Introduction
p. 15-27
Texte intégral
1Les côtes bretonnes sont, encore de nos jours, hérissées d’ouvrages fortifiés. Certains d’entre eux datent des xviie et xviiie siècles et sont abusivement attribués à Vauban, théoricien et artisan du « pré carré ». Le règne de Louis XIV voit en effet la sanctuarisation du territoire1, désormais épargné par les affres de la guerre, sauf, en certaines circonstances, sur ses marges. Il se produisit effectivement quelques incursions étrangères en France sous Louis XIV et Louis XV. Les plus spectaculaires eurent lieu pendant la guerre de Succession d’Espagne, marquée par la perte de Lille et de quelques autres places fortes, et durant la guerre de Succession d’Autriche, lorsque les troupes autrichiennes et piémontaises pénétrèrent en Provence2. On néglige toutefois trop souvent les descentes anglaises qui touchèrent la Bretagne en plusieurs occasions. Si la plupart d’entre elles n’excédèrent pas quelques jours et furent finalement de peu de conséquence, n’oublions pas que l’ennemi s’empara de Belle-Île-en-Mer et la garda deux ans, de 1761 à 1763. Les Britanniques contrôlèrent aussi la presqu’île de Quiberon pendant trois semaines en 1746 alors qu’ils menacèrent Saint-Malo à plusieurs reprises, particulièrement en 1758. Or, la lecture des relations de ces incursions révèle un paradoxe. Alors que la menace semble récurrente en période de conflit, les soldats d’outre-Manche qui débarquèrent ne trouvèrent face à eux que fort peu de troupes régulières, à l’exception notable du combat de Saint-Cast en 1758. La descente de Camaret en 1694 échoua grâce à l’intervention désordonnée mais énergique de garde-côtes mal armés3. En 1746, les mêmes paysans bas-bretons, les troupes de la Compagnie des Indes et des volontaires défendirent Lorient. Dès lors, la Bretagne ressortissait-elle à la France sanctuarisée et largement démilitarisée ou à celle des frontières qui fit l’objet de toute l’attention de Vauban ?
2Dans un certain sens, la Bretagne constituait bien une province frontière dotée d’une importance stratégique réelle puisqu’elle était, avec les autres généralités jouxtant la mer du Nord, un des territoires les plus à portée de l’ennemi4. La présence de fortifications insulaires et côtières confirmait cette appartenance à la France de la guerre et de l’armée. Il n’en allait cependant pas ainsi avant la seconde moitié du xviie siècle. Du début du xvie siècle à 1674, la Bretagne subit peu les répercussions des conflits européens, si l’on excepte la triste expérience des guerres de la Ligue. L’intégration dans l’aire géostratégique occidentale et l’exacerbation de la rivalité franco-anglaise fut sans conteste dommageable pour les activités commerciales d’une province alors fortement extravertie. La Bretagne devint frontière alors que s’assombrit simultanément sa situation économique. Cependant, cette frontière maritime n’était guère comparable avec les frontières terrestres. L’impact de l’armée y était moindre que dans les provinces du Nord et de l’Est. Non seulement le nombre de troupes qui y stationnait était souvent faible voire notoirement insuffisant en cas de descente ennemie, mais la Bretagne ne dépendit jamais du Secrétariat à la Guerre à l’instar de l’Alsace ou de la Flandre, par exemple5.
3En un sens, les descentes britanniques ne remplirent leur rôle qu’imparfaitement et ponctuellement. Il s’agissait d’abord, en effet, en entretenant une menace permanente en période de conflit, de tenir mobilisées en Bretagne des troupes qui eussent pu être utiles sur d’autres théâtres d’opérations. Lors de la descente de Lorient, on vit ainsi vingt bataillons stationnés dans les Flandres rejoindre la Bretagne en trois semaines environ6. L’occupation de Belle-Île, par contre, était d’abord destinée à aborder les négociations diplomatiques en position de force. Dans tous les cas, les événements militaires survenus en Bretagne pesèrent peu sur le sort des conflits.
4Il n’en reste pas moins vrai que la Révolution militaire occidentale eut nécessairement des répercussions dans la province atlantique. Quoique l’expression, forgée par des historiens anglo-saxons, soit devenue polysémique jusqu’à se diluer et à prêter le flanc à la critique7, l’époque moderne est sans conteste marquée par la croissance numérique des armées comme de leur encadrement administratif et logistique, et des techniques nouvelles, notamment en ce qui concerne les fortifications. L’armée française crût ainsi jusqu’à devenir le « Géant du Grand Siècle » à la fin du xviie siècle, selon l’expression heureuse de J. Lynn. Au-delà de la multiplication des ouvrages défensifs côtiers, il reste à examiner les traductions concrètes de cette mutation complexe dans une province périphérique mais finalement recentrée par l’évolution géostratégique de la seconde moitié du xviie siècle.
5La première ligne de défense de la Bretagne se situait sur mer et consistait dans la marine royale. L’étude de son impact sur la province mériterait à elle seule une thèse. Son influence était importante à bien des égards. Les matériaux, du bois de construction au chanvre des cordages, la main-d’œuvre également, provenaient d’une grande partie de la province voire d’au-delà. Cependant, le contact avec la marine ne concernait finalement que peu de Bretons. Brest et Port-Louis constituaient des enclaves mal intégrées au reste de la province, dépendant des commandes militaires et de l’activité de la Compagnie des Indes8. Les compagnies franches séjournaient à proximité des côtes la plupart du temps et les marins étaient en fait peu nombreux dans l’intérieur. L’armée de terre, au contraire, concernait peu ou prou l’ensemble de la Bretagne, que ce soit à travers les recrutements, le tirage de la milice provinciale et les nombreux déplacements de régiments entiers ou de troupes de plus modestes dimensions. Notre sujet exclut donc tout ce qui a trait à la marine, y compris les milices garde-côtes, circonscrites dans une limite de deux lieues de la mer et dépendantes du secrétaire d’État à la Marine. Cette exclusion ne signifie pas ignorer l’influence de la marine dans une province largement ouverte sur la mer. Il existait nécessairement des interactions entre les deux corps de troupes, en ce qui concerne le recrutement ou la délicate question du commandement de troupes composites destinées à la protection des côtes.
