Libraires, francs-maçons et huguenots
Écrire, imprimer et diffuser le livre maçonnique dans la première moitié du xviiie siècle
p. 255-275
Texte intégral
« Mon lecteur me sçaura peut-être bon gré si je le régale d’un Discours prononcé il y a quelque tems à la réception d’un grand prince. Il n’a pas été encore imprimé, & ce seroit dommage qu’il ne le fût pas. Je vais le traduire de mon mieux de l’allemand en françois. »
[La Beaumelle], La Spectatrice danoise, Amusement XVIII, vol. 1, décembre 1748, p. 142.
1Au cours des années 1740, la franc-maçonnerie conquiert l’Europe et déploie ses fondations dans les espaces coloniaux1 : « Il y en a [des loges maçonniques] à Lyon, à Caen, à Bordeaux, à Rouen, à Marseille, à Nantes, à Montpellier, à Avignon, à Turin. Les Anglais et les Hollandais zélés partisans de cette société l’ont portée avec leur commerce dans les régions les plus éloignées, de sorte qu’il y a des fr. Maçons à Constantinople et dans toutes les échelles du Levant, dans les Indes, à l’Amérique, à la Chine, même jusque dans le Japon2. » Devant la multiplication des loges, l’émoi qu’elle suscite auprès des autorités politiques et religieuses3, et les rumeurs les plus folles qui courent à propos du secret des francs-maçons, le public a soif de nouvelles et se rue sur les révélations que lui promettent libraires-imprimeurs et journaux.
2 Le 29 avril 1745, à Zurich, le numéro 17 des Donnstags-Nachrichten (Nouvelles du jeudi) annonce à ses lecteurs que la traduction allemande du livre à succès de l’abbé Pérau, L’ordre des francs-maçons trahi et le secret des Mopses révélé4, publiée quelques semaines plus tôt à Francfort et à Leipzig sous le titre Der verrathene Orden der Freymäurer, und das offenbarte Geheimniss der Mopsgesellschaft est désormais disponible chez le libraire Heidegger et Cie (ill. 9). Le périodique zurichois précise qu’outre Le Secret de l’abbé Pérau, le lecteur y trouvera notamment de la musique et des chansons maçonniques françaises et allemandes, la cérémonie de réception de maître maçon, d’autres textes de divulgation, ainsi que le secret des Mopses dévoilé. L’année suivante, un titre chassant l’autre, c’est au tour du Franc-maçon dans la République publié à Francfort-sur-le-Main et à Leipzig de faire l’actualité5. Aussi, lorsqu’en 1747 paraît à Francfort une (nouvelle) Défense Apologétique des Francs-Maçons. Contre les cinq Discours des R.R. P.P.… Missionnaires… Par Frère…, chez Rudolf Fisscher, l’éditeur décide d’anticiper les critiques en insérant une préface : « Le public doit étre si fatigué des diverses Brochures qui paroissent depuis quelques années, pour & contre la Société des Francs-Maçons, & de celles qui ont eu pour but de dévoiler leurs Mistères6. » Et de citer : « Le Catechisme des Francs-Maçons ; Le parfait Maçon ; L’Ordre des Francs-Maçons trahi ; Histoire des Francs-Maçons ; Relation de l’Établissement de la Société des Francs-Maçons ; les Francs-Maçons écrasés, & c.7. »
3De fait, les années 1740 voient une explosion du nombre de titres en langue française consacrés à la franc-maçonnerie, dont les reprises et traductions allemandes accompagnent et suivent l’expansion de l’ordre à travers le continent européen : des Provinces-Unies au Saint-Empire, de la Scandinavie aux Cantons suisses. Comme le préfacier l’a bien saisi, ces ouvrages relèvent de trois types : des textes de divulgation qui visent un public curieux de découvrir ce qui se passe dans le retrait des temples ; des écrits anti-maçonniques ; des apologies de l’ordre en réponse aux précédents et à la vague de condamnations qui frappe alors l’Art Royal8. Par commodité, je les intègre ici dans la catégorie « livres maçonniques », sachant que les apologies de l’ordre produites par les francs-maçons sont à destination du public non-maçon, et que les francs-maçons eux-mêmes font grande consommation de textes de divulgation produits par des profanes ou des anciens maçons, mais pour chacun je préciserai auquel des trois types appartient le titre considéré.
4La presse périodique et les nouvelles à la main s’émeuvent elles aussi du succès de l’ordre et les réactions de curiosité, d’hostilité ou de soutien y sont nombreuses. Citons à titre d’exemple le périodique berlinois Vossische Zeitung (Journal de Voss) qui, le 22 mars 1737, insère une correspondance anonyme de Paris : « La société des francs-maçons est ici assez développée : on compte au moins cinq ateliers fréquentés par la noblesse la plus haute. On peut prévoir que comme en Hollande9, elle fera fureur car bien que les projets et activités de tels rassemblements soient innocents et ridicules, voire infantiles, ils sont suspects dans une monarchie et défavorables car érigés contre le savoir et la permission du souverain10. » Le journal est manifestement bien informé à la fois du recrutement aristocratique des loges parisiennes11, et des difficultés que rencontre alors l’ordre en France : deux jours plus tôt, le chevalier Andrew Ramsay, disciple et continuateur de Fénelon, a soumis au cardinal Fleury le texte du Discours qui fonde la dimension chrétienne et chevaleresque de l’ordre, dans l’espoir d’obtenir la protection royale, en vain. Quelques semaines plus tard, le principal ministre de Louis XV fait connaître le déplaisir du roi – en fait le sien – et invite les francs-maçons à ne plus se réunir. Il n’y a cependant rien d’exceptionnel à cette attention au fait maçonnique. Dès les années 1720, la presse périodique européenne suit de près les succès et les mésaventures de l’ordre, qui n’ont rien de secret, et se fait l’écho des réceptions de grands noms. Toujours en 1737, le lieutenant-général de police de Paris espère précisément ternir la réputation de l’Art Royal en favorisant la publication et la diffusion d’un écrit de divulgation où il insère des pièces saisies lors d’une descente de police dans le temple de la loge Coustos-Villeroy12. C’est également en 1737 que la franc-maçonnerie se montre plus visible en Allemagne, avec la fondation d’une loge à Hambourg, qui devient par la suite Absalom13. D’emblée, l’essor de la franc-maçonnerie et ses reflux temporaires sont intimement liés à la circulation transnationale des informations à son sujet, et notamment au succès européen d’un écrit de divulgation de Samuel Pritchard : la Masonry dissected (La Maçonnerie disséquée) de 173014, dont une traduction française circule avant 1743, et qui sert de référence aux titres que j’étudie ci-après, même lorsque leurs auteurs s’en défendent15.
5Depuis le début du xviiie siècle, le succès de la franc-maçonnerie en matière d’édition ne s’est jamais démenti puisque les bibliographies classiques de Georg Kloss et d’August Wolfstieg répertorient des dizaines de milliers de titres et qu’Alexander Piatigorsky estime à près de 60 000 titres le total des publications sur le sujet16. Qu’il s’agisse de divulgations, de condamnations, ou d’apologies, ces livres sont essentiels pour comprendre à la fois la diffusion rapide de l’ordre jusqu’aux confins de l’Europe et dans le monde colonial, l’homogénéisation assez remarquable des pratiques, du lexique et des valeurs parmi les milliers de loges créées dans l’Europe des Lumières, alors même que l’Art Royal n’est la plupart du temps pas officiellement reconnu, mais seulement toléré. Parfois protégé comme en Prusse, en Suède ou au Danemark, il est dans d’autres aires temporairement (Hollande) ou durablement (Espagne, Portugal, États pontificaux) interdit. Les correspondances institutionnelles internes des loges et les correspondances particulières des frères témoignent de l’importance de l’enjeu que représente alors le livre maçonnique. On s’y tient informé des nouveautés de librairies, on déplore les divulgations de ceux qui « font commerce de Maçonnerie », mais on indique aussi les dernières acquisitions que l’on vient de faire. En effet, les francs-maçons du xviiie siècle ont compris que si la culture traditionnelle de l’ordre est orale et la transmission d’initié à initié, sans mise par écrit pour éviter les profanations17, en revanche la croissance de la franc-maçonnerie rend indispensable sa conversion à une culture écrite : les catéchismes et les rituels doivent être consignés par écrit, sous peine d’altération au fil des transmissions et des récitations. Or, faute de toujours disposer de supports écrits propres, les francs-maçons sont parfois contraints d’utiliser des textes de divulgation pour connaître leurs catéchismes et leurs rituels. Aux Provinces-Unies, Bernard Picart le reconnaît lui-même à propos de Masonry Dissected. L’ouvrage comporte des erreurs, pourtant c’est sur lui qu’il se fonde pour évoquer le serment des francs-maçons dans ses Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, ouvrage majeur du siècle des Lumières à propos duquel Lynn Hunt, Margaret Jacob et Wijnand Mijnhardt ont récemment affirmé qu’« il avait changé l’Europe18 ».
