Chapitre II. Cycle d’accumulation et cycle d’usage
p. 53-86
Texte intégral
1L’histoire de la machine à laver le linge s’inscrit dans celle de l’objet auquel elle est destinée. Son émergence au royaume des inventions humaines est l’aboutissement de longues recherches de solutions à un problème, celui de l’entretien du linge. Elle est liée à l’histoire de sa possession et de ses significations. Celles-ci varient dans le temps, ce qui se traduit dans l’usage que les hommes font du linge et reflète la façon dont ils le produisent. Sa conquête par tous témoigne d’une lente transformation des modes de production et de consommation vers le bien-être. D’abord possédé comme un signe de richesses que l’on s’efforce de faire durer le plus longtemps possible afin de le transmettre, le linge progressivement acquiert le statut de bien d’usage que l’on renouvelle rapidement. Mais auparavant, son entretien devient un problème social de grande ampleur, sollicitant des solutions du côté de l’industrie et une autre organisation domestique.
2L’évolution de l’usage du linge et des problèmes posés par son entretien témoignent du succès de la révolution industrielle qui mit à la portée de tous, des biens jusque-là réservés à quelques-uns. Elle est aussi l’aboutissement de phénomènes sociétaux. En effet, l’irruption massive des femmes dans la vie active salariée, à la faveur de la première guerre mondiale, a posé, dans des termes économiques, la question du travail domestique. Ce n’est pas un hasard si le premier Salon des Arts Ménagers, qui donna l’impulsion à la recherche des procédés de lavage individuel, eut lieu en 1923.
3D’abord considéré comme un bien d’investissement, tellement il était peu accessible et tant sa charge symbolique était grande, le linge était possédé autant pour son utilité de protection du corps et d’accomplissement de certaines fonctions domestiques que pour sa valeur sociale. Sa diffusion, au XIXème siècle, le dévalorisa, accélérant les cycles d’entretien, faisant des problèmes du lavage une question de société, intégrée à la question urbaine. Les bouleversements socio-économiques entraînés par la première guerre mondiale mirent en lumière avec acuité les problèmes posés par le double aspect, domestique et salarié du travail féminin de l’époque. La solution en fut l’intégration des services de lavage au foyer domestique par la miniaturisation des objets industriels, faisant passer de nouveaux produits dans la sphère domestique.
I. Le linge : usages et symboliques
4Les écrits sur le linge sont nombreux, documentés et d’excellente qualité. Ils émanent aussi bien d’historiens que d’ethnologues. Ceux-ci soulignent la différenciation des fonctions vestimentaires et, par conséquent, la charge culturelle qui affecte le port du vêtement dès l’origine. Ils évoquent aussi l’évolution historique de son entretien. Le détachement progressif des strates qui structurent l’habit en “tissus de dessus et ceux de dessous”1, donne la priorité, dans le traitement de la propreté, à ce qui se voit, négligeant ce qui se cache. Cet agencement des strates de l’habit coïncide avec “une architecture entre matières”2, opposant les tissus fins, encore cachés, de la chemise aux tissus de drap qui recouvrent.
5Le terme de linge est très tôt apparu dans les inventaires dressés après décès. Il a pendant longtemps surtout signifié la présence du linge de maison, des draps, des nappes, des serviettes, des toiles. Ainsi, ’dès le XIIIème siècle, on observe dans ces listes la présence de la chemise. Mais celle-ci est restée longtemps de l’ordre de l’unité, au milieu d’une abondance de linge de maison et de vêtements.
6Ce n’est qu’au terme d’une longue évolution que le linge de corps acquiert droit de cité dans la tenue vestimentaire et attire sur lui les soucis du soin et de l’entretien. Dans l’ancien régime où dominait “la culture des apparences”3, culminant aux XVIIème et XVIIIème siècles dans l’affirmation des codes sociaux et de la séparation des ordres, le vêtement participait à la mise en scène de la prééminence et de la distinction nobiliaires. Mais le linge lui-même mit du temps à exister comme vêtement, l’essentiel de l’attention étant focalisé sur le visible.
Habit et linge
7Par opposition à l’habit qui recouvre le corps et s’offre au regard, le linge de corps aurait fait son apparition depuis les temps immémoriaux, mais aurait été fort peu évoqué, aussi bien dans les témoignages des actes notariés que dans ceux des archives littéraires et iconographiques.
8Selon F. Piponnier4, “l’usage du linge de corps, comme celui du linge de maison remontent, sans doute possible, à l’Antiquité, et les spécialistes pensent que c’est en Egypte que fut maîtrisée le plus anciennement la technique de tissage du lin. Les toiles, fines ou grossières, constituent le matériau essentiel du costume égyptien, mais c’est seulement à partir du moment où elles sont employées pour confectionner des vêtements de dessous, portés en même temps que les vêtements de laine hérités de traditions plus septentrionales, que l’on peut parler véritablement de naissance du linge de corps, dès l’antiquité grecque et romaine”. En France, l’usage en était connu même des plus pauvres, bien avant l’invention de l’armoire à linge : “linge modeste, étriqué, usé, grossier sans doute, que le petit nombre de pièces possédées devait interdire de changer et de laver fréquemment, mais qui évitait au corps nu le contact des robes de laine le jour, celui des couvertures et des courtepointes la nuit, ébauche de confort et d’hygiène”. Cependant, bien que son usage de protection et de confort fût répandu, le linge de corps était peu valorisé comme vêtement.
9Selon Georges Vigarello5, “depuis le XIIIème siècle, la chemise a restructuré l’habit”, mais dans le quotidien, ce vêtement demeure caché. Il est rarement mentionné et quand il est cité dans les comptes des demeures nobles, sa rareté est signification du manque de considération dont il est l’objet au regard des habits et des robes. Dans la comptabilité du linge, apparaissent à profusion les nappes, les draps, les toiles et les étoffes finement ouvrées. Le linge signifie surtout le linge de table et le linge de maison. “Le linge pour le corps, dit Vigarello6, se recense à l’unité… La richesse ne s’investit pas dans la multiplication d’un tel vêtement, alors qu’elle s’investit dans celle des nappes dont la matière est pourtant très proche, et qu’elle s’investit surtout dans la lourdeur du vêtement”.
10Le sort réservé au linge de corps était tributaire d’une habitude culturelle dans le rapport au corps et à l’habit. On ne change pas fréquemment de chemise et on ne valorise que ce qui se voit. Non pas qu’on ne lave jamais sa chemise, mais le rythme n’apparaît pas dans les règlements d’hygiène au Moyen-Age. Alors que ceux-ci sont clairs sur la fréquence du nettoiement et les parties du corps à nettoyer7. Le corps semble oublié, n’existant qu’à travers “les choses qu’il touche, les lieux qu’il traverse, les outils qu’il emploie”8, “un peu comme si l’existence du corps était déléguée à d’autres objets, ceux qui l’enveloppent ou qui l’entourent”9.
11L’émergence de la chemise au XVIème siècle comme distincte de la peau est contemporaine du changement de sensibilité physique : l’inconfort de la peau dû à la transpiration peut disparaître avec un changement de ce qui jusqu’alors la marquait. La chemise éponge la transpiration, elle enlève les impuretés de la peau en les retenant. Aussi, changer de chemise équivaut à se laver et constitue une méthode moins dangereuse que le bain. Le linge de corps devient vecteur de propreté. Sa blancheur est le critère de la netteté, l’indice par lequel on juge le respect des convenances.
Naissance du blanc et expansion du linge
12A partir du XVIème siècle, la propreté en France s’apprécie à la blancheur. Le port de la chemise se généralise et l’entretien du linge dans sa blancheur s’inscrit dans les préceptes de la civilité et des convenances. Etre propre, c’est avoir du linge blanc. Entretenir son linge, c’est entretenir son corps. De cette évolution de la représentation du propre qui passe progressivement du visible au plus intime, lequel reste toujours masqué par la lourdeur vestimentaire et qui, au XIXème siècle, s’appuie sur une légitimité donnée par la science, on ne retiendra ici que ce qui nous intéresse : l’instauration définitive du blanc comme signe de la propreté et que tous les travaux d’entretien du linge devront par la suite s’efforcer d’atteindre. D’une part, la blancheur, inaugurée dès le XVIème siècle et, d’autre part, la chasse au microbe, impulsée par les découvertes scientifiques du XIXème siècle, seront les deux bornes du système de lavage du linge dont ne pourra s’affranchir aucune invention dans ce domaine.
13En attendant, du début à la fin du XVIème siècle, la quantité de linge de corps augmente. “Les inventaires changent d’ailleurs de structure vers le milieu du XVIème siècle. Ils permettent mieux qu’auparavant de suivre l’organisation de chaque demeure… Le linge est toujours mentionné séparément, après le paragraphe consacré aux vêtements ; ce qui confirme sa présence”10. Les chemises, inexistantes dans les actes notariés, au départ, chiffrées à deux, en 1512, dans un inventaire, se montent à plusieurs dizaines, au milieu du siècle, dans d’autres inventaires. Et surtout, enfin, l’usage de la chemise, réservé aux nobles et aux bourgeois, se répand dans des milieux diversifiés. C’est ainsi que D. Roche estime que vers 1700, “une travailleuse ou une mère de famille peut changer tous les jours de chemise pendant la semaine, avec une réserve de cinq chemises, elle peut en troquer deux fois par jour à l’occasion”11.
La révolution dans la propreté
14Cependant, ce fut la révolution industrielle qui permit l’“embellissement subit” que fut cette prodigieuse acquisition du linge, “cette immense acquisition de coton qu’ont faite les ménages pauvres vers 1842”… “linge de corps, linge de lit, de table, de fenêtres : des classes entières en eurent, qui n’en avaient pas eu depuis l’origine du monde”, ce fut cette révolution “peu remarquée mais grande révolution dans la propreté”12. En effet, si les normes de confort et d’hygiène se diffusèrent des classes qui les dictaient vers les autres catégories sociales qui se les approprièrent, souvent par les intermédiaires que furent les domestiques13, le linge demeura longtemps un bien rare que les pauvres avaient du mal à acquérir. Sans doute, même les plus pauvres “quérant leur pain” possédaient-ils déjà des draps aux XIVème-XVème siècles14, mais l’état d’usure pouvait être avancé, qualifié alors de “chétif”, “méchant”, “viéz” ou “viéz et percé”15.
