Le travail autour du thème de l’apocalypse auquel il s’est livré du début des années 1950 à celui des années 1980 participe de ce projet de faire naître une peur de l’anéantissement total là où il n’y a, selon lui, qu’aveuglement, indolence, paresse, indifférence.

    44Il ne faut jamais perdre de vue que, si Anders a formulé cette approche de l’apocalypse nucléaire en termes d’anéantissement de l’humanité en pleine guerre froide, elle a, à son tour, conditionné son approche du nucléaire civil dans les années 1980. Quand, en 1982, dans « Les conséquences des conséquences des conséquences », il écrit : « Toute centrale est une bombe », il pense le nucléaire civil à partir de la bombe93. Et quand, en 1987, dans La Violence : oui ou non, il compare « Hiroshima est partout », slogan qu’il avait forgé dans les années 1950, avec « Tchernobyl est partout », celui que les militants antinucléaires allemands ont forgé sous le coup de Tchernobyl, il réinterprète le « partout » en termes d’accidents simultanés et d’« épidémie94 ». L’apocalypse peut emprunter la voie « Hiroshima-Nagasaki-etc. » ou la voie « Three Mile Island-Tchernobyl-Fukushima, etc. », celle des bombes-bombes ou celle des bombes-centrales.

    Notes de bas de page

    1 G. Anders, Journaux de l’exil et du retour, Fage, 2012, p. 61. – Les références aux œuvres d’Anders les plus citées dans l’article sont données selon les abréviations suivantes : HiU : Hiroshima est partout [1982], trad. D. Trierweiler, Le Seuil, 2008 ; JER : Journaux de l’exil et du retour [1985], trad. I. Kalinowski, Fage, 2012 ; MN : La Menace nucléaire [1993], trad. C. David, Le Serpent à plumes, 2006 ; OH1 : L’Obsolescence de l’homme, t. I [1956], trad. C. David, Ivrea/L’Encyclopédie des nuisances, 2002 ; OH2 : L’Obsolescence de l’homme, t. II [1980], trad. C. David, Fario, 2012 ; VdH : Visite dans l’Hadès [1979], trad. C. David, Le Bord de l’eau, 2014 ; VON : La Violence : oui ou non [1987], trad. C. David, Fario, 2014.

    2 De toutes façons, jouer avec les aiguilles n’évite pas le danger, comme l’enseigne l’anecdote rapportée par Anders dans JER, 60.

    3 Adorno : « Aucune histoire universelle ne conduit du sauvage à l’humanité civilisée, mais il y en a très probablement une qui conduit de la fronde à la bombe atomique », Dialectique négative, Payot, 1978, p. 250. Einstein : « Je ne sais pas [de quelles armes les hommes se serviront pour la troisième guerre mondiale], mais je peux vous dire ce dont ils se serviront pour la quatrième. Ils se jetteront des pierres ! », The Rotarian, vol. 72, n° 6, juin 1948, p. 9.

    4 HiU, p. 113.

    5 MN, p. 293.

    6 JER, p. 243.

    7 OH2, p. 409 et suiv.

    8 JER, p. 45.

    9 MN, p. 21 et suiv. Dans l’œuvre publiée, il existe une première réécriture de l’histoire de Noé qui s’intitule « Les fausses réponses » (1958) (HiU, p. 277 et suiv.) puis une seconde qui s’intitule « L’avenir pleuré [d’avance] » (1961) (MN, p. 21 et suiv.).

    10 Notre hypothèse est que ce mystérieux « W. H. » n’est autre que le poète anglais Wystan Hugh Auden qui a donné des cours à la New School for Social Research en 1946-1947 juste avant Anders qui, lui, y a enseigné en 1949-1950. Qu’il s’intéresse à la question de la fin des temps, c’est ce dont atteste son poème The Age of Anxiety publié en 1947. En 1946, à l’époque où a lieu l’épisode raconté par Anders, Auden faisait cours sur Shakespeare et était en train de travailler à The Age of Anxiety. Préoccupé par le devenir de l’homme dans les sociétés industrielles, Auden a été très impressionné par sa lecture de Condition de l’homme moderne. Arendt lui a consacré un texte : « En souvenir de W. H. Auden » (qu’on peut lire dans le volume Auden, Essais critiques, Belin, 2000).