« Le voici, tel que le rapporte un petit écrit fort obscur et fort équivoque, imprimé trois ou quatre fois à Londres sous le titre de Massonry dissected etc. c’est-à-dire mot à mot, Anatomie de la Massonerie, où l’on donne la description de ses mystères, de la manière dont on y est admis, des branches de cette Confrérie etc. [ : ] “Je fais vœu et serment en présence de Dieu tout puissant et de cette très vénérable assemblée, que je ne révélerai jamais les secrets de la Confrérie des Massons, ni rien de ce qui me sera communiqué par elle ; que je ne m’entretiendrai jamais avec personne excepté 1. Avec tel fidèle et légitime frère Masson, en la compagnie duquel je me trouverai : et cela seulement après qu’il aura été dûment examiné et reconnu comme fidèle et légitime membre de la Confrérie. 2. Excepté encore, et moyennant que je me trouve avec lui dans une loge suffisamment reconnue pour légitime et bien ordonnée. Je jure aussi de ne divulguer jamais ces secrets de quelque autre manière que ce soit ; comme par écriture, ou impression, gravure et peinture, par des signes et des caractères etc. qu’autant qu’il dépendra de moi, je ne permettrai point, ni n’occasionnerai la révélation de ces secrets par aucun de ces moyens… et je consens qu’au cas que je viole mon serment, on me coupe la gorge, on m’arrache la langue et le cœur, et qu’on les jette bien loin du rivage dans les sables de la mer ; que mon corps soit brûlé et réduit en cendres ; que ces cendres soient répandues sur la terre, et qu’il ne soit jamais fait aucune mention de moi dans la Confrérie des Massons.
Au reste je crois qu’on doit faire peu de cas de ce que rapporte ce petit écrit, qui ne contient guère que des extravagances et de lourdes fautes : par exemple, il fait d’Euclide un mathématicien d’Égypte et de Charles Marcil (il a voulu dire Charles Martel) un roi de France. On pourra dire que ces fautes sont volontaires, et peut-être ajoutera-t-on qu’elles cachent des mystères et des secrets. Pour moi je mets ces bévues au rang de celles qu’on trouve dans le petit Albert, dans le Picatrix et dans la Clavicule de Salomon etc. et je crois que ce serait perdre son temps et celui de ses lecteurs que de remplir cette note de pareilles extravagances affectées pour duper les simples, et que les bonnes gens en Angleterre en Hollande et sans doute ailleurs ont bien pu se résoudre de regarder comme dignes de leur censure19”. »
6À La Haye, le grand secrétaire de la Grande Loge lui-même n’hésite pas à revendre aux secrétaires des loges de son obédience des exemplaires de ce texte de divulgation20. Il est rapidement imité un peu partout en Europe, où de jeunes initiés se voient aussi remettre de tels ouvrages pour parfaire leur connaissance de l’ordre, alors qu’au sens propre il s’agit de « profanations » du secret maçonnique.
7Le livre maçonnique s’inscrit donc dans la problématique des circulations du livre en Europe au xviiie siècle, avec ses contraintes matérielles, ses enjeux de librairie, ses intermédiaires, ses conflits entre les intérêts des différents acteurs du marché, ses coups de publicité et ses interdits. Les francs-maçons sont collectionneurs, bibliophiles, et conformément au Discours fondateur du chevalier Ramsay, ils se donnent pour objectif « de réunir tous les hommes d’un esprit éclairé, de mœurs douces et d’une humeur agréable, non seulement par l’amour des Beaux-Arts, mais encore plus par les grands principes de vertu, de science, de religion, où l’intérêt de la Confraternité devient celui du genre humain tout entier, où toutes les nations peuvent puiser des connaissances solides, et où tous les sujets de tous les royaumes peuvent apprendre à se chérir mutuellement sans renoncer à leur patrie […] On créera un Peuple nouveau qui, étant composé de plusieurs nations, les cimentera toutes en quelque sorte par le lien de la vertu et de la science21 ». On comprend alors pourquoi l’un des pionniers de l’Art Royal en France, Bertin du Rocheret, connu pour sa remarquable collection de nouvelles à la main, collectionne toutes les traces périodiques et écrits sur l’ordre qu’il peut glaner22. À Stettin, le pasteur huguenot du Refuge Jacques Pérard, disciple de Jean Henry Samuel Formey, fait de même, et se ruine23. Les correspondances individuelles entre frères et entre les loges, favorisent la circulation à la fois des informations et des supports imprimés – périodiques, livres – comme iconographiques – gravures, dioramas24. Mais les francs-maçons ne se contentent pas de s’informer sur leur ordre et son actualité, ils produisent eux-mêmes et publient des écrits sur la franc-maçonnerie, pour en défendre leur conception, répondre aux écrits de divulgation ou antimaçonniques, dans des apologies de l’ordre. Ces entreprises éditoriales mobilisent des réseaux de diffusion et de distribution du livre, notamment entre les Provinces-Unies, centre de gravité de la librairie francophone, et le Saint-Empire avec les places majeures que sont Francfort-sur-le-Main et Leipzig, avec leurs foires du livre. Les auteurs, libraires-imprimeurs et intermédiaires du livre comme les pionniers de la franc-maçonnerie sur le continent sont souvent des huguenots ou des tiers insérés dans les réseaux de correspondance, d’échange et d’entraide de la nébuleuse huguenote25. C’est pourquoi j’opterai ici pour une approche en termes de circulations, mais ouverte aux apports de l’étude des transferts culturels, car le livre maçonnique véhicule et nourrit des modes, des références. Il participe à l’appropriation de nouveaux comportements dans la sphère sociable, et ses circulations ne font sens que restituées dans un environnement très particulier, celui des francs-maçons de la nébuleuse huguenote actifs dans le monde de la librairie, dont la triple appartenance tisse un maillage extrêmement fin, où réseaux de correspondance et espaces relationnels peuvent s’épanouir et se reconfigurer autour de projets savants. Le livre maçonnique francophone est donc à la fois vecteur et creuset26.
Entre traduction, édition de sources à usage interne, et publication : une initiative éditoriale inédite aux connexions européennes
8Malgré le grand nombre de titres parus, le livre maçonnique a peu fait l’objet de recherches scientifiques jusqu’ici. Seuls les divulgations maçonniques et les écrits antimaçonniques ont été pris en compte, mais moins dans une perspective d’histoire du livre que d’étude de leurs positions pro et contra l’ordre maçonnique. Les témoignages des archives sont pourtant nombreux, notamment pour la décennie 1740 essentielle pour le devenir de l’ordre, mais peu documentée sur le fonctionnement des ateliers27. Lieu d’une des deux plus importantes foires du livre, Francfort retiendra d’abord notre attention, car c’est ici que paraît en 1742 l’Histoire, obligations et statuts de la tres venerable confraternité des franc-maçons tirez de leurs archives et conformes aux traditions les plus anciennes : approuvez de toutes les Grandes Loges & mis au jour pour l’usage commun des loges repanduës sur la surface de la terre de Louis-François de La Tierce (1699-1782).
9On peut parler d’un moment Francfort 1742, tant l’Histoire contribue à la diffusion sur le continent du texte fondateur de la franc-maçonnerie des Lumières, les Constitutions de la Grande Loge de Londres, dont la compilation avait été confiée au pasteur presbytérien James Anderson. Initialement imprimées en 1723, elles font l’objet d’une seconde édition augmentée en 1738. Une première traduction en français avait été réalisée par Jan Kuenen à Amsterdam en 173628. Non-autorisée et de qualité médiocre, sa diffusion fut limitée. Le projet de La Tierce est beaucoup plus ambitieux puisqu’il intègre dans son édition le Discours (1736-1738) déjà évoqué du chevalier Ramsay, pédagogue comme lui, grand orateur de la Grande Loge de Paris, qui insiste à la fois sur la dimension chevaleresque et chrétienne de l’ordre, et sur son projet encyclopédique – influencé par la Cyclopedia de Chambers qui connaît un succès retentissant depuis 1728. Or, c’est précisément cette dimension chevaleresque qui singularise la maçonnerie continentale, la distingue de la franc-maçonnerie anglaise d’inspiration newtonienne, et la rend très réceptive aux hauts grades maçonniques, dits écossais, mais pour la plupart élaborés et diffusés par des francs-maçons français. Leur succès en Allemagne, en Scandinavie, en Pologne est foudroyant et marque profondément la pratique de l’Art Royal. On peut l’observer aussi bien à Dresde qu’à Berlin avec le succès de loges francophones : Aux Trois Aigles dans la capitale saxonne, fondée en 1738 par Friedrich August von Rutowski, fils naturel d’Auguste le Fort – ce qui en fait la deuxième plus ancienne loge d’Allemagne après Absalom à Hambourg installée l’année précédente29 – et à Berlin la loge dite loge des maîtres écossais de l’Union fondée le 30 novembre 1742, fête de la Saint-André, à l’initiative de membres de la loge berlinoise des Trois Globes30. Si La Tierce a obtenu dès 1733 l’approbation de la Loge française de Londres pour sa publication, c’est bien à Francfort – où il séjourne depuis 1741 à l’occasion de la Diète d’élection impériale – qu’il confie l’impression de son livre au libraire-imprimeur François Varrentrapp (1706-1786) en 174231.