15Les études sur le linge de maison concluent toutes à la croissance des trousseaux comportant une abondance de linge de corps, de draps et de nappes. Qu’elles concernent les représentations populaires relatives aux mariages dans le Sud-Ouest et du Midi au début du siècle16 ou qu’elles s’attachent aux contenus des actes notariés, signés entre 1816 et 1914, d’un pays de petits propriétaires et de métayers, dans les Landes17, ces études concordent pour souligner la quantité impressionnante du linge de maison qui, dès le début du XIXème siècle “ne fera que croître… ; elle double entre 1816 et 1914 et atteint environ deux douzaines à la veille de la Première Guerre Mondiale”. Ainsi, “au début du XIXème siècle, la quantité moyenne des draps offerts est légèrement inférieure à la douzaine, chiffre atteint en 1830-1835 ; la douzaine et demie apparaît aux environs de 1875-1880”. Quant au linge de corps, “(il) n’apparaît que dans le dernier quart du XIXème siècle pour devenir un élément important du trousseau jusqu’à la dernière guerre”18.
16Bien que le linge soit devenu un bien banal que l’on achète, même par correspondance, il n’a pas perdu, partout, son caractère symbolique de confort et de dignité qu’il acquit dans le passé. Plus accessible que la pierre et la terre, le linge par sa rareté et sa cherté fut “le seul bien d’épargne souvent pour l’ouvrier, notait Frédéric Le Play, car le plus aisément réalisable”19. Aussi pendant longtemps, il fut le bien minimum qu’on cherche à léguer, particulièrement à travers les femmes, puisqu’il est un bien de femmes. En effet, pendant des siècles, “la fabrication a été l’apanage exclusif des femmes depuis la culture du chanvre, sa récolte jusqu’au filage”20.
17Longtemps, le trousseau a constitué les “dotalices” de la jeune fille, c’est-à-dire les biens dont son père la dote au moment du mariage, et qui comprennent des meubles, des vêtements et du linge. Selon Agnès Fine21, “dans la France Méridionale, le droit dotal est le seul régime matrimonial, depuis le haut Moyen-Age jusqu’au Code Civil. Par la suite, il est choisi majoritairement dans les campagnes comme régime matrimonial et lorsqu’il est abandonné vers le milieu du XIXème siècle dans certaines régions méridionales, il est remplacé par d’autres régimes matrimoniaux qui en conservent l’esprit. Or, d’après le régime dotal, le père est obligé de doter sa fille”. L’ancrage de cette pratique dans les habitudes des contrats de mariage donne au linge une importance qui dépasse sa seule fonction d’usage et explique le rituel de la préparation du trousseau par les jeunes filles, le caractère ostentatoire de son transport lors d’une cérémonie qui consiste à installer le trousseau de la future mariée dans la chambre nuptiale22.
18Ces raisons favorisent la diffusion du linge au-delà des seuls besoins domestiques et vestimentaires, puisque la profusion du trousseau sert à d’autre but que celui pour lequel son destin l’assigne. En effet, précise M.T. Larroque23, “les jeunes femmes qui vont habiter chez leurs beaux-parents utilisent le linge de “famille”, le linge de leur “belle-famille”, nappes, serviettes, draps apportés en dot par la mère ou la grand-mère de leur mari : ce sont les successeurs qui utilisent le trousseau. Il fait partie du patrimoine aussi bien que les terres, et ne semble pas être partagé à la mort de la “daoune”, entre les filles de la maison”.
19La contrainte de l’habitude jointe à l’émulation pour acquérir un statut social, dont l’éclat repose sur la splendeur du trousseau, pousse les familles à se préparer longtemps à l’avance à son acquisition et encourage les commerçants à en faciliter l’accès : par l’envoi de représentants des grandes maisons de commerce qui “arrivaient en train et sillonnaient la région en vélo…, d’autres venaient avec une voiture et un cheval”24 ; ce que confirme un autre auteur : “les grandes entreprises commerciales mettent en place un système de vente à domicile par l’intermédiaire de marchands ambulants (qui) passent dans les villages et se présentent de préférence dans les maisons où il y a des filles à marier”25. Ou bien encore par un système de crédit, “les épiciers du village fournissent… le linge payé après les moissons ou les vendanges”26.
20Si on ne connaît pas précisément l’essor de l’industrie et du commerce de la lingerie, par des témoignages épars on peut suivre l’évolution de la consommation de draps, de nappes et la diffusion de linge de corps. Selon Alain Corbin27, cette diffusion fut inégale selon les milieux : “Dès le Second Empire, les dessous se compliquent et se raffinent tout à la fois. A cette date, le pantalon féminin a déjà cause gagnée au sein de la bourgeoisie, grande et petite. Mais ce n’est que durant le dernier quart du siècle que l’ouvrière adopte résolument le vêtement invisible… Dans les régions pyrénéennes, le linge de corps ne se banalise qu’à l’extrême fin du siècle, soixante-quinze ans après le linge de maison… Un demi-siècle plus tard, il ne sera pas rare de rencontrer de vieilles paysannes qui ignorent encore le linge de corps”.
21L’usage du linge devait se répandre au point que le XIXème siècle fut caractérisé de “civilisation du linge”28. Il fut exalté par le commerce dont il assura la prospérité. Sa diffusion fut contemporaine de la création des grands magasins. Emile Zola en a laissé un témoignage passionné29. L’abondance du linge et la banalisation de son usage grâce à l’essor de l’industrie textile au XIXème siècle se conjuguèrent avec le développement des idées relatives à l’hygiène. La fréquence relative du changement de vêtements de dessous, privilégiant maintenant l’invisible et le caché, la densification de l’habitat urbain, où d’ailleurs la diffusion des habitudes nouvelles s’effectua mieux, firent de l’entretien du linge un problème sur lequel les industriels, à la suite des travaux des savants, ne tardèrent pas à se pencher. Du côté de l’hygiène, le lavage devint vite un problème d’ordre social que les préfets et les urbanistes tentèrent de régler.
II. L’entretien du linge : de la rivière au foyer domestique
22L’entretien des vêtements et du linge fait référence à un ensemble de représentations qui dépasse la simple pratique du maintien des objets vestimentaires en l’état ou de la prolongation de leur vie. Il est directement en rapport avec la perception des notions de propreté. En ce sens, il évolue avec celle-ci. Il témoigne de la tension permanente que les normes de propreté font peser sur les catégories sociales qui n’en sont pas à l’origine et tentent de les suivre.
23Ces normes sont liées à des codes de convenances et de civilités issus de ceux qui sont en mesure de les dicter et de les mettre en œuvre. Elles établissent des disciplines et des habitudes vestimentaires difficiles à respecter par tous, qu’elles s’appliquent à l’usage d’un textile peu susceptible d’être nettoyé sans le recours à des professionnels, c’est le cas du vêtement, ou à celui d’un linge que l’on doit avoir d’autant en abondance que l’on veut espacer les travaux de lessive.
24L’histoire de l’entretien du linge est liée à l’évolution de sa diffusion, à la ville et à la campagne, corrélative à celle des pratiques ostentatoires des classes aisées, à la transformation des textiles au détriment des matériaux traditionnels, comme le lin et le chanvre. L’un et l’autre facteur, en facilitant le rapprochement des pratiques et des normes, permettent la montée des exigences dans le changement de vêtements et de linge, lorsque se diffusent au XIXème siècle les connaissances en matière d’hygiène et s’apprécient les habitudes de confort, commencées au XVIème siècle avec l’apparition progressive de la chemise.
25La première guerre mondiale intervient comme accélérateur de l’évolution des mœurs en la matière, de façon indirecte, en posant la question du travail domestique, au rang duquel se trouve la tâche ingrate du lavage du linge.
Un conflit entre le respect des convenances et les difficultés de s’y soumettre
26La plupart des vêtements étaient taillés dans des tissus non lavables : “l’habit des riches… se fane… très vite… Décrépit et dévalorisé, il descend d’un degré dans l’échelle sociale des possessions, passe de l’un à l’autre et se retrouve à la friperie. En ville, les fripiers sont les maîtres du rapiéçage, du ravaudage, du nettoyage… A Paris, ils partagent le monopole du dégraissage avec les maîtres teinturiers du petit teint qui ont… le privilège de teindre les étoffes communes et de reteindre les tissus déjà colorés par les teinturiers du grand teint. Le dégraissage et la reteinte sont soumis aux mêmes critiques ; à l’usage, ils laissent les tissus plus fragiles et ne supportant pas le savonnage à l’eau chaude”30.
27Le nettoyage à sec était une tâche ardue, chère et peu efficace. Il coûtait de suivre les normes de la propreté et de l’élégance. Si des techniques et des procédures complexes existaient déjà en usage tant à Londres qu’à Paris, dit Daniel Roche31, “le dégraissage à sec coûte plus cher qu’un simple nettoyage”. Et “il n’en est pas fait cadeau au chaland… A Londres, les prix d’un nettoyage, à la fin du XVIIIème siècle atteignent 10 shillings et 6 pence pour une robe ou pour un habit d’homme, mais le coût du travail varie selon la qualité de l’étoffe et des garnitures : le lin et le calicot sont moins chers à rapproprier que la soie ou les tissus d’or et d’argent… Des prix équivalents mettraient l’art du dégraisseur hors de la portée habituelle du commun, ce qui expliquerait la vogue des procédés familiaux ou familiers. Ces indices ont un intérêt moins en eux-mêmes que parce qu’ils soulignent la contradiction réelle existant entre l’exigence de la propreté et le coût des pratiques”.
28On ne s’étonnera pas alors que l’évolution des textiles se fût allée dans le sens d’une simplification de l’entretien, synthétiques contre produits naturels, chanvre et lin – le coton était une denrée rare en Europe avant le XIXème siècle – aidée en cela par les progrès des industries chimiques au cours du siècle dernier. La recherche des modalités de nettoyage, compte tenu de la cherté des services marchands allait dans le sens d’une intégration de plus en plus grande du nettoyage dans la sphère domestique, domaine du service gratuit32.
29Il restait la question du linge de maison et de corps qui relevait de la gestion familiale et nécessitait une organisation régulière suivant des rythmes variables en fonction des possibilités de chaque ménage. Et dignité oblige, le renouvellement minimum était une obligation sociale. Le linge, comme on l’a vu, était porteur de valeurs dans lesquelles la propreté était davantage une question de convenances qu’une évaluation précise de l’absence de saleté. Le blanc du linge s’étant imposé comme le signe de la propreté, le blanchissage constituait une tâche à laquelle ne pouvaient échapper les personnes soucieuses de se soumettre aux codes vestimentaires et d’afficher, par le respect des pratiques, leur appartenance au monde de ceux qui dictaient les normes. Les travaux de nettoyage du linge constituaient les marques d’un rare consensus à des normes sociales auxquelles acquiesçaient la campagne comme la ville.
