L’inspiration, le char et l’envol : imaginaire de la prose à l’époque impériale
p. 29-55
Texte intégral
1Dans le monde grec, l’époque impériale voit se multiplier les discussions sur la nature de la prose, et sur le rapport complexe qui la lie à la poésie. Il s’agit en particulier d’établir une généalogie, une histoire des formes : du vers et de la prose, qui a précédé l’autre ? À l’arrière-plan de cette question se devine, chez les lettrés de l’époque, le sentiment de vivre une sorte d’âge de la prose, avec les interrogations qu’un tel constat suscite. Si les formes versifiées, sans disparaître du tout au tout, sont désormais reléguées au second plan, ou en tout cas référées au passé, s’agit-il d’un progrès ou d’un déclin ? Et dans la situation dominante où elle se trouve désormais, la prose doit-elle s’approprier l’héritage du vers, ou au contraire assumer pleinement ce qui l’en distingue ?
2Je voudrais ici aborder ces discussions par leur versant métaphorique, c’est-à-dire à travers les métaphores qui, circulant d’un auteur à l’autre, ont permis à chacun de prendre position. Trois métaphores, en particulier, reviennent à l’époque impériale dès qu’il est question des rapports poésie/prose : l’inspiration, le char, l’envol. Ces trois motifs, on le verra, appartiennent au plus ancien répertoire des images métapoétiques : depuis l’époque archaïque, elles ont servi aux poètes à désigner réflexivement leurs propres poèmes, leur propre statut. À l’époque impériale, certains lettrés s’en emparent pour faire comprendre l’opposition, la continuité ou l’hybridation entre la prose et le vers ; d’autres encore, à partir de ces métaphores, en fabriquent de nouvelles, de sorte que sous leur plume se constitue un véritable imaginaire de la prose, caractéristique de cet âge.
3Je commencerai par faire apparaître la prégnance et la continuité de ce réseau d’images chez les trois auteurs qui, alors, abordent le plus frontalement la question de la prose, et s’interrogent sur son origine et sa destination : Strabon, Plutarque et Aelius Aristide. Le constat de cette continuité donnera l’arrière-plan nécessaire pour aborder ensuite des textes de Lucien et de Philostrate relevant d’un régime plus ludique (sinon fictionnel), et dont l’enjeu esthétique est moins immédiat – à peine moins, en réalité. On constatera alors que Lucien et Philostrate s’approprient de manière créative les trois images en question, pour essayer de penser, chacun à sa façon, le poétique de la prose.
Repères
4À l’époque d’Auguste, Strabon a dressé l’une des principales généalogies de la prose que nous ait léguées l’Antiquité. Il s’agit du passage où il polémique contre Ératosthène, auquel il reproche d’avoir dénigré la valeur scientifique de la poésie en général, et d’Homère en particulier. Strabon, lui, conteste l’idée d’une différence de nature entre la prose et la poésie, car la première n’a fait qu’imiter la seconde, dont elle est une forme postérieure et dégradée (I, 2, 6) :
La prose, la prose ornée du moins (ὁ πεζὸς λόγος, ὅ γε κατεσκευασμένος), est une imitation de la poésie. Tout au début en effet, c’est la mise en forme poétique qui apparut et acquit un grand lustre ; par la suite on chercha à l’imiter, en brisant le mètre mais en conservant les autres caractères de la poésie : ce fut l’œuvre des Cadmos, Phérécyde, Hécatée ; leurs successeurs, en enlevant à mesure l’une ou l’autre de ces caractéristiques, l’ont fait tomber en son état présent, depuis les hauteurs sublimes où elle se tenait (εἰς τὸ νῦν εἶδος κατήγαγον ὡς ἂν ἀπὸ ὕψους τινός) ; il en va de même pour la comédie qui tire probablement son origine de la tragédie et qu’on a fait dégringoler de ces hauteurs pour la réduire à ce qu’on appelle de nos jours « langage parlé » (καθάπερ ἄν τις καὶ τὴν κωμῳδίαν φαίη λαβεῖν τὴν σύστασιν ἀπὸ τῆς τραγῳδίας καὶ τοῦ κατ’ αὐτὴν ὕψους καταβιβασθεῖσαν εἰς τὸ λογοειδὲς νυνὶ καλούμενον). […] Au reste la dénomination même de prosaïque pour désigner le langage privé de mètre indique nettement qu’il est tombé de haut ; descendant de son char, il a mis pied à terre (καὶ αὐτὸ δὲ τὸ πεζὸν λεχθῆναι τὸν ἄνευ τοῦ μέτρου λόγον ἐμφαίνει τὸν ἀπὸ ὕψους τινὸς καταβάντα καὶ ὀχήματος εἰς τοὔδαφος)1.
5Ce sont les images qui nous intéressent ici, et en particulier l’expression qui fait de la prose le langage « piéton », ὁ πεζὸς λόγος. Πεζὸς λόγος est une métaphore lexicalisée, devenue la dénomination la plus habituelle de la prose à l’époque de Strabon et de son contemporain Denys d’Halicarnasse. Cherchant l’origine du terme, Strabon suggère que la prose est « piétonne » parce qu’elle est « descendue du char ». Le char en question fait allusion à la métaphore, fréquente chez Pindare, qui présente la poésie ou le poème comme le « chariot des Muses », au côté d’autres images traditionnelles faisant de l’activité poétique un parcours ou un voyage. « Puissé-je trouver les mots et m’avancer, comme il convient, sur le char des Muses ! », lance-t-il par exemple dans la IXe Olympique2. Initialement associée à l’épinicie, l’image du char s’est répandue ensuite dans d’autres genres poétiques, au point de devenir une sorte de cliché3, et d’initier même une riche tradition de métaphores équestres dans le vocabulaire critique4 ; d’où l’hypothèse de Strabon. À vrai dire, les historiens modernes contestent cette interprétation de πεζός. Chez Pindare, la poésie peut être présentée indifféremment comme un voyage « à pied » ou « à cheval », sans connotations particulières ; et dans ses toutes premières attestations, le langage « pédestre » n’est pas le contraire du langage « monté sur un char », mais du langage « mis en musique5 ». C’est seulement plus tard que ces deux images, initialement indépendantes, ont été réinterprétées comme antithétiques. Callimaque, dès le iiie siècle av. J.-C., utilise πεζός en référence à l’image métapoétique du « voyage » : « j’arpenterai à pied (πεζός) la prairie des Muses », dit-il pour désigner ses Iambes – qui se distancient de la poésie la plus haute et tendent vers la prose par le mètre et le registre6 ; cependant que le terme, chez les rhéteurs et les savants, se généralise à la même époque pour désigner le langage non versifié7. Étymologiquement fondée ou non, en tout cas, l’association de la prose avec l’idée de la « marche » et du « sol » est solidement ancrée dans l’imaginaire grec, et le couple « langage humble vs. char poétique » fonctionne à l’époque impériale comme un véritable cliché, susceptible d’être varié et décliné à l’infini. Ajoutons qu’à la métaphore équestre se superpose chez Strabon, imperceptiblement, une isotopie légèrement différente ; car ici vers et prose sont aussi, et même surtout représentés comme les deux pôles d’un axe vertical (voir κατήγαγον, καταβιβασθεῖσαν, καταβάντα) qui se déploie de « l’altitude » (le mot ὕψος revient trois fois) jusqu’au sol (ἔδαφος) – si bien que ce « char » est surtout pensé comme une position surplombante, ou céleste8. On retrouvera plus tard cette connexion entre l’image du cheval et l’image de l’altitude.
6Vers la fin du 1er siècle de notre ère, Plutarque, dans le dialogue Pourquoi la Pythie ne rend plus ses oracles en vers (De Pythiae oraculis = DPO), présente une réflexion très proche, de sorte que les deux textes, avec celui d’Aristide dont il sera question plus loin (Hymne à Sarapis), sont souvent associés par les historiens de la prose, depuis E. Norden9. Pour Plutarque, le propos est de lever les soupçons que le rationalisme épicurien fait peser sur Delphes : que les oracles soient en prose, comme c’est désormais le cas, et non en vers comme autrefois, est imputable à la personne singulière de la Pythie, à l’éducation qu’elle a reçue, et ne doit pas remettre en cause le fait qu’elle soit effectivement inspirée par le dieu (403a9-406b5). Par la bouche de Théon, Plutarque propose alors, à son tour, un « grand récit » de l’avènement de la prose :
Si l’on considère le point de vue du dieu et de la providence, nous verrons que le changement s’est opéré pour le mieux. […] Il y eut un temps où, comme monnaies du langage, on usait des vers, des mélodies et des chants, attirant vers la poésie et la musique tout récit historique et toute philosophie, mais aussi, pour parler simplement, toute affection et toute affaire qui avaient besoin d’une voix un peu solennelle. […] Puis, comme la vie subissait un changement qui affectait en même temps les événements et les natures, l’usage, chassant le superflu, supprimait les toupets d’or, enlevait les tuniques moelleuses ; sans doute c’est lui qui fit aussi couper les chevelures trop imposantes et délaça le cothurne ; on prit alors l’habitude – qui n’est pas mauvaise – de se parer de simplicité plutôt que de luxe, de compter pour ornement la sobriété et l’absence d’apprêt plutôt que la gravité et l’afféterie. Le langage connaissait alors le même changement et le même dépouillement, l’histoire descendit des vers comme de chars et c’est surtout en recourant au langage pédestre (la prose) que la vérité se sépara du fabuleux (κατέβη μὲν ἀπὸ τῶν μέτρων ὥσπερ ὀχημάτων ἡ ἱστορία καὶ τῷ πεζῷ μάλιστα τοῦ μυθώδους ἀπεκρίθη τὸ ἀληθές) ; et la philosophie, s’attachant plus à la clarté et à l’enseignement qu’à ce qui frappe d’admiration, en venait à ne plus mener sa recherche que par le biais d’arguments en prose. […] À la manière dont les mathématiciens appellent ligne droite le plus court chemin entre deux points, la langue de la Pythie ne fait pas de place à la courbe, ni au cercle, ni au double sens, ni à l’équivoque10.
7Sur le fond, la parenté des deux textes est manifeste dans leur façon d’orienter le rapport vers/prose : au commencement il y eut le vers, puis est venue la prose. Certes, chez Plutarque la prose est clairement valorisée en tant que langage rationnel11, de sorte que ce qui pouvait apparaître chez Strabon comme un déclin est dorénavant représenté comme un progrès ; l’un et l’autre, cependant, semblent bien avoir pensé leur temps comme l’âge de la prose. Sur le plan formel, le passage de Plutarque se caractérise par une substance métaphorique beaucoup plus riche (métaphore de la monnaie, métaphore vestimentaire, métaphore mathématique) ; néanmoins, on y retrouve l’image du « char », ὄχημα, dont il faut descendre, καταβῆναι.
8Deux générations plus tard, une troisième généalogie de la prose est donnée par Aelius Aristide, dans son Hymne à Sarapis :
En outre, pour l’homme, il est plus conforme à la nature (κατὰ φύσιν γε μᾶλλόν ἐστιν) de se servir du discours en prose (πεζῷ λόγῳ), comme il est plus conforme à la nature, à mon avis, de marcher (βαδίζειν) que de voyager en utilisant un moyen de transport (ὀχούμενον φέρεσθαι). Il n’est pas vrai, en effet, que les mètres apparurent d’abord et que le discours et le dialogue ne furent inventés qu’ensuite […]. Non, les mots et le discours en prose existaient, et la poésie, en quelque sorte pour être agréable et pour divertir l’âme – c’est son rôle – fit ensuite son apparition12.
