Perec en Amérique
p. 105-139
Texte intégral
L’eldorado oublié (par la critique), mais tant désiré (par notre auteur)
1Cette recherche a commencé simplement par un intérêt pour la présence de Perec sur la scène intellectuelle américaine et plus particulièrement sur la scène new-yorkaise dans les années 1970.
2Outre, sur le plan mondain, le triomphe de l’avant-garde artistique américaine (Twombly, Warhol, Jasper Jones, Rauschenberg, Gilbert & George, Eva Hesse, etc.), ces années sont celles de l’irrésistible ascension de la théorie poststructuraliste (dite continental theory) dans les départements de sciences humaines aux États-Unis. Derrida, Foucault, Deleuze, Lyotard, Benveniste, Lacan, Kristeva, pour n’en citer que quelques-uns, deviennent des visiteurs réguliers dans les universités américaines et, comme en témoigne le « récit de voyage » aux États-Unis de Butor, Mobile, les écrivains parisiens, Alain Robbe-Grillet, Yves Bonnefoy, Jacques Roubaud, Jean Paris, etc., deviennent également les invités des universitaires américains et suscitent l’attention des milieux artistiques et littéraires, en particulier en Californie et à New York, là où se concentrent les agences littéraires, cinématographiques et artistiques.
3J’avais supposé, par principe, que Perec, une fois écrivain reconnu après le succès international de son roman Les Choses1 (1965), avait sûrement participé à cette transhumance transatlantique, lui qui, encore inconnu mais déjà avide de gloire littéraire, décrivait ainsi à son ami Jacques Lederer (dans une lettre du 14 mars 1958) ce qui, pour lui, représentait, dans une hyperbole américaine, la figuration du succès : « Le Prix des critiques – Palm Beach – Synopsis à 200000 balles la page – Tournée de conférences aux EU. Iachte – Sports d’hiver – psychanalyse avec les meilleurs spécialistes – etc. etc.2. » À ma grande surprise, je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations sur ses passages en Amérique et, plus généralement, d’études détaillant son rapport avec les États-Unis, comme ce fut le cas pour Sartre, Saint-John Perse, Beauvoir, Butor, etc. La biographie de David Bellos y fait quelques références ici et là, mais les passages consacrés aux séjours de Perec aux États-Unis se limitent, au mieux, à un court paragraphe, et Bellos ne donne certainement pas une signification particulière à ces séjours alors qu’il étudie très en détail ceux que fit Perec en Tunisie et en Australie.
4Avant de pouvoir me faire une opinion sur l’importance des États-Unis pour le travail créatif de Perec, il m’a donc fallu d’abord passer par un travail d’identification et de collecte d’archives américaines, pour constituer un champ informatif exploitable afin de juger, au minimum, si la familiarité de Perec avec les Amériques (États-Unis et Canada) avait produit un décentrement intellectuel par rapport au champ français. Cette enquête dure depuis environ trois ans, et si j’estime avoir constitué un ensemble à la fois chronologiquement cohérent et comportant l’essentiel des documents nécessaires à une première évaluation critique, il faut néanmoins comprendre que cette présentation est, comme l’on dit, non seulement in progress (il reste encore des archives identifiées, mais à retrouver et à consulter) mais également, j’en suis bien convaincu, encore lacunaire dans sa restitution complète de la figure de Perec. Ceci doit donc être reçu comme un synopsis de biopic, comme un conte des frères Coen qui peut, toutefois, s’intituler, sans grande imagination ni prétention, « Perec en Amérique ».
5Ici, quand je dis Amérique, on comprend que je parle plus particulièrement des États-Unis, mais le terme étatzunien n’ayant aucune pertinence historique ou politique dans l’univers perecquien, je m’en tiendrai à la terminologie pertinente dans le contexte historique de ma recherche. Ce choix terminologique facilite en outre la formulation plus générale qui, rituellement, à propos de toute fascination pour le « Nouveau Monde », pose la question de savoir s’il y a eu tendance à accepter le mythe, la construction intellectuelle du « rêve américain » – un sujet sur lequel Perec lui-même a beaucoup médité, en particulier dans le film Récits d’Ellis Island, mais dont on trouve des traces indéniables, même si elles sont plus ambiguës, dans des écrits très antérieurs à 1980.
6Ainsi, comme nombre de lecteurs, j’en suis sûr, s’en souviennent, dans le roman publié en 1965, Les Choses, Perec fait de Jérôme et Sylvie des passionnés de cinéma, et en particulier des aficionados du cinéma américain :
Ils étaient cinéphiles. C’était leur passion première ; ils s’y adonnaient chaque soir, ou presque. Ils aimaient les images, pour peu qu’elles soient belles, qu’elles les entraînent, les ravissent, les fascinent. Ils aimaient la conquête de l’espace, du temps, du mouvement, ils aimaient le tourbillon des rues de New York, la torpeur des tropiques, la violence des salons. […] Ils ne manquaient pas de goût. Ils avaient une forte prévention contre le cinéma dit sérieux, qui leur faisait trouver plus belles encore les œuvres que ce qualificatif ne suffisait pas à rendre vaines (mais tout de même disaient-ils, et ils avaient raison, Marienbad, quelle merde !), une sympathie presque exagérée pour les westerns, les thrillers, les comédies américaines3…
7Comme on peut s’en apercevoir en lisant le numéro 9 des Cahiers Georges Perec, « Le Cinématographe », édité par Cécile de Bary en 2006, la plupart des érudits spécialistes de Perec considèrent que cette déclaration de sidération pour le cinéma américain est une référence biographique avérée. Il y avait chez Perec une fascination cinématographique pour les films américains traditionnels et assez peu d’intérêt pour les films de la Nouvelle Vague qui depuis 1959 commençaient à peupler les écrans parisiens. Mais Perec a beau se reconnaître comme un adepte de la filmographie américaine, le projet de Diplôme d’Études Supérieures qu’il entreprend en octobre 1963 sous la direction de Lucien Goldmann n’a aucun rapport avec le cinéma puisque le travail devait porter sur « le roman français dans les années 1950 ». Ceci alors que dans Les Choses, lorsque Jérôme retourne à l’université c’est pour « préparer un examen de sociologie, tenter de mettre en ordre ses idées sur le cinéma4 ».
8D’ailleurs, tout le passage du séjour en Tunisie se constitue en illusion perdue, en fétiche : Je sais bien que nous sommes en Tunisie, mais ce n’est pas là que nous voudrions être… La description commence par une hyperphrase qui établit la séquence illocutoire : « Ils hésitèrent. Ce n’était pas l’occasion idéale – ils avaient rêvé des Indes, des États-Unis, du Mexique. Ce n’était qu’une offre médiocre, terre à terre, qui ne promettait ni la fortune ni l’aventure, ils ne se sentaient pas tentés5. » Jérôme et Sylvie avaient rêvé de l’Amérique et ce rêve, le roman le rappelle de manière récurrente, s’était constitué sur l’image de l’Eldorado moderne véhiculée par les représentations cinématographiques. Perec est même beaucoup plus explicite sur le désir de vivre dans cette fiction cinématographique : « Ce n’était pas le film dont ils avaient rêvé. Ce n’était pas ce film total que chacun parmi eux portait en lui, ce film parfait qu’ils n’auraient su épuiser. Ce film qu’ils auraient voulu faire. Ou, plus secrètement sans doute, qu’ils auraient voulu vivre6. » Compris dans le contexte théorique que Perec va élaborer d’après Lukács et J. Duvignaud pour rejeter à la fois le Nouveau Roman et la Nouvelle Vague cinématographique, il faut saisir, dans son paradoxe, que, pour lui, l’utopie a un lieu : l’Amérique. Et cette utopie, ou plus exactement, comme je l’expliquerai plus avant, cette hétérotopie, fait paradigme dans l’invention perecquienne. Le rôle de ce paradigme n’est pas de produire des séries d’effets de réel : son intervention réalise – ou, pour parodier la postpoésie : il réélise.
9Cette exposition en forme de conte narratif simplement pour indiquer que mon intérêt pour la relation de Perec avec le monde américain vise avant tout l’établissement d’une saisie critique plus fine, à partir d’une hypothèse de travail qui sera confirmée, ou non, selon laquelle l’Amérique a joué, pour Perec, un rôle transformatif important. Plus précisément : il s’agit de vérifier l’hypothèse selon laquelle le contact renouvelé avec l’Amérique aurait conforté Perec dans la conviction qu’il était possible de poursuivre une expérimentation textuelle et cinématographique en dehors des sentiers battus imposés par le parcours type, disons, d’un futur membre de l’Académie française. Il aurait trouvé dans l’Amérique un réservoir d’énergie intellectuelle et vitale capable de le persuader que lui, l’enfant abandonné, sans origine, sans descendance, sans souvenirs, pouvait poursuivre son vagabondage à l’aventure et simplement s’abandonner à l’espoir d’inventer et de créer. Comme Picabia avant lui, pour qui l’Amérique est sui generis, une fille née sans mère, Perec, fils né sans père ni mère, qui se voyait pauvre Gaspard, va trouver en Amérique le complément de son identité patronymique littéraire : il sera Winckler… Gaspard Winckler…
10Plus concrètement, comme le dépouillement des archives découvertes et étudiées va maintenant, je l’espère, le montrer, il est clair que les voyages de Perec en Amérique vont nourrir chez lui une double appétence : le désir premier de faire du cinéma, considéré comme une part majeure du travail expressif, et aussi un désir évident d’avoir la possibilité d’aller s’établir aux États-Unis pour faire l’expérience d’une vie quotidienne dans une société où le réel – l’ordinaire – est plus lumineux. N’est-ce pas ce qu’il nous dit quand il écrit : « Ce que nous avons rêvé, ce qui nous fait rêver. Seuil d’une vie nouvelle : Partir en Amérique7. »
Les voyages
11À bien retravailler la biographie de Perec telle que d’autres8 la racontent et ses propres souvenirs (lieux où il dit avoir dormi, mangé, etc.), il apparaît que Georges Perec a accompli cinq voyages aux États-Unis et au Canada entre 1967 et 1980. Chaque voyage a un but principal facile à identifier, même si celui-ci semble, pour certains critiques, assez improbable. Comme les écrits de ses biographes reconnus ne retiennent ni chaque traversée transatlantique, ni parfois la raison concrète de tel voyage et séjour, il semble donc nécessaire, en prolégomènes au travail critique, d’offrir une description élémentaire du calendrier des voyages et des buts ainsi poursuivis par Perec.
Juillet 1967 : East Lansing (Michigan) – Ann Arbor (Michigan) – New York9
12Après le succès des Choses et le prix Renaudot le 22 novembre 1965, l’industrie littéraire internationale prend note et les offres de traduction parviennent à Julliard. Deux éditeurs américains sont en compétition pour les droits de traduction : Seymour Lawrence Incorporated (Boston) et Grove Press Inc. (New York). Les droits sont finalement vendus à Grove Press le 10 décembre 1965 par l’intermédiaire de l’agence littéraire George Borchardt, agence récemment fondée et nouvellement utilisée par Julliard – notons, pour la petite histoire, que dans la même offre de romans à traduire se trouve également Drame de Philippe Sollers, qui ne sera pas retenu. Grove Press est un nouvel éditeur sur la place de New York où il a été rapidement gratifié d’une réputation d’éditeur de livres d’avant-garde d’excellente qualité – une réputation qui s’étend également aux œuvres étrangères publiées en traduction. Grove Press doit cette qualité à la valeur de ses éditeurs et traducteurs, en particulier à ceux qui sont utilisés comme scouts à l’écoute des succès transatlantiques afin d’en proposer la traduction américaine. C’est notamment le cas des Choses qui arrive chaudement recommandé par Anne Rives et Christian Bourgois. Cet intérêt originel devra au texte de Perec d’être traduit par Helen Lane, une traductrice que le plus important des éditeurs new-yorkais, Alfred Knopf, qualifie d’« Empress of translators ». Le directeur littéraire de Grove Press chargé de suivre la publication du roman de Perec, Richard Seaver, est un ami personnel de Maurice Nadeau, et ce dernier avait arrangé un tête-à-tête avec Perec lorsque Seaver se trouvait en visite à Paris au printemps mais, à cette date, Perec était quant à lui à Birmingham.