L’organisation de l’entretien à la campagne et à la ville
30L’entretien des vêtements et du linge fait partie de la distribution des tâches qui entraîne des normes de vie et qui assigne un rôle à l’un des sexes. Dans de nombreuses sociétés, il incombait aux femmes33. L’origine de ce partage semble remonter loin. Deux hypothèses pourraient être avancées pour en expliquer la cause. L’une pourrait s’appuyer sur la distribution traditionnelle des positions des sexes dans la vie sociale, à savoir la séparation entre ce qui renvoie à la sphère publique, domaine masculin et ce qui relève de l’“oikos”, espace de la gestion quotidienne où règnent les femmes.
31La deuxième explication prendrait plutôt son sens dans le fait que l’acte de lavage du linge appartient à une technique globale – laver – réservée aux femmes par la nature même de l’acte. Cette exclusivité viendrait de la proximité de la femme par rapport à l’eau, des bornes de sa physiologie qui lui attribueraient cette proximité. La femme donne la vie qui jouxte aussi la mort : à elle donc de laver les nouveaux-nés comme les morts avec leur mise en sépulture34. La personnification de ce rôle par les femmes se matérialise dans le métier de “la femme-qui-aide”35. La “femme-qui-aide” lave les nouveaux-nés et les morts, mais aussi le linge. “Aux deux pôles de la vie, cette vertu de médiation nous est apparue comme liée à l’exercice d’une technique : laver… Au début du siècle, les deux femmes-qui-aident à Minot sont “laveuses de lessive”, et tout se passe comme si la femme-qui-aide, la laveuse, préfigurait le destin de l’être qui vient au monde, et lui signifiait : par deux fois, tu seras lavé, une première fois à ta naissance, une seconde fois lorsque tu trépasseras”36.
32Ces deux causes se renforcent sans doute pour assigner aux femmes la tâche d’entretenir le linge par l’eau, réservant la maintenance du vêtement aux hommes. Le passage dans les domaines respectifs – masculin et féminin – dépend de la nature des matériaux. La définition des frontières du nettoyage entre les deux dépend de l’évolution des textiles.
33Cette différenciation sexuelle des espaces, à regarder de près, ne signifie pas pour autant la relégation des travaux de lessive dans la sphère domestique. Bien au contraire, avant que la machine à laver ne fît entrer l’entretien du linge dans la maison au même titre que d’autres tâches de gestion quotidienne, le blanchissage s’opérait dans l’espace public. Son organisation relevait même d’une grande organisation à laquelle la société locale se pliait. Le linge, en effet, dont la maintenance était réservée aux femmes, n’a pas toujours participé de ce que l’on pourrait appeler une gestion quotidienne. Bien rare, avons-nous dit, bien durable, son entretien relevait d’une pratique fixée par la coutume qui en faisait l’affaire et le souci d’une communauté.
34Aussi les grandes lessives étaient-elles depuis des temps lointains un acte social important entouré d’interdits et de croyances. Dans les grandes villes comme Paris, leur mise en œuvre était réglementée dès le XIIIème siècle, avec les premiers statuts des communautés ouvrières regroupées dans Le Livre des Métiers (1266) par un prévôt de Paris, Etienne Boileau37. Mais ce ne fut qu’à partir du XIXème siècle38 que fut décidée la construction de lavoirs couverts dans tous les villages de France. Avant, le lavage s’effectuait à tous les points d’eau dont la facilité d’accès était inégale. Une simple pierre plate en marquait l’endroit, l’eau de qualité variable, d’une présence toujours recherchée.
35De nombreux témoignages attestent de la dépendance villageoise vis-à-vis de cette denrée : “La fontaine dans le Bas (nom d’une partie du village), l’été, souvent, elle était basse, elle coulait pas beaucoup, fallait un bon moment pour avoir un seau d’eau”… “En été, on faisait l’économie de l’eau. Parfois, il n’y en avait plus… Les gens faisaient la queue. Il fallait d’abord faire boire les bêtes… L’eau de la salade servait pour le linge, puis on lavait la vaisselle, puis on le jetait sur les plantes. On ne faisait pas de grandes lessives”39. “Là où il y avait peu d’eau, les lessives étaient souvent faites de façon sommaire, les femmes se contentant, dans les familles pauvres, de tremper leur linge dans l’eau de la fontaine ou du ruisseau”40. On ne s’étendra pas sur la fonction du lavoir dans la construction de la sociabilité féminine et dans la structuration d’un pouvoir de femmes autour des actes de lavage où les secrets du village se dévoilent dans le linge. Les écrits auxquels nous nous sommes référée en parlent tous avec talent.
36Il se dégage au travers de ces analyses de la lessive une technique du lavage, quasiment uniforme pour toute la France, quelle que soit la région considérée. Qu’elle se déroule dans le Nivernais ou dans la Région Parisienne, les mêmes phases, les mêmes gestes se répètent : la buée, la buie, la bui, ses rites, ses interdits, ses superstitions, ses calendriers religieux variables d’une région à l’autre, mais tournant autour des interférences entre l’eau, le linge, la mort, la purification. Un savoir-faire précis s’est développé sur lequel s’appuieront les inventeurs industriels pour proposer des solutions lors de la mécanisation des travaux ménagers.
37Les grandes lessives – bi-annuelles – se pratiquaient dans tous les villages et représentaient un événement important auquel participaient beaucoup de femmes. Elles se déroulaient généralement deux fois par an – au printemps et à l’automne – et mobilisaient toute la communauté féminine du village. Dans les familles bourgeoises et aristocratiques, les domestiques se faisaient aider par les paysannes.
38A la campagne et dans les bourgs, aux quelques professionnelles qui, de surcroît, occupaient aussi parfois d’autres métiers (laver les nouveaux-nés et les morts) s’ajoutaient alors des laveuses occasionnelles se joignant aux mères de familles ou aux professionnelles pour les aider le jour de la grande lessive, et aussi des laveuses à la journée41. Le métier était pénible, parfois bien payé. Mais c’est dans les villes que le métier fut organisé, car le rassemblement du linge et d’une population de professionnelles dans des espaces restreints avait posé très tôt le problème de l’eau et de sa pollution.
39Il n’est pas étonnant que les villes se soient préoccupées de l’organisation des corporations des travailleurs de la blanchisserie. D’après les études de F. Wasserman42, les ordonnances royales, à partir du XIIème siècle, traitaient déjà du règlement des maîtrises et des métiers privilégiés, des créations d’offices. On distingua très tôt, au XVIIème siècle, une spécialisation professionnelle et spatiale dans les métiers de la blanchisserie : les blanchisseuses de fin opérant dans l’enceinte de Paris et les blanchisseuses de draps et de linge de maison installées sur les berges du Gros-caillou et de la Grenouillère (quai d’Orsay aujourd’hui).
40Il semble que les lavoirs autour de Paris se soient développés dès 1610 : sur les bords de la Bièvre, à Bicêtre, Gentilly, Arcueil, La Glacière, Sèvres, Meudon, Vanves, Rueil43, qui demeurèrent jusqu’au XXème siècle les hauts lieux de la blanchisserie. C’est en 1623 que Louis XIII concéda les droits d’installation des bateaux-lavoirs sur la Seine et jusqu’à 1830 le lavage se faisait sur les 68 bateaux à Paris. En 1831, fut créé le premier lavoir public sur terre, rue de Seine, et en 1850 il y en eut 51. En 1879, le nombre passa à 329 plus 70 en banlieue. Mais l’augmentation rapide de la population à Paris posa le problème de l’eau et celui des eaux usées.
41De plus en plus, les familles bourgeoises prirent l’habitude d’envoyer leur linge en banlieue ou d’y envoyer leurs domestiques. Pour les habitués de Paris, les blanchisseurs faisaient leur tournée à cinq heures du matin en été et à huit heures en hiver44. En 1830, on recensait 55 000 ouvrières et repasseuses qui travaillaient à la journée. Elles avaient dans Paris un certain nombre d’endroits où elles se rendaient et attendaient une embauche. Elles travaillaient douze heures par jour et chômaient quatre à six mois par an dans les arrondissements riches qui se vidaient de leurs habitants partis prendre leurs quartiers à Nice ou en Suisse. Le métier du blanchissage s’organisait autour de cinq spécialités. J. Moisy dans son livre sur les lavoirs donnait les chiffres suivants pour 188445 :
Récapitulation du personnel occupé au blanchissage du linge à usage domestique et industriel dans Paris et aux environs

42Une deuxième raison, de nature sociale et économique, fit que le blanchissage devint une préoccupation placée au cœur de la politique d’urbanisme : le développement des métiers de la blanchisserie satisfaisait à la demande d’une clientèle pouvant accéder à des services marchands, mais, pour une partie importante de la population, ces services représentaient un coût assez lourd dans le budget.
43Selon les estimations des frais de blanchissage par une commission créée par le gouvernement vers 185046, une famille de quatre personnes payait 8,40 F par mois, draps non compris. Or, vers la même époque (1853), d’après les salaires des blanchisseurs établis par Louis Chevalier, une blanchisseuse gagnait 2,50 F par jour, une brodeuse gagnait 1 F et une lingère 1,50 F. Le salaire moyen pour les hommes était de 3,82 F. Il fallait donc deux journées de salaire moyen d’un homme pour blanchir une famille de quatre personnes. Les chiffres cependant sont variables d’une source à l’autre. J. Moisy estimait à 60 F annuels par tête pour une famille ouvrière et 80 F pour la classe moyenne. Ce qui ressortait cependant, c’était la nécessité d’améliorer les travaux de blanchissage et d’en augmenter la productivité. Pour ces raisons, les industriels se penchèrent sur la question de la mécanisation des travaux de blanchisserie commerciale afin d’en augmenter le rendement.
