Pierre Bayle et le Refuge au Brandebourg
p. 23-41
Texte intégral
1La révocation de l’Édit de Nantes et la constitution des Refuges huguenots jouent un rôle capital dans l’histoire économique, politique, religieuse, juridique et culturelle à la fin du xviie et au début du xviiie siècle, comme l’ont établi de nombreuses recherches récentes1. Ces travaux soulignent l’esprit qui anime les réfugiés : ils veulent survivre sur le plan économique et maintenir leur identité religieuse et culturelle. Malgré les différences évidentes entre les conditions d’accueil et d’insertion dans les différents Refuges, ces espaces où une communauté minoritaire cherche à sauvegarder son unité démographique, linguistique, juridique, religieuse et culturelle sont des terrains de choix pour l’étude des transferts culturels2. En effet, tout en apportant au Refuge leurs propres conceptions, coutumes et habitudes, leur vision du monde et leur façon de vivre, les réfugiés tentent de résister à l’influence du pays d’accueil : les « transferts » doivent s’exercer, à leurs yeux, en sens unique. Il s’agit de « sauvegarder une identité » mais aussi de « vivre à l’échelle du monde3 ». Au Brandebourg comme à Londres, à Amsterdam et à Genève, les réfugiés cherchent à maintenir leur identité en tant que communauté religieuse réformée et, en ce qui concerne les « intellectuels », en tant que partie intégrante de la grande République des Lettres.
Pierre Bayle et les Refuges
2Pierre Bayle (1647-1706) a des contacts avec les exilés dans tous les Refuges. Il observe les conditions de leur accueil de ses propres yeux aux Provinces-Unies et il est parfaitement informé sur le sort des réfugiés huguenots à Londres, au Brandebourg, à Genève. Il aide certains exilés à gagner le pays de leur choix4. À Rotterdam, il occupe une place privilégiée pour observer la vie intellectuelle aux Refuges et jouit d’une grande liberté pour y participer à sa guise ; il en est parfaitement conscient au moment où il refuse le poste prestigieux et lucratif qu’on lui propose à l’université de Franeker5. Dès sa jeunesse, il noue des amitiés à Genève qu’il gardera toute sa vie (Vincent Minutoli, David Constant, Jacques Basnage) et il suit les cours des grands professeurs de l’Académie, Louis Tronchin et Jean-Robert Chouet, avec qui il reste en contact ; par la suite, il sera en relation directe et indirecte avec Jean-Alphonse Turrettini. En Angleterre, il recommande son cousin Jean de Bayze auprès de Gilbert Burnet, devenu évêque de Salisbury, et il reste en relation avec le chanoine Pierre Allix ; à Londres, il a des liens d’abord avec Daniel de Larroque, qui y séjourne, puis avec la Royal Society, où seize huguenots – parmi lesquels Jean-Théophile Desaguliers, Abraham de Moivre, Denis Papin – sont élus fellows, ensuite avec Pierre Silvestre, médecin de la cour de Saint-James, à qui il recommande Michel Le Vassor, l’oratorien converti à l’anglicanisme, et enfin il noue une relation de confiance avec Pierre Des Maizeaux, qui connaît tout le monde et qui l’informe des événements marquants. Bayle est ainsi parfaitement au courant des difficultés des sociniens de Londres autour de Jacques Souverain, par exemple6, et il suit les controverses autour du « christianisme raisonnable » de Locke aussi bien que la bataille autour de l’« enthousiasme » des prophètes français que Shaftesbury allait dénoncer dans sa Lettre de 1708. Il prend personnellement contact avec les plénipotentiaires anglais des négociations de Ryswick et il maintient des relations épistolaires avec des hommes politiques d’importance (Trumbull, Sunderland), qui pourraient lui offrir une protection au cas où Pierre Jurieu lui rendrait la vie impossible à Rotterdam.
3Aux Provinces-Unies, il connaît tous ceux qui jouent un rôle dans la vie intellectuelle. Il fréquente le club de la Lanterne, le cercle de Benjamin Furly7, qui met sa bibliothèque à sa disposition et chez qui il fait la connaissance de Locke, de Shaftesbury et de Toland. Il connaît personnellement les journalistes Jean Le Clerc, Henri Basnage de Beauval, Jacques Bernard, Jean Tronchin du Breuil, Gabriel de Ceinglein (ou Saint-Glen), Nicolas Gueudeville : son séjour chez le comte de Dohna, parent du Stathouder Guillaume III d’Orange, lui a donné une vision des relations internationales et il est friand de nouvelles politiques. Il est un ami intime de Jacques Basnage et un ennemi intime de Pierre Jurieu, qui jouent tous deux un rôle éminent dans la vie des Refuges. Ses publications, lancées dès son arrivée à Rotterdam en 1681, et surtout son rôle de journaliste à partir de 1684 font de lui un « secrétaire » éminent de la République des Lettres. Il assume ce rôle avec beaucoup d’énergie et avec beaucoup d’idéalisme. Sa correspondance au cours des années 1693-1696 permet d’assister de très près à la constitution d’un « lieu intellectuel » au xviie siècle. C’est un lieu constitué par un agencement de réseaux qui est une véritable configuration intellectuelle ou constellation, caractérisée par un groupe de savants et d’érudits qui partagent une culture et une problématique communes et qui œuvrent à l’avancement d’un projet philosophique. Il s’agit donc de l’élaboration par une communauté de savants d’un objet emblématique du « savoir » historique : le Dictionnaire historique et critique. Tous les correspondants qui collaborent au projet de publication du Dictionnaire de Bayle se conçoivent comme membres de la République des Lettres : ils partagent une même culture, respectent une même déontologie, s’imposant les règles et les contraintes du partage du savoir. Cette conception de la République des Lettres détermine chez Bayle sa vision culturelle du monde : son Dictionnaire historique et critique incarne en quelque sorte la vie intellectuelle de cet « État extrêmement libre » où l’on ne reconnaît « que l’empire de la vérité et de la raison8 ».
La pensée de Bayle dans les querelles théologiques du Refuge
4Dès son arrivée à Rotterdam en 1681, Bayle devient le protégé d’Adriaan Paets, membre éminent du conseil municipal de Rotterdam, républicain et arminien, puis collégiant9. C’est à l’initiative de Paets que le conseil municipal crée l’École illustre où Bayle est nommé professeur d’histoire et de philosophie. L’alliance intellectuelle, politique, religieuse et philosophique de Bayle et de Paets à cette époque est un fait capital : du vivant de Paets, Bayle évite de heurter le rationalisme de son patron et met en avant l’accord entre la raison et la foi sur le plan de la morale. C’est le fondement de la philosophie baylienne de la tolérance dans le Commentaire philosophique de 1686. Bayle insiste sur le statut de la lumière naturelle dans le domaine de la morale. C’est la morale, « rationnelle » et « naturelle » qui fonde notre approbation de la morale évangélique : c’est parce que – ce n’est que parce que – l’Évangile est conforme à nos notions communes dans le domaine de la morale – c’est-à-dire aux principes de la morale naturelle et rationnelle – qu’on peut la considérer comme divine.
5La Glorieuse Révolution de 1688 constitue alors un véritable traumatisme pour Bayle, comme en témoignent ses deux publications anonymes : la Réponse d’un nouveau converti à la lettre d’un réfugié (mi-février 1689) et l’Avis important aux réfugiez sur leur prochain retour en France […] par M. C.L.A.A.P.D.P. (mi-avril 1690)10. La conversion catholique de Jacques II Stuart sert de prétexte à la réalisation des ambitions politiques du Stathouder – et la cohorte des réfugiés huguenots lui emboîtent le pas11. L’invasion de l’Angleterre par Guillaume III – motivée par des intérêts politiques et économiques – révèle, à ses yeux, le véritable caractère de la charité et de la tolérance professées par les réformés. Dans ses premières œuvres, Bayle avait mis en évidence le caractère fallacieux – violent et hypocrite – de la morale catholique, illustrée par la persécution des huguenots. Désormais, la preuve s’impose que la tolérance réformée n’est que la posture d’une Église minoritaire, qu’elle se fonde sur une appréciation du rapport de forces politiques, qu’elle n’a aucune prérogative par rapport à la politique de Rome. Bayle change alors radicalement de position sur la prétendue harmonie entre la morale rationnelle et la doctrine chrétienne : dans le Dictionnaire historique et critique, il refuse tout accord entre la raison et la foi. La doctrine chrétienne renverse toutes nos idées sur le plan de la logique, de l’ontologie et de la morale. La seule philosophie compatible avec la « folie de la Croix » est le pyrrhonisme, une philosophie de l’incertitude qui nous réduit au non-sens. La foi chrétienne est donc – comme il l’avait démontré en ce qui concerne l’astrologie dans les Pensées diverses – parfaitement irrationnelle. La raison conduit à l’athéisme. C’est sur ce raisonnement que Bayle fonde son attaque dévastatrice contre la théologie rationaliste, qui nourrit ses dernières batailles polémiques avec Jean Le Clerc, Isaac Jaquelot et Jacques Bernard, où il se défend contre les accusations d’athéisme en adoptant la posture du fidéiste, conformément à la définition de la foi par Jurieu comme sentiment et comme « zèle ». Et c’est sur ces indices très ambigus que ses lecteurs fondent leur interprétation caricaturale de Bayle comme le pyrrhonien à outrance.
