Le mot « odyssée » dans l’écriture essayiste au xxe siècle : un nœud notionnel complexe
p. 119-139
Texte intégral
1Avec les Essais, Michel de Montaigne est considéré comme le fondateur du genre de l’essai littéraire. Or, la référence à l’Odyssée y apparaît déjà en notes à bien des reprises, ce qui pourrait suggérer d’emblée l’existence d’un lien particulier entre ce dernier texte et le genre de l’essai, où écriture et pensée relèvent d’un souci commun. L’essai, dans lequel se donnent à lire « à sauts et à gambades » les aventures d’une pensée, trouve peut-être dans l’odyssée un modèle, si bien que les récits de voyage des siècles suivants emprunteront souvent cette forme. Le xxe siècle sera le temps de l’épanouissement du genre. On ne compte plus alors le nombre d’essais sur l’Odyssée, à tout le moins ceux dans lesquels figure la référence à l’Odyssée ou le mot « odyssée », en littérature mais aussi en théorie littéraire et dans les sciences humaines (philosophie, psychanalyse, histoire, anthropologie, etc.), puisque la catégorie de l’essai a la particularité d’être tout à fait transdisciplinaire. Cette circulation de la référence à l’Odyssée dans l’essai au xxe siècle ne relève pas du hasard selon Antoine Raybaud dans Le Besoin littéraire, car elle est liée au devenir du mythe d’Ulysse, son personnage principal. Cette dispersion du mythe d’Ulysse au fil de ses réécritures semble valoir également pour les métamorphoses de l’Odyssée :
Ulysse reste bien un mythe moderne, de cette modernité où une stratégie de « mythographie », s’affichant comme remploi, ne relève plus de la formulation d’un mythe fondateur unifiant, mais d’un bricolage de mythes figurateurs susceptibles de s’appliquer là, qui, à ce titre, engagent une inscription beaucoup plus « essayiste » : empruntée, ou par effraction, approximative, non certaine, inachevée ; essayée, retravaillée, contaminée, d’une certaine façon, plutôt interrogée qu’affirmée, et, comme telle, interminable1.
2 Par conséquent, l’écriture essayiste semble constituer au xxe siècle un lieu commun des réécritures théoriques de l’Odyssée, notamment en théorie littéraire et en philosophie. L’ensemble du propos tâchera de mettre en évidence l’existence d’un réseau intertextuel de textes littéraires, théoriques, philosophiques2 et anthropologiques autour du mot odyssée dont il dessinera la cartographie. Nous montrerons que ce dernier devient un nœud notionnel complexe, susceptible de renvoyer à des pensées contradictoires entre elles, en axant notamment notre réflexion sur deux grands types de pensées incompatibles associées à l’Odyssée : la pensée hégélienne rationaliste, lieu commun dont nous retracerons ici l’histoire, mais aussi une pensée autre, résistant précisément à la domination de celle-ci. Pour ce faire, nous distinguerons successivement trois statuts possibles de la référence à l’Odyssée dans les textes philosophiques et théoriques : l’Odyssée comme texte, le nom commun odyssée et l’adjectif odysséen, correspondant à différents types de mobilisations et d’éloignements de l’œuvre d’Homère.
Fondations : dutitre au nom propre, des odyssées hégeliennes
3L’usage le plus attendu du mot « odyssée » dans les textes théoriques au xxe siècle est certainement celui qui en est fait lorsque les philosophes relient la première œuvre d’Homère à celle de Georg W. F. Hegel dans deux perspectives différentes : en utilisant la référence littéraire pour caractériser La Phénoménologie de l’Esprit (1807), mais aussi en proposant une lecture rétrospective du parcours d’Ulysse à travers le filtre de la pensée hégélienne. Alors que nulle mention de l’Odyssée n’apparaît dans l’œuvre de Hegel, ses premiers commentateurs ont d’emblée emprunté aux formes littéraires du récit de voyage et du roman de formation pour qualifier l’ouvrage de Hegel, ainsi qu’au périple d’Ulysse pour désigner les étapes de l’accomplissement de la conscience dans La Phénoménologie de l’Esprit. En revanche, le syntagme « Odyssee des Geistes »/ « Odyssée de l’Esprit » apparaît déjà dans le Système de l’Idéalisme transcendantal (1800) de Friedrich W. J. Schelling, autre représentant de l’idéalisme allemand, ce qui poussera Vladimir Jankélévitch à intituler la thèse qu’il consacre à ce dernier l’Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de F. W. J. Schelling (1933). Le rapprochement entre Odyssée et Phénoménologie de l’Esprit a certainement été facilité par l’importance au xixe siècle du débat des philologues allemands autour de l’œuvre d’Homère après sa traduction au siècle précédent par Johann Heinrich Voss. De ces premiers commentaires de l’œuvre de Hegel, les lecteurs contemporains ont retenu cet usage du mot « odyssée » pour écrire sur La Phénoménologie de l’Esprit : l’article de Frédérique Fleck et Peggy Lecaudé « Du nom propre au nom commun : une odyssée lexicale » en rend compte de manière très précise.
4Au delà de l’écriture du commentaire, la corrélation entre Odyssée et pensée hégélienne semble avoir une postérité au sein de la création philosophique aussi bien de langue allemande que de langue française au xxe siècle. C’est ce dialogue franco-allemand que nous aimerions ici évoquer en commentant les travaux de Theodor W. Adorno & Max Horkheimer et d’Emmanuel Levinas : les premiers proposent une lecture rétrospective et anachronique de l’Odyssée à travers l’œuvre d’Homère, tandis que le second a recours à l’Odyssée pour modéliser la pensée hégélienne. Cependant, loin de s’accorder sur une lecture univoque de l’Odyssée, ces philosophes puisent chacun chez Hegel des motifs ou signifiants différents pour l’éclairer. Ajoutons que chez ces philosophes, leur lecture de l’Odyssée est tributaire des interprétations qu’en ont proposées ses réécritures littéraires (Dante, Kafka, Primo Lévi), mais aussi la théorie littéraire. Il s’agira donc dans cette première partie de retracer les voyages du mot « odyssée » en philosophie, littérature et théorie littéraire. Ces usages essayistes de l’Odyssée, considéré comme texte hégélien ont en commun de combiner l’idée d’un parcours essentiellement tourné vers le retour et celle d’une « œuvre-monde » où l’espace devient « espace encyclopédique », pour reprendre les termes d’Antoine Raybaud dans Le Besoin littéraire.
T. W. Adorno et M. Horkheimer : la rencontre des sirènes ou la dialectique du maître et de l’esclave
5Dans La Dialectique de la Raison, les penseurs allemands T. W. Adorno et M. Horkheimer entreprennent une lecture systématique de la dialectique du mythe et de la raison dans l’Odyssée, qu’ils considèrent comme l’un des premiers documents représentatifs de la civilisation bourgeoise3 occidentale, au sein d’un chapitre « Digression : Ulysse ou mythe et raison » qui lui est consacré. Le parcours d’Ulysse est caractérisé comme un voyage, ponctué d’aventures formatrices qui annoncent le roman picaresque :
Cela vaut d’autant plus pour l’Odyssée, dans la mesure où celle-ci est plus proche de la forme du roman picaresque. […] La course errante de Troie à Ithaque représente l’itinéraire suivi à travers les mythes par un soi physiquement très faible face aux forces de la nature et qui ne se réalise lui-même que dans la prise de conscience4.