44C’est en décomposant les différentes phases du blanchissage telles qu’elles s’enchaînaient couramment à la campagne et à la ville et en en étudiant la pratique que les savants et les industriels apportèrent, avec les connaissances de l’époque, des améliorations aux travaux de blanchissage. Utilisant les sciences de l’hydraulique, de la métallurgie, ils apportèrent des perfectionnements à chacune des principales phases : lessivage, lavage et essorage47. Les opérations de ces trois phases (nous ne parlerons pas ici du séchage) étaient considérées comme celles qui nécessitaient le plus de force physique et étaient le plus susceptibles d’être mécanisées. Elles furent soumises aux recherches qui aboutirent à leur transfert dans des machines distinctes : il y eut la lessiveuse industrielle illustrée par les différents appareils à lessive (qui ne font que lessiver), la machine à laver (la roue à laver, la roue américaine à double enveloppe, la machine à laver à ouverture libre et l’aide-laveuse), l’essoreuse (l’essoreuse à pression et l’essoreuse à force centrifuge). Pendant quelques temps, ces trois types d’appareils se développèrent séparément remplissant chacun un type d’opérations48.
45C’est vers 1830 que s’introduisirent les premières mécanisations avec la mise au point des lessiveuses en bac de tôle à couvercle à double fond où on déposait du savon et du sel de soude. A ces perfectionnements sont attachés les noms de Duvoir et Decoudun. C’est par les machines utilisées dans les collectivités telles que les hôpitaux et les hospices pour contrôler l’hygiène publique, qu’on connaît le mieux ces transformations. Pour le lessivage, les premiers systèmes étaient fixes, constitués d’un ensemble composé d’une chaudière alimentée au bois ou au charbon et d’un cuvier, reliés l’un à l’autre par un tube. Les chaudières étaient encastrées dans des fourneaux en brique. Ils étaient faits pour laver jusqu’à 1000 kg de linge. De la même façon, le lavage s’effectuait dans des bassins où l’eau était maintenue chaude grâce à un serpentin de vapeur ou d’eau chaude. Le lavage mécanique n’intervint que progressivement.
46Les nouveaux procédés à la vapeur pouvaient diminuer de deux tiers le temps passé au lavoir par la diminution du temps de coulage. Quant à l’essorage, il fallut attendre la fin du XIXème siècle pour que le principe de la force centrifuge fût connu en France comme moyen d’expulsion de l’eau de lavage. D’après S. Giedion49, c’est aux environs des années 1860 qu’il fût appliqué aux Etats-Unis dans les laveries commerciales.
47L’existence des machines poussa à la mécanisation des blanchisseries. Cependant, l’industrialisation progressa de façon diverse suivant la taille des entreprises et l’ingéniosité des patrons-blanchisseurs. Jusqu’au début du siècle, certaines blanchisseries, semble-t-il, utilisaient encore des techniques anciennes50. L’industrialisation se développa surtout en banlieue, concurrençant les lavoirs de Paris : Courcelles, Sarcelles, Villetaneuse. En 190051, on recensait en Région Parisienne plus de 1000 entreprises de blanchisserie réparties à Boulogne, Rueil, Chaville, Sèvres, Meudon, Issy, Clamart, Viroflay, Arcueil, Cachan, Gentilly, Kremlin-Bicêtre, Fresnes. Boulogne fut, “pendant des siècles, le siège unique et fondamental de la blanchisserie, atteignant son apogée en 1900”52 avec 450 blanchisseries sur 1100 au total de la Région Parisienne.
48La blanchisserie fut donc nettement améliorée, à partir du XIXème siècle qui vit s’intégrer ce problème dans les projets d’architecture et d’urbanisme. Elle devint même centrale dans les activités de recherche industrielle avec les savants Chaptal et Cadet de Vaux, les inventeurs comme Duvoir, Decoudun, Muller et Bouillon. Cependant, si on compare les tarifs de blanchissage à ceux des laveries et les salaires moyens de l’époque, on comprend l’intérêt d’une politique des lavoirs. Très tôt, pour des raisons d’hygiène – le choléra se déclara à Paris en 1832 – se mit en place une politique de lavoirs intégrée à la politique d’urbanisme. Nombreux étaient les témoignages sur l’insalubrité des habitations à Paris, manquant de confort, de lumière, d’hygiène, d’eau courante. Les travaux domestiques considérés maintenant comme allant de soi posaient des problèmes d’hygiène collective. Joseph Barberet, dans ses monographies industrielles53, signalait qu’avant 1840, “le buandage du linge s’effectuait dans des buanderies publiques spéciales sur les quais de l’Hôtel de Ville, de l’Hôtel-Dieu et aux alentours de la place Maubert”. Dans un premier rapport fait par une commission nommée à l’initiative du Ministre de l’Agriculture et du Commerce pour l’examen des moyens de créer à Paris des lavoirs et bains publics, il était dit que, d’après les informations prises en Angleterre, notamment à Londres, “le blanchissage, dans les ménages d’ouvriers, par le lessivage, le séchage et le repassage, produisait des exhalaisons délétères, entretenait l’humidité dans les logements et était cause de nombre de maladies”. La construction des lavoirs fit partie des projets d’assainissement de la ville de Paris.
49C’est ainsi qu’en 1850, Armand de Melun déposa devant l’Assemblée Nationale un rapport au nom d’une Commission chargée du projet de loi “tendant à l’ouverture d’un crédit de 600 000 F pour favoriser la création d’établissements de bains et lavoirs au profit des classes laborieuses”54. L’assainissement des villes s’entendait non seulement en termes architecturaux mais aussi comme un combat contre la malpropreté des classes dangereuses qu’étaient les classes laborieuses. J. Moisy n’hésitait pas à ajouter dans son argumentaire la nécessité de construire des lavoirs : “Dans la construction de ces établissements que je ne crains pas de qualifier d’”utilité publique”, et dont l’influence sanitaire et même moralisatrice ne peut faire de doute pour personne, les lavoirs publics combattent efficacement les penchants à la malpropreté ; l’ouvrier dont le linge est propre jouit d’une meilleure santé et d’un esprit plus sain que celui qui vit dans des conditions négligées… La propreté n’est pas seulement une condition de santé, elle profite encore à la dignité, à la moralité humaine, elle assainit, elle embellit le plus pauvre réduit, la mansarde la plus misérable et suppose dans les familles, même les plus indigentes, le sentiment de l’ordre, l’amour de la régularité et une lutte énergique contre l’action dissolvante de la misère ; tandis qu’un logement malpropre, des vêtements souillés, engendrent à la fois des maladies et le désordre, et devient indices certains de cette insouciance du devoir, de cette paresse, de ce laisser-aller, symptôme infaillible d’une âme languissante et inerte dans un corps dégénéré”. La discipline industrielle qui se mettait en place alors sur les lieux de travail s’accompagnait d’une lutte contre le désordre de la vie hors travail. J. Moisy, cependant, n’oublia pas de lancer un appel en direction des investisseurs éventuels, après un calcul tout à fait approximatif sur les bénéfices futurs : “je crois fermement que les villes dans lesquelles les édiles auraient encouragé, et même subventionné des deniers municipaux, la création des lavoirs publics, verraient leurs dépenses remboursées par la plus-value des impôts frappant ces établissements, ainsi que leur produit de consommation habituelle… Philantropique d’un côté, ajouta-t-il, rémunératrice de l’autre, on voit que le résultat est digne de l’attente de ceux qui dirigent une grande ville.”
Les tarifs des lavoirs étaient les suivants :
Coulage | 0,60 F. |
Place de la laveuse | 0,40 F. |
Jetons (eau chaude, lessive, …) | 0,50 F. |
Total | 1,50 F. |
50En 1852, le salaire horaire moyen d’un ouvrier de la région parisienne s’établissait à 0,45 F55, soit aux environs de 140 F par mois pour une semaine de 6 jours à raison de 12 heures par jour, ce qui était la durée moyenne de l’époque. La fréquentation des lavoirs devenait abordable pourvu que l’on moralisât en même temps les relations nouées dans ces lieux : “Vous n’entendrez plus ces dialogues réalistes et peu académiques entre ménagères et blanchisseuses ; le maître du lavoir ou le gérant intervient et les fait cesser immédiatement… Car on comprendra facilement l’hésitation, la crainte pour une partie de la clientèle, et la meilleure, d’entrer dans ces maisons dont la scène des lavoirs dans l’Assommoir de M. Zola a certainement forcé la note…”56.
51La politique des lavoirs et des bains publics aboutit à augmenter le nombre de places aux lavoirs tout en supprimant les bateaux qui gênaient la circulation sur la Seine. La répartition des places évolua ainsi :
Evolution de la répartition des places entre les bateaux-lavoirs et les lavoirs57

52Problèmes de salubrité et problèmes sociaux se conjuguèrent pour que des solutions se fissent jour. Les lavoirs rendaient service aux ménages qui venaient effectuer pour leur propre compte des travaux qu’ils ne pouvaient acheter aux professionnels. Outre l’eau chaude et l’eau froide, on pouvait faire sécher son linge (séchoir à air chaud), le repasser, en allant dans les salles affectées à cet effet. La demande de laverie était grande, d’autant que les foyers domestiques étaient peu équipés en eau courante et le demeurèrent, on le verra, au moins jusque dans la deuxième moitié du XXème siècle.
53Les machines qui équipaient les collectivités furent commercialisées largement58. Les lavoirs reçurent progressivement des laveuses mécaniques utilisées longtemps avant dans les blanchisseries de banlieue. Elles proposaient des capacités de lavage pour des quantités importantes. J. Moisy en donnait ainsi un témoignage : “… les machines à laver ont commencé à faire apparition dans les lavoirs depuis quelques années seulement, et cependant elles sont en usage depuis plus de trente ans dans toutes les blanchisseries, petites ou grandes, dans la banlieue de Paris. C’est à elles que l’on doit, en quelque sorte les premiers essais de blanchissage mécanique. Nous nous rappelons les débuts de ces engins, les tâtonnements et surtout leur fabrication. Figurez-vous un tonneau dans lequel on clouait des tringles en bois, sur lesquelles le linge se balançait, s’emmêlait, et retombait dans un liquide versé par une porte pratiquée dans ledit tonneau. Puis vint un perfectionnement la machine octogone inventée par M. Boucher, de Rueil”59. On le verra, les premières machines domestiques s’inspirèrent des laveuses mécaniques, notamment la Rotolaveuse, dont nous aurons l’occasion de parler, qui reposait aussi sur un système de tringles. Les problèmes techniques à résoudre étaient au départ ceux de la tenue du linge pendant la rotation. Le mouvement alternatif focalisa alors l’attention des constructeurs. Les foyers domestiques avaient trouvé une amélioration grâce à la lessiveuse qui était une miniaturisation des procédés industriels de Duvoir et Decoudun.