9Le propos d’Aristide, comme celui de Plutarque, est de dénigrer le vers au profit de la prose. Sa généalogie des formes, cependant, est inverse : la prose, soutient-il, a précédé le vers. Du coup, sa valorisation de la prose utilise l’argument de la « naturalité », plutôt que celui du progrès13. Mais on est frappé par l’homogénéité du vocabulaire métaphorique, puisque la prose est à nouveau définie par une mise à distance du « char » poétique (impliqué par ὀχούμενον). Ces trois textes, couvrant une période d’environ cent cinquante ans, traduisent ainsi la prégnance de l’image du « char », et de son contraire la « marche », à l’horizon des réflexions et des discussions sur la prose14.
10Qu’en est-il de notre deuxième image, celle de « l’inspiration » ? En première approche, il ne s’agit pas du tout d’une métaphore. À l’époque archaïque, le poète jouit effectivement du statut de prophète ou de « maître de vérité », porte-parole des Muses dont il tient son savoir supérieur15. Par la suite, Démocrite (B17 et 18 DK), et surtout Platon dans le Ion et le Phèdre, décrivent plus précisément le processus de composition poétique comme résultant d’un état d’enthousiasme, d’extase ou de folie16. Dès la fin de l’époque classique, cependant, prévaut une conception techniciste de la création poétique. Le motif de l’inspiration perd alors son sens propre pour prendre une valeur métaphorique : tout discours se présentant comme « inspiré » indique simplement par là qu’il veut être reconnu comme « poétique17 ».
11Entre le métaphorique et le littéral, à vrai dire, la frontière tend à se flouter dans la période qui nous occupe. Au propre ou au figuré, néanmoins, l’important est que « l’inspiration » soit volontiers approchée, désormais, de ce nouvel objet qu’est la prose. Dans le texte cité plus haut, par exemple, on voit Plutarque défendre l’idée novatrice selon laquelle Apollon s’exprime bel et bien en prose par la bouche de la Pythie. Entre prose et inspiration, soutient-il, il n’y a aucune incompatibilité ; bien au contraire, le dieu se satisfait d’abandonner les prestiges poétiques au profit d’un langage univoque et rationnel.
12Cette revendication de la prose pour le langage inspiré des oracles doit être rapprochée, dans le champ de la prose rhétorique, de la tendance contemporaine à présenter l’orateur comme un successeur ou un substitut du poète « inspiré ». À l’époque impériale, on voit les maîtres de l’éloquence épidictique invoquer les Muses, se placer sous la protection des dieux, et par ce geste, associer à la prose l’autorité traditionnellement attachée à la poésie18. Nous avons là affaire à deux phénomènes connexes : de même qu’Apollon est maintenant réputé s’exprimer en prose, de même les grands prosateurs revendiquent l’inspiration. Ici, il faut à nouveau citer Aelius Aristide, exemple type de l’orateur « inspiré ». S’agissant des oracles, d’abord, Aristide souligne lui aussi que le dieu se passe volontiers de mètre19. Surtout, Aristide lui-même adopte la posture du poète. Au seuil de son immense Défense de la rhétorique contre les attaques de Platon, nous l’entendons invoquer Hermès et les Muses comme un nouvel Homère :
Dans cette hardie entreprise, j’invoque Hermès l’éloquent, Apollon Musagète et l’ensemble des Muses pour me guider… (2, 19).
13Un peu plus loin, renversant la critique du Gorgias sur la non-technicité de la rhétorique, Aristide en tire argument pour rapprocher la rhétorique de la poésie et emprunter à celle-ci son prestige. L’orateur n’est pas un « technicien », explique-t-il, parce qu’il est davantage qu’un technicien : un prophète inspiré par les dieux.
Si la mantique vient d’Apollon, et la poésie des Muses, et que privée de leur soutien la technique est frigide, pourquoi ne pas considérer l’éloquence comme un don d’Hermès, un don qu’il convient bien, en vérité, d’appeler divin, et plus puissant que toute technique20 ? (2, 49)
14On trouve dans les discours d’Aristide bien d’autres exemples de cette « promotion » poétique de l’éloquence, par le biais du motif de l’inspiration21. Il est vrai qu’Aristide ne doutait pas un instant d’être véritablement en contact avec les dieux, de sorte que dans son cas le statut de « prosateur-prophète » correspond à une conviction bien réelle22. Néanmoins, même lorsqu’il n’exprime pas de religiosité véritable, le motif de l’inspiration fonctionne dans l’ensemble de la période comme un signal, métaphorique et conventionnel, de l’ambition poétique de la prose23.
15Dans cette toile de fond, ainsi, deux points nous semblent à retenir. Premièrement, la continuité des images. Chez les trois auteurs qui, à l’époque impériale, ont le plus cherché à penser la nature de la prose, nous constatons le recours à un même système métaphorique, désignant la prose comme « descendue du char », et la promouvant d’autre part (même si ce point est absent chez Strabon) à la dignité de la poésie via l’idée d’inspiration. Deuxièmement, la continuité philosophique. La proximité des trois textes, particulièrement de Plutarque avec Aristide, doit être rapportée à un ancrage commun dans la pensée de Platon ; Platon est en effet à l’origine d’une mise en question de l’aptitude de la poésie à dire le divin, et donc du rempacement de la poésie par la prose dans le genre de l’hymne24. Le Banquet et le Phèdre, en particulier, ont été reçus comme les grands ancêtres de l’hymne en prose25. Paradoxalement, même chez Aristide, auteur de l’énorme Contre Platon, c’est à partir du platonisme que la prose vient remplacer la poésie en tant que langage religieux26. Aussi L. Pernot observe-t-il : « L’ombre de Platon plane […] sur toute l’histoire de l’hymne en prose27. » J’ajouterai que dans l’héritage de Platon, le Phèdre, que nous rencontrerons encore à propos de Lucien et de Philostrate, jouit d’un statut tout particulier ; et s’il en est ainsi, c’est que le Phèdre n’est pas seulement, en tant qu’il réfléchit aux conditions d’une rhétorique philosophique, le lieu d’une réconciliation possible entre la philosophie et l’éloquence ; son importance tient précisément à sa substance métaphorique, et notamment à l’image, fameuse entre toutes, de l’âme comme attelage ailé (246a5 et suiv.), intervenant à la suite d’une longue réflexion sur les différentes formes de folie et d’inspiration28 (244b1-245c3).
Lucien
Le vers et l’inspiration
16Fondamentalement, Lucien est un avocat de la prose, dont il fait le langage de la clarté et de la rationalité, en utilisant la poésie comme un repoussoir. Dans ce contexte, « l’inspiration » fonctionne chez lui comme un cliché permettant une critique rationaliste du discours poétique. Le motif de « l’invocation aux Muses », en particulier, lui sert à railler la représentation poétique des dieux, la grandiloquence des historiens ou l’illusion des succès faciles chez les orateurs ou les poètes du dimanche29. Deux opuscules, cependant, mettent l’idée d’inspiration poétique au centre de leur propos. Dans Conversation avec Hésiode, le fameux récit de la Théogonie relatant l’élection du poète par les Muses (voir Theog. 31 ἐνέπνευσαν δέ μοι αὐδὴν θέσπιν…) est mis en doute par le constat de son impuissance à dire, comme il s’en est vanté, non seulement « ce qui était », mais « ce qui sera » (Hes., 1 et pass.). C’est à travers l’impossibilité de la prophétie, par conséquent, que l’inspiration poétique est frontalement attaquée. On retrouve la double question de l’inspiration poétique et de la prophétie dans un autre dialogue, le Zeus tragédien, sur lequel je souhaite m’arrêter plus longuement.
17Le point de départ du Zeus tragédien est un débat public qui se tient à Athènes entre deux philosophes, Damis l’épicurien et Timoclès le stoïcien ; Damis conteste l’idée de Providence, et en définitive l’existence même des dieux, tandis que Timoclès soutient la position inverse. Constatant que Damis prend l’ascendant sur son adversaire, Zeus, catastrophé, convoque l’assemblée des dieux pour discuter l’attitude à adopter. Il s’agit donc de la mise en scène plaisante d’un débat philosophique, dans lequel Lucien prend nettement parti en faveur de l’athéisme épicurien30. L’enjeu du dialogue, cependant, ne se réduit pas au débat stoïcisme/ épicurisme. Comme on l’a souvent fait observer, les clivages doctrinaux des philosophes de Lucien reposent sur des arguments superficiels et attendus ; et les traits distinctifs du « stoïcien » se confondent avec ceux du « philosophe » en général, tel qu’il est caricaturé dans d’autres opuscules31. En outre, le dialogue s’achève par une scène d’injures et de menaces qui évoque directement l’agôn comique, davantage que le débat philosophique32.
18L’aspect conventionnel du clivage stoïcisme/épicurisme nous invite ainsi à déplacer la question sur le plan formel, et à mettre en rapport le débat sur la Providence avec un trait spécifique de l’opuscule, qui est l’utilisation du vers. Il se trouve en effet que le Zeus tragédien comporte plusieurs passages en vers suivis (essentiellement les chapitres 1, 6, 31, 34), et fait partie des quelques œuvres de Lucien où vers et prose se côtoient en une sorte de discours mixte33. Entre le vers et la prose, cependant, l’équilibre n’est qu’apparent ; dans les passages versifiés, en effet, nous n’avons pas affaire à des vers originaux mais à des citations, empruntées à Homère, Euripide, Ménandre34. Ces citations sont modifiées, bricolées, recousues de façon à s’intégrer au dialogue, mais il s’agit bien de citations35. Tel un corps étranger, le vers produit ainsi un décrochement par rapport à la prose qui est mise en scène comme mode d’expression « normal » ou ordinaire ; de sorte que l’effet du discours mixte est en réalité de souligner l’étrangeté du vers, à partir de la prose. D’autre part, déjà mis à distance par son origine extrinsèque, le vers l’est une deuxième fois par les commentaires auxquels il donne lieu de la part des personnages : en effet, les répliques en vers sont systématiquement raillées pour leur aspect ridicule et déplacé. Lorsque Lucien pratique le discours mixte, le vers est donc moins – au côté de la prose – le medium de la satire que l’un de ses objets36.
19Pourquoi cette charge contre le vers intervient-elle précisément ici, dans le Zeus tragédien ? C’est qu’à travers la question de la prose, la forme de l’opuscule rejoint le problème de fond soulevé par le débat des deux philosophes. En effet, l’opuscule pose une double équation implicite entre la prose et le discours raisonnable de l’épicurien, d’un côté – et entre le vers et la confusion du discours religieux, de l’autre. D’une part, pour faire triompher sa thèse, le stoïcien Timoclès a recours à des cris (16, 15), des injures (35, 1 et 8, 36, 1), des menaces (36, 19 ; 52, 9-16). Il éprouve des difficultés à s’exprimer (17,11 πονηρῶς ἐφώνει), particulièrement devant la foule (27, 6-11) :
Devant la foule il manque tout à fait d’assurance, sa parole est celle d’un inculte à moitié barbare, si bien qu’il fait rire de lui dans les réunions ; il s’interrompt, bredouille, se trouble…
20Or, son embarras fait précisément écho à celui de Zeus qui, perdant ses moyens devant les autres dieux, cherchait à sauver la face en citant un vers de l’Iliade (14, 15-19)
Je ne sais si c’est à cause de la gravité des périls imminents ou à cause de la foule ici présente – car l’assemblée est bondée de dieux, comme tu vois – mais j’ai l’esprit bouleversé, je suis presque tremblant et ma langue est comme enchaînée. […] Veux-tu, Hermès, que je leur récite encore mon fameux exorde homérique ?