6Nous ne mentionnons ici ces aspects de sa pensée – sans justifier cette lecture12 – que parce que ces querelles sont symptomatiques des difficultés qu’éprouvent les réfugiés huguenots à maintenir l’unité de leur communauté religieuse. L’enjeu vital de ces âpres batailles est la philosophie religieuse des réformés sur les rapports entre la raison et la foi. La réforme du Psautier13, la condamnation de la Bible de Le Clerc par le consistoire de l’Église française à Berlin14, la rivalité des luthériens15, l’existence des communautés sociniennes, piétistes, moraves et mennonites16 témoignent des mêmes difficultés dans toutes les communautés réformées des Refuges. Nous verrons par la suite, en ce qui concerne Bayle, que l’unité de la communauté réformée se maintient à ses dépens : il est désigné comme le bouc émissaire.
Les correspondants de Bayle au Brandebourg
7Dans le Brandebourg exsangue après la guerre de Trente Ans, les réfugiés huguenots jouent un rôle capital sur les plans social, économique, religieux et culturel – conformément à l’ambition qui avait présidé à la promulgation de l’édit de Potsdam le 29 octobre/8 novembre 1685. Les correspondants de Bayle figurent parmi l’élite politique, religieuse et intellectuelle de cette communauté et ont joué un rôle déterminant dans l’évolution de la colonie huguenote17.
8Parmi les relations de Bayle au Brandebourg, il convient de mentionner d’abord la visite de la reine Sophie de Hanovre et de sa fille Sophie-Charlotte à La Haye début novembre 170018 : elles tiennent à rencontrer Bayle, dont elles connaissent les écrits de première main comme aussi par leurs discussions avec Leibniz. Elles connaissent le texte du Dictionnaire. Or, par exemple, l’évolution de l’article « Dicéarque » témoigne de l’actualité philosophique telle que Bayle l’a vécue. En effet, après la publication de son article en 1697, il reçoit de la part de John Toland une lettre (perdue) comportant des objections à sa remarque C et il insère sa réponse dans une remarque L publiée dans la deuxième édition du Dictionnaire. Toland avait développé ses propres hypothèses en débat avec Leibniz et avec Jakob Heinrich von Flemming au château de la reine Sophie-Charlotte près de Berlin19.
9Bayle suit de près la querelle d’Ézéchiel Spanheim, ambassadeur du Grand Électeur aux cours de France et d’Angleterre, avec Richard Simon, et il saisit parfaitement les conséquences des analyses de l’oratorien20. Il correspond régulièrement avec Leibniz et il est aux premières loges lors de la création en 1700, sous la direction du philosophe de Hanovre, de l’Académie des sciences de Berlin (Kurfürstlich-Brandenburgische Societät der Wissenschaften), où de nombreux huguenots sont élus membres ; leurs héritiers de la deuxième génération s’y activeront par la suite sous la direction de Samuel Formey21. Bayle est aussi en correspondance suivie avec l’érudit Mathurin Veyssière La Croze, l’ancien bénédictin mauriste devenu bibliothécaire du prince-électeur en 169722. Bayle échange également quelques lettres avec Paul Du Ry, un des architectes des nouvelles colonies françaises23.
10Toujours dans la sphère du pouvoir, il faut mentionner également l’ancien élève de Bayle, Alexandre de Dohna-Schlobitten (1661-1728), fils aîné de Frédéric, comte de Dohna, qui quitte Orange en 1660 pour le château de Coppet près de Genève. Bayle était un précepteur distrait et impatient, à en croire les Mémoires du frère cadet d’Alexandre24, mais cela n’empêche pas l’aîné d’accéder aux plus hautes fonctions dans l’État de Brandebourg. Après une brillante carrière militaire, il est nommé gouverneur du futur roi en Prusse, Frédéric-Guillaume Ier, en février 1695 et s’occupe de son éducation avec l’appui du huguenot Jean-Philippe Rebeur. Puis, en novembre 1697, il se lie avec Paul von Fuchs et Hans Albrecht von Barfus pour faire tomber Éverard Christophe Balthazar Danckelmann (1643-1722), premier ministre du prince-électeur Frédéric III depuis 168825. Ennemi du comte Johann Kasimir Kolbe von Wartenberg, qui est nommé Premier ministre en 1697, Dohna-Schlobitten se retire de la cour en 1704, mais, après la chute de Wartenberg en 1710, il est rappelé par son ancien élève à des responsabilités à la cour de Prusse et nommé président du gouvernement de Königsberg en 1712 et Generalfeldmarschall en 1713. Quoique plusieurs lettres doivent s’être perdues, nous savons que Bayle maintient le contact avec son ancien élève et avec toute la famille des Dohna26.
11Charles Ancillon (1659-1715), qui épouse en secondes noces la fille du pasteur Élie Benoist, étudie le droit à Marbourg (1673) et à Genève (1675) ; il rend visite à Bayle à Sedan en septembre 1676 en route pour Paris, où il poursuit ses études de droit. Il retourne ensuite à Metz, où il exerce comme avocat, suivant en cela l’exemple de son oncle Joseph. Après des démarches vaines auprès de Louvois au moment de la Révocation, il rejoint son père – le pasteur David Ancillon – à Berlin, où il devient juge et directeur de la colonie huguenote27. On l’appelle « M. Ancillon le juge » pour le distinguer de son oncle, Joseph Ancillon, « M. Ancillon l’avocat », « juge-supérieur de toutes les colonies françaises, conseiller de cour et de révision28 ». Charles publie une Histoire de l’établissement des François réfugiez dans les Etats de Son Altesse Electorale de Brandebourg (Berlin 1690). Après la publication du Dictionnaire de Bayle, il proteste contre la mention apparemment désobligeante de son père dans l’article « Ferry (Paul) », mais, avec l’aide de Jacob Le Duchat, Bayle le rassure et leur amitié se renforce. Charles compose un Traité des eunuques avec une épître dédicatoire adressée à Bayle – dans l’esprit de l’Eclaircissement sur les obscénités du Dictionnaire : le livre paraît quelques mois après la mort de Bayle.
12Jacob Le Duchat est avocat à Metz lorsqu’il entre en relation avec Bayle pour la première fois en août-septembre 1693, mais il se fait connaître surtout comme érudit, en publiant une édition de la Satyre ménippée (Ratisbonne, 1699), de l’ouvrage satirique d’Agrippa d’Aubigné, Confession catholique du sieur de Sancy et declaration des causes tant d’Estat que de religion qui l’ont meu à se remettre au giron de l’Eglise romaine (Cologne, 1693) et une belle et savante édition de Rabelais établie en collaboration avec Bernard de La Monnoye (Amsterdam, 1711, 6 vol.) ; il collabore aussi avec Prosper Marchand et Antoine Lancelot à une édition des Œuvres de Brantôme, qui ne paraît que bien plus tard (La Haye [Rouen] 1740, 15 vol.). Bayle apprend la « retraite » de Le Duchat en septembre 170029 : en effet, l’avocat messin réussit à s’enfuir à Berlin, où il renoue ses relations avec Charles Ancillon et exerce diverses charges de magistrature.
13Toujours sur le plan de la science juridique, Bayle connaît les travaux d’Antoine Teissier, traducteur de Pufendorf30. Jean Barbeyrac (1674-1744), lui aussi traducteur de Pufendorf, est originaire de Béziers et se réfugie à Lausanne après la Révocation. Le 1er janvier 1697, il est chargé par le prince-électeur Frédéric de l’enseignement du latin et du grec au Collège français de Berlin et, le 21 avril 1699, des fonctions de pasteur extraordinaire de l’Église française de Berlin ; il se heurte cependant à l’opposition d’une partie du consistoire et décide de rester au Collège français. C’est à ce moment-là qu’il se tourne vers le droit : il traduit Le Droit de la nature et des gens (Amsterdam, 1706, 2 vol.) de Pufendorf ; l’année suivante paraît sa traduction de l’abrégé du même auteur, Les Devoirs de l’homme et du citoyen (Amsterdam, 1707). En 1710, il est nommé professeur de droit à Lausanne ; en 1717, il accepte l’offre d’une chaire de droit public à Groningue et y enseigne jusqu’à sa mort. Il est un observateur attentif et critique de la querelle de Bayle avec Jean Le Clerc et avec Isaac Jaquelot sur la théologie rationaliste, et il entretient une correspondance intense avec Des Maizeaux, qui le met en contact avec Charles Pacius de La Motte, correcteur d’imprimerie à Amsterdam et biographe de Pierre Coste, le traducteur de Locke31. Les relations entre les membres de la constellation berlinoise conduisent ainsi à un réseau véritablement européen32. Ils se sentent pleinement membres de la République des Lettres.