6Ce parcours est susceptible de recevoir différentes interprétations dans des perspectives qui mêlent philosophie, politique et économie. Ainsi, plus loin, « les aventures d’Ulysse ne sont que la description de la rencontre des risques qui jalonnent la voie conduisant au succès5 » du petit-bourgeois. Seule la nostalgie d’Ithaque, nostalgie de la patrie qui marque le passage du nomadisme à un mode de vie sédentaire où l’homme est attaché à la propriété, y mettra un terme.
7Plus précisément, T. W. Adorno et M. Horkheimer perçoivent dans l’Odyssée une pré-figuration allégorique de certains aspects de La Phénoménologie de l’Esprit : l’odyssée d’Ulysse constitue une image de l’émergence de la raison contre le mythe, puis du retournement de la raison contre elle-même, laquelle semble trouver son aboutissement dans la raison hégélienne. En introduction, dans « Le concept d’Aufklärung », T. W. Adorno et M. Horkheimer interprètent ainsi la rencontre homérique d’Ulysse et des Sirènes dans la perspective de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave : « Un récit d’Homère conserve ce lien entre le mythe, la domination et le travail. Le douzième chant de l’Odyssée relate la rencontre d’Ulysse et les Sirènes6. » Dans l’épisode de l’Odyssée, les mesures que prend Ulysse – en se bouchant les oreilles et en demandant à ses compagnons de ramer – annoncent en effet la dialectique de la raison, comme retournement de la raison contre elle-même dans sa quête d’émancipation de la nature. La ruse d’Ulysse consiste à faire travailler ses compagnons pour lui : eux seuls rament, tandis qu’il écoute le chant des Sirènes. Le remplacement dans le travail, qui pourrait sembler synonyme de progrès, est en réalité facteur de régression. Le patron, en renonçant à participer au travail n’a plus de relation directe avec l’existence. Il en résulte une double mutilation, pour Ulysse, comme pour ses compagnons, correspondant à la séparation des sphères du penser et de l’expérience. C’est là le principe hégélien de la dialectique du maître et de l’esclave. T. W. Adorno et M. Horkheimer citent à ce titre La Phénoménologie de l’Esprit :
Le primitif ne connut la chose naturelle que sous la forme d’un objet se dérobant à son désir, « mais le maître qui a intercalé l’esclave entre cette chose et lui ne s’associe de ce fait qu’à la chose en tant que dépendante et en la jouissance pure ; la face de la chose en tant qu’indépendante, il l’abandonne à l’esclave qui la façonne » (Hegel, Phénoménologie de l’esprit, op. cit.). Ulysse se fait remplacer dans le travail7.
8La scène d’Ulysse ligoté au mât illustre de manière métaphorique le renversement des rôles entre le maître, Ulysse, et les esclaves, ses compagnons qui rament les oreilles bouchées : « pour sauver Ulysse et se sauver eux-mêmes, ils laissent leur maître attaché au mât8 ». L’analogie repose sur le rapprochement de deux personnages de la philosophie de Hegel le maître et l’esclave et des différents protagonistes de l’épisode des Sirènes, Ulysse et ses compagnons. Dans cet épisode, la dialectique de la raison réinterprète la dialectique du maître et de l’esclave hégélienne selon un jeu de déplacements. Les deux philosophes semblent en rester à la double mutilation, du maître et des esclaves, oubliant volontairement le retournement hégélien qui la suit. Un arrière-plan marxiste oriente en outre le propos hégélien vers une critique économique et sociale de la société industrielle. Pour T. W. Adorno et M. Horkheimer, Ulysse apparaît donc pour partie comme figure hégélienne : celle du Maître dans la dialectique du maître et de l’esclave. Cette assimilation négative revêt un enjeu critique que la situation de l’École de Francfort par rapport à l’hégélianisme éclaire. T. W. Adorno et M. Horkheimer critiquent en effet la raison hégélienne, récusant la théorie de l’identité à laquelle Hegel a donné sa forme accomplie. La théorie de l’identité affirmait que l’identité de l’esprit absolu et de l’être, du réel et du rationnel garantissait la métaphysique comme savoir. T. W. Adorno et M. Horkheimer nient la doctrine de l’identité, en proposant une pensée radicale de la non-identité comme réhabilitation du non-identique et du négatif, qui renonce à la saisie du réel comme totalité. L’héritage marxiste de T. W. Adorno et M. Horkheimer, qui affleure dans l’analyse de l’épisode d’Ulysse et des Sirènes, apparaît particulièrement complexe. La première version de La Dialectique de la Raison est en effet marquée par une forme de néo-marxisme, de matérialisme historique. La version de 1947 sur laquelle nous travaillons a été en revanche relativement toilettée, car T. W. Adorno et M. Horkheimer adhérant alors au camp de l’Ouest de la guerre froide, affichent un anti-stalinisme manifeste, et font tout pour oublier les origines marxistes de leur propos. On sait le dialogue extrêmement critique que le matérialisme historique entretient avec l’idéalisme hégélien, la philosophie hégélienne étant marquée par une croyance au progrès d’une raison toute puissante qu’Adorno et Horkheimer dénoncent. La spécificité de la lecture proposée par T.W. Adorno et M. Horkheimer réside dans leur convocation d’un épisode précis de La Phénoménologie de l’Esprit : la dialectique du Maître et de l’esclave, mis au regard d’un moment singulier du périple d’Ulysse : la rencontre des Sirènes.
9Dans La Dialectique de la Raison, la lecture de l’Odyssée semble médiée par la lecture du court texte de Franz Kafka intitulé « Le silence des Sirènes », au statut oscillant entre la nouvelle et l’essai. L’« odyssée » dont il est question n’est donc plus celle d’Homère, mais un périple actualisé par sa version kafkaïenne. Cela apparaît de manière nette, si l’on compare leurs interprétations respectives de l’épisode des Sirènes. Pour les deux philosophes, Ulysse est en effet le propriétaire foncier ou le P.-D.G. capitaliste dont la ruse consiste à faire travailler les autres pour lui, mais il est également comparé à un auditeur de salle de concert. Cette interprétation de l’épisode des Sirènes doit sans doute beaucoup à la version de F. Kafka :
Comme preuve que des moyens insuffisants, puérils même, peuvent servir au salut : pour se préserver des Sirènes, Ulysse se boucha les oreilles avec de la cire et se fit enchaîner au mât. Tous les voyageurs, sauf ceux que les Sirènes attiraient de loin auraient pu (naturellement) depuis longtemps faire de même, mais le monde entier savait que cela ne pouvait être d’aucun secours. La voix des Sirènes perçait tout et la passion eût fait éclater des choses plus solides que les chaînes et un mât. Mais bien qu’il en eût peut-être entendu parler, Ulysse n’y pensait pas. Il se fiait absolument à sa poignée de cire et à son paquet de chaînes, et tout à la joie innocente que lui procuraient ses petits expédients, il alla au devant des Sirènes9.
10Dans le récit de F. Kafka, Ulysse est implicitement décrit comme un petit-bourgeois techniciste, incapable d’avoir accès au chant des sirènes. Par un renversement comique, ce ne sont plus les compagnons d’Ulysse qui se bouchent les oreilles avec de la cire, mais Ulysse lui-même. Son matérialisme est rendu sensible par l’importance qu’il accorde à sa ruse. F. Kafka souligne également qu’Ulysse « ne pensait à rien d’autre qu’à la cire et aux chaînes10 ». Par un second déplacement d’ordre satirique, les Sirènes ne chantent plus. Leur silence traduit la fermeture du petit bourgeois à la beauté de l’art. On retrouve là le lieu commun du désenchantement du monde moderne dont les voix se sont tues. En un sens, F. Kafka rend possible la lecture hégélienne de la rencontre d’Ulysse et des Sirènes.