21Il existe ainsi une correspondance entre la vaine agressivité du stoïcien, et les longs passages versifiés que Zeus inflige à ses congénères. Inversement, l’épicurien s’exprime avec aisance et provoque l’adhésion enthousiaste du public (41) ; parmi ses arguments de bon sens figure une attaque conventionnelle contre les poètes, qui utilisent le vers pour dissimuler leurs mensonges (39) :
Ils ne se soucient pas de vérité, selon moi, mais de séduire les auditeurs ; et c’est pourquoi ils enchantent grâce aux vers, captivent par les fables, bref inventent tout pour l’agrément.
22Corrélativement, du côté des dieux, Damis trouve son équivalent dans le personnage d’Hermès qui se fait l’avocat de la prose, en invitant Zeus à citer Démosthène plutôt qu’Homère (14), et en rechignant à utiliser le vers pour convoquer l’assemblée des dieux (6). Hermès, donc, endosse plaisamment le rôle attendu du « dieu de la prose », mais pour incarner une prose aussi peu inspirée que possible, aux antipodes des prétentions d’Aristide :
{ΖΕΥΣ} Οὕτω ψιλά, ὦ Ἑρμῆ, καὶ ἁπλοϊκὰ καὶ πεζὰ κηρύττεις, καὶ ταῦτα ἐπὶ τοῖς μεγίστοις συγκαλῶν; […] ἀποσέμνυνε, φημί, τὸ κήρυγμα μέτροις τισὶ καὶ μεγαλοφωνίᾳ ποιητικῇ […].
{ΕΡΜΗΣ} ἀλλ’ ἐποποιῶν, ὦ Ζεῦ, καὶ ῥαψῳδῶν τὰ τοιαῦτα, ἐγὼ δὲ ἥκιστα ποιητικός εἰμι·
ZEUS : Pourquoi fais-tu, Hermès, une proclamation si dépouillée, si simple et prosaïque, alors que c’est une convocation pour les affaires les plus graves ? […] Je dis qu’il faut donner de la solennité à la proclamation grâce à certains mètres et à une emphase poétique […]. HERMES : Mais c’est le travail des poètes épiques, Zeus, et des rhapsodes, alors que je ne suis pas le moins du monde doué pour la poésie.
23La question de l’éloquence se trouve ainsi au cœur du dialogue. Autant que deux positions sur la Providence, ce sont deux manières de parler que le texte oppose.
24Un personnage noue ensemble les différents thèmes du dialogue, et en cimente l’unité : Apollon. Devant l’assemblée des dieux, Apollon est invité à rendre un oracle sur l’issue du débat (30). Agité de convulsions et pris d’un enthousiasme grotesque, il énonce alors une prophétie inintelligible, en vers, qui consiste en fait en un collage de morceaux d’Homère et d’oracles hérodotéens (31)37. Le personnage d’Apollon fonctionne ici à plusieurs niveaux. D’abord, son incapacité à prophétiser touche de très près au différend des deux philosophes, puisque la divination apparaissait comme l’une des principales manifestations de la Providence divine. Aussi la question de l’obscurité des oracles revient-elle dans l’opuscule (6, 20, 28, 40), et d’une manière générale il s’agit d’un thème récurrent dans la satire religieuse de Lucien38. Mais Apollon est aussi le dieu de l’inspiration poétique, et il s’exprime ici en tant que tel (26) :
Peut-être pourrais-je tenir un langage qui ne sera pas étranger aux Muses, mais digne de mes exercices sur l’Hélicon.
25À travers lui, c’est donc la grandiloquence de la forme versifiée qui est tournée en dérision. L’intervention d’Apollon, ainsi, permet à Lucien de contrer sur deux fronts l’idée de « prose inspirée ». Dans le De Pythiae oraculis, Plutarque prenait acte des « vers faux » d’Apollon (396cd), mais pour les imputer à son instrument (la Pythie), et pour se féliciter que ses oracles, désormais, soient volontiers rendus en prose (403a-409d). Lucien constate à son tour cette médiocrité poétique (6, 31), mais il efface l’intervention de la prophétesse. Le dieu en personne, ici, est l’auteur de ce charabia qui n’a ni la grandeur du vers, ni la simplicité de la prose. Par ailleurs, les gesticulations d’Apollon dans son « enthousiasme » tournent en dérision la figure même de « l’inspiration », que les orateurs contemporains brandissaient pour accroître leur prestige et leur autorité. Au final, le texte veut marquer qu’il n’y a pas de « prose inspirée » : malgré Aristide, la prose ne gagne aucun prestige en revendiquant l’inspiration, et malgré Plutarque, le discours religieux ne peut se prévaloir de la rationalité de la prose. Entre prose et inspiration, Lucien restaure une frontière hermétique.
Le char et l’envol
26Pour évoquer la prose, Lucien a également recours à la métaphore du « char », mais le char est indissociable chez lui d’un troisième réseau d’images, celui de l’envol, dont il nous faut dire un mot maintenant. En première approche, « l’envol » chez Lucien est essentiellement associé à l’activité philosophique. À l’imitation du Socrate des Nuées, le philosophe de Lucien perd volontiers son temps le nez au ciel, absorbé dans de vaines spéculations au sujet des μετέωρα39. S’inspirant des « voyages initiatiques » comme celui d’Er, Lucien enrichit l’image en présentant le philosophe, non seulement comme un observateur du ciel, mais comme un lunatique qui rêve de s’envoler : c’est ce qu’on pourrait appeler le « thème d’Icare40 ».
27La figure d’Icare, cependant, procède également d’une très ancienne association entre l’envol et la poésie. Dans la lyrique chorale, le poète se compare volontiers à un oiseau, à l’aigle en particulier, loué pour la hauteur de son vol ou la portée de son regard41. L’image restera associée à la grandiloquence du dithyrambe, car les poètes dithyrambiques se croisent chez Aristophane au détour d’un nuage, poursuivant leurs idées fumeuses42. Par ailleurs, les poètes volent aussi parce qu’ils ressemblent aux abeilles, ayant comme elles la bouche pleine de miel ; d’où, en particulier, le fameux portrait brossé par Socrate, constatant dans le Ion (534b) : « c’est chose légère que le poète, ailée et sacrée43 ».
28« L’envol » se situe donc à l’intersection de deux traditions, philosophique et poétique, que la satire de Lucien, précisément, associe et caricature du même geste44. Dans la petite diatribe sur les Sacrifices, par exemple, l’orateur attaque l’idée selon laquelle les hommes influent sur les dieux par leurs sacrifices, puis entreprend une description ironique de l’Olympe (Sacr. 8 et suiv.) :
Allons, laissant ces considérations, prenons poétiquement notre envol vers le ciel lui-même (εἰς αὐτὸν ἀνέλθωμεν τὸν οὐρανὸν ποιητικῶς ἀναπτάμενοι), en empruntant la même route qu’Homère et Hésiode, et considérons le bel agencement de ces hauts lieux […]. Lorsqu’on s’élève, qu’on passe un peu la tête à l’étage supérieur, qu’on monte vraiment sur le dos du ciel (ἐπὶ τοῦ νώτου), on voit une lumière plus brillante […]. « Les dieux, assis auprès de Zeus… » [= Il. 4, 1] – en altitude, il convient, j’imagine, d’être grandiloquent (πρέπει γάρ, οἶμαι, ἄνω ὄντα μεγαληγορεῖν) – regardent vers la terre…
29Dans ce passage, la « prise d’altitude » caricature la poésie à la fois comme forme (la grandiloquence du vers, voir μεγαληγορεῖν) et comme contenu (la mythologie traditionnelle) – d’où la citation de l’Iliade. Mais le texte vise également le discours philosophique, car le motif du « dos du ciel » fait allusion à un célèbre passage du Phèdre, dans lequel Socrate évoque les âmes des dieux s’élevant en chœur vers le monde de l’Intelligible (247ab) :
C’est un spectacle varié et béatifique qu’offrent les évolutions circulaires auxquelles se livre, dans le ciel, la race des dieux bienheureux […]. Or, chaque fois qu’ils se rendent à un festin, c’est-à-dire à un banquet, ils se mettent à monter vers la voûte qui constitue la limite intérieure du ciel. […] En effet, lorsqu’elles ont atteint la voûte du ciel, ces âmes qu’on dit immortelles passent à l’extérieur, s’établissent sur le dos du ciel (ἐπὶ τῷ τοῦ οὐρανοῦ νώτῳ)45…
30Il s’agit d’une des nombreuses références au Phèdre dans l’œuvre de Lucien, qui en fait l’une de ses cibles d’élection46. La raison en est que le Phèdre conjoint à ses yeux les deux aspects du « thème d’Icare », la divagation philosophique et la grandiloquence poétique. Sur le fond, la « palinodie » de Socrate, avec sa grandiose théorie de l’âme, est un paradigme du discours philosophique dans ce qu’il a de plus spéculatif, de plus extravagant, de plus « météorologique ». Dans la forme, elle est un paradigme du poétique en prose, d’abord parce que l’idée d’un enthousiasme philosophique prenant modèle sur l’inspiration poétique est au cœur du dialogue, ensuite parce que la substance du mythe (l’âme s’arrachant, grâce à ses ailes, à la pesanteur du sensible) rejoint, fortuitement ou non, une métaphore traditionnelle du poétique. Ajoutons que Socrate, dans la dernière partie du dialogue (269e4-270a6), impute à la fréquentation d’Anaxagore et à la pratique de la μετεωρολογία la qualité exceptionnelle de l’éloquence de Périclès, resserrant ainsi encore le lien entre « bien dire » et altitude47. Cet ensemble de facteurs explique sans doute qu’avant Lucien déjà, Denys d’Halicarnasse prenne le Phèdre comme exemple de la manière la plus audacieuse et grandiloquente de Platon48.
31Un détail du Phèdre, en particulier, polarise souvent l’attention de Lucien et résume toutes les connotations qui s’attachent au dialogue : la description de l’âme comme attelage de chevaux ailés. Le « char ailé » conjoint les deux images métapoétiques dont nous avons suivi la trace, la métaphore équestre d’un côté, la métaphore aérienne de l’autre. De fait, les deux métaphores sont historiquement liées dans la tradition poétique grecque, exprimant l’une et l’autre, selon des modalités différentes, l’idée du poème comme voyage ou comme parcours49. Cependant, c’est précisément au char philosophique du Phèdre que songe Lucien lorsqu’il évoque un attelage ailé50. Intrinsèquement métapoétique, et même doublement, l’image l’est une troisième fois de par son inscription dans un dialogue lui-même associé à la divagation poétique. « Char ailé » est donc un motif saturé de sens, qui évoque pour Lucien l’envers parfait de la prose, le paradigme d’une prose qui se trahit. Écoutons-le par exemple dénoncer les dérives poétiques des historiens (Hist. conscr. 8) :
Les gens de cette espèce, je crois, ignorent que dans la poésie et les poèmes, il y a des engagements et des règles spécifiques, et qu’en histoire il y en a d’autres. Dans le premier cas, une liberté pure et une loi unique – le bon plaisir du poète : inspiré, possédé par les Muses (ἔνθεος γὰρ καὶ κάτοχος ἐκ Μουσῶν), qu’il veuille atteler un char de chevaux ailés (ἵππων ὑποπτέρων ἅρμα), ou en faire galoper d’autres sur l’eau ou la pointe des épis, nul ne lui tient rigueur. […] Mais l’histoire, si elle a recours à ce genre de procédés aguicheurs, que devient-elle, sinon une sorte de poésie en prose (τί ἄλλο ἢ πεζή τις ποιητικὴ γίγνεται)…?
32Face à l’histoire, vouée au pas et à la marche (πεζή), les images ici se multiplient et s’équivalent : inspiration (ἔνθεος καὶ κάτοχος ἐκ Μουσῶν), chevaux galopants, chevaux s’élevant en altitude, désignent dans un même blâme l’aspiration poétique de la prose.