13Le rêve de succès tel que Perec l’avait décrit à son ami J. Lederer neuf ans plus tôt est en train de se réaliser : ce n’est pas encore Palm Springs mais Perec a été invité à participer à deux conférences (en anglais…) au Fine Arts Festival qui doit se tenir sur le campus de la Michigan State University, situé dans la capitale du Michigan, à East Lansing, du 13 au 20 juillet 1967. Perec, avec l’aide d’un ami, dit-il, écrit donc le 6 juillet 1967 une lettre à son directeur littéraire chez Grove Press, R. Seaver ; il lui annonce qu’il arrivera le 21 juillet à New York, que c’est sa première visite aux États-Unis et lui demande de l’aider à trouver un hôtel à New York City jusqu’à la fin du mois10. Ce sera fait et Perec descendra dans un hôtel de l’East Side, situé au coin de Lexington Avenue et de la 96e rue est. Il se servira du plan des chambres de cet hôtel dans une des histoires de M. Eveready écrites pour Radio-Abidjan11 ; il en parle également dans le projet de « lieux où j’ai dormi ».
14Comme le signale justement D. Bellos, lors de sa semaine de Festival à East Lansing ses hôtes le promènent autour de la capitale (East Lansing, une université originellement agricole, a de superbes jardins publics !), et parmi les intérêts touristiques locaux lui font découvrir dans une banlieue de la ville (Okemos) la maison construite par l’architecte Frank Lloyd Wright et commanditée par deux femmes propriétaires dont l’une s’appelle Kathrine Winckler12 (1898-1976). Comme Perec était l’invité d’un festival « artistique » et que K. Winckler était l’une des deux professeurs d’art de la Michigan State University, il est fort probable que cette remarquable personne et pionnière de l’enseignement artistique universitaire féminin (histoire de l’art et dessin) ait effectivement produit un certain effet sur Perec (voir, dans Espèces d’espaces, la « maison sans portes » de la gated community avec des gardes veillant sur cette calme humanité avec des carabines à canon scié – comme au cinéma, quoi : j’ai vu beaucoup de films américains dans ma jeunesse13).
15Avant de quitter le Michigan pour revenir à New York, Perec fait un détour pour aller à Ann Arbor où se trouve l’University of Michigan, une université plus prestigieuse qui possède un programme de linguistique internationalement réputé, le centre d’études de Kenneth Pike sur la tagmemics, une méthode d’exploration de la « nanolinguistique » (l’infra-morphématique) ; les travaux de triage et de parsing menés là, avec l’aide pour la première fois d’un ordinateur, lui paraissent de nature à faciliter ses propres recherches dans le cadre de la PALF (Production Automatique de Littérature Française14).
16Sa traductrice, Helen Lane, lui rendit visite à Paris en avril 1966 puisque, sa correspondance en fait foi, elle avait à cette date fini l’essentiel de la traduction des Choses mais demandait des éclaircissements sur certains points précis. En raison de cette visite au printemps 1966, Perec pensait que la traduction paraîtrait dès le printemps 1967. À son arrivée à New York, Perec ayant exprimé son admiration pour le talent de sa traductrice, ce sont donc avant tout, mis à part son plaisir de découvrir la ville, des raisons contractuelles qui l’amènent à rendre visite à Grove Press – une démarche inattendue : on s’attendrait en bonne logique professionnelle à ce qu’il se rende au bureau de l’agence littéraire (George Borchardt Agency) qui a négocié pour Julliard le contrat de traduction. Peut-être est-ce l’analogie « GP publie GP » qui a stimulé la démarche de contact direct ?
17En fait ce contact direct entre Perec et son éditeur américain – que George Borchardt, aujourd’hui encore, considère comme hors nature – peut se justifier de plusieurs façons. Tout d’abord, Un homme qui dort est dans les mains du comité de lecture de Grove Press et Perec ne se prive pas de couvrir de louanges ce nouveau roman (même au détriment des Choses15). Il existe également un intérêt personnel immédiat. Le contrat de traduction signé par l’agence George Borchardt au bénéfice de Julliard et Perec le 10 décembre 1965 était un simple contrat de base (« the modest advance category »), sans les avantages dits Evergreen ou Black Cat16. Néanmoins, outre les droits standards de l’éditeur, ce contrat comprenait une clause qui prévoyait le versement de 750 dollars tous les six mois à partir du 1er janvier 1966 jusqu’à la publication de la traduction, puis une fois le texte publié un versement de royalties (residuals) de 0,06 % par volume vendu (la comptabilité de Grove Press indique un residual pour l’auteur de 0,316 $ par volume de la première édition, vendue à 3,95 $ le volume en 1968). Les Royalty statements pour l’author Georges Perec établis pour la période du 1er janvier 1966 au 30 juin 1970 totalisent 4741,47 $ (soit, à la valeur de 2015, approximativement 35014 €). On remarque que le mois de juillet 1967 correspond au troisième versement des 750 $ promis par contrat. Il est fort possible que cette avance ait pu servir à financer le premier séjour de Perec à New York17.
18De ce premier séjour à New York Perec a retiré des avantages personnels et professionnels remarquables :
- Perec a finalement réalisé son rêve d’Amérique ; il a, en une fois, fait connaissance avec l’Amérique profonde (celle de la voiture) et celle de New York (la grande ville, l’art, les milieux de l’édition, les clubs de jazz, le cinéma). En particulier, deux compagnies cinématographiques d’Hollywood (Tandem Productions et Ziegler-Ross Agency) souhaitent avoir accès aux droits d’adaptation des Choses.
- Dès son arrivée aux États-Unis, Perec dispose d’un système de production littéraire exceptionnel : une agence littéraire, Borchardt, qui va s’affirmer au cours des années 1970-1980 comme celle qui sera à l’origine de la continental theory qui va triompher dans la plupart des départements d’humanités de l’Université américaine puisqu’elle représentera Barthes, Lacan, Derrida, Lyotard, Foucault, Kristeva etc., ainsi que la majorité des grands noms associés au Nouveau Roman : Sarraute, Robbe-Grillet, Butor, etc. Une traductrice considérée par l’édition américaine comme la meilleure pour les textes français contemporains, et un producteur cinématographique très francophile à Hollywood, Geoffrey Sanford, qui deviendra un super agent, puis le vice-président de la maison de production Warner Brothers, et à qui on doit de grands succès commerciaux internationaux comme Ghost, Bull Durham, The Color of Money, etc.
- Grove Press avait préparé une forte campagne publicitaire « à l’américaine » et pour ce faire, la maison d’édition avait demandé à Jerry Bauer, « le photographe des stars » (certaines photos « canoniques » d’écrivains – Jack Kerouac, Joyce Carol Oates, Beckett etc. – sont de lui), de faire une séance de pose avec Perec. La photo en quatrième de couverture de la traduction américaine des Choses appartient à cette série.
19Le nom Perec existe dans le monde littéraire américain. Les archives de la maison d’édition Grove Press indiquent que la publication des Choses a été méticuleusement préparée par leur service de presse. Grove Press a dépensé une somme importante pour mobiliser les critiques littéraires de la presse écrite et radiophonique pour parler du texte de Perec (« for immediate release »). Cinquante-cinq pages de listes de literary reviewers, avec en moyenne vingt-quatre adresses par page. Peu après la sortie du texte apparaissent dans la presse « nationale » et « de province » des analyses du roman de Perec. La critique dans les grandes villes est mitigée, voire hostile (New York Times, Washington Post, etc.) – leurs lecteurs sont en faveur d’une société des « choses » –, les journaux de province sont plus favorables. La grande majorité des critiques rattache directement Perec au Nouveau Roman ; l’un d’entre eux indique même que certaines parties du texte auraient pu être écrites par Robbe-Grillet. De nombreux articles reprennent simplement le texte écrit (à plusieurs mains) par Grove Press pour présenter le roman à leurs distributeurs. La sortie du texte anglais favorise aussi des commentaires sur Un homme qui dort, qui vient de sortir en France. Grove Press a également mobilisé ses propres auteurs, comme Joyce Carol Oates, pour écrire sur Perec. Il n’y a pas moins de trois articles dans le New York Times sur la traduction de Perec. À la fin de cette campagne de publicité Perec dispose donc d’un atout indispensable pour réussir comme écrivain « américain » : name recognition.
Octobre 1972 : New York18
20Au mois d’octobre 1972, Perec fait un voyage de dix jours à New York pour y retrouver des amis qui y vivent, et qui appartiennent à divers milieux (photographie, cinéma, théâtre, littérature, magazines, etc.). C’est avant tout un voyage très personnel, une entreprise sentimentale et une immersion dans le cinéma et plus particulièrement le « cinéma américain », celui que Perec admire depuis sa jeunesse.
21Effectivement, entre 1967 et 1972 s’est affermie sa passion pour l’aventure cinématographique. En octobre 1967 lors d’un voyage d’études à Venise, avec Jean Duvignaud, Perec a rencontré le cinéaste américain Bud Wirtschafter, qui avait été choisi pour présenter son film I am Here Now (1966). Wirtschafter est un cinéaste typiquement new-yorkais (indie film) qui connaît tous les aspects de la fabrication d’un film (image, son, photographie, montage, etc.). En mai 1969 Perec retrouve le réalisateur Jean-Paul Rappeneau pour le festival de Cannes. Ils établissent un scénario. L’année suivante Perec et Rappeneau redescendent au festival de Cannes. En décembre 1970, Georges Perec et Harry Matthews se rendent dans le chalet que ce dernier possède à Villard-de-Lans pour écrire le scénario d’un film qui s’intitulerait Malédiction ! et, le 31 mars 1971, d’Allemagne, Perec expédie une lettre à Bernard Queysanne, assistant-réalisateur, pour lui proposer de participer à une version cinématographique d’Un homme qui dort. Ils y travailleront ensemble de mars à juillet 1971. Pour cette période, dans son inventaire des projets cinématographiques de Perec, Mireille Ribière cite cinq projets réalisés ou ébauchés : Le Club (1969), Les Grandes Eaux (1970), Malédiction ! (1971), Les Dernières Cartes (1971) et Les Oiseaux de la nuit19 (1971).
22En fait, malgré les avantages considérables que lui offrait la façon optimale dont il avait abordé l’Amérique littéraire, la greffe n’avait pas pris : plusieurs aspects ont contribué à la disparition de Perec du marché américain et au fait qu’il faudra attendre dix-neuf ans pour qu’un de ses livres soit à nouveau traduit en anglais/ américain. La première cause de cet échec provient très probablement d’une piètre performance économique. Écrire pour une population jeune, urbaine et moderne en dénonçant ses tendances à la consommation, la frivolité des modes, la superficialité du recours aux magazines pour organiser son cadre de vie etc., ne favorise pas l’empathie du lecteur. Si l’on parcourt les critiques des Choses dans les journaux des grandes métropoles américaines, le ton est uniformément persifleur, dénonçant l’archaïsme de l’auteur, sa défense de valeurs « non modernes », son manque d’intérêt pour la simplification de la vie de la ménagère, son incapacité à savoir « vivre en ville », etc. Si le prix Renaudot a permis à Perec de vendre en France plus de 100000 exemplaires de son livre, les deux éditions de la traduction ne se vendront qu’à 7500 exemplaires, loin du but espéré, dans le large marché anglophone.
23Dans un premier temps l’engouement pour le texte de Perec tient au fait que les lecteurs américains ont manifesté un certain intérêt pour le mouvement français du Nouveau Roman, alors considéré comme une avant-garde. Les critiques favorables au roman de Perec en ont fait l’éloge en le rapprochant du groupe de Butor, Sarraute, et surtout de Robbe-Grillet. Néanmoins, lors d’entretiens de présentation, il devient clair que depuis l’époque de « La Ligne générale20 » Perec entretient des rapports de confrontation avec le « NR », et donc que l’association que l’on fait avec son propre roman est immotivée. Le « NR » compte, aux États-Unis, de nombreux soutiens dans le monde universitaire – en particulier les études transatlantiques de Bruce Morissette (University of Chicago), dont l’admiration pour Robbe-Grillet fait de ce dernier un écrivain français favori du lectorat américain21. Germaine Brée (New York University, University of Wisconsin-Madison), surtout connue pour ses études sur Camus, a de son côté entraîné un large public féministe émergent vers Nathalie Sarraute, Marguerite Duras ou Monique Wittig. Ces deux universitaires étaient des formateurs d’opinion quant à la contemporanéité littéraire française bien plus puissants que le simple compte rendu d’Un homme qui dort par Michel Rybalka (Assistant Professor à Washington University-Saint-Louis, une université que Morrissette venait précisément de quitter pour accepter le poste prestigieux de Professeur à l’université de Chicago) publié dans The French Review (n° 41, 1968), la revue des professeurs de français aux États-Unis, au lectorat donc limité, loin du « grand public ». Le conflit avec l’establishment universitaire est d’autant plus marqué que Morrissette avait pu se sentir directement pris à partie par l’article de Perec « Le mystère Robbe-Grillet », qui se terminait par une dénonciation claire des principes à la base du « NR22 ».