E. Levinas : l’image de la réflexivité dans le système hégélien
11En France, quelques années plus tard, E. Levinas critique lui aussi le parcours d’Ulysse perçu comme une odyssée hégélienne. La perspective est différente, dans la mesure où les références à l’Odyssée sont ponctuelles dans une œuvre qui n’est jamais consacrée au texte d’Homère, mais y renvoie pour nourrir et illustrer son propos. Le recours à l’Odyssée permet notamment à Levinas de figurer de manière marquante pour le lecteur un mode de pensée qu’il rejette. En effet, dans l’ensemble de son œuvre, E. Levinas réduit l’Odyssée d’Ulysse à un itinéraire entièrement tendu vers le retour. Le mot « Odyssée » est utilisé non seulement comme titre d’une œuvre dans Difficile Liberté (1963) : « Comme pour Ulysse, son périple n’est que l’accident d’un retour. L’Odyssée dans ce sens domine la littérature11 », mais aussi comme nom propre : « Le chien qui reconnut Ulysse sous son déguisement à son retour de l’Odyssée était-il le parent du nôtre ? » On retrouve cet usage du nom propre dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence (1974) : « Mais l’Odyssée a été aussi une aventure, une histoire de rencontres innombrables12. » Dans le reste de son propos, il est fait référence à l’odyssée par le biais de paraphrases et de périphrases. Selon lui, si le périple d’Ulysse peut bien être qualifié de pérégrinations, ou être marqué par une série d’aventures, ce dernier n’existe pour autant que dans l’attente d’un retour chez soi, dans son île natale.
12Dans « Mouvement sans retour », l’un des chapitres de En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger (1949), E. Levinas oppose le parcours d’Ulysse au mouvement d’Abraham : « Au mythe d’Ulysse retournant à Ithaque, nous voudrions opposer l’histoire d’Abraham quittant à jamais sa patrie pour une terre encore inconnue et interdisant à son serviteur de ramener même son fils à ce point de départ13. » Le recours à l’odyssée d’Ulysse face au trajet d’Abraham a donc quelque chose de rhétorique. Pour reprendre des catégories extrêmement larges, l’opposition entre Ulysse et Abraham repose sur la dichotomie de la philosophie occidentale d’origine grecque et de la pensée juive, à propos de la question de l’Autre et du Même. L’Odyssée d’Ulysse tendue vers le retour dans la patrie constitue pour Levinas la marque du repliement sur soi et de la fermeture à l’Autre. L’Autre valant pour autrui, mais aussi pour toute forme de transcendance, il en résulte une philosophie occidentale caractérisée comme philosophie immanente et philosophie de l’athéisme. Une autre dichotomie, celle de la Totalité et de l’Infini, que l’on retrouve dans le titre d’un autre ouvrage de Levinas, rend compte de l’opposition des deux figures. Dans cette perspective, le motif du retour peut être interprété comme volonté de clôture et de constitution d’un savoir total, à laquelle Levinas oppose la quête de l’Infini comme ouverture vers l’Autre. Levinas recherche au contraire une expérience dans laquelle l’Autre ne se transmue pas en Même. L’itinéraire d’Abraham relève en revanche de ce « mouvement du Même vers l’Autre qui ne retourne jamais au Même », d’un « départ sans retour et qui ne va pas cependant dans le vide14 ». Abraham se dirige en effet vers une Terre promise dont il ne connaît encore rien. Lorsque Abraham accepte de sacrifier son propre fils, il s’inscrit plus largement dans une logique sacrificielle inhérente à l’expérience de l’altérité à laquelle aspire Levinas. Ce dernier utilise alors le terme de liturgie, dans un sens non directement religieux – même si une certaine idée de Dieu y est présente – pour désigner cette « œuvre du même en tant que mouvement sans retour du Même vers l’Autre ».
13E. Levinas retient du mouvement de l’Odyssée tendue vers son retour la réflexivité qui caractérise la pensée grecque par opposition à la pensée hébraïque. La pensée grecque trouve selon lui son aboutissement dans la philosophie hégélienne : Ulysse devient un comparant de la conscience occidentale, qui a elle-même Hegel pour représentant. Le rapprochement entre Ulysse et Hegel est donc indirect et fonctionne à partir d’un troisième terme, la pensée occidentale. Cette réflexivité est d’abord celle d’une pensée spéculative comme savoir sur le savoir. La conscience hégélienne nie elle aussi l’extériorité de l’objet et découvre toujours le monde comme sa propriété. Pour cette dernière, le mouvement vers l’autre n’est en réalité mouvement vers l’autre que pour revenir au même. La conscience de soi hégélienne se donne donc comme le royaume de la vérité qui n’est plus à rechercher à l’extérieur. L’homme de la raison nie alors toute transcendance. Sans transcendance, ni extériorité, elle est un cercle qui se suffit à lui-même :
Le Dieu des philosophes d’Aristote à Leibniz, à travers le Dieu des scolastiques, est un dieu adéquat à la raison, un dieu compris qui ne saurait troubler l’autonomie de la conscience, se retrouvant elle-même à travers toutes ses aventures, retournant chez soi comme Ulysse qui, à travers toutes ses pérégrinations ne va que vers son île natale. La philosophie qui nous est transmise ramène à ce retour non seulement la pensée théorétique, mais tout mouvement spontané de la conscience. Non seulement le monde compris par la raison cesse d’être autre car la conscience s’y retrouve, mais tout ce qui est attitude de la conscience, c’est-à-dire valorisation, sentiment, action, travail, et d’une façon plus générale engagement, est en dernière analyse conscience de soi, c’est-à-dire identité et autonomie. La philosophie de Hegel représente l’aboutissement logique de cette allergie foncière de la philosophie15.
14Pour Levinas, l’odyssée d’Ulysse tendue vers le retour à Ithaque est donc représentative de la pensée grecque, comme de la pensée hégélienne qui ont en commun d’être marquées par la réflexivité, la fermeture à l’Autre et une quête totalisante du savoir.
15Là encore, la lecture lévinassienne de l’Odyssée est certainement influencée par certaines des réécritures du mythe, en particulier celles de Dante et de Primo Lévi. Dans « Nom d’un chien ou du droit naturel », Emmanuel Levinas rapporte une anecdote survenue dans un camp de concentration, où il a été déporté en tant que Juif. Alors que les Nazis déniaient aux prisonniers toute forme d’humanité et les traitaient comme des chiens, seul un chien, au sens littéral du terme, Bobby, reconnaît leur humanité. Pour éclairer la signification du passage, Levinas convoque des intertextes : biblique, avec la mention des chiens d’Égypte qui n’aboient pas la nuit de l’Exode, et homérique, avec l’épisode de la reconnaissance d’Ulysse par son chien lors de son retour à Ithaque. Le surgissement de la référence à Ulysse dans un camp de travail dirigé par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale n’est pas sans rappeler un chapitre de Si c’est un homme (1947) de Primo Levi : « Le chant d’Ulysse ». L’écrivain italien décide de témoigner de l’enfer qu’il vécut dans les camps de concentration dans un texte à portée également autobiographique. Il rapporte qu’aidé par un ami français, il s’est souvenu du chant XXVI de l’Enfer de Dante qui réécrit la fin de l’Odyssée : après son passage chez Circé, Ulysse décide de ne plus rentrer, mais de poursuivre son voyage au-delà des frontières du monde connu, en transgressant les Colonnes d’Hercule. L’expédition se termine par un naufrage non loin de la Montagne du Purgatoire. Il est probable que Levinas aussi a eu en tête le chant de Dante dans le reste de son œuvre, où il propose une image d’Ulysse beaucoup plus négative que celle de Primo Levi. Certes, l’Ulysse de Dante ne songe pas à rentrer, mais il entreprend, comme celui de Levinas, l’odyssée du savoir dans un monde païen. Et il sera jeté en Enfer pour avoir essayé d’outrepasser les bornes du savoir humain.