54L’usage de la lessiveuse se répandit à partir des années 188060. Il dura dans certaines familles jusqu’à la veille de l’ouverture du marché commun en 1960. Cependant, dès 184061, des recherches sur les machines à laver industrielles furent effectuées. Mais la miniaturisation des machines industrielles dut attendre jusqu’aux environs de 1930 pour trouver enfin quelques débuts d’ouverture en France. Ce sera l’objet du chapitre suivant. Un événement décisif, cependant, donna une impulsion au secteur : la guerre de 1914-1918, par les bouleversements sociétaux qu’elle introduisit dans l’activité féminine encouragea, dans la foulée de l’expansion industrielle en France, de nombreuses recherches dans ce domaine.
Histoire du travail féminin : domestique/salarié
55Le travail féminin n’est pas une révélation de la première guerre mondiale. Pour certains auteurs, bien au contraire, l’activité de la femme a toujours été productive, elle a été seulement refoulée et niée dans l’ombre du foyer. En effet, “la grande loi de toutes les civilisations est la loi du rétrécissement progressif du champ d’activité de la femme. L’homme, les mœurs, le droit comme les événements eux-mêmes, tout concourt à un resserrement sans compensation. Avant l’ère des machines, quand la chasse et la guerre ne furent plus la constante préoccupation des hommes, ils s’en vinrent prendre leur part des occupations féminines… (Mais) la machine en accueillant le concours de la femme n’a pas élargi strictement le champ ancien où s’exerçaient son labeur et son industrie ; la femme n’a fait que reconquérir quelques parcelles de son ancien domaine d’activité”62. Une autre façon d’exprimer la mutation de l’activité féminine consiste à repérer une continuité historique entre le travail domestique et le travail salarié de la femme. Ainsi, un auteur, Le Van Kim, analysant les différents courants du féminisme en France et leur attitude face à la revendication au droit au travail des femmes, dit : “entre les siècles passés et le siècle présent continuant l’œuvre du dernier siècle, le fossé profond, c’est la transformation du travail domestique en travail salarié, c’est aussi le travail de la femme en dehors de son foyer. C’est donc pratiquement à l’aurore du XIXème siècle que commence la véritable élaboration des formes actuelles du travail féminin”63. Même s’il y a par conséquent une forte continuité entre les différentes formes de l’activité féminine, la guerre 1914-1918 marqua un tournant et provoqua des changements considérables du point de vue sociétal.
56La guerre constitua une rupture par les importants mouvements dans l’emploi féminin qu’elle entraîna à la suite de la mobilisation des hommes au front. “Pour remplacer, aux champs comme à l’usine, à l’école comme au bureau, les hommes appelés sous les drapeaux, les nations ont puisé largement dans les réserves féminines. Et dans tous les postes, les femmes furent, durant ces périodes, à la hauteur de la tâche… La guerre terminée, il fallait encore panser les plaies béantes faites à la vie de la nation, il fallait remplacer les absents définitifs”64. Elle transforma ainsi le rapport des femmes au travail domestique65. Du fait du départ des hommes, les femmes accédèrent massivement à l’emploi salarié : le pourcentage du personnel féminin passa de 30 à 40 % dans les établissements relevant de l’industrie du livre, de 39 à 50 % dans le papier carton, de 60 à 70 % dans l’industrie textile, de 33 à 42 % dans les cuirs et peaux (à partir de 1915). L’afflux des femmes eut lieu aussi dans des industries largement masculines. Dans les usines d’armement, elles furent soumises à l’organisation scientifique du travail. Par rapport à un indice d’effectifs de 100 avant la guerre, on arrivait, à la veille de l’armistice, à 913 dans la métallurgie, 545 dans les transports, 164 dans les produits chimiques, 154 dans l’industrie du bois.
57A la démobilisation, les femmes ne rentrèrent pas toutes au foyer. Trois millions de veuves furent recensées. Elles avaient besoin de travailler. Pendant la guerre même, des ouvroirs furent créés pour accueillir les femmes de soldats qui ne pouvaient vivre des allocations de l’Etat. Les femmes investirent les postes d’institutrices, les administrations publiques et privées, la santé. Au recensement de 1906, la population active féminine était de 7,6 millions. A celui de 1921, elle passait à 8,3 millions, et la population active féminine non agricole passait de 4 millions à 4,4 millions. C’était un taux d’occupation important, comparé à celui d’autres pays comme les Etats-Unis où il était de 21,1 % alors que le taux français était de 42,2 % en 1921.
58La guerre, par les emplois qu’elle créa, fut cause d’un autre type de rupture : elle permit d’attirer dans le salariat industriel une frange de la population féminine qui aurait trouvé dans la domesticité une voie de sortie à l’exode rural. Les emplois domestiques baissèrent dans les emplois féminins passant de 19 % en 1906 à 14 % en 1931. La crise des domestiques eut des répercussions sur les projets de mécanisation des travaux au foyer, problème que l’on retrouvera tout au long de l’entre-deux-guerres. Si l’activité féminine a toujours été élevée, ne serait-ce que parce que l’agriculture occupait un grand nombre de femmes, ce qui était nouveau c’était l’entrée au travail des femmes des milieux relativement aisés, dans des activités industrielles mais surtout tertiaires, dans les conditions du salariat, hors de l’encadrement et de la surveillance communautaires où elles étaient maintenues au sein des sociétés rurales lorsqu’elles participaient à l’activité de travail. Ainsi, le blanchissage qui relevait de leurs compétences était accompli dans l’espace public selon des normes strictes de saison, de durée, de lieu66.
59L’activité féminine eut d’autres conséquences : les modes de vie, les mœurs. Le mouvement de baisse de la fécondité – constaté déjà à partir de 1910 jusqu’à la veille de la guerre, mais inversé au lendemain de l’armistice pour la seule année 1920 – fut mis en avant par les conservateurs pour flétrir l’activité féminine et demander le retour des femmes au foyer. Le débat sur la natalité et le travail féminin eut lieu à la Commission de la Natalité créée après la guerre en signe d’alerte. Le taux de natalité, exprimé par le nombre de naissances pour 1 000 habitants, n’avait cessé de fléchir depuis plus d’un siècle et même, du fait de la saignée de la première mondiale, le déficit des naissances par rapport aux décès était grave. Avec la fin de la guerre, il y eut une reprise du nombre de naissances en 1920 (833,5 milliers), supérieur pour la première fois à celui de l’année 1909 qui marquait le début du déclin de la natalité67. Si le travail féminin constituait un débat de société avec la question ouvrière née de l’industrialisation, au XIXème siècle, un tel constat démographique ne fit que faire rebondir la polémique, avec cependant une différence marquée par le fait que cette fois l’activité des femmes débordait le terrain traditionnel du débat. En effet, “si la question ouvrière en elle-même englobe le sort d’une grande partie de notre laborieuse humanité, les problèmes féminins intéressent la moitié de l’humanité, cette moitié qui dans aucun peuple ni dans aucun temps n’est jamais restée oisive. En ne considérant que le travail féminin, il y a non seulement l’ouvrière dont le sort comme travailleuse est semblable pour une part à celui de son compagnon ouvrier, mais encore la servante, puis aussi l’employée pour ne citer que les degrés les plus encombrés de l’échelle sociale. Mais par-dessus la travailleuse, il y a la femme toujours, la ménagère bien souvent”68.
60Dans la “Réforme sociale” de Juillet-Août 192269, un débat eut lieu en ces termes : “La question du travail de la femme s’est surtout imposée à l’attention depuis la guerre qui a multiplié les occasions offertes à la main-d’œuvre féminine, quoique cependant elle lui soit bien antérieure. En tout cas, le problème n’a plus aujourd’hui le même aspect qu’il y a un demi-siècle : il ne s’agit plus seulement du sort de l’ouvrière de l’industrie, mais de la condition faite à des femmes de catégories sociales plus élevées. De ce chef, la question est devenue beaucoup plus grave, parce que la conciliation du devoir familial avec le travail professionnel est beaucoup plus difficile à réaliser quand elle se pose dans un milieu social plus raffiné”.
61Le travail féminin, par l’ampleur mais surtout la rupture psychologique qu’il introduisit dans les mœurs, devint un problème social que les milieux politiques abordèrent dans des termes ambigus. Du fait de l’entrée dans la vie active salariée des femmes de classes moyennes, la question du travail féminin et de la condition féminine prit une tournure différente de celle que les doctrines politiques et économiques avaient jusqu’alors coutume d’adopter. Ces doctrines étaient liées à l’analyse du travail dans la production industrielle marchande. Si elles concernaient les femmes, c’était autour de la question de leur emploi dans l’industrie, notamment les problèmes de leurs salaires et de leurs conditions de travail, du fait de la position économique qu’elles étaient amenées à occuper relativement aux hommes. Pressées par les circonstances désastreuses dans lesquelles les femmes se trouvaient aspirées par la grande industrie, cette mangeuse d’hommes mais aussi de femmes et d’enfants, les partis politiques avaient tendance à ramener la condition de la femme à l’économie et à son rôle économique. Or, de toute évidence, tant que la question féminine était réduite à la question ouvrière, elle était dominée par des exposés d’ordre politique touchant d’abord à l’organisation sociale : la semaine de 40 heures, le travail dans les mines et les carrières, la formation professionnelle, le droit au travail, les services collectifs, l’égalité de l’homme et de la femme au travail et dans le ménage, etc…
62L’irruption des femmes des classes moyennes dans le débat politique à travers le mouvement féministe infléchit les exposés doctrinaires vers la résolution des problèmes pratiques de l’émancipation féminine, à savoir le travail domestique et les moyens d’alléger la condition des femmes, la reconnaissance de leur statut en tant que femmes. La parution, en 1925, du roman “La Garçonne” de Victor Margueritte fut autant un événement littéraire que le révélateur d’un mouvement profond qui commençait à saper le dogme traditionnel de la vocation de la femme à rester au foyer.
63C’était dans un tel contexte sociétal de rupture dans les modes de vie et de pensée, de transformations irréversibles, que l’industrie allait trouver des points d’application pour ses innovations dans le foyer. La machine à laver, présentée pour la première fois comme un objet industriel pouvant entrer dans la vie courante, allait susciter un intérêt passionné.