24Il se trouve également qu’à cette période, d’une manière assez générale, la mode, le succès, pour les maisons d’éditions américaines en vogue (trade [commerciales] ou universitaires) capitalisant sur les tendances du marché en ciblant une population upwardly mobile, les young urban sophisticates des deux côtes, consiste à publier le plus grand nombre possible d’écrivains français rattachés au « NR » : Butor, Sarraute, Duras, Robbe-Grillet, etc. L’engouement est réciproque, et ces écrivains vont vite devenir les stars durables des campus américains. Comme je l’ai indiqué, dans un premier temps Les Choses va profiter de ce mouvement, mais rapidement la résistance, en France, de Perec à ce groupe, ses attaques parfois idéologiquement brutales contre l’éclectisme de cette écriture, vont se communiquer aux États-Unis et bientôt les écrivains liés à Grove Press et sollicités pour faire une « bonne presse » à la traduction vont en fait attaquer l’ouvrage en prenant bien soin d’expliquer pourquoi ce texte ne peut pas appartenir au « NR ». Particulièrement caractéristique de cette attitude est la critique de la jeune écrivaine Joyce Carol Oates, très proche des milieux français du « NR » qui, dans le Detroit Michigan News du 15 septembre 1968 – sous le titre « Man without spiritual dimension » –, se moque de la prétention de l’auteur de « satisfy none of a reader’s conventional demands » tout en ratant complètement ce but pour produire au contraire un roman « not at all interesting – but it makes no attempt to be interesting » ; concluant sur une critique de la forme narrative, Oates reconnaît dans le roman le fétiche d’un système narratif des plus éculés : « One wonders if this Balzac-like obsession with things is really timely. […] [the reader] longs for old-fashioned dialog and contrivances of plot. »
25Comme le voyage à New York de l’automne 1972 est avant tout pour Perec un voyage d’intérêt personnel, il descend alors chez une très ancienne connaissance, Kate Manheim. C’est une jeune femme née en 1945 d’une famille juive new-yorkaise d’intellectuels (son père est le grand traducteur Ralph Manheim) et arrivée à Paris en 1950. En 1961, alors qu’elle est lycéenne au lycée Victor-Duruy, elle va voir le fameux film de Jean Rouch, Chronique d’un été23, un film qui porte, en grande partie, sur une jeune fille qui devient employée dans un nouveau type d’enquêtes commerciales publiques connues alors sous le nom américain de market research. Elle est non seulement fascinée par cette profession, mais tombe amoureuse du jeune homme qui, dans le film, est le philosophe du groupe, Jean-Pierre Sergent. (Par la suite, Sergent est devenu éditeur d’une revue médicale qui comportait une page de mots croisés ; ceux-ci étaient élaborés par Perec qui venait de rentrer de Tunisie.) Jean-Pierre Sergent faisait partie d’un plus large cercle d’amis, parmi lesquels on comptait Marcel Bénabou, Jacques Roubaud, Jacques Lederer, mais aussi Régis Debray et surtout Roger Kleman (un membre très actif de « La Ligne générale ») et sa femme Dominique. Comme Lederer, Kleman et sa femme, ainsi que Perec, étaient tous employés dans cette nouvelle profession de market researcher, Kate Manheim est devenue stagiaire en market research, dans l’entourage du groupe. Plus tard, elle a affirmé que Jérôme et Sylvie, les deux personnages principaux des Choses, avaient eu comme modèles directs Dominique et Roger Kleman. En 1965 elle était donc « psychosociologue » et, comme les héros des Choses, parcourait la France avec son magnétophone. Peu engagée dans l’aspect politique du groupe, elle s’est rapprochée de l’industrie cinématographique et peut-être grâce à son physique avantageux a progressivement joué dans de nombreux films entre 1965 et 1968. Soixante-huitarde déçue, elle repart en 1969 aux États-Unis sous prétexte de présenter un film, dans lequel elle joue face à Jean-Pierre Léaud et Bernadette Laffont (Paul), au Film Festival de San Francisco, puis revient à New York en bus pour connaître les États-Unis. En 1970, elle achète un appartement sur Waverly Place à Greenwich Village. En 1972, quand Perec arrive, Kate est donc installée à New York et elle est employée comme assistante à l’AFA (Anthology Film Archives), fondée par Jonas Mekas et P. Adams Sitney, et située en 1972 au 80 Wooster Street24 (l’AFA est une cinémathèque de films expérimentaux, de l’« extrême contemporain », tout le contraire d’une cinémathèque d’archives).
26Lors de son séjour en 1972, Perec s’y rend souvent avec K. Manheim. Pendant cette période elle accepte de jouer dans des films d’amis, y compris ceux de Babette Mangolte. B. Mangolte est elle aussi une ancienne connaissance de Perec. Elle a rencontré Georges Perec à 19 ans, à Paris, à son retour de Tunisie. Son frère, Jacques Mangolte, participait aux travaux de « La Ligne générale ». Fortement politisée et militante féministe convaincue, elle s’investit dans le mouvement de Mai 68. Déçue par son échec, elle fait en 1971 un voyage à New York et décide d’y rester. Spécialiste de photo, de film et des milieux artistiques new-yorkais, elle se fait rapidement un portfolio remarquable qui la conduira à occuper, aujourd’hui encore, un poste de professeur de visual studies à l’université de Californie à San Diego. Au sujet de ce séjour de Perec à New York en 1972, voici ce qu’elle m’écrit : « When he [Perec] came to New York in 1972 I showed him my world. His interest for the US was deep and came from loving American movies. I mostly work in New York since 197125. »
27Comme K. Manheim a une présence scénique étonnante, sa réputation d’actrice amateure lui vaut un statut spécial dans le monde du théâtre expérimental (off off off Broadway), et elle est finalement sollicitée pour devenir une actrice à temps plein par un metteur en scène du théâtre new-yorkais d’avant-garde, Richard Foreman. En 1973 elle abandonne ainsi son poste à l’AFA et rejoint effectivement l’« Ontological Hysteric Theater Company » fondée en 1968 par Foreman avec le désir de modifier les bases bourgeoises du théâtre urbain. Au printemps 1973 Kate revient à Paris et, dans l’appartement de sa mère, à Denfert-Rochereau, elle organise une grande fête qui réunit ses anciens amis parisiens, dont Leslie Kaplan, Bruno Queysanne, André Glucksmann et bien d’autres. Perec est là lui aussi et, après la fête, il ne partira pas. Dans ses mémoires26, Kate indique que commence ainsi une raucus affair avec Perec, qui durera de 1973 à 1981.
Avril 1975 : New York, la grande ville, la grande vie27
28Pour de nombreux proches de Perec ce voyage se situe dans une politique de conquête sentimentale. Perec a attendu de finir le film Un homme qui dort pour se lancer vraiment à la poursuite de Kate Manheim et c’est ce qui explique ce détour par New York, le vrai but de cette excursion dans le Nouveau Monde (la signature du contrat de Montréal n’étant qu’un prétexte). Pendant l’été 1973 K. Manheim est devenue la compagne de R. Foreman. Kate et sa sœur Nora ont traduit en français une pièce écrite par Foreman, intitulée Une semaine sous l’influence de ou La Thérapie classique. Le texte a été bien reçu dans le milieu intellectuel français et Perec a même rédigé un article très favorable dans La Quinzaine littéraire. Une salle ayant été trouvée, l’« Ontological Hysteric Theater Company » décide de s’installer à Paris pour la saison « automne 1973-printemps 1974 ». Dans son autofiction, My Life in CIA, « l’ami de cœur » de Perec28, Harry Mathews, écrit à propos de cet épisode :
I no longer had any reason to stay in Paris. I didn’t leave right away because Georges Perec reappeared unexpectedly. He insisted that I come with him to a rehearsal of a play that Richard Foreman was preparing for the fall. What I saw turned me into a lifelong Foreman devotee; but I soon realized that something else had contributed to Georges’s enthusiasm: Kate Manheim, Richard’s companion, was a strikingly beautiful, sexy woman, and she could not resist casting her spell on practically every man she met. Georges claimed to be passionately in love with her and announced that after his movie was finished he was moving to New York to live with her. I made no comment. I hoped he wouldn’t be let down too hard29.
29D. Bellos raconte à peu près la même histoire :
[Perec] ended up having an affair with an American Dream. She was beautiful, she was talented, she was provocative and sentimental. Yes! Declared to Harry Mathews, who had recently introduced him to hashish, he would give it all up, pack his bags, and move to New York to be with her! Why couldn’t he become an English writer? What would Harry do if he had the chance of a woman like her30?
30Effectivement, donc, la production finale du film se fait (difficilement) début 1974, puis le prix Jean-Vigo lui est décerné et il faut alors gérer le possible succès du film. C’est ensuite la fin de la rédaction de W ou le souvenir d’enfance, qui sort finalement à la mi-avril 1975. L’invitation professionnelle à Montréal est arrivée au bon moment : Perec peut partir pour New York au début d’avril. Puisque H. Mathews l’a aidé à préparer ce voyage nord-américain et a décidé de l’accompagner, je lui ai demandé s’il y avait un projet cinématographique qui pouvait expliquer ce détour par New York (puisque la route aérienne directe Paris-Montréal existe). Sa réponse a été claire mais voilée (si vous savez, vous savez, si vous ne savez pas, vous ne savez pas…) : « As for Georges Perec being “ready to come to New York and live there to contribute to the production of [a]film”, I must say no. At one point he was prepared to come to New York and live there, but for quite other reasons31. »
31Lors de ce voyage, Perec et Mathews descendent dans une maison située à l’angle de Lexington Avenue et de la 87e rue. Un quartier que Perec connaît depuis son premier séjour, en 1967. Ils habitent chez un ami de Mathews, une de ses relations venues des milieux artistiques internationaux : il s’agit de la maison de l’agent de Andy Warhol, Fred Hugues, qui connaît bien les milieux intellectuels français ainsi que H. Mathews, dont la dernière maîtresse, Maxine Groffsky, devient dès lors l’agent officiel de Perec pour négocier ses droits littéraires et cinématographiques avec le monde anglo-saxon. Pendant ce séjour, alors que les intellectuels français sont à leur zénith à New York (Derrida, Kristeva, Sollers, Foucault, Lacan, Guattari, Deleuze, etc.), qu’ils ont leurs habitudes à Soho au bar Spanky’s, fréquentent le Balthazard, Café Figaro, ou le Café 1.2.3 à midtown, sont extrêmement visibles à Columbia (où Kristeva, Marin et Todorov enseignent), à NYU où le chairman du département de français et d’italien, Tom Bishop, adore être entouré de « vedettes » françaises, Perec ne fera aucun effort pour rejoindre ce milieu des mondanités littéraires et psychanalytiques franco-américaines de New York. Il va rester dans le monde artistique de la mode frivole et festive autour de Warhol et de son entourage. Le voyage de 1975 ne laissera aucune trace sur le paysage culturo-littéraire de New York, George Borchardt me le confirmait il y a peu. En revanche Perec écrira, lors de ce voyage, trois pages de réflexions sur New York intitulées « Trente banalités idiosyncratiques sur la ville de New York32 ».
32Puisque la trace de Perec sur le monde intellectuel de New York dans les années 1960-1980 constituait originellement l’objet de ma recherche, je me suis tourné vers Sylvère Lotringer, le fondateur de la revue Semiotext(e), éditée à Columbia et considérée alors comme le fer de lance, sur la côte est, de l’invasion « continentale », avec des conférences « hors programme », des invitations lancées à Lacan, Benveniste, Deleuze, Lyotard, Marin etc. – le vibrant foyer de la pensée « schizo » et de galas monstres qui réunissaient souvent les grandes voix de l’intellectualisme européen à la conquête d’un intellectualisme anglo-saxon en fort déclin.