16D’autres lectures, plus théoriques, comme celle de Mimesis (1946) d’Erich Auerbach ont joué certainement aussi un rôle important dans la version lévinassienne de l’Odyssée. Dans Mimesis, E. Auerbach s’intéresse à l’interprétation du réel à travers la représentation littéraire, entreprenant une histoire du réalisme dans la littérature occidentale, et notamment du degré et de la nature du sérieux et du tragique qui s’expriment dans le traitement de sujets réalistes. L’ouvrage propose un parcours diachronique à travers une succession de commentaires philologiques de textes associés à une époque afin d’y confronter ses hypothèses. Le premier chapitre, « La cicatrice d’Ulysse », est consacré à l’étude comparée de l’épisode de l’Odyssée du même nom et du sacrifice d’Isaac par Abraham dans la Bible. Selon le philologue, ces deux textes narratifs sont paradigmatiques de deux styles antinomiques, liés à deux rapports au réel différents, qui ont déterminé en partie l’histoire de la littérature. L’épisode de la cicatrice d’Ulysse, style de premier plan qui laisse peu de place au devenir historique et humain, est un exemple fort du « réalisme homérique », qui sera en partie effectif jusqu’à la fin de l’Antiquité. Le style de la Bible, en revanche, caractérisé par l’omniprésence d’un arrière-plan, est à l’origine d’un style qu’E. Auerbach appelle « figuratif », lequel annonce le réalisme moderne du xxe siècle. E. Auerbach établit une hiérarchie implicite entre ces deux styles : d’un point de vue esthétique, le réalisme homérique semble bien plus riche que le style figuratif abrupt de l’Ancien Testament ; pour autant, la représentation de l’homme et de la vie qu’Homère propose est plus simple que celle de la Bible. L’effet de réel produit par le style homérique ne repose pas sur une vérité historique, tandis que le style biblique a pour objet la vérité de l’histoire universelle et annonce la naissance de l’historiographie. Certes, E. Auerbach oscille entre une lecture globale de l’œuvre d’Homère (incluant l’Iliade aux côtés de l’Odyssée) dont il décrit le style, et la micro-lecture d’un épisode particulier de l’Odyssée. On note ainsi deux références convenues au titre de l’œuvre, dans lesquelles il en appelle aux lecteurs : « Les lecteurs de l’Odyssée se souviennent de la scène émouvante et longuement préparée du chant XIX où Ulysse, de retour à Ithaque, est reconnu par sa vieille nourrice Euryclée, à la cicatrice qu’il porte à la cuisse16. » Puis il renvoie plus loin à « une construction syntaxique familière à tous les lecteurs de l’Iliade et de l’Odyssée17 ». Cependant, le traitement de l’Odyssée comme texte fondateur d’un style littéraire désigné comme ancien face à la modernité de l’Ancien Testament, a certainement marqué Levinas qui fera lui aussi de l’Odyssée d’Ulysse l’image d’une pensée grecque constituant un modèle dépassé.
Prolongement : le nom « odyssée » peut-il parler d’Ulysse ?
17Les lectures de l’Odyssée proposées par E. Levinas, mais aussi par E. Auerbach, ont eu une influence considérable sur celles de Jean-François Lyotard et de Jacques Derrida, qui défendent eux aussi l’idée d’une Odyssée hégélienne. Une évolution majeure chez ces derniers philosophes, qui ne reviennent à l’Odyssée qu’à travers leur commentaire d’Ulysse de Joyce, réside dans leur usage du nom commun « odyssée ». Comment la référence à l’« odyssée » est-elle réactivée lorsqu’elle est déplacée pour parler d’Ulysse ? Quels sèmes du mot « odyssée » sont alors mobilisés ? J. Derrida et J.-F. Lyotard divergent dans leur manière de mobiliser le nom odyssée : tandis que le premier utilise l’imaginaire homérique pour décrire le monde joycien, le second travaille à creuser l’écart entre l’odyssée d’un Ulysse tournée vers le retour à Ithaque et l’errance d’un Leopold Bloom, revenant qui hante Dublin.
J. Derrida : « odyssée de la phénoménologie de l’esprit »
18À la fin de son article « Violence et métaphysique » (1967), consacré à la pensée d’E. Levinas, Jacques Derrida relève la manière dont ce dernier fait du parcours d’Ulysse une odyssée hégélienne, et indique en note de bas de page : « Mais Levinas n’aime pas Ulysse ni les ruses de ce héros trop hégélien, de cet homme du nostos et du cercle fermé, dont l’aventure se résume toujours dans sa totalité. » Cette note apparaît particulièrement significative pour notre propos, puisque l’emploi de l’adjectif hégélien fait explicitement d’Ulysse un personnage illustrant la philosophie de l’idéalisme allemand. Cependant, J. Derrida critique l’opposition lévinassienne des pensées grecque et juive autour du motif du retour :
L’impossibilité du retour n’est sans doute pas ignorée par Heidegger : l’historicité originaire de l’être, l’originarité de la différence, l’errance irréductible interdisent le retour à l’être lui-même qui n’est rien. Levinas est donc ici du côté de Heidegger. En revanche, le thème du retour est-il si peu hébraïque ? En construisant Bloom et Stephen (Juif-Hellène), Joyce s’intéressa beaucoup aux thèses de Victor Bérard qui faisaient d’Ulysse un sémite18.
19Selon lui, la pensée grecque peut également avoir pour visée l’impossibilité du retour, tandis que le retour n’est pas nécessairement étranger à la pensée hébraïque, en témoigne la réécriture joycienne de l’Odyssée qui fait de Leopold Bloom, nouvel Ulysse, un juif hongrois immigré à Dublin.
20Si J. Derrida discute la dichotomie schématique des parcours d’Ulysse et d’Abraham proposée par E. Levinas, il retient néanmoins l’idée du caractère fondamentalement hégélien de l’Odyssée sur laquelle il reviendra quelques années plus tard dans Ulysse gramophone, qui regroupe des conférences portant sur l’œuvre de James Joyce. Il prononce l’une d’elle le 12 juin 1984 à Francfort : « Ulysse gramophone : Ouï-dire de Joyce », s’attachant à parcourir Ulysse à travers le motif du « oui », lors de la conférence inaugurale d’un colloque regroupant les spécialistes de l’auteur de Ulysse. Au sein même de la conférence, on observe une évolution de la référence à l’Odyssée et de son statut grammatical. La première occurrence intervient alors que J. Derrida s’intéresse au journal intime que Leopold Bloom envisage d’écrire, la chronique de « my experiences » qui pourrait relever de l’expérimentation d’une forme moderne d’essai mêlant réflexivité et réflexion. Ce dernier, désigné comme « cet Ulysse19 », déplace certains motifs qui étaient présents dans l’Odyssée. Après avoir mis sur le même plan le développement de la conscience dans la phénoménologie de l’esprit et le parcours d’Ulysse, constituant tous deux d’un point de vue grammatical des comparants du projet de Leopold Bloom, le philosophe emploie alors l’expression d’« Odyssée de la phénoménologie de l’esprit » qui relève de la collocation des titres des œuvres d’Homère et de Hegel, pour le caractériser :
My Experiences, c’est à la fois ma « phénoménologie de l’esprit » au sens hégélien de « science de l’expérience de la conscience », aussi bien que le grand retour circulaire, la circumnavigation autobiographicoencyclopédique d’Ulysse : on a souvent parlé de l’Odyssée de la phénoménologie de l’esprit. Ici la phénoménologie de l’esprit aurait la forme d’un journal de la conscience et de l’inconscient au hasard de lettres, de télégrammes, de journaux intitulés par exemple Telegraph, écriture à distance, et finalement de cartes postales dont parfois le seul texte, sorti de la poche d’un marin, n’exhibe qu’un fantasme d’adresse20.