33On comprend mieux, du coup, la prégnance chez Lucien de ce qu’on pourrait appeler l’isotopie du « ras-du-sol ». Toutes les images qui évoquent la terre, le pied ou la marche doivent se comprendre sur un plan métapoétique comme renvoyant à la prose en tant que telle. Prenons l’exemple du Coq, où le cordonnier Micylle est réveillé d’un rêve de richesse par son coq, avec lequel il engage une longue conversation. Le thème du « sol » est décliné dans l’opuscule à plusieurs niveaux. D’abord dans la figure du cordonnier, associé à la chaussure et donc à la marche51. La chaussure elle-même, thème satirique chéri de Lucien52, se subdivise toujours chez lui en nobles cothurnes et modestes sandales, telles que Micylle sait les fabriquer (Coq 1 ; 22). Il ne s’agit pas d’un clivage sociologique, mais bien poétique : tragique, surélevé, grandiloquent, le cothurne renvoie à la poésie ; collée au sol, humble, fonctionnelle, la sandale est au contraire une métaphore de la prose53. Troisièmement, le thème même de l’opuscule, le réveil du cordonnier rappelé à sa propre identité, est traité par la métaphore filée de l’atterrissage ou du crash, à l’encontre du rêve défini comme créature « ailée54 » (6 ; 23). Enfin, la figure centrale du « coq », qui donne son nom à l’opuscule, est significative. Le coq joue ici le rôle d’une incarnation de Pythagore, mais les raisons qui ont inspiré à Lucien le choix précis de cet oiseau n’ont pas été élucidées avec certitude55. L’oiseau, cependant, fournit lui-même une indication, en précisant qu’il est consacré à Hermès, λογιώτατος θεῶν ἁπάντων (2). Dans la perspective de ce qui précède, et du rôle donné à Hermès tant par Aristide que par Lucien lui-même dans le Zeus Tragédien, je suggère que le coq, par ce propos, se revendique non seulement du « plus éloquent des dieux », mais bien du dieu de la prose. Le début de son entretien avec Micylle appuie cette interprétation (Coq 2) :
[MICYLLE] Zeus, dieu des prodiges, Héraclès, qui détournes les maux, quelle est cette monstruosité ? Mon coq vient de parler comme un être humain ! […] [LE COQ] Je vois que tu es complètement inculte, Mycille, et que tu n’as pas lu les poèmes d’Homère, où Xanthos, le cheval d’Achille, qui a dit adieu au hennissement, se met à bavarder au milieu de la mêlée, et pas en prose, comme moi en ce moment, mais en récitant des hexamètres entiers (ἔπη ὅλα ῥαψῳδῶν, οὐχ ὥσπερ ἐγὼ νῦν ἄνευ τῶν μέτρων). En outre il vaticinait et prédisait l’avenir (ἀλλὰ καὶ ἐμαντεύετο ἐκεῖνος καὶ τὰ μέλλοντα προεθέσπιζε)…
34L’oiseau le souligne lui-même, il a recours à la prose et non au vers. Face à lui, le « cheval d’Achille » incarne la poésie en de multiples sens : parce qu’il s’exprime en vers, parce qu’il galope, parce qu’il prophétise – discours poétique par excellence, on l’a vu, car associé à l’idée d’inspiration. Cloué au sol, le coq, humble volatile, ne sait que marcher sur ses deux pattes. Tous ces indices se surdéterminent pour faire de lui, en quelque sorte, le contraire du char ailé du Phèdre, ou encore, ce qui revient au même, sa version prosaïque56. Assorti à ce coq, son compagnon et son double, le cordonnier doit ainsi être pensé comme un étendard esthétique ; il est le grand Héros, le grand Porte-parole que Lucien a donné à la Prose57.
Entre « prose » et « poésie »
35Pour conclure sur Lucien, j’ajoute deux remarques complémentaires. Tout d’abord, il faut observer que chez lui, les catégories poétiques, d’un côté, et « morales », au sens large, de l’autre, se croisent et s’échangent en permanence ; et si le poétique est volontiers métaphorisé par des objets ou des activités de la vie courante (marche vs. galop, sandale vs. cothurne, veille vs. rêve, etc.), inversement les catégories proprement rhétoriques (vers vs. prose) sortent parfois de leur domaine propre, et métaphorisent à leur tour des comportements éthiques. De Démonax, par exemple, Lucien dit qu’il était un homme « de prose », πεζός, paraphrasant l’idée en indiquant qu’il ne cherchait pas à se distinguer des autres ni à attirer l’attention par son mode de vie (Dem. 5). Ailleurs, un Romain affectant la frugalité décrit sa maison en ces termes (Sur ceux qui sont aux gages, 19) :
ἀτραγῴδητα δὲ καὶ πεζὰ πάντα καὶ δημοτικά
<Ici, > aucune tragédie, tout n’est que prose et simplicité.
36Éthique et rhétorique utilisent donc le même vocabulaire et tendent à se confondre. Il en résulte que les prises de position de Lucien en faveur de la prose résonnent à plusieurs niveaux, et ne doivent pas être entendues en un sens étroit. Si le vers est satirisé, dans Zeus tragédien par exemple, c’est moins en tant que tel, que comme image, ou signifiant d’une catégorie plus générale du « poétique » désignant tout discours – rhétorique, philosophique, religieux – visant à occulter le réel58. Bref, « prose » et « poésie » se constituent volontiers en catégories englobantes, aptes à métaphoriser différentes conduites – poétiques ou autres59.
37Par ailleurs, si en première approche « l’inspiration » et « l’envol » construisent l’image d’un partisan résolu de la « Prose », Lucien occupe en réalité vis-à-vis du poétique et de ses figures une position ambiguë. De même que le voyage aérien, métaphore de l’extravagance poétique, est complaisamment déployé dans Icaroménippe, mais aussi dans Fugitifs, Sacrifices et bien sûr Histoires Vraies, de même on voit Lucien traiter le thème du retour au réel en faisant parler un coq, ou satiriser le discours religieux au moyen d’une mise en scène sur l’Olympe. Les satires de Lucien entretiennent donc avec leurs cibles des relations troubles ou incestueuses, de sorte que la dénonciation du « poétique » se fait toujours dans le langage de la poésie, en ayant recours à l’univers et aux figures de la poésie. Cette ambiguïté explique peut-être que pour se définir lui-même Lucien privilégie toujours des figures d’hybridité, et en particulier, comme on l’a souvent observé, celle du Centaure60. Dans la Double accusation, le Dialogue déclare par exemple :
{ΔΙΑΛΟΓΟΣ} Ἃ δὲ ἠδίκημαι καὶ περιύβρισμαι πρὸς τούτου, ταῦτά ἐστιν, ὅτι με σεμνὸν τέως ὄντα καὶ θεῶν τε πέρι καὶ φύσεως καὶ τῆς τῶν ὅλων περιόδου σκοπούμενον, ὑψηλὸν ἄνω που τῶν νεφῶν ἀεροβατοῦντα, ἔνθα ὁ μέγας ἐν οὐρανῷ Ζεὺς πτηνὸν ἅρμα ἐλαύνων φέρεται, κατασπάσας αὐτὸς ἤδη κατὰ τὴν ἁψῖδα πετόμενον καὶ ἀναβαίνοντα ὑπὲρ τὰ νῶτα τοῦ οὐρανοῦ καὶ τὰ πτερὰ συντρίψας ἰσοδίαιτον τοῖς πολλοῖς ἐποίησεν. […] κρᾶσίν τινα παράδοξον κέκραμαι καὶ οὔτε πεζός εἰμι οὔτε ἐπὶ τῶν μέτρων βέβηκα, ἀλλὰ ἱπποκενταύρου δίκην σύνθετόν τι καὶ ξένον φάσμα τοῖς ἀκούουσι δοκῶ.
[DIALOGUE] : Les mauvais traitements et les sévices que j’ai subis de son fait, je vais vous les dire. Auparavant j’étais respectable et je méditais sur les dieux, la nature et le cycle de l’univers ; « je marchais dans les airs » [voir Ar. Nuées 225] quelque part là-haut, au-dessus des nuages, là où passe « le grand Zeus dans le ciel, conduisant son char ailé » [voir Pl. Phdr. 246e]. Mais lui voulait me tirer vers le bas, alors que je volais déjà près de la voûte « sur le dos du ciel » [voir Pl. Phdr. 247b] ; il brisa mes ailes et me ramena au niveau du vulgaire. […] fruit d’un mélange inédit, je ne marche ni en prose ni à cheval sur des vers ; spectacle hybride, étrange, je me montre au public comme un hippocentaure.
38Le Dialogue satirique, cette forme inventée par Lucien et à laquelle il s’est profondément identifié, ne ferait donc pas exclusivement usage de la prose. La déclaration doit s’entendre en un sens large ; elle ne signifie pas que Lucien écrive des vers, mais plutôt que son esthétique vise, en quelque manière, à intégrer dans la prose l’héritage de la poésie61. Mixte de « marche » et de « galop », le « Centaure », être prosimétrique par excellence, revendique un espace intermédiaire entre prose et poésie. Ce n’est pas ici le lieu d’envisager toutes les implications de ce compromis, mais retenons que « poésie en prose » est en définitive le concept qui permet à Lucien de penser sa propre position esthétique62.
Philostrate
39Pour donner un contrepoint à Lucien, je voudrais suivre brièvement notre trio de métaphores dans l’œuvre de Philostrate, et particulièrement la Vie d’Apollonios. Le motif de l’inspiration, tout d’abord, occupe chez Philostrate une place importante. Dans les Vies des sophistes, le discours oraculaire, spécialement celui de la Pythie, est un modèle capital de la parole sophistique. Au seuil de l’exposé, la préface compare la sophistique à la mantique divine de Delphes, par opposition à la mantique humaine et empirique qu’est la philosophie (VS 480-1). Comme exemple, et même comme paradigme de la parole sophistique, Philostrate cite le fameux oracle rendu par Apollon à Crésus (Hdt, I, 47) et affirmant l’omniscience du dieu :
La philosophie est en harmonie avec la mantique humaine […], mais la sophistique, elle, est en harmonie avec l’art des prophètes et des oracles. Car on peut entendre aussi le Pythien proclamer : Je sais quant à moi le nombre et la mesure du sable de la mer63.
40Apollon apparaît ainsi comme la figure tutélaire, et même comme le premier représentant du mouvement. Plus loin, le geste inaugural de Gorgias, laissant aux Athéniens le choix du thème de son discours (« Proposez ! »), peut être interprété comme une référence au même oracle (VS 482) :
ἐνδεικνύμενος δήπου πάντα μὲν εἰδέναι…
il cherchait, en somme, à démontrer qu’il savait tout…
41Philostrate rappelle d’ailleurs qu’une statue en or de Gorgias fut installée dans le temple d’Apollon à Delphes, en mémoire du Discours pythique qu’il avait prononcé depuis l’autel (VS 493)64. Dans son esprit, le fondateur de la Sophistique était ainsi placé tout près du dieu dont il imitait le langage grandiose. L’éloquence de Polémon, indique-t-il plus loin, était « éclatante et inspirée (λαμπρὰ καὶ ἔμπνους), comme s’il parlait depuis le trépied » (VS 542). Quant à Eschine, son titre de « fondateur de la Seconde Sophistique » est clairement attribué à l’adoption d’un style oraculaire et inspiré (VS 509) :
La pratique du langage enthousiaste (τὸ θείως λέγειν) ne s’était pas encore répandue parmi les sophistes, jusqu’à ce qu’Eschine, qui improvisait sous l’impulsion d’un dieu (θεοφορήτῳ ὁρμῇ), comme ceux qui rendent des oracles inspirés (ὥσπερ οἱ τοὺς χρησμοὺς ἀναπνέοντες), en prenne l’initiative.