    11 JER, p. 55. Rapprochement exploité par Anders dans OH1, p. 270. Si notre hypothèse est juste, il faudrait donc admettre que le § 4 de la quatrième partie d’OH1 est un écho de l’échange avec Auden à propos de McK. Ce qu’Anders dit du nihilisme est aussi proche de ce qu’en dit Auden selon Anders.

    12 JER, p. 56.

    13 JER, p. 46.

    14 Ibid., p. 56.

    15 Id.

    16 Ibid., p. 60.

    17 Voir Mumford, « Gentlemen : you are mad ! », dans The Saturday Review, 2 mars 1946, p. 5.

    18 JER, p. 61.

    19 Id.

    20 Ibid., p. 56.

    21 Ibid., p. 57.

    22 Ibid., p. 53.

    23 Ibid., p. 54.

    24 Ibid., p. 56.

    25 MN, p. 304.

    26 JER, p. 56.

    27 Ibid., p. 56.

    28 Id.

    29 Id.

    30 Ibid., p. 58.

    31 Ibid., p. 47.

    32 Ibid., p. 56.

    33 Ibid., p. 58 et suiv.

    34 Ibid., p. 72.

    35 OH1, p. 291 et suiv.

    36 JER, p. 56.

    37 C’est essentiellement la troisième guerre mondiale anticipée comme une guerre nucléaire totale qu’Anders vise sous le mot « apocalypse » mais il y ajoute aussi ponctuellement « les formes aussi multiples qu’apocalyptiques de pollution de l’environnement » (MN, p. 17). Sur la pollution de l’environnement, voir VON, p. 113.

    38 HiU, p. 113.

    39 MN, p. 95 et suiv.

    40 OH2, p. 402 et 404. Sur le jeu d’Anders avec la théologie, comparer « L’Obsolescence de la méchanceté », texte de 1966 (OH2, p. 401 et suiv.), avec le § 6 de la quatrième partie d’OH1 (p. 276 et suiv.).

    41 Nous parlons ici du sublime au sens de Burke. Sur le sublime kantien, voir VdH, p. 44, où Anders dit clairement la différence de sa tentative pour penser le monstrueux et de celle de Kant pour penser l’« absolument grand ».

    42 Et par d’autres religieux. Voir N. Cohn, Cosmos, chaos, et le monde qui vient, Allia, 2000.

    43 MN, p. 304 et suiv.

    44 Pour penser l’apocalypse Anders a également recours au mythe, aux Titans en l’occurrence qu’il présente comme les « seigneurs de l’apocalypse » (OH1, p. 266) et fait entrer en scène au tout début de ses considérations sur l’apocalypse nucléaire. Il faudrait ici comparer les Titans nihilistes d’Anders à ceux des frères Jünger (Friedrich-Georg puis Ernst) et faire la part de ce que l’un et les autres entendent par nihilisme.

    45 Voir la lettre d’Anders à Hans Jonas du 15 avril 1977.

    46 Sartre, « La Fin de la guerre », dans Les Temps modernes, 1re année, n° 1, octobre 1945 p. 165.

    47 HiU, p. 135. Il faudrait mettre cette présentation de la terre en parallèle avec Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », dans Essais et conférences, Gallimard, 1958, p. 113 et parler de Der Blick vom Mond [Vu de la lune] (1970), le livre d’Anders sur les voyages spatiaux.

    48 HiU, p. 86.

    49 S. Glasstone, The Effects of Atomic Weapons, prepared for and in cooperation with the US Departement of Defense and the US Atomic Energy Commission, revised September 1950, published under the direction of the Los Alamos Scientific Laboratory, Los Alamos, New Mexico, 1950, p. 267.