21La phénoménologie hégélienne, comme science de l’expérience de la conscience dans le monde, retrace à la manière d’un roman de formation, les aventures de la conscience jusqu’à ce qu’elle devienne esprit. En employant l’expression d’« odyssée de la phénoménologie de l’esprit », J. Derrida se situe explicitement dans une tradition interprétative de Hegel qui le précède. Selon lui, le parcours de l’Odyssée, comme de la phénoménologie de l’esprit, relève d’une quête de totalité qui peut prendre un sens encyclopédique : la conscience hégélienne veut atteindre la totalité des expériences humaines, comme Ulysse dans son Odyssée traverse un champ d’expérience complet. J. Derrida associe de manière singulière au nom propre « Odyssée » le sème /autobiographie/ ou du moins /écriture de soi/ au mot « odyssée ». « My experiences » de Leopold Bloom semble pouvoir constituer, du moins dans ses modalités littéraires, une nouvelle forme d’odyssée écrite à partir du collage de moyens de communication. J. Derrida semble donc justifier ce premier usage du nom « odyssée » dans le cadre d’un commentaire de Ulysse, en l’explicitant de manière particulièrement pédagogique.
22Plus loin, le philosophe utilise de manière plus souple, le terme d’« odyssée » qui devient un nom commun, mais aussi l’adjectif « odysséen » pour rendre compte de la démarche de James Joyce. Ce n’est donc plus Leopold Bloom, ce nouvel Ulysse, mais l’auteur même de Ulysse qui met en œuvre certains principes théoriques dérivés de l’Odyssée. J. Derrida module à deux reprises l’idée de la dimension circulaire du parcours d’Ulysse, empruntée à E. Levinas, signifiant un désir systématique de fermeture sur soi et de possession de l’autre, dans une quête de toute puissance. Le philosophe mentionne en effet d’abord « ce oui-rire de réappropriation encerclante, de récapitulation odysséenne et toute puissante21 », puis il ajoute : « L’auto-position dans le oui, ou Ay, n’est pourtant ni tautologique ni narcissique, elle n’est pas davantage égologique, même si elle amorce le mouvement de réappropriation circulaire, l’odyssée qui peut donner lieu à toutes ces modalités déterminées22. » On retrouve, mais dans une perspective toute différente, l’idée d’une quête du « moi » au cœur de l’Odyssée.
J-F. Lyotard : « odyssée de la conscience »
23Lorsque Jean-François Lyotard prononce sa conférence « Retour » à Venise, à l’automne 1988, pour ouvrir un symposium consacré à J. Joyce, il connaît nécessairement la conférence « Ouï-dire de Joyce » donnée par Jacques Derrida dans les mêmes circonstances quelques années auparavant. Dans « Retour », ce dernier réfute l’idée communément admise d’un retour de l’Odyssée dans Ulysse, autrement dit il refuse de lire Ulysse comme une réécriture de l’œuvre d’Homère. Si le lecteur est en possession de tables de correspondances entre les épisodes de Ulysse et les chants de l’Odyssée, c’est pour mieux mesurer l’écart à la fois sur le plan narratologique et sur le plan formel entre les deux textes. Le motif du cycle présent dans Ulysse est placé sous le signe du dérèglement. Nul retour possible pour Léopold Bloom, juif hongrois immigré à Dublin, qui se trouve « d’emblée dans la position d’un immigré ou d’un revenant23 ». Nul voyage, mais une errance ou une flânerie dans la ville de Dublin, peuplée de fantôme, la véritable aventure se trouvant non plus dans les péripéties, mais dans la langue. Au motif du retour est donc substitué celui de la revenance : « Si l’Odyssée fait retour dans Ulysse, c’est dans l’absence. Ulysse flâne dans Ithaque, habitée par les siens, mais déserte, et peuplée de fantômes24. » La référence au roi Hamlet, récurrente dans Ulysse, n’est donc pas anodine.
24Pour creuser l’écart entre l’Odyssée et Ulysse, J.-F. Lyotard s’appuie sur Mimesis d’E. Auerbach dont il résume l’analyse de l’œuvre d’Homère et cite les passages les plus importants, parce qu’il fait autorité dans le champ des études homériques : « Je ne rappelle pas ces quelques observations pour leur donner mon adhésion mais pour les discuter25. » La référence « au style homérique du premier plan » lui permet de mettre en évidence la conception ontologique engagée par le retour d’Ulysse, qui reste inchangé au terme de son voyage dans l’Odyssée : « Son retour offrirait un exemple de récurrence parfaitement identique, n’était l’altération toute circonstancielle que lui fait subir la déesse26. » Le retour d’Ulysse signifie donc la croyance en un retour à l’identique qui ne saurait correspondre à l’horizon de pensée dans Ulysse. Cela, d’abord parce que l’œuvre de Joyce porte la marque du christianisme : l’opposition entre thème grec et motif chrétien est rendue caduque par la création d’un Ulysse autre, héros juif hongrois, appelé Bloom, ce qui permet au philosophe de parler d’« interpolation du thème juif dans le motif homérique27 ».
25Si notre modernité est tributaire de l’avènement du christianisme qui éloigne l’esthétique et la vision du monde de Ulysse de celle de l’Odyssée, elle est également héritière de la phénoménologie de Hegel. Jean-François Lyotard compare alors l’Odyssée à une Phénoménologie de l’Esprit dont Ulysse n’aurait pas eu conscience, une Phénoménologie de l’Esprit que seul le lecteur moderne peut comprendre :
Nous, modernes, fils d’Ulysse, nous ne pouvons pas croire qu’une expédition, un exil, l’expérience en général n’implique nulle altération, nulle aliénation. Les récits de voyage, les romans d’apprentissage, La Phénoménologie de l’esprit qui sont tous des odyssées de la conscience, nous ont accoutumés à penser que l’esprit ne conquiert sa substance et son identité finale, son savoir de soi, qu’en s’exposant à l’aventure de toutes les possibilités au risque de s’y perdre. Nous concevons le retour non comme l’identité retrouvée du même avec le même, mais comme l’identification-de-soi du même par la « relève » de son altérité28.
26L’expression « odyssée de la conscience » est certainement reprise aux commentateurs de Hegel au xixe siècle, tout en portant mémoire des formulations lévinassiennes et derridiennes. De manière remarquable, J.-F. Lyotard reprend les deux types de genres littéraires pensés parfois comme dérivés de l’Odyssée : les récits de voyage et le roman de formation. Pour Hegel, la conscience se forme dans l’expérience, dont le voyage constitue une métaphore. J-F. Lyotard précise la conception hégélienne de la vérité qu’engage précisément le thème du voyage :
La vérité d’Ulysse n’est pas pour nous à la fin du voyage comme elle était lors du départ, elle consiste dans le voyage. La vérité est la méthode, comme le dit Hegel, et la méthode, le passage à travers les médiations et les altérations, n’est nullement extrinsèque au savoir-de-soi, comme l’est la métamorphose d’Ulysse par Athéna, elle est ce savoir. Autant dire qu’avec la modernité le vrai cesse d’être un lieu, une demeure, domus ou oikos29…
27Paradoxalement, la référence à Hegel permet d’éclairer l’Odyssée, en mettant cette fois en évidence la disjonction entre la conception de la vérité qui était selon lui celle du personnage d’Ulysse et celle qu’en propose Hegel. Le traitement du nom commun odyssée est particulièrement remarquable, dans la mesure où il porte la trace des différents types de lecture possible de l’Odyssée, ancienne et moderne.