33Le 14 septembre 2014 j’ai donc envoyé ce courriel à S. Lotringer : « Ce petit mot parce que justement j’en reviens à cette époque intellectuelle et je prépare une petite étude sur les tentatives d’insertion de Georges Perec dans le milieu intellectuel de New York à la grande époque. Je me demande s’il y a quelque chose dont tu te souviennes de lui et du milieu de New York dans les années 70-80 ? Je crois que c’était celle qui était ton épouse à l’époque qui s’occupait de son dossier à l’agence Borchardt. J’ai trouvé une correspondance avec sa signature. » Sa réponse ne s’est pas fait attendre :
Un plaisir d’avoir de tes nouvelles via Les Choses. Tu ne sais peut-être pas que, pendant ma classe de Philo à Jacques Decour, je connaissais bien Kléman, qui était dans la même classe, et il m’avait introduit à un petit groupe, une vingtaine, qui se réunissait rue de Trévise, dans le IXe, à un bloc de l’appartement de mes parents. J’ai donc participé à pas mal de réunions de La Ligne générale, pendant la période où Alain Resnais sortait Hiroshima mon amour, sur lequel nous devions tous écrire un article… C’était la fin des années 50, à Paris, et pas les années 70 downtown. Malheureusement je ne m’intéressais pas encore (ou de nouveau) à Perec, donc pas de renseignement sensationnel que tu pourrais exploiter. C’est seulement dans les années 80-90 que je me suis tourné vers les Situs, et par suite aux Choses [sic]33.
34Comme le but officiel de ce voyage de Perec en Amérique du nord est la rédaction, à Montréal, d’un commentaire du film documentaire Aho ! Les hommes de la forêt consacré aux tribus des mondes premiers vivant encore dans leur habitat originel, Mathews, qui sait conduire, l’emmène de New York à Montréal. Ils font un peu de tourisme (le colossal campus de l’Empire State à Albany, le college le plus cher et le plus huppé des États-Unis ; Bennington34, où Mathews a postulé pour un poste d’écrivain en résidence et répétiteur de creative writing), et finalement Montréal.
Juin 1978 : New York, les repérages pour la préparation du film Récits d’Ellis Island35
35Au mois de juillet 1975, après son retour de New York et sa déconvenue sentimentale avec Kate Manheim pas prête à quitter Richard Foreman, Perec rencontre Catherine Binet et, avec ses nouveaux amis de la bande à Warhol, continue cette vie conviviale nocturne36. Les escapades cinématographiques et sentimentales à New York ne sont plus aussi impératives mais il reste très attaché à K. Manheim37.
36Au sujet de ces deux derniers voyages à New York, comme ils sont dictés par la réalisation d’un film qui appartient à la production « reconnue » de Perec, il existe une riche documentation, bien organisée, sur le voyage de repérages (1978) comme sur le voyage de tournage (1979). Il ne s’agit donc plus pour moi de chercher des documents ignorés et de reconstituer une chaîne documentaire inexistante ; les archives françaises sont largement fournies.
37Plus particulièrement, quant aux conditions de réalisation du film, les conceptions cinématographiques de Perec, les raisons d’être de ce film, les relations entre les deux partenaires, Georges Perec et Robert Bober ont donné un trop grand nombre d’entretiens, imprimés, radiophoniques et même filmés, pour que mon enquête puisse encore porter sur ces questions. À la suite de ces voyages qui ne le rattachent pas à la France, on peut en revanche se demander comment Perec, qui s’est rêvé vivant et travaillant en Amérique, se situait dans cette entreprise qui le voyait réalisateur français travaillant à New York sur un film destiné à un public français. Comment vivait-il sa situation d’exil temporaire, son échouage momentané (sur le conseil de B. Mangolte, il a voyagé en bateau pour retrouver les impressions des arrivants d’Ellis Island) sur une côte qui n’est et ne sera pas la sienne ? À ces questions, la dernière partie de cet article tentera d’apporter des réponses.
Avril-mai 1979 : Tournage des séquences américaines de Récits d’Ellis Island38
38Lors de ce dernier voyage en Amérique du nord, Perec put avoir la satisfaction d’aller quelques jours à Montréal afin de se soumettre à une tournée publicitaire pour la promotion de ses livres publiés en français. Il savait toutefois que ni son agent français, ni son agent à New York, n’avaient pu convaincre Alfred Knopf de mettre La Vie mode d’emploi sous contrat pour une traduction. Perec était considéré comme « intraduisible » et « inclassable ». La traduction des Choses, en 1968, était à ce moment-là le seul texte de Perec disponible dans toutes les grandes librairies de New York. Il tournait alors un film à New York sur les formes historiques de la transition vers la citoyenneté américaine, mais il le faisait en étranger.
39Il faudra attendre 1986 pour qu’un deuxième texte de Perec soit traduit en anglais. Ensuite, évidemment, c’est une autre histoire, la raison même qui justifie cette étude.
40Une fois ainsi plus ou moins complètement établie la chronique ordinaire des Perec/grinations américaines, comment confronter ou intégrer ces nouvelles informations biographiques et sociologiques dans le champ plus général des études perecquiennes ?
41On pourrait simplement estimer la connaissance de Perec comme écrivain, cinéaste, essayiste, etc., si bien assise que rien ne saurait l’ébranler, et tout cela tomberait alors dans la catégorie de l’anecdotique éphémère, incapable d’infléchir en rien les portraits acceptés de l’auteur. Il y aura toujours des critiques pour considérer que seule l’exploration du langage par Perec mérite attention et que ses tentatives cinématographiques ne valent pas le détour. Toutefois, comme il s’agit bien ici de relire Perec, je préfère, en guise de conclusion, penser que cette recherche est susceptible sinon de changer la vision que nous avons de Perec, du moins de complexifier un peu la nature clivée de son invention et, pour le moins, d’ajouter de nouveaux biographèmes pertinents à la lecture toujours importante de ses textes.
42Étant donné les nombreuses contraintes imposées à l’élaboration de cet essai (seul, je crois, l’essentiel a été dit…), je propose de rassembler les questions provisoires qui sont apparues à l’occasion de ces recherches et de cette mise en forme sous deux rubriques qui ne sont pas étrangères aux études perecquiennes traditionnelles mais que ces matériaux inédits peuvent entraîner dans de nouvelles directions.
43Tout d’abord il y a la question des lieux –
44Puis il y aura la question des images –
Lieux
Nul n’est prophète en son pays
45Je crois l’avoir montré, la carrière littéraire de Perec aux États-Unis se présente exactement comme l’opposé du modèle prototypique de la carrière d’un écrivain étranger s’intégrant progressivement et durablement dans le monde de l’édition et des studios cinématographiques. Grâce au prix Renaudot, la carrière américaine de Perec a commencé sous les regards bienveillants de quelques bonnes fées lui livrant, clé en mains, un traducteur hors pair, un agent littéraire qui fera la fortune de bien des écrivains français et un agent cinématographique qui deviendra à Hollywood un top mover and shaker. Pour Perec c’est donc une percée fulgurante dans le monde artistique américain qui fait l’actualité – un succès immédiat qui lui trace une voie royale vers une longue carrière franco-américaine. Nous constatons toutefois qu’il perd rapidement la main (il lui faudra attendre dix-neuf ans avant de retrouver l’un de ses textes en anglais). Son rêve de voir un de ses récits transformé en film hollywoodien par un grand director, ou que lui-même devienne un scénariste au service de l’industrie cinématographique hollywoodienne, ne se réalisera pas. Qui plus est, Perec ne réussira jamais à simplement trouver une présence effective dans le monde artistique et littéraire anglo-saxon. Comme il le dit sérieusement à son agent américain, M. Groffsky, en 1979, c’est l’un des deux grands « K » du cinéma hollywoodien, Kazan ou Kubrick, qui devrait s’engager dans la réalisation de la version cinématographique de W ou le souvenir d’enfance.
46Plusieurs causes peuvent expliquer ce déclassement brutal. Au départ, il y a sûrement son opposition verbale au Nouveau Roman, très en vogue aux États-Unis à l’époque (mais pourquoi brûler ses vaisseaux à ce sujet alors que quelques années plus tard Perec acceptera avec empressement le soutien très actif de Robbe-Grillet pour le prix Médicis décerné à La Vie mode d’emploi ?). En second lieu, sa méfiance profonde envers les universitaires, son manque d’intérêt pour l’arcature symbolique et le capital accru qu’offre un fort soutien universitaire pour la diffusion de l’information. On peut supposer aussi qu’il a été victime du caractère « amateur » de son deuxième entourage d’agents cinématographiques et littéraires. Enfin, il y a un argument qui a peu à faire avec Perec, mais avec la question épineuse des traductions de textes à contraintes : joue, simplement, la difficulté propre à toute traduction d’œuvre écrite sous une contrainte culturelle complexe à adapter à une autre culture – ou son résultat, comme le lui reprochent ses premiers comptes rendus dans la presse américaine : une écriture blanche, neutre, pas assez dramatique pour la sensibilité anglo-saxonne qui dans les films ajoute de la musique pour que le spectateur participe plus encore aux sensations et au pathos crées par l’action.
Hétérotopie de l’Amérique
47Une des causes, peut-être, pour laquelle les rapports de Perec avec l’Amérique ont été peu étudiés, c’est qu’il existe une tendance de la critique à considérer, en partie avec raison, qu’un sous-discours anti-anglo-saxon, « anti-US », parcourt les écrits de Perec, et ce depuis son appartenance à « La Ligne générale » (un titre emprunté au cinéma engagé de Sergueï Eisenstein). Ainsi, dans Les Mal Nommés, C. Burgelin écrit :
Les Fondateurs de W étaient « presque exclusivement des Anglo-Saxons […] des représentants de cette classe orgueilleuse qu’aux États-Unis on nomme les Wasp ». Tout au long de son œuvre, Perec manifeste une même attraction hostile à l’égard de ce qui est establishment issu de l’Europe du Nord, de l’Allemagne aux États-Unis, notamment de ce que peuvent incarner les Anglo-Américains (suffisance, certitude de leur légitimité et de leurs pouvoirs39).
48C. Reggiani, dans son récent Poétiques oulipiennes, avance un argument semblable, mais l’attache à une attitude plus générale de l’Oulipo et en particulier aux conditions de l’édition française au moment où ce groupe s’est créé – le début des années 1960 : « Il est aussi question d’“illustrer” une poésie de langue française dans une confrontation des “vulgaires” où l’anglais, dans sa version américaine, a pris la place de l’italien40. »
49S’il n’y a aucune raison de douter que l’Amérique constitue un lieu exotopique pour Perec – l’Amérique existe, et elle lui est extérieure – elle tient, pour lui, un rôle bien plus complexe dans son écriture. De ce point de vue, sa restitution imaginaire infléchit la perspective globale que l’on peut avoir de l’œuvre. L’Amérique, chez Perec, est ce que Foucault désigne dans une de ses conférences sur l’altérité comme une hétérotopie : un espace concret qui héberge l’imaginaire.
50Comme je l’ai suggéré précédemment, c’est fondamentalement cette construction fantasmatique qui se constitue dès le premier roman à succès, Les Choses : « Ils se disaient parfois que la vie qu’ils mèneraient aurait le charme, la souplesse, la fantaisie des comédies américaines, des génériques de Saül Bass41… » Un autre exemple, toujours dans Les Choses, encore plus parlant pour les sémiologues spécialistes du système de la mode (on se souvient que Perec décrit très précisément l’uniforme autorisé de ces jeunes arrivistes urbains des années 1960) :
Des chemises Arrow ou Van Heusen, admirables, à long col boutonnant, alors introuvables à Paris mais que les comédies américaines commençaient à populariser (du moins parmi cette frange restreinte qui trouve son bonheur dans les comédies américaines42)…
51Grâce aux archives de l’INA, écoutons et regardons Perec, post Renaudot, lorsqu’il passe à la télévision en 1965 dans la prestigieuse émission littéraire de Roger Dumayet et Pierre Desgraupes, Lectures pour tous. Les lecteurs de son roman peuvent constater qu’il porte exactement une chemise « Van Heusen, admirable, à long col boutonnant » et une cravate « Arrow » avec les raies popularisées par le cinéma américain. À la ville comme dans le livre, la réalité s’inscrit non pas dans son effet, mais dans son efficacité rééliste établie.