    50 OH1, p. 293.

    51 Ibid., p. 29.

    52 JRE, p. 61.

    53 OH1, p. 292.

    54 Einstein, « Comment supprimer la guerre ? » [1941] et « Au sujet de la cohabitation pacifique des nations » [1950] dans Comment je vois le monde, trad. M. Solovine, Flammarion, 1979, p. 52 et p. 87.

    55 R. P. Turco, O. B. Toon, T. P. Ackerman, J. B. Pollack, Carl Sagan, « Nuclear Winter : Global Consequences of Multiple Nuclear Explosions », Science, 23 December 1983, vol. 222, n° 4630 p. 1283-1292.

    56 M. A. Harwell et T. C. Hutchinson, Environmental Consequences of Nuclear War, vol. II : Ecological and Agricultural Effects, John Wiley & Sons, New York, 1986.

    57 A. Robock, L. Oman and G. L. Stenchikov, « Nuclear Winter Revisited with a Modern Climate Model and Current Nuclear Arsenals : Still Catastrophic Consequences » dans Journal of Geophysical Research, vol. 112, 2007.

    58 Pour une comparaison de ces deux formules par Anders lui-même, voir VON, p. 20.

    59 On trouve le même genre de déplacements chez Arendt et Jaspers.

    60 MN, p. 189.

    61 Ibid., p. 284.

    62 Ibid., p. 285.

    63 OH1, p. 309.

    64 JER, p. 58 et suiv. et OH1, p. 311, note 23.

    65 OH1, p. 308.

    66 OH1, p. 311.

    67 Ibid., p. 297.

    68 HiU, p. 42.

    69 MN, p. 267.

    70 HiU, p. 231.

    71 OH1, p. 300.

    72 Id.

    73 MN, p. 251.

    74 MN, p. 252 et suiv.

    75 Ibid., p. 249.

    76 Ibid., p. 267.

    77 Ibid., p. 294 et suiv.

    78 Ibid., p. 304.

    79 VdH, p. 197.

    80 HiU, p. 263.

    81 Lettre ouverte à Klaus Eichmann [1964], dans Nous, fils d’Eichmann, Rivages, 1999, p. 96.

    82 MN, p. 308 et suiv.

    83 Ibid., p. 331.

    84 Ibid., p. 95 et suiv.

    85 Ibid., p. 259.

    86 Ibid., p. 308.

    87 J. Taubes, Théologie politique de Paul, Le Seuil, 1999, p. 164.

    88 MN, p. 105 et suiv.

    89 Entre Taubes et Anders, il y a bien sûr Carl Schmitt. La Violence : oui ou non d’Anders (Fario, 2014) date de 1986 ; Théologie politique de Paul de Taubes (Le Seuil, 1999), de 1987. S’appropriant le concept schmittien de Notstand [état d’urgence] immédiatement après le super-accident de Tchernobyl, Anders utilise des thèses comme « La situation exceptionnelle [Ausnahmezustand] est chaque fois sans précédent » ou « Est souverain celui qui décide d’une situation exceptionnelle » pour rendre compte de l’inféodation nucléaire de la RFA aux USA dans le contexte de la guerre froide.

    90 VON, p. 23.

    91 MN, p. 304.

    92 Id.

    93 C’est déjà ce qu’il disait en 1981 dans La Menace nucléaire : « C’est le mouvement contre la guerre nucléaire qui éclaire le mouvement contre les centrales » (p. 13).

    94 VON, p. 20.

    Auteur

    Christophe David


    Maître de conférences en philosophie à l’université Rennes 2 et traducteur de Walter Benjamin, Theodor W. Adorno et Günther Anders.

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Relire Perec

    Relire Perec

    Colloque de Cerisy

    Christelle Reggiani (dir.)

    2017

    La présence : discours et voix, image et représentations

    La présence : discours et voix, image et représentations

    Michel Briand, Isabelle Gadoin et Anne-Cécile Guilbard (dir.)

    2016

    Penser la prose dans le monde gréco-romain

    Penser la prose dans le monde gréco-romain

    Jean-Philippe Guez et Dimitri Kasprzyk (dir.)