14Bayle connaît bien les pasteurs de l’Église française de Berlin. Jacques Abbadie (1654-1727), le célèbre apologiste, formé aux académies de Puylaurens, de Saumur et de Sedan, devient pasteur à Berlin en 1682. Il publie chez Reinier Leers son Traité de la vérité de la religion chrétienne (Rotterdam, 1684) et un Panégyrique de Monseigneur l’Electeur de Brandebourg (Rotterdam, 1684), dont Bayle fait l’éloge (Nouvelles de la République des Lettres, respectivement nov. 1684, art. IX, et avril 1684, cat. xvi). C’est en compagnie du maréchal de Schomberg qu’il quitte le Brandebourg en 1688, après la mort du Grand Électeur, et gagne d’abord – au moment de la Glorieuse Révolution – Londres, où il prêche quelque temps avant d’accompagner Schomberg en Irlande en 1690 ; en 1699, il accepte le doyenné de Killaloe.
15Gabriel d’Artis (vers 1650-1730), ancien étudiant de Montauban et de Puylaurens, puis de Leyde, devient pasteur à Berlin en 1684, collègue de David Ancillon (1617-1692) et de Jacques Abbadie. Une querelle avec Élie Benoist (le beau-père de Charles Ancillon) en 1685 provoque la suspension d’Artis, qui part pour les Provinces-Unies33 ; il fonde un périodique à Amsterdam, Le Nouveau journal des sçavans, et le transfère à Hambourg en 1694 lorsqu’il y devient ministre. Il renonce à ce poste lorsqu’il est rétabli à Berlin le 6 juin 170334, mais il est de nouveau suspendu, vers 1713, lorsqu’il accuse ses confrères Beausobre, Lenfant et Vignoles de socinianisme. Il se rend en Angleterre, où il devient chapelain de la comtesse de Portland, veuve de William Bentinck, puis voyage en Allemagne et en Suède, avant d’être nommé pasteur de l’Église de Saint-James à Londres35.
16Jacques Lenfant (1661-1728), fils du pajoniste Paul Lenfant (1625/1630- 1686), après des études à Saumur, se rend à Genève, où il se lie avec Joseph Bayle. Du seul fait qu’il est fils de Paul Lenfant, Jacques est dénoncé comme « socinien » par Thomas Gautier, professeur de théologie à Die, et par Jacques de Prez, son collègue à Saumur. Lenfant n’obtient donc pas l’imposition des mains à Genève, mais, sans doute grâce à l’appui de Louis Tronchin, il peut emporter une attestation favorable de l’Académie de Genève concernant son niveau d’études. Ainsi, en août 1684, il est consacré à Heidelberg. Le sac du Palatinat par les troupes de Louis XIV sous le commandement de Louvois en 1689 pousse Lenfant à se réfugier à Berlin, où il est nommé pasteur de l’Église française et chapelain de la reine Sophie-Charlotte jusqu’à la mort de cette dernière, le 1er février 1705. Lors du voyage de Lenfant en Hollande et en Angleterre, en 1707, la reine Anne voudrait le retenir comme prédicateur, mais Lenfant refuse cette offre et regagne Berlin, où, en 1713, il est nommé prédicateur de la cour de Frédéric-Guillaume Ier. Il obtient ensuite le titre de conseiller du consistoire supérieur, et membre du Conseil français. Bayle entretient une correspondance assez suivie avec Lenfant au cours des années 1680, tout particulièrement lors de la publication par Reinier Leers de ses Considérations générales sur le livre de M. Brueys intitulé Examen des raisons […] (Rotterdam 1684) et lors de la préparation de la traduction latine de la Recherche de la vérité de Malebranche (Genève, 1691). Leurs relations se tendent, cependant, à cause de l’amitié que Lenfant porte à Jean Le Clerc, qui se retourne violemment contre Bayle lorsque celui-ci s’en prend à son arminianisme, l’assimilant de façon provocatrice au spinozisme. C’est d’ailleurs sur le Nouveau Testament de Le Clerc – condamné par le consistoire de l’Église française de Berlin le 27 juin 170336 – que Lenfant et Beausobre fondent leur propre édition de l’Évangile (Amsterdam, 1718, 2 vol.), enrichie au moyen des travaux de Richard Simon37.
17Mentionnons également Gédéon Huet (1654-1729), le beau-frère de Jacques Lenfant. Initialement ministre à Blet dans le Bourbonnais, Huet quitte la France en 1685 et s’établit à Saint-Lambert dans le Palatinat. Il est obligé de s’enfuir lors de l’entrée des troupes françaises en 1688 et arrive l’année suivante aux Provinces-Unies, où il est nommé pasteur suffragant à Dordrecht. Dans une lettre à Jacques Lenfant datée du 25 mai 1690, Bayle relève la condamnation par Huet de l’exécution de Servet, condamnation qui suscite une réaction violente de la part de Jurieu. Huet veut se défendre, mais, suite à ses démêlés polémiques, Jurieu réussit à le faire suspendre de ses fonctions lors du synode de Leyde en mai 169138. Il devient pasteur adjoint à La Haye en 1693 et entre en relation directe avec Bayle à partir de cette date, car c’est lui qui établit l’énorme index du Dictionnaire, dont la première édition est achevée d’imprimer en octobre 1696.
18Bayle est également en correspondance avec François Gaultier de Saint-Blancard39 (1639-1703), qui est initialement ministre à Montpellier. Ayant été modérateur du dernier synode du Bas-Languedoc tenu à Uzès en 1681, et le temple de Montpellier ayant été détruit l’année suivante (à l’occasion de l’« affaire Paulet »), Gaultier de Saint-Blancard sort de France en 1683, emmenant avec lui sa femme et ses deux enfants ; il se réfugie d’abord en Suisse, ensuite en Hollande et enfin au Brandebourg, où il est envoyé par Guillaume d’Orange en mission auprès du prince-électeur en vue d’une alliance des puissances protestantes. Ses deux frères, Barthélemy et Jacques, le rejoignent à Berlin peu après la Révocation. François gagne la confiance de Frédéric-Guillaume, qui le retient à sa cour, à partir de 1685, en qualité de ministre40. Il y contribue sans doute à la rédaction de l’Édit de Potsdam et prépare la grande coalition de 1688, devenant ainsi un des dirigeants du Refuge. En 1689, il est envoyé en Angleterre afin de féliciter Guillaume d’Orange sur la réussite de la Glorieuse Révolution. En 1690, une nouvelle mission en Suisse lui est confiée par le prince-électeur. Enfin, en 1696, il est nommé membre de la commission chargée par le consistoire de Berlin de chercher les moyens de faire rétablir l’édit de Nantes par Louis XIV. Il publie plusieurs ouvrages, dont une réfutation de Bossuet : Réflexions générales sur le livre de M. de Meaux, ci-devant évêque de Condom, intitulé « Exposition etc. » (Cologne-sur-la-Spree [Cölln] 1685, 12°), composée à la demande du prince-électeur. Puisqu’il voyage souvent entre la Hollande et le Brandebourg en tant qu’émissaire de Frédéric-Guillaume et de Guillaume d’Orange, il est un intermédiaire idéal pour les échanges entre Bayle et Jacques Lenfant.
19Ce survol rapide des carrières des pasteurs de Berlin connus de Bayle serait incomplet sans l’évocation des multiples querelles qu’ils entretiennent les uns avec les autres et avec leurs confrères aux Provinces-Unies. Les péripéties de la carrière de Gabriel d’Artis à Berlin donnent une idée de la violence de ces controverses. Depuis Rotterdam, le bouillant théologien Pierre Jurieu met tout le monde en accusation : il empêche la consécration de Gabriel d’Artis en France, il somme La Conseillère, établi à Altona, de s’expliquer sur le socinianisme et sur ses relations avec Noël Aubert de Versé ; il chasse Isaac Papin d’une ville à l’autre ; il bataille avec Élie Saurin, Élie Benoist, Henri Basnage de Beauval, Samuel Basnage de Flottemanville, Isaac Jaquelot, Philippe Le Gendre, Noël Aubert de Versé… aussi bien qu’avec Bayle, qui se met à l’abri derrière le « bouclier » d’une foi aveugle. Ces querelles tournent essentiellement sur le statut de la raison par rapport à la foi et nous verrons que les pasteurs berlinois adoptent sur ce point une position emphatiquement rationaliste, hostile donc au « zèle » de Jurieu, et cette position s’exprime aux dépens de Bayle.