Réorientation : l’adjectif odysséen ou la pensée anti-systématique
28Pour finir, il nous a semblé important de rendre compte d’un usage tout à fait singulier du mot « odyssée » dans les textes philosophiques constituant un contrepoint décisif aux lectures précédentes de l’Odyssée, qui ont toutes en commun d’y projeter d’une manière ou d’une autre la pensée hégélienne. Ce dernier usage s’inscrit dans une tradition de pensée qui fait d’Ulysse une figure de la mètis, intelligence rusée orientée vers la pratique. L’Odyssée d’Ulysse n’est plus considérée comme un parcours tourné vers un retour sclérosant au même, mais comme succession de détours aux hasards créatifs, comme ouverture à une altérité. Cet autre versant de la pensée, faisant de l’Odyssée l’illustration d’une pensée anti-systématique entretient un rapport à l’Odyssée bien différent de celui évoqué dans les deux parties précédentes : les penseurs que nous évoquerons dans cette dernière partie, Carlo Diano, Marcel Détienne & Jean-Pierre Vernant, Michel Serres se référent sans doute plus au mythe qu’aux textes d’Homère, et empruntent moins aux réécritures littéraires du parcours d’Ulysse. Alors que la cartographie précédente s’attachait à la circulation du mot « odyssée » en littérature, théorie littéraire et philosophie, celle-ci rapporte son passage dans les essais en sciences humaines, notamment en philosophie et en anthropologie.
L’odyssée comme lieu de la mètis
29Dans Forme et événement (1952), le philosophe italien C. Diano réalise la première étude sur la mètis. Il soutient en effet qu’Ulysse et Achille, les deux âmes de la Grèce, incarnent respectivement deux catégories, l’événement et la forme, qui sont opératoires à elles seules pour une lecture phénoménologique du monde grec antique : « Si le héros de l’Iliade est un héros de la forme et par conséquent de la force, le héros de l’Odyssée est un héros de l’événement et comme tel de l’intelligence ; car si la forme ne souffre aucune médiation, l’événement est tout dans la médiation30. » En préambule de l’essai, le philosophe oppose plus généralement les deux œuvres d’Homère auxquelles il renvoie de manière très scrupuleuse :
Divinités helléniques de la forme et préhelléniques de l’événement, distinguent, jusqu’à un certain point et à titre de limites vers lesquelles converge l’inspiration alternée du poète, les deux œuvres d’Homère. Dans l’une et l’autre la divinité suprême est la même, Zeus – ce sont les poèmes de la noblesse achéenne ; mais dans l’Iliade il est sous la domination de la forme et, en général distinct de l’événement ; dans l’Odyssée il est totalement divinité de l’événement, la forme n’y est plus qu’à peine entrevue. Ainsi la moîra dans l’Odyssée est toujours la moîra des dieux, alors que dans l’Iliade, sauf dans le chant XXIV qui marque la transition entre le monde du premier et celui du second poème, elle est en dehors d’eux et opposée à eux. Et tandis que dans l’Iliade les divinités dominantes sont masculines, dans l’Odyssée elles sont féminines31…
30La mètis d’Ulysse découle logiquement de son rapport à l’événement : intelligence du faire, elle permet que l’action naisse de la réflexion. C. Diano procède de manière méthodique pour analyser la complexité de la mètis, qui recouvre une pluralité de réalités hétérogènes, adoptant une description par ramifications progressives de type aristotélicienne. L’étymologie de la mètis renvoie selon lui à l’idée de mesure que l’on retrouve en l’appréhendant comme « faculté de calcul et de raisonnement », utilisée en vue du « faire ». C. Diano souligne à quel point l’intelligence de la mètis est tournée vers l’accomplissement : c’est « une intelligence qui calcule et ne contemple pas, qui n’est pas inactive mais accomplit : elle n’a d’autre but que l’accomplissement, le “faire”32 ». Cette faculté de calcul est appelée « prudence », lorsque l’activité est « pratique », et « art » lorsqu’elle est « poïetique ». La prudence peut être associée à la fourberie, qui est l’une des déclinaisons possibles de la ruse.
31Dans Les Ruses de l’intelligence : la mètis des Grecs33, résultats d’une enquête menée en 1964-1965, M. Detienne et J.-P. Vernant mentionnent et approfondissent ces travaux, en consacrant leur essai à cette catégorie mentale de la Grèce antique que les Hellénistes modernes ont largement méconnue. Selon eux, la mètis « est bien une forme d’intelligence et de pensée, un mode du connaître34 ». En tant que mode de pensée spécifique, appliqué à un type de réalités singulières, elle renvoie à une certaine forme d’intelligence que l’on pourrait désigner de manière globale comme intelligence de la ruse, exercée toujours à des fins pratiques. La mètis engage des éléments de caractère et de comportements qui trouvent à s’incarner dans un personnage, Ulysse, lequel apparaît sans Odyssée, détaché pour ainsi dire de l’Odyssée, puisque les anthropologues se référent au mythe d’Ulysse de manière vague et non pas à l’œuvre d’Homère :
Pour toute la tradition grecque, il porte un nom : Ulysse, le polumètis, celui-là même dont Eustathe disait : c’est un poulpe. Mais le poulpe ne caractérise pas seulement un type de comportement humain. Il sert également de modèle à une forme d’intelligence : le poluplokon, une intelligence en tentacules. Cette intelligence de « poulpe » se manifeste en particulier dans deux types d’hommes, le sophiste et le politique, dont les vertus et les fonctions dans la société grecque s’opposent et se complètent comme se répondent et se différencient les deux plans de la parole et de l’action35.
32La formulation est ici déterminante : pour M. Detienne et J.-P. Vernant, Ulysse est à proprement parler « le nom » de la mètis. Il est par excellence le « type », au sens littéraire du terme, de la mètis. Les domaines d’application de sa mètis incluent toutes les pratiques humaines, l’action comme la parole. Il est plus particulièrement le « polumètis », autrement dit une intelligence polymorphique, ayant pour modèle le poulpe et tenant autant de l’humain que de l’animal. Les connotations des termes mettent en évidence les interprétations ambivalentes d’une faculté aussi bien valorisée que dévalorisée, considérée comme habileté ou duperie. Par sa résistance à la philosophie, la mètis sera en effet dévalorisée par Platon qui en fait le propre du sophiste ou de l’art d’user d’arguments spécieux.
- M. Serres : randonnée odysséenne
33La mètis peut également être attribuée à Ulysse en l’absence du terme précis : c’est en ce sens que le concept de « randonnée » et l’adjectif « odysséen » forgé par Michel Serres dans Les Cinq sens (1985) pour désigner la pensée antique incarnée par Ulysse, semblent constituer d’autres noms pour la mètis. Michel Serres a consacré son essai, Les Cinq sens (1985), aux changements du corps dans la deuxième moitié du vingtième siècle. Le nouveau corps habite selon lui un monde autre dont il s’agit également de rendre compte. La section « Méthode et randonnée (global et local) » réfléchit précisément sur les différents types de rapports à l’espace entretenus par l’homme et qui se répartissent en deux catégories opposées, lesquelles ne doivent pas être comprises dans leur acception strictement historiques : le local à l’Antiquité et le global des temps Modernes. Le nouvel état de la pensée qui caractérise notre époque travaille à un usage complémentaire de ces rapports à l’espace déterminant plus généralement des formes de savoir.