Le linge : une tradition exaltée par le commerce
64Au Bonheur des Dames
65(Extrait du roman d’Emile Zola)
66Depuis le matin, la cohue augmentait. Aucun magasin n’avait encore remué la ville d’un tel fracas de publicité. Maintenant, le Bonheur dépensait chaque année près de six cent mille francs en affiches, en annonces, en appels de toutes sortes ; le nombre des catalogues envoyés allait à quatre cent mille, on déchiquetait plus de cent mille francs d’étoffes pour les échantillons. C’était l’envahissement définitif des journaux, des murs, des oreilles du public, comme une monstrueuse trompette d’airain, qui, sans relâche, soufflait aux quatre coins de la terre le vacarme des grandes mises en vente. Et désormais, cette façade, devant laquelle on s’écrasait, devenait la réclame vivante, avec son luxe bariolé et doré de bazar, ses vitrines larges à y exposer le poème entier des vêtements de la femme, ses enseignes prodiguées, peintes, gravées, taillées, depuis les plaques de marbre du rez-de-chaussée, jusqu’aux feuilles de tôle arrondies en arc au-dessus des toits, déroulant l’or de leurs banderoles, et où le nom de la maison se lisait en lettres couleur du temps, découpées sur le bleu de l’air…
67En bas, enfin, l’exposition de blanc prenait, au fond des vitrines, une intensité de ton aveuglante. Rien que du blanc, un trousseau complet et une montagne de draps de lit à gauche, des rideaux en chapelle et des pyramides de mouchoirs à droite, fatiguaient le regard ; et, entre les "pendus" de la porte, des pièces de toile, de calicot, de mousseline, tombant en nappe, pareilles à des éboulements de neige, étaient plantées debout des gravures habillées, des feuilles de carton bleuâtre, où une jeune mariée et une dame en toilette de bal, toutes deux de grandeur naturelle, vêtues de vraies étoffes, dentelle et soie, souriaient de leurs figures peintes. Un cercle de badauds se reformait sans cesse, un désir montait de l’ébahissement de la foule.
Un lavoir public au XIXème siècle
68Le lavoir était situé vers le milieu de la rue, à l’endroit où le pavé commençait à monter. Au-dessus d’un bâtiment plat, trois énormes réservoirs d’eau, des cylindres de zinc fortement boulonnés, montraient leurs rondeurs grises ; tandis que, derrière, s’élevait le séchoir, un deuxième étage très haut, clos de tous les côtés par des persiennes à lames minces, au travers desquelles passait le grand air, et qui laissaient voir des pièces de linge séchant sur des fils de laiton. A droite des réservoirs, le tuyau étroit de la machine à vapeur soufflait, d’une haleine rude et régulière, des jets de fumée blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femme habituée aux flaques, s’engagea sous la porte, encombrée de jarres d’eau de javel. Elle connaissait déjà la maîtresse du lavoir, une petite femme délicate, aux yeux malades, assise dans un cabinet vitré, avec des registres devant elle, des pains de savon sur des étagères, des boules de bleu dans des bocaux, des livres de bicarbonate de soude en paquets. Et, en passant, elle lui réclama son battoir et sa brosse, qu’elle lui avait donnés à garder, lors de son dernier savonnage. Puis, après avoir pris son numéro, elle entra.
69C’était un immense hangar, à plafond plat, à poutres apparentes, monté sur des piliers de fonte, fermé par de larges fenêtres claires. Un plein jour blafard passait librement dans la buée chaude suspendue comme un brouillard laiteux. Des fumées montaient de certains coins, s’étalant, noyant les fonds d’un voile bleuâtre. Il pleuvait une humidité lourde, chargée d’une odeur savonneuse, une odeur fade, moite, continue ; et, par moments, des souffles plus forts d’eau de javel dominaient. Le long des batteries, aux deux côtés de l’allée centrale, il y avait des files de femmes, les bras nus jusqu’aux épaules, le cou nu, les jupes raccourcies montrant des bas de couleur et de gros souliers lacés. Elles tapaient furieusement, riaient, se renversaient pour crier un mot dans le vacarme, se penchaient au fond de leurs baquets, ordurières, brutales, dégingandées, trempées comme par une averse, les chairs rougies et fumantes. Autour d’elles, sous elles, coulait un grand ruissellement, les seaux d’eau chaude promenés et vidés d’un trait, les robinets d’eau froide ouverts, pissant de haut, les éclaboussements des battoirs, les égouttures des linges rincés, les mares où elles pataugeaient s’en allant par petits ruisseaux sur les dalles en pente. Et, au milieu des cris, des coups cadencés, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d’orage s’étouffant sous le plafond mouillé, la machine à vapeur, à droite, toute blanche d’une rosée fine, haletait et ronflait sans relâche, avec la trépidation dansante de son volant qui semblait régler l’énormité du tapage.
70E. Zola (L’Assommoir)
Les principales opérations de blanchissage et leur transformation par l’industrie
71C’est en décomposant les différentes phases du blanchissage tel qu’il était pratiqué couramment et en étudiant la façon dont elles se réalisaient que les savants apportèrent des améliorations par l’analyse méthodique des opérations induites par chaque phase.
72Utilisant les perfectionnements apportés à la méthode du coulage ordinaire grâce à des procédés reposant sur la vapeur (par pression, par circulation, ou par affusion), le blanchissage industriel put se développer à grande échelle grâce à de nombreuses inventions qui s’emparèrent des principales phases du blanchissage : le lessivage, le lavage et l’essorage. La description que nous en donnons dans les paragraphes suivants est extraite du Dictionnaire Encyclopédique et Biographique de l’Industrie et des Arts Industriels de 1881 (p. 728 à 737).
A. Le lessivage
73"La théorie du lessivage est assez simple. Le linge sale contient plusieurs sortes d’impuretés : les unes, solubles dans l’eau, ou bien interposées à l’état pulvérulent dans les fibres du tissu, s’enlèvent facilement par l’essangeage ; d’autres, telles que les tâches de fruits, de vin, de rouille, nécessitent l’emploi de certains réactifs chimiques ; les plus intéressantes, au point de vue du lessivage, sont les matières grasses, insolubles dans l’eau, qui ne peuvent être éliminées qu’après avoir subi l’action d’un alcali qui doit les saponifier complètement. C’est cette saponification qui est l’objet principal du lessivage…
74La perfection du blanchissage dépend essentiellement d’un bon lessivage ; cette opération, mal conduite, peut donner des résultats très défectueux… Pour que la saponification s’effectue d’une manière complète, il importe que la lessive ne dépasse pas un certain degré de concentration, et qu’elle atteigne progressivement une température de 100° ; mais trop caustique ou trop chaude, la lessive altère rapidement le linge le plus solide ; trop faible, ou chauffée à une température insuffisante, elle n’opère qu’imparfaitement la dissolubilité des corps gras qui salissent le linge. Tous les procédés employés jusqu’à ce jour pour effectuer le lessivage se rapportent aux types suivants :
- Lessivage par aspersions à la main.
- Lessivage par affusions intermittentes résultant de la pression de la vapeur sur la lessive.
- Lessivage par circulation continue de la lessive.
- Lessivage par l’action directe de la vapeur.
- Lessivage par immersion dans la lessive sans circulation.
- Lessivage par affusions à des températures graduellement croissantes.
1. Lessivage par aspersions à la main
75C’est le procédé ancien, dont la simplicité d’installation fait conserver l’usage dans beaucoup de maisons particulières.
76C’était la méthode décrite par Diderot et d’Alembert. C’était celle du “guide de la ménagère” qui eut cours jusqu’à l’arrivée de la lessiveuse.
2. Lessivage par affusions intermittentes à l’aide de la pression de la vapeur
77Le principe de cette méthode, due à Widmer de Jouy, consiste à faire refouler la lessive bouillante par la pression même de la vapeur que l’ébullition dégage en quantité suffisante pour opérer ce refoulement. Cette pression s’exerçant sur la surface du liquide le force à s’élever dans un tube qui le fait déverser en nappe au-dessus de la surface du linge ; puis, ce même liquide redescend au bas du cuvier, quand il a traversé la couche de linge, pour se réchauffer à nouveau et remonter encore, et ainsi de suite à intervalles à peu près égaux qui dépendent uniquement du temps nécessaire pour que la lessive revienne au fond du cuvier et que la vapeur qu’elle dégage reprenne une tension suffisante pour reproduire les mêmes aspersions.
78M. René Duvoir d’une part, et M. Decoudun, d’autre part, ont apporté à ce système d’importants perfectionnements en séparant le cuvier de la chaudière où se produit l’ébullition… La lessive refoulée par la pression de la vapeur s’élève par le tube fixé sur le dôme de la chaudière, et va se déverser par le champignon qui termine ce tube, et qui l’étale uniformément sur toute la surface du linge. Quand elle est descendue au bas du cuvier, un tuyau, muni d’un robinet et d’un clapet de retenue, permet de ramener le liquide dans la chaudière, pour le réchauffer jusqu’à ce que la tension de la vapeur le refoule à nouveau, et reproduise l’aspersion qui se renouvelle chaque fois dans les mêmes conditions…
3. Lessivage par circulation continue
79Ce procédé, essayé sans succès dans plusieurs hôpitaux de Paris et abandonné maintenant, consistait dans l’emploi d’une chaudière et d’un cuvier, placés l’un près de l’autre, et contenant la même hauteur de liquide. Un tube reliait à la base les deux parties de l’appareil et un autre tube les reliait pareillement à quelques centimètres au-dessous du niveau du liquide. L’échauffement de ce liquide produisait, en vertu du changement de densité et de la dilatation, un courant qui passait dans le cuvier par le tube supérieur pour revenir à la chaudière par le tube inférieur ; ce système exigeait l’emploi d’une grande quantité de lessive pour remplir simultanément la chaudière et le cuvier ; il en résultait une grande dépense d’alcali et de combustible, tandis que, d’autre part, la température atteignait très difficilement un degré suffisant pour la saponification des corps gras. Malgré les efforts de Darcet, de Descroisilles père, de Chevalier, ce procédé n’a pas reçu de consécration pratique…
4. Lessivage par l’action directe de la vapeur
80Ce système, imaginé par Chaptal, essayé par Bosc, Cadet de Vaux, Curaudeau et, plus récemment, par Mlle Mercier, sous le nom de Charles et Cie, n’a pas donné les résultats qu’il promettait d’abord. Le linge était soumis à une immersion prolongée dans la lessive froide, puis placé dans un cuvier disposé au-dessus de la chaudière destinée à produire la vapeur. Cette vapeur d’eau s’élevant graduellement à travers le linge imprégné de lessive, en élevait progressivement la température tout en se condensant dans la dissolution alcaline dont elle déterminait la réaction sur les corps gras ; puis toute la masse liquide redescendait à travers le linge, et l’opération était terminée…
5. Lessivage par immersion dans la lessive bouillante
81Ce système, dû à M. Sol, repose sur l’emploi d’une roue à laver à claire-voie, tournant sur son axe horizontal dans un tambour complètement fermé… Le linge placé dans cette roue suivait son mouvement de rotation, et venait à chaque révolution se tremper dons la lessive que contenait la moitié inférieure du tambour fixe enveloppant la roue ; cette lessive était maintenue à l’ébullition par la vapeur d’une chaudière. De sorte que la moitié supérieure du tambour était remplie de vapeur, et le linge entraîné par le mouvement de rotation de la roue passait alternativement dans la vapeur et dans le bain de lessive bouillante…
6. Lessivage par affusion à température graduée
82Ce système de coulage, qui donne les meilleurs résultats, a été perfectionné par plusieurs constructeurs, notamment par M. Piet et M. Decoudun. Chacun d’eux obtient d’ailleurs les affusions par des moyens absolument différents. Le premier utilise la force d’entraînement de la vapeur s’échappant d’un liquide dès qu’on le chauffe ; le second emploie un jet de vapeur qui, en se condensant, élève la lessive comme le Giffart pour l’alimentation des chaudières. On doit à M. Piet des appareils portatifs et des appareils fixes qui se chauffent, soit au moyen d’un foyer, soit par un serpentin de vapeur.