    2016

    Voyages d’Odysée

    Voyages d’Odysée

    Déplacements d’un mot de la poétique aux sciences humaines

    Céline Barral et Marie de Marcillac (dir.)

    2015

    Jacques Jouet

    Jacques Jouet

    Marc Lapprand et Dominique Moncond’huy (dir.)

    2016

    Robert Marteau, arpenteur en vers et proses

    Robert Marteau, arpenteur en vers et proses

    Sandrine Bédouret-Larraburu et Jean-Yves Casanova (dir.)

    2015

    Le bonheur au xviiie siècle

    Le bonheur au xviiie siècle

    Guilhem Farrugia et Michel Delon (dir.)

    2015

    Utopie et catastrophe

    Utopie et catastrophe

    Revers et renaissances de l’utopie (xvie-xxie siècle)

    Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée (dir.)

    2015

    Fictions narratives au xxie siècle

    Fictions narratives au xxie siècle

    Approches rhétoriques, stylistique et sémiotiques

    Cécile Narjoux et Claire Stolz (dir.)

    2015

    Savoirs de la fiction

    Savoirs de la fiction

    Christine Baron et Laurence Ellena (dir.)

    2021

    La pseudonymie dans la littérature française

    La pseudonymie dans la littérature française

    De François Rabelais à Éric Chevillard

    David Martens (dir.)

    2017

    Promenade et flânerie : vers une poétique de l’essai entre xviiie et xixe siècle

    Promenade et flânerie : vers une poétique de l’essai entre xviiie et xixe siècle

    Guilhem Farrugia, Pierre Loubier et Marie Parmentier (dir.)

    2017

    Voir plus de livres
    1 / 12
    Relire Perec

    Relire Perec

    Colloque de Cerisy

    Christelle Reggiani (dir.)

    2017

    La présence : discours et voix, image et représentations

    La présence : discours et voix, image et représentations

    Michel Briand, Isabelle Gadoin et Anne-Cécile Guilbard (dir.)

    2016

    Penser la prose dans le monde gréco-romain

    Penser la prose dans le monde gréco-romain

    Jean-Philippe Guez et Dimitri Kasprzyk (dir.)

    2016

    Voyages d’Odysée

    Voyages d’Odysée

    Déplacements d’un mot de la poétique aux sciences humaines

    Céline Barral et Marie de Marcillac (dir.)

    2015

    Jacques Jouet

    Jacques Jouet

    Marc Lapprand et Dominique Moncond’huy (dir.)

    2016

    Robert Marteau, arpenteur en vers et proses

    Robert Marteau, arpenteur en vers et proses

    Sandrine Bédouret-Larraburu et Jean-Yves Casanova (dir.)

    2015

    Le bonheur au xviiie siècle

    Le bonheur au xviiie siècle

    Guilhem Farrugia et Michel Delon (dir.)

    2015

    Utopie et catastrophe

    Utopie et catastrophe

    Revers et renaissances de l’utopie (xvie-xxie siècle)

    Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée (dir.)

    2015

    Fictions narratives au xxie siècle

    Fictions narratives au xxie siècle

    Approches rhétoriques, stylistique et sémiotiques

    Cécile Narjoux et Claire Stolz (dir.)

    2015

    Savoirs de la fiction

    Savoirs de la fiction

    Christine Baron et Laurence Ellena (dir.)

    2021

    La pseudonymie dans la littérature française

    La pseudonymie dans la littérature française

    De François Rabelais à Éric Chevillard

    David Martens (dir.)

    2017

    Promenade et flânerie : vers une poétique de l’essai entre xviiie et xixe siècle

    Promenade et flânerie : vers une poétique de l’essai entre xviiie et xixe siècle

    Guilhem Farrugia, Pierre Loubier et Marie Parmentier (dir.)