42L’image de « l’inspiration », ici, rend spécifiquement compte de ce prodige qu’est le discours improvisé ; mais plus largement, elle vise à constituer la parole sophistique comme grandiose, autoritaire et démiurgique65. On la retrouve ainsi dans la Vie d’Apollonios, où elle qualifie l’éloquence du sage de Tyane, à la fois θεῖος ἀνήρ, détenteur d’une sagesse surhumaine et inspirée, et figure de sophiste idéalisée66 (I, 17) :
Il n’avait pas pour habitude de discutailler, ou de faire de longs discours, et personne ne l’entendit non plus pratiquer l’ironie ou raisonner longuement devant son auditoire ; il s’exprimait comme s’il parlait depuis le trépied (ὥσπερ ἐκ τρίποδος), avec des formules comme : « je sais… », « je considère… », « qu’est-ce à dire…? », « il faut savoir… » ; ses avis étaient brefs et inflexibles ; il employait le mot propre et adapté à la situation, et ses mots résonnaient comme des oracles prononcés d’autorité (τὰ λεγόμενα ἠχὼ εἶχεν, ὥσπερ ἀπὸ σκήπτρου θεμιστευόμενα).
43Tel qu’il est défini ici, le style d’Apollonios est profondément homogène aux normes esthétiques des Vies des sophistes67. Apollonios est doublement prophète, parce qu’il prédit l’avenir, et parce qu’il s’exprime dans le style des oracles. En ce sens, ses pouvoirs prophétiques peuvent être interprétés comme la représentation métaphorique du « style oraculaire » des Sophistes68.
44Aelius Aristide, lui, se refusait à pratiquer le discours improvisé (VS 582 et suiv.), mais lui et Philostrate, on le voit, se rejoignent clairement dans la démarche consistant à revendiquer pour la prose l’aura du discours inspiré69. Philostrate adopte cependant une position singulière en intervenant, à son tour, dans le fameux débat concernant les oracles d’Apollon. Les deux questions, on l’a vu, sont complémentaires : extension à la prose du modèle de l’inspiration, abandon du vers dans les oracles d’Apollon. C’est au VIe livre de la Vie d’Apollonios que le problème est soulevé par Philostrate, lors de la discussion du héros avec les Gymnosophistes (VI, 10-14 et 19-21). Rappelons le contexte : au livre III, Apollonios a rendu visite aux Brahmanes de l’Inde, qui l’ont reçu dans une sorte de pays des merveilles, peuplé de plantes et d’animaux fabuleux ; au livre VI, il descend en Egypte à la rencontre des Gymnosophistes, dont l’univers et le mode de vie se caractérisent par la sécheresse et l’austérité, métaphorisées dans le motif de leur « nudité ». La structure d’ensemble du livre repose sur un parallèle entre les deux voyages ; Apollonios commence par acquérir en Inde, auprès des Brahmanes, la « véritable » sagesse, avant de confondre la sagesse dévoyée, défendue par de prétendus sages, au terme de ses pérégrinations. Le vaste agôn qui oppose Apollonios à Thespésion, porte-parole des Γυμνοί, joue ainsi un rôle capital : il permet au livre d’expliciter ses propres options esthétiques, en donnant au Héros un adversaire soutenant les positions inverses. Or, l’un des points où se cristallise cette opposition est précisément l’affaire des oracles d’Apollon. Thespésion félicite Apollon de s’exprimer avec simplicité, c’est-à-dire, implicitement, en prose (VI, 10, 4) :
Regarde Apollon, dit-il […]. Celui qui a besoin de la parole prophétique pose une brève question, et Apollon, sans aucun fracas, énonce tout ce qu’il sait. […] Fais ou Ne fais pas, Je sais ou Je ne sais pas, Telle chose, et pas telle autre, qu’y a-t-il besoin de vacarme pour cela ? Qu’y a-t-il besoin de tonnerre ?
45Apollonios au contraire admire Apollon pour sa grandiloquence, laquelle explique selon lui le choix du vers (VI, 11, 16) :
C’est aussi en vue de l’ornement, je pense, qu’il met ses oracles en vers (ἐς μέτρα ἐμβιβάζειν τοὺς χρησμούς) ; s’il n’avait pas ce souci d’apparat, voici quel genre de réponses il ferait : Fais telle chose ou Ne la fais pas, Va ou Ne va pas, Allie-toi ou Ne t’allie pas, c’est-à-dire, en somme, des réponses brèves, ou, selon vos termes, toutes nues ; lui au contraire, afin d’être grandiloquent (μεγαλορρήμων) et plus agréable à entendre pour ceux qui l’interrogent, a construit un art poétique (ποιητικὴν ἡρμόσατο) ; il affirme qu’il ne peut rien exister qu’il ne connaisse, et prétend savoir, pour les avoir comptés, jusqu’au nombre des grains de sable, et avoir mesuré toutes les dimensions de la mer.
46Nous avons affaire à deux déclarations rigoureusement contradictoires : pour l’un, Apollon s’exprime en prose, pour l’autre, il a recours au vers. C’est que le différend a lieu sur le plan normatif, et il faut entendre là, non pas deux témoignages sur les oracles de Delphes, mais bien deux prises de position : de la prose et du vers, quelle forme, idéalement, faut-il imputer au dieu ? Thespésion soutient ici une position remarquablement proche de celle de Théon, porte-parole de Plutarque dans le De Pythiae oraculis – la proximité des deux noms n’est peut-être pas fortuite. Réécoutons Plutarque (DPO 408c) :
Là où il n’y a rien d’alambiqué, de secret ni de menaçant, mais où les questions portent sur de petites choses, qui concernent de petites gens, comme les sujets qu’on aborde à l’école : s’il faut se marier, s’il faut prendre la mer, s’il faut prêter de l’argent, créer un cadre métrique, façonner des périphrases, aller chercher des mots rares en réponse à des questions qui n’ont besoin que d’une réponse simple et concise, c’est l’ouvrage d’un sophiste ambitieux, qui enjolive un oracle pour en retirer de la gloire70.
47Dans ce passage aux résonances typiquement platoniciennes, Théon/Plutarque valorisait la prose en tant que langage intègre et transparent, renvoyant le vers à la démagogie, à la « flatterie » des sophistes71. Paradoxalement, sa conception de la prose rapproche Plutarque de Lucien, qui lui aussi fait du « poétique » le type du discours opaque et fallacieux. La prose correspond pour eux au même paradigme de rationalité, même si Lucien en exclut le discours oraculaire, quand Plutarque au contraire voudrait l’y accueillir72. C’est avec ce paradigme, incarné ici par le trop sobre Thespésion, que Philostrate prend ses distances. Négligeant l’existence factuelle d’oracles en prose, Apollonios, et Philostrate avec lui, soutient que l’oracle a pour essence, ou pour nature profonde, de prendre forme en vers. Appuyée sur le fameux oracle, toujours le même, d’Apollon à Crésus (« je sais le nombre des grains de sable… ») sa réponse doit s’entendre comme une réplique sophistique à la conception philosophique de la prose, et même comme une réplique, très précisément, au De Pythiae oraculis de Plutarque73. Par la bouche d’Apollonios, Philostrate remet en cause le dogme de la clarté, et assume, pour la prose, l’objectif de séduire et d’impressionner. L’enjeu ici n’est pas le vers comme tel, mais la nature poétique du discours oraculaire en tant qu’il est, on l’a vu, le modèle que se donne la prose sophistique. Si la Pythie peut servir de bannière à celle-ci, c’est justement parce qu’elle n’est pas prosaïque. Philostrate fait donc un pas de plus qu’Aristide dans l’ambition poétique de la prose. Quand il présente la prose comme discours inspiré, il ne souhaite pas seulement accroître le prestige d’une forme qui conserverait par ailleurs ses qualités traditionnelles de rigueur et de rationalité : il lance au contraire à la prose l’injonction de se transformer, de renoncer à sa vocation rationaliste et d’outrepasser ses propres limites.
48La charge de Philostrate contre le « prosaïsme de la prose » s’exprime également dans une seconde série de textes : celle qui concerne la lévitation des Indiens. Au sujet des Indiens, la Vie d’Apollonios rapporte différents prodiges (exorcismes, divination, etc.), mais en particulier le fait qu’il leur arrivait de s’élever à quelques dizaines de centimètres au-dessus du sol, au cours des rites qu’ils pratiquaient en l’honneur du Soleil, afin de se rapprocher symboliquement de lui (III, 15, 1) :
« J’ai vu les Brahmanes de l’Inde, dit-il, vivre sur la terre sans être sur la terre (οἰκοῦντας ἐπὶ τῆς γῆς καὶ οὐκ ἐπ’ αὐτῆς) […] ». Telle est sa formule, assez énigmatique ; mais Damis raconte qu’ils couchaient sur la terre […] et qu’il les a vus décoller du sol et cheminer dans l’air (μετεωροποροῦντας δὴ ἰδεῖν ἀπὸ τῆς γῆς) jusqu’à une hauteur de deux coudées, non par goût du prodige, car ce genre de vanité leur fait horreur, mais parce que s’écarter de la terre en même temps que le Soleil, selon eux, est approprié au dieu.
49Cette pratique revêt une valeur particulière, parce qu’elle est directement critiquée par Thespésion (VI, 10, 19), auquel Apollonios répète textuellement la formule énigmatique : « j’ai vu des hommes vivre sur la terre, sans être sur la terre » (VI, 11, 13). Les Indiens, on l’a vu, sont à l’origine des pouvoirs surnaturels d’Apollonios, et entretiennent avec le héros et avec l’ouvrage en général un rapport métonymique ; l’Inde est en quelque sorte le cœur axiologique et esthétique du livre. Je voudrais proposer l’hypothèse selon laquelle la lévitation des Indiens est l’expression métapoétique d’un certain rapport à la prose ; car, si paradoxal que cela puisse paraître, la lévitation nous ramène au mythe d’Icare et à l’image de l’envol. D’une manière générale, on sait que Philostrate traite le thème conventionnel des « merveilles de l’Inde » en leur donnant une valeur métaphorique74. Sur ce point particulier, il faut être attentif au fait que la lévitation se veut un mouvement ascendant et un arrachement au sol (τῷ Ἡλίῳ ξυναποβαίνοντες τῆς γῆς). La lévitation, en somme, accomplit le mouvement inverse de celui par lequel, dans les « grands récits » de Strabon et Plutarque, le langage « descendait de son char » pour poser le pied à terre. Précisément, quand les Indiens lévitent, les Sages nus au contraire, ces adeptes de la prose, se vantent de coucher à même le sol (VI, 10, 19) :
La terre, ici, n’étend pour nous aucune couche, elle ne donne pas de lait ni de vin comme aux Bacchantes, et l’air ne nous soulève pas non plus en hauteur (οὐδὲ μετεώρους ἡμᾶς ὁ ἀὴρ φέρει) : nous couchons à même le sol, et vivons des produits qu’il donne naturellement.
50Entre le sol des gymnosophistes, et le matelas aérien des Brahmanes, il y a la même différence qu’entre la sandale et le cothurne chez Lucien. Une poignée de centimètres qui disent d’un côté l’adhésion humble au réel tel qu’il est, de l’autre la recherche de la grandeur et de l’ornement.