83Les appareils portatifs permettent d’opérer sur des quantités de linge variant de 30 à 300 kilogrammes. Ils se composent d’une chaudière avec fourneau en fonte surmontée d’une cuve en tôle galvanisée, en bois ou en cuivre ; une petite pompe, placée sur le côté pour les petits appareils, et au centre du tube d’affusion pour les grands, sert à élever et répandre la lessive sur le linge avant qu’elle soit chaude.
84Quand la lessive a été préparée en proportions voulues dans la chaudière, quand le linge préalablement trempé d’eau douce a été placé sur la grille en bois qui surmonte la chaudière et forme le fond de la cuve, on allume le feu ; puis, en attendant les affusions spontanées, et pour imbiber le linge de lessive, on arrose la masse de quart d’heure en quart d’heure au moyen de la pompe qui puise la lessive dans la chaudière. A la température de 50 ou 60° les bulles de vapeur commencent à se former sous le disque conique placé aux deux tiers de la chaudière et surmonté d’un tube d’affusion, puis elles se rassemblent au sommet de ce cône, s’élèvent dans le tube en poussant la lessive, qui en occupe la partie inférieure, jusqu’au sommet où rencontrant une plaque en forme de champignon elles se déversent en s’étalant sur le linge. La lessive, après avoir traversé les tissus, tombe dans le fond du cuvier ou partie supérieure de la chaudière, et par circulation, en raison de la différence de température descend, par un tube de retour entièrement libre, à la partie inférieure de la chaudière pour s’échauffer de nouveau, monter sur le plateau cône, puis dans le tube et tomber de nouveau sur le linge. Ces affusions spontanées sont d’abord rares ; puis, la température s’élevant et la vapeur se formant en plus grande quantité, elles se produisent plus rapidement et à des températures croissantes jusqu’à ce que la lessive atteigne 100°…
85En même temps que les tissus sont arrosés, par le haut, de la lessive provenant de la chaudière, la vapeur qui s’élève du fond du cuvier monte à travers le linge et facilite l’élévation de la température de toute la masse, de sorte que le coulage est terminé en quatre ou cinq heures. Les appareils fixes peuvent contenir jusqu’à 1000 kilogrammes de linge. On les construit avec fond en fonte et côtés en bois, ou tout en fonte. Ils sont chauffés directement par des chaudières séparées, à circulation, renfermées dans des fourneaux, en brique, ou au moyen de serpentins de vapeur placés dans le fond des cuviers… La pompe, placée au centre, qui doit fonctionner seulement au commencement de l’opération est mue à la main, par une chaîne passant sur deux poulies, ou par une petite transmission. Un petit treuil sert à manœuvrer à volonté le couvercle.
86L’opération se fait dans les appareils fixes comme dans les appareils portatifs. Seulement, pour les appareils avec foyer, la chaudière, beaucoup plus importante, au lieu d’être fixée au cuvier et placée directement dessous, est séparée pour être placée dans un sous-sol, et reliée par deux tuyaux qui servent à établir sa communication avec le fond du cuvier.
Vue de la buanderie de l’hospice Lariboisière

87Dans ces appareils, les conditions essentielles pour donner des résultats avantageux sont remplies. Le linge préalablement imbibé d’eau douce est arrosé d’eau de lessive à des températures qui vont en augmentant ; les effets sont donc progressifs jusqu’à ce que la lessive arrive à la température de 100°, température qui est, avons-nous dit, obtenue au bout de quatre à cinq heures, par suite du chauffage combiné en-dessus et en-dessous du couvercle, qui concentre la chaleur, évite les déperditions de vapeur et par suite les dégradations des murs et des dangers de maladie pour les ouvriers…
B. Le lavage
88Après le lessivage, le linge est lavé et savonné, soit à la main, à l’aide du battoir ou de la brosse, soit mécaniquement, dans des machines à laver…
1. Lavage à la main
89Dans les lavoirs publics, le lavage se fait dans des baquets ; dans les hôpitaux et les buanderies particulières, il se fait dans des bassins où l’eau est maintenue chaude par un serpentin de vapeur ou d’eau chaude, et où elle peut être renouvelée par un robinet d’eau chaude. Ces bassins sont longs, étroits et peu profonds, afin de contenir un petit volume d’eau, juste la quantité nécessaire pour laver commodément sans user trop de savon et de chauffage ; ils sont ordinairement à côté des bassins à rincer, afin qu’il n’y ait qu’à lancer le linge dans le bassin à rincer quand il est lavé…
2. Lavage mécanique
90Il existe plusieurs systèmes de machines à laver qui abrègent la main-d’œuvre, mais ne peuvent cependant remplacer complètement le travail de la main et de l’intelligence. Les machines les plus généralement employées sont les roues ou tonneaux et les aide laveuses.
91Les roues ou tonneaux à laver comprennent trois genres :
- les roues dans lesquelles le linge est battu avec le liquide ;
- les roues dans lesquelles le linge est alternativement plongé dans le liquide et abandonné par lui ;
- les roues ou tonneaux ouverts à chargements alternatifs et à chargement continu.
92a) Les roues du premier genre se font en bois ou en tôle galvanisée, sous bien des formes, rondes ou à pans, et de diamètres différents, suivant qu’elles doivent être mues à bras, par un manège ou par une machine ; elles sont montées sur un axe horizontal reposant sur deux coussinets portés par un bâti en bois ou en fonte. Celles mues à bras n’ont généralement pas plus de 1 mètre de diamètre, et sont munies intérieurement d’une petite cloison qui empêche le linge de rouler constamment et le force à tomber à chaque tour de la hauteur de la roue ; une porte placée sur l’un des côtés ou sur la circonférence permet d’introduire et de retirer le linge, et une bonde ou robinet disposé sur le pourtour sert à faire écouler la lessive après chaque lavage…
93b) Les roues du second genre que l’on désigne sous le nom de roues américaines comportent deux enveloppes cylindriques ; une première divisée en quatre compartiments dans lesquels on place le linge et une seconde fixée sur un bâti en fonte dans laquelle on verse le liquide qui peut être échauffé par un jet de vapeur.
94La première enveloppe est munie de quatre portes placées sur l’un des côtés pour le chargement du linge, et le pourtour est percé de trous pour le passage du liquide contenu dans le fond de l’enveloppe extérieure, munie elle-même d’une porte à la partie inférieure du même côté que les portes de la roue, et d’une soupape de vidange.
95Pour opérer le chargement et le déchargement du linge, on amène chaque porte de la roue intérieure juste en face celle de l’enveloppe extérieure au moyen d’une roue engrenant avec une vis calée sur un arbre terminé par une manivelle. Lorsque tous les compartiments sont chargés de linge et la roue mise en mouvement, le liquide contenu dans la portion inférieure de l’enveloppe fixe, pénètre dans chaque compartiment qui vient y plonger ; soit à travers les trous de la paroi extérieure, soit par des augets ; une partie imprègne le linge avec lequel il est entraîné et s’échappe ensuite par les séries de trous, lorsque le linge retombe.

Roue à laver
96Un jet de vapeur permet de chauffer le liquide à volonté et comme l’enveloppe est fermée, la température se maintient facilement et favorise le lavage qui se fait très bien dans ce genre de roue.

Roue américaine à double enveloppe
97c) Les tonneaux ouverts à chargement alternatif sont semblables aux roues du premier genre, mais la porte est supprimée et le diaphragme intérieur est incliné convenablement de manière à retenir, pendant le mouvement de rotation, le liquide et le linge sans qu’aucune partie puisse être projetée au dehors. Quand on veut vider l’appareil, il suffit de le faire tourner en sens inverse, et, dès le premier tour, le linge lavé retombe en glissant sur la pente inverse du diaphragme.
98Le tambour est porté par un bâti en fonte, et le mouvement peut être communiqué par une manivelle ou par une poulie avec débrayage et renversement de courroie, pour changer à volonté le sens de la rotation…
L’aide-laveuse
99M. Piet a imaginé pour les petites installations de blanchissage, une machine qu’il appelle aide-laveuse dont le principe diffère essentiellement de la roue à laver.
100Dans un bac ovale en bois sont disposées deux cloisons verticales à claire-voie, et un fond plein ; une sorte de battoir compresseur, également à claire-voie, est suspendu à un châssis articulé à la partie supérieure de la machine, avec un axe horizontal qui lui permet d’osciller librement. Dans ces mouvements oscillatoires que lui imprime l’ouvrière, le compresseur vient alternativement refouler contre les cloisons à claire-voie le paquet de linge qu’on met de chaque côté ; le linge est successivement pressé, puis écarté, à droite et à gauche du compresseur, dont le va-et-vient produit au bout de cinq à six minutes un lavage ou un savonnage satisfaisant, économique et rapide.