10Varrentrapp, qui a peu retenu l’attention des historiens de la franc-maçonnerie32, s’est déjà taillé quelques beaux succès sur la place francfortoise, notamment avec la publication de son périodique Le Perroquet ou Mélange de diverses pièces intéressantes pour l’esprit ou pour le cœur (1741)33 et, par la suite, de L’Avant-Coureur 2 (1745-1746) – qui reprend le projet qu’il avait élaboré dès 1735 avec Antoine La Barre de Beaumarchais34. Il est alors particulièrement actif comme le souligne François Moureau : « La litanie des villes, où un jour, parut un périodique français est éloquente : […] Très loin au-dessus […], Francfort-sur-le-Main (17 titres), Vienne (12) et Berlin (22) produisirent plus de la moitié de la presse française. La statistique décennale établie pour ces trois villes montre l’évolution des créations, marquée à Francfort par l’activité des libraires James de la Cour et Franz Ier Varrentrapp dans les années 1730-175035. » Or, tous deux sont non seulement très liés à la loge de Francfort – James de la Cour en est même membre –, mais ils lui font profiter de leurs correspondances d’affaires avec les libraires européens, en même temps qu’ils bénéficient en retour de la correspondance fraternelle pour diffuser leur catalogue auprès des francs-maçons européens. James de la Cour envoie par exemple à son frère et confrère genevois Claude Philibert le discours intitulé Le Véritable portrait d’un Franc-Maçon, une apologie de l’ordre que la loge de l’Union veut relayer dans l’Europe francophone36. De son côté, Varrentrapp écrit qu’il « imprimera pareillement toutes celles [les œuvres] que chaque véritable & légitime Membre de la très vénérable Confraternité voudra bien lui adresser, pourvû néanmoins qu’elles soient authentiques & approuvées par quelque Loge régulière37 ».
11L’ouvrage que confie La Tierce à Varrentrapp a été actualisé par rapport au projet de 1733, car son auteur a obtenu de la Grande Loge de Londres l’autorisation d’y intégrer la version de 1738 des Constitutions – alors que les Constitutions de 1723 n’étaient destinées qu’aux seuls maçons. Il ne s’agit donc pas d’une divulgation et son éditeur a bien l’intention de se démarquer de la masse des parutions que la franc-maçonnerie suscite alors. Conçu comme un ouvrage de référence, mobilisant les ressources de l’érudition classique, il est précédé d’un Avertissement signé Varrentrapp, qui habilement permet de répondre aux préventions de certains francs-maçons contre des publications qui peuvent être perçues comme des « profanations », tout en visant à se désigner comme éditeur de référence de l’ordre : « Comme il pourroit s’introduire des Editions de ce présent Ouvrage, contrefaites & falsifiées au désavantage de l’Art Royal, les Francs-Maçons ne reconnoitront pour légitimes que les Exemplaires signez par François Varrentrapp, Libraire de la Ville libre & Impériale de Francfort sur le Mein. On a crû cet avertissement nécessaire à ceux qui ne sont point Francs-Maçons, & qui seront curieux de lire ce Recueil. [signature manuscrite] : Varrentrapp. » L’Histoire est proposée au public dans un beau coffret à fermoir, ce qui le distingue encore.
12Pour la loge francfortoise de l’Union – connue par la suite sous le titre distinctif Zur Einigkeit38, et promue à rester l’une des plus brillantes d’Allemagne, dont La Tierce est officier –, c’est un coup de maître qui assied sa réputation sur la scène maçonnique allemande et européenne, alors même que Francfort est au centre du jeu diplomatique. Aux Provinces-Unies, l’ancien libraire huguenot Prosper Marchand, expert typographique et bibliographique, intermédiaire et éditeur de textes39, a tout de suite saisi l’importance du livre, qu’il acquiert et annote en le rapprochant d’un texte de son correspondant Jean Rousset de Missy, l’un des plus anciens francs-maçons des Provinces-Unies, journaliste et historien : « S’il en faut croire le S[ieu]r Rousset de Missy zélé Franc-Masson – journaliste et polygraphe40 –, dans sa Lettre d’un Franc-Maçon de la Loge de St. Louïs de Nimegue au venerable… Everhard Havercams, ministre de la même ville, pretendue traduite du hollandois, et imprimée dans le Monde Franc-Maçon aux Dépens de l’ordre et des ?, M. DCC. LII., pag. 155, cette Histoire, Obligassions, et Statuts de la Venerable C. Fraternité des Francs-Maçons tiréz de leurs Archives, et conformes aux Traditions les plus anciennes, approuvez de toutes les grandes loges, et mis au jour pour l’Usage commun des loges repandues sur la surface de la terre et imprimée à Francfort sur le Meyn, chez François Varentrap, en 1742, avec Approbation et Privileges en 283 pages in 8° et preliminaires ; est de la commission du docteur Desaguliers membre de la Société royale d’Angleterre et composé par ordre du duc de Montaigu, Grand Maître après l’avoir vu plusieurs fois en Anglais à Londres41. »
13Présent dans la plupart des bibliothèques de francs-maçons du xviiie siècle, l’Histoire de La Tierce, fait l’objet d’une seconde édition qui retient l’attention de Friedrich Melchior Grimm, observateur privilégié de la scène culturelle, artistique et littéraire dans sa Correspondance littéraire42 : « Le morceau le plus agréable de cette compilation est une épître mêlée de vers et de prose où M. Fréron a eu l’adresse d’enchâsser les portraits de Fontenelle, Voltaire, Piron, Roy, Duclos et de quelques autres écrivains de réputation. Ce recueil ne renfermât-il que cette pensée ingénieuse, il mériterait d’être conservé43. »
14Louis-François de La Tierce n’est pas le seul membre de l’Union à publier sur la franc-maçonnerie pendant son séjour francfortois, il est au contraire très lié à d’autres auteurs qui sont des officiers de la loge ainsi qu’à leurs mécènes et protecteurs. La loge compte tout d’abord sur ses colonnes un autre intermédiaire culturel particulièrement actif, mais qui n’a pas encore rencontré son biographe, Joseph Uriot, qui prononce le 11 juillet 1742 un discours remarqué : Le Véritable portrait d’un Franc-Maçon écrit par Mr Uriot à un de ses amis. La loge décide de financer un premier tirage de cinq cents exemplaires sous le titre Lettre d’un franc-maçon à Monsieur de Vaux44, dédié au prince Alexander Ferdinand von Thurn und Taxis45. Très liée à l’ambassade française du duc de Belle-Isle à la Diète de Francfort et à sa suite, à laquelle La Tierce lui-même appartient, l’Union cherche également des protecteurs princiers allemands, conformément à l’usage de l’Art Royal, partout en Europe, d’associer à des soutiens étrangers de renom des protecteurs nationaux influents. Le prince est également Generalerbpostmeister der Kaiserlichen Reichspost (Maître général héréditaire de la poste impériale). S’il n’est pas possible, en l’état, de savoir si la loge a cherché à utiliser son privilège postal pour ses correspondances fraternelles ou éditoriales comme elle a mobilisé la correspondance professionnelle du libraire James de la Cour, le point est intéressant à noter, sachant que les francs-maçons du xviiie siècle cherchent souvent à bénéficier de la franchise postale grâce à l’un de leurs membres, et à assurer la confidentialité de leurs plis.
15Une fois imprimé, le discours d’Uriot connaît un grand succès. Pionnier de l’histoire maçonnique en Allemagne, Georg Kloss le considère même comme la « première présentation publique de la Franc-maçonnerie en Allemagne [qui] a beaucoup contribué à faciliter l’entrée de la franc-maçonnerie en Allemagne, et à apprendre aux profanes sa pureté et son caractère inoffensif46 ». En 1744, Uriot fait paraître Le Secret des francs-maçons mis en Evidence Par Mr Uriot, qui inclut un échange de correspondance avec Mme de Grafigny, dans lequel on apprend qu’il est membre de la loge de l’Egalité, orient de Bruxelles47. On le retrouve par la suite à Bayreuth, où il crée au sein de la comédie française la loge Uriotino en 1750, dénoncée comme bâtarde par la loge de cour (Hofloge) du margrave Frédéric, beau-frère de Frédéric II de Prusse48. Joseph Uriot ne renonce pas à publier des apologies de l’ordre. En 1769, il publie ses Lettres sur la franche-maçonnerie, par Mr. Uriot, bibliothécaire et lecteur de S. A. S. Monseigneur le Duc Régnant de Würtemberg et Teck avec l’autorisation de la loge de l’Égalité, orient de Bruxelles, vingt-cinq ans après la parution du Secret des Francs-Maçons49. Bibliothécaire, lecteur et proche conseiller du duc de Wurtemberg, il est très actif comme fournisseur de divertissements lettrés et comme auteur d’opéras ballets tels Les Fêtes thessaliennes, opéra-ballet allégorique représenté sur le grand théâtre de Stuttgart pour célébrer l’arrivée de leurs Altesses impériales Paul Petrovitch, Grand Duc de Russie, et Marie Federovna, Grande Duchesse de Russie, née princesse de Wurtemberg50, ou Le Temple de la bienfaisance et L’Amour fraternel dont les sujets traduisent clairement l’influence maçonnique51. Il enseigne alors le français et l’histoire à la Karlsschule (Haute École de Charles) du château de la Solitude près de Stuttgart – une prestigieuse académie militaire créée par le duc de Wurtemberg en 1773 – et révise la partie française du Nouveau dictionnaire de la langue allemande et française de Christian-Friedrich Schwan publié à Mannheim en 178252. Chez Uriot comme chez La Tierce, l’écriture et la publication d’ouvrages sur la franc-maçonnerie s’inscrivent donc clairement dans les intenses circulations culturelles et diplomatiques dont Francfort est le centre.