51D’autre part, il faut observer, dans la phrase de Thespésion, l’utilisation méprisante de l’adjectif μετέωροι, fortement connoté, on l’a assez vu, du côté des phénomènes célestes et des spéculations qui s’y attachent, depuis les Nuées d’Aristophane et au-delà. Damis lui-même, relatant le prodige (voir III, 15, 1 supr.), avait indiqué : μετεωροποροῦντας δὴ ἰδεῖν ἀπὸ τῆς γῆς. μετεωροπορεῖν, « cheminer en hauteur », est un verbe fort rare, dont pratiquement la seule autre occurrence75 avant Philostrate se trouve dans un texte qu’on ne sera pas étonné de retrouver ici, puisqu’il s’agit du Phèdre, et plus précisément du mythe de l’âme-attelage (246c) :
τελέα μὲν οὖν οὖσα καὶ ἐπτερωμένη μετεωροπορεῖ τε καὶ πάντα τὸν κόσμον διοικεῖ,
Quand elle est parfaite et ailée, <l’âme> chemine dans les hauteurs et administre le monde entier76.
52Au moment de justifier devant les Gumnoi la pratique de la lévitation (VI, 11, 20), Apollonios utilise le même verbe :
θεοὶ μὲν γὰρ χθόνιοι βόθρους ἀσπάσονται καὶ τὰ ἐν κοίλῃ τῇ γῇ δρώμενα, Ἡλίου δὲ ἀὴρ ὄχημα, καὶ δεῖ τοὺς προσφόρως ᾀσομένους αὐτὸν ἀπὸ γῆς αἴρεσθαι καὶ ξυμμετεωροπορεῖν τῷ θεῷ·
Les dieux souterrains préféreront les fosses et les cérémonies accomplies dans les profondeurs de la terre, mais l’air est le Char du Soleil, et qui veut le célébrer comme il convient doit décoller du sol et cheminer en hauteur avec le dieu.
53Un verbe aussi rare ne peut s’entendre que comme une citation ; la lévitation des Indiens renvoie donc au voyage cosmique de l’âme divine dans le Phèdre. La référence n’est pas, ou pas seulement, philosophique ; elle se veut surtout un hommage au texte qui illustrait plus qu’aucun autre, pour les lettrés de l’époque impériale, l’ambition poétique de la prose. Dans un tel contexte, la réapparition du motif du « Char », dont on a suffisamment souligné les connotations, constitue un indice supplémentaire. La lévitation réactive bel et bien la métaphore de « l’envol » poétique ; elle signifie que le livre entend remonter sur le « Char » de la poésie, tout comme les Indiens embarquent, symboliquement, sur le « Char du Soleil ». La Vie d’Apollonios, bien sûr, est rédigée en prose, mais d’elle on dirait plus proprement, de même que les Indiens sont sur la terre sans être sur la terre, qu’elle est en prose mais n’est pas en prose ; autrement dit que sans recourir au vers, elle revendique cependant un langage poétique au sens large du terme77.
***
54Je n’ai pas prétendu, dans ce qui précède, dresser l’inventaire exhaustif des métaphores de la prose, dont bien d’autres (liées à la nourriture, au vêtement, aux âges de la vie par exemple) mériteraient un examen. Cependant, « l’inspiration », le « char » et « l’envol » ont servi plus que toute autre à penser la tentation poétique de la prose, le rapport d’attraction-répulsion qu’elle entretient avec la poésie. Formant un imaginaire commun, elles ont permis à différentes positions d’entrer en dialogue, et fait émerger de nouvelles métaphores qui, occupant l’espace ouvert entre le « sol » et le « char ailé », sont venues dessiner le poétique en prose, ses attraits et ses dangers : centaure, coq, cothurne, lévitation, crash aérien. Dans la cristallisation de cet imaginaire, le Phèdre de Platon a joué un rôle important. Les lettrés de l’époque n’ont pas cessé de lire comme une authentique expérience poétique ce qui était plutôt une tentative d’annexion, par la philosophie, de la poésie et de ses figures : enthousiasme, invocation des Muses, prise d’altitude, char des Piérides devenant celui de l’âme. À son corps défendant sans doute, le Platon du Phèdre a fini par servir de bannière à toute intégration dans la prose d’un projet poétique.
55Bien sûr, il convient de ne pas minimiser les divergences sur ce que peut recouvrir l’idée d’un « poétique en prose », comme le montre en particulier la question lancinante des oracles d’Apollon. Avec Lucien et Philostrate, la réflexion de Plutarque, dont l’enjeu était essentiellement religieux et philosophique, semble s’être déplacée sur le plan esthétique, pour s’identifier à la question même de la prose. Le langage pythique, ce paradigme d’une parole inspirée, autoritaire, prophétique, elle-il un modèle que la prose peut se donner ? Plus largement, on pourrait dire que la norme de l’époque, personnifiée par Aristide, est d’idéaliser une forme de compromis entre l’aura du discours inspiré, et la clarté ou la rigueur traditionnellement attachées à la prose. Mais à trop s’approcher de l’idée d’inspiration, la prose ne risque-t-elle pas de perdre son âme ? Selon des logiques antithétiques, Lucien et Philostrate font tous deux voler ce compromis en éclats : le premier, en soulignant combien le motif de l’inspiration implique pour la prose un renoncement à son identité ; le second, en montrant qu’une prose « pythique », si on l’assume jusqu’au bout, doit larguer définitivement les amarres du prosaïque ou du philosophique.
56Cette opposition se retrouve dans le traitement de l’image de l’envol. Lucien, comme Plutarque, exalte les figures du sol, en tant qu’elles renvoient à la neutralité du langage prosaïque, à sa discrétion. Dans son portrait des « Sages nus », Philostrate a précisément pris ce prosaïsme pour cible, exaltant systématiquement les images d’élévation. Il est vrai que la position de Lucien, on l’a vu, est en réalité plus complexe, et que ses ironiques voyages aériens donnaient à sa prose, de son propre aveu, une part de poésie. Lucien comme Philostrate, ainsi, ne cessent d’ouvrir cet espace vertical qui sépare le sol des météôra, la prose de la poésie, mais avec des centres de gravité opposés. Chez Lucien l’ouranien, le lunaire, le monde des oiseaux se dénoncent toujours précisément comme irréels ; l’altitude n’est là que pour offrir un point de vue sur le sol, auquel elle nous ramène. Les héros de Philostrate, au contraire, ont toujours le regard tourné vers le ciel.
Notes de bas de page
1 Trad. G. Aujac (Les Belles Lettres, CUF, 1969). En l’absence d’indication contraire, les traductions sont les miennes.
2 Ol. IX, 80-1, tr. M. Briand (Les Belles Lettres, coll. « Commentario », 2014). Voir e. g. Isthm. II, 2 ; Pyth. X, 63. Voir les autres références et les commentaires donnés par D. Auger, « De l’artisan à l’athlète : les métaphores de la création poétique dans l’épinicie et chez Pindare », dans P. Hoffmann, J. Lallot et A. Le Boulluec (dir.), Le Texte et ses représentations, Presses de l’ENS, coll. « Études de littérature ancienne », n° 3, 1987, p. 48-50.
3 Voir Empéd. B4 DK ; Ar. Guêpes 1021-2 ; Cratinos ap. Ath. II 39c ; Call. fr 1 Pf. 25 et suiv. L’image est abondamment copiée dans la poésie latine : v. e. g. Lucr. VI, 46 sq. ; Virg. G. II, 541-2 ; Ov. Fast. II, 360 ; Prop. III 1,9-12. Voir Cic. ad Q. fr. II, 13,2.
4 Dans l’éloquence, il était devenu courant à l’époque impériale d’assimiler le rythme du discours à une allure équestre, du « pas » au « galop » en passant par le « trot », avec les options stylistiques que ce rythme implique. Voir les exemples rassemblés par E. Norden, « In Varronis Saturas Menippeas obseruationes selectae », Jahrbücher für Classische Philologie, 1891, Suppl. 18, p. 274-276.
5 Soph. fr. 16 Radt et Ar. fr. 962 Kassel-Austin. Voir M. Durante, « Epea pteroenta. La parola come “cammino” in immagini greche e vediche », RAL, 1958, n° 8, p. 3-14 ; R. Nünlist, « Der Theaterkarren des Thespis : eine poetologische Metapher », WJA, 1996-97, n° 21, p. 259-271.
6 Ait. 4, fr. 112 Pf. Voir M. Asper, Onomata allotria : zur Genese, Struktur und Funktion poetologischer Metaphern bei Kallimachos, Stuttgart, F. Steiner, coll. « Hermes », n° 75, 1997, p. 58-62 qui appuie notamment sa lecture métapoétique sur l’analogie bien connue établie par Aristote (Poét. 4, 49a 25-28) entre l’iambe et la prose. Le texte de Callimaque est à l’origine, en particulier, de la musa pedestris (Sat. 2,6,17) et du sermo pedestris (AP 95) d’Horace ; voir ici-même l’article de J.-P. De Giorgio.
7 Même si la première attestation de πεζῇ au sens de « en prose » se trouve chez Platon (Soph. 237a), l’expression ne s’est pas immédiatement répandue. Ni Isocrate, ni Aristote (qui parle généralement de ψιλοὶ λόγοι) ne l’utilisent ; elle est usuelle en revanche chez le Ps-Démétrios (iie s. av. J.-C. ?).
8 L’ ὕψος de Strabon ne doit pas être confondu avec le « sublime » du Ps-Longin, qui précisément va redéfinir la métaphore verticale en l’éloignant de l’opposition poétique vs. prosaïque. Voir J.-P. Guez, « “Lumière de la pensée” : la métaphoricité du sublime », dans S. Conte et S. Dubel (éd.), L’Écriture des traités de rhétorique des origines grecques à la Renaissance, Bordeaux, Ausonius, à paraître.
9 E. Norden, Die Antike Kunstprosa, Leipzig, B. G. Teubner, 1898 : 32 et suiv. ; G. M. Rispoli, Dal suono all’immagine : poetiche della voce ed estetica dell’eufonia, Pisa & Roma, Istituti editoriali e poligrafici internazionali, coll. « Filologia e critica », n° 76, 1995, p. 278-288 ; T. Whitmarsh, « Quickening the Classics : the Politics of Prose in Roman Greece », dans J. I. Porter (dir.), Classical pasts : The Classical Traditions of Greece and Rome, Princeton, PUP, 2006, p. 353-374 ; L. Pernot, « Hymne en vers ou hymne en prose ? L’usage de la prose dans l’hymnographie grecque », dans Y. Lehmann (dir.), L’Hymne antique et son public, Turnhout, Brepols, coll. « Recherches sur les rhétoriques religieuses », n° 7, 2007, p. 169-188.
10 DPO 406b6-408f5, tr. F. Ildefonse. (GF, 2006)
11 Voir L. Van der Stockt, Twinkling and Twilight. Plutarch’s Reflections on Literature, Bruxelles, AWLSK, 1992, p. 74-83 sur le passage du DPO et les normes platoniciennes qui le sous-tendent.
12 45, 8, tr. J. Goeken, Aelius Aristide et la rhétorique de l’hymne en prose, Turnhout, Brepols, coll. “Recherches sur les rhétoriques religieuses”, n° 15, 2012.
13 Voir sur ce passage les remarques de D. A. Russell, « Aristides and the prose hymn », dans D. A. Russell (dir.), Antonine Literature, Oxford, OUP, 1990, p. 199-219, et dans ce volume les analyses d’E. Oudot.
14 Chez Plutarque, l’image du « char poétique » figure encore dans le traité Comment écouter les poètes (16cd). On notera aussi que la Tragédie personnifiée, dans l’allégorie de Gloire des Athéniens (348e), est véhiculée en litière – avec ou sans cheval, elle ne saurait donc se déplacer à pied. E. Norden, Die Antike Kunstprosa, op. cit., n. 3 p. 33 rassemble d’autres références, où figurent encore, pour les deux premiers siècles : Lucien (Comm. écrire l’hist. 45) ; Ps-Lucien (Éloge de Dém. 5) ; Aristide (28, 124) ; enfin Hérode Atticus cité par Philostrate (VS. 537).