    2017

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    Presses universitaires de Rennes
    • amazon.fr
    • decitre.fr
    • mollat.com
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    ePub / PDF

    1 G. Anders, Journaux de l’exil et du retour, Fage, 2012, p. 61. – Les références aux œuvres d’Anders les plus citées dans l’article sont données selon les abréviations suivantes : HiU : Hiroshima est partout [1982], trad. D. Trierweiler, Le Seuil, 2008 ; JER : Journaux de l’exil et du retour [1985], trad. I. Kalinowski, Fage, 2012 ; MN : La Menace nucléaire [1993], trad. C. David, Le Serpent à plumes, 2006 ; OH1 : L’Obsolescence de l’homme, t. I [1956], trad. C. David, Ivrea/L’Encyclopédie des nuisances, 2002 ; OH2 : L’Obsolescence de l’homme, t. II [1980], trad. C. David, Fario, 2012 ; VdH : Visite dans l’Hadès [1979], trad. C. David, Le Bord de l’eau, 2014 ; VON : La Violence : oui ou non [1987], trad. C. David, Fario, 2014.

    2 De toutes façons, jouer avec les aiguilles n’évite pas le danger, comme l’enseigne l’anecdote rapportée par Anders dans JER, 60.

    3 Adorno : « Aucune histoire universelle ne conduit du sauvage à l’humanité civilisée, mais il y en a très probablement une qui conduit de la fronde à la bombe atomique », Dialectique négative, Payot, 1978, p. 250. Einstein : « Je ne sais pas [de quelles armes les hommes se serviront pour la troisième guerre mondiale], mais je peux vous dire ce dont ils se serviront pour la quatrième. Ils se jetteront des pierres ! », The Rotarian, vol. 72, n° 6, juin 1948, p. 9.

    4 HiU, p. 113.

    5 MN, p. 293.

    6 JER, p. 243.

    7 OH2, p. 409 et suiv.

    8 JER, p. 45.

    9 MN, p. 21 et suiv. Dans l’œuvre publiée, il existe une première réécriture de l’histoire de Noé qui s’intitule « Les fausses réponses » (1958) (HiU, p. 277 et suiv.) puis une seconde qui s’intitule « L’avenir pleuré [d’avance] » (1961) (MN, p. 21 et suiv.).

    10 Notre hypothèse est que ce mystérieux « W. H. » n’est autre que le poète anglais Wystan Hugh Auden qui a donné des cours à la New School for Social Research en 1946-1947 juste avant Anders qui, lui, y a enseigné en 1949-1950. Qu’il s’intéresse à la question de la fin des temps, c’est ce dont atteste son poème The Age of Anxiety publié en 1947. En 1946, à l’époque où a lieu l’épisode raconté par Anders, Auden faisait cours sur Shakespeare et était en train de travailler à The Age of Anxiety. Préoccupé par le devenir de l’homme dans les sociétés industrielles, Auden a été très impressionné par sa lecture de Condition de l’homme moderne. Arendt lui a consacré un texte : « En souvenir de W. H. Auden » (qu’on peut lire dans le volume Auden, Essais critiques, Belin, 2000).

    11 JER, p. 55. Rapprochement exploité par Anders dans OH1, p. 270. Si notre hypothèse est juste, il faudrait donc admettre que le § 4 de la quatrième partie d’OH1 est un écho de l’échange avec Auden à propos de McK. Ce qu’Anders dit du nihilisme est aussi proche de ce qu’en dit Auden selon Anders.

    12 JER, p. 56.

    13 JER, p. 46.

    14 Ibid., p. 56.

    15 Id.

    16 Ibid., p. 60.

    17 Voir Mumford, « Gentlemen : you are mad ! », dans The Saturday Review, 2 mars 1946, p. 5.

    18 JER, p. 61.

    19 Id.

    20 Ibid., p. 56.

    21 Ibid., p. 57.

    22 Ibid., p. 53.

    23 Ibid., p. 54.

    24 Ibid., p. 56.

    25 MN, p. 304.

    26 JER, p. 56.

    27 Ibid., p. 56.

    28 Id.

    29 Id.

    30 Ibid., p. 58.

    31 Ibid., p. 47.

    32 Ibid., p. 56.

    33 Ibid., p. 58 et suiv.

    34 Ibid., p. 72.

    35 OH1, p. 291 et suiv.

    36 JER, p. 56.

    37 C’est essentiellement la troisième guerre mondiale anticipée comme une guerre nucléaire totale qu’Anders vise sous le mot « apocalypse » mais il y ajoute aussi ponctuellement « les formes aussi multiples qu’apocalyptiques de pollution de l’environnement » (MN, p. 17). Sur la pollution de l’environnement, voir VON, p. 113.