6De même, la maréchaussée n’a pas sa place dans cette recherche. Il s’agissait bien d’une catégorie spécifique, fondamentalement distincte du reste de l’armée par sa fonction, liée au maintien de l’ordre et à l’aide de la justice. Si les troupes réglées se voyaient parfois confier des missions de ce genre, en raison même des faibles effectifs de la maréchaussée voire de son incapacité à juguler les troubles, jamais cette dernière ne participa à de quelconques opérations militaires. Les cavaliers ont d’ailleurs déjà fait l’objet de plusieurs études privilégiant souvent l’aspect social d’un corps nécessairement inséré dans la société locale9.
7Le premier objet de cette étude est de faire le point sur l’administration de l’armée et ses répercussions dans une province intermédiaire entre les provinces marquées par les frontières terrestres et celles de l’intérieur. Les opérations militaires consécutives aux descentes ennemies seront délibérément ignorées dans leurs aspects stratégique et tactique. Ces données s’inscrivent en fait dans la défense des côtes qui englobe une stratégie particulière basée sur plusieurs lignes défensives et utilisant la profondeur. Il va de soit qu’il s’agit là de perspectives de recherche prometteuses qui s’inscriraient dans le renouvellement récent de l’histoire stratégique10.
8Cette étude se situe, quant à elle, dans la lignée d’une histoire sociale et administrative de l’armée impulsée en France par André Corvisier voilà plus de quarante ans et héritée des travaux précurseurs d’E. G. Léonard et R. Girardet. Sans éluder les données stratégiques voire tactiques, elle centre son attention sur les soldats et, plus largement, sur tous ceux qui eurent affaire à l’institution militaire. Alors que la thèse d’André Corvisier présentait un vaste panorama de la société militaire du xviiie siècle, en se plaçant à l’échelle du royaume, s’imposa par la suite la nécessité d’études plus précises, indispensables pour clarifier certains aspects. Croisant textes normatifs, contrôles des troupes et sources plus traditionnelles de l’histoire sociale, Jean-Pierre Bois analyse le destin des anciens soldats au xviiie siècle, invalides de l’Hôtel mais également pensionnés dispersés dans le royaume11. Il leur attribue un rôle déterminant dans l’amélioration de l’image du soldat au sein de l’opinion publique et l’établissement d’un lien entre l’armée et la nation.
9La première étude locale fut la thèse pionnière et magistrale de Jean Chagniot12, plus tard suivie par d’autres travaux qui se concentrèrent sur une ville ou un aspect particulier de la grande machine militaire. La thèse de Jean Chagniot est forcément particulière puisque portant sur la capitale, qui concentrait les financiers, et par conséquent les grands munitionnaires et les ressorts de l’entreprise militaire à l’échelle nationale. En outre, des troupes d’élite, ou considérées comme telles, y séjournaient à demeure : les Gardes françaises et les Suisses. Un problème crucial consistait par ailleurs à maintenir l’ordre dans cette mégapole en expansion. Enfin, Paris était le centre névralgique de la république des lettres, ce qui a donc permis à Jean Chagniot d’utiliser un important corpus imprimé pour préciser l’état de l’opinion publique vis-à-vis de l’institution militaire et des soldats.
10Dans une thèse récente, Pascal Roux a focalisé son attention sur les relations entre société civile et société militaire à Toulouse, ville typiquement de l’intérieur du royaume, peu marquée par l’armée13. Cela n’y empêchait pas l’existence d’une société militaire, constituée pour l’essentiel d’officiers. Les travaux de Pascal Roux font donc la part belle à la prosopographie alors que les aspects matériel et administratif sont moins développés. L’originalité de sa démarche consiste à suivre les destinées des officiers toulousains à travers la première décennie de la Révolution. Seul Dominique Biloghi s’est placé dans un cadre géographique provincial – le Languedoc – mais pour étudier un aspect précis de l’administration militaire, l’étape, dont il a remarquablement démonté les mécanismes14. Sa recherche éclaire également des aspects connexes de l’étape, qu’il s’agisse des différentes responsabilités exercées par les administrateurs ou des réactions des administrés et contribuables. Le propos reste néanmoins centré – et c’était bien là l’objectif de l’auteur – sur les aspects logistiques.
11Il ne s’agit pas pour nous de négliger ces précieux apports historiographiques, loin s’en faut, mais d’aborder la question de l’armée au xviiie siècle sous un angle différent qui tienne compte du caractère spécifique de la Bretagne. Province périphérique, intermédiaire du point de vue militaire, elle ne répond pas pour autant au qualificatif de rebelle. Du pitoyable complot de Pontcallec à l’affaire de Bretagne, les résistances à l’absolutisme centralisateur n’y furent finalement le fait que de la noblesse. En outre, en dehors de ces accès épidermiques et de quelques tenues d’États assez houleuses, l’administration royale ne rencontra guère plus de difficultés en Bretagne que dans les autres généralités. Certes, on observe au cours du xviiie siècle un glissement de certaines compétences qui échappent au commissaire départi au profit de l’assemblée des États, ou plutôt de son émanation gestionnaire, la commission intermédiaire. Ce transfert, autant subi que négocié par l’administration royale, ne se fit cependant pas forcément au détriment de l’État central auquel importait d’abord l’assurance de la régularité des rentrées fiscales. Dans un certain sens, la Province contribua même aux progrès de l’administration15. Le caractère particulier de pays d’États fait de la Bretagne un objet d’étude d’autant plus intéressant qu’on présenta longtemps l’assemblée bretonne comme s’opposant systématiquement à l’administration centrale. L’administration militaire constitue alors un angle d’approche intéressant, la commission intermédiaire ayant obtenu dès sa création en 1734 des compétences touchant de près à l’armée, dont la gestion demeurait, bien entendu, aux militaires ainsi qu’aux commissaires du roi. Il convient dès lors d’examiner si les conflits mettant aux prise intendant ou commandant en chef et députés bretons se retrouvent dans le domaine de l’administration militaire. Cette dernière constitue-t-elle un enjeu de pouvoir ?