La réception de la pensée de Bayle au Brandebourg
20Nous avons vu que les Français de Berlin se sentent pleinement membres de la République des Lettres et qu’ils participent pleinement aux controverses religieuses qui secouent la communauté réformée des Refuges. Ces deux aspects, culturel et religieux, de leur identité s’expriment fortement dans la Bibliothèque germanique, périodique fondé et dirigé par les pasteurs Jacques Lenfant (1720-1728) et Alphonse des Vignoles (1720- 1742), dirigé ensuite par Isaac de Beausobre (1728-1738) et Paul-Émile Mauclerc (1728-1742), et poursuivi enfin par Jacques Pérard (1746-1749) et Samuel Formey (1746-1759). Ce périodique est conçu sur le modèle des Nouvelles de la République des Lettres de Bayle, de l’Histoire des ouvrages des savants d’Henri Basnage de Beauval et des Mémoires de Trévoux – puisque les éditeurs y insèrent des nouvelles littéraires de toutes les grandes villes du Nord. Certes, il existait déjà les Monatsgespräche (Conversations mensuelles) de Christian Thomasius, mais ce journal ne contribuait guère à faire connaître la vie intellectuelle allemande dans le reste de l’Europe. Les Acta eruditorum ne s’adressaient, comme le titre l’indique, qu’aux savants et aux érudits. En ce sens, la Bibliothèque germanique donne une nouvelle dimension à la vie intellectuelle du Nord pour l’ensemble du public de la République des Lettres41. Or, les articles de la Bibliothèque germanique qui évoquent les écrits de Bayle sont autant de témoins de la réception de sa pensée, de son rôle dans l’évolution de la philosophie religieuse des Refuges et des glissements qu’ils imposent aux concepts maniés par le philosophe de Rotterdam.
21Nous n’insisterons pas ici sur les travaux historiques des journalistes, depuis la « Lettre de M. Lenfant à M. de Vignoles pour prouver contre M. Bayle que les payens croyoient qu’il falloit demander la sagesse aux Dieux » (n° 1, 1720, art. 7), fortement approuvée dans un « Extrait de lettre de M. Mosheim à Mr Lenfant » (n° 2, 1721, art. 5), en passant par un article où Beausobre conteste les articles de Bayle sur les mœurs des chrétiens et en particulier sur la nudité des Turlupins (n° 23, 1731, art. 1), et conduisant aux comptes rendus de l’Histoire du concile de Pise de Lenfant (Amsterdam, 1724, 2 vol.42), de la grande œuvre de Beausobre, Histoire critique de Manichée et du manichéisme (Amsterdam, 1734-1739, 2 vol.43), et de l’Histoire du christianisme d’Ethiopie et d’Arménie (La Haye, 173944) de Veyssière La Croze : l’historiographie, telle qu’elle est pratiquée par Lenfant, Beausobre et La Croze en particulier, constitue un leitmotiv de la Bibliothèque germanique. Or, même lorsque l’enquête historique se retourne contre tel article du Dictionnaire de Bayle, les principes historiographiques invoqués sont les siens et restent fidèles (sans rendre explicite cette filiation) à sa formule : « Une vérité de fait […] ne renverse-t-elle pas cent volumes de raisonnements spéculatifs » (art. « Épicure ») – s’opposant ainsi au pyrrhonisme historique du jésuite Jean Hardouin et aux communications de Louis-Jean Lévesque de Pouilly à l’Académie des inscriptions et des belles-lettres45.
22Les articles qui nous retiendront mettent en cause la cohérence de la pensée de Bayle sur trois questions intimement liées dans ses œuvres : le rationalisme moral, la tolérance et les rapports entre la raison et la foi. Dans des « Pensées libres sur les idées désavantageuses que plusieurs théologiens ont de la raison en matière de religion » (n° 6, 1723, art. 4), le collaborateur de la Bibliothèque germanique se déclare fortement en faveur du rationalisme : « nous nions formellement que la raison soit corrompue » et assume parfaitement la position de Bayle.
« Les premiers principes ne sont pas corrompus, car qui est-ce qui pourroit douter de la vérité des premiers principes de la philosophie spéculative [tels que : le tout est plus que la partie] ou des principes de la morale [tels que la reconnaissance due aux bienfaiteurs] ? »
23Mais il n’est jamais rendu explicite que la distinction entre ces principes fondamentaux en logique et en morale, d’une part, et, d’autre part, les mystères de la doctrine chrétienne dérive directement du Commentaire philosophique.
24Dans l’« Extrait d’une Dissertation de M. Pfaff, professeur en théologie à Tubingue, sur les points fondamentaux de la foi chrétienne » (n° 1, 1720, art. 8), on cherche un compromis entre une religion raisonnable et une religion du cœur en s’appuyant sur les œuvres de Jean-Alphonse Turrettini :
« D’ailleurs, y aiant, dans la religion, des choses dont on ne sauroit bien juger que par goût et par sentiment, un homme qui n’a aucun goût pour la piété demeurera court dans ces occasions. Il y a dans les ouvrages d’esprit des finesses qui ne peuvent être senties que par un homme d’esprit. »
25Pfaff recommande la tolérance à l’égard de ceux qui sont en désaccord sur les points non-fondamentaux (les adiaphora) de la doctrine chrétienne, mais, alors que Bayle réduisait les articles fondamentaux aux premiers principes de la morale, Pfaff souligne l’impossibilité de les déterminer, puisqu’ils ne sont pas les mêmes pour tous – selon le degré d’esprit et selon les circonstances matérielles de chaque communauté. Ainsi, le principe de la tolérance baylienne est invoqué sous une forme détournée afin de promouvoir une tolérance réciproque entre les communautés protestantes – mais, au moyen de l’imprécision maintenue sur la nature des articles fondamentaux, cet article conclut au refus de la tolérance des catholiques, à cause de leur désaccord sur les articles fondamentaux… démontré par la persécution des huguenots46. C’est évidemment un détournement majeur de la pensée de Bayle sur la tolérance et un transfert culturel d’une singulière perversité.
26Dans les comptes rendus de l’Historia philosophica de Brucker (1723)47 comme dans les « Pensées libres » (n° 6, 1723, art. 4), déjà citées, l’accord de la raison avec la foi va de soi :
« En effet, la raison l’examine de près [la doctrine chrétienne] et la croit divine parce qu’elle n’enseigne rien de contraire aux premières vérités qu’elle connoît déjà et parce que tout ce qu’elle contient se rapporte à la gloire de Dieu et au bonheur de l’homme. »
27Les passages de saint Paul invoqués par Bayle dans ses Eclaircissements afin de discréditer la raison dans le domaine de la foi et pour désigner la doctrine chrétienne comme la « folie de la Croix » sont explicitement contestés :
« la philosophie céleste, de même que la philosophie humaine, est fondée sur certains principes, et […] les vérités, les préceptes, les promesses et les menaces qu’elle renferme ne sont que les conclusions qui en naissent ».
28Il n’est pas question de céder au pyrrhonisme :
« S’il faut abandonner la raison, nous voilà par cela même dans un pyrrhonisme universel, nous ne pouvons plus savoir aucune chose, porter aucun jugement, ni sur les choses naturelles, ni sur celles de la Révélation. »
29L’enjeu vital est de distinguer entre le vrai zèle et le faux : avec Samuel Turrettini dans sa Dissertation théologique sur ceux qui dans les derniers siècles se sont vantés d’avoir des révélations divines (Genève, 1722) et dans son Préservatif contre le fanatisme ou refutation des pretendus inspirez (Genève, 1723), les journalistes comptent sur le bon sens pour dénoncer les impostures telles que celle d’Antoinette Bourignon48. Il faut savoir raison garder : avec Werenfels aussi, les journalistes plaident pour un « zèle éclairé, exempt de passion et de préjugé », « un zèle exempt d’amour-propre et qui n’ait que Dieu pour objet », « un zèle animé par la charité et par l’amour du prochain » et par la prudence. Avec Lenfant et Beausobre dans leur édition du Nouveau Testament, ils défendent le principe de l’examen contre la Tradition catholique, tout en renvoyant aux travaux de Bénédict Pictet pour l’examen philologique de la nature de l’inspiration de l’Écriture Sainte, question technique réservée aux spécialistes49. Ils combattent la mise en doute du texte biblique par Toland50. Avec Locke, avec Turrettini, Ostervald, Pictet et Werenfels, ils invoquent un « christianisme raisonnable » qui évite les excès. La critique baylienne des formes plastiques de Cudworth – dans son commentaire sévère sur les articles apologétiques de Jean Le Clerc – est réduite à une manœuvre visant à mieux mettre en doute la Création51, et son attaque systématique contre la théologie rationaliste est tout simplement évacuée.