34Selon Michel Serres, L’Odyssée constitue depuis l’Antiquité aussi bien un texte de savoir qu’un manuel technique dans lequel les lecteurs puisent un enseignement touchant à des domaines variés, « de la cuisine à la réparation des vaisseaux, leur histoire, mythes et géographies36 » : « Discours d’exode, L’Odyssée, récit, devient alors une encyclopédie du savoir37. » Cependant, Michel Serres nuance immédiatement le terme d’« encyclopédie » dans son propos de manière à rendre compte de la spécificité de l’œuvre d’Homère :
L’Odyssée donc ne dessine pas une encyclopédie, mais une scalénopédie. Scalène, comme on dit un triangle scalène, non droit, non équilatéral, non équilibré en quelque partie, scalène signifie boiteux, comme Héphaïstos, inventeur et mari d’Aphrodite, boiteux comme certains parents d’Œdipe, ou qui a mal aux pieds, comme lui : scalène décrit un chemin oblique, tortueux, compliqué38.
35L’encyclopédie serait du côté de la droite et du cercle, alors que la scalénopédie tient de la figure scalène. L’adjectif scalène est utilisé en géométrie notamment pour désigner le triangle scalène ou triangle quelconque. L’interprétation de l’Odyssée, comme figure irrégulière, source d’un savoir ouvert et d’histoire est donc diamétralement opposée à celles d’E. Levinas et de J. Derrida.
36Une telle conception de l’Odyssée comme lieu de savoir – et pas seulement d’Ulysse comme personnage en quête de savoir selon la version qu’en donne Dante – explique certainement que Michel Serres ait recours à l’Odyssée pour modéliser l’une des formes du savoir. Selon un dispositif complexe, Michel Serres qualifie le parcours d’Ulysse de « randonnée », terme désignant un rapport à l’espace singulier : « Les météores, les parages mauvais, les courants déviants font souvent de l’Odyssée une randonnée. Ulysse sort de la meilleure voie par un concours de circonstance39. » Jouant sur les différentes racines étymologiques du terme de randonnée, « courir à random » dans le lexique français et « random » en anglais, Michel Serres voit dans la randonnée une promenade longue et difficile, optant pour des voies non économes, qui ne se soucient ni d’équilibre ni d’efficacité et où le hasard acquiert un rôle déterminant. La randonnée d’Ulysse est le paradigme d’une forme particulière de savoir, appartenant à l’âge antique, l’antique ne désignant pas tant pour le philosophe une période déterminée, puisqu’à certains égards elle peut se prolonger selon lui jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’un certain état du savoir opposé au savoir méthodique moderne, commençant avec Descartes et les grandes découvertes. Hegel est probablement inclus dans cette pensée moderne pour Michel Serres. C’est dans cette perspective que Michel Serres a recours à plusieurs reprises à l’adjectif « odysséen » pour qualifier le chemin emprunté dans la randonnée d’Ulysse :
Or le chemin odysséen ne se dit jamais ou du moins rarement méthodique, en ce sens canonisé avant l’âge classique par la philosophie platonicienne, où la dichotomie passe aussi bien par le milieu, où l’articulation cherche l’économie. Le chemin odysséen ne peut pas se dire méthode, mais exode. Exode au sens où le chemin s’écarte du chemin, où la voie prend l’extérieur de la voie40.
37Loin de renvoyer dos à dos la pensée grecque associée à l’Odyssée et la pensée judéochrétienne, Michel Serres perçoit dans le parcours d’Ulysse une autre forme d’Exode que celui de Moïse. On peut lire plus loin : « La randonnée odysséenne en vue des terres ne requiert ni la même force ou patience ni les mêmes talents que l’aventure des Indes ou la route américaine41. » En revanche, la randonnée s’oppose à la méthode cartésienne qui peut être représentée par l’itinéraire le plus économe pour sortir de la forêt, et qui correspond à une stratégie de la raison visant au meilleur résultat pour les moindres dépenses : « Celle qui délivre au plus tôt le voyageur peureux de la forêt où il s’engage, celle qui suit la lumière sans masse et foudroyante, autant dire la clarté foudroyante42. » La randonnée en revanche relève de la pensée sauvage, pré-cartésienne, qui n’est pas encore centrée sur l’économie de moyens.
38Selon Michel Serres, nous habitons aujourd’hui un troisième état mis à la fois sous le patronage d’Ulysse (savoir antique) et de Christophe Colomb (savoir moderne) de la pensée susceptible de mieux équilibrer les deux types de savoir mentionnés jusque-là, autrement dit empirisme et abstraction, sensible et intellectuel, données et synthèses. Si l’adjectif « odysséen » désigne d’abord le chemin, puis la randonnée dans la continuité de l’assimilation du parcours d’Ulysse à la notion de randonnée que le philosophe construit, il prend ensuite une valeur extensive lui permettant de qualifier plus largement l’une des deux formes actuelles de l’activité humaine :
La nouvelle industrie, cartésienne certes mais aussi odysséenne, réunit pratique et abstraction en ce que l’ordinateur peut se dire outil universel : instrument construit et concret sous la main, mais d’application ouverte et indéfinie comme un théorème43.
39La dichotomie de la randonnée et de la méthode est susceptible d’être redoublée par celle du poète et de l’homme de science : « Ces deux rapports au lieu et à l’espace marquent encore aujourd’hui la distance entre un homme de science et celui qu’on appelle, par mépris, littéraire ou poète, sauvage, distance entre le paysage et le panorama. » Les termes de littéraire et de poète ne sont pas entendus ici dans une perspective esthétique, mais dans le rapport qu’ils entretiennent avec le savoir dit scientifique. Michel Serres se fait ici l’écho d’un lieu commun qu’il rejette, et s’attache à dépasser. Ce qui n’enlève rien à l’évidence d’une tension apparente de l’intelligence d’Ulysse avec tout ce qui relève de la rationalité théorétique, qu’il s’agisse de la philosophie, de la théorie, de la science ou de la recherche de la vérité. De manière remarquable, Michel Serres semble revendiquer pour sa propre pratique de l’écriture essayiste une référence appuyée à l’Ulysse :
Je ne raconte plus, pour notre amusement, l’histoire d’un vieillard, pis d’un vieillard aveugle. Je tiens un discours, un discours scientifique, un discours en rupture d’épistémologie, un discours scientifique non épistémologique ; il rompt avec deux millénaires de méthode. Ou plutôt, ce vieux racontar est saturé d’un savoir autre et prodigieux. Nouveau. Non pas un racontar et non pas une histoire, mais le discours d’exode que je cherche, et très exactement le divertissement, la voie de diversion du très rusé Ulysse qui gardait dans son sac l’ensemble des tours et détours de la nouvelle science, la théorie de la connaissance aveugle, ou de l’évidence adèle de ces évidences cachées par plusieurs siècles de méthodes44.
40Est-ce à dire que la randonnée odysséenne est susceptible d’être un modèle pour la pratique de l’écriture essayiste ?