12L’histoire de la Bretagne à l’époque moderne est celle d’une intégration progressive au royaume de France. Dans ce long processus, le xviiie siècle – qui commence en fait dès les années 1680 – détient une place à part. L’année 1689 se révèle à cet égard décisive quant à l’uniformisation administrative et militaire de la province. Elle voit simultanément arriver deux commissaires royaux dotés de pouvoirs étendus : un intendant et un commandant en chef. Alors que leurs prédécesseurs n’exercèrent leur pouvoir que dans le cadre d’une mission généralement précise et circonscrite dans le temps, les deux arrivants étaient nommés à demeure et bénéficiaient d’un spectre d’action assez large seulement borné par les libertés provinciales dont la portée dépendait beaucoup du rapport de force entre l’État et la noblesse bretonne. La Bretagne de 1688 frisait d’ailleurs l’anachronisme, toutes les autres provinces du royaume disposant d’un intendant permanent, souvent depuis plusieurs décennies. C’est aussi en 1689 qu’on leva pour la première fois, en Bretagne comme dans les autres généralités, la milice royale. Armée auxiliaire instituée en premier lieu pour pallier les difficultés de recrutement de l’armée réglée, elle rappelait d’autre part l’antique devoir des sujets de participer à la défense du royaume. Or, si l’on en juge par la faible propension des Bretons à s’engager dans l’armée régulière16, il est possible de voir dans la levée de cette troupe une soumission accrue au « roi de guerre ». D’ailleurs, le souverain avait clairement réaffirmé quatorze ans auparavant, lors de la révolte du Papier timbré et des Bonnets rouges, le monopole étatique de la violence à travers une répression vigoureuse menée par plusieurs milliers de soldats sous l’égide du duc de Chaulnes. Il s’agissait bien de rappeler à l’obéissance des sujets égarés et de réaffirmer l’autorité absolue du roi17. La période 1675-1689 marque donc bien un tournant qui se concrétise par l’appesantissement du pouvoir central sur la Bretagne. On conviendra alors que le choix de l’année 1689 pour première borne chronologique de notre sujet se justifie. Plus prosaïquement, cette date marque aussi le point de départ du fondd de l’intendance aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine qui, il est vrai, demeure clairsemé pour la fin du xviie siècle.
13Simultanément, la Bretagne s’intégra dans l’aire géostratégique de l’Europe du Nord-Ouest, devenant ainsi une province frontière, telle que définie plus haut. Après des décennies de paix et de prospérité relative, l’irruption de l’escadre hollandaise de l’amiral De Ruyter en 1674 marque l’aube de temps nouveaux. Quoique relativement peu touchée par les affres de la guerre, si l’on excepte les quelques descentes ennemies, la Bretagne en subit de plein fouet les conséquences. Les conflits et la suprématie maritime britannique réduisirent indéniablement les débouchés de la proto industrie toilière qui avait notamment fait la fortune des Juloded en Basse-Bretagne18. Sans généraliser les difficultés économiques – que l’on pense à Saint-Malo et, plus encore, à Nantes – il n’en reste pas moins vrai que l’intégration militaire de la province au royaume coïncida avec la fin de « l’âge d’or ». Interface maritime, la Bretagne devint une sorte de tête de pont apte à projeter des forces terrestres embarquées ou à les accueillir. Les rescapés de l’armée de Jacques II, vaincue sur la Boyne, débarquèrent à Brest à partir de l’automne 169019. À l’inverse, le corps expéditionnaire commandé par Rochambeau s’y embarqua en 1778 pour porter secours aux Insurgents américains. N’oublions pas non plus les troupes destinées aux colonies et celles, terrestres, servant à bord des navires de guerre.
14Au xviiie siècle, les progrès de la réflexion stratégique et tactique portant sur la défense des côtes, marqués par l’abondance des mémoires sur ce sujet dans la seconde moitié du siècle, traduisent incontestablement un intérêt croissant pour les frontières maritimes. Cette évolution va de pair avec l’attention accordée à la marine après les déboires de la guerre de Sept Ans. L’action volontariste impulsée par Louis XVI lui-même renforce le phénomène20. Il est par conséquent logique d’émettre l’hypothèse d’un poids croissant des contraintes militaires dans une Bretagne qui devient l’objet d’une plus grande attention. L’un des objectifs de cette étude est de la confirmer et d’en saisir les diverses implications.