Une plaque tournante de la production et de la diffusion du livre maçonnique
16Si Francfort est la plaque tournante des circulations du livre maçonnique et sur la franc-maçonnerie dans les années 1740, c’est non seulement parce que de grandes plumes de l’ordre y séjournent, mais c’est aussi parce que l’offre de nouveaux titres et surtout de traductions-adaptations y est particulièrement abondante. Les connexions européennes et notamment hollandaises des libraires-imprimeurs de la place, sont un facteur essentiel pour la réception rapide des textes francophones, depuis la France ou via les Provinces-Unies, qui malgré les signes avant-coureurs de la crise de la librairie hollandaise font encore figure de « magasin de l’univers », puis leur double mise à disposition à destination du public germanique, sous forme d’éditions francophones ou de traductions en langue allemande. Les catalogues des titres proposés par les maisons des van Duren et Varrentrapp aux foires de Francfort y contribuent fortement, comme en témoignent ces quelques exemples.
« Assortiment général des livres de Hollande & de France rangés par ordre alphabétique lesquels se trouvent chez Jean van Duren, A la Haye et à Francfort sur Meyn, chez Jean van Duren [1741].
Nouvel assortiment des livres de France & d’Hollande qui se trouvent actuellement chez Jean van Duren, libraire à la Haye et à Francfort, 1742. Assortiment général nouvellement rassemblé de livres françois & latins qui se trouvent actuellement chez J. van Duren, libraire à la Haye & chez Frères van Duren à Francfort sur le Meyn, Foire de septembre 1743.
Suite de l’assortiment général de livres françois & latins qui se trouvent actuellement chez J. van Duren, libraire à la Haye & chez les frères van Duren, à Francfort sur le Meyn, Foire de Pacques, 1744.
Catalogue de livres qui se trouvent à Francfort en fonds de nombre chez les frères van Duren, imprimeurs & libraires de Sa Majesté Impériale, [1745]. Fünfzehende Fortsetzung des alten und neuen von fremden und einheimischen Büchern, welche, nebst vielen andern, um beygesetzte Preise und gegen baare Bezahlung zu bekommen sind, in Franckfurt am Mayn, bey Franz Varrentrapp, Buchhändlern. mdccxxxxvi, [avec une version latine et une version française : ] Quinzieme suite du catalogue des livres francois, & italiens tant anciens que modernes aux quels on a joint les derniers prix et qui se trouvent avec plusieurs autres a Francfort sur le Main chez Francois Varrentrapp. mdccxxxxvi. »
17Comme le rappelait Jean de Beyer à son grand ami Prosper Marchand dans une lettre du 3 mai 1744 : « Je crois que nous en sommes au siècle des catalogues53 » et significativement, c’est à Francfort que le duc Emmanuel de Croÿ acquiert en 1744 sa collection de livres maçonniques après avoir été lui aussi reçu maçon à la loge de l’Union le 23 février 174254. Un titre en langue française a particulièrement contribué à la transmission, à la connaissance et à la conservation des rituels maçonniques dans l’Europe continentale : L’Ordre des Francs-Maçons trahi et le Secret des Mopses révélé de l’abbé Pérau, en fait Gabriel-Louis Calabre dit l’abbé Pérau (1700- 1767). L’ouvrage a fait l’objet de nombreuses réimpressions, éditions augmentées ou retranchées, et a été réuni avec d’autres textes de divulgation. José Antonio Ferrer Benimeli a repéré une édition – sans doute la princeps – à Genève en 1742 sous le titre : Le Secret des Francs-Maçons, avec un recueil de leurs chansons, précédé de quelques pièces de poésie55, mais à l’exception d’une réédition sans lieu en 1749 au titre raccourci : Le Secret des Francs-Maçons, il semble ignorer le remarquable succès du livre de Pérau. Il est vrai que comme l’indiquait Paul Fesch, l’exercice était difficile : « Cet ouvrage porta simultanément ou successivement quatre ou cinq titres différents. Il est assez malaisé de s’y reconnaître, quand on n’a pas toutes les éditions sous les yeux, car les bibliographes n’ont pas tous mis une attention suffisante à la diversité de ces titres. D’aucuns, parce que c’était le même ouvrage, ont classé ces éditions sous un seul titre, tantôt l’un, tantôt l’autre ; d’où une confusion à laquelle nous-mêmes sommes exposés, en tant, du moins, pour les éditions que nous avons pu contrôler de visu56. »
18Plusieurs réimpressions et nouvelles éditions augmentées sont en effet signalées en 174457, et l’année suivante paraît L’Ordre des Francs-Maçons trahi et le Secret des Mopses révélé. Attentif à l’actualité, Pérau profite du succès de l’ordre para-maçonnique des Mopses déjà évoqué, qui émeut alors la sphère mondaine et maçonnique pour l’intégrer à son ouvrage et mettre à jour son livre de divulgation. Dans un premier temps, le libraire Jan van Duren, dont la maison est établie à La Haye et à Francfort, publie en français Les Secrets de l’ordre des francs-maçons, dévoilés et mis au jour par Monsieur [Gabriel-Louis Calabre] P[érau]58, mais en raison de l’importance prise par l’ordre des Mopses en Allemagne et en Scandinavie, c’est bien sûr le nouveau texte de Pérau qui intéresse les libraires européens. L’Ordre des Francs-Maçons trahi et le Secret des Mopses révélé paraît doublement, à Amsterdam chez Jean Catuffe, et à La Haye chez Jean Neaulme – dont la maison est également implantée à Berlin. Le texte initial du Secret des Francs-maçons est ainsi augmenté de l’essentiel du Catéchisme des Francs-Maçons de Louis Travenol – publié sous le nom de Claude Gabanon en 1744 – et des corrections de ces deux textes proposées dans un pamphlet anonyme paru en 1745, Le sceau rompu59. Comme le signale François Labbé, « une quantité d’auteurs s’empare du thème et une kyrielle d’ouvrages satiriques ou apologiques leur fait suite60 ». L’ouvrage composite qui en résulte permet au lecteur, maçon et non-maçon, de disposer en français comme en allemand d’une documentation à jour sur les rituels maçonniques. Pérau s’en explique sans détour dans un « Préliminaire » de l’édition van Duren : « J’y ai donc ajouté quantité de choses61, que mes Recueils m’ont fournies, & de tous ces membres, jusqu’alors dispersés, j’ai formé un Corps complet de Science Franc-Maçonne. Afin donc que le Lecteur sache à quoi s’en tenir, je dois l’avertir qu’il peut faire fonds sur ce qui est dit dans Le Secret des Francs-Maçons, à quelque peu d’articles près. […] C’est dans cet état que je suis convenu avec mon Libraire de publier ce Recueil. Il n’y a qu’un seul article, sur quoi nous avons eu de la peine à nous accorder, c’est celui du Titre : car Messieurs les Libraires, quand ils sont possesseurs d’un Manuscrit, s’arrogent le droit de lui donner le titre qu’il leur plaît. Il a voulu absolument intituler cet Ouvrage, L’Ordre des Francs-Maçons trahi62. »
19Pérau n’a pas l’intention que son succès lui échappe. La version française fait l’objet de plusieurs réimpressions en 1745, puis de nouvelles éditions en 1752, 1758, 1763,1766, 1771, 177863. Le succès de la version allemande est également bien réel. Elle paraît dès 1745 sous le titre Der verrathene Orden der Freymäurer, und das offenbarte Geheimniss der Mopsgesellschaft. Aus d. Franz mit Kupfern, chez la maison Arkstee & Merkus solidement implantée à Leipzig (ill. 9). Toujours en 1745, il est réimprimé à Francfort et à Leipzig, ainsi qu’à Berlin par Neaulme et Bourdeaux.
20Ces succès de librairie ne sont pas seulement précoces, ils sont essentiels pour comprendre une dynamique, qui grâce à la circulation des éditions, réimpressions et rééditions, des traductions-adaptations est au cœur du projet d’une « République universelle » qu’exaltent les francs-maçons de Ramsay à Joseph de Maistre64. Nourris de ces lectures communes, les frères y trouvent les catéchismes et les rituels qui leur permettent de développer une pratique maçonnique homogène à travers l’Europe, et même lorsqu’ils bâtissent des systèmes de grades concurrents de disposer d’éléments de compréhension et d’échelles de correspondances entre les différents systèmes. Le projet maçonnique des Lumières vise moins à relever le temple de Salomon qu’à relever Babel. Le livre leur en donne les moyens.