52La critique de gauche a tendance à considérer Les Choses comme une satire de cette société de consommation globale qui, à l’américaine, uniformise les classes sociales et s’oppose donc au credo, encore en cours dans les partis de gauche, de la lutte des classes. Mais c’est oublier que dans les années 1960, il y a eu en France une gauche et même une extrême-gauche qui ont été intellectuellement pro-américaines ; on trouve la même fascination pour le know-how américain et l’efficacité des formes de distribution de masse chez Butor qui ne peut manquer d’être vu comme un homme de gauche ; le premier film de Godard, À bout de souffle, est un hommage au cinéma américain de série B ; même le film d’Isidore Isou, Traité de bave et d’Éternité, commence par un éloge du cinéma de Griffith.
53Comme Perec se range idéologiquement et publiquement sur la gauche du panorama politique français, il a soin, dès les premières minutes de l’entretien à Lecture pour tous d’indiquer que son livre n’est pas une critique de la société de consommation. Il y a en effet tout un univers de la consommation, de L’Express à Elle en passant par la très catholique Marie-Claire, qui salue les merveilleuses petites machines qui simplifient la vie de la ménagère et le quotidien des ménages – et certainement Perec est du côté du quotidien et ne veut pas être classé, à l’époque, dans le camp réactionnaire et « antimoderne » du poujadisme qui résiste au développement d’une France plus urbaine, plus socialement avancée, porté par le bond économique des Trente Glorieuses. Il est donc étonnant, pour qui connaît la France de la fin des années 1950 à 1968, de constater qu’aujourd’hui encore on peut entendre des analyses faisant des Choses un texte de repli archaïque et de condamnation de l’évolution de la société française emmenée par l’image du bonheur à l’américaine véhiculée par des films modernistes, subtils instruments de propagande. Pour l’affirmer bien haut, Perec éprouve même le besoin d’utiliser la quatrième de couverture pour mettre les points sur les i : « Ceux qui ont imaginé que je condamnais la société de consommation n’ont vraiment rien compris à mon livre43. »
54Le caractère hétérotopique de l’Amérique pour Perec va se maintenir, s’intensifier et devenir plus complexe tout au long de la période de ses voyages transatlantiques. En fin de parcours, le volume Récits d’Ellis Island, de Bober et Perec, s’ouvre par une question qui mérite effectivement d’être posée : « En quoi cela (Ellis Island) nous concernait-il, nous, Robert Bober et Georges Perec ? » La réponse est donnée immédiatement : « Il faudra bien, pourtant, que les images qui vont suivre répondent à ces deux questions, et décrivent, non seulement un lieu unique, mais le chemin qui nous y a conduits44. » Dans les dernières lignes de ce livre consacré à l’arrivée en Amérique, sûrement pas par hasard, on trouve l’exclamation d’une nouvelle émigrante : « Here, it’s a free country. God Bless America ! That’s all45. » Comme Perec le raconte dans l’histoire de son propre itinéraire, avec un autre parcours familial hors de Pologne, dans l’univers d’une autre histoire, l’Amérique – « that legendary America, the El Dorado of modern times46 » – cette Amérique aurait pu être sa destinée. Sans entrer dans les détails de l’anecdote embrayeur qui change l’histoire familiale, je citerai simplement le texte de D. Bellos : « it was to Big Jacques Bienenfeld, the pearl king, and to him alone, that all the Bienenfelds (and, as a consequence, Georges Perec too) owed their French or American nationalities, and their life47 ». Cette histoire nébuleuse qui se raconte existe au moins en tant que fantasme, et donne créance à l’explication par Perec de sa présence à Ellis Island, dans les termes mêmes qui confirment l’hétérotopie : Ellis Island en tant que lieu emblématique de l’entrée en Amérique existe, mais c’est un non-lieu, un espace blanc où peut s’inscrire l’imagination. Perec, à partir de remémorations d’autres, imagine une histoire qui pourrait être la sienne, parce que lui, dit-il, « n’a pas de souvenirs » :
What did we come here to find? […] removed from us in space and in time, this place belongs to a memory potentially our own, to a probable biography. […] What I, Georges Perec, have come here to examine is dispersion, wandering, diaspora. For me Ellis Island is the ultimate place of exile, that is, the place where place is absent, the non-place, the nowhere. It is in light of this that these pictures concern and fascinate and involve me, as if the search of my own identity depended on my incorporating this dumping-ground…
55J’ai gardé ici la version en anglais puisque l’historiographie perecquienne implique toujours la construction du langage. Perec a collaboré à la réalisation du volume américain d’Ellis Island. Pour moi, entendre Perec en anglais réalise donc ce que l’on appelle dans ce lieu un achievement, une ambition accomplie, une finitude de récit. Perec explique l’Amérique en américain à des Américains. Le rêve est réalisé ; banalement dit : le récit en boucle retrouve son origine : « arriver » en Amérique…
Larvatus prodeo (« je m’avance masqué »)
56Si, comme le dit M. Foucault dans L’Ordre du discours, tout texte à vocation littéraire consiste à « dire enfin ici de manière oblique ce qui était articulé silencieusement là-bas48 », le jeu, apparition, disparition, de l’accent (« Pérec » vs Perec) dans l’identité patronymique américaine de Perec participe de la dimension bien étudiée des trompe l’œil identitaires de l’écrivain. Simplement, dans un contexte exotopique élémentaire, l’accentuation joue un rôle signalétique décalé par rapport à ce que l’on peut entendre dans le contexte habituel des études perecquiennes. C. Burgelin, dans le chapitre « L’accent de Perec » de son récent Les Mal Nommés, offre une étude érudite et très astucieuse de la question, du rôle et de la signification de l’accent dans le nom Perec. Comme je l’ai montré dans l’énoncé des données de ses voyages en Amérique, souvent son nom « étranger » s’écrit avec un accent, en particulier pour ceux qui sont un peu familiers du monde français. Le vagabondage patronymique se poursuit et ici, en non-lieu, l’accent s’affiche, s’étale et n’est jamais disputé. Particularisme local (régionalisme ?) qui semble aller à l’encontre de l’isotopie écriturielle de l’œuvre. Ainsi C. Burgelin écrit-il : « Cet accent en blanc, on le retrouve, invisible fantôme ou marque insistante, tout au long de l’œuvre. L’écriture même de Perec est travaillée par la recherche d’une évidente dés-accentuation, comme si ce manque de l’accent était à deviner49. »
57Dans son imposante biographie, D. Bellos offre le fac simile de l’acte de baptême de l’auteur et la francisation est complète puisque le nom porte un accent50 : « Pérec ». Bellos nous donne aussi des traces qui laissent penser que Perec lui-même, lors de son adolescence, a cherché à renforcer la francisation en écrivant son nom « Perecq » ou même en le bretonnisant : « Perrec’h » ; étonnamment ces deux orthographes francisantes se trouvent dans deux lettres écrites en anglais à la fin des années 1950. Comme ces deux lettres sont écrites à des amis proches (l’une est pour J. Duvignaud), on peut estimer qu’il s’agit d’une private joke : le bon petit Français qui linguistiquement joue à l’Américain, mais néanmoins donne des gages de sa propre identité. Il s’agit bien là, dans tous les cas, de figures du patronyme et de l’identité, d’un jeu ; il se trouve toutefois que cette attitude ludique s’inscrit en parallèle d’un état de fait plus que réel : larvatus prodeo (« j’avance masqué »), la devise de Descartes, devient le titre d’un roman pseudo-autofictionnel de jeunesse jamais publié par Perec, mais probablement, et plus effectivement, une sorte de devise existentielle, servant à reconnaître le caractère clandestin, secret et atone de son existence marquée par la métamorphose du nom. Lequel va donc s’accentuer, littéralement, en Amérique avec la publication des Choses, recevant le prix Renaudot et attirant donc immédiatement l’attention du milieu littéraire auquel Perec aspire un jour appartenir de plein droit. Il y eut également pour lui, en 1965, un retour forcé aux préoccupations biographiques et généalogiques :
Je crois que j’ai commencé à me sentir juif lorsque j’ai entrepris de raconter l’histoire de mon enfance et lorsque s’est formé le projet, longtemps différé, mais de plus en plus inéluctable, de retracer l’histoire de ma famille à travers les souvenirs que ma tante m’a transmis51.
58Perec, en effet, ne pouvait être insensible au fait que l’acte de décès de son père Icek (André) est rédigé avec le nom de Pérec (avec accent) et que toute sa généalogie, notée sur ce document, apparaît avec un accent puisque Icek est présenté comme le fils de « David Pérec ». Le document date de 1947 et il est fort probable que la famille rapprochée est responsable de cette orthographe tout autant que de l’orthographe « Pérec » qui figure sur le bulletin de première communion de Georges Perec. On ne doit donc pas s’étonner qu’à la fin des années 1960, lorsque semble se manifester pour Perec la possibilité d’un transport vers les États-Unis, celui-ci accepte apparemment sans mauvaise grâce le fait que son nom orthographié avec un é accent aigu accentue sa francité puisque l’accent signale culturellement aux États-Unis son origine française, encore renforcée par le s de Georges puisqu’en anglais ce prénom s’écrit sans s : George Washington. C’est donc sous une forme doublement francisée que le nom « Georges Pérec » va circuler comme marchandise culturelle dans les bureaux des éditeurs et des agences littéraires new-yorkaises et dans les studios et agences cinématographiques d’Hollywood au début des années 1960. (Cette commodité française de circonstance est ce dont témoignent les lettres de son agent littéraire new-yorkais à des agents cinématographiques d’Hollywood qui souhaitent acheter les droits d’adaptation filmique du roman Les Choses récemment traduit en anglais.)
59Ainsi pour la première inclusion de Perec sur le marché américain, il est aisé de conclure que le rétablissement de l’accent aigu joue son rôle : il accentue la différence, il devient à l’écrit l’écho de ce qui, paraît-il, caractérisait l’anglais de plus en plus sophistiqué de Perec, mais toujours marqué à l’oral par un horrible accent français. Le grand poète cubain en exil à New York Jorge Guitart m’a raconté récemment, alors que je lui expliquais sur quoi je travaillais, qu’il avait rencontré Georges Perec dans sa jeunesse au Village et que Perec utilisait des approximations phonétiques pour corriger sa prononciation défectueuse ; ainsi le nom d’un grand du jazz et du be-bop devenait-il « Char lit par cœur » → « Charlie Parker ».
Images
Rhétorique de l’image américaine chez Perec
60R. Bober, dans l’entretien qu’il donne à C. de Bary dans le n° 9 des Cahiers Georges Perec, confirme que la plupart des changements effectués au montage dans la partie texte-narration du film Ellis Island est suggérée par Perec puisque Bober a fait le film et a ensuite demandé à Perec de le visionner et d’indiquer ce qui ne lui convenait pas. Mais Bober le souligne, l’idée de donner une place privilégiée à la photographie comme générateur de nostalgie lui est entièrement due :
D’abord, parce que j’aime beaucoup la photographie. La photographie a été très importante dans ma formation […] Bref ! appréciant la photographie, je connaissais les photographies d’immigrants de Lewis Hine, mais je n’avais pas forcément fait le rapprochement avec Ellis Island52.
61Il révèle également que sa lecture est une lecture mémorielle, inductrice de nostalgie : « Je vous l’ai dit, la photographie a été déterminante pour moi. Il faut dire aussi que je suis un passéiste incorrigible. Tout ce qui touche au passé m’émeut, les photographies à bords dentelés, les chansons oubliées53… » Pour Perec, on le sait, l’émotion c’est ce que l’on « met à la fin », quand la forme a été correctement finalisée. Rien ne semble plus éloigné, donc, de cette conception cinématographique fondée sur la sidération mémorielle de l’image. L’idole de Bober, Lewis Hine, est un nom dans l’histoire de la photographie américaine. Ayant fait des études de sociologie à l’université de Chicago, Hine est décrit comme photographe social progressiste ; ses photos portent message, travaillent pour une cause – il a presque toute sa vie été photographe au service des unions syndicales – et pour rendre ce message lisible à un public peu éduqué aux subtilités de l’écriture photographique, il construit ses clichés en se conformant à un modèle « artistique » s’inspirant d’œuvres de la Renaissance comme celles de Raphaël ou Léonard de Vinci. Bien que son but soit documentaire, il veut montrer l’exploitation des travailleurs et la puissance de la machine. De fait, sa photographie s’apparente à la « photo artistique » combattue à l’époque par la modernité photographique de Stieglitz et du groupe de « Photo Secession » qui sous le nom de straight photography propose un travail sur la forme, représentation du ici-maintenant dénuée de regard mémoriel et de prétention artistique.