15Cette évolution s’achève avec le rattachement de la Bretagne à la France du point de vue culturel par une progressive assimilation. Soulignons dans ce domaine la dualité entre l’est et l’ouest de la province. La Haute-Bretagne, où l’on use – au moins dans les campagnes – d’un idiome se rattachant aux langues d’oïl parlées dans une grande moitié nord du royaume, ne se distingue guère culturellement des espaces voisins, Maine, Anjou voire Poitou. La vraie frontière culturelle s’accorde avec la délimitation linguistique du breton, parlé approximativement à l’ouest d’une ligne reliant Plouha, près de Paimpol, à la presqu’île de Rhuys, au sud de Vannes. Fortement influencé par le français dans son vocabulaire, mais guère dans sa syntaxe, le breton demeure dans ces espaces la langue usuelle et bien souvent exclusive. Il est le vecteur et l’expression d’une culture populaire originale et vivace, souvent méprisée par les élites et nécessairement influencée par la culture dominante. Nous voilà loin de l’armée, semble-t-il. Pas nécessairement : n’est-il pas raisonnable de penser que la permanence de la langue celtique ait eu des incidences, au moins de caractère technique, sur l’enrôlement des hommes et, plus largement, sur les relations entre les habitants et les soldats ?
16S’affirment désormais les grands traits d’une problématique plurielle mais néanmoins rattachée à un tronc commun. Il s’agit d’abord pour nous de montrer l’existence en Bretagne d’une vie militaire, indépendante de la marine quoiqu’en interaction avec elle, et étroitement liée aux impératifs de la défense côtière. Différente de celle de l’Alsace ou de Paris, elle n’en est certainement pas moins digne d’intérêt. En outre, et c’est bien là le cœur du sujet, nous chercherons à appréhender ses incidences sur la population. En un siècle où se développe notablement une administration qui gagne en efficacité, le rôle de l’institution militaire ne doit pas être négligé. Il conviendra ainsi d’examiner si la gestion de la chose militaire participe de façon majeure ou marginale au mouvement de rationalisation et d’appesantissement de l’administration générale et, par conséquent, au renforcement de l’intégration de la Bretagne au royaume de France. L’approfondissement de ce type de raisonnement conduit même à poser la difficile question du patriotisme au xviiie siècle. La soumission – qui reste à prouver – aux obligations militaires aurait-elle pu favoriser l’émergence d’un patriotisme que certains spécialistes considèrent comme en germe dès le règne de Louis XIV21 ? Cette interrogation devra certes demeurer à l’esprit au long de cette étude sans toutefois en constituer la problématique centrale, tant la rareté des sources – si l’on excepte la parole des élites sociales – constitue une limite importante propre à alimenter les controverses.
17La variété des sources répond aux diverses implications de la problématique. Les correspondances administratives et les mémoires l’emportent largement. Soulignons à cet égard la complémentarité, notamment chronologique, des différents fonds consultés. Les riches dossiers des Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine permettent d’appréhender les nombreuses compétences de l’intendance en matière militaire et, à l’image de la correspondance avec le secrétaire d’État à la Guerre, abordent les sujets les plus variés. Pour les années postérieures à 1734, il s’avère néanmoins indispensable de compléter ces informations grâce aux archives de la commission intermédiaire des États, chargée du casernement et de l’étape. Les registres des délibérations de cette commission fournissent au lecteur attentif des renseignements précis et concrets, étant bien entendu qu’une consultation intégrale n’est guère envisageable. Le manuscrit de Chardel, chef de bureau de cette commission, constitue par ailleurs une source précieuse et fiable, nonobstant quelques piques à l’égard de l’absolutisme centralisateur. Les archives de la commission intermédiaire à la navigation intérieure, très semblables à celles de l’autre commission quant à leur forme, offrent des renseignements précieux sur les soldats ayant travaillé à la rectification du cours de la Vilaine dans les dernières années de l’Ancien Régime. Ajoutons que la nécessité de préciser le niveau social de certains personnages justifie le recours aux rôles de la capitation.
18Par contraste, les autres dépôts bretons sont relativement pauvres en ce qui concerne ce sujet. Les archives des subdélégations se réduisent souvent à de rares lettres ou listes, les administrateurs locaux d’Ancien Régime ayant souvent gardé une conception patrimoniale de leurs papiers. Les archives des correspondants de la commission intermédiaire sont souvent plus fournies malgré d’importantes disparités et une conservation aléatoire. Les Archives départementales de Loire-Atlantique ne s’accordent pas tout à fait avec cette description. Les papiers du subdélégué Gérard Mellier (1709-1729) sont largement conservés et éclairent significativement l’activité du personnage alors que plusieurs dossiers suivis informent précisément du casernement dans le comté nantais de 1785 à 1789. L’inégale répartition des sources locales peut par conséquent conduire à une légère surreprésentation du comté de Nantes dans les exemples évoqués.
19Les archives municipales jettent un éclairage complémentaire sur la milice bourgeoise, les fortifications mais aussi le logement des gens de guerre et le casernement. Là encore, le contraste entre les villes est patent : quelques liasses s’avèrent exploitables à propos des affaires militaires à Rennes et à Brest alors qu’elles se comptent par dizaines à Nantes ! Quant aux registres des délibérations municipales, seule une exploitation ponctuelle paraît raisonnable. Précisons par ailleurs que plusieurs articles et ouvrages, au premier rang desquels celui d’A. Dupuy, utilisent largement les archives municipales bretonnes et constituent ainsi des sources de seconde main appréciables.
20Alors que la série C des Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine comprend peu de documents antérieurs à 1715, les Archives Nationales offrent des ressources importantes grâce à la sous-série G 7 (correspondance du contrôleur général des finances avec les intendants). A. M. de Boislisle et J. Letaconnoux en ont sélectionné des extraits, ce qui offre une solide base de départ. La sous-série H 1 consiste surtout en mémoires variés et regroupe toutes les instructions de Versailles aux commissaires du roi pour les tenues d’États. La pratique et l’idéologie du pouvoir central y apparaissent donc clairement alors que les remontrances de la Province renseignent au contraire sur l’opinion des députés bretons.