15 Je renvoie aux analyses classiques de M. Détienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, [1967], Pocket, coll. « Agora », 1994.
16 Voir sur ce point les discussions d’A. Delatte, Les Conceptions de l’enthousiasme chez les philosophes présocratiques, Les Belles Lettres, coll. « Études anciennes », 1934 et E. R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, [1959], tr. M. Gibson, Flammarion, coll. « Champs », trad. fr. 1977, p. 87-90.
17 On trouve un aperçu général et diachronique sur la notion d’inspiration poétique dans D. A. Russell, Criticism in Antiquity, Berkeley, University of California Press, 1981, p. 69-83, qui souligne combien le motif se maintient, tout au long de la tradition, en se codifiant et en se lexicalisant.
18 Voir L. Pernot, La Rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Institut d’études augustiniennes, 1993, p. 625-635 sur l’utilisation par les orateurs impériaux du motif de « l’inspiration », et p. 635-656 sur l’ambition visant à remplacer les poètes, en s’appropriant leurs attributs et leurs fonctions. Sur la figure de l’orateur prophète, voir également les remarques de P. Fleury, « L’orateur oracle : une image sophistique », Perceptions of the Second Sophistic and its Times, Toronto, Buffalo & London, University of Toronto Press, coll. « Phoenix Suppl. », 2011, p. 65-75 qui y voit la marque des « rapports entre Seconde Sophistique et religion » (69). Sur l’importance des thèmes religieux dans l’atmosphère intellectuelle de l’époque, voir B. P. Reardon, Courants littéraires grecs des iie et iiie siècles après J-C, Les Belles Lettres, coll. « Annales littéraires de l’université de Nantes », 1971, p. 237-274, et dans l’activité des sophistes en particulier : G. Anderson, « The pepaideumenos in Action : Sophists and their Outlook in the Early Empire », ANRW, 1989, II, 33, 1, p. 123-126 et G. Anderson, The second sophistic : A cultural phenomenon in the roman empire, London & New York, Routledge, 1993, p. 200-215.
19 Voir l’Hymne à Sarapis (45, 7) et le deuxième Discours sacré (48, 8).
20 Parce qu’il préside à l’éloquence, Hermès est pour les prosateurs une divinité tutélaire, volontiers associée à Démosthène, type de l’orateur « inspiré » (L. Pernot, « L’empreinte d’Hermès Logios. Une citation d’Aelius Aristide chez Julien et chez Damascius », RAAN, 2002, n° 71, p. 191-207). La figure d’Hermès Logios, que nous retrouverons à propos de Lucien, « était particulièrement vivace dans les milieux philosophiques et rhétoriques grecs de l’époque du Haut-Empire et de l’Antiquité tardive » (ibid. p. 191).
21 Voir en particulier les allusions à la fameuse invocation du Catalogue des vaisseaux de l’Iliade (« Eussé-je dix bouches… ») dans l’Hymne à Sarapis (45, 16) et le premier Discours Sacré (47, 1), ou l’invocation à la Muse achevant l’exorde de l’Hymne à Zeus (43, 6). La « rhétorique révélée » d’Aristide, et le nouveau statut qu’elle confère à la prose, ont été minutieusement décrits par J. Goeken, Aelius Aristide et la rhétorique de l’hymne en prose, op. cit., (voir notamment 75-111). Voir également ici-même les analyses d’E. Oudot.
22 C’est pourquoi Aristide illustre aussi, à sa façon, un phénomène caractéristique de l’époque, celui de « l’homme divin », du Holy man. voir ibid., p. 303-318 et G. Anderson, Sage, Saint and Sophist : Holy Men and their Associates in the Early Roman Empire, London & New York, Routledge, 199, p. 37 et suiv. et p. 106.
23 Sur le problème de la représentativité d’Aristide, voir les réflexions et les exemples parallèles donnés par L. Pernot, Rhétorique de l’éloge, op. cit., p. 631 et suiv.
24 Cette importance du platonisme dans l’histoire de la prose a été soulignée par R. Velardi, « Le origini dell’inno in prosa tra v e iv secolo A. C. : Menandro retore e Platone », L’Inno tra rituale e letteratura nel mondo antico, Roma, 1991, p. 205-231 ; L. Pernot, « Hymne en prose », op. cit. ; J. Goeken, Rhétorique de l’hymne en prose, op. cit., p. 82 et p. 188-201.
25 Dans le Περὶ ἐπιδεικτικῶν du Ps-Ménandre (fin du iiie siècle apr. J.-C. ?), Platon est reconnu comme le maître de l’hymne en prose (I, 334, 7-18) ; le passage du Phèdre contenant l’invocation de Socrate à la Muse (237a), en particulier, est le prototype de l’hymne κλητικός, « invocatoire » (I, 335, 6-13). De fait, l’invocation aux Muses, dans l’un des textes d’Aristide cités plus haut (n. 19 : 43,6 fin de l’exorde de l’Hymne à Zeus), est calqué sur le passage du Phèdre en question (voir J. Goeken, Rhétorique de l’hymne en prose, op. cit., n. 11, p. 509).
26 Le paradoxe est bien analysé par L. Pernot, « Platon contre Platon : le problème de la rhétorique dans les Discours platoniciens d’Aelius Aristide », dans M. Dixsaut (dir.), Contre Platon I : le platonisme dévoilé, Vrin, coll. « Tradition de la pensée classique », 1993, p. 315-338. Voir également M. B. Trapp, « Plato’s Phaedrus in the Second Century », dans D. A. Russell (dir.), Antonine Literature, Oxford, OUP, 1990, p. 166-167.
27 L. Pernot, « Hymne en prose », op. cit., p. 185.
28 Sur la centralité de Platon, et plus particulièrement du Phèdre, dans la culture littéraire de l’époque impériale, voir M. B. Trapp, « Plato’s Phaedrus in the Second Century », op. cit., et maintenant R. L. Hunter, Plato and the Traditions of Ancient Literature : the Silent Stream, Cambridge, CUP, 2012 : 151-184.
29 Voir respectivement Sacr. 5 ; Comm. écrire l’hist. 8,5 et 14 ; Ignorant bibl. 15,7 et Prof. Rhét. 4,6.
30 Voir J. Bompaire, Lucien : Œuvres, t. III. Opuscules 21-25, Les Belles Lettres, CUF, 2003, p. 6-8.
31 Sur la portée philosophique relative des dialogues de Lucien, voir M. Caster, Lucien et la pensée religieuse de son temps, Les Belles Lettres, 1937, p. 12-29 ; J. Bompaire, Lucien écrivain. Imitation et création, de Boccard, coll. « BEFAR », 1958, p. 350-361 ; J. Hall, Lucian’s Satire, New York, Arno Press, coll. « Monographs in classical studies », 1981, p. 151-193 ; C. P. Jones, Culture and society in Lucian, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1986, p. 39-40 ; sur la joute spécifique du Zeus Tragédien, voir J. Coenen, Lukian : Zeus tragodos. Überlieferungsgeschichte, Text und Kommentar, Meisenheim am Glan, A. Hain, coll. « Beiträge zur klassischen Philologie », n° 88, 1977, p. 106-111.
32 Voir à ce propos R.B. Branham, Unruly Eloquence : Lucian and the Comedy of Traditions, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1989, p. 174-177.
33 Les trois autres sont Pêch. 1-5, Fug. 30 et surtout Ménip. 1.
34 Quelques vers isolés sont peut-être dus à Lucien : voir J. Bompaire, Lucien écrivain, op. cit., n. 3, p. 559.
35 Cet usage spécifique du vers ressortit donc au patchwork ou au centon, plutôt qu’au prosimetrum proprement dit, qui implique une symétrie entre les deux formes ; voir ibid., p. 382-404 (sur la citation) et p. 558-560 (sur le mélange prose/vers) ; P. Dronke, Verse with Prose From Petronius to Dante, Cambridge (Mass.), HUP, 1994, p. 1-2 ; B. Pabst, Prosimetrum : Tradition und Wandel einer Literaturform zwischen Spätantike und Spätmittelalter, Köln, Weimar & Wien, Böhlau Verlag, coll. « Ordo », n° 4, 1994 , p. 12-19. La question du prosimetrum chez Lucien est quelque peu obscurcie par celle de son rapport à la satire ménippée, qui mêlait à la prose des vers originaux. Quelle que soit la dette de Lucien à l’égard de Ménippe, elle se situe davantage au niveau des thèmes et de la tonalité générale qu’au niveau de la forme, même si le mélange prose/vers représente, superficiellement, une « pose » ménippéenne. Sur le rapport de Lucien à la satire ménippée, voir J. Hall, Lucian’s Satire, op. cit., p. 64-150 et J.-C. Relihan, Ancient Menippean Satire, Baltimore & London, JHUP, 1993 , p. 12-36 et p. 103-118, et sur le prosimetrum, ici-même l’article de J.-B. Guillaumin.
36 En ce sens, un autre parallèle à l’incongruité du vers dans Zeus Tragédien est le début du Comment écrire l’histoire, avec l’anecdote sur les Abdéritains et leur épidémie de « tragédite ». Comme le montre J.-B. Guillaumin (infra, p. 91), le prosimetrum « authentique » peut également fonctionner en ridiculisant la grandiloquence du vers, à partir de la prose.
37 J. Coenen, Zeus Tragodos, op. cit., p. 96-97.
38 Voir en particulier Zeus conf., Alex., Astr. Voir M. Caster, Pensée religieuse, op. cit., p. 123-178 (sur Lucien et l’idée de Providence), 225-267 (sur Lucien et les oracles) et J. Bompaire, Lucien écrivain, op. cit., p. 491-499 (sur la satire religieuse de Lucien en général). Comme le remarque J. Hall, Lucian’s Satire, op. cit., p. 131, la raillerie à l’encontre de la divination est une attitude typiquement cynique.
39 Voir Double acc. 33, Icar. 5-6, Ménip. 21, Astr. (pass.), Prom. en paroles 6. Par-delà le « pensoir » des Nuées, cette satire de la μετεωρολογία évoque également la mésaventure de Thalès observant les étoiles et tombant dans un puits (A1 et 9 DK) – vieille tradition populaire, sans doute, faisant du philosophe un « professeur Tournesol » (voir la fable ésopique de « l’astronome », n° 65 Chambry).
40 Hermot. 71 ; voir Nav. 42-44, Coq 23, Portr. 21, Prof. Rhét. 26 pour d’autres usages satiriques de la figure d’Icare, auxquels s’ajoutent les voyages aériens effectivement mis en scène dans Fugitifs, Icaroménippe, Histoires vraies. Dans l’ordre philosophique, les voyages aériens de Lucien font référence aux grands récits mythiques d’initiation imaginés par Parménide, Platon (Rép.), Plutarque (Délais, Démon de Socrate, Visage de la lune ; voir A. Georgiadou et D. H. Larmour, Lucian’s Science Fiction Novel, True Histories : Interpretation and Commentary, Leiden, Boston & Köln, E. J. Brill, coll. « Suppl. Mnemosyne », n° 179, 1998, p. 13-18 et 87 n. ad μετεωρίσας). Les récits en question s’inscrivent eux-mêmes dans une longue et ancienne tradition imaginant l’âme comme pourvue d’ailes et douée du pouvoir de voler, et prêtant à certains sages la faculté de s’arracher à leur corps pour mener un voyage cosmique. Voir e. g. R. M. Jones, « Posidonius and the Flight of the Mind through the Universe », CPh, 1926, n° 21, fasc. 2, p. 97-113 ; P. Courcelle, « Flügel (Flug) der Seele, I », Reallexikon für Antike und Christentum, Stuttgart, Anton Hiersemann, 1972, vol. VIII, p. 29-65. Souvent médiatisée par le souvenir du Phèdre (voir infra), cette tradition est vivace au iie siècle, en particulier chez Maxime de Tyr, l’exact contemporain de Lucien (voir Or. 9,6 ; 10,2 et 10 ; 11,10 ; 16,6 ; 26,1). Enfin, le voyage aérien est à lier au motif cynique du « regard d’en haut » et du « chien de garde » (voir P. Hadot, La Citadelle intérieure. Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, Fayard, 1992, p. 191-2) ; la présence du motif du survol dans les fragments de satires de Varron permet de supposer des précédents chez Ménippe (voir J. Hall, Lucian’s Satire, op. cit., p. 99).