62J’ai expliqué dans une étude récente sur la photo chez Denis Roche et Jean-Marie Gleize54 l’importance dans la modernité visuelle des années 1970-1980 du Polaroid, en tant que capture instantanée du réel. L’appareil Polaroid (avant la naissance du numérique) est une extension mécanique de la straight photography. Sans possibilité d’arrangement, de mise en scène particulière, c’est une simple « prise » sans arrière-pensée, un hook up du réel sans passé et sans avenir. Perec, on le sait, s’est intéressé à la question de la photographie et il a collaboré en particulier avec la photographe Cuchi White sur la question du « vrai-faux » en peinture, entre autres sur ce que l’on nomme le trompe l’œil, mais cela n’a pas abouti, chez lui, à une doctrine élaborée sur la nature de l’image, ou plus spécifiquement sur la question de l’image photographique55.
63Ici, encore une fois, le cas de la production du film Ellis Island nous donne un exemple de combinaison d’image et d’Amérique. Pendant la traversée en bateau entre Le Havre et New York, Perec prend une série de photos polaroid. Non seulement on n’y trouve pas l’image canonique de l’arrivée à New York « avec-statue-de-la-Liberté-par-le-sculpteur-français-Bartholdi » – il y a cela dans le film – mais la mauvaise qualité naturelle des images ne permet pas l’élaboration d’un regard de la mémoire. Là encore, outre l’idée commune du neutre et de l’écriture blanche, les idées sur la photographie de Perec et de son « maître » Barthes vont s’opposer. Pour Barthes la photo est un voyage dans le temps – le temps du studium et le temps du punctum, ce moment-clé où pour lui se révèle le pouvoir émotif de l’image en elle-même et pour elle-même. C’est, réductivement, l’idée qui s’élabore dans La Chambre claire. Le mode séminal de la photo est donc « ça a été ». Ce que peut-être Perec a tiré de ses visites de musées aux États-Unis, de ses conversations avec ses relations new-yorkaises travaillant dans l’industrie visuelle, c’est à l’opposé un goût pour le passager – le jeu de mot est volontaire – l’éphémère, le transitionnel ; ce qui passe et a le mérite de ne pas insister : un autre mode d’existence de l’écriture blanche, du neutre, de ce que l’on a appelé l’absence d’accentuation, aux antipodes, donc du punctum barthésien qui sidère et fixe. Dans L’Éternel et l’Éphémère, C. Reggiani appelle ce gommage systématique des points de repères propices à l’interprétation un « évidement référentiel » et, dans le cas particulier de ce voyage maritime vers New York, une « pratique “déréférentialisée” du polaroid56 ».
64Barthes pratique constamment l’arrêt sur l’image, d’où son refus systématique et bien connu du cinéma. Dans son excellent article « Barthes réaliste », M. Ribière rattache cette passion de Barthes pour l’image fixe signifiante à un trait plus général de sa poétique : « La méfiance de Barthes pour cette “grande catégorie du continu, qui est le récit”, à savoir le Livre, “qui enchaîne, développe, file et coule” n’est pas nouvelle et perdurera57. »
Perec : Films « Made in USA »
65Les images qui « s’enchaînent, se développent, filent et coulent », cela s’appelle en anglais moving pictures, c’est-à-dire : film. Ce medium est beaucoup plus approprié au vagabondage écrituriel de Perec. Il s’agit d’une mise en mouvement et, chez lui, l’image ne s’en tient pas à son cadre fini et clos, l’image doit s’échapper pour produire un récit, une histoire, n’importe quelle histoire. À l’écrit il y a la contrainte pour sortir des rôles convenus ; l’écriture cinématographique est moins facile à contraindre. Perec en fera l’expérience en cherchant des équivalents aux contraintes oulipiennes textuelles : ne pas voir le visage de l’acteur, imposer un cadastre restrictif au jeu des acteurs, etc. Jamais rien de bien convaincant. Mais cette passion pour le mobile, le transformationnel donne chez lui naissance à une esthétique de l’image-métamorphose qui fonctionne sur le « ça aurait pu être ». Perec ne s’arrête pas à l’image en soi : quand il regarde une des rares photos de son père, il voit Kafka ; quand il regarde un autoportrait, il voit Kafka etc. L’image, en tant que forme – toute tentation de sens évacuée –, se morphe en récit, se charge d’un inventaire aléatoire infini, s’altère, se prolonge… en d’autres termes, elle devient récit. De ce point de vue la poétique de l’image chez Perec, à l’opposé de l’arrêt sur l’image de Barthes, peut être définie comme son inverse, un départ sur l’image. Une esthétique visuelle très « américaine » : un jump-cut modéré, pondéré… nous sommes en 1970, 1980. Pour se convaincre de sa fiabilité cinématographique, Perec a des modèles tout trouvés à New York : B. Mangolte est photographe, mais elle travaille aussi dans le cinéma d’avant-garde new-yorkais (dans son entretien à propos de leur film Récits d’Ellis Island, Bober confirme que Perec avait demandé des conseils à B. Mangolte) ; et K. Manheim, qui depuis ses débuts comme market researcher est devenue une star de la scène et des écrans avant-gardistes de New York. Elle et son mari réalisent des films d’art et d’essai sans interruption pendant les années 1970-1980. Il ne fait aucun doute que lors de leurs retrouvailles successives à New York, Georges et elle échangeaient des commentaires sur des questions formelles tenant à l’image, à la photo, au film et en général au dynamisme visuel. En 1973 Perec écrivait à propos d’Une semaine sous l’influence de de R. Foreman :
C’est la mémoire que Richard Foreman et ses acteurs mettent au défi : mémoire d’un espace dilaté, rétréci, explosé, manipulé dans toutes ses dimensions, mémoire d’un temps […] où l’émerveillement naît, non pas de la durée […], mais de la cassure : discontinuité, passage58…
66Dans un entretien que Perec accorde à la revue Cinéma 74 au moment de la sortie du film Un homme qui dort, il affirme la supériorité du cinéma sur la littérature :
Ce que la littérature manipule surtout, c’est le temps – ne serait-ce que le temps de la lecture, alors qu’avec le film on est dans une durée absolument imposée. Mais avec le film, par contre, on a l’espace, le relief, la palpation – les choses sont en place, le pouvoir onirique est beaucoup plus fort qu’avec l’écriture59.
67Si Perec valorise ici le pouvoir « onirique » du cinéma, puisqu’il confie par ailleurs qu’il ne voit pas beaucoup de cinéma français contemporain c’est surtout au cinéma américain de sa jeunesse auquel il pense, à celui qu’il commémore dans son fameux entretien avec Jean-Marie Le Sidaner :
J’aime le cinéma qui se faisait à l’époque où je l’ai découvert, c’est-à-dire le cinéma américain des années cinquante : les westerns, les comédies américaines, les comédies musicales, les « mélos flamboyants » (Sirk, Minnelli), les thrillers, les films de cape et d’épée, etc. Cela ne correspond pas du tout aux deux films que j’ai réalisés et qui sont, disons, beaucoup plus « littéraires » (je ne m’en cache pas, mais il faut quand même mettre des guillemets) ; en fait, c’est en tant que scénariste que je pense avoir le plus de chances de faire le cinéma que j’aime, ou plutôt de faire faire à des cinéastes des films proches de ceux que j’aime en tant que spectateur60.
68Ses amis américains ont pu, sans difficulté, passer de l’élaboration d’un film entertainment à des films très intellectuels – en fait aujourd’hui impossibles à regarder sinon à un deuxième degré, avec quelques euphorisants… Dans ce rapport de Perec au cinéma américain, on peut se demander ce qui explique pourquoi son rêve exprimé de faire ou de faire faire des films « américains » se résumera finalement à un film français (Récits d’Ellis Island) tourné en Amérique. Analysant l’impressionnante succession de tentatives cinématographiques répertoriées par M. Ribière (voir supra), C. Reggiani conclut son étude sur le cinéma de Perec de manière sobrement désabusée en reconnaissant « l’avortement inéluctable auquel semblent voués les projets cinématographiques de l’écrivain [Perec]61 ». Cet échec de l’auteur dans le cinéma, elle l’attribue très directement à la nature de l’image pour Perec. Là où j’avais tracé une nette opposition entre l’image fixe et cadrée de l’esthétique barthésienne et l’image sémantiquement inexistante en elle-même, vagabonde et productrice de récit de Perec, elle suggère, sur la base du même type d’opposition formelle fondamentale entre cadre et non-cadre, que l’image de Perec est « encore trop fixe », trop « cadrée », et ne s’élève donc pas au niveau de ce que Deleuze appelle « l’image-mouvement » :
L’œuvre de Perec témoigne, en somme, de la culture d’un cinéphile dont l’écriture reste cependant habituée par la découpe fixe du cadre photographique, et ne parvient donc pas à transmuer la contemplation passionnée d’images mouvantes en l’exercice « profitable » d’un écrivain cinéaste62.
69Le visage américain de Perec, peu connu en France, ses ambitions cinématographiques outre-Atlantique, c’est le domaine d’enquête que j’ai voulu ébaucher dans cet essai pour parfaire la dimension attachante d’un auteur épris d’aventure et d’espoir. Avec ses lacunes, ses illusions, ce portrait-célébration d’un auteur que l’Histoire « avec sa grande hache » a façonné, mais qui n’a pas cessé de croire aux mérites de l’exploration des mystères de toutes sortes : corps, mots, phrases – et monde. Aujourd’hui, si l’on peut conclure à « l’avortement inéluctable » du rêve américain de Perec, la renommée prend sa revanche puisque dans la liste des dix auteurs francophones de tous les temps sujets de thèses universitaires doctorales aux États-Unis, Perec apparaît à la cinquième place et représente à lui seul le xxe siècle. Disparue, Marguerite Duras, disparus, Michel Butor, Alain Robbe-Grillet. Invisibles Barthes, Sollers and Cie. Huit traductions en anglais publiées aux États-Unis dans la seule décennie actuelle. Au palmarès des populaires Good-reads recommandées aux lecteurs américains, W, or the Memory of Childhood, refusé en son temps par Grove Press, Strauss Farar and Giroux, etc., reçoit 4 kudos sur 5. Ainsi, très appropriée à la revanche de la petite histoire, en harmonie avec la longue fidélité de Perec à l’ami américain qui l’a initié aux secrets de la vie made in USA, cette citation pour conclure, sur laquelle se termine la première partie de cet hymne à l’immense espoir de la migration universelle, Récits d’Ellis Island : « Wandering and hope… »
Notes de bas de page
1 G. Perec, Les Choses, Julliard, 1965.
2 « Cher, très cher, admirable et charmant ami… » Correspondance Georges Perec-Jacques Lederer, 1956-1961, Flammarion, 1997, p. 139.
3 Les Choses, op. cit., p. 53.
4 Ibid., p. 117.
5 Ibid., p. 107.
6 Ibid., p. 54 ; c’est moi qui souligne.
7 « Cher, très cher, admirable et charmant ami… », op. cit., p. 47. Il est clair à la lecture de leur correspondance des années 1950-1960 que Jacques Lederer partageait entièrement cette idée de la trajectoire du succès qui devait l’emmener vivre aux États-Unis. À la date du 15 septembre 1958, il écrit ainsi à Perec : « Après le service [militaire], quelques années à New York pour saisir ce que l’Europe ne sait pas » (ibid., p. 398).
8 En suivant d’abord les informations trouvées dans les deux biographies existant en français et en anglais : D. Bellos, Georges Perec : A Life in Words, Boston, Godine, 1993 ; P. Perec, « Chronique de la vie de Georges Perec (7 mars 1936-3 mars 1982) », dans Portrait(s) de Georges Perec, P. Perec (dir.), BnF, 2001 ; puis à l’aide d’archives pertinentes mises au jour : Lilly Library (Indiana University Library), Butler Library (Columbia University), archives de l’université de Syracuse ; également, très souvent, par des correspondances ou des conversations privées avec, pour l’essentiel : Jacques Lederer, Arnaud Camus, Harry Mathews, David Bellos, Paulette Perec, George Borchardt, Helen Lane, Kate Manheim, Babette Mangolte.