21Les correspondances qu’échangent les frères qui appartiennent au monde du livre témoignent d’une véritable veille culturelle qui associe analyse des nouveautés de librairie et de l’actualité maçonnique européenne, comme dans cet échange entre le libraire genevois Claude Philibert et le précepteur et journaliste huguenot La Beaumelle alors à Copenhague, qui fait la part belle aux informations en provenance de Francfort. On se souvient que Philibert est destinataire des discours de l’Union. De son côté, La Beaumelle a été en contact étroit avec Varrentrapp lorsqu’il séjournait à Francfort et lui a par la suite adressé plusieurs manuscrits à caractère maçonnique65.
« Genève 12 septembre 1747
Venons aussi Mon Cher Frère à l’Art Royal par excellence. J’ai communiqué à notre vénérable Loge, qui se tenait le jour de la réception de votre lettre, tout ce que vous m’en marquez et principalement le beau discours fait à Sa Majesté Danoise à sa réception dont tous les frères ont été fort réjouis, d’une si noble acquisition, & ce discours a extrêmement plu à tous. De sorte qu’il sera mis dans nos archives. Vous y avez sans doute assisté, [ce] dont je vous félicite. Sûrement vous y avez trouvé une grande satisfaction. Nous avons dessein de publier ce discours dans le Mercure de France ou de Suisse, sans nommer ni faire connaître à quelle réception il a été prononcé. Cela ne sera point nuisible, c’est un grand agrément que d’avoir la liberté de s’assembler, car nous sommes toujours fort gênés, et cependant nous sommes bien recensés 40, dont je vous enverrai la liste après les élections à la fin de ce mois. Nous voudrions aussi avoir la vôtre si vous pouvez nous la communiquer, avec la copie de votre ode que vous nous avez promise, et la loge en payera les frais du port avec grand plaisir. Elle vous salue en attendant avec la chaude hospitalité de la Franc-Maçonnerie, de même que vos vénérables loges. J’attends aussi le détail de la fête que vous prépariez au roi, et la copie de vos devises qui en augmenteront la beauté. Vous nous avez fait grand plaisir aussi de nous détailler l’état des loges de Francfort, Hambourg, Copenhague. L’ordre badin des Mopses que vous dîtes faire tort au nôtre ne doit pas nous mettre en peine, il tombera plus tôt que le nôtre. Le frère Br. ne croit point que le marquis d’Argens soit auteur des deux livres sur l’ordre66 ; c’est un Anglais, Anderson, à ce qu’on prétend, et mal traduits en français67. On a aussi les Francs-maçons dans la République ou leur Apologie contre l’ordonnance de Leurs Excellences de Berne qui les interdit68 ; si je vous envoie quelque chose, je le joindrai. Nous avons un orateur frère Vassero avocat, qui se ressent de sa profession. Ses discours sont plus véhéments que celui à F. M., mais ils ont beaucoup d’esprit. Peut-être vous en enverrai-je un ci-joint, si je puis l’avoir, comme il me l’a promis, ou par ma première69. »
22La lettre de Claude Philibert montre qu’au-delà de la concurrence, des liens forts existent entre les différentes métropoles du livre, et que les libraires et les auteurs sont très étroitement liés à la diaspora huguenote et aux loges qui l’accueillent. On a vu le rôle joué par l’Union de Francfort – et par sa mère loge à Londres, la Loge française de l’Union – comme pépinière d’auteurs et les liens qu’elle a noués avec les libraires-éditeurs de la place. Il en va de même dans l’autre métropole du livre, Leipzig, avec la loge des Trois Compas, future loge Minerve aux trois compas70. C’est en effet à la fois à Francfort et à Leipzig que le vénérable de l’Union de Francfort, Philipp Friedrich Steinheil fait paraître en 1746 Le Franc-maçon dans la République ou Réflexions apologiques sur les persécutions des francs-maçons auquel le libraire genevois Claude Philibert fait référence dans la lettre précédemment citée71. Comme La Tierce, Steinheil a d’abord été membre de la loge française de l’Union à Londres72, et c’est lui qui accueille Joseph Uriot à Francfort, en 1742. C’est encore sous son impulsion que la loge décide de publier le discours qu’y prononce Uriot et de l’envoyer à Berlin à la loge des Trois Globes dont le secrétaire n’est autre que le libraire de Roblau73. De Londres à Francfort, Leipzig et Berlin en passant par Amsterdam, un maillage de loges francophones marquées par des origines et un certain tropisme huguenots, a permis à la fois l’accueil et la circulation d’auteurs maçonniques, l’impression de leurs discours, et leur diffusion, tant parmi les francs-maçons européens qu’à destination du public, lorsqu’il s’est agi de défendre la réputation et les valeurs de l’ordre. Des liens forts se sont tissés autour d’une philosophie partagée de l’Art Royal, que les promoteurs sont résolus à faire connaître aux francs-maçons comme au public par le canal du livre : « La Franc-maçonnerie, mon frère, qui de nos jours est si célèbre, est une réunion d’hommes intelligents, qui unis par le lien de l’amour fraternel, et guidés par les principes de la morale, se proposent de former une société raisonnable où chaque membre doit apporter les qualités, qui rendent ladite société utile et agréable74. »
23En 1742 déjà, le frère Nougaret avait donné l’exemple en faisant paraître l’Apologie pour l’ordre des francs-maçons par M. N***, membre de l’ordre ; avec deux chansons composées par le Frère Americain, à la fois à La Haye chez Pierre Gosse et à Dresde, chez Georg Conrad Walther75. L’ouvrage est réédité jusqu’à la fin du xviiie siècle. Quant à l’autre best-seller qu’est l’ouvrage de l’abbé Pérau, L’ordre des francs-maçons trahi, sa traduction allemande qu’annonçaient les Donnstags-Nachrichten sort en 1745 à Leipzig des presses d’une maison de premier ordre, Arkstee und Merkus. Comme à Francfort, la production saxonne est abondante et surtout concerne des titres clés qui orientent la franc-maçonnerie en Allemagne et favorisent ses liens forts avec la maçonnerie française des années 1740.
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24On voit pour conclure que pour une période cruciale mais réputée peu documentée de l’expansion maçonnique européenne au xviiie siècle, suivre les circulations du livre maçonnique permet de mettre en évidence la mobilisation des réseaux huguenots, francs-maçons et de la librairie à travers l’Europe, avec Francfort comme pôle principal, des relais rapides en direction des libraires hollandais et genevois, des ramifications épistolaires en direction de l’Angleterre – sanctuaire de l’ordre –, mais aussi Berlin, avant que Leipzig qui accueille également une foire du livre majeure, des loges francophones et une puissante communauté huguenote, n’élargisse encore l’assiette de ce livre maçonnique européen. L’enquête mérite donc d’être poursuivie et il faudra l’étendre à la fois à une exploitation systématique des catalogues des maisons présentes sur les foires de Francfort et de Leipzig, et à l’exploitation des catalogues des bibliothèques des francs-maçons identifiés voire des loges76. À l’instar de la correspondance maçonnique dont l’entretien débouche sur la création de bureaux de correspondance, des réseaux de fondations à travers l’Europe et le monde colonial, des voyages des francs-maçons qui parcourent l’Europe munis de leur certificat de loge comme d’un viatique, les circulations du livre maçonnique francophone sont essentielles pour comprendre à fois le rôle pionnier de la diaspora huguenote, et la réussite de l’Art Royal sans comparaison possible dans la sphère sociable en termes d’effectifs avec ses deux à trois mille loges et deux à trois cent mille membres à la fin du xviiie siècle. En retour, par la mobilisation d’acteurs qui interconnectent trois univers, les circulations du livre maçonnique ouvrent de nouvelles perspectives à l’histoire du livre. Sa diffusion coïncide avec l’essor de loges francophones, significativement nommées « loges françaises », à travers le continent, dont il informe les pratiques. Ensemble, ils favorisent l’émergence puis l’enracinement d’une franc-maçonnerie élitaire, friande de hauts grades chevaleresques et chrétiens, qui s’éloigne progressivement du modèle anglais, d’inspiration newtonienne et latitudinaire. Ils se prêtent ainsi également à une lecture en termes de transferts culturels.

Ill. 9. – Gabriel-Louis Calabre Pérau, Das entdeckte Geheimniß der Freymäurer und Mops-Gesellschaft : mit Kupfern, Berlin, 1756 (1re éd. sous le titre Der verrathene Orden der Freymäurer, und das offenbarte Geheimniß der Mopsgesellschaft. Aus dem Französischen mit Kupfern, Frankfurth und Leipzig, Arkstee & Merkus, 1745), Universitätsbibliothek Leipzig.