30En revanche, les journalistes insistent longuement sur sa réduction de la philosophie chrétienne au pyrrhonisme, qui apparaît désormais, non pas comme le chemin vers un zèle authentique, mais comme la voie hypocrite ouverte à l’athéisme : l’auteur d’une « Réponse à une lettre sur les progrès du pyrrhonisme » (no 20, 1730, art. 6) prête ce discours à un Bayle pyrrhonien cynique :
« Lisez bien mes ouvrages, et vous y verrez que, de quelque nom qu’on trouve à propos d’appeler cette manière de s’instruire et de se convaincre, rien n’est plus équivoque, plus incertain, ni plus exposé à des conséquences monstrueuses que cette voie. Il n’y a d’extravagance, il n’y a renversement de mœurs qu’on ne puisse introduire et autoriser sous ce prétexte, ou par cette route ; l’expérience le démontre. Aussi voyez-vous que moi, qui parle si souvent du don de la foi, qui en fais mon bouclier, et qui parais en faire mon tout, je n’ai nulle part défini ce don prétendu, qui serait si précieux et si digne d’être expliqué. Parcourez tout ce que j’ai écrit, vous n’y trouverez pas une seule ligne qui tende à donner une juste idée de ce don. »
31La philosophie de l’incertitude ne serait qu’un masque au moyen duquel Bayle désigne la foi chrétienne comme une « surprise de l’imagination », comme un « enthousiasme », et les « obscénités » du Dictionnaire sont invoquées pour démontrer sa mauvaise foi. Si l’auteur a bien saisi la portée du pyrrhonisme dans la pensée de Bayle – qui réduit la doctrine chrétienne à une superstition – il maintient une théologie rationaliste que Bayle avait radicalement anéantie. Ainsi les pyrrhoniens sont renvoyés :
« Ils ne veulent rien croire, parce qu’ils ne savent pas tout, et ils s’obstinent à douter des vérités les plus claires, comme si l’on ne pouvait être éclairé d’aucune lumière, pendant qu’à côté d’elle on apercevrait encore quelque obscurité ! »
32L’auteur reprend ainsi les lieux communs de l’apologétique du xviie siècle :
« Les leçons qui leur plaisent [aux libertins] sont uniquement celles qui tendent à les affranchir de la soumission aux règles [morales], les affermir dans le doute et les rendre infatigables dans la dispute. »
33Et Jean-Pierre de Crousaz confirme52 :
« L’éloignement pour la religion est tout ensemble et une des causes les plus fréquentes et la moins raisonnable de celles qui produisent le pyrrhonisme. »
34Le remède est pourtant simple : « amour de la vérité et respect de l’évidence ». Le périodique reprend tous les raccourcis et tous les poncifs de Crousaz dans son Examen du pyrrhonisme ancien et moderne (La Haye, 1733) :
« Notre auteur croit que M. Bayle a eu pour but, en publiant son Dictionnaire, d’attaquer les règles de la morale et les dogmes de la religion, et de remplir l’esprit des hommes de doutes et d’incertitude sur ces importants sujets. »
35– et le journaliste commente53 :
« Les recueils de M. Bayle se trouvent chargés d’une infinité d’objections sur les premiers principes de la religion. C’était sans doute, et M. Bayle ne pouvait l’ignorer, lui rendre peu de service que de les publier sans y ajouter le contre-poison nécessaire, et la manière dont il s’y est pris ne diminue rien du mauvais gré que les gens de bien doivent lui en savoir. »
36Les critiques s’enchaînent sur les obscénités du Dictionnaire, sur le plaidoyer de Bayle en faveur d’une société d’athées et sur son « pyrrhonisme » en ce qui concerne la nature des animaux. Le journaliste étale les arguments critiques de Crousaz et pardonne le simplisme : « la bonté de la cause que l’auteur défend excuse la vivacité de son zèle ».
37On constate ainsi que Bayle hante les pages de la Bibliothèque germanique : 1) anonymement dans la mesure où les journalistes détournent son critère moral en tant qu’« article fondamental » pour délimiter la tolérance à accorder aux différences d’opinion entre chrétiens sur les adiaphora – mais Bayle n’est jamais cité sur cette question et la tolérance est refusée aux catholiques ; 2) nommément en tant que pyrrhonien avoué et extrême, dont les arguments mettent en question les principes qui fondent la foi chrétienne ; ses protestations de fidéisme (c’est-à-dire de soumission de la raison à la foi) sont tout simplement dénoncées comme une imposture ; 3) explicitement en tant que partisan d’une société d’athées – ce qui paraît aux commentateurs contradictoire avec les principes de la morale chrétienne ; 4) explicitement encore en tant qu’adversaire du « christianisme raisonnable » préconisé par les journalistes à la suite de Locke et de Turrettini54. Ce rationalisme « modéré » annonce les traductions bayliennes de Gottsched (1741 et 1742)55, qui tentent de vulgariser un déisme baylien compatible avec le rationalisme wolffien56, en attendant Le Chrétien philosophe de Formey (1750-1757) et le Pyrrhonisme raisonnable de Beausobre (1755). Ce christianisme raisonnable est érigé en garde-fou contre les deux extrêmes : d’une part, contre l’athéisme cynique attribué à Bayle et, d’autre part, contre l’« enthousiasme » des prophètes français à Londres57, contre les divagations des « inspirés » à Erlangen58, et contre le « zèle » de Jurieu aux Provinces-Unies. Cette théologie rationaliste, « modérée », « prudente », sera celle de l’Encyclopédie d’Yverdon (1770-1780)59.
*
38Les recherches récentes sur la colonie française – sur les plans démographique, linguistique, économique et juridique – montrent que les réfugiés huguenots perdent peu à peu leur identité française60, mais on constate qu’au cours des quelque 50 années qui suivent la Révocation, le Refuge brandebourgeois intègre avec succès la grande communauté de la République des Lettres, comme en témoigne la Bibliothèque germanique – dont il conviendrait de relever tous les articles consacrés à des publications allemandes – et comme le démontrent encore la correspondance de Formey61 et la vivacité de l’Académie des sciences sous sa direction à partir de 1744. Le Refuge brandebourgeois intègre également la grande communauté des réformés aux Provinces-Unies, en Suisse, et en Grande-Bretagne : l’unité théologique de la communauté se fonde sur la théologie rationaliste du Triumvirat suisse (Turrettini, Ostervald, Werenfels) appuyé par Pictet et par Crousaz. Ce rationalisme « modéré » est défendu en Angleterre par les fellows de la Royal Society et leurs disciples, qu’ils soient latitudinaires, unitariens ou sociniens (parmi lesquels, Newton, Hooke, Boyle, Clarke, Locke, Whiston) et par les adversaires de Bayle aux Provinces-Unies (Le Clerc, Jaquelot, Bernard, parmi beaucoup d’autres). Les apologistes du siècle des Lumières déduisent imperturbablement les articles de la foi à partir d’une conception de l’Être infiniment parfait, et ils ressuscitent ainsi une théologie rationaliste que Bayle avait cru anéantir.
Notes de bas de page
1 Voir Magedelaine Michelle et Thadden Rudolf von (dir.), Le Refuge huguenot, Paris, Armand Colin, 1985 ; Birnstiel Eckart et Bernat Chrystel (dir.), La Diaspora des huguenots. Les réfugiés protestants de France et leur dispersion dans le monde (xvie-xviiie siècle), Paris, Honoré Champion, 2001 ; Yardeni Myriam, Le Refuge huguenot. Assimilation et culture, Paris, Honoré Champion, 2002 ; Pott Sandra, Mulsow Martin et Danneberg Lutz (dir.), The Berlin Refuge, 1680-1780. Learning and science in European context, Leyde/Boston, Brill, 2003 ; Böhm Manuela, Häseler Jens et Violet Robert (dir.), Hugenotten zwischen Migration und Integration. Neue Forschungen zum Refuge in Berlin und Brandenburg, Berlin, Metropol Verlag, 2005. Voir aussi la base de données constituée par Michelle Magdelaine, [http://www.refuge-huguenot.fr/histoire.php], et le site bibliographique [http://www.hugenottenbibliothek.de], consultés le 29 août 2017.
2 Voir Espagne Michel et Werner Michael (dir.), Transferts. Les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (xviiie-xixe siècles), Paris, Éditions Recherches sur les Civilisations, 1988 ; Espagne Michel, Les Transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999, et, du même, « La notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres, 1, 2013, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsl/219], consulté le 29 août 2017.