Conclusion
41Le mot « odyssée » et les sèmes qu’il transporte apparaissent comme des leitmotivs au sein de l’écriture essayiste de la deuxième moitié du vingtième siècle. Nous avons esquissé ici à la fois une cartographie et une histoire de ses devenirs au sein d’un corpus de textes franco-allemands relevant aussi bien de la littérature que de la théorie littéraire et des sciences humaines. Le mot « odyssée », dont le statut évolue – titre, nom, adjectif – constitue un carrefour notionnel, dans la mesure où sa plasticité lui permet d’être associé à des sèmes et des concepts parfois antithétiques. Le référent « odyssée », particulièrement souple, puisqu’il peut être aussi bien le mythe d’Ulysse que le texte d’Homère ou encore ses réécritures littéraires (Dante, Joyce, Kafka, Primo Levi) ouvre le spectre des usages du mot au sein de l’écriture essayiste. Plusieurs sèmes du mot « odyssée » que nous avons évoqués successivement sont alors tour à tour mobilisés : le retour, l’errance et la revenance, le détour. En outre, deux grands versants de la pensée nous ont semblé particulièrement importants, parce qu’ils activent des imaginaires antagonistes. D’une part, deux odyssées « négatives » : odyssées rationalistes hégéliennes et héritières de la pensée grecque, l’une retenant la réflexivité et le dialectisme de Hegel, l’autre sa phénoménologie. D’autre part, une odyssée « positive » : randonnée d’un héros rusé. On peut se demander si ces deux usages du mot « odyssée » ne rendent pas compte de deux rapports possibles à l’écriture : le premier, rejeté, celui de l’écriture systématique à volonté encyclopédique pratiquée par Hegel, le second, appelé, celui d’une écriture inventive, une écriture à l’essai dont la randonnée de Michel Serres pourrait être modèle. En ce sens la référence à l’odyssée œuvre toujours dans la perspective d’un désir d’essai qu’il s’agisse d’en être son modèle ou son repoussoir.
Notes de bas de page
1 A. Raybaud, Le Besoin littéraire, Éditions du Rocher, 2000, p. 29-30.
2 Pour la circulation du mot odyssée dans les textes philosophiques, voir également mes travaux précédents : M. de Marcillac, « Odyssées philosophiques », Revue Le Paon d’Héra / Hera’s Peacock n °9, « Ulysse » Gazette internationale interdisciplinaire, Éditions du Murmure, décembre 2012 ; Ulysse chez les philosophes, Garnier, « Perspectives comparatistes », 2015 (à paraître).
3 T. W. Adorno et M. Horkheimer prétendent lire l’Odyssée dans une perspective documentaire, comme trace d’un monde disparu, mais ils évacuent toute référence à la Grèce antique. De manière remarquable, aucune référence à la Grèce antique n’est jamais faite. À ce titre, Ulysse constitue pour eux non plus un personnage grec, mais une figure prototypique du petit bourgeois. Adorno et Horkheimer voient dans l’Odyssée l’un des premiers documents de la civilisation bourgeoise, et, par là même, en Ulysse un archétype du petit bourgeois. Le terme de bourgeoisie est utilisé de manière relativement floue, dans la mesure où Adorno et Horkheimer refusent la situation historique usuelle du terme, et font remonter ses origines jusqu’à l’Odyssée.
4 M. Horkheimer et T. W. Adorno, La Dialectique de la Raison : fragments philosophiques, trad. de l’allemand par Éliane Kaufholz, Gallimard, 1974, p. 61.
5 Ibid.
6 Ibid., p. 48.
7 Ibid., p. 50 et suiv. – « Der Primitive erfuhr das Naturding bloß als sich entziehenden Gegenstand der Begierde, “der Herr aber, der den Knecht zwischen es und sich eingeschoben, schließt sich dadurch nur mit der Unselbständigkeit des Dinges zusammen und genieß es rein ; die Seite der Selbständigkeit aber überläßt er dem Knechte, der es bearbeitet”. Hegel, Phänomenologie des Geistes a.a.O.S.1464. » (Dialektik der Aufklärung : philosophische Fragmente, op. cit.).
8 Ibid., p. 50. – « lassen ihn am Mast, um ihn und sich zu retten » (Dialektik der Aufklärung : philosophische Fragmente, op. cit., p. 51).
9 F. Kafka, « Le silence des Sirènes », trad. de Marthe Robert, Œuvres complètes 2, Gallimard, « La Pléiade », 1988.
10 Ibid., p. 542.
11 E. Levinas, Difficile liberté, Albin Michel, 1976, p. 234-235.
12 E. Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Le Livre de poche, 1978, p. 129.
13 E. Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 2006, p. 267.
14 Ibid., p. 266-267.
15 Ibid., p. 263.
16 E. Auerbach, Mimesis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. de l’allemand par C. Heim, Gallimard, 1968, p. 11.
17 Ibid., p. 15.
18 J. Derrida, « Violence et métaphysique », dans L’Écriture et la différence, L e Seuil, 1967, p. 228.
19 J. Derrida, « Ulysse gramophone : ouï-dire de Joyce », dans Ulysse gramophone, Galilée, 1987, p. 68. À propos d’une carte postale détenue par Leopold Bloom : « Quant à l’adresse, elle est fictive, aussi fictive que Ulysse et c’est la seule chose que cet Ulysse ait dans la poche. »
20 Op. cit., p. 66-67.
21 Op. cit., p. 119.
22 Op. cit., p. 132.
23 J.-F. Lyotard, « Retour » dans Lectures d’enfance, Galilée, 1991, p. 14.
24 Ibid., p. 14.
25 Ibid., p. 19.
26 Ibid., p. 16.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 Ibid.
30 C. Diano, Forme et Événement : principes pour une interprétation du monde grec, trad. de l’italien par P. Grenet et M. Valensi, Combas, Éclat, 1994 [1952].
31 Ibid., p. 47.
32 Ibid.., p. 49 : « un’intelligenza che calcola, non contempla, e non è inattiva, ma fa : non ha altro fine che il fare. » C. Diano, Forma ed evento, principii per una interpretazione del mondo greco, Venezia, N. Pozza, 1952, p. 73
33 Nous exposons ici les travaux de J.-P. Vernant et M. Detienne, qui ne sont évidemment pas des philosophes, parce qu’ils ont construit l’étude la plus approfondie de la catégorie mentale de la mètis, déterminante pour comprendre l’une des modalités d’intelligence attribuées à Ulysse. En outre, dans la deuxième moitié du vingtième siècle, les frontières entre différentes disciplines ne sont pas étanches. Ainsi, Les Ruses de l’intelligence ont pour intertexte philosophique Forme et Événement.
34 M. Detienne et J.-P. Vernant, Les Ruses de l’intelligence : la mètis des Grecs, Paris, Flammarion, 2008, p. 10.
35 Ibid., p. 47.
36 M. Serres, Les Cinq sens, Grasset & Fasquelle, « Hachette littérature », p. 349.
37 Ibid., p. 349.
38 Ibid., p. 350.
39 Ibid., p. 344.
40 Ibid., p. 347.
41 Ibid., p. 352.
42 Ibid., p. 345.
43 Ibid., p. 359.
44 Ibid., p. 348.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La présence : discours et voix, image et représentations
Michel Briand, Isabelle Gadoin et Anne-Cécile Guilbard (dir.)
2016
Voyages d’Odysée
Déplacements d’un mot de la poétique aux sciences humaines
Céline Barral et Marie de Marcillac (dir.)
2015
Robert Marteau, arpenteur en vers et proses
Sandrine Bédouret-Larraburu et Jean-Yves Casanova (dir.)
2015
Utopie et catastrophe
Revers et renaissances de l’utopie (xvie-xxie siècle)
Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée (dir.)
2015
Fictions narratives au xxie siècle
Approches rhétoriques, stylistique et sémiotiques
Cécile Narjoux et Claire Stolz (dir.)
2015
La pseudonymie dans la littérature française
De François Rabelais à Éric Chevillard
David Martens (dir.)
2017
Promenade et flânerie : vers une poétique de l’essai entre xviiie et xixe siècle
Guilhem Farrugia, Pierre Loubier et Marie Parmentier (dir.)
2017