21À Vincennes, la correspondance du secrétaire d’État à la Guerre se révèle surtout utile pour le règne de Louis XIV et quelques événements précis (comme la descente anglaise de 1746), les lettres de la seconde moitié du xviiie siècle évoquant principalement la défense côtière. Il en va de même de la série « Mémoires et reconnaissances » qui offre cependant des informations essentielles sur le positionnement des troupes, leurs déplacements et la constitution de camps. L’examen de quelques cartes permet de compléter utilement ces données. Enfin, les contrôles de troupes, utilisables aisément grâce au répertoire établi par André Corvisier, rendent possible l’étude du recrutement de l’armée en Bretagne.
22Si les sources détaillées plus haut constituent l’immense majorité du corpus utilisé pour cette étude, l’éclairage de quelques points particuliers a rendu nécessaire le recours à des documents complémentaires. Les procès-verbaux d’instruction (série B) apportent des précisions sur les crimes et délits voire, incidemment, sur certains aspects de la vie des soldats. Les déclarations de grossesse autorisent un traitement sériel visant à déterminer la responsabilité des militaires dans les naissances illégitimes. Enfin, la nécessité de cerner l’opinion publique explique le recours aux témoignages que constituent les livres de raison, et aux cahiers de doléances. Les chansons populaires, recueillies en grand nombre, particulièrement en Basse-Bretagne, sont également susceptibles d’apporter des enseignements intéressants. Cette étude accordant une place importante aux relations entre l’armée et la société civile, il est finalement logique que les sources d’administration militaire laissent une place à d’autres sources ayant a priori un lien plus ténu avec l’armée.
23Le sujet de recherche comporte enfin plusieurs axes complémentaires. Le premier consiste à déterminer les principaux acteurs intervenant dans les affaires militaires en Bretagne et à préciser autant que possible leur rôle. À l’échelle provinciale s’imposent les deux commissaires du roi, intendant et commandant en chef, et les États de Bretagne. Les deux premiers sont intimement liés, apparaissant en même temps sur la scène bretonne, en 1689. Par la suite, l’opposition des États ou du parlement comme le jeu des coteries gravitant à la Cour de Louis XV entraînèrent une adéquation politique de plus en plus nette entre les deux commissaires. Ce fut particulièrement frappant à l’issue de l’affaire de Bretagne. Le départ de Flesselles précéda de quelques mois la démission du duc d’Aiguillon. D’Agay, remplaçant du premier, fut bien vite présenté comme la « créature » du nouveau commandant, le duc de Duras22. Deux ans plus tard, leur départ intervint simultanément et les nominations des titulaires des deux commissions coïncidèrent ensuite jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Reste, en ce qui concerne l’administration militaire, à déterminer le rôle de chacun alors que la Bretagne ne connut pas la présence d’intendant d’armée23. N’oublions pas un troisième personnage, le plus prestigieux, à défaut d’exercer des pouvoirs notables : le gouverneur. Les études historiques s’échelonnant des années 1960 à nos jours concluent généralement à l’effacement presque total de ces grands nobles au xviiie siècle. Cela aurait pu nous conduire à les passer sous silence. Plusieurs faits militaient cependant contre cette éventualité. Il s’agissait d’une part du rang éminent des deux principaux titulaires du siècle, princes du sang issus en droite ligne de Louis XIV. D’autre part, le nombre de missives écrites par les différents intendants au duc de Penthièvre et la présence de ce gouverneur lors d’une des principales descentes ennemies, celle de 1746, nous conduisirent à prendre en compte cette fonction d’autant que les liens traditionnels de fidélité lui conservaient une influence indéniable. Quant aux États, les limiter au rôle d’agitateurs et d’obstacles à l’absolutisme reviendrait à négliger leur action administrative, menée à travers la commission intermédiaire. Cette dernière se montra active en matière de fiscalité, en particulier pour des impôts théoriquement destinés en exclusivité à l’entretien de l’armée, comme ceux de la milice et du casernement. Elle intervenait également dans la gestion matérielle des casernes. Cette administration décentralisée, en quelque sorte, fonctionnait-elle de façon satisfaisante ? Des heurts se produisaient-ils avec les agents du pouvoir central ? La gestion de l’armée constituait-elle un enjeu de pouvoir entre les commissaires du roi et la Province ? Voilà quelques questions à ne point éluder.
24À l’échelle locale, dans les lieux de passage, intervenaient les agents, essentiellement bénévoles, des autorités évoquées plus haut24. Toutefois, moins de deux cents hommes souvent occupés par leurs propres affaires, et de compétence variable, ne pouvaient suffire, même si ce quadrillage administratif était plus dense que dans bien d’autres provinces françaises25. Les impératifs de la gestion quotidienne de la chose militaire nécessitaient par conséquent la contribution des responsables paroissiaux et municipaux. On connaît en partie leur rôle d’agents supplétifs de l’administration fiscale mais beaucoup moins l’aide qu’ils apportèrent dans les villes et villages au fonctionnement de la lourde machine militaire. Il paraît plus difficile, en revanche, de considérer recteurs et vicaires comme des auxiliaires de l’administration militaire. Leur action en la matière, comme en d’autres domaines ressortissant à l’État, consista pour l’essentiel à informer la population des ordonnances. Cette recherche doit aussi être l’occasion de préciser les attributions de personnages rarement étudiés, pour la période postérieure à 1650 du moins, les gouverneurs de villes et lieutenants de roi. La rationalisation de l’appareil militaire comme la démilitarisation de nombreuses cités militent en faveur de l’effacement de leur pouvoir. Il importe cependant de le vérifier. Quant aux officiers de l’armée, ils apparaîtront naturellement au fil du propos dans de nombreuses affaires ; il ne semblait guère pertinent de leur consacrer une étude particulière car un capitaine commandait sa compagnie de la même manière en Bretagne, en Provence ou en Auvergne.