9 D. Bellos, Georges Perec, op. cit., p. 369 : « Perec had also been invited to visit American universities. He made his first crossing of the Atlantic in the second half of July 1967, after a great fiesta at the Moulin d’Andé for the benefit of Vietnam, at which he got abominably drunk. At that time of year he cannot have had a regular undergraduate audience in the States, since it was deepest vacation, no trace can be found of any lectures he may have given. Unlike the Warwick campus, though, the midwest made an impression on him. He saw a house by Frank Lloyd Wright that he never forgot and he always had a soft spot for East Lansing. Things was being translated in New York (by Helen Lane, then an editor at Grove Press, whom he did not meet), and an edition in French, with explanatory notes in English, was also in preparation, by Jean Leblon. America seemed ready to accept him. It was also the only country in the world where there was (and is) a place that bore his real name : Peretz Square in Manhattan, at the very bottom off first Avenue, near where the Yiddish theatre used to stand, named in honour of Isaak Leib. He spoke of America with great enthusiasm to lab colleagues when he got back. He would return there many times over the following years – nearly as often as he would revisit Saarbrücken. » P. Perec, « Chronique », op.cit., p. 73 : « Du 13au 28juillet, il est aux États-Unis, à la Michigan State University, à East Lansing, où il fait deux conférences, puis à New York, qu’il n’aime pas : “Il est possible que l’Amérique ne soit belle qu’en voiture”, écrit-il, et aussi : “Être touriste est très fatigant […]. Je manque complètement de curiosité” (lettre à P. Perec du 24 juillet l967). Mais il est allé à Ann Arbor où “ils ont un computer friand de linguistique sur lequel il se pourrait bien que j’aille un jour étudier les possibilités du PALF” ».
10 Lettre (de deux pages) du 6 juillet 1967 de G. Perec à R. Seaver (archives de la bibliothèque de l’université de Syracuse).
11 Sur Les Extraordinaires Aventures de M. Eveready, voir D. Bellos, op. cit., p. 466-467.
12 Le nom Winckler s’écrit en anglais avec ou sans c. Il est remarquable que le nom qui va servir de patronyme à la persona de Perec dans ses romans d’après 1967 reprenne l’orthographe exacte de ce nom. Dans l’œuvre de Perec l’apparition de ce nom comme figure de substitution auctoriale demeure encore mal expliquée. La présence du nom « Gaspard Winckler » dans l’édition récente du Condottière (Le Seuil, 2012) ne peut être considérée comme une preuve que le nom « Winckler » que l’on y retrouve pour le personnage principal était à la disposition de Perec en 1959-1960 quand le manuscrit original a été envoyé par Lederer directement à Gallimard, puis à Simone de Beauvoir. Publié sans un travail génétique sérieux qui reste à faire afin de comprendre exactement quel manuscrit a servi de base à cette édition commerciale, il est difficile de saisir la provenance de ce texte. En fait, une brève recherche historique dans les documents d’époque semble infirmer la présence d’un héros appelé Winckler dans le manuscrit de 1959. Là encore, si l’on en revient à la correspondance avec Lederer, qui s’étend de 1956 à 1961 et contient donc dans sa continuité la débâcle éditoriale du Condottière, Perec y mentionne son nouveau projet, Gaspard, pour la première fois dans une lettre du 11 juillet 1958 : « Le Coffre, pour y revenir, ne s’appelle plus Le Coffre, ni La Nuit, ni Jason, mais Gaspard -- je sais bien que le héros n’existe plus et que le personnage est un être anonyme… » (op. cit., p. 300) ; Lederer, intrigué, lui demande de quel Gaspard il s’agit, et penche pour Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand puisqu’un des volumes phagocytés dans ce projet s’appelait La Nuit : « À propos de Gaspard : – sais-tu qu’en argot, le nom de ton personnage signifie rat ? – entendu à la TSF une chanson s’intitulant Nuit à Madéra. – Ton roman découle-t-il directement du précédent, c.à.d. as-tu tiré Gaspard de la nuit ? » (Lettre du 12 aout 1958, ibid., p. 343). Perec rectifie immédiatement, et pense avoir donné assez de renseignements dans ses lettres précédentes pour qu’il n’y ait aucun doute sur la nature du « Gaspard » de référence : « Ai été étonné d’apprendre que Gaspard voulait dire rat. Content de savoir qu’il existait une Nuit à Madera – as for Gaspard de la Nuit, c’est évident, voyons. Il y a aussi : “Je suis venu, calme orphelin, riche de mes seuls yeux tranquilles…” Priez pour le pôvre Gaspard. » (Lettre du 18 aout 1958, ibid., p. 356). Les commentaires épistoliers sur le roman continuent jusqu’au 11 septembre 1958 ; dans sa lettre à Lederer Perec annonce deux nouvelles : « mettrai le foin pinal [sic] à Gaspard que je veux présenter aux Éditeurs à partir d’octobre 1959, compte sur un contrat ou les DA pour passer la 2e partie de l’année 60 à Londres ou New York » ; « Envisage déjà – après Gaspard – un autre bouquin. Le point de départ est la dernière partie (guatémaltèque) des Errants – Le personnage central pourrait être un Bogart du genre de To have and have not ou du Trésor de la Sierra Madre. » Le 18 septembre 1958 Perec annonce que l’ensemble des manuscrits qui composent Gaspard sont entre les mains de « Nono » qui a la responsabilité de mettre les feuillets en forme ; par la suite il commente l’évolution de cette mise en place. La correspondance disparaît ensuite puisque Perec est affecté à Paris et que les deux amis n’ont plus besoin de correspondre pour communiquer. Le 7 juillet 1959 Perec doit toutefois retourner dans son unité parachutiste à Pau. Dans sa première lettre, il signale qu’il rêve d’avoir terminé Gaspard. Dans la deuxième, datée du 14 juillet 1959 ( !), il mentionne pour la première fois le nouveau titre : « pas travaillé pour Le Condottière » (ibid., p. 456) ; les 1er et 18 juillet : « Gaspard est mort » ; le 19 août : « Vais essayer d’écrire pour le Condottière. Mais je sais d’avance que ça ne peut pas marcher. J’ai besoin de continuité, et ici, je ne peux pas l’acquérir » (ibid., p. 475). Toutefois à la date du 1er octobre, Perec note : « je fais quatre choses à fond : […] réflexions et révisions de Gaspard ». À la date du 8 octobre Perec confie à Lederer que Gaspard a été donné en lecture à plusieurs personnes et que si « D. » ne l’a pas aimé par contre « Les Dessau ont beaucoup aimé la fin de Gaspard », et il ajoute : « Je suppose que Gaspard fait partie de “ma vie privée” et que le lire implique une intrusion dans les affaires d’autrui les moins recommandables » (ibid., p. 508-509). Dans sa lettre du 1er octobre, Perec indique que pour lui les deux projets Gaspard et Le Condottière ont été fondus en un seul, et donc que l’ensemble est très près d’être un roman complet : « Ensuite je me replonge à fond dans Le Condottière. La structure majeure du livre ne change pas, mais tous les détails sont plus ou moins modifiés. Il n’y aura plus de souterrain. Gaspard sera en taule et cherchera à sauver sa peau en prouvant son innocence. Il y réussira. Comment ? C’est ce que vous saurez en lisant l’année prochaine le Condottière, un roman de M. Ottière, chez Ganimard, éditeur, à Paris où loteur fait une éclatante rentrée dans le monde littéraire en présentant une histoire charmante et des personnages dessinés d’un crayon infaillible… » (ibid., p. 522). Comme l’on sait Gaspard (Hauser)/Le Condottière ne sera pas accepté par Gallimard, ni « repêché » par Simone de Beauvoir, et Perec devra vivre avec l’échec de ce premier manuscrit porteur d’espoir de publication. À la date du 4 décembre 1960, Perec est en Tunisie, il enterre le manuscrit le plus avancé, qui est en la possession de Lederer : « Quant au Condottière, merde pour celui qui le lira. Le laisse où il est, pour l’instant du moins. Le reprendrai dans dix ans, époque où ça donnera un chef-d’œuvre ou bien attendrai dans ma tombe qu’un exégète fidèle le retrouve dans une vieille malle t’ayant appartenu et le publie. […] Ai eu du mal à le digérer sur le coup. Ai été très vexé. Mais ce n’est pas grave. Ai lu dans une critique que la même chose était arrivée à Sivoir de Beaumone et Sartrimself. Tu vois bien ! » (p. 570). Comme l’on connaît la pratique habituelle de Perec de remanier et modifier ses manuscrits, il est fort possible que la version publiée du Condottière, qui circule aujourd’hui, soit en fait celle que Perec se promet de remanier « dans dix ans », c’est-à-dire en 1970, un moment où il a déjà la possibilité de réunir tous ses personnages le figurant sous le nom unique de « Gaspard Winckler ».
13 G. Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974, p. 53.
14 M. Bénabou et G. Perec, Presbytères et Prolétaires. Le Dossier P.A.L.F., éd. M. Bénabou, Cahiers Georges Perec, n° ence, Éd. du Limon, 1989.
15 « About “Un homme qui dort”. I think that it is a better (deeper) book than “Les choses”. It has been welcomed in France and the first edition is completely out of print » (lettre du 6 juillet 1967 de G. Perec à R. Seaver [archives de la bibliothèque de l’université de Syracuse]). Même si la pratique d’auteur qui consiste à minimiser l’œuvre précédente au profit de la plus récente est bien attestée, il se trouve que Perec tient le même discours critique à propos des Choses dans une lettre à « M. Arnold », l’éditeur en chef de Grove Press : « Bien que ma connaissance de l’anglais soit, en ce moment, plutôt déficiente, j’ai trouvé excellente la traduction d’Helen Lane : à la fois fidèle, souple et sûre. Je dois même dire que, d’une certaine façon, la traduction américaine est mieux écrite que l’édition française, en particulier dans les premier et dernier chapitres qui constituent, à mon sens, les seuls vraiment bons du livre avec le passage concernant la Tunisie (tout le reste n’étant finalement que le commentaire permettant d’aller de ce début à cette fin) » (lettre de Perec à « M. Arnold » du 14 mars 1968 [archives de la bibliothèque de l’université de Syracuse]).
16 Le contrat US de Perec était un contrat élémentaire, de type « Vanilla ». Les deux autres termes désignent des types de contrats offerts par des maisons d’édition US impliquant des avantages ajoutés pour l’éditeur et/ou l’auteur, exactement comme au cinéma : un acteur peut avoir un simple contrat d’acteur ou on peut lui offrir également un statut de « producteur délégué » ce qui va l’intéresser un peu aux profits du film ou, encore mieux, « Executive Producer » ce qui va lui permettre un pourcentage plus ou moins élevé sur l’ensemble des profits générés par le film. Perec a donc reçu un contrat (généreux) mais élémentaire, fini et limité à cette production de sa traduction.
17 Apparemment les revenus de ce contrat n’ont pas été transférés en France. Dans une correspondance privée George Borchardt, fondateur et propriétaire de l’Agence littéraire Borchardt qui a négocié le contrat de traduction des Choses, m’a confirmé que les sommes dues à Julliard au titre de l’éditeur sont passées par son agence, mais qu’il n’a jamais rencontré Perec et que jamais il ne lui a été demandé de s’occuper de la question de la gestion des droits de l’auteur (courriel de G. Borchardt à J.-J. Thomas, le 30 juillet 2015 : « I don’t believe we ever had any dealings with Perec direct, I don’t remember his visiting us during his 1967 trip to the U.S. or during his subsequent stays in New York. […] beyond the relationship with Julliard, I don’t think [you]’d find very much, and certainly nothing about Perec’s relationship with the New York scene »). Si Julliard n’a pas redistribué l’argent à Perec, il reste une autre possibilité : Perec a pu garder l’argent à New York en vue d’autres voyages. On se souvient que, dans leur correspondance de jeunesse, Lederer et lui rêvaient d’un séjour prolongé à New York ; or il se trouve que Perec avait l’habitude d’écrire pour des publications yougoslaves. Dans une lettre du 31 janvier 1958 il explique à Lederer qu’il est fatigué, déprimé, surchargé de travail et qu’il doit plusieurs articles aux revues Pregled et Israz (« Total entre 80 et 18000 dinards qui m’attendent l’année prochaine à Sarajevo de quoi passer plusieurs mois dans le pays »), et lui demande d’écrire l’article à sa place en lui transférant les revenus qu’il attend de ce travail : « il s’agirait de 15 ou 20 pages – fouillé, détaillé, sérieux je préviendrai Enver Redzic. Pour le paiement, l’argent pourrait, soit être bloqué en Yougoslavie où tu pourrais alors passer quelque temps cet été, ou bien on pourrait t’envoyer une contrevaleur en nature (Raki par exemple) ». Lederer acceptera d’aider Perec, mais se moquera de cet arrangement financier : « je n’ai actuellement pas l’intention de faire des milliers de kms pour des honoraires que je devrais dilapider hors de France. Quant au raki… » (« Cher, très cher, admirable et charmant ami… », op. cit., p. 50, 75, 82). Dans le cas présent c’est exactement ce que Perec souhaite : conserver des fonds sur place qui lui permettent d’envisager maintenant une série de plus longs séjours à New York.