La parution en Saxe de cette première traduction en langue allemande prend un relief particulier en raison du succès à la cour de Dresde mais aussi en Pologne, dont l’électeur de Saxe est roi, de sociétés mixtes comme celle des Mopses ou de l’ordre de la Félicité. Francfort comme Leipzig comptent alors des loges francophones particulièrement actives.
Notes de bas de page
1 Beaurepaire Pierre-Yves, L’Europe des francs-maçons (xviiie-xxie siècle), Paris, Belin, coll. « Europe & Histoire », 2002, carte p. 15.
2 Londres, Bibliothèque de la Grande Loge Unie d’Angleterre, manuscrit n° A 798 SIM, Idée juste de la société des Freys-Maçons et de l’engagement qu’on y contracte pour détruire les vaines idées que divers apologistes de cette société veulent en donner au public, 1744, p. 17.
3 Les bulles d’excommunication pontificales de 1738 et de 1751 ne sont pas les seules condamnations à frapper l’ordre. Aux Provinces-Unies, il doit faire face aux interdictions prononcées par les États de Hollande et de Frise occidentale, et à l’hostilité de la foule qui saccage le temple de la loge La Paix le 16 octobre 1735.
4 Société mixe initiatique, qualifiée de paramaçonnique, l’ordre des Mopses rencontre un grand succès dans l’espace germanique et scandinave. Son nom lui vient d’un petit chien à la mode, le carlin ou Mopsus, qui symbolise la fidélité. Il est fréquemment utilisé comme motif sur des porcelaines de Meissen, qui en retour ont beaucoup fait pour la célébrité de l’ordre. En Saxe et en Pologne, l’Électeur et roi de Pologne Auguste III est le Grand Maître de l’ordre des Mopses, suivi par sa cour. En Suède, l’ordre est dirigé par le comte Carl Gustaf Tessin, figure du parti des chapeaux, grand collectionneur et intermédiaire culturel et maçonnique entre Paris et Stockholm, ainsi que par son épouse Ulrika Sparre. Le prince héritier Adolphe Frédéric de Holstein Eutin, promoteur d’une Maçonnerie royale en Suède après 1753, et son épouse Louise Ulrika, sœur de Frédéric II de Prusse, accordent également leur patronage aux Mopses.
5 [Steinheil Philipp Friedrich], Le Franc-maçon dans la République, ou réflexions apologiques sur les persécutions des francs-maçons par un membre de l’ordre avec une lettre à Madame de *** où l’on invite plusieurs auteurs célébres d’entrer dans le dit Ordre, Francfort-sur-le-Main/Leipzig, 1736.
6 Défense Apologétique des Francs-Maçons. Contre les cinq Discours des R.R. P.P… Missionnaires… Par Frère…, Francfort-sur-le-Main, Rudolf Fisscher, 1747, p. 1. On connaît plusieurs rééditions, notamment celles de 1767 chez Henry Dusauzet, et celle de 1779 sans lieu ni nom d’éditeur.
7 Ibid., A 2.
8 Expression qui désigne alors couramment la franc-maçonnerie.
9 Écho aux attaques dont l’ordre fait alors l’objet aux Provinces-Unies en 1735. Elles sont évoquées l’année suivante par Bernard Picart : « Il s’agit ici de la confrérie établie en Angleterre sous le nom de Free-Massons, c’est-à-dire Massons libres, qui a essayé de former deux ou trois Colonies en Hollande. Le secret de cette confrérie très nombreuse et très distinguée par les personnes illustres qui en sont les membres, est, dit-on, impénétrable, et d’une telle nature que jusqu’à présent personne n’a osé le violer. Sur cela on a formé toute sorte de conjectures contre les Free-Massons : des uns ils ont été regardés comme un assemblage de libertins et de Déistes, des autres comme des débauchés de toute sorte de rang, d’état et de profession, distribués en un grand nombre de classes toutes relatives les unes aux autres. On en a fait des alchimistes et des soufleurs, des chimistes, des nouveaux frères de la Rosecroix, des fanatiques etc. Et toutes ces conjonctures se sont renouvelées en 1735 en Hollande, à l’occasion des Free-Massons qui ont essayé d’y établir des loges (c’est ainsi qu’on appelle les petites assemblées de Free-Massons qui s’établissent en divers quartiers de Londres et qui correspondent exactement avec le corps de la société). A peine la suppression de ces loges a-t-elle été faite dans cette République, que le peuple toujours zélé contre ceux qu’il voit condamnés, les a diffamés comme des gens qui cherchaient à faire des cabales contre l’Etat, et quelques-uns même ont prétendu que c’étaient des débauchés qui allaient rétablir la S… de l’année 1730 » : Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, Représentées d’après des figures dessinées de la main de Bernard Picart, & c., vol. 4, Amsterdam, J. F. Bernard, 1736, note infrapaginale p. 251-252.
10 Cité par Labbé François, Le message maçonnique au xviiie siècle. Contribution à l’histoire des idées, Paris, Dervy, 2005, p. 31.
11 Chevallier Pierre, Les ducs sous l’Acacia ou Les premiers pas de la Franc-Maçonnerie française 1725-1743, Paris, Vrin, 1964. Du même auteur : La première profanation du temple maçonnique ou Louis xv et la fraternité 1737-1755, Paris, Vrin, 1968.
12 Par référence au lapidaire anglais John Coustos et au duc de Villeroy.
13 C’est une délégation de la loge de Hambourg composée de Ludwig von Oberg, Peter Stüven, von Löwen et du baron de Bielfeld, qui reçoit le prince héritier Frédéric de Prusse maçon dans une auberge de Brunswick, au cours de la nuit du 14 au 15 août 1738, et l’élève aux grades de compagnon et de maître.
14 [Pritchard Samuel], Masonry Dissected. Being A Universal and Genuine Description Of all its Branches from the Original to this Present Time. As it is deliver’d in the Constituted Regular Lodges Both in City and Country, According to the Several degrees of Admission. Giving an Impartial Account of their Regular Proceeding in Initiating their New Members in the whole Three Degrees of Masonry. viz. i. Enter’d ‘Prentice, ii. FellowCraft, iii. Master. To which is added, the Author’s Vindication of himself. The Third Edition. By Samuel Prichard, late Member of a Constituted Lodge, Londres, J. Wilford, 1730.
15 L’Origine de la déclaration mistérieuse des francs-maçons contenant une Relation générale et sincère, par Demandes et Réponses de leurs cérémonies, par Samuel Prichard cy-devant Membre d’une Chambre de la même confrairie tenue à Londres, Tout suivant la copie imprimée, par Permission & c., Bruxelles, Emanuel de Grieck, 1743.
16 Kloss Georg Franz Burkhard, Bibliographie der Freimaurerei und der mit ihr in Verbindung gesetzten geheimen Gesellschaften, Francfort-sur-le-Main, 1844 ; Wolfstieg August, Bibliographie der Freimaurerischen Literatur, Burg bei Magdeburg, Selbstverlag, 1911-1913, Leipzig, Verein deutscher Freimaurer, 1926, 4 vol. ; Ferrer Benimeli José Antonio et Cuartero Escobés Susana, Bibliografía de la Masoneria, Madrid, Fundacion Universitaria Espanola, 2004, 3 vol. ; Piatigorsky Alexander, Freemasonry. The Study of a Phenomenon, Londres, Harvill Press, 1999.
17 Au sens littéral de pro fanum, ce qui est à l’extérieur du sanctuaire.
18 Hunt Lynn, Jacob Margaret et Mijnhardt Wijnand (dir.), The Book that Changed Europe : Picart and Bernard’s Religious Ceremonies of the World, Cambridge MA., Harvard University Press, 2010, traduit récemment en français : Le livre qui a changé l’Europe. Cérémonies religieuses du monde de Bernard Picart & Jean Frédéric Bernard, Genève, Markus Haller, coll. « Modus vivendi », 2015.
19 Cérémonies et coutumes religieuses, op. cit., p. 251-252, suivies de la planche gravée publiée sur deux pages.
20 Pott P. H., « De Catechismus van de Gezellengraad », Thoth, 10/3 (1959), p. 84 et 88 note 1.
21 Cité d’après Gayot Gérard, La Franc-maçonnerie française. Textes et pratiques (xviiie-xixe siècles), 2e éd., Paris, Gallimard, coll. « folio histoire, 37 », 1991, p. 67-68.
22 Sur Bertin du Rocheret, voir Loiselle Kenneth, Brotherly Love. Freemasonry and Male Friendship in Enlightenment France, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 2014.
23 Beaurepaire Pierre-Yves, « Déployer un dispositif de communication dans l’Europe des Lumières. L’exemple de Jacques Pérard, pasteur réformé à Stettin » ainsi que la carte de synthèse « “J’étais trop communicatif” : Jacques Pérard (1713-1766), un Européen au siècle des Lumières », in Beaurepaire Pierre-Yves (dir.), La Communication en Europe de l’âge classique aux Lumières, Paris, Belin, 2014, p. 175-185.