3 Joutard Philippe, « 1685, une fin et une nouvelle chance pour le protestantisme français », in Michelle Magdelaine et Rudolf von Thadden (dir.), Le Refuge, op. cit., p. 22, 30.
4 Toutes nos références aux lettres de Bayle se rapportent à l’édition de la Correspondance de Pierre Bayle, dir. Élisabeth Labrousse † et Antony McKenna, Oxford, Fondation Voltaire, 1999-2017, 15 vol. Nous y apprenons que Bayle intervient pour faciliter l’accueil au Refuge de Guillaume et Thomas Le Gendre : lettre 775, n. 1. ; Abel Boyer : lettre 773, n. 4 ; Michel Le Vassor : lettre 1010, n. 4 ; Jean de Bayze : lettre 1722, n. 4 ; M. Dartemont : lettres 705, n. 3, et 710, n. 5.
5 Bayle, Correspondance, lettres 268, 274, 276, 286.
6 Ibid., lettres 222, n. 14, 1304, n. 11, 1375, n. 12, et 1465, n. 1. Sur Jacques Souverain et son cercle socinien, voir l’édition de son ouvrage, Lettre à Mr *** touchant l’apostasie, présentée par Élisabeth Labrousse, établie par Sylvain Matton et accompagnée d’une étude par Martin Mulsow, Paris, 2000 ; Legaspi Michael C., The Death of Scripture and the rise of Biblical studies, Oxford, Oxford University Press, 2010 ; Lim Paul C. H., Mystery unveiled. The crisis of the Trinity in early-modern England, Oxford, Oxford University Press, 2012, et, du même, « The Platonic captivity of primitive Christianity and the enlightening of Augustine », in William J. Bulman et Robert G. Ingram (dir.), God in the Enlightenment, New York, Oxford University Press, 2016, p. 136-156 ; Tambrun Brigitte, L’Ombre de Platon. Unité et Trinité au siècle de Louis le Grand, Paris, Champion, 2016.
7 Voir surtout Hutton Sarah (dir.), Benjamin Furly 1636-1714. A quaker merchant and his milieu, Florence, Olschki, 2007.
8 Bayle Pierre, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, Reinier Leers, 1697, 1702, art. « Catius », rem. D.
9 Voir Fix Andrew C., Prophecy and reason. The Dutch Collegiants in the early Enlightenment, Princeton, Princeton University Press, 1991, p. 44, 226.
10 Voir l’édition de ces textes par Mori Gianluca (Paris, Champion, 2007) et son article « Politique et religion dans l’œuvre de Pierre Bayle », in Xavier Daverat et Antony McKenna (dir.), Pierre Bayle et le politique, Paris, Champion, 2014, p. 79-95.
11 Voir Israel Jonathan I. (dir.), The Anglo-Dutch Moment. Essays on the Glorious Revolution and its world impact, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, 2003.
12 Voir McKenna Antony, Études sur Pierre Bayle, Paris, Honoré Champion, 2015.
13 Voir Douen Orentin, « La Bastide, ancien de Charenton, et la révision des Psaumes de Conrart », Bulletin de la société d’histoire du protestantisme français, n° 38, 1889, p. 506-523 ; Yardeni Myriam, « La querelle de la nouvelle version des Psaumes dans le Refuge huguenot », in id., Le Refuge huguenot, p. 73-81 ; Grosse Christian, « La Réforme face à ses traditions : les controverses sur la révision du psautier et du formulaire liturgique (1646-1788) », in Cécile Davy-Rigaux, Bernard Dompnier et Daniel-Odon Hurel (dir.), Les Cérémoniaux catholiques en France à l’époque moderne. Une littérature de codification des rites liturgiques, Turnhout, Brepols, 2009, p. 245-263 ; Noailly Jean-Michel, « Le psautier des Églises réformées au xvie siècle », Chrétiens et société xvie-xxie siècle, n° spécial I, 2011, Le Calvinisme et les arts, p. 57-90 ; Fatio Olivier, Louis Tronchin (1629-1705), une transition calvinienne, Paris, Classiques Garnier, 2016, ch. 15.
14 Voir Bayle, Correspondance, lettre 1613, n. 4, et 1731, n. 3, et Palladini Fiammetta, Die Berliner Hugenotten und der Fall Barbeyrac. Orthodoxe und » Sozinianer « im Refuge (1685-1720), Leyde, Brill, 2011, p. 353-371.
15 Voir Klingebiel Thomas, « L’Allemagne du Refuge, tensions confessionnelles et réforme religieuse », in Michelle Magdelaine et Rudolf von Thadden (dir.), Le Refuge, op. cit., p. 97-109 ; Léchot Olivier, « Entre désintérêt et prétexte. Pierre Bayle et Luther », Revue d’histoire du protestantisme, n° 2, 2017, p. 57-81.
16 Voir Jersch-Wenzel Stefi, « De l’importance des huguenots dans l’économie : l’exemple de Magdebourg », in Michelle Magdelaine et Rudolf von Thadden (dir.), Le Refuge, op. cit., p. 177-189.
17 Sur les effectifs de la colonie française à Berlin et dans les autres villes de l’État de Brandebourg, voir Coque Émilie, « La provenance des réfugiés huguenots à Berlin » et David François, « Les colonies françaises en Brandebourg-Prusse. Une étude statistique de la population », in Manuela Böhm, Jens Häseler et Robert Violet (dir.), Hugenotten op. cit., resp. p. 59-68 et 69-93. É. Coque estime à environ 17 % les réfugiés qui s’établissent à Berlin plutôt que dans d’autres lieux du Brandebourg ; F. David compte quelque 5500 réfugiés huguenots à Berlin et dans ses faubourgs sur les quelque 16 000 « colonistes » au Brandebourg en 1710. Voir aussi David François, « Refuge protestant et assimilation : le cas de la colonie française de Berlin », in Eckart Birnstiel et Chrystel Bernat (dir.), La Diaspora, op. cit., p. 75-97.
18 Sur l’entretien de Bayle avec la reine Sophie et avec sa fille Sophie-Charlotte, voir lettre 1535, n. 6. Alexandre de Dohna-Schlobitten les accompagne au cours de ce voyage : voir Maizeaux Pierre des, Vie de Mr Bayle, in Dictionnaire, éd. 1740, p. lxxxii-lxxxiii.
19 Jakob Heinrich von Flemming (1667-1728), membre de l’entourage du prince-électeur de Saxe et auteur de « Remarques sur la confutation de Spinoza » auxquelles Toland répond dans la Ve des Lettres à Serena : voir Brown Stuart, « Toland’s clandestine pantheism », in Gianni Paganini, Miguel Benítez et James Dybikowski (dir.), Scepticisme, clandestinité et libre pensée, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 345-370, et Toland John, Lettres à Serena, éd. Tristan Dagron, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 53-54, 232.
20 Voir Danneberg Lutz, « Ezechiel Spanheim’s dispute with Richard Simon. On Biblical philology at the end of the 17th century », in Sandra Pott, Martin Mulsow et Lutz Danneberg (dir.), The Berlin Refuge, op cit., p. 49-88.
21 Voir dans le présent volume la contribution de Lifschitz Avi et Buschmann Cornelia, « Die philosophischen Preisfragen und Preisschriften der Berliner Akademie der Wissenschaften in 18. Jahrhundert », in Wolfgang Förster (dir.), Aufklärung in Berlin, Berlin, Akademie Verlag, 1989, p. 165-228.
22 Voir Mulsow Martin, Die drei Ringe : Toleranz und clandestine Gelehrsamkeit bei Mathurin Veyssière La Croze (1661-1739), Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2001 ; id., « Views of the Berlin Refuge. Scholarly projects, literary interest, marginal fields », in Sandra Pott, Martin Mulsow et Lutz Danneberg (dir.), The Berlin Refuge, op. cit., p. 25-46, où il suggère un rapport entre, d’une part, les travaux historiques de La Croze, de Beausobre et de Lenfant et, d’autre part, les écrits clandestins de Lau, Stosch et Heber. Voir aussi Häseler Jens, Ein Wanderer zwischen den Welten, Charles Étienne Jordan (1700-1745), Sigmaringen, Jan Thorbecke, 1993, et, du même, « Provinzialismus aus geistiger Assimilation ? », in Manuela Böhm, Jens Häseler Jens et Robert Violet (dir.), Hugenotten, op. cit., p. 241-269.
23 Voir Bayle, Correspondance, lettre 386, n. 1. Paul Du Ry (1640-1714), architecte huguenot réfugié d’abord à Maastricht, s’installe en 1687 à Cassel, où il est nommé architecte de la ville, directeur des bâtiments et professeur à l’Académie. Il est mentionné par Yon Catherine, « Le Refuge à la campagne, l’exemple de la Hesse », in Michelle Magdelaine et Rudolf von Thadden (dir.), Le Refuge, op. cit., p. 143-157, ici p. 145, 147.