Aide-laveuse

Machine à laver à ouverture libre
C. L’essorage
101… Les machines, dont on fait usage pour extraire la majeure partie de l’eau contenu dans le linge, portent le nom d’essoreuses. Elles sont basées sur la pression ou sur l’application de la force centrifuge. L’essoreuse à pression se compose de deux cylindres garnis de caoutchouc entre lesquels passe le linge mouillé ; on les met ordinairement en mouvement au moyen d’une manivelle fixée sur l’axe de l’un des deux rouleaux entre lesquels s’exerce la compression. Ce genre d’appareil est utilisé pour des petites quantités de linge uni, car on ne peut faire passer qu’une seule pièce à la fois, sans boutons ni agrafes, qui seraient cassés entre les deux cylindres.
102Le système le plus pratique est l’essoreuse à force centrifuge, imaginée naguère par Pentzoldt, et perfectionnée par divers constructeurs. Ces machines, qu’on désigne souvent sous le nom d’hydro-extracteurs, sont analogues à celles qu’on emploie dans les sucreries et dans quelques autres industries pour l’extraction des liquides par la force centrifuge…
103Les essoreuses de ce genre se composent toutes d’un tambour à parois perforées, mobile sur son axe vertical et tournant avec une vitesse qu’on fait varier de 800 à 1 200 tours par minute, suivant son diamètre. Ce tambour est enveloppé d’une sorte de cuve en fonte qui porte le mécanisme moteur, lequel se compose d’engrenages ou de cônes de friction pour accélérer la vitesse, placés en dessous ou en dessus et mus à bras par une manivelle, ou par transmission généralement au moyen d’une poulie.
104La force centrifuge, qui se développe par la rotation rapide, tend à écarter les corps de l’axe, et en comprimant la linge contre la paroi perforée fait échapper l’eau dans l’enveloppe, d’où elle s’écoule au dehors par un tuyau…

Essoreuse

Essoreuse à force centrifuge
Notes de bas de page
1 Georges Vigarello, Le propre et le sale, l’hygiène du corps depuis le Moyen Age, éd. du Seuil, 1985, p. 57.
2 Idem, p. 58.
3 Daniel Roche, La culture des apparences, une histoire du vêtement. XVIIe-XVIIIe siècles, Fayard, 1989.
4 Françoise Piponnier, Linge de maison et linge de corps au Moyen Age, d’après les inventaires bourguignons, Ethnologie Française, n° 3, tome 16, Juillet-Septembre 1986.
5 Georges Vigarello, op. cit., p. 58.
6 Idem, p. 60.
7 Daniel Roche, op. cit., p. 366. La propreté corporelle ne concerne que les parties visibles : visage, ongles, cheveux, mains, bouche… Le nettoiement consiste généralement en un frottement, rarement un lavage (mains et bouche).
8 Vigarello, op. cit. p. 63.
9 Idem, p. 63.
10 G. Vigarello, op. cit., p. 77.
11 Daniel Roche, op. cit., p. 163.
12 Jules Michelet, Le Peuple, Paris, C. Lévy, 1877, 5ème édition, microfiche, BN. 1ère édition : 1846.
13 Daniel Roche, op. cit., p. 167 : …”les domesticités ont été partie prenante dans le changement culturel général, et elles ont certainement contribué à diffuser dans les milieux populaires et au-delà des villes une sensibilité plus fine, une propreté accrue et de minces voluptés optiques”.
14 Françoise Piponnier, op. cit., p. 243.
15 Idem.
16 Agnès Fine, “A propos du trousseau : une culture féminine”, in Une histoire des femmes est-elle possible ? sous la direction de Michelle Perrot, Rivages, Marseille, 1984, p. 156-188.
17 Marie-Thérèze Laroque, “Le linge de maison dans les trousseaux du Pays d’Othe au XIXème siècle”. Ethnologie Française, op. cit., p. 261 ss.
18 Agnès Fine, op. cit., p. 165.
19 Michel Verret, “les cycles du linge”, Ethnologie Française, op. cit. p. 223 ss.
20 Agnès Fine, op. cit., p. 171.
21 Idem, p. 160
22 Marie-Thérèze Laroque, op. cit., p. 269.
23 Idem, p. 271.
24 Idem, P. 268.
25 Agnès Fine. op. cit., p. 159.
26 Idem.
27 Alain Corbin, “Le grand siècle du linge”, in Ethnologie Française, op. cit., p. 299 ss.
28 Michelle Perrot, “La ménagère dans l’espace parisien du XIXème siècle”, in Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 9, Octobre 1980.
29 Cf. annexe du chapitre.
30 Daniel Roche, op. cit. p. 350.
31 Idem, pp. 352-353.
32 Jusqu’à ce que des changements de perception au XXème siècle qualifieront d’économique le temps passé aux travaux domestiques, suscitant des essais de quantification. Cf. Ann Chadeau et Annie Fouquet, “Peut-on mesurer le travail domestique”. Economie et Statistique, n° 136, Septembre 1981.
33 En fait, la lessive du linge de maison et du linge de corps était à la charge des femmes, mais l’entretien des vêtements faisait partie des métiers masculins. Dans la France d’Ancien Régime (cf. Daniel Roche, op. cit., p. 347-378), le dégraissage se faisait avec des techniques et des procédures complexes : usage de l’alcali volatil, des huiles, du son pour détacher les draps blancs, la pierre d’alun, la pierre de Troyes, le jus de citron. Dans la Rome Antique, les grosses pièces étaient confiées aux foulons qui étaient des professionnels.
34 D’après Françoise Wasserman, Blanchisseuse, laveuse, repasseuse, op. cit., p. 23, le “triptyque femme/linge/eau introduit une dimension symbolique de l’omniprésence de la mort (référence à la mort du Christ, au sang du Sauveur, ainsi qu’à la mort du chef de famille, maître de maison) et aurait de ce fait généré dans l’esprit populaire ces croyances et ces superstitions” (les nombreux interdits dont celui de laver les vendredis).
35 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, la laveuse, la couturière, la cuisinière, NRF, Editions Gallimard, 1979, p. 83-156.
36 Idem, p. 107.
37 François Wasserman, op. cit. p. 29.
38 D’après Guy Thuillier, Pour une histoire du quotidien au XIXème siècle en Nivernais, Mouton, 1977, p. 366, il semble que c’est vers 1820 que tous les villages de France aient vu apparaître des bâtiments conçus spécialement pour le lavage du linge. Ce que semble confirmer l’étude monographique sur le village de Minot de Y. Verdier qui cite un seul lavoir sur les cinq de ce village comme ayant été construit avant le XIXème siècle.
39 Yvonne Verdier, op. cit., p. 129.
40 Guy Thuillier, op. cit., p. 13.
41 Idem, p. 127.
42 F. Wasserman, op. cit. p. 29 ss.
43 Marie-Hélène Signoret-Guillou, Le lavotr : espace féminin à Paris dans la deuxième moitié du XIXème siècle, mémoire de maîtrise sous la direction de Madame Michelle Perrot, Paris VII, Jussieu, 1980.
44 Cette habitude se prolongea longtemps puisque F. Wasserman en a obtenu le témoignage d’une blanchisseuse fresnoise.
45 J. Moisy, Vice-Président de la Chambre Syndicale de Bains, Les Lavoirs à Paris, Imprimerie de E. Watelet, 1884, p. 22.
46 Marie-Hélène Signoret, op.cit.
47 Cf. à la fin du chapitre des extraits au Dictionnaire Encyclopédique et Biographique de industrie et des Arts Industriel, 1881.
48 Les différentes opérations seront définies au chapitre suivant.
49 Siegfried Giedion, La mécanisation au pouvoir, op. cit. p. 468.
50 Françoise Wasserman, op. cit. p. 85.
51 Idem, p. 60.
52 Idem, p. 62.
53 Joseph Barberet, Le travail en France. Monographies professionnelles. Berger-Levrault, 1886, T. I. Microfiche. BN. p. 279.
54 J. Moisy, op. cit.
55 Annuaire Statistique de la France, rétrospectif 1961, INSEE, p. 252.
56 J. Moisy, op. cit. p. 17.
57 Marie-Hélène Signoret-Guillou, op. cit.
58 On a un aperçu sur les machines commercialisées à partir d’un catalogue de fabricants en 1900 : les établissements Lucanes, Musée National des Arts et Traditions Populaires. Ces ma chines témoignent avec éloquence de la connaissance des opérations de blanchisserie, mais celles-ci étaient effectuées dans des machines différentes suivant les trois phases : lessivage, lavage, essorage.
59 J. Moisy, op. cit., p. 27, in Lavoirs du centre. La piéçarde.
60 Guy Thuillier, op.cit. p. 128 : “… dès la fin de l’Empire, on vit apparaître des savonneuses à circulation, c’est-à-dire, des lessiveuses où le lessivage était provoqué par la pression de la vapeur. En 1869, des fabricants parisiens firent paraître, dans l’Impartial du Centre, des réclames très suggestives : “Aux ménages ! Blanchissage de linge – fait chez soi, en deux heures, avec économie de moitié – en employant la savonneuse à circulation (brevetée s.g.d.g.)”. La saponification était meilleure car l’usage des cristaux de soude et de lessive se répandit.
61 Idem, p. 135, note 66 : L’abbé de La Meilleraye avait importé des procédés anglais (roue rotative) dès 1815.
62 Le Van Kim, Féminisme et travail féminin dans les doctrines et dans les faits, M. Giard, Paris, 1926, p. 125, citant Mrs Olive Schreiner, Woman and labour, 1ère édition, London, Unwin, 1911.
63 Le Van Kim, idem, p. 17.
64 Idem, p. 15.
65 Les données qui suivent sont extraites de la thèse de doctorat du 3ème cycle de Martine Martin, Femmes et Société, op. cit.
66 Pour une étude plus complète de l’évolution du travail féminin depuis la première guerre mondiale, on se référera à la bibliographie.
67 Annuaire Statistique de la France, INSEE, Rétrospectif, Edition 1961, p. 36.
68 Le Van Kim, op. cit., p. 7.
69 Débat d’après un rapport de Maurice Vanlaer, professeur de droit à Lille, Comment concilier les devoirs de la mère de famille avec les exigences actuelles de la vie, débat, p. 437-453.
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