24 Notamment, le diorama conçu à Augsbourg par Engelbrecht dans les années 1730-1750, dont quelques exemplaires sont aujourd’hui conservés par les musées maçonniques européens, à Paris (musée de la Grande Loge de France), Bayreuth (Deutsches Freimaurermuseum), La Haye (Cultureel maçonniek centrum ‘Prins Frederik’) et Londres (The Library and Museum of Freemasonry). Voir sur le sujet Önnerfors Andreas, « Secret Savants, Savant Secrets. The Concept of Science in the Imagination of European Freemasonry », in André Holenstein, Hubert Steinke et Martin Stuber (dir.), Scholars in Action : The Practice of Knowledge and the Figure of the Savant in the 18th Century. History of Science and Medicine Library. Scientific and Learned Cultures and Their Institutions Series, Leyde, Brill, 2013, p. 436.
25 Beaurepaire Pierre-Yves, « Stettin, Potsdam, Leipzig, Varsovie et quelques autres lieux. La correspondance de Jacques Pérard, pasteur, académicien, franc-maçon, journaliste et bibliophile » in François Cadilhon, Michel Figeac et Caroline Le Mao (dir.), La Correspondance et la construction des identités en Europe Centrale (1648-1848), Paris, Champion, coll. « Bibliothèque d’Études de l’Europe Centrale, 15 », 2013, p. 237-250.
26 On trouvera un parallèle stimulant dans Ferrand Nathalie, « Le creuset allemand du roman européen. Pour une histoire culturelle et transnationale du roman des Lumières », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte. Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes, n° 3/4, 2006, p. 303-337.
27 Les archives administratives des loges sont en effet rares pour la période car les obédiences ne sont pas aussi solidement structurées autour de l’échange régulier de comptes rendus d’activité que dans les années 1770. Outre les ouvrages sur la Franc-maçonnerie qui paraissent alors, il faut souvent avoir recours aux correspondances particulières ou aux sources policières. Ainsi, c’est une lettre de Jean-Daniel Schoepflin à Louis VIII, landgrave de Hesse-Darmstadt du 19 février 1744 qui confirme que « le nombre de francs-maçons augmente rapidement à Strasbourg […] Le nombre de francs-maçons augmente prodigieusement dans notre ville […] » : cité par Voss Jürgen, Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771). Un Alsacien dans l’Europe des Lumières, Strasbourg, Publications de la Société savante d’Alsace, coll. « Recherches et documents, 63 », 1999, p. 33, note 65. Leurs tentatives pour obtenir du savant strasbourgeois qu’il rejoigne les colonnes du temple restent cependant vaines : « Ces messieurs me tourmentent tous les jours pour m’agréger à leur compagnie, mais ils perdent leur temps à cet égard […] » (ibid., p. 93, note 550).
28 Constitutions, histoires, loix, charges, réglements et usages, de la tres vénérable confrairie des acceptées franc-maçons. Tirés de leur témoignages authentiques & traditions fidelles de plusieurs siecles, trad. de l’anglais par Jean Kuenen, La Haye, C. van Zanten, 1736.
29 Dès 1738, les effectifs sont suffisants pour constituer à partir des Trois Aigles, une deuxième loge, Aux Trois Glaives d’or. Le 5 février 1741, une troisième loge est fondée, Aux Trois Cygnes. L’acquisition par le Musée du Grand Orient de France à Paris du livre d’architecture – registre des procès-verbaux – de la loge des Trois Cygnes réunie à la loge des Trois Glaives, l’un des très rares registres connus pour cette période, permet d’éclairer les premières années de la Franc-maçonnerie en Saxe électorale. Les Trois Cygnes fusionnent en effet avec les Trois Glaives d’or pour constituer avec la Hofloge Aux Trois Aigles la Grande Loge de Haute-Saxe, Aux Trois Aigles blancs, dont le comte Rutowski devient Grand Maître. Musée du Grand Orient de France, Registre de la juste et parfaite loge aux trois cygnes, réunie à la loge aux trois glaives d’or de Dresde, 5 février 1741-2 septembre 1745.
30 Paris, Bibliothèque du Grand Orient de France Archives de la Réserve, fonds 113-1, pièce 175 : Registre d’architecture de la loge des maîtres écossais de l’Union, orient de Berlin, suivi du Registre des personnes proposées et refusées admises et reçues dans notre très vénérable et très respectable loge écossaise de l’Union depuis sa fondation du 30e novembre 1742 jusqu’à présent.
31 La Tierce appartient en effet à la suite du duc de Belle-Isle chargé de représenter les intérêts français à l’occasion de l’élection du successeur de Charles VI à la tête du Saint-Empire. Franc-maçon notoire, Belle-Isle est le chef de file du courant anti-autrichien à Versailles. Conformément à ses vues, c’est le prince-électeur de Bavière – et non François de Lorraine, époux de Marie-Thérèse d’Autriche – qui est élu le 24 janvier 1742 et couronné le 12 février. Voir Labbé François, « Le rêve irénique du marquis de La Tierce. Franc-maçonnerie, Lumières et projets de paix perpétuelle dans le cadre du Saint-Empire sous le règne de Charles VII (1741-1745) », Francia, n° 18/2 (1991), 1992, p. 47-69.
32 Il est curieusement absent de l’ouvrage de référence de Karl Demeter sur la loge de Francfort qui ne connaît que le médecin et homme politique Georg Varrentrapp : Demeter Karl, Die Frankfurter Loge Zur Einigkeit 1742-1966, Ein Beitrag zur deutschen Geistes- und Sozialgeschichte, Francfort-sur-le-Main, Waldemar, 1967, p. 114.
33 Moureau François, La plume et le plomb. Espaces de l’imprimé et du manuscrit au siècle des Lumières, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, coll. « Lettres françaises », 2006, p. 423.
34 Sgard Jean, « L’Avant-Coureur 2 (1745-1746 ?) », in Dictionnaire des journaux 1600-1789 : [http:// dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/journal/0128-lavant-coureur-2], consulté en mars 2017.
35 Moureau François, La plume et le plomb…, op. cit., p. 413.
36 Kloss Georg, Annalen der Loge zur Einigkeit…, op. cit., p. 10.
37 Histoire, obligations et statuts de la très vénérable Confraternité des Francs-Maçons tirez de leurs archives et conformes aux traditions les plus anciennes…, Francfort-sur-le-Main, François Varrentrapp, 1742, avertissement non paginé.
38 Demeter Karl, Die Frankfurter Loge, op. cit.
39 On pourra notamment se reporter à Berkvens-Stevelinck Christiane, Prosper Marchand, la vie et l’œuvre (1678-1756), Leyde, E. J. Brill/Universitaire Pers Leiden, 1987 ; Beaurepaire Pierre-Yves, « “Je vous prie très instamment de nous trouver un libraire”. Les relations entre les pasteurs huguenots de Prusse et la librairie hollandaise à travers la correspondance de Jacques Pérard et Prosper Marchand (1736-1746) », in Christelle Bahier-Porte, Pierre-François Moreau et Delphine Reguig (dir.), Liberté de conscience et arts de penser (xvie-xviiie siècle), Paris, Honoré Champion, 2017, p. 671-688.
40 Sur Rousset de Missy journaliste, voir Brétéché Marion, Les Compagnons de Mercure. Journalisme et politique dans l’Europe de Louis xiv, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2015.
41 Son exemplaire est conservé à la bibliothèque universitaire de Leyde sous la cote 654 G 21 : 2.
42 Beaurepaire Pierre-Yves, « Entre “Société des princes” et stratégies de publication des Lumières. La correspondance littéraire de Friedrich Melchior Grimm comme observatoire et vecteur des circulations culturelles et mondaines », Les circulations internationales en Europe 1680-1780, Bulletin de l’Association des historiens modernistes des universités Françaises, Paris, PUPS, 2011, p. 117-130.
43 Ancien novice de la Compagnie de Jésus, pédagogue, Élie Fréron (1718-1778) anime à partir de 1754 un périodique célèbre, L’Année littéraire. Très hostile à Voltaire et combattant le « parti philosophique », il a été reçu maçon en 1743 à la loge de Procope à Paris. Cité par Balcou Jean, Fréron contre les philosophes, Genève/Paris, Librairie Droz, 1975, p. 25.
44 Uriot Joseph, Lettre d’un Franc-Maçon à Mr de Vaux ; conseiller de Sa Majesté le Roy de Pologne ; Duc de Lorraine. Et de S. A. E. Le comte Palatin du Rhin. Nouvelle édition, Francfort-sur-le-Main, 1743.
45 Si Alexander Ferdinand n’est généralement pas connu comme franc-maçon, en revanche de nombreux membres de la famille sont actifs en Maçonnerie, notamment son fils Carl Anselm (1733- 1805). Après avoir quitté en 1748 Francfort pour Ratisbonne, il y fonde la loge francophone Saint-Charles de la Constance en 1765 après avoir été reçu maçon à Bayreuth en 1762. Voir Bauer Thilo, Regensburger Freimaurer. Ihre Geschichte und Literatur im 18. und 19. Jahrhundert, Ratisbonne, Universitätsverlag, coll. « Regensburger Studien und Quellen zur Kulturgeschichte, 13 », 2001, p. 39-43.