24 Dohna Christophe de, Mémoires originaux sur le règne et la cour de Frédéric Ier, roi de Prusse, Berlin, Librairie Fr. Nicolai, 1833, p. 5-7.
25 Voir le commentaire de Leibniz dans une lettre à Thomas Burnett de Kemney en 1698 : Leibniz Gottfried Wilhelm, Die philosophischen Schriften, éd. Carl Immanuel Gerhardt, Berlin, Weidmann, 1875-1890, 7 vol., reprint Hildesheim, Georg Olms, 1965, 7 vol., III, 223.
26 Voir Bayle, Correspondance, lettres 223, 227, 591, se rapportant au séjour de Joseph Bayle à Coppet en 1683. Christophe de Dohna raconte aussi avoir envoyé le baron d’Arbaud rendre visite à Bayle à Rotterdam lors de son propre passage en Angleterre en 1699 : Mémoires, p. 6. Bayle envoie un exemplaire du Dictionnaire à Dohna-Schlobitten par l’intermédiaire de Charles Ancillon en décembre 1701 (lettre 1536).
27 Bayle, Correspondance, lettres 675, n. 4, et 1742, parmi beaucoup d’autres.
28 Ibid., lettre 1564, n. 3.
29 Ibid., lettre 1496. Voir aussi la notice sur Le Duchat dans la Bibliothèque germanique, 24 (1736), art. 13, qui recense, à l’article précédent, l’édition critique par Le Duchat de l’Apologie pour Hérodote d’Henri Estienne.
30 Voir Palladini Fiammetta, « Ein vergessener Pufendorf-Übersetzer : der Réfugié Antoine Teissier », in Sandra Pott, Martin Mulsow et Lutz Danneberg (dir.), The Berlin refuge, op. cit., p. 113-135.
31 Voir Palladini Fiammetta, Die Berliner Hugenotten und der Fall Barbeyrac. Voir aussi Lomonaco Fabrizio, « Jean Barbeyrac et le “pyrrhonisme historique” dans la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l’Europe », in Jens Häseler et Antony McKenna (dir.), La Vie intellectuelle aux Refuges protestants, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 253-267 ; id., « Natural right, liberty of conscience and Summa Potestas in Jean Barbeyrac », in Sandra Pott, Martin Mulsow et Lutz Danneberg (dir.), The Berlin Refuge, op. cit., p. 137-151, et Jean Barbeyrac editor of Gerard Noodt, Berlin, Logos Verlag, 2012. Pour le jugement de Barbeyrac sur la position religieuse de Bayle, voir Bayle, Correspondance, lettres 1708, n. 10, 1731, n. 3 (in fine) et 1759 : il n’aurait guère été question pour lui de contribuer à une nouvelle édition du Dictionnaire de Bayle comme le suggérait Reinier Leers à Des Maizeaux en avril 1707 (lettre 1758).
32 Voir Mulsow Martin, « Views of the Berlin Refuge », art. cité, p. 36 ; l’ouvrage qu’il a dirigé avec Stamm Marcelo, Konstellationsforschung, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2005, et son article, « Qu’est-ce qu’une constellation philosophique ? Proposition pour une analyse des réseaux intellectuels », Annales, Histoire, Sciences sociales, 64 (2009), p. 81-109.
33 Voir Chauffepié Jaques Georges de, Nouveau dictionnaire historique et critique, pour servir de supplément ou de continuation au Dictionnaire historique et critique de M. Pierre Bayle, Amsterdam/ La Haye, 1750-1756, folio, 4 vol., art. « Benoist (Elie) », rem. K, L, M. Chauffepié consacre aussi des articles importants à Jacques Lenfant, à Isaac Jaquelot et à Pierre Jurieu, aussi bien qu’à Bayle.
34 Nous devons cette chronologie aux recherches récentes de Fiammetta Palladini, qui signale des Actes du Retablissement de d’Artis datés du 6 juin 1703 (Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz, Berlin-Dahlem, I HA, Rep. 122, 3b I, 10).
35 Voir Sgard Jean, Dictionnaire des journalistes, 1600-1789, Oxford, Fondation Voltaire, 1999, 2 vol., s. v., et les travaux à paraître de Fiammetta Palladini.
36 Le registre des actes (Berlin, Église française, Gendarmenmarktplatz, ms AFrD, 2402) est en cours d’édition critique par Fiammetta Palladini, qui y consacre un chapitre de son ouvrage, Die Berliner Hugenotten und der Fall Barbeyrac, p. 353-371. Voir le texte de la séance pertinente du consistoire dans Bayle, Correspondance, lettre 1731, n. 3.
37 Voir Pitassi Maria-Cristina, « “Des explications de l’Écriture plus raisonnables que dans les sermons” : autour du Nouveau Testament de Jacques Lenfant et Isaac de Beausobre », in Hubert Bost et Claude Lauriol (dir.), Refuge et désert. L’évolution théologique des huguenots de la Révocation à la Révolution française, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 143-156.
38 Voir Bayle, Correspondance, lettre 807, appendice, n. 14. La précision concernant l’établissement de Huet à Saint-Lambert dans le Palatinat provient des notes manuscrites de Bayle dans son exemplaire de Deckherr Johann, De scriptis adespotis, pseudepigraphis, et supposititiis conjecturæ : cum additionibus variorum. Editio tertia altera parte auctior, Amstelædami Isbrand Haring, 1686, 12°) – seul livre connu issu de la bibliothèque de Bayle – conservé à la bibliothèque de l’Arsenal sous la cote 8-H-24639 : voir Bayle, Correspondance, t. XIV, annexe II.
39 Voir Bost Hubert, « De Montpellier à Berlin : l’itinéraire du pasteur François de Gaultier de Saint-Blancard (1639-1703) », in Manuela Böhm, Jens Häseler et Robert Violet (dir.), Hugenotten, op. cit., p. 179-204.
40 Gaultier publie à cette époque ses Dialogues entre Photin et Irénée sur le dessein de la réünion des religions, et sur la question, si l’on doit emploïer les peines et les récompenses pour convertir les hérétiques, Mayence, 1685, 2 vol., dont Bayle donne le compte rendu dans les Nouvelles de la République des Lettres, décembre 1685, art. IV.
41 On pourrait étendre la présente étude aux publications journalistiques de Gabriel d’Artis et d’Étienne Chauvin : voir Sgard Jean, Dictionnaire des journalistes, s. v., ainsi que Yardeni Myriam, « Propagation de la civilisation germanique dans les premiers périodiques “réfugiés” en Allemagne », dans son recueil Le Refuge huguenot, chap. ix, p. 113-125 ; Jaumann Herbert, « Der Refuge und der Journalismus um 1700 : Gabriel d’Artis (ca. 1650-ca.1730) », in Sandra Pott, Martin Mulsow et Lutz Danneberg (dir.), The Berlin Refuge, op. cit., p. 155-182 ; et Berkvens-Stevelinck Christiane, « Une transmission du savoir scientifique dans la République des Lettres : le Nouveau journal des sçavans de Chauvin », Archives internationales d’histoire des sciences, n° 63, 2013, p. 49-59.
42 Bibliothèque germanique, n° 8, 1724, art. 1, et 1725, n° 9, art. 1.
43 Ibid., 1733, n° 27, art. 2, et 1734, n° 30, art. 2 ; 1737, n° 37 1737, art. 1 ; 1737, n° 39, art. 1 ; 1738. n° 41, art. 7 ; 1738, n° 42, art. 4 ; 1738, n° 43, art. 4 ; 1740, n° 49, art. 9 ; 1741, n° 50, art. 3 ; voir aussi l’éloge de Beausobre, 1738, n° 43, art. 3 ; 1739, n° 46, art. 2.
44 Ibid., 1740, n° 47, art. 11.
45 Voir Bibliothèque germanique, 1725, n° 10, art. 1 : compte rendu de Bierling Frédéric Guillaume, Commentatio de pyrrhonismo historico, Lipsiae, 1724, où le pyrrhonisme historique est rendu raisonnable et se réduit à « un doute raisonnable sur quantité de faits rapportés dans l’histoire et assez bien fondé, pour obliger tout homme sage et prudent et tout historien judicieux à suspendre son jugement jusqu’à ce qu’il soit mieux éclairci, et même à douter toujours s’il ne peurt s’assurer de rien ». Pour la position de Bayle, voir McKenna Antony, « Une certaine idée de la République des Lettres : l’historiographie de Pierre Bayle », in id., Études sur Pierre Bayle, op. cit., p. 139-176.