18 D. Bellos, op. cit., p. 507 : « Before Drogoz moved in, Perec took a short break away, in New York. It did not count as a holiday, but neither is it clear exactly what business he was on. He stayed for some of the time with an old acquaintance, Kate Manheim (formerly a market researcher in France, now the star of the Ontological Hysteric Theater Company), in her Greenwich loft. He renewed contact with Babette Mangolte, who was making a film of Henry James’s What Maisie Knew. And he spent a day with Guitaut, who had given herself a twelve-month Manhattan sabbatical, and walked with her for miles, from the Guggenheim to the Frick Collection and down to Little Italy, looking, and laughing, in excellent spirits. Perec and Guitaut ended up at the southern tip of Manhattan, at the ferry pier, whence you can glimpse Ellis Island. »
19 M. Ribière, « Cinéma : les projets inaboutis de Georges Perec », Cahiers Georges Perec, n° cit., p. 151-172.
20 Sur « La Ligne générale », voir G. Perec, L.G. Une aventure des années soixante, Le Seuil, 1992.
21 B. Morrissette, Les Romans de Robbe-Grillet (1963) ; Alain Robbe-Grillet (1966) ; Intertextual Assemblage from Topology to the Golden Triangle (1979).
22 G. Perec, « Le mystère Robbe-Grillet », Partisans, n° 63, p. 167-170 ; voir sur cette question l’article de C. Reggiani, « Le roman de la théorie », dans De Perec etc., derechef. Textes, lettres, règles & sens. Mélanges offerts à Bernard Magné, M. Ribière et E. Beaumatin (dir.), Nantes, Joseph K., 2005, p. 328-337.
23 Film français réalisé par J. Rouch et E. Morin, sorti en 1961 (1 h 26). Avec Jean Rouch, Edgar Morin, Marilù Parolini, Landry, Nadine Ballot, Marceline Loriden-Ivens, Jean-Pierre Sergent, Angelo, Régis Debray, Sophie.
24 D. Bellos se trompe donc (voir note 18) : ce n’est pas encore la période du « Ontological Hysteric Theater Company » (ce qui sera en revanche le cas lors du séjour de Perec en 1975).
25 Courriel de B. Mangolte à J.-J. Thomas, le 10 juin 2015. Ce sont des photos de ce séjour de Perec à New York en 1972 qui illustrent certaines pages du volume édité par P. Perec, Portrait(s) de Georges Perec, op. cit., p. 240. B. Mangolte m’a également confirmé que l’anglais de Perec n’était pas fameux. (Ce sont aussi ses photos qui ont servi à illustrer les « jeux » contenus dans le CD-Rom Machines à écrire d’A. Denize et B. Magné [Gallimard, 1999].) Perec semble avoir passé du temps à New York avec une troisième personne, Jacqueline de Pechpeyrou-Comminges de Guitaut – « Guitaut » est le nom que lui donne Perec. C’est une personnalité de la mode française [L’Officiel de la mode], qui se trouve être l’épouse de l’éditeur Christian Bourgois.
26 The Lilly Library, Indiana University.
27 Portrait(s) de Georges Perec, op. cit., p. 96 : « Passant par New York, il se rend à Montréal en avril, y travaille sans déplaisir car le film l’intéresse (il s’en inspirera dans le chapitre XXV de La Vie mode d’emploi), mais il a hâte de rentrer : “je ne pense pas beaucoup à la vie, mode d’emploi, mais je compte m’y mettre à fond dès mon retour. Je n’ai pas d’autre envie que travailler” » (lettre à P. Perec, 6 avril 1975). D. Bellos, op. cit., p. 369 : « [They] needed a writer to script the voice-over commentary. They asked Queysanne, who suggested Perec, who jumped at the job and set off to Canada, by way of New York, in April 1975. He spent two weeks in Montreal on expenses, learning and writing about these “avoidance specialists” who were not creatures of Roger Price’s imagination, but real and hauntingly beautiful people, such as the Anadalams of Sumatra. »
28 Voir C. Burgelin, « Réponse à David Bellos et à “Quatre visages de Georges Perec” », Le Cabinet d’amateur. Revue d’études perecquiennes, [http://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/C-Burgelin_Reponsea_Bellos.pdf] (page consultée en juin 2015).
29 H. Mathews, My life in CIA, Normal-London, Dalkey Archives Press, 2005, p. 140.
30 D. Bellos, op. cit., p. 531-532.
31 Courriel de H. Mathews à J.-J. Thomas, le 9 septembre 2014.
32 Dans Portrait(s) de Georges Perec, op. cit., p. 124-126.
33 S. Lotringer à J.-J. Thomas, le 18 septembre 2014. S. Lotringer a en fait une histoire personnelle assez proche de celle de Perec. Enfant juif il, a été placé dans une famille d’accueil en province pendant la Seconde Guerre mondiale et est revenu à Paris pour faire ses études. C’est là qu’il a été recruté par R. Kleman pour « La Ligne générale ». Son cas est discuté plusieurs fois dans la correspondance entre Lederer et Perec. Dans une lettre du 17 octobre 1959, Lederer le présente à Perec, toujours à Pau : « Un certain Werner […] et un certain Lotringer, défenseur de Nathalie Sarraute, nous sont infligés par Roger [Kléman], qui fonde ses espoirs essentiellement sur leur capacité de travail, point de vue qui me semble aberrant » (op. cit., p. 527). Perec ne le trouve pas sûr idéologiquement car Sarraute c’est le « NR » : « Aurais, pour ma part, par exemple tendance à beaucoup me méfier du gars qui défend Nathalie Sarraute (car nous allons un jour ou l’autre avoir à soutenir une discussion oiseuse avec lui, à l’issue de laquelle il ne manquera pas de se brouiller avec nous) » (lettre de la fin octobre 1959, ibid., p. 535). L’histoire a parfois certains ricanements : en 1975, à New York, Perec, en mal d’amour, fait la fête à Soho avec Warhol, Basquiat, Renaud Camus, Harry Mathews et d’autres, alors que Sylvère Lotringer est professeur à Columbia et, avec sa revue et son groupe Semiotext(e), sert de tête de pont au « continentalisme » intellectuel qui est en train de conquérir les milieux universitaires américains.
34 On trouve dans l’ouvrage de Mathews écrit en mémoire de Perec plusieurs souvenirs liés à ce voyage : « I remember eating out with Georges Perec in […] ; at a roadside restaurant near the Albany airport ; […] in Bennington » ; « I remember that when I was driving with Georges Perec in the United States, he read all the road signs out loud, incorporating them into his knowledge of English immediately and permanently » (H. Mathews, The Orchard, Flint, Bamberger Books, 1988, p. 6 et p. 27).
35 Portrait(s) de Georges Perec, op. cit., p. 105 : « Pendant la première quinzaine de juin, il est à New York en compagnie de Robert Bober pour faire les repérages et prendre des contacts en vue du tournage des Récits d’Ellis Island » ; D. Bellos, op. cit., p. 640 : « By the time Perec wrote the epilogue of Life A User’s Manual, in early April, he knew for certain that he would be going to New York a few weeks later, and he “inscribed” his impeding journey in the penultimate page of his novel, wherein Cinoc overcomes his fear of U.S. Immigration, which he thought still happened on Ellis Island. »
36 H. Mathews, The Orchard, op. cit., p. 6 : « I remember Georges Perec grinning madly as he danced a furious jerk with Catherine B. in Andy Warhol’s [Paris] apartment, which Renaud C. had borrowed for a big party. After working up a tremendous sweat, Georges Perec asked to take a shower. He soon reappeared among us with only a towel around his waist. He was irresistible. »
37 Dans deux entretiens accordés les 16 décembre 1989 et 4 janvier 1991 (protégés par des droits de non reproduction [Lilly Library, Indiana University]), K. Manheim réaffirme qu’après leur première liaison en 1973, elle est restée en rapport avec Perec pendant toute sa vie, et que leur dernière relation a eu lieu en 1981. (Elle demande à son interviewer la suppression de cette information car, si les relations des premiers temps ne sont pas un secret, la liaison tardive en revanche « remains secret ».)
38 Portrait(s) de Georges Perec, op. cit., p. 110 : « À New York où il reste jusqu’à la fin du mois de mai, son rôle consiste à interviewer d’anciens immigrants sur leur passage à Ellis Island pour la seconde partie du film. Pour la première partie, il fait plus tard un commentaire sur l’histoire du lieu, sur la préparation et le tournage du film et sur les raisons qui ont poussé les deux auteurs à le réaliser » ; D. Bellos, op. cit., p. 659-660 : « In all, Perec spent five weeks in North America […]. Making his own film on Ellis Island, meanwhile, turned out to be an exhausting experience. He accompanied the film crew all over Manhattan to conduct interviews in his fluent if accented English with former emigrants from Poland, Russia, and Italy […]. On many evenings he got back to his room at the Abbey Victoria Hotel feeling quite wiped out. All the same, he saw old friends in the city, including Babette Mangolte and Kate Manheim ; went out to Amagansett, on Long Island, for a weekend with his cousin Simone ; and up to Vermont again, for a weekend with Harry Mathews, before going on to Montreal for a publicity tour. »
39 C. Burgelin, Les Mal Nommés. Duras, Leiris, Calet, Bove, Perec, Gary et quelques autres, Le Seuil, 2012, p. 304.
40 C. Reggiani, Poétiques oulipiennes. La contrainte, le style, l’histoire, Droz, Genève, 2014, p. 123.
41 G. Perec, Les Choses, op. cit., p. 35.
42 Ibid., p. 33.
43 Ibid., 4e de couv.
44 G. Perec, Ellis Island, New York, The New Press, 1995, p. 7.
45 Ibid., p. 155.
46 Ibid., p. 67.
47 D. Bellos, op. cit., p. 26.
48 M. Foucault, L’Ordre du discours, Gallimard, 1971, p. 27.
49 C. Burgelin, Les Mal Nommés, op. cit., p. 297.
50 D. Bellos, op. cit., p. 72.
51 Dans L’Arc, n° 76, 1979, p. 9.
52 Cahiers Georges Perec, n° 9, op. cit., p. 249.
53 Ibid., p. 253.
54 J.-J. Thomas, « Photographic Memories of French Poetry : Roche, Gleize », Yale French Studies, n° 114, 2008, p. 18-36.
55 Sur cette question, voir C. de Bary, « Le trompe l’œil, image usée d’un usage perecquien de la fiction », [http://www.fabula.org/colloques/frontieres/219.php] (page consultée en mars 2015).
56 C. Reggiani, L’Éternel et l’Éphémère. Temporalités dans l’œuvre de Georges Perec, Amsterdam-New York, Rodopi, 1994, p. 113.
57 M. Ribière, « Barthes réaliste », Europe, n° 952-953, 2008, p. 243.
58 G. Perec, « Une semaine sous l’influence de », Les Nouvelles littéraires, 1973, p. 54.
59 J. Santoni, « La folie dans le cinéma américain », Cinéma 74, n° 189, 1974, p. 49.
60 « Entretien Perec/Jean-Marie Le Sidaner », [1979], Entretiens et Conférences, éd. D. Bertelli et M. Ribière, Nantes, Joseph K., 2003, t. II, p. 100-101.
61 C. Reggiani, « Le cinéma invisible de Georges Perec », Cahiers Georges Perec, n° 9, op. cit., p. 152.
62 Ibid., p. 153.
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