46 Kloss Georg, Annalen der Loge zur Einigkeit, der Englischen Provincial-Loge, so wie der Provincial-und Directorial-Loge des eclectischen Bundes zu Frankfurt am Main 1742-1811, Eine Festgabe, ausgetheilt bei der Säcularfeier der Loge zur Einigkeit am 27. Juni 1842, Francfort-sur-le-Main, 1842, p. 7.
47 Il est alors acteur au Théâtre de la Monnaie et l’on a conservé ses Complimens prononcés sur le Grand Théatre de Bruxelles en 1743, pour l’ouverture et la fermeture de la saison.
48 Beaurepaire Pierre-Yves, « Freimaurer : Fürstliche Protektion, Hoflogen und hugenottische Netzwerke », in Bernd Sösemann et Gregor Vogt-Spira (dir.), Friedrich der Große in Europa. Geschichte einer wechselvollen Beziehung, Stuttgart, Franz Steiner, 2011, t. II, p. 97-111.
49 Lettres sur la franche-maçonnerie, par Mr. Uriot, bibliothécaire et lecteur de S. A. S. Monseigneur le Duc Régnant de Würtemberg et Teck, Stuttgart, 1769.
50 Les Fetes thessaliennes. Opera-ballet allegorique, représenté sur le grand theatre de Stoutgard pour celebrer l’arrivée de leurs altesses imperiales Paul Petrovitch, grand duc de Russie, et Marie Federowna, grande duchesse de Russie, née princesse de Wirtemberg-Stoutgard. […] Le Feste della tessaglia. Opera allegorica, mista di ballo, e di canto, rappresentata sul gran teatro di Stutgard per celebrar l’arrivo delle loro altezze imperiali Paolo Petrovitch, gran duca di Russia, e Maria Federowna, gran duchessa di Russia, nata principessa di Wirtemberg-stutgard […], Stuttgart, Cotta, [1782],
51 Uriot Joseph, Le Temple de la bienfaisance ballet donné par l’Academie-militaire de la solitude a l’occasion du retour de S. A. S. Monseigneur le duc regnant de Wirtemberg et Teck. & c. & c. et executé par les eleves de l’Academie, et de l’Institut d’education. Stuttgart, Cotta, [1775] ; Uriot Joseph, L’Amour fraternel opera-ballet allegorique a l’arrivée de S. A. S. monseigneur le prince Frederic de Wirtemberg et de S. A. R. Madame la princesse son epouse, a la Solitude, executé et representé par les eleves de l’Academie-ducale-militaire, et de l’Institut d’Education, Stuttgart, Cotta, [1775].
52 Nouveau dictionnaire de la langue allemande et françoise composé sur les dictionnaires de M. Adelung et de l’Académie françoise. Enrichi des termes propres des sciences et des arts. Ouvrage utile et même indispensable à tous ceux qui veulent traduire, ou lire les ouvrages de l’une ou de l’autre langue. Par Chrétien Frédéric Schwan. Revu et corrigé pour la partie françoise par M. Uriot […]. Tome premier qui contient les lettres A-H. de l’alphabet allemand, expliqué par le françois. Nouvelle édition corrigée en plusieurs endroits et augmentée, Mannheim, C. F. Schwann et M. Fontaine, 1783-1787, 2 vol.
53 Leyde, bibliothèque universitaire, Marchand 2, lettre de Jean de Beyer à Prosper Marchand, 3 mai 1744.
54 Il évoque sa réception par le vénérable maître Philipp Steinheil. Voir Dion Marie-Pierre, Emmanuel de Croÿ (1718-1784). Itinéraire intellectuel et réussite nobiliaire au siècle des Lumières, Études sur le xviiie siècle, volume hors série 5, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1987, p. 83-84 note 73. Avec l’âge, devenu conservateur et dévot, il décide de purger sa bibliothèque des livres « qu’il avoit sur la conscience », notamment des livres d’astrologie et maçonniques (ibid., p. 126).
55 Ferrer Benimeli José Antonio et Cuartero Escobés Susana, Bibliografía de la masonería, Madrid, Fundación Universitaria Española, 2004, t. I, p. 144 entrée 423.
56 Fesch Paul, Bibliographie de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes, Bruxelles, Georges A. Deny, 1976, colonne 1043.
57 À Paris, le duc de Chaulnes, figure de la Maçonnerie aristocratique, cosmopolite et savante, dont il accueille les membres non seulement dans la loge St-Thomas II, mais dans sa société, le « Parnasse de Chaulnes », en acquiert une, de format in-12, qui porte le n° 3490 de son catalogue, sous l’entrée « Histoire d’Angleterre » sans qu’on puisse préciser de quelle édition il s’agit. Il voisine avec les Traités sur les francs-maçons, en anglais, Dublin, in-octavo – avec la référence 3488. Catalogue des livres manuscrits et imprimés, et des estampes de la bibliothèque du duc de Chaulnes, dont la vente se fera en son hôtel, rue d’Enfer, le 19 mars 1770 & jours suivants, Paris, Le Clerc, 1770.
58 Les Secrets de l’ordre des francs-maçons, dévoilés et mis au jour par Monsieur [Gabriel-Louis Calabre] P[érau], en deux parties, Amsterdam/Francfort, van Duren, 1745. L’ouvrage inclut le catalogue de la maison van Duren.
59 Le sceau rompu ou la loge ouverte aux profanes par un franc-maçon, Cosmopolis, 1745.
60 Labbé François, Le Message maçonnique…, op. cit., p. 151.
61 « Les plus considérables de ces Additions sont, le Chiffre des Francs-Maçons ; une Explication exacte de leurs Signes & de leurs Mots ; des Remarques sur divers Usages de la Maçonnerie, dont je n’ai pas eu occasion de parler ailleurs ; & deux Plans de Loges, différens de ceux qu’a donnés l’Auteur du Catéchisme. Je n’ai pourtant pas cru devoir supprimer ceux-ci, parce qu’il n’est pas impossible qu’il en y ait de tels, vu l’ignorance de bien des Maitres par rapport aux Cérémonies de l’Ordre. Je ne parle point ici des Mopses ; c’est un Morceau tout neuf. »
62 Les Secrets de l’ordre des francs-maçons, dévoilés et mis au jour par Monsieur [Gabriel-Louis Calabre] P[érau], op. cit., p. vii-ix.
63 Wolfstieg August, Bibliographie der Freimaurerischen Literatur, op. cit., t. II, 29962, p. 401.
64 Qui n’est pas le penseur de la réaction politique que l’on connaît par la suite. Beaurepaire Pierre-Yves, « De tous les rayons de la circonférence ». La République universelle des francs-maçons des Lumières aux Révolutions, Paris, Dervy, 2017.
65 Lauriol Claude, Un protestant cévenol entre Montesquieu et Voltaire, Genève, Droz, 1978, p. 111. Le périodique lancé par La Beaumelle, La Spectatrice danoise (1748-1750), est diffusé par nos deux libraires.
66 Les Constitutions de 1723 et de 1738.
67 On ignore s’il s’agit de la traduction de Jan Kuenen de 1736 à Amsterdam ou de celle de La Tierce publiée à Francfort en 1742 puis à Paris en 1747.
68 Publié en 1747 sans lieu, l’ouvrage contient, p. 5-48, Le Franc-maçon dans la République paru à Francfort et Leipzig, l’année précédente.
69 Bost Hubert, Lauriol Claude et Angliviel de La Beaumelle Hubert (dir.), Correspondance générale de La Beaumelle (1726-1773), t. II : 1747-1749, lettre de Claude Philibert à La Beaumelle, p. 70-71.
70 Beaurepaire Pierre-Yves, « Franc-maçonnerie et histoire interculturelle : les enseignements du laboratoire saxon », in id., L’Espace des francs-maçons. Une sociabilité européenne au xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2003, p. 151-182.
71 À l’origine, Eine Rede, welche die ersten Ideen von der erlauchten Kunst der Maurerey enthält. Niedergeschrieben zum Unterrichte der neuaufgenommenen Brüder von Bruder Philipp Friedrich Steinheil a été prononcé à Londres le 11 mars 1741, par autorisation du Grand Maître, puis lu dans les loges allemandes. Augmenté, il est également repris dans un autre recueil imprimé publié à Leipzig en 1746 : Die Quintessenz der ächten Freymaurerey, entworfen von einem Meister der schottischen Brüderschaft.
72 Il figure aussi sur le registre de la loge des maîtres écossais de l’Union à Berlin aux côtés du frère Jean Joseph Roblau, l’un de ses fondateurs.
73 Kloss Georg, Annalen der Loge zur Einigkeit…, op. cit., p. 10.
74 Ibid., p. 373-375.
75 Une « nouvelle édition augmentée » paraît en 1745 chez les mêmes. Il est encore réédité en 1785.
76 On les retrouve par exemple dans l’immense collection de plus de 80 000 volumes maçonniques de la bibliothèque universitaire de Poznan, conservée aujourd’hui dans le château de Ciążeń, dont environ 65 000 sont catalogués.
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