25Une fois établie la revue des principaux acteurs, de leurs attributions et de leur action effective, quoi de plus naturel que de les voir à l’œuvre dans la gestion des affaires militaires ? Le système des étapes et les camps établis en Bretagne se prêtent bien à cette observation. À chaque fois interviennent la plupart des responsables et agents précités mais dans le premier cas il s’agit d’une gestion quotidienne ou presque, des soldats se déplaçant en permanence à travers la province, qu’il s’agisse d’un invalide isolé ou d’un régiment entier ; dans le second cas, s’impose le caractère exceptionnel de rassemblements importants qui posent des problèmes spécifiques. Précisons bien que l’objectif reste d’analyser les relations entre les différents acteurs et l’efficacité du système. En aucun cas, nous ne prétendrons nous livrer à une étude complète du système de l’étape en Bretagne, à l’image de celle effectuée par Dominique Biloghi pour le Languedoc.
26Les populations de l’époque moderne entretinrent des relations variées avec l’institution militaire. Pour celles qui vécurent dans les espaces de conflits au « Siècle de fer », l’armée signifiait uniquement violences et exactions. Les Bretons du xviiie siècle, époque de domestication du soldat, ne connaissaient de l’armée que les charges qu’elle faisait peser sur eux, et les troupes en séjour. Les charges et obligations militaires doivent toutefois être abordées sous un angle particulier. Les pittoresques anecdotes rapportées par les érudits du xixe et du début du xxe siècle constituent des sources utiles mais guère davantage. Nous nous placerons également dans une optique différente de celle d’Alain de Goué qui voici près d’un siècle dressa la liste quasi exhaustive des obligations des Bretons envers l’armée dans une thèse de droit principalement normative, largement basée sur les règlements officiels et s’appuyant pour l’essentiel sur des sources parisiennes26. Or, les historiens actuels relativisent de plus en plus la portée et l’application des ordonnances d’Ancien Régime, la réitération de nombre d’entre elles en illustrant les limites. Afin d’éviter de prendre la volonté du législateur pour argent comptant et de la substituer à la réalité, il importe donc de se situer au plus près du terrain. Considérons, par exemple, les fournitures de charrettes et d’animaux de trait aux troupes. On mesurera plus sûrement leur impact en étudiant le poids réel des réquisitions, les contraintes matérielles et financières du procédé qu’en s’attachant aux ordonnances décrivant le chargement des voitures.
27Les contraintes militaires regroupaient les fournitures en hommes, les fournitures matérielles et les prélèvements fiscaux dont certains étaient clairement identifiés comme destinés à l’armée. Les levées d’hommes pour l’armée réglée ou d’autres formations aux origines souvent médiévales sont indissociables du concept de devoir militaire. Encore faut-il distinguer l’antique obéissance au souverain ou au seigneur, qui préside aux rassemblements du ban mais aussi à la création de la milice royale27, des premières étincelles de patriotisme à l’origine de la flambée de la période révolutionnaire. La ligne directrice de cette seconde partie restera néanmoins toujours l’évaluation du poids des contraintes et de la situation sociale des personnes concernées. Les comportements observés ne peuvent, en outre, qu’apporter des indications pour la problématique générale.
28Une démarche semblable s’impose au sujet des fournitures matérielles et des contraintes fiscales et, plus généralement, financières. Sans perdre de vue l’action des différents acteurs décrits dans la première partie, on s’attachera à mesurer ces contributions en mettant en exergue les inévitables contrastes géographiques et sociaux. Il est important, en outre, d’évaluer le degré d’efficacité des divers recrutements et réquisitions. Un fonctionnement régulier remplissant globalement les objectifs prévus traduit une certaine victoire de l’administration et au moins la résignation des contribuables, à défaut de leur acceptation des prélèvements. À l’inverse, un fonctionnement plus chaotique, fréquemment perturbé par des résistances multiples, illustre des structures administratives encore fragiles largement étayées par la puissance coercitive de l’État.
29Les développements précédents auront mis en scène la population et certaines de ses réactions vis-à-vis des contraintes militaires. On ne peut pourtant pas s’en tenir là. S’impose en effet la nécessité d’une analyse plus approfondie des relations entre les Bretons et l’armée. Par-delà des gestes et des attitudes qui traduisent l’état d’esprit des individus concernés, tout en laissant parfois planer un doute sur leurs motivations profondes, l’examen minutieux d’une opinion publique émergente permettra de mieux appréhender le sentiment des Bretons à l’encontre de l’institution militaire et de ses obligations. Une telle étude ne peut passer que par l’utilisation de toutes les sources disponibles rendant compte autant de la parole des élites que de celle du peuple, dans la mesure du possible. Dans cet ensemble, la littérature, en particulier celle ayant fleuri sur le terreau des Lumières, ne fournirait que de piètres ressources, les ouvrages évoquant l’armée ayant été dans leur écrasante majorité publiés à Paris ou à l’étranger mais pratiquement jamais en Bretagne. Dans ces conditions, il semble parfaitement inutile de refaire le travail de J. Chagniot, par ailleurs exécuté de main de maître. La réhabilitation du soldat dans la littérature ne faisant pas de doute, reste à en saisir la traduction – ou son absence – sur le terrain, dans les relations habituelles entre le civil et le porteur d’uniforme. Se pose d’ailleurs à cet égard l’épineuse question du mouvement ascendant ou descendant des idées, véritable nœud gordien que nous n’aurons pas la prétention de trancher28. Établir une concordance ou une discordance entre les écrits des penseurs militaires et l’opinion populaire constituerait déjà un pas important.
30Si le xviiie siècle se prête à des recherches sur les relations entre société civile et société militaire, c’est surtout parce que s’affirme une dissociation plus nette entre ces deux ensembles. Le processus de dressage et d’enfermement mis en évidence par Michel Foucault29 concerne aussi le soldat. Certes, les casernes, particulièrement en Bretagne, n’étaient jamais des prisons et les automates armés défilant au son du tambour lors de grandioses parades redevenaient vite des êtres de chair et de sang ; il n’en reste pas moins vrai que l’état militaire affirma progressivement sa spécificité. Nous nous proposons ainsi de rechercher l’influence de cette société en pleine affirmation sur les paysages, de préférence urbains, mais également dans les esprits, sans perdre de vue la symbiose indispensable entre monde civil et monde militaire. L’état militaire n’était en effet pas forcément définitif. Alors que les soudards du xviie siècle n’avaient bien souvent comme perspective au sortir de l’armée que le brigandage ou la mendicité, leurs successeurs se réinséraient quelquefois dans la société civile, l’établissement de pensions pour les invalides y contribuant notablement30.
31Les grands axes définis plus haut expliquent le plan choisi. Toutefois, si les trois grandes parties découlent logiquement de la problématique, l’articulation interne à chacune ne s’imposait pas toujours d’elle-même et nécessitait certains choix. La première partie s’attache à préciser les acteurs des affaires militaires, des commissaires du roi aux États de Bretagne. Il s’agit là non seulement de planter le décor mais également de définir les attributions et le rôle de chacun, démarche indispensable pour appréhender la place de l’armée dans la province. Cet examen nécessite de se situer à différentes échelles, de la province dans son ensemble à la ville voire à la simple paroisse. Toutefois, même éclairée d’exemples significatifs, une telle recherche prend vite un caractère énumératif. Il semblait par conséquent judicieux de choisir certains aspects de la machine militaire pour mettre en scène le plus concrètement possible les différents acteurs précédemment identifiés. Le choix, pour ce troisième chapitre, de l’étape et des camps a le double mérite de faire intervenir tous les acteurs et de ne pas trop déflorer la question des réquisitions auprès des particuliers.
32La deuxième partie développe les charges et fournitures militaires, qui constituaient pour la population le principal sinon le seul lien avec l’armée. Une distinction s’impose néanmoins entre les fournitures en hommes, qui prennent l’aspect du recrutement volontaire comme de rassemblements davantage issus de la contrainte, les réquisitions de matériel et de logements, et enfin les charges financières, notamment fiscales.
33La délimitation de la deuxième partie présentait une difficulté. Les réquisitions en faveur de l’armée se heurtaient fréquemment à la mauvaise volonté des contribuables et suscitaient des résistances. Fallait-il évoquer ces aspects ou les réserver pour l’étude de l’opinion publique ? Nous avons choisi la deuxième solution, à quelques exceptions près. En effet, les milices bourgeoises comme le ban ne concernaient pas tout le monde, loin s’en faut, et en déterminer les implications réelles nécessite de préciser les exemptions et les diverses actions visant à échapper au service.
34La troisième et dernière partie s’attache à cerner l’opinion et les réactions de la population bretonne vis-à-vis de l’institution militaire et de ceux qui la constituent, à savoir les soldats. L’étude de l’opinion publique comme du comportement et des missions du militaire y trouve naturellement sa place. Il a semblé judicieux d’achever cette étude par un examen de la place de l’armée en Bretagne, au-delà des contraintes matérielles. Influence sur le paysage, en particulier urbain, définition d’une géographie spécifique et enfin influence sur une société civile spécifique, notamment en Basse-Bretagne. L’étude des projets de casernes permanentes et des rares réalisations trouve ici sa place car cet aspect révèle les aspirations des populations et la place de l’armée dans la ville, et ne concerne qu’indirectement les réquisitions.
35Le plan adopté détermine une étude transversale à plusieurs éléments concernant l’administration et la société militaires. On ne s’étonnera donc point d’une certaine osmose entre des passages inclus dans des chapitres et même des parties différents. Nous nous sommes cependant efforcés d’éviter l’écueil d’exemples redondants et d’inutiles répétitions. L’exemple de la milice provinciale va éclairer notre propos. Il était parfaitement envisageable dans le cadre de cette recherche de consacrer un chapitre à la milice royale en détaillant toute son organisation et les réactions enregistrées à son égard. Toutefois, nous aurions alors dérogé aux implications de la problématique. C’est pourquoi l’institution de la milice sera évoquée dans les trois parties de cette étude. Dans la première partie, nous nous pencherons sur la mise en place de la levée et le rôle fondamental de l’intendant et de ses subordonnés. La deuxième partie s’attachera à évaluer le poids des levées de milice et les difficultés rencontrées alors que l’opinion de la population à son égard trouvera naturellement sa place dans la troisième partie. Le caractère problématique plus qu’analytique de cette étude explique et justifie par conséquent cette particularité.
36Dans une province périphérique en cours d’assimilation, l’institution militaire joua certainement un rôle que les pages suivantes vont s’attacher à préciser. Se situant délibérément dans la lignée de l’histoire militaire impulsée par André Corvisier voici plus de quarante ans, cette étude se veut ainsi à la confluence des histoires militaire, administrative, sociale, économique et des mentalités. Puisse-t-elle contribuer à une meilleure connaissance des liens complexes entre armée et société civile sous l’Ancien Régime et redonner la parole aux acteurs, célèbres ou oubliés, de cette histoire ancrée dans le quotidien.
Notes de bas de page
1 J. Cornette, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, 2000, p. 34 et 40-44.
2 L. Bély, La France moderne 1498-1789, Paris, PUF, 1994, rééd. 1999, p. 455, 458-459 et 517.
3 B. Pocquet, Histoire de Bretagne, Rennes, Plihon, 1913, t. 5, p. 565-567.
4 Cl. Nières, « La Bretagne, province frontière : quelques remarques », MSHAB, 1981, n° 58, p. 183-196.
5 La Bretagne dépendit du secrétaire d’État aux Affaires Étrangères de 1699 à 1715 puis de La Vrillière, de Saint-Florentin et de la Maison du Roi jusqu’en 1789. Inventaire de la sous-série G7 des Archives nationales.