41 Voir e. g. Pind. Ol. 2,95 et suiv. ; Nem. 3,80 et suiv. D’autres oiseaux (cygne, rossignol) sont nommés par les poètes méliques et auront une riche postérité. Dans leur esprit et celui de leur public, l’image n’était sans doute pas sans rapport avec les ἔπεα πτερόεντα, les « paroles ailées » d’Homère (J. Taillardat, Les Images d’Aristophane. Études de langue et de style, Les Belles Lettres, coll. « Annales de l’université de Lyon », 1962, p. 430 et suiv. ; voir cependant M. Durante, « Epea pteroenta », op. cit.).
42 Voir Ar. Ois. 1372-1409, Paix 829.
43 Texte qui sera à son tour cité comme blason métapoétique, par Callimaque par exemple (Ait. fr. 1 Pf. 29-38) : voir R. Hunter, « Winged Callimachus », ZPE, 1989, n° 76, p. 1-2. Sur la tradition du poète-abeille, voir encore J. Taillardat, Images d’Aristophane, op. cit., p. 431-433.
44 On notera, chez Horace déjà (AP 457-460), la même image surdéterminée de « l’oiseleur », caricaturant la grandiloquence poétique via le souvenir de Thalès et de son observation du ciel, sa μετεωρολογία.
45 Tr. L. Brisson, GF, 1995.
46 Sur le rapport de Lucien au Phèdre, voir F. W. Householder, Literary Quotation and Allusion in Lucian, New York, King’s Crown Press, 1941, p. 34 (très incomplet) et G. Anderson, Lucian. Theme and Variation in the Second Sophistic, Leiden, E. J. Brill, coll. « Supplements to Mnemosyne », n° 41, 1976, p. 28-9, avec la n. 59, qui enregistre la fréquence des références, sans proposer de piste d’interprétation.
47 Ce passage était célèbre. À propos de Périclès, Plutarque reprend l’idée du lien éloquence/μετεωρολογία en s’appuyant directement sur la remarque de Socrate (Per. 5-6 ; 8). La « hauteur d’esprit » (τὸ ὑψηλόνουν) imputée par ce dernier au stratège athénien nourrit également le modèle longinien du Sublime, traduit notamment par l’image « météorologique » de la foudre (De subl. 1,4 ; 12,4 ; 34,4). Voir D. A. Russell, « Longinus » : On the Sublime, Oxford, OUP, 1964, p. XXXIX. En effet Platon, non sans provocation, s’inspirait pour louer Périclès des caricatures comiques du stratège en « Olympien » tonnant et foudroyant (voir H. Yunis, Plato : Phaedrus, Cambridge, CUP, coll. « Cambridge Greek and Latin Classics », 2011 : n. ad loc.).
48 Voir Den. Hal. Lys. 2, 4 ; Dem. 7, 1-6.
49 Voir M. Durante, « Epea pteroenta », op. cit.
50 Voir Pêch. 22, Double acc. 33, Icar. 10, Prof. Rhét. 26 où le même passage du Phèdre est à chaque fois visé. Bien sûr, l’idée de « char ailé » a sa logique propre dans la pensée de Platon, et procède notamment d’un dialogue implicite avec le « char » du poème de Parménide : voir S. Slaveva-Griffin, « Of Gods, Philosophers, and Charioteers : Content and Form in Parmenides’ Proem and Plato’s Phaedrus », TAPA, 2003, n° 133, p. 227-253.
51 Le cordonnier est un personnage cynique traditionnel (J. Hall, Lucian’s Satire, op. cit., p. 80). Chez Lucien, outre différentes mentions ou apparitions anonymes, il intervient, sous le nom topique de « Micylle », dans deux opuscules : le Coq et L’arrivée aux enfers.
52 Voir G. Anderson, Theme and Variation, op. cit., p. 44.
53 Pour d’autres « chaussures métapoétiques », voir not. Comm. écrire l’hist. 22, Danse 27, Prof. Rhét. 15.
54 On retrouve cette image de « l’atterrissage dans le réel » en Nav. 46, Double acc. 33, Hermot. 71 (où « rêve » et « envol » sont mis en équivalence, comme dans le Coq).
55 Voir M. Caster, Pensée religieuse, op. cit., p. 45 ; C. P. Jones, Culture and society in Lucian, op. cit., p. 36 ; J. Bompaire, Lucien, t. III, op. cit., n. 115 p. 148.
56 Il existe au moins un précédent de « coq métapoétique », chez Théocrite (Id. 7, 47-8), où Lykidas s’en prend aux « volailles des Muses » (Μοισᾶν ὄρνιχες… κοκκύζοντες) qui cherchent à imiter Homère.
57 À Rome, Socrate fonctionne lui aussi comme « héros de la prose » de par son attachement au « sol » : il est celui qui s’est intéressé à l’homme, plutôt qu’aux meteôra (voir les remarques de J.-P. De Giorgio, infra, p. 124).
58 Dans Zeus tragédien, les vers cités ne sont d’ailleurs pas tous empruntés à la tragédie, mais aussi à Homère ou Ménandre. Le « tragique » (et le cothurne qui en est l’emblème) fonctionne ainsi chez Lucien comme un synonyme du « poétique », au sens large qui vient d’être donné. Voir à ce sujet J.-P. Guez, « Tragique, spectaculaire, sophistique », dans H. Scepi (dir.), Le Genre et ses qualificatifs, PUR, La Licorne, n° 105, 2013, p. 273-288.
59 Comme le montre ici-même D. Kasprzyk, ce détournement « éthique » de la catégorie de prose est déjà pratiqué par Dion de Pruse.
60 Voir Double acc. (33), Zeux. (pass.), Prom. en paroles (5).
61 Par exemple l’héritage de la fiction. Comme le remarquent A. Georgiadou et D. H. Larmour, True Histories, op. cit., p. 81, dans Histoires vraies le motif de l’envol renvoie à la poésie en tant que fiction.
62 Sur le Centaure comme figure métapoétique de l’hybridité, voir les remarques de P. Galand-Hallyn, Le Reflet des fleurs. Description et métalangage poétique d’Homère à la Renaissance, Genève, Droz, coll. « Travaux d’Humanisme et Renaissance », 1994, p. 195-205 à propos d’Ovide. Le Centaure est référé par R. B. Branham, Unruly Eloquence, op. cit., p. 26 et suiv. au mélange du comique et du sérieux et à la catégorie du spoudogeloion. Voir également les remarques d’A. Georgiadou et D. H. Larmour, True Histories, op. cit., p. 90 et suiv. sur les hybrides lunaires d’Histoires vraies, ainsi que J.-P. Guez, « Lucien, l’ivresse et la gueule de bois », Cahiers Forell (en ligne), 2014, http://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=241., sur les rapports entre l’envol, le Centaure et d’autres images métapoétiques chez Lucien.
63 Tr. B. Cassin dans L’Effet sophistique, Gallimard, coll. « NRF Essais », 1995, p. 537.
64 Sur ce qu’on peut conjecturer de ce discours perdu, voir M. Civiletti, Vite dei sofisti, Milano, Bompiani, 2002, n. 15, p. 392.
65 Voir B. Cassin, L’Effet sophistique, op. cit., p. 454-457 sur les implications philosophiques de ce « style oraculaire ».
66 Voir G. Anderson, Philostratus. Biography and Belles Lettres in the Third Century A. D., London, Croom Helm, 1986, p. 121-133.
67 Sur Apollonios comme orateur et sur ce passage en particulier, voir A. Billault, « The Rhetoric of a “Divine Man” : Apollonius of Tyana as Critic of Oratory and as Orator according to Philostratus », Ph & Rh, 1993, n° 26, fasc. 3, p. 227-235.
68 Sur les pouvoirs d’Apollonios comme métaphore du verbe sophistique, voir J.-P. Guez, « Magie et sophistique dans la Vie d’Apollonios de Tyane », dans S. Dubel, S. Gotteland et E. Oudot (dir.), Éclats de littérature grecque d’Homère à Pascal Quignard. Mélanges offerts à Suzanne Saïd, PUP Ouest, 2011, p. 191-231.
69 Le motif de « l’inspiration » joue également un rôle important dans l’Héroikos, où le Vigneron parle, en quelque sorte, sous la dictée de Protésilas. Voir not., en 22,3 et 25,18, le souvenir de l’invocation à la Muse, au début du catalogue des vaisseaux de l’Iliade.
70 Tr. F. Ildefonse, op. cit.
71 La valorisation de la brièveté, du « laconisme », par le Thespésion de Philostrate, fait également écho au DPO (406b) ; elle est, d’une manière générale, caractéristique de Plutarque : voir Phoc. 5, 2-3, Lyc. 19, 1, Sur le bavardage (pass.). Voir L. Van der Stockt, Twinkling and Twilight, op. cit., p. 59 et suiv.
72 Dans son évocation du vers en DPO 406de, l’imagerie de Plutarque (luxe, féminité, cothurnes, chevelure apprêtée) est profondément homogène à celle de Lucien.
73 Philostrate affiche par ailleurs, dans la Lettre 73, son hostilité à Plutarque, en qui il voit l’ennemi paradigmatique de la sophistique. Sur le rapport de Philostrate à Plutarque, voir désormais L. Van der Stockt, « “Never the Twain Shall Meet” ? Plutarch and Philostratus’ Life of Apollonius : Some Themes and Techniques », dans K. Demoen et D. Praet (dir.), Theios Sophistes. Essays on Flavius Philostratus’Vita Apollonii, Leiden, E. J. Brill, coll. « Supplements to Mnemosyne », n° 305, 2009, p. 187-208, qui fait notamment le point (p. 191) sur la lettre en question et ses interprétations.
74 Les prodiges indiens renvoient à la sagesse divine des Brahmanes, et d’Apollonios qui en est le dépositaire : J. Romm, The Edges of the Earth in Ancient Thought : Geography, Exploration and Fiction, Princeton, PUP, 1992, p. 116-120 ; J. Elsner, « Hagiographic geography : Travel and Allegory in the Life of Apollonius of Tyana », JHS, 1997, n° 117, p. 22-37.
75 Élien l’utilise dans certaines de ses anecdotes sur les animaux (NA III, 45 ; VII, 30 ; IX, 63).
76 Tr. L. Brisson, op. cit.
77 Sur le « thème céleste », voir également les remerciements d’Apollonios aux Indiens en III, 51 (« Moi qui suis arrivé chez vous à pied (πεζῇ), vous m’avez donné de voyager à travers le ciel » (διὰ τοῦ οὐρανοῦ πορεύεσθαι) et le récit de son ascension/apothéose (VIII, 30), annoncée dès sa naissance par le prodige d’un éclair remontant vers le ciel (I, 5) – épisode commenté par J.-J. Flinterman, « Apollonius’ Ascension », dans Theios Sophistes. Essays on Flavius Philostratus’ Vita Apollonii, op. cit., p. 225-248. On notera également chez Palamède, figure idéalisée de l’Héroikos, l’intérêt insistant pour l’astronomie et les μετέωρα (Her. 33, 41 et 46).
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