    38 HiU, p. 113.

    39 MN, p. 95 et suiv.

    40 OH2, p. 402 et 404. Sur le jeu d’Anders avec la théologie, comparer « L’Obsolescence de la méchanceté », texte de 1966 (OH2, p. 401 et suiv.), avec le § 6 de la quatrième partie d’OH1 (p. 276 et suiv.).

    41 Nous parlons ici du sublime au sens de Burke. Sur le sublime kantien, voir VdH, p. 44, où Anders dit clairement la différence de sa tentative pour penser le monstrueux et de celle de Kant pour penser l’« absolument grand ».

    42 Et par d’autres religieux. Voir N. Cohn, Cosmos, chaos, et le monde qui vient, Allia, 2000.

    43 MN, p. 304 et suiv.

    44 Pour penser l’apocalypse Anders a également recours au mythe, aux Titans en l’occurrence qu’il présente comme les « seigneurs de l’apocalypse » (OH1, p. 266) et fait entrer en scène au tout début de ses considérations sur l’apocalypse nucléaire. Il faudrait ici comparer les Titans nihilistes d’Anders à ceux des frères Jünger (Friedrich-Georg puis Ernst) et faire la part de ce que l’un et les autres entendent par nihilisme.

    45 Voir la lettre d’Anders à Hans Jonas du 15 avril 1977.

    46 Sartre, « La Fin de la guerre », dans Les Temps modernes, 1re année, n° 1, octobre 1945 p. 165.

    47 HiU, p. 135. Il faudrait mettre cette présentation de la terre en parallèle avec Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », dans Essais et conférences, Gallimard, 1958, p. 113 et parler de Der Blick vom Mond [Vu de la lune] (1970), le livre d’Anders sur les voyages spatiaux.

    48 HiU, p. 86.

    49 S. Glasstone, The Effects of Atomic Weapons, prepared for and in cooperation with the US Departement of Defense and the US Atomic Energy Commission, revised September 1950, published under the direction of the Los Alamos Scientific Laboratory, Los Alamos, New Mexico, 1950, p. 267.

    50 OH1, p. 293.

    51 Ibid., p. 29.

    52 JRE, p. 61.

    53 OH1, p. 292.

    54 Einstein, « Comment supprimer la guerre ? » [1941] et « Au sujet de la cohabitation pacifique des nations » [1950] dans Comment je vois le monde, trad. M. Solovine, Flammarion, 1979, p. 52 et p. 87.

    55 R. P. Turco, O. B. Toon, T. P. Ackerman, J. B. Pollack, Carl Sagan, « Nuclear Winter : Global Consequences of Multiple Nuclear Explosions », Science, 23 December 1983, vol. 222, n° 4630 p. 1283-1292.

    56 M. A. Harwell et T. C. Hutchinson, Environmental Consequences of Nuclear War, vol. II : Ecological and Agricultural Effects, John Wiley & Sons, New York, 1986.

    57 A. Robock, L. Oman and G. L. Stenchikov, « Nuclear Winter Revisited with a Modern Climate Model and Current Nuclear Arsenals : Still Catastrophic Consequences » dans Journal of Geophysical Research, vol. 112, 2007.