6 J. Le Corre, La défense des côtes bretonnes et les principes tactiques de la guerre littorale de 1689 à 1789, DEA, J.-P. Bois
(dir.), Nantes, 1998, p. 105-106.
7 J. Chagniot, Guerre et société à l’époque moderne, Paris, PUF, 2001, chapitre XI.
8 G. Minois, Nouvelle histoire de la Bretagne, Paris, Fayard, 1993, p. 512-513 et 523.
9 E. Hestault, La maréchaussée dans la lieutenance de Nantes à la fin de l’Ancien Régime (1770-1790), maîtrise, J.-P. Bois (dir.), Nantes, 1992, 2 vol ; P. Brouillet, La maréchaussée dans la généralité de Paris au xviiie siècle, étude institutionnelle et sociale, thèse dactylographiée, EPHE, 2002.
10 Sur ce sujet, il faut signaler le mémoire de DEA de Jérôme Le Corre, soutenu à Nantes en 1998. J. Le Corre, op. cit.
11 J.-P. Bois, Les anciens soldats dans la société française au xviiie siècle, Paris, Economica, 1990.
12 J. Chagniot, Paris et l’armée au xviiie siècle. Étude sociale et politique, Paris, Economica, 1985.
13 P. Roux, Société militaire, société civile à Toulouse au xviiie siècle : de l’Ancien Régime à la Révolution (vers 1740-1799), thèse dactylographiée, Toulouse-Le Mirail, 1998, 3 vol.
14 D. Biloghi, Logistique et Ancien Régime. De l’étape royale à l’étape languedocienne, Montpellier, Université Paul-Valéry, 1998.
15 C’est l’originalité de la thèse de Marie-Laure Legay de traiter les relations entre pouvoir central et assemblées provinciales sous cet angle. Toutefois, l’auteur étudie essentiellement les États du Nord de la France et se montre plus circonspecte en ce qui concerne la Bretagne, la référence sur les États bretons demeurant l’austère mais précieux travail d’Armand Rébillon. M.-L. Legay, Les États provinciaux dans la construction de l’État moderne aux xviie et xviiie siècles, Genève, Droz, 2001.
16 A. Corvisier, L’armée française de la fin du xviie siècle au ministère de Choiseul. Le soldat, Paris, PUF, 1964, t. 1, p. 415-417. Certes, les contrôles de troupes sur lesquels s’appuie André Corvisier pour son étude ne sont pas antérieurs à 1716, si l’on excepte les Gardes françaises, mais il est peu probable que les Bretons aient été beaucoup plus nombreux dans l’armée réglée à la fin du xviie siècle.
17 J. Cornette, op. cit., p. 88-90.
18 L. Élégoët, Les Juloded. Grandeur et décadence d’une caste en Basse-Bretagne, Rennes, PUR, 1996.
19 SHAT, A1 961, correspondance.
20 E. Taillemite, Louis XVI ou le navigateur immobile, Paris, Payot, 2002.
21 A. Corvisier, L’armée française…, op. cit., t. 1, p. 102-107.
22 Comte de Mirabeau, Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon, pair de France, et de son commandement en Bretagne. Pour servir à l’histoire de la fin du règne de Louis XV et à celle du commencement du règne de Louis XVI, Paris, 1790, p. 48.
23 Dans certaines provinces frontières, comme l’Alsace, le commissaire départi était aussi intendant d’armée, ce qui renforçait ses capacités d’intervention dans les affaires militaires.
24 Il est juste de parler de bénévolat puisque ces fonctions n’étaient pas rétribuées mais des privilèges importants y étaient liés.
25 Pour l’ensemble du royaume, Joël Cornette évalue à un nombre variant de 50 à 100 le nombre de paroisses administrées par chaque subdélégué. En Bretagne, chacun ne s’occupa que rarement de plus de 20 paroisses. J. Cornette, Absolutisme et Lumières 1652-1783, Paris, Hachette, 2000, p. 58. H. Fréville, L’intendance de Bretagne 1689-1790, Rennes, Plihon, 1953, t. 1, p. 112 ; t. 2, p. 22.
26 A. de Goué, Les charges et obligations militaires de la Bretagne depuis la fin du xvie siècle jusqu’en 1789, Paris, A. Rousseau, 1906.
27 G. Daniel, Histoire de la milice françoise et des changemens qui s’y sont faits depuis l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules jusqu’à la fin du règne de Louis le Grand, Paris, Saugrain, 1728, 2 vol.
28 Jean Nicolas a récemment posé le problème à propos de l’esprit de contestation et de révolte. Plus généralement se pose la question des influences réciproques entre opinion éclairée et opinion populaire. J. Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale 1661-1789, Paris, Seuil, 2002, p. 540-541.
29 M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, rééd. 1993.
30 J.-P. Bois, op. cit., p. 75-88.
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L'armée en Bretagne au XVIIIe siècle
Ce livre est cité par
- (2021) Les campagnes françaises à l'époque moderne. DOI: 10.3917/arco.charp.2021.01.0333
- (2018) Histoire militaire de la France. DOI: 10.3917/perri.drevi.2018.02.0835
- Cicchini, Marco. (2012) La police de la République. DOI: 10.4000/books.pur.127716
- Lemesle, Hélène. (2010) Réglementer l'achat public en France (xviiie-xixe siècle). Genèses, n° 80. DOI: 10.3917/gen.080.0008
L'armée en Bretagne au XVIIIe siècle
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