46 Voir aussi Bibliothèque germanique, 1727, n° 13, art. 2, « Réponse de M. Turrettini à l’archevêque de Cantorbéry » : « Ces matières [de la prédestination et de la grâce] ne sont ni assez claires en elles-mêmes, ni révélées d’une manière assez précise pour en faire des décisions et pour se condamner là-dessus les uns les autres » (p. 93).
47 Bibliothèque germanique, 1724, n° 8, art. 12 ; 1725, n° 9, art. 3 ; 1736, n° 35, art. 12 et 15 ; 1737, n° 37, art. 6, et 1737, n° 3, art. 2.
48 Ibid., 1723, n° 6, art. 10, et 1724, n° 8, art. 3 : « Discours inaugural de Mr Jacques Elsner sur le zèle du théologien ».
49 Ibid., 1721, n° 2, art. 6 : « Remarques sur le Journal des sçavans du mois de mai 1721 au sujet du Nouveau Testament de MM. Beausobre et Lenfant » ; ibid., 1723, n° 6, art. 9, et 1724, n° 8, art. 2 : « Pensées libres sur la voie de l’autorité et sur les moyens de conserver la paix dans l’Église, traduites de l’allemand ». Voir Pitassi Maria-Cristina, « Fondements de la croyance et statut de l’Écriture : Bayle et la question de l’examen », in Hubert Bost et Antony McKenna (dir.), Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 143-160.
50 Ibid., 1723, n° 5, art. 12, et 1723, n° 6, art. 2 : comptes rendus de Mosheim, De vita, fata et scriptis Jo. Tolandi Commentatio (Hambourg, 1722), comprenant une lettre sévère de Beausobre sur son entretien avec Toland à Berlin en octobre 1701.
51 Ibid., 1725, n° 9, art. 5 : « Deux lettres sur le système des natures plastiques ».
52 Ibid., 1733, n° 27, art. 2 ; voir aussi ibid., 1737, n° 38, art. 5, et le compte rendu de sa critique de l’Essai sur l’homme de Pope, ibid., 1738, n° 41, art. 10. Sur Crousaz, je me permets de renvoyer à mon article, « Les critiques de Pierre Bayle au xviiie siècle : l’exemple de Jean-Pierre de Crousaz », in Johannes Rohbeck et Sonja Asal (dir.), Aufklärung und Aufklärungskritik in Frankreich. Selbstdeutungen des 18. Jahrhunderts im Spiegel der Zeitgenossen, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2003, p. 35-62.
53 Bibliothèque germanique, 1734, n° 28, art. 7.
54 Sur Turrettini, voir l’éloge dans la Bibliothèque germanique, 1738, n° 41, art. 14, et le compte rendu du Traité de la vérité de la religion chrétienne (4e section) tiré par Jacob Vernet des écrits de Turrettini (Genève, 1736), ibid., 1736, n° 36, art. 9 ; l’ouvrage complet de Vernet devait être publié quelques années plus tard (Genève, 1750). Voir les travaux de Pitassi Maria-Cristina, Inventaire critique de la correspondance de Jean-Alphonse Turrettini, Paris, Honoré Champion, 2009, 6 vol. ; « De la controverse anti-romaine à la théologie naturelle : parcours anti-sceptiques de Jean-Alphonse Turrettini » in Gianni Paganini (dir.), The Return of Scepticism from Hobbes and Descartes to Bayle, Netherlands, Kluwer, 2003, p. 431-447 ; id., « Entre nécessité et utilité : le statut de la Révélation dans l’apologétique de Jacob Vernet », in Nicolas Brucker (dir.), Apologétique 1650-1802. La Nature et la grâce, Berne et al., Peter Lang, 2010, p. 151-165, ainsi que son article sur un théologien proche du Triumvirat : « Le catéchisme de Jacob Vernes ou comment enseigner aux fidèles un “christianisme sage et raisonnable” », Dix-huitième siècle, 34, Christianisme et Lumières, 2002, p. 229-239.
55 Sur Gottsched, voir la Bibliothèque germanique, n° 48 (1740), art. 8, sur Le Triomphe de la philosophie de Mme Gottsched, et les travaux de Quéval Marie-Hélène, « J. C. Gottsched und Pierre Bayle, ein philosophischer Dialog », in Gabriele Ball, Helga Brandes et Katherine R. Goodmander (dir.), Diskurse der Aufklärung, Luise Adelgunde Victorie und Johann Christoph Gottsched, Wiesbaden, 2006, p. 145-168 ; id., « Luise A. V. Gottsched. Philosophie und Religion », in Sabine Koloch (dir.), Frauen, Philosophie und Bildung, Berlin, Trafo-Wissenschaftsverlag, 2010, p. 187-218 ; id., « Le Dictionnaire de Bayle et la liberté de conscience dans l’Allemagne des Lumières », in Antony McKenna (dir.), Pierre Bayle et la liberté de conscience, Toulouse, Anacharsis, 2012, p. 329-348 ; id., « Deismus in Leipzig, Johann Christoph und Luise Adelgunde Victorie Gottsched », in Winfried Schröder, Gestalten des Deismus in Europa, Wiesbaden, Harrassowitz, 2013, p. 245-262 ; id., « La réception des écrits politiques de Bayle dans l’Allemagne des Lumières », in Xavier Daverat et Antony McKenna (dir.), Pierre Bayle, op. cit., p. 273-296 ; id., « Bayle et Gottsched. L’édition allemande des Pensées diverses sur la comète », Libertinage et philosophie à l’âge classique (xvie-xviiie siècle), n° 14, 2017, p. 65-90 ; et l’ouvrage de Mulsow Martin, Freigeister im Gottsched-Kreis, Göttingen, Wallstein Verlag, 2007.
56 Sur Wolff, voir le compte rendu des « Nouvelles pièces sur les prétendues erreurs de la philosophie de Wolff », Bibliothèque germanique, 26 (1735), art. I ; le compte rendu de son ouvrage Le Philosophe roi et le roi philosophe (1730), traduit par Jean Des Champs, 1739, n° 45, art. 1 ; et l’« Ébauche d’une histoire de la philosophie wolffienne », par Ludovici, 1740, n° 47, art. 4.
57 Laborie Lionel, « État des lieux du rayonnement camisard dans le Refuge », in Sophie Bisset, Marie-Claude Felton et Charles T. Wolfe (dir.), Exploring the Early Modern Underground : Freethinkers, Heretics, Spies, ISECS Early Career Seminar 2013, à paraître ; Enlightening Enthusiasm : prophecy and religious experience in early eighteenth-century England, Manchester, Manchester University Press, 2015, et « From English trembleurs to French inspirés : A transnational perspective on the origins of French Quakerism », in Bridget Heal et Anorthe Kremers (dir.), Radicalism and dissent in the world of Protestant Reform, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2017, p. 225-244.
58 Voir Yardeni Myriam, « Refuge et intégration : le cas d’Erlangen », in Michelle Magedelaine et Rudolf von Thadden (dir.), Le Refuge, op. cit., p. 170, article repris dans son recueil Le Refuge huguenot, p. 137-150. Voir aussi l’article très critique que Bayle consacre à Antoinette Bourignon dans le Dictionnaire.
59 Voir Candaux Jean-Daniel, Cernuschi Alain, Dorato Clorinda et Häseler Jens (dir.), L’Encyclopédie d’Yverdon et sa résonance européenne : contextes, contenus, continuités, Genève, Slatkine, 2005.
60 Voir Wilke Jürgen, « Statut et pratiques judiciaires des huguenots en Brandebourg-Prusse (1685- 1809) », in Michelle Magedelaine et Rudolf von Thadden (dir.), Le Refuge, op. cit., p. 111-126, et les articles de S. Jersch-Wenzel et de F. David cités ci-dessus, n. 16 et 17.
61 Voir Häseler Jens (dir.), La Correspondance de Jean Henri Samuel Formey (1711-1797) : inventaire alphabétique, Paris, Honoré Champion, 2003 ; Bots Hans, Schillings Jan (éd.), Lettres d’Élie Luzac à J. H. S. Formey (1748-1770). Regards sur les coulisses de la librairie hollandaise du xviiie siècle, Paris, Honoré Champion, 2001 ; Berkvens-Stevelinck Christiane, Bots Hans et Häseler Jens (dir.), Les Grands Intermédiaires culturels de la République des Lettres. Études de réseaux de correspondances du xvie au xviiie siècle, Paris, Champion, 2005 ; Janssens Ute et Schillings Jan (éd.), Lettres d’Angleterre à J. H. S. Formey (1737-1788), Paris, Honoré Champion, 2006 ; Bandelier André, « Échange entre tiers : autour des correspondants suisses de J.H.S. Formey », in Pierre-Yves Beaurepaire et Antony McKenna (dir.), Réseaux de correspondance à l’âge classique (xvie-xviiie siècle), Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2006, p. 279-299.
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