    58 Pour une comparaison de ces deux formules par Anders lui-même, voir VON, p. 20.

    59 On trouve le même genre de déplacements chez Arendt et Jaspers.

    60 MN, p. 189.

    61 Ibid., p. 284.

    62 Ibid., p. 285.

    63 OH1, p. 309.

    64 JER, p. 58 et suiv. et OH1, p. 311, note 23.

    65 OH1, p. 308.

    66 OH1, p. 311.

    67 Ibid., p. 297.

    68 HiU, p. 42.

    69 MN, p. 267.

    70 HiU, p. 231.

    71 OH1, p. 300.

    72 Id.

    73 MN, p. 251.

    74 MN, p. 252 et suiv.

    75 Ibid., p. 249.

    76 Ibid., p. 267.

    77 Ibid., p. 294 et suiv.

    78 Ibid., p. 304.

    79 VdH, p. 197.

    80 HiU, p. 263.

    81 Lettre ouverte à Klaus Eichmann [1964], dans Nous, fils d’Eichmann, Rivages, 1999, p. 96.

    82 MN, p. 308 et suiv.

    83 Ibid., p. 331.

    84 Ibid., p. 95 et suiv.

    85 Ibid., p. 259.

    86 Ibid., p. 308.

    87 J. Taubes, Théologie politique de Paul, Le Seuil, 1999, p. 164.

    88 MN, p. 105 et suiv.

    89 Entre Taubes et Anders, il y a bien sûr Carl Schmitt. La Violence : oui ou non d’Anders (Fario, 2014) date de 1986 ; Théologie politique de Paul de Taubes (Le Seuil, 1999), de 1987. S’appropriant le concept schmittien de Notstand [état d’urgence] immédiatement après le super-accident de Tchernobyl, Anders utilise des thèses comme « La situation exceptionnelle [Ausnahmezustand] est chaque fois sans précédent » ou « Est souverain celui qui décide d’une situation exceptionnelle » pour rendre compte de l’inféodation nucléaire de la RFA aux USA dans le contexte de la guerre froide.

    90 VON, p. 23.

    91 MN, p. 304.

    92 Id.

    93 C’est déjà ce qu’il disait en 1981 dans La Menace nucléaire : « C’est le mouvement contre la guerre nucléaire qui éclaire le mouvement contre les centrales » (p. 13).

    94 VON, p. 20.

    L’Apocalypse : une imagination politique

    X Facebook Email

    L’Apocalypse : une imagination politique

    Ce chapitre est cité par

    • Baychelier, Guillaume. (2021) Immersion sous contrainte et écologie des territoires hostiles dans la série Metro : enjeux ludiques et affectifs de la pratique vidéoludique en milieu post-apocalyptique. Kinephanos. DOI: 10.7202/1082343ar

    L’Apocalypse : une imagination politique

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks

    Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    L’Apocalypse : une imagination politique

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    David, C. (2018). L’apocalypse selon Günther Anders. In C. Coquio, J.-P. Engélibert, & R. Guidée (éds.), L’Apocalypse : une imagination politique (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.179387
    David, Christophe. « L’apocalypse selon Günther Anders ». In L’Apocalypse : une imagination politique, édité par Catherine Coquio, Jean-Paul Engélibert, et Raphaëlle Guidée. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2018. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.179387.
    David, Christophe. « L’apocalypse selon Günther Anders ». L’Apocalypse : une imagination politique, édité par Catherine Coquio et al., Presses universitaires de Rennes, 2018, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.179387.

    Référence numérique du livre

    Format

    Coquio, C., Engélibert, J.-P., & Guidée, R. (éds.). (2018). L’Apocalypse : une imagination politique (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.179307
    Coquio, Catherine, Jean-Paul Engélibert, et Raphaëlle Guidée, éd. L’Apocalypse : une imagination politique. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2018. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.179307.
    Coquio, Catherine, et al., éditeurs. L’Apocalypse : une imagination politique. Presses universitaires de Rennes, 2018, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.179307.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Presses universitaires de Rennes

    Presses universitaires de Rennes

    • Mentions légales
    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Flux RSS

    URL : http://www.pur-editions.fr

    Email : pur@univ-rennes2.fr

    Adresse :

    2, avenue Gaston Berger

    CS 24307

    F-35044

    Rennes

    France

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement