Chapitre VI. En rupture de bloc
p. 273-329
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Texte intégral
L'entrée dans la SFIO
Le tournant de 1904-1905
1Du printemps 1904 au printemps 1905 se situe une période cruciale pour les choix et la carrière politique de Francis de Pressensé, en même temps que pour l'évolution du Bloc des gauches et la transformation du socialisme français. Les événements de politique intérieure et internationale se télescopent avec les débats, les chassés-croisés, les rapprochements et les oppositions à l'intérieur du mouvement ouvrier. On rappellera successivement la fondation de L'Humanité, dont le premier numéro est daté du 18 avril 1904, le congrès de l'Internationale à Amsterdam en août 1904, suivi à l'automne du début des négociations d'unification. Elles se concrétisent au printemps suivant, avec le dernier congrès du PSF à Rouen du 26 au 29 mars 1905, suivi du congrès d'unification de Paris du 23 au 26 avril 1905, qui voit la naissance de la SFIO. En ces premiers mois de 1905, qui sont marqués en France par le départ de Combes et la formation du gouvernement Rouvier, ce sont surtout les événements de la politique internationale qui passent au premier plan, avec l'éclatement de la Révolution russe, rendu manifeste par la journée du dimanche rouge le 22 janvier 1905, et avec le « coup de Tanger », le 31 mars, qui redonne à l'antagonisme franco-allemand une actualité nouvelle.
2Il faut avoir présent à l'esprit l'ensemble de cette actualité et de ses enjeux pour rendre compte des prises de position de Pressensé. Le spécialiste des questions internationales qu'il demeurait a vécu avec une particulière intensité l'actualité mondiale et la politique étrangère de la France, le révolutionnaire qu'il aspirait à devenir ne pouvait qu'être interpellé par les événements de Russie. Si nous avons choisi de regrouper dans une dernière partie tout ce qui concerne « Pressensé l'internationaliste », et approfondirons donc alors ses réactions, dans la réflexion que nous voulons inaugurer maintenant sur la période 1904-1905, qu'on peut considérer comme le dernier « moment-tournant » de la vie politique de Pressensé, il nous faut souligner d'emblée le poids de ce contexte mondial.
De L'Aurore à L'Humanité
3Au printemps 1904, où le calme, et même « l'Entente cordiale », semblent régner en Europe, même si des nuages sont en train de crever en Extrême Orient, Pressensé est partie prenante de la fondation d'un nouveau journal, qui sera pour lui un nouveau lieu d'observation du monde, L'Humanité. C'est un tournant non seulement dans sa vie de journaliste, mais aussi, certainement, dans son compagnonnage avec Jaurès.
4Jusqu'en 1903, Pressensé, qui, bien que devenu député, n'avait pas renoncé au journalisme, travaillait encore en principe simultanément à L'Aurore et au Temps. Mais cette dualité était désormais d'autant moins tenable qu'aucun des deux quotidiens ne pouvait plus le satisfaire. Si Pressensé est demeuré au Temps jusqu'en 1905, il n'était pas envisageable pour lui d'y laisser transparaître ses sentiments socialistes et d'y analyser l'état du monde en des termes autres que diplomatiques. Son rapport à L'Aurore était en principe bien différent. Au printemps 1902, à la suite du départ de Gohier, Pressensé était devenu le directeur politique du quotidien. L 'Aurore avait alors opéré un recentrage par rapport à ses orientations antigouvernementales et anarchisantes de 1901, mais elle n'en continuait pas moins à exprimer une ligne éditoriale fort distincte de celle de La Petite République, où écrivait Jaurès. Péguy pouvait même écrire dans son Cahier sur les élections de 1902 : « On m'assure que pour comprendre un article de Pressensé, il faut désormais se reporter à La Petite République de la veille. Pressensé ferait la contre-partie de Jaurès, dirait blanc quand Jaurès dit noir1. » Pressensé semble avoir subi à ce moment-là, l'influence d'Hubert Lagardelle, qui avait remplacé Gohier comme éditorialiste de L'Aurore. Il semble pourtant que cette influence n'ait pas duré bien longtemps. Lagardelle était fort hostile au socialisme républicain de Jaurès. Or, c'est dans cette direction que s'est engagé Pressensé dans les mois qui ont suivi son élection. Dès l'automne 1902, dans le travail parlementaire, et bientôt au sein du PSF, il s'est rapproché de celui qui avait été son premier guide en socialisme. Mais il ne pouvait imposer cette ligne « jaurésienne » à l'équipe trop diverse de L'Aurore. Par ailleurs, le journal qui avait publié J'accuse se trouvait dans une situation financière fort difficile, et avait failli interrompre sa parution au début de 1903. Si L'Aurore fut sauvée de la faillite par Victor Simond, qui l'afferma en juin 19032, une des conséquences de cette restructuration fut le retour de Clemenceau, effectif en décembre 1903. Les orientations politiques du Tigre étaient, à ce moment-là, assez ouvertement en opposition avec le socialisme, comme le révèle son « Discours sur la Liberté » prononcé au Sénat le 17 novembre 1903. Pressensé pouvait difficilement s'y plier.
5Alors que Pressensé souhaitait donner sa mesure dans un journal vraiment socialiste, l'affaire des Cent mille Paletots, les attaques d'Urbain Gohier et de quelques autres contre la vente à bas prix dans les locaux de La Petite République de vêtements censés provenir d'ouvroirs congréganistes, avaient hâté la volonté de Jaurès, dont le journal de Gérault-Richard était depuis un bon nombre d'années la tribune, de créer un quotidien qui soit réellement au service de son parti, et soit dégagé de ces compromissions. Les deux aspirations, les deux projets se sont logiquement rencontrés. On regrette de ne pas disposer suffisamment de sources originales sur le rôle de Pressensé dans la genèse et les débuts de L'Humanité3. Il a été sans nul doute considérable. Le témoignage de Charles Andler, qui lui attribue une place importante, est d'autant plus significatif que l'auteur de la Vie de Lucien Herr ordonne son propos par rapport au point de vue du bibliothécaire de l'École Normale Supérieure, dont il ne masque pas les différends avec Pressensé. Selon lui, ce seraient « les instances de Pressensé », ainsi que de Briand et de Viviani, qui auraient, sans doute à l'automne 1903, décidé Jaurès, déjà sollicité par Herr et Léon Blum, à agir pour disposer de son propre journal4. Toujours d'après la même source, Pressensé aurait contribué à faire échouer la première solution envisagée, celle du rachat de La Petite République, que Gérault-Richard refuse finalement en décembre 1903. « Sans le caractère acrimonieux de Pressensé, on eût sans doute réussi à le retenir5 », écrit Andler à propos de Gérault-Richard.
Le rôle de Pressensé à L'Humanité
6Au cours de la première année du journal, et en fait jusqu'à l'été 1905, Pressensé a été un des principaux éditorialistes du quotidien. Il partage ce rôle non seulement avec Jaurès, mais avec Viviani, Briand et Rouanet, soit ce qu'on pourrait appeler l'état-major parlementaire du PSF. Dans les premiers mois, il commente surtout la politique intérieure, un peu dans le registre qu'il avait tenu dans L'Aurore. Mais de plus en plus, il se centre dans ses éditoriaux sur la politique extérieure, en particulier à partir du déclenchement de la Révolution russe; au printemps 1905, il mène une ardente et presque quotidienne campagne contre Delcassé jusqu'à la démission du ministre des Affaires étrangères en juin.
7Pressensé était chargé par ailleurs de la direction de la rubrique internationale, au départ conjointement avec Lucien Herr, ce qui n'a pas manqué de poser problème. La rivalité avec le bibliothécaire et philosophe de la rue d'Ulm semble avoir été sérieuse. Selon Andler, Pressensé n'aurait « jamais supporté les articles » de Lucien Herr6. Cette cohabitation n'a toutefois pas duré très longtemps, puisque Herr s'est éloigné de L'Humanité en août 1905. À partir de cette date, et jusqu'en 1914, Pressensé a eu la pleine direction du service étranger. Il a pu reprendre dans L'Humanité, sur une base nouvelle, le rôle d'analyste de l'état du monde qu'il avait tenu pendant de si longues années dans Le Temps. Son départ définitif du journal d'Adrien Hébrard coïncide d'ailleurs avec ce nouveau rôle7. Le Pressensé de L'Humanité, pris par ses multiples tâches, n'est plus toutefois le rédacteur quotidien d'un long article, le travailleur à temps plein sur les affaires étrangères qu'il avait été dans Le Temps des années 1890. Par ailleurs, les exigences d'un journal, qui devait à la fois être accessible à des ouvriers, et financièrement viable, réduisaient l'espace disponible. Avec l'aide de ses collaborateurs de la rubrique internationale, Léon Rémy et surtout Jean Longuet, Pressensé a su pourtant faire de la page trois de L'Humanité, où paraissaient les informations du monde, une référence qui pouvait prétendre rivaliser, par son information, par la variété des sujets abordés, avec le quotidien de la bourgeoisie, dont l'éditorialiste était désormais André Tardieu. On insistera d'ores et déjà sur la fécondité de la collaboration de Jean Longuet, dont Cilles Candar a montré le rôle important dans L'Humanité8. Il y avait une génération d'écart entre le député de Lyon, né en 1853, et le petit-fils de Marx, né à Londres en 1876. Pressensé pouvait apparaître davantage comme un « patron » que comme un camarade. Néanmoins, si on considère les centres d'intérêt communs, en particulier le monde anglo-saxon et la défense des Arméniens, on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a eu des échanges intellectuels féconds. Ainsi, dans les articles de Longuet concernant l'Angleterre, la sympathie affichée, non seulement pour le travaillisme, mais pour le libéralisme et le Premier Ministre Campbell-Bannermann, les références à la grande tradition de Gladstone9, nous semblent la marque d'une indéniable proximité avec Pressensé. Les techniques journalistiques acquises et utilisées par Longuet au service international de L'Humanité, « recours fréquent à l'interview, sens du reportage et des faits concrets, appuyé sur une utilisation intensive des dépêches d'agence et le dépouillement de la presse anglosaxonne10 », indiquent qu'il régnait à la rubrique internationale de L'Humanité un climat très « professionnel » qui devait certainement beaucoup à la riche expérience de Francis de Pressensé.
8Au-delà de ce travail à long terme, il faut insister sur le poids politique de Pressensé dans la première année de L'Humanité, cruciale pour les choix du PSF. Par la suite, quand le journal s'ouvrira à toutes les tendances de la SFIO, il sera rarement un éditorialiste de politique générale. Mais en 1904-1905, par rapport à l'unité socialiste, à l'affaire des fiches, à la campagne contre Delcassé, Pressensé « monte au créneau », et donne, souvent en alternance avec Jaurès, la ligne du journal.
Un des acteurs de l'unification socialiste
« Aller à l'unité la tête haute »
9Ce n'est pas seulement son rôle à L'Humanité, mais aussi sa participation aux congrès et aux négociations de l'unité qui montrent que Pressensé était devenu un dirigeant socialiste. Au congrès d'Amsterdam de l'Internationale socialiste, en août 1904, Pressensé n'est plus comme à Londres en 1896 un élément extérieur, le journaliste d'un quotidien bourgeois, ou, comme à Paris en 1900, un observateur un peu anonyme du « combat des chefs » : il est un des chefs de file de la délégation du PSF, un des membres, avec Briand, Viviani, Rouanet, et quelques autres, de l'entourage de Jaurès, dont l'affrontement avec Guesde, mais surtout avec Bebel et la social-démocratie allemande, a été l'épisode central du congrès. Le débat s'était cristallisé autour de la motion dite de Dresde, issue du congrès SPD de l'année précédente, qui avait finalement été adoptée ; elle condamnait en particulier « de la façon la plus formelle les tendances révisionnistes qui prétendent modifier notre tactique passée, éprouvée, victorieuse reposant sur la lutte des classes et mettant à la place de la conquête du pouvoir politique, par la défaite de nos adversaires, une politique d'avances à l'ordre établi ». Tout en prononçant cette claire mise en cause de la stratégie de Jaurès et du Bloc des gauches, le congrès d'Amsterdam lance l'appel à l'unité qui déclenche en France le processus de formation de la SFIO.
10Pressensé n'est guère intervenu au congrès d'Amsterdam. La seule trace qu'on ait de sa présence est la réponse qu'il a faite à la critique de Bebel contre les députés du PSF qui auraient tous été élus grâce à l'appui du Bloc gouvernemental : « Moi, citoyens, je n'ai pas été élu grâce à ce soutien... » C'était exact, au moins pour le premier tour. Après le congrès, dans l'Humanité11 puis dans La Vie socialiste12, il s'est montré quelque peu irrité devant certaines formes de dogmatisme ou d'intolérance. En bon « protestant », il écrivait dans La Vie socialiste que, si le congrès d'Amsterdam avait eu le caractère grandiose d'États Généraux de la Révolution, il n'était pas question de le transformer en concile, ni de lui reconnaître une infaillibilité contre-nature entraînant la « soumission servile de la raison à des décrets d'en Haut. » Il ajoutait avoir peu apprécié certaines « puériles et détestables excommunications13 ».
11Pendant tout le processus d'unification, Pressensé s'est montré sourcilleux dans un certain refus de l'autocritique, que ce soit vis-à-vis de l'aile gauche du PSF ou vis-à-vis des guesdistes ou vaillantistes. Parlant de l'attitude parlementaire de ces derniers, il rappelle dans la Vie Socialiste que la « fraction d'en face » a, elle aussi, « tondu le pré de la largeur de sa langue » en sauvant parfois par son vote le ministère Combes. Il refuse, dans le même article, de battre sa coulpe à propos de sa participation à la délégation des gauches ; elle avait, affirme-t-il, représenté un « progrès » en substituant « l'initiative des partis à l'action exclusive du gouvernement14 ». Au congrès de Rouen, le dernier congrès du PSF, Pressensé exprime dans son discours du 27 mars 1905 le même refus d'aller à Canossa : « Nous n'avons pas l'intention, déclare-t-il, de nous mettre la corde au cou pour notre passé ; nous entrerons dans le parti unifié le front haut et avec notre passé que nous jugeons sans le renier. » Dans cette intervention au ton assez personnel, et qui constitue comme une suite à sa profession de foi du 1er mai 1899, il suggérait que ce passé n'était pas seulement la participation au Bloc des gauches, mais toute l'évolution depuis le moment où l'Affaire lui avait ouvert les yeux à lui, mais avait en même temps ouvert ceux du socialisme, qui « comprenait enfin qu'il était de son intérêt et de son devoir de devenir un parti véritablement humain », en invoquant en particulier « la justice pour tous ». Pressensé ne reniait pas non plus la défense républicaine : « Nous avons bien fait, s'écriait-il, de défendre la République, même bourgeoise ! » Il ne se disait pas seulement attaché à « l'indépendance des opinions », mais à la conservation des « individualités, telles qu'elles ont été façonnées [...] par nos vies même15 ».
12Pourtant, Pressensé n'a pas fait partie des personnalités et des parlementaires qui ont traîné les pieds ou qui ont refusé l'unité. Dans ce moment de choix crucial, il s'est placé sur la même position que Jaurès. Il a jugé que le congrès d'Amsterdam n'était pas une défaite et qu'il fallait en retenir non les excommunications apparentes, mais l'appel à l'unité, une chance qu'il était nécessaire de saisir.
La Vie socialiste
13L'épisode de La Vie socialiste est à cet égard très significatif : Pressensé a accepté de diriger une revue « organisée sur des bases clairement politiques : elle regroupait l'aile gauche du PSF de Jaurès, celle qui entendait bien faire pression pour que se réalise l'unité socialiste annoncée à Amsterdam16 ». Le sous-titre de la revue : « Prolétaires de tous pays, prolétaires de chaque pays unissez-vous », est assez clair, et le programme-manifeste du premier numéro ne fait qu'expliciter la détermination à suivre les « principes indiscutables du socialisme international » et à agir pour que s'établisse, le plus rapidement possible, « l'unité organique du socialisme17 ». Par ailleurs, la quasi totalité des collaborateurs de la Revue socialiste faisait partie de la jeune génération « contestataire » du PSF, de l'aile gauche qui s'était opposée à Jaurès... et à Pressensé au congrès de 1903, en réclamant une condamnation de Millerand. Outre celui de Pierre Renaudel, secrétaire de la rédaction et cheville ouvrière de la revue, on relève les noms de Longuet, de Revelin, etc. Certains des articles ont d'ailleurs une tonalité contestataire par rapport aux caciques parlementaires du PSF, et par rapport à Pressensé lui-même à propos de l'affaire des fiches18. Mais Pressensé, en réponse, déclare se féliciter de ce témoignage de la liberté d'expression qui régnait au sein de la Vie socialiste19. C'était là un signe indéniable de sa volonté unitaire.
Négociations, changement de cap et controverses
14À côté de ce compagnonnage avec la jeune gauche du PSF, que n'ont guère pratiqué les autres parlementaires du parti, Pressensé a pris part à l'ensemble du processus de l'unification. Il a participé à la première réunion des deux délégations du PSF et du PSDF, puis a été choisi, avec Briand, Jaurès, Longuet, Orry, Renaudel et Revelin pour siéger à la commission de l'unification. C'est cette commission qui a discuté et adopté le 30 décembre 1904 le texte de la déclaration commune qui a fourni la base de la SFIO. Le texte allait assez nettement dans le sens des thèses du PSDF et des intransigeants en soulignant l'identité et l'orientation révolutionnaire d'un parti de classe, dont l'organisme central devrait contrôler le groupe parlementaire. Par ailleurs, la déclaration semblait rendre désormais caduque toute politique de Bloc républicain en exigeant des élus socialistes l'engagement de refuser « les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets, et l'ensemble du budget ».
15Pressensé a accepté ce changement de cap. Fermement, il a soutenu Jaurès dans sa décision de ne plus siéger à cette délégation des gauches, dont le député de Carmaux avait passé depuis 1902 pour le « chef tout puissant », en même temps que le « ministre de la parole du ministère Combes ». C'est après la chute de Combes que le problème s'est posé avec acuité parmi les parlementaires socialistes. Le désaccord éclate à la suite de la convocation de la délégation des gauches le 30 janvier. Si Jaurès et Pressensé s'y opposent vivement, d'autres élus socialistes, en particulier Augagneur, Zévaès et Deville, expriment leur ferme intention d'y siéger20. Sur l'intervention de Briand, le groupe parlementaire socialiste adopte une résolution « affirmant le désir d'unité des socialistes mais exprimant en même temps leur volonté de maintenir la coopération avec tous les groupes républicains21 ». C'était sous une allure de conciliation s'opposer avant tout à la position de Jaurès et Pressensé, et, tout en parlant d'unité, refuser de tirer les conséquences politiques du texte adopté par la commission d'unification. Le Conseil national du PSF qui se réunit le 9 février tranche nettement en faveur de l'abandon définitif de la délégation des gauches et des négociations avec les autres groupes républicains : trente-neuf voix contre treize se prononcent pour la thèse défendue par Jaurès. Ce Conseil national semble avoir donné lieu à « une controverse extrêmement vive entre Jaurès et Pressensé d'une part, Briand et Augagneur de l'autre22 ». L'affrontement direct entre Pressensé et Augagneur est à relever. Le bouillant docteur avait été élu à la Chambre quelques mois plus tôt lors d'une élection législative partielle dans la 5e circonscription de Lyon. Son arrivée au Parlement a coïncidé avec le déclin de la période où les députés du PSF constituaient une fraction importante et influente de la majorité gouvernementale. Il n'est pas douteux qu'il aurait souhaité que cette ligne politique soit maintenue, même au détriment de l'unité. Avec moins de nuances et de souplesse que Briand, il s'est montré le plus ferme partisan au sein du PSF du maintien de la politique « biocarde » d'alliance avec les radicaux, qui avait fait sa fortune sur la scène lyonnaise.
Le congrès de Rouen
16Au premier jour du congrès de Rouen, le dernier congrès qu'ait tenu le PSF, le 26 mars 1905, l'intervention d'Augagneur, qui précède celle de Briand, a engagé une violente passe d'armes avec la gauche. Sans dire formellement qu'il refusait l'unité, Augagneur a développé une attaque en règle contre le texte d'unification. L'analyse d'un observateur du congrès, André Mater, qui est parue quelques jours après dans la revue L'Européen est éclairante pour comprendre la façon dont le député de Lyon avait « mis en émoi l'extrême gauche ». Il relève le ton cassant et ironique de l'orateur « qui lui donnait un air méprisant » pour des militants eux-même « très ombrageux ». Par ailleurs, Augagneur « présentait l'abandon de la délégation des gauches comme une capitulation devant les socialistes allemands » et « le contrôle du conseil national sur le groupe parlementaire comme une dictature de Paris sur la province23 ».
17En réponse, dans une atmosphère électrique, Ducos de la Haille, porte-parole de la gauche avait « évoqué devant Augagneur le spectre de Millerand... », et prononcé de violentes attaques contre le groupe parlementaire. Plus habile que celle d'Augagneur, l'intervention de Briand, n'en avait pas moins encore avivé les oppositions. Certes, Briand, n'attaquait-il pas aussi fortement un texte d'unification qu'il avait d'ailleurs lui-même contribué à rédiger. Mais, au nom des élus, il s'en prenait très vivement à la gauche du parti, à l'aile militante, et implicitement à travers elle à Jaurès, en s'écriant par exemple : « Vous allez à l'unité petitement, vous y allez avec dans la main des otages qui sont représentés par nous, vous nous jetez comme des tapis dans les pieds de ceux qui étaient nos adversaires d'hier24. »
18Pressensé, qui est intervenu le lendemain, dans l'après-midi du 27 mars, a prononcé un discours, qui, tout en se démarquant nettement d'Augagneur et de Briand, a contribué à éviter la scission, à obtenir l'adhésion unanime du PSF à l'unité. Pressensé refusait, on l'a dit, toute autocritique, soulignant qu'il ne regrettait rien, et déclarant même éprouver quelque tristesse à l'égard de certaines paroles qui avaient été prononcées contre la politique du Bloc. Mais il cherchait à dédramatiser ces affrontements, en présentant comme positive la façon dont s'était déroulée jusqu'alors la marche à l'unité, trouvant « naturel, légitime et bienfaisant » que les différents points de vue se manifestent.
« F. de Pressensé, commente André Mater, donna satisfaction aux députés attaqués la veille, car il dit à plusieurs reprises, et fortement, qu'on avait voulu les humilier, qu'on avait eu tort, et que la fédération des gauches avait été nécessaire. Mais il reconnut aussi qu'on en avait abusé ; que ce groupe parlementaire qu'il ne voulait pas laisser injurier, avait commis des fautes ; et que les députés avaient trop négligé la propagande et l'action syndicale. Il rappela que la délégation ne fonctionnait plus, que Jaurès et lui n'avaient pas voulu y retourner, et qu'il ne fallait pas la refaire comme institution permanente25. »
19On ajoutera que Pressensé s'est placé dans une perspective dynamique, préférant regarder en avant qu'en arrière. Il exprime à Rouen sa confiance en l'avenir, qui apportera la synthèse entre ceux, comme lui, qui ont eu tendance à être « un peu plus réformistes qu'ils n'auraient dû » et les autres qui ont été au contraire, « un peu trop révolutionnaires ». Bref, en même temps que de hauteur de vue, Pressensé a fait, une fois n'est pas coutume, preuve des qualités de ce qui avait été sa première profession, nous voulons dire d'esprit diplomatique. Pierre Renaudel, qui intervient après lui au nom de la gauche démontre au reste la même aptitude : il se démarque des paroles « excessives » de Ducos de la Haille, refuse d'opposer parlementaires et militants, et déclare à l'adresse de la droite : « Nous n'entendons pas vous empêcher, dans le parti unifié, de vouloir discuter plus tard la marche même du parti, mais il est nécessaire que l'action commune soit la règle. » Bref Pressensé et Renaudel, les deux collaborateurs de la Vie Socialiste, ont largement contribué à la réussite du congrès. « Ces deux discours, commente André Mater, avaient produit une détente. Désormais, le vote de l'unité ne faisait plus de doute. Et quand Jaurès, le lendemain, prit la parole, il put déclarer que la question de la délégation des gauches était inexistante26. » Dans le grand discours de Jaurès, qui remporte un très large succès, on remarquera la convergence avec Pressensé sur l'idée de la fécondation réciproque, qui pourrait se développer dans le nouveau parti, de l'action réformiste et de l'esprit révolutionnaire. Le vote unanime du congrès de Rouen, l'acceptation apparente de l'unité même par ceux qui l'avaient contestée, constituaient un succès pour Jaurès et pour Pressensé, les thèses qu'ils avaient défendues seuls au sein du groupe parlementaire semblant désormais acceptées par tous. Certes les départs de plusieurs députés allaient-ils être rapides, mais en ayant évité la scission à Rouen, Jaurès et ses amis pouvaient aborder dans de bonnes conditions, et sur un pied d'égalité, la fusion avec le PSDE
Une « aventure nouvelle », une renonciation au pouvoir ?
20À la fin de son discours de Rouen, Francis de Pressensé déclarait que s'il voulait « contempler le passé avec fierté », il n'hésitait pas à « tenter une aventure nouvelle27 ». Cette aventure comportait une part de renoncement. Le choix du printemps 1905 était assez nettement entre la carrière, l'accession au pouvoir, et l'appartenance réelle au mouvement ouvrier et au socialisme international. Victor Augagneur a fait le choix inverse de Pressensé, en se plaçant dès la fin du printemps de 1905, bien plus tôt que Briand, ou que Viviani, en dehors du parti unifié, entraînant avec lui une partie de la Fédération du Rhône du PSF. À Lyon comme à Paris, les ponts étaient désormais coupés. Augagneur obtiendra dès la fin de l'automne 1905 un poste d'autorité particulièrement « audacieux » pour un socialiste, celui de Gouverneur général de Madagascar.
21Le choix inverse qu'a effectué Pressensé allait-il pourtant de soi ? N'a-t-il pas été tenté par les sirènes du pouvoir ? Il n'était certainement pas attiré par « l'assiette au beurre » ou par une aventure coloniale. Mais être « aux Affaires » ? Certes, son caractère était-il difficile, son absence de souplesse et d'indulgence était-elle un défaut dans le cadre « bon garçon » de la République radicale, s'il avait prétendu parvenir jusqu'au sommet du cursus honorum. Mais le quai d'Orsay n'était-il pas à sa portée ? N'a-t-il pas rêvé d'être un Richelieu républicain ? Sans doute Pressensé savait-il au printemps 1905 qu'il se fermait lui-même la porte. Faut-il voir l'indice d'une frustration dans la particulière intransigeance avec laquelle il a poursuivi par la suite les arrivistes à la Briand ?
22Nous pensons en tout cas que Pressensé n'a pas hésité. Pour quelles raisons ? Elles sont, nous semble-t-il, du ressort de l'honneur et de la foi, en même temps que de la raison politique. De l'honneur, tout d'abord, de l'honneur par opposition aux honneurs. Il importait à la gloire de Pressensé de ne pas se renier. Imiter Augagneur ou Briand dans leur marche ascendante, c'eût été un peu comme accepter de faire refleurir sa boutonnière. II y a chez Pressensé l'orgueil presque aristocratique de sa différence. Il nous semble que Jean Jaurès a bien compris son ami Pressensé lorsqu'au lendemain de sa disparition il prononce dans son discours, à diverses reprises, le mot « noblesse28 », et qu'il insiste en même temps sur l'importance de « son patrimoine familial ». Évoquant la figure du père, Edmond, il peut dire que si ce « libéral conservateur » « aurait vu sans doute avec tremblement et angoisse les démarches suprêmes par lesquelles son fils alla au socialisme révolutionnaire et combattant », « il aurait reconnu sa race [...] à l'énergie héroïque par laquelle Francis de Pressensé affirmait sa nouvelle foi29 ».
23Le mot « foi » est également important. Ne pas entrer au parti unifié, c'était se mettre en quelque sorte en dehors de l'Eglise. C'était en tout cas se couper de la base prolétaire, des militants et croyants de la justice sociale. Pas de socialisme en dehors du prolétariat.
24La raison politique, enfin ? En un sens, le choix de 1905 n'est pas totalement rationnel. Du point de vue de la ligne politique à défendre, on peut soutenir que c'était davantage se renier d'accepter les bases du parti unifié que de continuer à se réclamer de la logique du Bloc des gauches. Le texte unitaire de 1905 semblait obéir aux principes au nom desquels Pressensé avait subi l'excommunication des guesdistes dans les années précédentes. Pressensé soutient pourtant que la synthèse ne profitera pas uniquement aux intransigeants et que le parti nouveau, s'il corrigera certains excès du réformisme, atténuera aussi certains extrémismes révolutionnaires. Une nouvelle donne, et non pas la victoire des guesdistes.
25On reconnaîtra ici les analyses de Jaurès. L'influence de Jaurès constitue un des derniers éléments à mentionner dans les choix de Pressensé. Comme Pressensé, Jaurès a pris au sérieux les principes et les idées, comme lui, plus que lui, il a renoncé en 1905 au pouvoir. Mais si cette influence nous semble très importante, il nous semble aussi qu'il ne faudrait pas y voir des rapports de subordination de disciple à maître. Il a été suggéré par divers observateurs que Pressensé s'est placé et a vécu jusqu'à la fin de sa vie dans l'ombre de Jaurès30. Nous pensons que Pressensé a admiré Jaurès, qu'il l'a reconnu comme chef politique, mais sans obéir pour autant à une logique de fidélité à un homme. C'est le socialisme, ce n'est pas Jaurès qu'il suit en 1905. Quant à Jaurès, il donne l'impression de parler de Pressensé comme d'un égal. Certes faut-il faire la part de l'emphase de l'éloge funèbre, mais il est frappant de constater qu'à la mort de Pressensé il prononce une phrase où, parlant de la « lumière de l'idée » qui guide les hommes, il met Pressensé au niveau des plus grands : « Saint-Simon, Fourier, Marx, Engels, Pressensé, tous, ils ont compris que les lois de l'évolution sociale étaient liées au drame du devenir universel. » Nous savons par ailleurs, de façon plus prosaïque, que Jaurès éprouvait une certaine crainte devant le jugement de Pressensé. Charles Andler écrit, à propos du célèbre discours du congrès de Bâle : « Jaurès, qui avait mission de parler pour le socialisme français, prononça un court et admirable discours, dont il essayait de voiler l'éclat, comme il faisait toujours quand Francis de Pressensé était présent31. »
26Le dernier point qu'il faudrait mentionner est l'éclatement de la révolution russe au début de 1905. L'indignation que manifeste Pressensé de voir les autorités de la République, en tout cas le ministre des affaires étrangères, ménager notre allié le tsar peut se comparer à ses indignations du printemps 1898 devant l'attitude des gouvernements dans l'affaire Dreyfus. Il lui était difficile après le dimanche rouge de renouer avec son passé bourgeois et tsarophile.
27On peut donc considérer que dès ce début de l'année 1905, Francis de Pressensé se situe sur le plan des principes en rupture de Bloc. En même temps pourtant, on peut estimer qu'au sein de la LDH, comme on l'a vu, et même sur le plan électoral, comme on va le voir, la logique du Bloc s'est prolongée pour lui un peu au-delà de cette date.
Une prolongation du Bloc : la victoire électorale de 1906
28A priori, l'échéance législative de 1906 aurait pu paraître difficile pour Pressensé. Elle l'a été en un sens d'ailleurs, sur le plan « physique » : il a connu pendant plusieurs mois au début de 1906 une sérieuse aggravation de son état de santé et traversé une « cruelle maladie ». Ce n'est qu'à la mi-avril, moins de trois semaines avant l'élection du 6 mai qu'il a pu commencer sa campagne32.
29Le rétablissement a néanmoins été suffisant pour remporter une victoire-éclair : Pressensé a été réélu au premier tour avec 6 128 voix contre 5 000 à son unique adversaire, le radical-socialiste Chambaud de la Bruyère. C'était pourtant un rival sérieux. Vice-président du conseil général, ce candidat avait certainement disposé du soutien des loges maçonniques. Il avait officiellement, en tout cas, celui du Comité interfédéral du Bloc, et de son président, le nouveau maire de Lyon, Edouard Herriot.
30Se posait par ailleurs le problème de la division des socialistes : dans la configuration lyonnaise de 1906, Pressensé est le seul député sortant à avoir rejoint le parti unifié. Les trois autres élus, Fort, le remplaçant d'Augagneur parti vers d'autres cieux, Colliard, et Normand, se rattachent aux Indépendants, qui conservent une forte implantation dans le Rhône avec leur « Fédération socialiste autonome ». Il n'y a toutefois pas eu dans la circonscription de Pressensé de guerre fratricide entre socialistes. Il semble qu'elle ait été évitée au dernier moment, car les rapports de police signalent successivement la probabilité de candidatures indépendantes finalement avortées33.
31La victoire de Pressensé ne semblait toutefois pas acquise34. En l'absence d'un candidat de droite, Chambaud de la Bruyère pouvait espérer l'emporter s'il faisait le plein des voix modérées, des voix radicales, et de celles de certains partisans d'un socialisme indépendant. Dans sa proclamation électorale, l'adversaire de Pressensé, sans tendre la main aux catholiques en pleine crise des Inventaires, cherchait à agiter le spectre révolutionnaire pour élargir vers la droite son électorat. Il faisait vibrer aussi, quoique de façon retenue, la fibre patriotique. La proclamation de Chambaud35 écrit en effet qu'en rejoignant le parti unifié, Pressensé s'est soumis aux « décisions étrangères prises dans les congrès internationaux ». Pour le prouver, elle cite les « articles du règlement du parti socialiste unifié », inspirés par les motions de Dresde et d'Amsterdam : « Le parti de l'Unité n'est pas un parti de réformes, mais un parti de lutte de classes et de révolution... » « Le parti de l'Unité a pour mission de rester toujours un parti d'opposition fondamentale et irréductible à la classe bourgeoise et à l'État républicain qui en est l'instrument. » Face à ces proclamations révolutionnaires, le candidat radical se présentait comme le candidat des réformes économiques, politiques et sociales. Il dénonçait encore la perte d'indépendance, la sujétion du député au parti qu'impliquait « le règlement du parti de l'Unité », « affront brutal au suffrage universel », et « négation absolue de la souveraineté des électeurs ». Ajoutant à ces considérations de grande politique, l'implantation locale, le caractère « affable et conciliant » du candidat Chambaud, toutes choses qui manquaient à son concurrent Pressensé, la proclamation pouvait sembler habilement tournée. Presque dépourvue d'attaques personnelles, elle était loin d'avoir la virulence de celles qui avaient marqué les deux tours de l'élection de 1902. Elle n'a pas suffi en tout cas à convaincre les électeurs « blocards » de la « double face » de Pressensé, « révolutionnaire à Paris et réformateur en province ».
32La campagne-éclair de Pressensé a été réussie. Il est venu, il a vu, il a vaincu. Son discours de campagne est intéressant à analyser. Il n'a pas mis son drapeau de socialiste unitaire dans la poche. Sa proclamation36, où il parle au nom collectif du « Parti socialiste (section française de l'Internationale) », dénonce les socialistes qui ont refusé l'unité : « On a essayé, écrit-il de briser l'unité socialiste dans le Rhône pour des motifs où l'intérêt politique d'un homme et les préjugés de quelques autres ont joué un rôle prépondérant ». C'était évidemment Augagneur qui était visé. Mais si Pressensé se dit heureux de pouvoir afficher hautement le programme intégral du parti socialiste, il insiste surtout sur la nécessité de « défendre en commun avec toutes les fractions de la démocratie, la République, qui est le milieu indispensable de l'évolution socialiste », et dénonce donc la « calomnie » qui présentait son parti comme « infidèle à la discipline républicaine du second tour ». Bref, il ne se pose nullement en adversaire du Bloc, un mot aux connotations si positives qu'il le reprend pour parler de l'unification du « Bloc socialiste ». Quant au Bloc des gauches, Pressensé se présente comme « un des partisans les plus résolus du vrai Bloc », le ministère Combes, et comme « un des adversaires les plus résolus du faux Bloc, le ministère Rouvier ». Comme au sein de la LDH, la popularité du « petit père » Combes constituait auprès des électeurs républicains une valeur sûre, que Pressensé utilise largement, tirant les dividendes électoraux de son attitude lors de l'affaire des fiches. Pressensé présente aussi, bien plus que son adversaire, qui s'affiche pourtant comme le candidat des réformes contre la révolution, un programme de réformes précises : réforme de la magistrature, suppression des conseils de guerre, révision du code militaire, monopole de l'enseignement, retraites ouvrières et paysannes, limitation de la durée légale du travail, impôt sur le revenu. On notera que si le thème du patriotisme apparaissait mezzo voce dans la proclamation radicale par le biais de la dénonciation d'un parti à la remorque des décisions prises dans les congrès internationaux, le thème de la défense de la paix est déjà assez bien marqué dans la profession de foi socialiste de Pressensé. Il dénonce les « dangereux complots du patriotisme de réaction et du patriotisme d'affaires » ; il s'engage à « veiller au maintien de la paix » et à « travailler à l'institution de l'arbitrage international et à des traités de désarmement ». Il suggère d'ailleurs qu'il a déjà travaillé au maintien de la paix, faisant une allusion indirecte à sa campagne contre Delcassé, le fauteur de guerre. Mais au total, les lettres de noblesse du député sortant, « socialiste et républicain » résidaient plus encore dans son rappel du début : « Il a été l'initiateur de la séparation37. »
33Bref, dans une circonscription qui ne représentait pas un paradis pour un socialiste, Pressensé a su utiliser son passé et les thèmes nécessaires pour remporter une victoire somme toute assez facile. On peut penser que son envergure nationale, son prestige de président d'une organisation phare (et unitaire) de la République militante, la Ligue des Droits de l'Homme, ont contribué à son succès. Il a toutefois respecté scrupuleusement les règles en vigueur dans la LDH. Face à un adversaire républicain, il n'a pas fait appel au soutien de sections locales de la Ligue, et ne mentionne pas dans sa proclamation sa dignité de président.
34Cette élection de 1906 à Lyon-Villeurbanne, comme celle de beaucoup de circonscriptions de France, confirme que si le Bloc était déjà bien mal en point au sommet à Paris, il était encore vivace à la base en province. C'est peut-être finalement Le Nouvelliste de Lyon, qui ne s'était guère, cette fois, focalisé sur la 10e circonscription, où il aurait eu à choisir entre la peste et le choléra, qui tire la leçon la plus claire du scrutin. Passablement déprimé par la défaite de la droite, qui perdait en particulier dans le Rhône un des quatre sièges qu'elle détenait, le quotidien catholique et nationaliste écrit notamment au lendemain des élections : « La scission de l'extrême gauche était fausse, de même que la pseudo-guerre entre socialistes indépendants et unifiés. [...] L'anticléricalisme est resté le solide ciment du Bloc. La haine de l'Église est tout, et la question de la propriété n'est qu'un détail, comme le disait il y a huit jours le Lyon républicain, peuplé cependant de bourgeois et de propriétaires38. » Mais ce qui était encore vrai au lendemain de la séparation des Églises et de l'État et en pleine crise des Inventaires ne le sera plus autant par la suite. 1906 est un peu le chant du cygne de cette période d'environ trente ans, où, de Gambetta à Combes, l'ennemi de la République n'a eu qu'un visage, le cléricalisme.
Une rupture dans la Ligue des Droits de l'Homme : la question de Madagascar
La saison des turbulences
35Après sa réélection, Francis de Pressensé a participé avec vigueur aux différentes campagnes des socialistes unifiés contre la politique sociale du gouvernement Sarrien et de son ministre de l'Intérieur Clemenceau, puis à partir d'octobre 1906 contre le gouvernement Clemenceau, gouvernement de dreyfusards et d'anciens amis, dont faisaient partie Viviani, Briand et Picquart. Ces vives polémiques vont progressivement se répercuter au sein de la Ligue des Droits de l'Homme. Au congrès de Bordeaux de 1907, les tensions sont déjà sous-jacentes. Pressensé dans son discours inaugural fait allusion à certaines accusations qui le viseraient, et lui reprocheraient de faire faire de la politique à la Ligue, d'y introduire ses choix socialistes. Dans l'allocution qu'il prononce dans la réunion publique, il dénonce avec une grande vigueur, au nom de la défense des droits syndicaux et associatifs, la politique sociale du gouvernement Clemenceau, « un des plus grands scandales qui aient été infligés à l'esprit républicain depuis 36 ans ». Toutefois, au cours de ce congrès de Bordeaux, le premier tenu en province, avec un nombre de congressistes relativement limité, et avec des sections locales qui, sous l'égide d'un ancien compagnon de l'affaire Dreyfus, Lucien-Victor Meunier, semblent bien orientées à gauche, on n'avait pas vu se manifester une véritable opposition organisée.
36Mais l'unité du Bloc ligueur ne pouvait résister bien longtemps aux turbulences politiques. C'est une question particulière, moins spectaculaire que les grands mouvements des fonctionnaires et de la CGT, ou que celui des viticulteurs languedociens de 1907, mais névralgique au point de vue de la défense des droits de l'homme, de la laïcité, et de l'attitude à l'égard de l'empire colonial, une question, qui, ajoutons-le, touchait personnellement Francis de Pressensé, qui déclenche, au congrès suivant, les hostilités. La polémique concernant la politique du gouverneur Augagneur vis-à-vis des écoles et des missions protestantes de Madagascar constitue la première d'une série de graves crises qui se sont poursuivies jusqu'en 1910, une partie des ligueurs contestant de plus en plus violemment les orientations du président et de son entourage. Ces divergences et ces querelles se développent au reste sur plusieurs plans, puisque c'est aussi en tant qu'homme politique que Pressensé, président de la Ligue, agit et est interpellé. On verra les conséquences strictement politiques de certaines de ses initiatives lors des élections législatives de 1910.
Le conflit entre Augagneur et les missions protestantes
37Victor Augagneur, nous l'avons dit, avait été nommé gouverneur général de Madagascar à la fin de l'été 1905. Il y développe rapidement une politique de laïcisation de l'enseignement plus intransigeante que celle de son prédécesseur, Gallieni, qui avait, dans l'ensemble, ménagé les écoles confessionnelles. Augagneur institue d'abord en mars 1906 l'obligation, pour se présenter à l'entrée des écoles supérieures publiques (et en particulier à l'école normale d'instituteurs), d'avoir effectué les deux années précédentes dans l'enseignement public. Puis il décrète l'obligation de posséder les certificats de capacité français pour diriger et enseigner dans les établissements privés. La mesure visait, non les instituteurs indigènes, qui devaient posséder le certificat de capacité malgache, mais les missionnaires non français, et tout particulièrement les Anglais de la mission de Londres, et les Norvégiens de la mission luthérienne. Par ailleurs, Augagneur fait fermer près de 3 000 écoles installées dans des lieux de culte protestant. Il décide encore la dissolution de l'Union Chrétienne de Jeunes Gens de Tananarive, interdit les cultes privés dans les maisons familiales, et refuse les permis de construire pour de nouveaux temples.
38Cette politique entraîne une très vive réaction des protestants français, en particulier du Comité de la Maison des Missions de Paris avec son président, Alfred Boegner, et son secrétaire général, Jean Bianquis. Leurs appels à l'opinion publique et aux responsables humanitaires et politiques ont été entendus. Le 16 mars 1907, Francis de Pressensé adresse au nom de la Ligue des Droits de l'Homme une lettre au ministre des colonies du gouvernement Clemenceau, Milliès-Lacroix, où il dénonce les atteintes aux droits et à la liberté de conscience des indigènes ; il conclut par une vive protestation contre les initiatives « d'un proconsul atrabilaire ou d'un ambitieux sans scrupules ».
39Le « proconsul » s'est défendu avec vigueur. Le 28 mai 1907, il adresse à son ministre de tutelle un long rapport où il explique les dangers qu'il y aurait, selon lui, à laisser se développer les activités des missions protestantes : elles risqueraient de favoriser le développement d'une génération malgache mal disposée à l'égard de la France39. Augagneur fait en même temps diffuser une brochure anonyme intitulée Les Missions et la question religieuse à Madagascar40, qui justifie sa politique et livre le tond de sa pensée. Au cours de l'été 1907, la polémique a pris de l'ampleur41. Bon nombre d'organes de presse ont pris le parti d'Augagneur. Ainsi Le Matin titre-t-il le 22 juillet 1907 : « Le protestantisme, voilà le danger ! » Augagneur est par ailleurs soutenu sur place par une bonne partie des Européens. Revenu à Paris à la fin de l'année 1907 il a eu l'occasion de défendre son action de vive voix au moment du débat sur le budget du ministère des colonies. Toutefois, Pressensé, à nouveau victime d'une rechute rhumatismale, n'a pu l'interpeller à cette occasion42.
40Au début de 1908, on a pu avoir l'impression que Clemenceau cherchait à calmer le jeu et à modérer son bouillant gouverneur43. Il reçoit lui-même, et rassure les délégués de la Mission de Paris et de la Fédération protestante de France. Il fait prodiguer par son ministre, le 8 avril, des paroles apaisantes à l'ambassadeur d'Angleterre, alerté par les différentes sociétés missionnaires britanniques. On sait par ailleurs que Clemenceau n'était pas favorable au monopole laïque de l'enseignement, à la différence d'Augagneur, et..., en principe, de Pressensé. On pourrait donc penser qu'au printemps 1908 l'affaire était en train de s'apaiser : un télégramme envoyé au début avril par Milliès-Lacroix demandait à Augagneur de manifester la plus grande tolérance en ce qui concernait les cultes et l'enseignement. Même si l'application de cette directive sur place semble avoir été approximative, la tension entre Augagneur et les missions protestantes a commencé à se relâcher.
Les polémiques du congrès de Lyon
41C'est pourtant au printemps 1908 que le débat sur la politique d'Augagneur a pris dans la Ligue des Droits de l'Homme sa plus forte dimension polémique. Si le Bulletin officiel de la Ligue avait consacré dès 1907 de nombreuses pages à la question de Madagascar, c'est seulement au congrès de Lyon, les 8 et 9 juin 1908 qu'a lieu le débat attendu. Augagneur n'était pas présent, mais il avait gardé des amis dans la section lyonnaise, dont il avait été une figure majeure. Le congrès qui regroupait 289 délégués pour, désormais, 90 000 ligueurs, s'était ouvert dans une atmosphère d'unité renforcée par l'indignation devant l'attentat dont avait été victime quelques jours avant Alfred Dreyfus, au moment du transfert des cendres de Zola au Panthéon44. Mais lorsqu'on aborde le débat sur « le droit des indigènes », une discussion passionnée s'engage et s'étend sur deux séances du congrès45, fait tout à fait exceptionnel pour une question relevant du domaine colonial46. Pour la première fois aussi, la contestation et la mauvaise humeur, qu'il était habituel de voir exprimées par tel ou tel délégué, ont pris la forme d'une opposition organisée, qui s'en prenait directement au président de la Ligue, Francis de Pressensé.
La position du Comité central
42Ce n'est pas Pressensé qui présente le rapport de la commission consacrée aux droits des indigènes, mais Pierre Quillard. Ce choix n'était pas anodin. Pierre Quillard était au sein de la Ligue un des dirigeants les plus populaires, tant par son caractère agréable, que par son action en faveur de l'Arménie et des peuples opprimés. Très proche de Pressensé, il n'était pas à la différence du président de la Ligue et du secrétaire général Mathias Morhardt, un protestant d'origine. Dans son intervention, il se place au seul point de vue de la défense des indigènes. Il invoque le précédent des « lois scélérates » pour dénoncer les atteintes qui pourraient être apportées à la liberté de réunion sous prétexte d'interdire les cultes domestiques. Mais c'est surtout la question des entraves au développement intellectuel qu'il met au premier plan. La fermeture d'écoles, même confessionnelles, constitue selon lui une régression, si on n'est pas capable d'y substituer des écoles laïques : « Au lieu de 160 000 enfants à qui l'on donnait une instruction ou une assistance quelconque, il n'y en a plus que 25 00047. » Même les « écoles de temple » et de catéchisme, soutient-il, sont des écoles vraies : « Il se peut faire qu'on n'y apprenne qu'à lire la Bible : mais l'homme qui a lu la Bible, personne ne l'empêchera ensuite, si on les lui met entre les mains, de lire Voltaire ou Renan48. »
Les défenseurs d'Augagneur
43Les positions défendues par Quillard étaient difficiles à admettre pour bon nombre de ligueurs formés au militantisme combiste et à la lutte anti-congréganiste. Les orateurs qui se lèvent pour défendre la politique d'Augagneur dénoncent, avec véhémence, une sorte de trahison. Le premier d'entre eux, Vermare, délégué de la section de Villefranche-de-Rouergue prononce une véritable diatribe antiprotestante et anglophobe. L'intervention du Dr Lévy, délégué de la section d'Oullins, est plus habile. Il se place surtout sur le plan des faits, et des procédures à respecter lors d'un débat contradictoire au sein de la Ligue. Il accuse le Comité central de ne pas avoir tenu compte de l'avis des sections locales de Tamatave et de Tananarive. Composées exclusivement d'Européens, pour la plupart des fonctionnaires coloniaux, les sections avaient une position favorable à la politique d'Augagneur, et parfois, même, plus sévère vis-à-vis des indigènes. Par ailleurs, sur le fond, le Dr Lévy soutient que le gouverneur général a défendu la liberté de conscience des malgaches face à aux entreprises de prosélytisme religieux dont ils étaient l'objet. Surtout, il souligne que, sur le plan scolaire, Augagneur n'a pas pris d'autres mesures « en ce qui concerne les capacités, en ce qui concerne les ouvertures d'écoles, que celles prises en France. L'esprit qui a inspiré ces circulaires est le même esprit de laïcité qu'en France49... »
Le plaidoyer de Pressensé
44Répondant au Dr Lévy, Pressensé prononce alors un des discours les plus éloquents et au ton le plus personnel qu'il ait eu l'occasion de prononcer. Il y « met les pieds dans le plat », dévoilant un certain nombre de non-dits dans le débat qui s'était jusque-là développé, et, tout particulièrement, les attaques ou les « insinuations50 » personnelles dont il avait fait l'objet durant les semaines et les mois précédents. Pressensé se défend tout d'abord avec véhémence d'avoir agi par solidarité protestante. « J'ai bien le droit, ajoute-t-il, de répondre sur ce point », « puisqu'on est venu dire que j'avais peut-être obéi en cette matière à je ne sais quelles tendances inconsciemment héréditaires, puisque quelques-uns ont bien voulu dire que je suis un jésuite protestant, puisque d'autres plus modérés ont dit que, livré aux instincts héréditaires que j'ai trouvés dans mon berceau, j'étais revenu au confessionnalisme de mes ancêtres et que j'avais voulu servir, non pas une cause de justice, non pas l'idéal que nous défendons à la Ligue des Droits de l'Homme, mais les intérêts de certaines missions et de certaines églises ». Et Pressensé prend l'offensive contre ceux qui avaient organisé l'opposition contre lui. Il cite une « assemblée de francs-maçons » qui s'était tenue à Paris au Grand Orient en décembre 1907 : « Cette assemblée a affirmé que la Ligue des Droits de l'Homme, obéissant à un intérêt confessionnel, s'était mise au service des missions protestantes et a visé en termes précis ma personne51. » Pressensé déplore également, s'adressant assez clairement à son contradicteur Louis Lévy, la présence parmi « ceux qui vous jettent à la face l'accusation de servir les intérêts des protestants » d'un « certain nombre de ceux qui [ont] l'honneur d'appartenir eux-mêmes à une minorité longtemps persécutée » [...], d'« israélites à la mémoire un peu courte52 ». On s'en doute, ces déclarations ont suscité une certaine sensation, des applaudissements, mais aussi de « vives interruptions sur certains bancs53 ».
45Sur le fond, l'argumentation de Pressensé développe et explicite le point de vue de Pierre Quillard, en affirmant donner une priorité absolue aux droits et aux libertés des « indigènes ». Pressensé décèle à la racine de la politique du « proconsul » Augagneur, non tant un ultra-laïcisme de combat, qu'une « théorie néfaste », « une doctrine contre laquelle la LDH doit lutter de toutes ses forces, la conception coloniale du droit des indigènes54 ». Pour illustrer cette conception, et pour répondre en même temps aux accusations d'avoir négligé le point de vue des ligueurs malgaches, il fait un sort particulier à une lettre envoyée par le président de la section de Majunga, l'avocat Frenaud. Interrogé par le Comité central pour savoir s'il était exact qu'un malgache licencié en droit ne pouvait plaider à Madagascar, ce « juriste » avait répondu que, s'il avait connaissance d'un lait de cette nature, il « l'approuverait hautement », attendu que « les Hovas, seuls indigènes capables d'entreprendre une licence en droit, ont une conception morale toute différente de la nôtre, et que la perfidie, le mensonge, l'hypocrisie et la malhonnêteté forment le fond de leurs conceptions55 ».
46Pressensé n'hésite donc pas à attaquer avec vigueur l'état d'esprit de « la moitié des ligueurs de Madagascar ». Le représentant de la section de Tananarive qui intervient au congrès de Lyon, à la fin du débat, n'affirme pas une hostilité aussi caricaturale vis-à-vis des indigènes. Mais il défend nettement le gouvernement d'Augagneur, tout en suggérant que les ligueurs et le congrès ne devaient pas se prononcer faute d'une information suffisante sur la situation réelle. Pressensé au contraire avait, dans son intervention, pesé de tout son poids, et usé de tout son charisme, pour que la motion de ferme condamnation de la politique d'Augagneur proposée par la commission soit votée sans délais. Il terminait son discours par une ardente péroraison où il associait le souvenir de l'affaire Dreyfus et le rappel de tout l'idéal de la Ligue à la défense du droit des indigènes. Cette envolée finale, constituée d'une seule phrase immense, où ne manque pas même une allusion à... Guizot, pourrait figurer dans une anthologie du « style Pressensé ».
« Ah ! citoyens, qu'on m'appelle jésuite protestant, qu'on me jette à la face je ne sais quelles préoccupations confessionnelles qui n'ont jamais été plus loin de notre conscience et de notre raison que quand nous avons pris en mains pour des indigènes sans protection la cause du droit et de la liberté, qu'on fasse tout cela, on n'arrivera jamais à la hauteur, je le dirai, moi aussi, en reprenant un mot historique, de notre mépris, et, surtout, on ne réussira pas à nous arrêter dans la voie que nous nous sommes tracée, à empêcher que nous élaborions, que nous développions, que nous perfectionnions, que nous maintenions envers et contre tous cette œuvre admirable qui est l'organisation de la conscience nationale, clairvoyante et résolue, fidèle à elle-même, à ses principes, à ses devoirs, par-dessus tout ne s'inclinant jamais devant la raison d'État, soit qu'on invoque ce sophisme meurtrier dans l'affaire Dreyfus ou qu'on veuille l'appliquer à de prétendues races inférieures que nous ne livrerons jamais à quelque proconsul que ce soit56. »
47Pourtant, malgré « l'ovation enthousiaste » dont « l'orateur est l'objet », la partie adverse de la salle n'a pas désarmé. Le compte rendu fait état de la réaction d'une voix anonyme : « L'appel au peuple a réussi57. » les vives protestations contre ce commentaire d'autant plus sarcastique qu'il assimilait implicitement Pressensé au général Boulanger, voire à Napoléon III, suggèrent l'électricité qui régnait dans l'air.
48Après une discussion encore longue le congrès s'est prononcé sur la motion soutenue par Pressensé. Elle invitait « le gouvernement de la République française à faire respecter à Madagascar la liberté de conscience des indigènes en observant une neutralité absolue entre toutes les confessions religieuses et en n'interdisant pas notamment les réunions privées dans les maisons. » Par ailleurs, elle demandait que « les écoles privées ne soient supprimées que dans les localités où les écoles publiques auront été ouvertes en nombre suffisant58 ».
49Le résultat du vote par appel nominal des sections donne 27 000 voix en faveur des conclusions de la Commission, 12 437 contre, et 1765 abstentions. La marge d'avance est importante, mais il existe désormais une opposition déterminée, capable de rassembler contre certaines initiatives de Pressensé un tiers des sections et des adhérents de la Ligue.
Les enjeux du duel Pressensé-Augagneur
50L'interprétation de ce conflit, du duel à distance entre Pressensé et Augagneur, de ces vifs affrontements entre ligueurs, peut se faire à différents niveaux.
51La première constatation est la consommation de la rupture du Bloc au sein de la Ligue. Même s'il rend un dernier hommage à Combes, Pressensé rappelle l'attitude qu'avaient manifestée au temps de l'Affaire « des gens qui s'intitulaient radicaux, radicaux-socialistes, tout ce que vous voudrez59 », et refusaient d'ouvrir les yeux. Si on ajoute son rappel de la réunion du Grand Orient, on pouvait avoir l'impression d'une déclaration de guerre. Bien des ligueurs ont certainement lu le conflit avec des lunettes hexagonales, nous voulons dire en y voyant un conflit entre deux interprétations de la laïcité, l'une plus libérale, l'autre plus intransigeante. S'il n'y voit pas la question principale, Pressensé suggère d'ailleurs ses divergences avec le courant laïcisateur le plus radical, et projette même ces divergences sur le passé de la période combiste. Évoquant ces temps bénis (si on peut dire !) du Bloc, il déclare par exemple :
« Nous avons été heureux à ce moment-là de livrer notre part de ce combat et de marcher avec le reste de l'armée républicaine... Mais dès lors, il y avait quelque chose dans ce problème qui nous divisait, qui a continué de nous diviser qui nous divisera toujours avec beaucoup de ceux qui prétendent et qui croient travailler à la même chose avec nous. Est-ce que vous vous imaginez que la Ligue des Droits de l'Homme [...] quand elle lutte pour l'émancipation de l'esprit humain, quand elle lutte pour la liberté de conscience ira ramasser dans la boue les armes du passé et que nous voudrons servir la cause de la liberté en portant atteinte à la liberté60 ? »
52On ne peut s'empêcher de penser que ces formulations ressemblent davantage à celles des adversaires de la délation en 1904-1905, qu'à celles de Pressensé à ce moment-là. Il y a bien une inflexion, avec les risques politiques qu'elle comportait, puisqu'elle pouvait heurter les militants républicains de base, quand le soutien à Combes recueillait une adhésion spontanée.
53Une seconde question qu'il faut poser est celle du « philoprotestantisme » de Pressensé. Il est logique qu'il se défende avec véhémence d'avoir agi pour des raisons de « préférence confessionnelle ». Mais cela veut-il dire pour autant que ses racines et ses relations n'aient joué aucun rôle dans sa sensibilité à la question de Madagascar, qui avait déjà donné lieu à bien des attaques antiprotestantes, qui ne l'avaient d'ailleurs épargné, ni lui, ni la mémoire de son père, ni la maison des Missions de Paris, dont le directeur était son beau-frère, Alfred Boegner ?
54Par ailleurs, s'il ne se rattachait plus aux Églises réformées, Pressensé n'avait pas pour autant, cessé de se référer à une certaine tradition culturelle, ou historique, protestante. On peut le lire dans son discours de Lyon dans un passage où il compare la politique d'Augagneur aux persécutions et aux dragonnades mises en œuvre sous Louis XIV à la veille de la révocation de l'Édit de Nantes61. Les accusations portées contre son « atavisme huguenot » pouvaient donc être du domaine du vraisemblable, surtout pour des ligueurs qui avaient eu l'impression les années précédentes qu'il était prêt à placer l'Église catholique en liberté surveillée.
55Quant à ses attaques contre Augagneur, il est difficile de nier qu'elles ne portent pas aussi la trace d'une animosité personnelle. Sa phrase sur « le proconsul atrabilaire ou l'ambitieux sans scrupules » doit se lire à la lumière de la rupture de 1905. Avec Briand, c'est celui de ses anciens compagnons que Pressensé a attaqué avec le plus de véhémence, et on peut penser que la divergence politique avec Augagneur avait dû être accompagnée d'une querelle où des mots assez violents ou blessants avaient été échangés.
56On pourrait d'ailleurs remarquer, qu'alors qu'il a démenti avec véhémence avoir agi par atavisme protestant, Pressensé n'a jamais assuré qu'il n'avait rien contre Augagneur. Au contraire, il revendique une vigilance particulière à son encontre : « Je vous l'avoue très franchement, je ne sais pas, quant à moi, séparer les choses et les hommes ; quand je me suis fait une idée générale de quelqu'un à cause des actes de sa vie auxquels il m'a été donné d'assister, il a beau s'en aller au sud de l'Afrique, au lieu de rester à Paris ou à Lyon, j'estime toujours que ce sont les mêmes principes, ou les mêmes idées, ou les mêmes instincts qui le guident, et, je le dis sans détours, ma vigilance est et demeure en éveil62. » Nous verrons que cette grande querelle n'a pas été définitivement vidée avec l'affaire de Madagascar.
La question des droits de l'homme aux colonies
57Malgré tout le plus important était bien la question coloniale, et l'opposition entre deux façons de la poser. Victor Augagneur, qui fut à notre connaissance le premier des « socialistes coloniaux », n'est pas resté dans l'historiographie de l'Empire français comme un gouverneur rétrograde. Il passe davantage pour un réformiste, qui s'est placé dans une perspective assez nettement assimilationniste. Mais, en bon administrateur, il avait d'abord le souci de mettre la domination de la France à l'abri de toute contestation. Le protestantisme était pour lui particulièrement redoutable, parce qu'il pouvait permettre, beaucoup plus facilement que le catholicisme l'émergence d'une religion « nationale indigène63 ». « Le gouvernement, écrit-il dans sa brochure, a le devoir de s'opposer aux progrès de l'indigénisme religieux. L'indigénisme compromettrait l'autorité de la France et retarderait la civilisation du pays. Il faut s'opposer absolument à la constitution d'un clergé indigène64. »
58Au nom de la civilisation, de la science, et du progrès, que seule la domination française pouvait apporter, ce paternaliste musclé, qui ne « croyait nullement à l'action civilisatrice des religions », n'hésitait pas à affirmer la nécessité d'un traitement inégal entre européens et indigènes, étant donné que « la liberté de conscience ne commence qu'avec la faculté de comparer et de juger », et que « ces facultés n'existent pas chez l'indigène65 »... Avec un cynisme un peu provocateur, il tirait même argument de l'absence de libertés que comportait le système colonial dans la plupart des domaines pour suggérer qu'il serait contradictoire et dangereux de laisser à nos sujets une autonomie quelconque dans le domaine religieux : « Nous ne jugeons pas les Malgaches dans leur ensemble capables d'exercer les droits de citoyen français dans leur plénitude. Nous ne leur avons donné le droit commun français ni au point de vue civil ni au point de vue politique. Ils sont soumis à des juridictions spéciales du point de vue judiciaire. Ils n'ont aucun droit administratif. La liberté de la presse, la liberté de réunion n'existent pas pour eux. Pourquoi n'aurions nous pas le droit de limiter leur liberté dans le domaine religieux66... »
59À lire la brochure d'Augagneur, on est convaincu qu'il y avait bien une opposition absolue entre son contenu et les positions défendues par la Ligue des Droits de l'Homme et par Francis de Pressensé pour faire reconnaître aux indigènes le bénéfice des principes universels. Certes, il serait inexact de présenter cette défense des indigènes comme une prise de position anticolonialiste. Pressensé, et même Pierre Quillard, refusent de passer pour ces « philosophes humanitaires », qui, selon le gouverneur de Madagascar, proclament « hautement que toutes les races sont égales, que le droit pour les Malgaches de s'unir, de s'entendre, de reconquérir leur indépendance est absolu, qu'il est injuste de leur résister, de les maintenir dans la sujétion67 ». Le terme récusé par Quillard et par Pressensé n'est d'ailleurs pas « philosophes humanitaires », mais « idéologues » ; il s'agit d'une claire allusion à Clemenceau, et à ses passes d'armes à la Chambre, en particulier contre Jaurès. Les rires fleurissent parmi les congressistes de Lyon, lorsque Pierre Quillard déclare : « Pour répondre aux scrupules de certains d'entre vous, je devrais peut-être d'abord examiner la légitimité de toute politique coloniale fondée sur la conquête. Mais, ce faisant, je risquerais de faire de l'idéologie, et les idéologues, comme vous le savez, depuis Napoléon Ier jusqu'à ses successeurs dans nos temps les plus récents, sont mal vus des hommes d'État68. »
60Les dirigeants de la Ligue se présentent donc comme des réalistes, comme des gens pratiques qui « acceptent le fait accompli », mais « pour l'interpréter dans le sens le plus favorable69 ». Le profil adopté par Pressensé dans son intervention à Lyon peut même sembler assez bas, puisqu'il affirme accepter « ce que tout homme de bon sens pense, à savoir qu'à l'heure actuelle, il ne s'agit pas de transporter du jour au lendemain, et même dans un avenir très proche, dans la colonie, et au profit des indigènes toute notre organisation constitutionnelle et politique70 ». Et il ajoute, dans un passage qu'on peut considérer comme très significatif de l'attitude globale qu'il préconise :
« Nous ne songeons point, nous les idéologues, à leur donner immédiatement, ou dans un avenir très proche, le suffrage universel, le régime représentatif et les diverses prérogatives qui, chez nous, constituent le patrimoine civique ; mais nous disons, nous proclamons ce qui est la tradition même de la France révolutionnaire et de la Déclaration des Droits de l'Homme, c'est qu'en dehors des libertés conférées aux hommes pour défendre leurs droits essentiels, en dehors des garanties politiques qui servent à protéger l'individu dans le déploiement de sa personnalité morale, il y a des droits fondamentaux, des droits humains, des droits universels qui doivent appartenir, qui appartiennent à tous, et auxquels nul ne doit toucher. À nos yeux, la nation française se renierait elle-même, ce serait la plus formidable banqueroute morale si elle admettait jamais qu'il est des races inférieures auxquelles il peut être légitime de refuser ces droits71. »
61Il nous semble que l'extrême prudence que manifeste ce texte doit se comprendre de différentes manières : il s'agit tout d'abord d'une condition jugée nécessaire pour mener efficacement la défense des indigènes. Pressensé a la conviction que tout discours qui contesterait sur le fond l'ensemble du dispositif colonial serait frappé d'inefficacité, considéré par les pouvoirs publics comme nul et non avenu. On peut lire par ailleurs dans cette prudence une nette réticence à l'égard des idées assimilationnistes, comme si Pressensé avait l'intuition que l'avenir n'était pas le passage du statut de sujet à celui de citoyen français, mais bien de la domination à l'indépendance. C'est peut-être dans ce sens qu'il faut comprendre la distinction opérée entre différents niveaux des droits de l'homme. On notera que parmi les droits les plus fondamentaux et les plus universels de l'espèce humaine Pressensé fait figurer implicitement la liberté de conscience, plus ancienne, plus vitale que les libertés politiques des régimes démocratiques. En tout cas, la pratique de la LDH dans cette période, sous l'égide de son président, montre que ce profil bas au niveau des principes s'est accompagné d'une action déterminée de défense des populations de l'Empire, à propos de Madagascar, comme du Congo, de l'Indochine, ou de l'Afrique du Nord. Pressensé associe souvent, dans ses discours et dans sa pensée ces populations aux prolétaires : il conçoit comme prioritaire pour la Ligue des Droits de l'Homme la défense des individus et des groupes sociaux les plus faibles, par rapport au pouvoir, comme par rapport à la hiérarchie sociale.
62C'est à propos d'une autre confession religieuse, que Francis de Pressensé allait poursuivre, quelques mois après l'affaire de Madagascar, son action en faveur du respect de la liberté de conscience.
L'affaire des officiers de Laon
63L'affaire des officiers de Laon est loin d'être l'épisode le plus important des affrontements à peu près quotidiens qui ont opposé pendant trois ans les socialistes aux ministres du gouvernement Clemenceau et à son chef. Mais ce qui peut être considéré comme secondaire dans l'histoire du ministère constitue un événement important dans la carrière et le destin politique de Francis de Pressensé. L'affaire a aussi joué un rôle notable dans le développement au sein de la Ligue des Droits de l'Homme d'une crise dont l'affaire Augagneur n'avait constitué que la préface.
64Le 8 novembre 1908 à Laon, ville de garnison, cinq officiers avaient assisté à la messe solennelle du congrès diocésain de l'Association Catholique de la Jeunesse Française, et deux d'entre eux avaient de surcroît participé à une des séances des travaux du congrès. Quelques jours après, leur ministre de tutelle, Georges Picquart, avait pris des sanctions disciplinaires contre ce qu'il considérait comme un manquement au devoir de réserve, une participation à une manifestation politique d'hostilité à la République.
65La protestation contre ces mesures n'est pas venue que des milieux catholiques, puisque le 21 décembre 1908, le Comité central de la Ligue des Droits de l'Homme a dénoncé une atteinte inacceptable à la liberté d'opinion. Fort de cette résolution qu'il avait contribué à faire adopter, Francis de Pressensé est intervenu en faveur des officiers de Laon au cours du débat qui se déroule à la Chambre des députés le 29 janvier 1909. Son discours et ses conséquences vont nous arrêter un moment72.
Une défense éloquente des officiers catholiques
66On notera tout d'abord que Pressensé est le dernier des orateurs à prendre la parole avant que le ministre de la guerre, puis le président du Conseil lui même, ne répondent à l'interpellation. Il succède à des porte-paroles de la droite catholique. C'est un discours d'une incontestable élévation que prononce Pressensé ce jour-là. Il ne se contente pas de parler au nom de l'extrême gauche pour rappeler le précédent des lois scélérates et de flétrir des atteintes à la liberté d'opinion qui pourraient servir de précédent pour frapper des officiers socialistes. Il évoque son propre itinéraire politique et spirituel et sa conception du socialisme, affirmant la cohérence de ce présent avec son passé libéral, et rassemblant, si on peut dire, tous les morceaux de son puzzle personnel.
67Pressensé se dit profondément heureux de n'avoir dans les rangs du socialisme à abdiquer aucune des convictions libérales de son passé. Il emploie même, fait assez rare dans sa bouche, une image pour mieux évoquer la dimension affective de son parcours :
« Croyez-vous, lorsque je porte les regards sur ce passé, et quand je vois les diverses étapes que j'ai dû franchir, que, tout en reconnaissant que ce vieux chêne sous lequel j'avais cru pouvoir m'abriter était en réalité à moitié mort, et que j'avais eu tort de m'asseoir à son ombre, croyez-vous que j'irais ramasser dans l'arsenal du passé je ne sais quelle cognée plus ou moins souillée, et qui se tournerait dans ma main pour se retourner contre moi, et que j'irais frapper le chêne au pied duquel je m'étais assis73 ? »
68Et Pressensé ose même évoquer spontanément « son » Cardinal Manning, alors que, depuis l'époque de l'affaire Dreyfus, son ouvrage avait surtout été utilisé, et parfois avec une grande virulence, par ceux qui voulaient l'attaquer, lui jeter à la tête ses contradictions ou ses palinodies :
« Je ne peux pas oublier que parmi les étapes que j'ai franchies pour arriver à la pleine et joyeuse conviction de mon esprit, il en est une où j'ai été fasciné par une grande figure... Et, ne vous scandalisez pas, messieurs ! C'était la figure d'un grand prélat catholique. Il s'est trouvé que ce qui m'avait attiré à lui ce n'était pas seulement certaines préoccupations qui ont peut-être depuis lors disparu dans mon esprit, c'était avant tout l'action sociale, presque révolutionnaire qu'il avait exercée à un moment donné [...]. Et je ne saurais oublier le spectacle que j'eus un matin de février, à Londres, quand par une de ces journées sombres et maussades, je vis aux obsèques qui étaient faites à ce prince de l'Église, flotter pour une fois, une seule fois, confondus dans un deuil commun, les lourdes bannières de l'Église et les étendards révolutionnaires, le noir drapeau de la misère et de la faim, le drapeau rouge de la révolte et de l'espoir74. »
69Nous avons affaire ici, nous semble-t-il au « dernier Pressensé » : un Pressensé qu'il ne faut sans doute pas imaginer comme secrètement revenu à sa foi religieuse, mais un Pressensé apaisé, réconcilié avec son passé et convaincu de la cohérence de son parcours, une question qui l'a visiblement à diverses reprises tourmenté. C'est un Pressensé qui présente nettement la séparation des Églises et de l'État comme le moyen, utilisé grâce à l'insistance des socialistes et à sa propre initiative, de « terminer enfin ce long conflit », de mettre fin à cette « lutte stérile75 » qui a trop longtemps servi de paravent à l'égard des réformes sociales. C'est un Pressensé qui fait de la valeur de liberté l'alpha et l'oméga du socialisme, attachant autant d'importance aux libertés individuelles qu'à la libération collective.
70Pressensé était sans doute conscient qu'en défendant les officiers de Laon et qu'en prononçant ce discours, dont plusieurs passages ont été applaudis, non seulement à l'extrême gauche, mais à droite, il prenait un risque politique, en particulier par rapport à la Ligue des Droits de l'Homme. Il évoque lui-même « la ridicule calomnie qui a fait le tour d'une certaine presse et de certaines réunions publiques [...] à savoir que nous sommes en agissant ainsi, les complices et les alliés de je ne sais quelle réaction76 ».
71En tout cas, il n'a pas fait la chose à moitié, et son discours, d'un certain point de vue si libéral, constitue en même temps une attaque en règle, maniant avec prédilection l'ironie, contre le gouvernement Clemenceau, qui avait selon lui, à de nombreuses reprises depuis son avènement, violé et mutilé la liberté d'opinion, que cette équipe d'anciens dreyfusards aurait dû avoir particulièrement à cœur de défendre. Pressensé réfute en passant l'argument des nécessités du pouvoir, mettant en avant des exemples inverses, ceux de Robert Peel et de Gladstone, « des gens qui étant arrivés conservateurs aux affaires y ont accompli de grandes réformes ». Exprimant pour eux son respect et son admiration, il peut déclarer, comme pour mieux faire la leçon à ses anciens amis : « Ainsi donc, le pouvoir ne corrompt pas toujours, il élève quelquefois77. »
72Un des aspects paradoxaux de cette interpellation était que Pressensé était face à face avec son héros d'autrefois, Picquart. Il ne s'adresse pas à lui sur le même ton, que celui qu'il a pu employer à cette même époque contre Augagneur ou contre Briand, pour lesquels il n'affiche que mépris et indignation. À l'égard de Picquart, c'est plutôt une certaine mélancolie que Pressensé laisse entrevoir, qu'il exprime dans une allusion à Wagner et à la culture musicale de son ancien ami :
« Il y a une autre chose qui, je l'avoue, m'est personnellement plus douloureuse encore. Je serai compris, j'en suis certain, non pas seulement de ceux de nos collègues - et il y en a jusque sur les bancs du Gouvernement - dont la culture littéraire et musicale égale la compétence professionnelle (Sourires), mais de l'ensemble de mes auditeurs, quand je dirai que je sais quelque chose d'infiniment plus mélancolique que le crépuscule des dieux : c'est l'éclipsé des héros78. »
73Mais, au cours de cette séance, la nostalgie a vite fait place au duel, en plusieurs sens, on va le voir. Le vrai bretteur n'était pas le militaire, à la réponse assez terne, et quelque peu embarrassée : ainsi, Picquart prétend-il que, très souvent, les interventions de Pressensé pour défendre les droits de l'homme dans l'armée se faisaient sur des cas indéfendables pour lesquels de pseudo-victimes auraient abusé du « grand cœur » de « l'honorable M. de Pressensé79 » ; mais sommé d'en apporter la preuve, il est incapable de le faire, faute, allègue-t-il, de documents préparés.
Le « duel » avec Clemenceau
74L'intervention du président du Conseil est d'une autre trempe que celle de Picquart. Clemenceau n'avait pas négligé, à la différence de son ministre de la guerre, de se munir de « petits papiers » pour embarrasser le « libéralisme éprouvé et sincère80 » de son contradicteur, M. de Pressensé. Il donne lecture à la tribune d'un texte signé de la Ligue des Droits de l'Homme en date du 20 avril 1903 fustigeant l'indulgence dont faisaient l'objet les officiers qui, sur tous les points du territoire, se livraient à des manifestations cléricales et réactionnaires ; le texte réclamait des sanctions exemplaires, demandait la suspension ou la mise à la retraite d'office de tous les officiers cléricaux ou signalés comme hostiles aux institutions démocratiques. « Eh bien messieurs, peut déclarer le Tigre sous les rires de nombre de députés, on nous a demandé de révoquer je ne sais combien de milliers d'officiers ; nous n'en avons frappé que trois81. »
75La discussion vire alors à l'aigre. Pressensé, qui n'avait visiblement pas prévu la lecture de ce texte — il sera établi par la suite qu'il émanait d'une section locale, celle de Clermont-Ferrand, mais qu'il avait déjà été lu une première fois à la Chambre en 1903 — répond qu'il n'était pas alors président de la Ligue, et qu'il ne saurait être tenu pour responsable de toutes les opinions à l'intérieur d'une association de 90 000 membres, où il a d'ailleurs récemment eu à faire face à « une opposition violente82 ». Des deux côtés, on s'accuse de contradictions, de trahisons, de démentis infligés à son propre passé. Pressensé menace de lire quelques pages de la Mêlée Sociale à son auteur, qui se situe désormais de l'autre côté de la barricade : « Faites donc, rétorque Clemenceau, Quant à moi, je ne lirai pas les vôtres : il y a trop de palinodies ! - Vous me permettrez, messieurs, répond Pressensé, de ne pas m'arrêter à ce qui voudrait être l'outrage d'un vieillard en colère83 ! »
76Mais le véritable incident n'était pas dans ces amabilités : Il survient parce que Pressensé, évoquant le temps de l'Affaire et du compagnonnage à L'Aurore, déclare : « Un jour M. Clemenceau voulut bien me servir de témoin dans un duel - Dans des circonstances que vous ferez bien de ne pas rappeler84 ! » Cette phrase de Clemenceau, peut-être adressée à son voisin de banc, n'est pas entendue de l'orateur, mais figure au compte rendu du Journal officiel. Elle déclenchera une polémique publique assez virulente, Pressensé y voyant une atteinte à son honneur, une accusation implicite de lâcheté. Du coup, l'affaire, du duel avec Barrés, redevient publique, mais à fronts renversés, puisque Pressensé bénéficie contre Clemenceau de l'appui et du témoignage public de son adversaire de 1899 et de 1893. Après un échange épistolaire rendu public des deux côtés, l'affaire se vide, à défaut d'un duel impossible, même au pistolet de la main gauche, avec le chef du gouvernement, par une nouvelle passe d'armes au Parlement.
77Il faut dire que le ton était monté. La lettre de Pressensé avait parlé à propos de la phrase de Clemenceau sur le duel d'une « insinuation calomnieuse85 ». La réponse de Clemenceau n'était pas de nature à apaiser la polémique. Certes, il accordait à Pressensé qu'il avait toujours manifesté l'intention de se battre, mais il avait des mots assez durs sur son irresponsabilité qui avait mis ses témoins dans une situation intolérable : « De tout cela, écrivait-il, je conclus que lorsqu'on est impotent (ce n'est pas plus déshonorant que d'être vieux) on doit s'abstenir de faire le bravache et de provoquer un homme auquel on est hors d'état d'accorder la réparation qui lui est due86. » La fin de la lettre de Clemenceau manquait, elle aussi, d'amabilité. Clemenceau rappelait que lorsque la motion de Clermont-Ferrand avait été lue à la Chambre en 1903, Pressensé n'avait pas protesté, et qu'il avait même voté un ordre du jour invitant le gouvernement à faire respecter la République par l'Armée :
« Vous voyez qu'en ce temps-là, monsieur, nous étions du même côté de la barricade. Seulement vous avez fait depuis lors la volte-face que par une inconscience admirable vous avez essayé de mettre à mon compte, et vous voilà maintenant de l'autre côté. Que cela vous ennuie, que vous cherchiez quelqu'un contre qui pester, il n'y a rien de si naturel. « La girouette grince, mais elle tourne », dit un vieux proverbe français. À ce double phénomène monsieur, je ne puis rien changer87. »
78On sourit quelque peu de constater que le 1er février 1909, les représentants du peuple français ont été pris à témoins de cette querelle d'hommes. Certes, dans l'interpellation comme dans la réponse, les deux protagonistes ont-ils prétendu vouloir élargir la perspective, Pressensé affirmant que son but principal n'était pas de démontrer qu'il n'avait jamais été un hypocrite ni un lâche, mais de flétrir les procédés de basse polémique qu'employait quotidiennement le chef du gouvernement de la République, et Clemenceau affirmant voir derrière cette querelle de personnes, qui n'avait pas d'intérêt pour la Chambre, un prétexte choisi pour une tentative de renverser le gouvernement. Il n'empêche que Pressensé passe l'essentiel de son intervention à démontrer qu'il n'est ni un hypocrite ni un lâche, et que Clemenceau, après avoir dit qu'il était bien décidé à ne pas entrer dans les questions de personne, s'en prend avec beaucoup de verdeur à M. de Pressensé et revient longuement sur l'affaire du duel.
79Il est difficile de ne pas céder à la tentation de l'arbitrage. On a affaire à deux adversaires de poids, qui marquent des points l'un comme l'autre, Pressensé avec plus d'indignation dans l'invective, Clemenceau avec une ironie plus acérée. Si Pressensé sait mettre en évidence la propension de Clemenceau à dénigrer, jeter le discrédit sur ses adversaires, Clemenceau se moque avec une certaine efficacité des grands élans lyriques de Pressensé, en déclarant par exemple : « Si, portant dans vos cœurs la grande révolution mystique que vous vous êtes promis d'accomplir, ce sont là tous les sujets de discussion qu'il vous convient d'apporter à cette tribune, permettez moi de vous le dire, je le regrette pour vous88. »
80D'un point de vue parlementaire, l'épisode n'a eu que bien peu de conséquences, les socialistes ne réclamant que l'ordre du jour pur et simple, et la confiance au gouvernement étant largement votée. Il est, nous l'avons suggéré, de plus de poids pour l'avenir de Pressensé.
Le rapprochement avec Barrès
81On ajoutera avant d'aborder cette question, l'intervention d'un autre protagoniste, Maurice Barrès. Lors de l'interpellation du 1er février à la Chambre, il atteste avec brièveté, mais nettement, la véracité de la version des faits présentée par Pressensé. Pressensé, pour sa part, n'hésite pas à afficher son respect pour son ex-adversaire, regrettant, non de l'avoir combattu, mais d'y avoir mis tant de violence, et y ajoutant un hommage littéraire auquel Barrès ne pouvait être insensible : « Je sais trop la distance immense que met entre un homme comme moi et un écrivain comme lui le talent subtil et éclatant dont il est maître et qui est l'un des joyaux de la couronne littéraire de la France89. »
82Maurice Barrès a apprécié « l'admirable discours » de Pressensé sur les officiers de Laon, très sensible à l'appel chevaleresque que Pressensé adressait à un ancien adversaire et, certainement aussi, à l'éclat royal qui était attribué à sa prose. Il a envoyé le lendemain une lettre très chaleureuse à Pressensé qui rendait hommage, à « l'ordre, à la lucidité, à la richesse de l'un des esprits qui nous font le mieux sentir ce que, de vous à moi, j'appellerai la poésie de la politique90 ». Pressensé dans sa réponse est revenu assez longuement sur cette « poésie de la politique » :
« Je vous remercie d'avoir parlé de cette poésie de la politique qu'ignorent naturellement les spécialistes de la politique. Elle n'en jette pas moins sur la nudité d'une assez triste profession la parure des plus rares sensations esthétiques. Elle n'en confère pas moins la noblesse d'un certain idéalisme à une occupation qui soulève le cœur dès qu'elle s'exerce comme un vulgaire métier. Il m'a été infiniment agréable de trouver sous votre plume l'expression de ce sentiment généreux, qui est non seulement l'aveu intime de ce doute qui accompagne, sans les affaiblir, les convictions les plus résolues, mais aussi la constatation de ces harmonies profondes qu'atteste, au lieu de les contredire, l'antagonisme irréconciliable des grands partis d'action. Permettez-moi d'ajouter que je me réjouis de voir une fois de plus que cette terre de France, où nous avons l'un et l'autre des racines si profondes, porte des hommes qui ne savent lutter que pour de nobles causes et avec des adversaires dignes de les servir ou de les combattre.
Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de la fière et cordiale hostilité qui me semble le seul état d'âme qui convienne à un homme comme vous et à un homme comme moi91. »
83On peut aimer cette « fière et cordiale hostilité », mais on peut être tenté de sourire en voyant Barrès, plus esthète, il est vrai, que Pressensé, parler de « tragédie » à propos de l'affrontement à la Chambre avec Clemenceau, et de se demander si l'idéal aristocratique affiché n'avait pas davantage à voir avec Edmond Rostand qu'avec Corneille. Cet « aristocratisme résiduel » fait, en tout cas, partie, tout comme les duels, des « mythologies » de la Belle Époque. Mais on peut certainement lire chez Pressensé quelque chose de plus profond et de plus personnel, dans ce qu'il suggère de son dégoût pour certains aspects de la politique, et pour ce semi-aveu du « doute qui accompagne, sans les affaiblir, les convictions les plus résolues ». On peut penser que cette « saison des ruptures » qu'a été le ministère Clemenceau, ce divorce des anciens compagnons dreyfusards, cette « éclipse des héros » lui ont été pénibles, quand bien même il a été le dénonciateur peut être le plus intransigeant de ses anciens amis.
La crise de la Ligue des Droits de l'Homme
Le développement de la contestation
84La correspondance échangée avec Barrès n'a pas été insérée dans le dossier sur l'affaire des officiers de Laon publié dans le bulletin de la Ligue des Droits de l'Homme. Mais un certain nombre de ligueurs et de sections n'avaient pas besoin de la preuve de ces « contacts avec l'ennemi » pour développer un mouvement d'opposition contre les orientations du président et du Comité central qui n'avait fait qu'amplifier depuis 1908. La crise au sein de la Ligue est une des manifestations spectaculaires de l'éclatement du Bloc sous le gouvernement Clemenceau. Elle a culminé au printemps 1909, avec des affrontements particulièrement vifs lors du congrès de Rennes. Le débat et les affrontements ne portaient plus désormais principalement sur l'affaire de Madagascar, ni même sur la question des officiers de Laon, même si, en arrière plan, celle-ci a certainement beaucoup compté, mais sur la question centrale du moment, les mouvements sociaux et la politique répressive du gouvernement Clemenceau. Dans les mois et les semaines qui avaient précédé le congrès de Rennes une vague de démissions de certaines personnalités historiques de la Ligue s'était manifestée. C'était le départ en particulier de Louis Havet, l'ancien « rival » de Pressensé en 1902-1903, très proche du général Picquart, de Jean Psichari, symbole des intellectuels dreyfusards, d'Émile Bourgeois, et d'Yves Guyot, le dernier représentant du courant légaliste de 1898-1899, qui était demeuré jusque-là membre du Comité central, malgré le blâme qui lui avait été infligé après les élections de 1906, et ses désaccords permanents avec Pressensé. Mais la démission qui va être surtout mise en exergue par les opposants du congrès de Rennes est celle de Gabriel Trarieux, le fils du fondateur. Celui qui en 1904-1905 avait cherché à infléchir la position du Comité central sur l'affaire des fiches tout en proclamant la nécessité de demeurer dans la Ligue, claquait cette fois la porte.
85À côté de ces démissions, le phénomène frappant est le vote de motions de blâme, d'inquiétude, de protestation par plusieurs sections, et parfois par des regroupements plus vastes, comme la fédération des sections de Seine-et-Oise et celle de Seine-banlieue. Dans d'autres cas, les désaccords ont entraîné une scission de fait. C'est le cas dans la vaste et importante section de Lyon. La majorité de la section, sous l'impulsion de Marius Moutet, approuvait fermement l'action de Francis de Pressensé et du Comité central. Mais une minorité s'était démarquée, et avait voté une déclaration regrettant de voir « la fraction la plus agissante du Comité central de la Ligue des Droits de l'Homme mêler de plus en plus celle-ci aux agitations politiques, en la mettant au service d'un parti92 ». Le texte de cette déclaration lu à Rennes par le porte-parole de l'opposition rassemblait un bon nombre de griefs contre Francis de Pressensé, dont le nom n'était pas prononcé mais pouvait aisément se lire en filigrane. Les signataires rappelaient leur opposition à plusieurs initiatives antérieures aux mouvements sociaux de 1909 :
« Aussi ont-ils protesté dans ces dernières années, à maintes reprises, lorsque le Comité central, aveuglé par des inimitiés personnelles ou des préoccupations de parti, s'est figuré rester fidèle à l'esprit de la Ligue des Droits de l'Homme en engageant celle-ci dans des interventions étrangères à son programme dégénérant en polémiques individuelles, comme dans l'affaire de Madagascar, méconnaissant de quel côté se trouvait la légalité violée, comme lors des événements du Midi. De même, lors des inventaires, allant, par une interprétation abusive du principe de liberté d'opinion jusqu'à excuser l'excitation des militaires à l'indiscipline, fait intolérable pour ceux qui, comme nous-mêmes, mettent au-dessus de toute considération l'intégrité de la patrie, allant enfin jusqu'à confondre la participation d'officiers à une réunion publique avec la pratique libre d'un culte, jusqu'à encourager, comme ces jours derniers, la grève d'un service public et la révolte contre le gouvernement établi93. »
86Nous pouvons considérer ce texte comme exemplaire pour comprendre ce qu'on pourrait appeler « l'antipressensisme » au sein de la Ligue. Les signataires appelaient à ne pas démissionner de la Ligue, mais à agir, à se grouper en son sein, pour empêcher une « minorité tapageuse » de « compromettre et de détruire l'œuvre admirable de Trarieux94 ».
87Quelle est l'interprétation politique et culturelle de cette dissidence ? Marius Moutet, qui ne mâchait pas ses mots, parlait au congrès du « groupe des intellectuels fatigués95 ». Nous sommes, il est vrai, au moment du reflux et de l'amertume pour un certain nombre de ceux qui avaient participé aux Université populaires et à la « marche au peuple » post-dreyfusarde. Même Anatole France, qui reste un ami personnel de Francis de Pressensé, a cessé ses interventions politiques, exprimant par le burlesque de l'île aux Pingouins les rêves brisés des dreyfusards au temps du ministère Clemenceau.
88Mais, pour l'essentiel, ceux qui s'opposent à Francis de Pressensé et au Comité central en 1908-1909, ne sont pas les savants et intellectuels dreyfusards mais bien des adversaires politiques, soucieux de défendre le ministère et lutter contre le péril révolutionnaire. Parmi les opposants lyonnais, qui déclarent refuser la politisation de la Ligue et se présentent comme « appartenant à des fractions diverses du parti républicain96 », Marius Moutet ne décèle que des radicaux et des socialistes indépendants. À l'échelle nationale, on pourrait y ajouter une partie des modérés qui restaient membres de la Ligue, tel Yves Guyot. Toutefois les dénonciations des positions de Pressensé dans les affaires de Laon et de Madagascar sont bien caractéristiques d'un état d'esprit qui se réclamait, plus que de la défense des libertés, d'un laïcisme de combat. Même si certains de ceux qui avaient dénoncé la délation en 1904-1905 s'étaient joints à eux, climat de peur sociale aidant, les gros bataillons étaient formés d'anciens combistes, souvent radicaux et francs-maçons. Un des points à éclaircir serait d'ailleurs le rôle qu'ont joué les loges maçonniques dans le développement de l'opposition à Francis de Pressensé et au Comité central. On peut penser qu'il a été réel, déterminant peut-être dans certaines villes et sections. Pressensé parle d'ailleurs dans son intervention de Rennes d'une « franc-maçonnerie fort mal informée97 ».
Les affrontements du congrès de Rennes
89Le congrès de Rennes peut être décrit comme le point culminant de ces divisions au sein de la Ligue des Droits de l'Homme. Le choix de la ville de Rennes, dix ans après le déroulement en ses murs du second procès Dreyfus, avait pourtant valeur de symbole. Le grand discours qu'a prononcé Victor Basch à l'ouverture du congrès, le 29 mai 1909, a d'ailleurs fait revivre avec éclat et émotion le procès de Rennes, et l'atmosphère des temps héroïques. Mais le lendemain, dimanche 30 mai, l'heure n'est plus à la célébration commune du souvenir, mais à l'affrontement entre ligueurs. Pressensé, qui n'avait pu assister aux travaux du premier jour du fait d'un nouvel accès de rhumatisme, est bien présent pour défendre les orientations du Comité central et l'ensemble des prises de position qui lui ont été reprochées.
L'opposition et la grève des postiers
90En l'absence des démissionnaires du Comité central, qui ne sont pas présents à Rennes, le principal porte-parole de l'opposition s'appelle Émile Perrin. Cet enseignant laïque était déjà intervenu l'année précédente au congrès de Lyon sur Madagascar, se présentant en « conciliateur », mais dans une perspective plus proche de l'opposition que des partisans de Pressensé. Il présente cette fois une motion de désapprobation, qui reprenait les thèmes des contestataires de Lyon, mais se centrait davantage sur ce qui était l'intitulé du débat qui s'engageait, « La Ligue des Droits de l'Homme et les employés des postes ». S'il n'était pas une des « vedettes de la Ligue », Émile Perrin s'est montré un porte-parole assez habile, qui centre son intervention sur les méfaits de la politisation dans la Ligue, dont il n'attribue pas la seule responsabilité au président mais à un engrenage trouvant son origine dans l'acceptation par les statuts de l'intervention dans les débats électoraux. Emile Perrin ménage, au moins en apparence, la personne de Francis de Pressensé, tout en attaquant avec une certaine virulence le secrétaire général, Mathias Morhardt, l'accusant en particulier d'avoir caché ou déformé les informations pour obtenir le vote de l'année précédente sur Madagascar. Mais si l'orateur consacre une partie de son intervention à un retour en arrière sur le débat de l'année précédente, c'est bien la question plus récente de la grève des postes qui est centrale et révélatrice du désaccord de fond. À la suite d'un premier mouvement de grève, la révocation de sept postiers liés à la CGT avait été rendue publique au début du mois de mai. La Ligue des Droits de l'Homme avait pris leur défense, et organisé un grand meeting de soutien le 11 mai 1909 au Tivoli Hall. Lorsque l'opposant Emile Perrin lit le texte de l'affiche d'appel au meeting, pour manifester ses réticences, il est interrompu à diverses reprises par des applaudissements, qui révèlent le soutien enthousiaste d'une bonne partie de la salle aux orientations du meeting. Un délégué fait même préciser le titre de l'affiche : « Pour le droit et la liberté », ce qui déclenche une ovation98 ! Émile Perrin reproche à Francis de Pressensé d'avoir au cours du meeting développé une attaque très vive contre le ministère Clemenceau. Il déplore par ailleurs que « l'un des meilleurs d'entre nous99 », Ferdinand Buisson, ait été presque empêché de parler pour conseiller la modération et le maintien du mouvement dans la voie « légalitaire100 ». Enfin, comme, à la fin du meeting, la nouvelle du déclenchement de la grève avait été annoncée, Emile Perrin déplore que la Ligue des Droits de l'Homme ait soutenu ce mouvement de grève. La motion qu'il propose à la fin de son intervention « désapprouve l'initiative du Comité central dans la deuxième grève des agents des PTT » et « déclare que la Ligue des Droits de l'Homme [...] ne peut que blâmer sans réserve les tentatives de grève de fonctionnaires et de grève générale101 ». Plus clairement, à deux reprises dans son intervention, Emile Perrin proteste contre les « tendances insurrectionnelles102 » qui se manifestent de plus en plus « en dehors de la Ligue des Droits de l'Homme et dans la Ligue des Droits de l'Homme ».
Les réponses de Pressensé
91Face à cette mise en cause, Francis de Pressensé présente un plaidoyer solide et approfondi, qui ne se contente pas de répondre sur la question précise des employés des postes, mais reprend tous les griefs énumérés ou implicites contre le Comité central et contre sa personne, et qui élargit en même temps le débat pour donner sa conception de ce que doit être la Ligue des Droits de l'Homme. Par rapport au mouvement des postiers sa position était solide. Il pouvait s'appuyer sur les motions et vœux de plusieurs congrès, et sur le rapport de Maxime Leroy de 1907 où la Ligue des Droits de l'Homme reconnaissait pleinement le droit syndical pour les fonctionnaires, dans toute son étendue, sans vouloir le limiter par le refus du droit de grève103.
92Par ailleurs, il pouvait montrer que les protestations spécifiques de la Ligue des Droits de l'Homme portaient sur la défense de la liberté d'opinion, de parole, de participation à des réunions, pour les postiers comme pour les officiers de Laon ; pour le cas du mouvement des vignerons, ou des affaires de Draveil et Villeneuve-Saint-Georges, il justifiait encore l'intervention par l'illégalité des arrestations préventives. On pourrait noter une certaine prudence de Pressensé par rapport à la grève dont il ne fait pas un éloge explicite ; c'est de façon indirecte, en rappelant la filiation de la Ligue des Droits de l'Homme et de la Révolution française, qu'il souligne que des ruptures sont parfois nécessaires. Il refuse, pour continuer l'œuvre de la Révolution, de s'enfermer dans un strict cadre « légalitaire », tout en déclarant s'efforcer de « tirer de la légalité présente le maximum de justice que ces lois peuvent contenir104 ». Pressensé ne va pas aussi loin qu'un des intervenants dans le débat qui exalte la proclamation par la Déclaration des Droits de l'Homme (de 1793) du droit à l'insurrection105. On a un peu de peine à mesurer aujourd'hui à quel point l'idée de grève était marquée en ces années de « Belle Époque » du sceau de la violence et des théories du syndicalisme révolutionnaire. Ainsi, intervenant après Pressensé, Ferdinand Buisson comparait-il la grève à la guerre et réclamait-il l'organisation de l'arbitrage dans les conflits sociaux comme dans les relations internationales. Pressensé n'avait pas présenté la grève comme une pratique pacifique et ordinaire, mais il cherchait à l'apprécier avec plus de mesure : « Je me demande, déclare-t-il de quel droit on irait baptiser de recours à l'insurrection le recours éventuel à la grève [des fonctionnaires]106. »
93II disposait par ailleurs d'un argument fort pour excuser et défendre ceux qui prônaient le recours à la grève générale, c'était de montrer que certains de ceux qui frappaient les grévistes ou les laudateurs de la grève générale avaient été les premiers à en faire l'éloge antérieurement. C'est l'argument que les socialistes ont utilisé contre Briand. Pressensé reprend le « pas vous, pas ça ! » de Jaurès, pour justifier l'intervention de la Ligue des Droits de l'Homme en faveur des syndicalistes :
« C'est qu'il y avait véritablement un scandale moral trop grand à voir poursuivre chez de pauvres diables des opinions qu'on peut apparemment professer impunément à condition de les abandonner au moment voulu, c'est-à-dire à l'heure où elles vous ont amené au pouvoir, et où il n'y a plus qu'à renverser du pied sur la tête des naïfs l'échelle qui vous a fait monter si haut. Il est des opinions - grève générale, antipatriotisme - qui font parvenir un politicien jusqu'au fauteuil de d'Aguesseau, mais qui, quand elles sont professées par des hommes simples et droits, par des dupes qui ont eu le tort de croire en leurs prophètes vous conduisent dans des geôles, puis aux Assises, et enfin dans les maisons centrales et les bagnes de notre République107. »
94Mais la réponse de Pressensé débordait le cadre de cette actualité sociale pour justifier et montrer la cohérence de l'ensemble de ses prises de position, en particulier de son intervention sur les officiers de Laon qui était peut être l'initiative que beaucoup de ligueurs acceptaient le moins facilement. Avec une certaine ironie, Pressensé énumère tous les reproches qui lui sont faits ou circulent contre sa personne :
« Je me suis parfois demandé, non sans quelque amusement, quelle singulière idée les gens qui m'attaquent avec cette persévérance doivent se faire de moi. Un jour, ils disent : M. Francis de Pressensé, c'est un protestant, un huguenot terrible ; il ne s'intéresse qu'à ce qui a la marque de Calvin et c'est pour cela, naturellement, qu'il s'est jeté dans la bataille de Madagascar. Le lendemain, autre son de cloche : M. Francis de Pressensé c'est un esprit violent et faux et c'est pour cela qu'il s'est jeté dans la bataille pour la CGT. Puis vient l'affaire des officiers de Laon, et ce n'est pas moins simple : Mais vous savez bien que M. Francis de Pressensé, c'est un clérical mal lavé. En réalité, il s'intéresse passionnément au sort de l'Église et c'est pour cela qu'il est intervenu en faveur de ces officiers.
Je me permettrai de fournir à mes adversaires le fil d'Ariane qui leur permettra peut-être de se retrouver dans le labyrinthe obscur et compliqué de mes opinions. Peut-être auraient-ils la clef de ce mystère plein d'horreur, s'ils voulaient bien se dire que ce qui a été l'objet de mes préoccupations dans toutes ces affaires successives, ça a été purement et simplement, oh ! cette petite chose, cette pauvre petite chose négligeable, la liberté, le respect de la liberté108. »
95Mais Pressensé n'avait pas seulement à faire face à un certain nombre de procès en trahison, mais aussi à un procès en légitimité : il avait à se défendre contre le souvenir du fondateur, qui était invoqué à la fin de la motion d'Émile Perrin, et qui était réincarné, si on peut dire, en la personne de son fils, Gabriel Trarieux. Pressensé y répond en développant un de ses habituels hommages critiques à Ludovic Trarieux, et en rappelant qu'il existait dès l'origine deux sensibilités, deux terrains de recrutement dans la Ligue, ceux qui étaient avant tout sensibles au cas personnel et individuel de Dreyfus, et ceux qui ne voyaient dans l'Affaire qu'un cas-type de l'iniquité régnante. L'assimilation des opposants de Rennes aux dreyfusards modérés de 1898-1899 était peut-être un peu audacieuse, car bien des radicaux contestataires en 1909 étaient entrés dans la Ligue plus tardivement et n'avaient guère vibré pour la cause de Dreyfus. Mais Pressensé pouvait avoir l'impression que les critiques formulées contre le meeting tenu au Tivoli Hall avec les postiers ressemblaient fort à celles de l'opposition « légalitaire » qui avait désapprouvé la campagne des meetings dreyfusards menée à l'automne 1898 avec les anarchistes109.
96Reprenant sa définition de la Ligue comme une « tentative d'organisation de la conscience nationale » Pressensé répondait enfin à ceux qui l'accusaient de « faire de la politique » et d'inféoder la Ligue des Droits de l'Homme au parti socialiste, en affirmant son refus de la politique, mais de « la petite politique des ambitions et des individualités », qui tendrait à faire de la Ligue une courroie de transmission du pouvoir, comprenons de la République radicale, à ses différents niveaux : « Nous ne voulions pas qu'on fondât une section de la Ligue des Droits de l'Homme pour faire la courte échelle à telle ou telle ambition ; nous ne voulions pas qu'il se formât des fédérations départementales qui deviendraient en quelque sorte un instrument de gouvernement et d'administration dans leur région, qu'on consulterait pour savoir si on doit nommer un garde champêtre ou un instituteur110. »
97Dans la suite du débat, certains partisans de Pressensé diront les choses un peu plus crûment. Ainsi le représentant de la section de Rennes, Charles Bougot, animateur de la Bourse du Travail et ferme défenseur des syndicalistes révolutionnaires, met-il les pieds dans le plat :
« Tout à l'heure, en écoutant les discussions, nous nagions dans les nuages de la pensée la plus haute. Les orateurs ne disaient pas ce qu'il y a au fond du conflit actuel, tout le monde le pense et personne ne veut le dire ; on cherche à ce conflit des raisons supérieures, alors que la question est beaucoup plus terre-à-terre. Camarades, certains groupes de Paris et plusieurs sections de province sont mécontents du Comité central : ils sont mécontents pour des raisons différentes, que je vais expliquer tout à l'heure, mais ils se rencontrent complètement pour culbuter le Comité central. À Paris, la question se pose tout simplement parce que notre président, M. Francis de Pressensé, est un socialiste unifié. À Paris, les socialistes sont pour les radicaux un danger ; certains de ceux-ci voudraient débarquer un unifié, qui d'ailleurs ne fait pas de socialisme unifié à la tête de la Ligue des Droits de l'Homme. Ils se disent : Si nous démolissions le socialiste unifié qui préside la Ligue des Droits de l'Homme pour y mettre un des nôtres, nous pourrions dire à M. Clemenceau : La partie est jouée, voilà.
En province, ce n'est pas tout à fait la même chose. [...] Il est venu, en province, des quantités de gens à la Ligue des Droits de l'Homme qui ignoraient ce que c'est que la Déclaration des Droits de l'Homme ; ils viennent à nous parce qu'ils voient dans la Ligue des Droits de l'Homme un groupement qui paraît fort et où il y a des hommes assez marquants. Quantité de gens se font inscrire dans les sections pour avoir quelque chose, des bureaux de tabac, des places, des décorations, toutes sortes de prébendes, en un mot du piston. Ce n'est pas le rôle de la Ligue des Droits de l'Homme, elle ne doit pas s'occuper de cela, elle est au-dessus de cela ; mais ces gens ne le comprennent pas, ils se disent : Nous faisons partie de la Ligue des Droits de l'Homme et nous n'obtenons pas ce que nous voulons, parce qu'à la tête de la Ligue des Droits de l'Homme il y a un homme hostile au gouvernement. Si nous pouvions y placer quelqu'un qui serait bien en cour et qui mènerait la Ligue des Droits de l'Homme au pied du pouvoir, nous aurions quelque chose111... »
98Cette rude franchise permet en tout cas de poser une question : y a-t-il eu au cours du congrès de Rennes une vraie tentative pour renverser Francis de Pressensé, et l'opposition avait-elle un candidat de rechange ?
Un projet d'alternance présidentielle avorté
99Il nous semble que la personnalité apte à remplacer Pressensé existait dans l'esprit des opposants, mais qu'elle n'a pas voulu jouer ce rôle, à la fois par sens politique, par conscience que la tentative était vouée à l'échec, par conviction que la Ligue, même si elle devait prêcher un peu plus la modération, ne sortait pas de son rôle en défendant certaines libertés contestées, et pour des raisons plus personnelles qui lui interdisaient de briguer la place de celui qui demeurait son ami.
100Émile Perrin rendait dans son intervention un hommage appuyé à Ferdinand Buisson, « un des meilleurs d'entre nous », le présentant comme le défenseur de la modération, de la voie « légalitaire ». Ferdinand Buisson est intervenu au congrès de Rennes, au début de la séance de l'après-midi, la matinée ayant été occupée par la confrontation entre Émile Perrin et Francis de Pressensé. Le discours prononcé par Buisson est caractéristique de l'attitude qu'a maintenue le député radical-socialiste de la Seine pendant toute cette période. Il est un des rares radicaux avec Camille Pelletan et Lafferre à avoir gardé le contact avec les socialistes dans cette période d'invectives et de ruptures entre les anciens partenaires du Bloc112. Buisson approuve la défense des syndicalistes, même s'il se déclare lui-même non pas révolutionnaire mais « statutiste113 », suggérant que les moyens révolutionnaires de résistance à l'oppression n'étaient légitimes que quand on n'était pas armé par la loi. Il proposait donc que la Ligue contribue à l'élaboration d'un statut démocratique de la fonction publique, un peu comme elle avait travaillé à la loi de séparation de l'Église et de l'État. On devine que sur cette question épineuse, Francis de Pressensé était plus réservé, préférant une intervention militante à un rôle « paralégislatif ». Mais Buisson soulignait que la Ligue ne devrait jamais sacrifier à la raison d'État, et que, faute de statut, il fallait comprendre l'impatience des ouvriers et employés de l'État au lieu de les « prendre de haut114 ». Bref, s'il ne se lançait pas dans une diatribe contre le gouvernement Clemenceau, sa position était assez nettement critique, et son discours pouvait apparaître comme une justification des positions du Comité central, dont il était lui-même membre.
101Buisson est donc ovationné par le congrès unanime, lorsque, peut-être assez habilement, il quitte la salle, son discours terminé, « obligé de prendre le train pour rentrer à Paris115 », sans attendre le vote final. Un fait mentionné au procès-verbal frappe toutefois l'attention : une fois Buisson sorti, un délégué anonyme déclare : « Buisson président, et la paix est faite116 ! » Cette remarque, « prophétique » si on considère l'avenir de la Ligue, suscite de vives protestations et Francis de Pressensé souligne que si Buisson avait été présent, il l'aurait désavouée.
Une victoire à la Pyrrhus ?
102Si on suit les débats de Rennes dans leur ensemble, on a l'impression que l'opposition, si elle a beaucoup plus nettement qu'à Lyon posé la question globale du pouvoir dans la Ligue, et plus particulièrement du rôle personnel de Pressensé, est en position moins forte dans la salle, et qu'elle dispose aussi de peu de porte-paroles efficaces en dehors d'Émile Perrin. Les protestataires de Lyon, peut être déjà démissionnaires, n'étaient pas venus jusqu'à Rennes. Le vote révélera d'ailleurs un rapport des forces plutôt plus favorable à Pressensé et au Comité central que l'année précédente : alors qu'il y avait eu 12 437 votes contre sur Madagascar, on ne trouve plus que 5 842 votes hostiles au terme du débat sur les employés des postes. Il est vrai que si on ajoutait les abstentions aux votes hostiles, on retrouverait des chiffres analogues. Quant aux votes de soutien aux positions du Comité central et du président, ils étaient à peu près stables, 27 000 voix à Lyon, 25 000 à Rennes où le nombre de sections représentées était légèrement moins élevé.
103Le vote de Rennes est une victoire personnelle pour Francis de Pressensé. Il est ovationné à l'annonce des résultats. Il a été vigoureusement soutenu par un bon nombre d'intervenants, comme Fernand Corcos, qui demandait que les ligueurs n'imitent pas les Athéniens qui, « jadis, se fatiguèrent d'entendre appeler Aristide le Juste », opposant cet Aristide-Pressensé à un autre Aristide, à la beaucoup moins haute conscience117.
104Il y a un dernier point qu'il faut souligner, car il est bien caractéristique de l'attitude de Pressensé, et a eu des conséquences pour l'avenir de la Ligue, c'est son refus d'une conciliation, d'une fausse unanimité qui s'accompagnerait, selon lui, d'ambiguïtés. Il dit préférer la confrontation loyale entre deux lignes aux équivoques d'un « baiser Lamourette118 ». Il fait donc repousser un amendement de conciliation qui ajoutait à la motion de Lyon l'affirmation que les doutes et les « interprétations inexactes » de certaines sections n'étaient qu'un « malentendu. Sur ce point, au moins, son principal adversaire, Emile Perrin, exprime son plein accord avec lui. Les ligueurs se sont donc comptés sur une approbation « nette et claire119 » de la ligne du Comité central et de son président, soutenant à la fois les principes et les hommes : « Le congrès de la Ligue des Droits de l'Homme affirmant une fois de plus sa résolution de demeurer fidèle, comme il l'a été depuis sa fondation aux principes essentiels de la Déclaration des Droits de l'homme, et notamment à celui de la liberté d'opinion et des droits civiques des fonctionnaires, approuve l'attitude du Comité central, et, repoussant toute adjonction, passe à l'ordre du jour120. »
105On remarquera en passant que la volonté de préférer la « clarté » même à la « paix » était bien dans le style de Francis de Pressensé121. À la suite du congrès de Rennes on peut estimer que la question des orientations et du pouvoir au sein de la Ligue des Droits de l'Homme était tranchée définitivement jusqu'en 1914, même s'il y a eu encore des manifestations d'opposition au congrès de 1910 qui se tient à Paris du 30 octobre au 1er novembre. Mais les quelques intervenants qui y reviennent sur l'affaire de Laon, ou sur les questions sociales, après le soutien donné par Pressensé aux cheminots, et ses virulentes diatribes contre Briand, ont beaucoup de mal à se faire entendre. On n'a plus l'impression comme en 1909 d'un mouvement organisé d'opposants espérant renverser le président ou infléchir la ligne du Comité central. En tout cas, la confiance à Pressensé et ses amis est votée à la quasi unanimité.
106Mais la rançon de la victoire de 1909 a été une vague considérable de démissions, une véritable hémorragie des sections et des effectifs. On annonçait 93 000 ligueurs, au congrès de Rennes, ils ne sont plus que 72 000 en 1910, et 53 000 en 1911. Le point culminant de la vague des défections semble se situer en 1911, où on aurait enregistré 26 975 démissions contre environ 6 500 adhésions. Ces défections ne sont pas difficiles à interpréter. Elles sont pour une part nettement politiques : une partie de la composante radicale, une partie des ligueurs francs-maçons ont quitté pour un temps la Ligue faute d'avoir pu obtenir le départ de son président socialiste et une inflexion de la ligne antigouvernementale du Comité central. Four une autre part, on ne peut totalement écarter une désaffection « opportuniste », celle d'adhérents qui auraient préféré que la Ligue devînt ou restât l'enfant chérie de Marianne au pouvoir. On ajoutera qu'on assistait assez souvent à la disparition de sections entières, celles où l'orientation dominante, parfois impulsée par un notable ou un homme politique local, était opposée aux choix de Francis de Pressensé. Pressensé a enregistré ces départs, il a eu même l'occasion de préciser que c'était dans une certaine mesure positif de voir ceux qui n'avaient pas compris ce qu'était l'idéal de la Ligue l'abandonner. La baisse des effectifs, qui semblent s'être stabilisés à environ 50 000 adhérents entre 1912 et 1914 se marque aussi dans l'assistance aux congrès. Celui du Havre en mai 1912 ne rassemble plus que 115 délégués ; il y en avait 172 à Rennes en 1909, et 276 à Lyon en 1908.
107La crise doit être relativisée, car la Ligue n'est pas devenue monocolore. À l'image de Buisson, un certain nombre de radicaux-socialistes y sont demeurés, et on les retrouvera dominants après 1914, quand, Union sacrée et Buisson président aidant, la paix sera faite entre les différentes composantes de la grande organisation républicaine. Tous les intellectuels de la Ligue n'étaient pas frappés de lassitude. Célestin Bouglé, par exemple, qui avait pris la tête de la protestation au moment de l'affaire de la délation est redevenu un ligueur actif, membre du Comité central en accord avec les orientations défendues par Pressensé. Il semble aussi que Pressensé, à la fin de sa présidence, ait cherché à conserver à la Ligue un certain pluralisme. Ainsi freine-t-il au congrès de 1913 l'ardeur militante de certains de ceux qui combattaient la loi de trois ans. Reconnaissant que les « éléments avancés » prédominaient désormais dans la Ligue, il leur demandait de ne pas rebuter, en votant des motions adaptées à un congrès socialiste, « l'élément simplement républicain », qui était « resté fidèle et loyal122 ».
108Si Pressensé a conservé le contrôle de la Ligue des Droits de l'Homme, il a payé chèrement sur le plan électoral le prix de ses engagements en rupture de Bloc.
La défaite électorale de 1910
La question de la représentation proportionnelle
109L'échéance électorale de 1910 est arrivée dans une situation politique complexe, sinon confuse. Le discours de Briand du 20 octobre 1909 sur les « mares stagnantes du scrutin d'arrondissement » avait rendu plus illusoire encore la reconstitution, ou même le rafistolage électoral du Bloc. La campagne en faveur de la Représentation Proportionnelle, la RP, s'était développée, réunissant « l'eau et le feu123 » ; dans le groupe parlementaire de la réforme électorale qui se forme à l'automne 1909, et que préside le député catholique de l'Action Libérale Populaire, Charles Benoist, on retrouve l'essentiel de la droite et des centres, un très petit nombre de radicaux-socialistes autour de Ferdinand Buisson, et l'ensemble du groupe des socialistes unifiés. Parmi les conférences et réunions publiques qui ont été organisées dans le pays, on signalera le spectaculaire meeting qui s'est tenu à Lyon le 6 février 1910 devant 5 000 auditeurs. À cette réunion étaient présents cinq des dix députés de l'agglomération lyonnaise, les deux libéraux progressistes Aynard et Gourd, et les trois socialistes unifiés Marietton, Rognon et de Pressensé. Étaient en revanche absents les deux radicaux-socialistes Godard et Brunard, et les trois socialistes indépendants, Fort, Colliard et Normand. Ce jour-là, donc, Francis de Pressensé a pris place à la tribune aux côtés du chef de la droite lyonnaise, l'industriel Aynard. Il a souligné la dimension pleinement républicaine de la réforme, dont l'idée remontait à Louis Blanc, et peint sous des couleurs sombres « le rôle du député d'arrondissement, à la fois tyran et esclave, pacha d'un petit pays et commissionnaire de ses électeurs124 ». Nous ignorons la composition exacte du public qui a assisté au meeting. On peut gager qu'il était composite, avec des militants socialistes et nombre de représentants de la droite catholique.
110Une telle réunion n'impliquait évidemment pas un renversement d'alliances. Mais elle pouvait semer les doutes et les ambiguïtés dans le corps électoral, voire parmi les militants. La question de la RP est un des points qui est discuté au cours du congrès départemental de la Fédération socialiste unifiée qui se tient à Villefranche-sur-Saône le 16 janvier 1910. L'assemblée décide que « la RP ne pouvait pas servir de tremplin électoral, allant jusqu'à une entente avec la réaction », et que « les candidats du parti ne pourront se désister au 2e tour qu'en faveur des candidats républicains proportionnalistes, ce qui veut dire qu'en aucun cas, les unifiés ne se désisteront pour un proportionnaliste réactionnaire, mais en présence de deux concurrents républicains, c'est en faveur de celui qui aura la RP dans son programme qu'ils se désisteront125 ». Francis de Pressensé n'était pas présent à ce congrès, mais il n'est pas douteux qu'il était en plein accord avec cette décision. À ce moment-là, en ce début d'année 1910, sa position semblait solidement établie.
Des perspectives apparemment favorables
111Lorsque le 9 octobre, Pressensé rend compte de son mandat dans une réunion de la section du parti socialiste unifié de Villeurbanne, il est plébiscité comme candidat. Il prend soin d'excuser par sa maladie son trop long éloignement de sa circonscription, et de « féliciter la municipalité de Villeurbanne de son administration intègre et conforme aux principes socialistes126 ». Au début de l'année 1910, au moment du congrès départemental socialiste unifié du 16 janvier, l'atmosphère est optimiste. Vendeurs de peau d'ours, les militants de Villeurbanne y annoncent « la réélection certaine de M. de Pressensé, avec une importante majorité127 ».
112La principale préoccupation des socialistes unifiés lyonnais à la veille des élections législatives de 1910 était la concurrence avec les socialistes indépendants ; différé ou seulement partiel en 1906, l'affrontement se profilait d'autant plus à l'horizon que le parti unifié s'était depuis lors renforcé en militants et en influence. La position de la Fédération SFIO du Rhône était d'affirmer la présence du parti par une candidature dans toutes les circonscriptions, et de maintenir le candidat socialiste unifié au scrutin de ballottage, « en face d'un concurrent socialiste indépendant plus favorisé128 ».
113Peut-être moins riches en militants, les socialistes indépendants disposaient encore d'une forte position dans le Rhône, avec leur audience dans les masses ancrée sur la popularité du défunt Bloc, avec leurs trois députés et leur réseau de notables bien insérés dans le complexe jeu politique lyonnais. La question du rapport entre socialistes unifiés et indépendants a pris à la fin de 1909 une acuité encore plus grande, avec le retour sur la scène politique lyonnaise du docteur Augagneur.
Le difficile retour d'Augagneur
114Le mandat malgache du « proconsul » Augagneur s'était achevé à l'automne 1909. II cherchait à se réinsérer dans le jeu politique national. À Lyon, dont il avait un temps été « l'homme fort », il avait conservé un bon réseau de relations. Il n'y avait pourtant pas la partie facile, ne serait-ce que parce qu'il avait, deux fois de suite, abandonné un mandat électoral qui lui avait été confié par des électeurs lyonnais. Des équilibres nouveaux s'étaient créé depuis son départ, à la mairie occupée par Edouard Herriot, et même dans son ancienne circonscription de la Croix-Rousse, où son successeur réélu en 1906, Victor Fort, n'était pas disposé à lui laisser la place. La solution la plus simple était donc que Victor Augagneur affronte directement Francis de Pressensé dans la 10e circonscription du Rhône. Considérée comme probable à la fin de 1909, la candidature d'Augagneur contre Pressensé est pourtant abandonnée au début de 1910. Un rapport du 12 janvier 1910 indique que la Fédération socialiste autonome du Rhône s'est prononcée contre la candidature Augagneur dans la 10e circonscription, par crainte d'un échec, et surtout pour éviter d'accentuer l'intransigeance des Unifiés à la veille des élections. De fait, Augagneur contre Pressensé, c'était bien une déclaration de guerre129.
115C'était probablement une habileté de ne pas affronter Pressensé directement. Outre que certains électeurs de Villeurbanne pouvaient lui garder rancune de ses projets anciens d'annexion à Lyon, Augagneur a préféré se présenter au public électoral, non comme un agresseur, mais comme une personnalité injustement calomniée, qui, comme il le répétera à diverses reprises au cours de ses meetings de campagne, avait décidé en 1905 de partir pour Madagascar parce qu'il lui répugnait d'avoir à combattre ses amis de la veille, qui avaient adhéré au parti unifié. Enfin, il avait peut-être déjà à l'esprit la perspective d'une autre circonscription, purement lyonnaise, celle-là, qui allait se présenter dans le quartier de La Guillotière.
116La 3e circonscription du Rhône, quartier de la Guillotière et troisième arrondissement, était occupée par un député radical-socialiste, Brunard. Lorsqu'il s'avère, à la fin du mois de janvier, que le sortant était obligé de renoncer pour raisons de santé, Augagneur saisit l'occasion malgré les inconvénients politiques de cette candidature. Les radicaux et radicaux-socialistes, que le maire de Lyon, Édouard Herriot, avait réuni pour les élections en une Fédération autonome unitaire, ont en effet protesté avec vigueur. Dans une note publiée le 30 mars et reproduite par Le Progrès, la Fédération radicale et radical-socialiste dénonçait la rupture par la Fédération socialiste autonome du Rhône de « tous les accords tacites antérieurs ». « Pourquoi faut-il, précisait le communiqué, que la Fédération socialiste autonome qui sait si bien se réclamer du principe des situations acquises quand ce principe est à son profit, ait été la première à violer ce même principe, quand il est au profit du parti radical-socialiste130 ? »
117Le Bloc des gauches était vraiment en miettes, et la presse républicaine s'est, elle aussi divisée : Le Progrès a mené campagne contre Augagneur, alors que le Lyon républicain, en principe plus à droite, a vivement soutenu cette candidature « socialiste ».
Un duel à distance
118Si nous sommes étendus sur le cas Augagneur, c'est qu'il est loin d'être sans conséquences pour Pressensé. L'impression qui ressort des documents qui nous ont été conservés est que le duel entre les deux hommes, candidats dans les deux circonscriptions voisines de La Guillotière et de Villeurbanne, a bien eu lieu, et qu'il a été d'autant plus âpre qu'il a été mené indirectement, en utilisant des moyens détournés.
119Dès que le projet d'Augagneur d'être candidat dans la 3e circonscription est connu, les informateurs font état de l'intention des socialistes unifiés de mener la plus active campagne contre la candidature de l'ancien maire : « Dès maintenant, l'Avenir socialiste publiera des articles critiquant l'administration du gouverneur général. M. de Pressensé et M. Voillot, candidat, ont recueilli toutes les protestations qui se sont produites contre M. Augagneur, et les ont confiées à un jeune étudiant, M. Robert Verdeau, qui, sous le nom de Détournac les reproduira dans “L'Avenir”131. » On a conservé une brochure-pamphlet anonyme, Les ennuis de M. Augagnenr132, qui émane probablement de cette plume juvénile ; en voici à peu près la teneur : Après qu'une voyante lui ait promis le trône, Victor 1er célèbre la fête des fous, et se réveille au matin avec la bouche de serpent (une gueule de boa). Il cherche alors une circonscription accueillante. Il doit renoncer à son ancien siège de la Croix Rousse, que son successeur, Victor II, Victor Fort, n'est pas très enthousiaste à lui rendre. Surtout, il lui faut éviter d'affronter la rancune des canuts, ses anciens électeurs, qui ont « le mauvais goût de se rappeler que leur ex-député ayant à choisir entre les 9 000 fr. de l'indemnité parlementaire et les 100 000 fr. de la sinécure malgache n'hésita pas à les lâcher ».
« Villeurbanne aurait été comme un gant au souverain de la Grande Ile ; tomber de Pressensé est un rêve caressé depuis deux ans... mais de Pressensé a la vie dure, il est fortement documenté sur l'œuvre accomplie à Madagascar, il peut tenir tête à un concurrent, il a derrière lui un passé irréprochable, son attitude au Parlement lui a conquis l'estime de ses adversaires eux-mêmes, en un mot, si Victor l'attaque, il se défendra et comme Victor n'aime que les victoires faciles, comme il a peur des coups et redoute un échec, il se désole de ne pouvoir conquérir un siège à Villeurbanne133. »
120Victor croit avoir enfin trouvé une circonscription de tout repos grâce à l'aide d'un représentant du parti « opportuno-radicalo-arrivisto-socialisto indépendant » du 3e arrondissement. Mais il s'y retrouve à nouveau en difficulté, « emmagascardisé » par les attaques de ses adversaires et se demande s'il ne serait pas prudent de retourner dans son palais de la Grande Ile, pour retrouver son canapé, la pièce essentielle de son cabinet de travail. Et le récit s'achève en faisant un sort à ce meuble précieux, dont la réparation a représenté la plus grande part des budgets des travaux publics de Madagascar en 1907, 1908, et 1909.
121Il ne manque même pas, pour clôturer la brochure une complainte en style populo. Nous nous contenterons d'en citer le premier couplet :
Réflexions d'un électeur désabusé (Air : Le Vieux Voyou)
Quoiqu'purotin, j'veux pas qu'on m'nargue
J'n'aim'pas un élu baladeur
C'est plus fort qu'moi, je réponds : Margue
À quiconqu'me parl'd'Augagneur
C'est un pantin, c'est un fantoche
Pourvu qu 'il ait de l'or en poche
Y s'fout pas mal de l'Électeur
Du miséreux, d'la populace
Et nous lâchera sans pudeur
Si Briand lui offre un eplace134.
122Dans un autre registre, l'affiche placardée sur les murs du 3e arrondissement fin février ou début mars à l'initiative du groupe socialiste unifié local n'est pas moins féroce. Elle fait appel à tous les « honnêtes gens » de « La Guillotière républicaine et socialiste » contre « l'audacieux aventurier d'outremer » qui, « semblable à un oiseau de proie menace de s'abattre sur le champ de bataille ». « Cynique » à la « morgue insolente », et aux « insatiables appétits », le « franc-fileur » Augagneur est accusé d'avoir lâché la mairie en 1905, tout en ayant eu « l'audace de déclarer que Lyon avait tait sa fortune ». « En hommes libres et majeurs, concluait le texte, vous vous dresserez, et le ferez reculer ainsi que les séides prosternés à ses pieds135. » Le concurrent unifié d'Augagneur était l'ancien menuisier Voillot, que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer, et qui a certainement eu sa part de responsabilité dans le style particulièrement dur de la campagne menée contre l'ancien maire et gouverneur. Mais Pressensé y a sans nul doute aussi contribué.
123Inversement, il est plus que vraisemblable qu'Augagneur est intervenu pour favoriser un certain nombre d'initiatives destinées à affaiblir les socialistes unifiés, et, tout particulièrement, Pressensé. Un des points de faiblesse était la campagne pour la RP et le meeting tenu conjointement avec Aynard le 6 février 1910. Quelques jours après ce meeting, une affiche est placardée sur les murs de la ville :
« Sauce Représentation Proportionnelle
La troupe bariolée des parlementaires nouveau genre, dans sa première représentation du Cirque Rancy nous a fait part de la nouvelle sauce à laquelle ces Messieurs désirent désormais manger le Populo. La cuisine de la RP est, paraît-il, de digestion facile! Quel assemblage fantasmagorique sur cette tribune qui déjà avait réuni tant de clowns et d'Augustes. Dans une fraternelle étreinte, le banquier Aynard et le prolétaire Rognon ; les Benoist, les Lasies, les Gourd, les Marietton, les Pressensé forment un groupe éblouissant. Camarades exploités : Attention ! Ce bloc enfariné nous menace d'un nouveau 15.000, lourd à nos estomacs. Nous connaissons déjà l'amertume des vieilles sauces, ne nous laissons pas accommoder à la nouvelle136. »
124L'affiche était signée du groupe du 3e arrondissement de l'Union Socialiste Révolutionnaire. Ces dissidents avaient fait sécession du parti unifié à la suite du choix des candidats, et s'étaient évidemment rapprochés d'Augagneur.
La candidature Berlié
125Si ces préliminaires sont spectaculaires, ce n'est que tardivement que la campagne électorale prend son vrai visage. Les adversaires de Francis de Pressensé sont longtemps restés indéterminés. Ce n'est qu'au début du mois de mars que se dessine contre lui une candidature qui ne sera officialisée qu'au début du mois d'avril, moins d'un mois avant l'échéance électorale du 24 avril. Comme en 1906, l'élection législative de 1910 a pris dans la 10e circonscription l'allure d'un duel, qui devait être tranché dès le premier tour. Le rival de Pressensé a été un petit patron, novice en politique, C. Berlié, entrepreneur de plomberie, et président de la Fédération du bâtiment à la Chambre syndicale des entrepreneurs. Il semble avoir été pressenti dès le début mars par une partie des militants radicaux-socialistes de la 10e circonscription. L'intérêt de sa candidature est assez clairement exposé par l'indicateur qui fait état de ce projet : « M. Berlié, dont les opinions sont républicaines radicales, mais de nuance plutôt modérée, espère que les progressistes et libéraux ne lui opposeront pas de concurrent137. » Très assembleur, on le voit, ce candidat pouvait quand même susciter quelques réserves parmi les purs républicains. Ce n'est qu'à l'extrême fin du mois de mars que la décision de la candidature radicale Berlié est prise. Les rapports de police suggèrent qu'elle a été décidée par un très petit nombre d'hommes - quelques « frères » maçons ? — parmi lesquels sont cités non seulement des responsables radicaux, mais le préfet du Rhône et le Dr Augagneur.
L'offensive parallèle de Berlié et d'Augagneur
126Malgré la connivence « secrète » entre Berlié et Augagneur, tous deux appuyés par le Lyon républicain, les deux hommes ont mis en avant des programmes bien différents. Par ailleurs, Augagneur ne pouvait afficher très ouvertement sa sympathie pour Berlié, alors que dans sa circonscription il avait à affronter un candidat radical, et que, nous l'avons dit, à l'échelle de l'agglomération, les relations s'étaient passablement envenimées entre radicaux et socialistes indépendants.
Le « rouleau-compresseur » Augagneur
127Face à Augagneur, qui était venu faire son nid dans une circonscription qui leur appartenait jusqu'alors, les radicaux-socialistes ont choisi pour porter leurs couleurs un notable estimé, au passé républicain irréprochable, mais âgé de 73 ans, et, malgré son patronyme, au tempérament assez peu combatif. Avant d'accepter, le citoyen Bataille avait en effet hésité, se disant « bien vieux pour faire des réunions électorales138 ».
128Victor Augagneur n'avait pas de telles lassitudes, et il a mené sa campagne tambour battant, multipliant les interventions et les réunions publiques. Exposant à la Guillotière le 25 février 1910 le programme du Parti Républicain et Socialiste, Augagneur n'hésite pas à se placer très à gauche, et à attaquer avec vigueur le gouvernement Briand. Au point de vue social, déclare-t-il, M. Briand, « après avoir prêché la grève générale, est devenu un rempart des institutions capitalistes139 ». Il attaque aussi Briand sur ses compromissions avec les cléricaux, réactivant les discours du temps du combisme, et réclamant l'instauration du monopole de l'enseignement. Augagneur n'hésite même pas à demander qu'on fasse une place, au sein du « grand parti républicain », aux députés socialistes unifiés, qui représentent plus d'un million d'électeurs sincèrement républicains, quitte à « se passer de l'appui de certains radicaux pâle140... »
129Pour devancer le candidat socialiste unifié, Jean Voillot, à qui il disputait l'importante clientèle électorale ouvrière de sa circonscription, il avait besoin d'emboucher la trompette sociale... Cela ne l'empêchait pas de remarquer que Jean Voillot, qui avait fait autrefois partie de sa propre liste municipale, avait « depuis longtemps quitté la varlope et le rabot pour le tablier de propriétaire de café141 ». Augagneur n'hésitait pas par ailleurs à attaquer avec une grande vigueur Le Progrès. Il traitait même le journal de « feuille de chou » gérée « comme une usine de macaronis » par « les jeunes gens » qui avaient hérité de sa direction. Par allusions indirectes, Augagneur égratignait aussi quelque peu son successeur Herriot, quand il déclarait, par exemple, que ce n'était pas sur lui qu'il fallait compter « pour avoir les palmes académiques ». « J'ai peut-être mauvais caractère, ajoutait-il, mais je prétends être juste142. » Devant l'énergie d'un tel combattant à l'ironie caustique et au verbe tonitruant, il semble que ses adversaires n'aient guère été capables de mobiliser les masses ou de porter avec efficacité la contradiction.
Un candidat rassurant, une propagande efficace
130La campagne menée par Berlié et autour de Berlié dans la circonscription voisine contre Pressensé a eu une tonalité quelque peu différente, sans être dépourvue, elle aussi, d'efficacité. Il se présentait comme un homme du concret et de l'action, lace aux politiciens professionnels. Il développait un programme rassurant, demandant d'étudier avec prudence la réforme électorale, d'éviter les gaspillages comme la création de nouveaux impôts. Il promettait de défendre l'agriculture, le petit commerce et la petite industrie, et de travailler à organiser l'apprentissage et l'enseignement technique. Il proposait de donner la personnalité civile aux syndicats, et de les organiser pour qu'ils puissent englober dans l'avenir la masse raisonnable des travailleurs, et non plus seulement quelques éléments tapageurs, à l'action dissolvante. Bref, il voulait contribuer à développer l'esprit d'initiative, de solidarité et de prévoyance. Un tel discours était de nature à séduire une partie importante de l'électorat, en particulier celui des communes semi-rurales peuplées de petites entreprises. Une note des renseignements datée du 23 avril, presque à la veille de l'échéance le souligne : « La candidature Berlié rencontre de nombreuses sympathies dans la 10e circonscription, et à part les communes de Saint-Fons et de Villeurbanne, elle obtiendrait, paraît-il, la majorité dans toutes les autres localités sur M. de Pressensé. » la note ajoutait qu'à Villeurbanne, « la lutte était très vive143 ». Ici, la candidature Berlié avait besoin de s'appuyer sur d'autres arguments que la modération. Mais le candidat radical a bénéficié dans la commune ouvrière d'un appui appréciable, celui des socialistes indépendants, qui ont accompli une bonne partie du travail de dénonciation du candidat Pressensé. À titre d'exemple, on peut citer une affiche signée du Comité du « Parti Socialiste Français », collée dans la dernière semaine avant le vote, qui appelait explicitement à voter pour « C. Berlié, industriel à Villeurbanne, membre du Comité républicain du Commerce, de l'Industrie et de l'Agriculture144 ». Ce texte rassemblait plusieurs attaques contre Pressensé, mais l'essentiel était l'accusation de cléricalisme. L'affiche rappelait le « triste rôle » joué par le « clérical socialisant de Pressensé », « auteur de nombreux écrits religieux ». Elle appelait « ceux qui ont cru à la bonne foi et au socialisme du défenseur des Missions » à manifester leur « Dégoût » en votant pour Berlié. Elle ne voyait que « trois catégories de citoyens susceptibles de voter pour M. le baron de Pressensé145 » :
« 1° les aspirants fonctionnaires ou intrigants de municipalités unifiées [...].
2° De braves travailleurs qui servent de marchepieds aux charlatans et assez naïfs pour croire au Paradis sur la terre (dite Société future) que leur promet le Pape de l'Unification.
3° Enfin les fanatiques des partis déchus qui ont l'espoir de renverser la République par l'union de la Démagogie de droite et de gauche146. »
131Le Pape de l'Unification et de la société future, qui était associé à Pressensé, était évidemment Jaurès. C'était par la dénonciation conjointe de ces deux traîtres vendus au cléricalisme que se terminait le pamphlet mural :
« La première catégorie des électeurs ci-dessus qui, au nom de la liberté de conscience approuve M. Jaurès autorisant sa femme et ses enfants à professer des idées cléricales, et qui, pour le même motif, admire M. de Pressensé lorsqu'il prend la défense des officiers cléricaux conspirant contre la République ne manqueront pas de traiter le citoyen C. Berlié et ses défenseurs de cléricaux, nationalistes, etc., etc., etc. Ne vous laissez pas influencer par les mensonges ou la calomnie, l'arme habituelle des mercantiles qui vivent de la politique. Dans l'intérêt de la République et de la circonscription, vous ne devez avoir qu'un but, celui de débarrasser la dixième circonscription du Rhône d'un des plus dangereux adversaires de la République et des réformes sociales en votant pour le citoyen C. Berlié147... »
132Les coups étaient rudement portés... Pressensé les avait-il vus venir ? Ses ennemis ironiseront après coup sur « le colosse aux pieds d'argile », « drapé dans sa superbe indifférence148 », qui a été renversé à la surprise du pays tout entier, et à la sienne en particulier. Nous pensons qu'il a mesuré trop tardivement le péril. En tout cas, ni lui ni ses amis politiques n'ont réussi à parer les coups, et à inverser la tendance. La défaite est sans appel : au premier tour du 24 avril, Berlié est élu avec 6560 voix contre 5757 voix à Pressensé. Dans la circonscription voisine de La Guillotière, la victoire d'Augagneur est éclatante. Malgré la présence face à lui de représentants de tout l'éventail politique, droite, radicaux-socialistes, et socialistes unifiés, il est élu dès le premier tour avec 6076 voix.
Une « résistible » défaite ?
133Tout comme le succès d'Augagneur est un triomphe personnel, l'échec de Pressensé est une défaite personnelle. Comme à l'échelle nationale, les socialistes unifiés ont en effet progressé dans l'agglomération lyonnaise, et dans le département du Rhône, obtenant en tout 30 162 voix contre 24 796 en 1906. Si leurs rivaux socialistes indépendants gagnent eux aussi des suffrages, ils perdent un siège, la victoire d'Augagneur ne suffisant pas à compenser les deux défaites des sortants Fort et Normand. Le parti socialiste unifié a, lui, réussi à maintenir son nombre de députés : au second tour, à la Croix-Rousse, le socialiste unifié Pierre Manus l'a emporté sur Victor Fort. Francis de Pressensé avait, on peut le noter, refusé de prendre la place de Manus, alors qu'une substitution de candidats entre les deux tours était légale, sinon élégante, et était parfois pratiquée pour maintenir au Parlement une grande figure nationale victime du premier tour.
134Les causes de cette défaite personnelle de Pressensé sont assez faciles à analyser, et nous les avons au reste suggérées. On pourrait presque les résumer en quatre petites lettres, l, a, o, n.
135Mais cette défaite était sans doute évitable. Au début de 1910 Pressensé était en position de force, et Augagneur semblait très en danger. Un pacte de non agression, ou du moins de bonne conduite, était sans doute possible entre deux candidats qui ne s'affrontaient pas directement. Il n'était pas dans le style, ni dans le goût de Pressensé.
136Certes, ne faut-il pas tout attribuer à l'action d'Augagneur dans la défaite de Pressensé. La campagne de son adversaire Berlié a été habile, bien adaptée au climat de confusion de 1910 ; l'appel à la société civile, la dénonciation des politiciens professionnels ont d'autant plus de succès que les perspectives se brouillent. Mais Berlié, par lui-même, n'avait aucune envergure politique. Il ne fera d'ailleurs qu'une courte et bien discrète apparition au Parlement de 1910 à 1914. Sans l'appui officieux du préfet et des loges maçonniques, il n'était rien. Sans l'aide des socialistes indépendants, il avait peu de chances de capter les voix ouvrières de Villeurbanne. Un rapport de police en date du 10 mai 1910, juste après le second tour, analyse la façon dont « on commentait hier les résultats des élections de dimanche dans le Rhône dans les milieux politiques lyonnais. » Le rapport ne précise pas quels sont ces milieux politiques, mais l'orientation de l'analyse incite à penser qu'il s'agit plutôt d'un milieu et on est tenté de lire « la franc-maçonnerie » :
« Les radicaux, radicaux-socialistes et socialistes indépendants attribuent le gain des progressistes et réactionnaires dans les diverses circonscriptions à un manque de direction et à l'entente avancée des unifiés avec les réactionnaires sur la RP. L'attitude passive de M. Herriot, maire, qui n'a pas su imposer une discipline et donner une direction au parti radical est très sévèrement jugée. [...] Dans toutes les fractions du parti républicain, on souhaite une réorganisation complète des groupements politiques, et on compte sur M. Augagneur pour donner une nouvelle et salutaire vigueur à la politique lyonnaise. Enfin, on estime que M. Herriot sort surtout très diminué de la campagne électorale et que son influence politique est bien amoindrie. Les unifiés estiment que le succès de M. Manus n'est pas une compensation suffisante à l'échec de M. de Pressensé, que les militants de Villeurbanne regrettent toujours149. »
137L'éclipsé politique d'Herriot n'était que relative et provisoire. Mais la puissance reconquise d'Augagneur était bien réelle. C'est sous sa « présidence effective150 » que se tient le 22 mai le « banquet démocratique » offert au nouveau député de la 10e circonscription, Berlié. Bien qu'il s'agisse de fêter un élu radical, Edouard Herriot s'était fait excuser. Quant au grand journal républicain et radical, Le Progrès, il sera la cible de nombreuses attaques. Hostile à Berlié comme à Augagneur, il avait manifesté au lendemain du scrutin sa déception et sa désapprobation : « Il faut avouer, écrivait l'éditorial du Progrès le 25 avril, que des surprises comme l'élection de M. Berlié contre M. de Pressensé ne sont pas à l'honneur du suffrage universel. M. Berlié arrive grâce à une coalition de radicaux modérés, de progressistes et de libéraux151. »
138Le rival du Progrès, Le Lyon républicain, exaltait au contraire la « belle victoire républicaine remportée le 24 avril », qu'avaient fêtée le 22 mai autour du nouveau député « toutes les organisations radicales, radicales-socialistes et socialistes de la 10e circonscription ».
139Mais il s'agissait peut-être surtout de fêter une défaite. Même s'il commençait par déclarer sous les rires : « Je ne voudrais pas, parlant de M. de Pressensé, m'acharner sur des ruines », Augagneur ramassait dans son toast l'ensemble des éléments qui avaient contribué à la chute de Pressensé, le rejet pour sa personne, le « cléricalisme », la campagne « scandaleuse » pour la RP au côté d'Aynard, et enfin l'antipatriotisme, la collusion avec les antimilitaristes anarchistes, partisans de l'action directe et du sabotage.
140Augagneur dénonçait par ailleurs avec véhémence les insinuations et les communications falsifiées de certain journal (Le Progrès), affirmant qu'aucun trucage, aucun marché n'avait été passé dans la 10e circonscription avec les partis de réaction. On retrouvait d'ailleurs dans les autres interventions le même soin des orateurs, Berlié compris, « à affirmer leurs sentiments républicains sans compromission avec les progressistes et réactionnaires152 ».
141Il n'empêche que dans le second banquet qui est offert à Berlié à la chambre syndicale des entrepreneurs, le 24 mai, l'atmosphère était passablement différente, les nombreux chefs d'entreprise présents, célébrant bien davantage le patron responsable et compétent (par opposition aux politiciens irresponsables) que le républicain. La Dépêche de Lyon, journal de la droite, qui avait fait la campagne de l'ensemble des candidats progressistes et libéraux... et exalté quelques mois auparavant la manifestation en faveur de la RP, rend compte très favorablement de l'événement et manifeste sa vive sympathie pour Berlié, qui saurait rester au Parlement « l'homme probe, loyal et d'esprit pondéré » qu'il s'était montré tout au long de sa vie patronale153.
142Le moins qu'on puisse dire, est que Pressensé n'avait pas bénéficié de bienveillance à droite, malgré sa défense de la liberté de conscience et sa campagne pour la proportionnelle. « Ce n'est pas rien pour notre département, commentait Le Nouvelliste en guise de requiem, de se débarrasser de de Pressensé154... »
Une seconde défaite à Paris
143Cet échec du printemps 1910 a été redoublé par une autre déception quelques semaines après. Pressensé a été battu une seconde fois, le 17 juillet 1910, au second tour d'une élection législative partielle dans le 15e arrondissement de Paris. Depuis 1893, le siège du 15e arrondissement était détenu par un socialiste, chef historique du blanquisme, et vétéran de la Commune, Chauvière. Il était mort brutalement le 2 juin, quelques semaines après sa victoire électorale de 1910. Pressensé pouvait apparaître comme un candidat unifié légitime, même s'il ne possédait pas la même implantation que Chauvière dans le quartier, et venait d'un horizon socialiste assez éloigné de celui des amis d'Edouard Vaillant. La situation électorale n'était pourtant pas facile, car Chauvière avait connu en 1910 une assez nette érosion de ses suffrages. Il n'avait été réélu que difficilement, avec un peu plus de 5 100 voix contre environ 4 600 et 4 000 à ses deux rivaux, un radical et un progressiste. Pressensé n'a pas bénéficié d'une telle triangulaire. Au second tour, il s'est trouvé face à face avec un adversaire « progressiste », teinté de nationalisme, Bertrand d'Aramon. Cette situation lui a été beaucoup moins favorable qu'en 1902. Le duel entre aristocrates a tourné à son désavantage. Pressensé a été battu par d'Aramon, nombre d'électeurs radicaux ayant préféré l'homme de la droite au pourfendeur de Clemenceau et de Briand. Le Bloc était bien mort, mais Pressensé, a, de surcroît été victime de sa stature nationale, de son intransigeance, des très nombreux ennemis que ses attaques lui avaient suscités. Marcel Sembat, parlant de sa carrière au Parlement, parle, certes, du respect qui l'a entouré, et de l'hommage muet que lui rendait, dans son for intérieur, chacun de ses collègues. Mais il rappelle en même temps à quel point ses jugements étaient durs et ses invectives véhémentes : « Il arrive souvent que l'on reproche à tel ou tel d'entre nous des violences de langage, mais nul ne fut plus âpre, quand il le fallait, que Francis de Pressensé ; et il allait froidement jusqu'au bout des violences nécessaires155. »
Une énergie intacte
144Sa double défaite électorale a, a coup sûr, affecté Francis de Pressensé. II semble même avoir envisagé de passer la main à la présidence de la Ligue des Droits de l'Homme. Tout au moins a-t-il évoqué cette éventualité au congrès de Paris de l'automne 1910, mais peut être seulement pour que, comme cela a été le cas, la confiance lui soit clairement donnée pour continuer son mandat. Il a peut-être aussi envisagé de prendre un peu de champ, pour entreprendre des travaux érudits ou historiques. Nous en avons une indication dans deux lettres manuscrites conservées dans les papiers de Joseph Reinach, les deux dernières qu'il ait échangées avec son ancien ami et adversaire politique. Dans une lettre du 28 juillet 1910, Pressensé répond à un message de Reinach : « Je vous dois, lui écrit-il un remerciement pour la sympathie avec laquelle en dépit de nos divergences d'opinion vous avez accueilli ma double défaite électorale156. » Il lui fait part de son projet d'employer le temps que le suffrage universel avait bien voulu lui laisser pour réaliser une étude sur les origines diplomatiques de la guerre de 1870. Ce projet n'est pas complètement abandonné en novembre 1912, puisque Pressensé demande à Reinach de lui envoyer la suite de la publication officielle dont il dispose157. On remarquera toutefois que ce travail, qui ne pourra être mené à bien, n'obéissait pas à des purs motifs d'érudition ou de nostalgie de la jeunesse. La réflexion de Pressensé se centrait dans ces années sur la façon dont un conflit pouvait se déclencher. La compréhension des mécanismes de ce qui s'était produit en 1870 lui paraissait essentielle à la défense de la paix.
145En tout cas, il n'a pas été possible à Pressensé de retourner à une vie érudite. Même si, au fil des ans sa maladie s'est certainement faite de plus en plus présente, il serait certainement inexact de l imaginer comme un préretraité qui aurait réduit après sa défaite électorale ses activités politiques et militantes. Si on en croit, au moins, les rapports des Renseignements de Police, particulièrement nombreux entre 1910 et 1913, n'étant plus retenu par ses obligations parlementaires, il aurait multiplié les meetings et conférences militantes158. Le début de l'année 1911 est particulièrement impressionnant, car Pressensé sillonne, avec Pierre Quillard, qui a remplacé Mathias Morhardt au secrétariat général de la Ligue, toute la France, comme au temps de l'affaire Dreyfus, pour y plaider la cause de Durand, le syndicaliste havrais injustement condamné à mort. Mais il faut signaler aussi l'affaire Rousset, qui met en cause le bataillon disciplinaire d'Afrique, (le célèbre « Biribi »), et les très nombreuses interventions et conférences concernant la situation internationale, la guerre italo-turque de Tripolitaine en 1911, puis les guerres balkaniques, et, bien entendu en 1913, la loi de trois ans. Il faudrait ajouter encore les nombreuses interventions pour protester contre la répression en Espagne159, et pour défendre les prisonniers politiques en Russie, en particulier des militants du parti socialiste juif, le Bund. Pressensé, jusqu'à la veille de sa mort en janvier 1914 est resté d'une grande activité, et il avait d'ailleurs prévu d'être candidat à Paris aux élections législatives de 1914. Le témoignage de son neveu Pierre Bernus corrobore cette impression de dynamisme qui se dégage des dernières années :
« Il faisait de grandes tournées de conférences en province. Jamais, il n'avait eu plus d'entrain. Il semblait avoir conclu avec l'existence un nouveau bail d'activité féconde. C'est en plein travail que la maladie l'a terrassé160... »
146Avant de conclure sur la disparition de Francis de Pressensé, il nous reste à évoquer l'importance de ses réflexions et de ses interventions dans le domaine de la politique internationale, pendant toute la durée de son engagement socialiste.
Notes de bas de page
1 C. PÉguy, « Les élections... », op. cit., p. 1342.
2 C'est ce que dit Pierre Albert dans C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral. F. Terrou (s.d.), Histoire générale de la presse française, t. 3, de 1871 à 1940, Paris, PUF, 1972, p. 368-369.
3 Georges Suarez, par ailleurs fort ironique sur les débuts de L'Humanité, parle de Briand comme une des principales têtes du journal et écrit à propos de la pression des sollicitations (pour obtenir des rubriques) qu’elle « va de Jaurès à Pressensé, de Pressensé à Briand ». G. Suarez, Briand I, op. cit., p. 447.
4 C. Andler, Vie de Lucien Herr, Paris, Rieder éditeur. 1932, p. 169.
5 Ibid., p. 170.
6 C. Andler, Vie de Lucien Herr, op. cit., p. 181.
7 P. Bernus écrit : « Il poursuivit sa collaboration quotidienne au Temps d'une façon ininterrompue jusqu'en 1905 », P. Bernus, « Francis de Pressensé », Pro Armenia, 10 février 1914, p. 3. V. Basch indique qu'il prit en 1888 la direction du bulletin politique du Temps, direction qu'il garda pendant dix-sept ans. « Discours de M. Victor Basch », BOLDH, 1er février 1914, p. 135. Le tournant, c'est peut-être la Révolution russe.
8 G. Candar, Jean Longuet (1876-1938), op. cit., p. 137-161.
9 Ibid., p. 139.
10 Ibid., p. 137.
11 F. de PressensÉ, « Lendemain de congrès », L'Humanité, 25 août 1904.
12 F. de PressensÉ, « Le congrès d'Amsterdam », La Vie socialiste, 5 novembre 1904 (n° 1).
13 Ibid.
14 Ibid.
15 F. de Pressensé, discours au congrès de Rouen du PSF, L'Humanité, 29 mars 1905.
16 G. Candar, Jean Longuet (1876-1938), op. cit., p. 60.
17 La Vie socialiste, 5 novembre 1904 (n° 1).
18 Article d'Émile Buré, La Vie socialiste, 20 décembre 1904 (n° 4).
19 La Vie socialiste, 5 janvier 1905 (n° 5).
20 Voir le compte rendu de ces événements et le bilan du congrès de Rouen dans l'article d'Albert Thomas qui paraît dans la Revue socialiste du 1er semestre 1905, p. 385-403.
21 Cité par G. Suarez, Briand II op. cit., p. 28.
22 Ibidem.
23 A. Mater, « Le congrès socialiste de Rouen (26, 27, 28 mars) », L'Européen, 8 avril 1905.
24 Cite par G. Suarez, Briand II, op. cit., p. 32-33.
25 A. Mater, « Le congrès socialiste de Rouen (26, 27, 28 mars) », L'Européen, 8 avril 1905.
26 Ibidem.
27 F. de Pressensé, « Discours au congrès de Rouen du PSF », L'Humanité, 29 mars 1905.
28 C'est en particulier le dernier mot du discours : « Discours de M. Jeau Jaurès. BOLDH 1er février 1914, p. 177.
29 Ibid., p. 171. C'est nous qui soulignons.
30 Selon les souvenirs de Camille Pariset, par exemple. « Il termina sa carrière effacé dans le sillage de Jaurès », Souvenirs de Camille Pariset recueillis par Gabriel Maurel, op. cit., p. 71.
31 C. Andler, Vie de Lucien Herr, op. cit., p. 202-203.
32 ADR 3M 1 361, Élections de 1906, rapport du 16 avril 1906.
33 Dumière a été choisi officiellement à la suite d'une réunion des groupes du parti socialiste autonome : AN F7 159931 (tonds dit du Panthéon, dossier Pressensé), rapport du commissaire spécial n° 1 819, 27 février 1906. Mais il s'est ensuite récusé et Joly a été pressenti : AN F7 15 9931 (fonds dit du Panthéon, dossier Pressensé). rapport du commissaire spécial n° 1888, 3 avril 1906.
34 ADR 3M 1 361, Élections de 1906, rapport s.d. (avril ?).
35 Ibid., Élections de 1906, 10e circonscription, Programme de M. Guy Chambaud de la Bruyère. Les citations qui suivent renvoient toutes à ce texte.
36 Ibid., Elections de 1906, 10e circonscription, Profession de loi de M. de Pressensé, député sortant. Le texte figure dans le Barodet. Les citations qui suivent sont toutes extraites du texte de cette profession de foi.
37 Dès la réunion publique du 18 décembre 1905, le rapport signale les applaudissements qui éclatent quand Voillot appelle M. de Pressensé « le père de la loi de Séparation AN F7 15 9931 (fonds dit du Panthéon, dossier Pressensé), rapport du commissaire spécial n° 1 699, 18 décembre 1905.
38 Le Nouvelliste de Lyon, mai 1906.
39 J.-F. Zorn, Le grand siècle d'une Mission protestante, la mission de Paris de 1822 à 1914, Paris, Karthala-les Bergers et les Mages, 1999, p. 284
40 * * * * [Anonyme], Les missions et la question religieuse à Madagascar, Meulan-Hardricourt (Seine-et-Oise), Imprimerie Albert Maréchaux, 1907, 61 p.
41 J.-F. Zorn estime qu'entre juin et septembre 1907, une centaine d'articles sur le sujet paraît dans la presse française. Voir J.-F. Zorn, Le grand siècle d'une Mission protestante, op. cit., p. 286.
42 C'est ce que Pressensé précise lots du débat au congrès de Lyon. BOLDH, 1908, p. 1138.
43 Le rôle du ministre de tutelle semble avoir été assez effacé. On connaît la légende un peu méchante à son sujet : Pourquoi l'avez vous fait ministre ? aurait demandé Charles Benoist à Clemenceau. - Vous en connaissez un plus bête, vous ? aurait répondu Clemenceau... J.-B. duroselle, Clemenceau, France Loisirs-Fayard. 1988, p. 499.
44 Le coup de pistolet du Panthéon date du 4 juin 1906.
45 Le compte rendu du débat occupe près de quatre-vingts pages du BOLDH de 1908 (p. 1108-1 185).
46 Madeleine Rebérioux remarque qu'au congrès de 1906, la question coloniale n'arrive en discussion que le dernier soir à 23 h 30. « Elle intéresse davantage une poignée de dirigeants que la masse des ligueurs ». En 1908, parce qu'il s'agit d'un affrontement politique, le débat passionne et voit l'intervention de nombreux délégués « de base ». M. Reberioux, « La Ligue des Droits de l'Homme et la question coloniale : quelques remarques sur les choix », Après-demain, avril-mai 1998, p. 25.
47 BOLDH, 1908, p. 1111.
48 Ibid.
49 Ibid., p. 1 113.
50 Ibid., p. 1 131.
51 Ibid., p. 1 151-1 152.
52 Ibid., p. 1 132-1 133.
53 Ibid., p. 1 132.
54 Ibid., p. 1 131.
55 Ibid.
56 Ibid., p. 1 150.
57 Ibid.
58 Ibid., p. 1 184-1 185.
59 Ibid., p. 1 148.
60 Ibid., p. 1 131.
61 Ibid., p. 1 143.
62 Ibid., p. 1 134-1 140.
63 * * * * [Anonyme], Les missions et la question religieuse à Madagascar, op. cit., p. 47.
64 Ibid., p. 53.
65 Ibid., p. 57.
66 Ibid., p. 59.
67 Ibid., p. 53.
68 BOLDH, 1908, p. 1 108.
69 Ibid., p. 1 109.
70 Ibid., p. 1 141.
71 Ibid., p. 1 141-1 142.
72 Tous les débats parlementaires mais aussi les échanges épistolaires de cette affaire ont été rassemblés dans le BOLDH du 15 février 1909. Ils occupent une cinquantaine de pages de cette revue à la typographie serrée. C'est à cette source que nous renverrons.
73 BOLDH, 15 février 1903, p. 212.
74 Ibidem.
75 Ibid., p. 211.
76 Ibid., p. 219.
77 Ibid., p. 218.
78 Ibid., p. 218-219.
79 Ibid., p. 221.
80 Ibid., p. 230.
81 Ibid., p. 231.
82 Ibid., p. 232.
83 Ibid., p. 233.
84 Ibid.
85 Ibid., p. 235. Lettre de Pressensé à Clemenceau datée du 30 janvier 1909 et rendue publique.
86 Ibid., p. 238. Lettre de Clemenceau à Pressensé datée du 31 janvier 1909 et rendue publique.
87 BOLDH, 15 février 1903, p. 239.
88 Ibid., p. 252-253.
89 Ibid., p. 246.
90 Barrès a reproduit sa correspondance avec Pressensé assortie de ses commentaires dans ses Cahiers. Nous renvoyons à l'édition de 1933 que nous avons utilisée. M. Barrès, Mes Cahiers tome septième 1908-1909, Paris, Plon, 1933, p. 134.
91 Ibid., p. 135-136. Lettre de Pressensé à Barrès du 3 février 1909.
92 BOLDH, 15 juillet 1909, p. 880.
93 Ibid., p. 881.
94 Ibid.
95 Ibid., p. 886.
96 Ibid., p. 880.
97 Pressensé se plaint en particulier de la tentative de mobilisation de la franc-maçonnerie par Augagneur : « Nous ne souffrirons pas en silence que cet homme, devant la franc-maçonnerie très mal informée, se pare de son titre et ose accuser ceux qui le combattent d'agir dans un esprit de réaction confessionnelle. » BOLDH, 30 juin 1909, p. 830.
98 Ibid., p. 801.
99 Ibid., p. 803.
100 Ibid.
101 Ibid., p. 809-810.
102 Ibid., p. 808 et 810.
103 Ibid., p. 829.
104 Ibid., p. 832.
105 Il s'agit de Charles Bougot, délégué de la section de Rennes et syndicaliste révolutionnaire ; nous citons par ailleurs un extrait significatif de son intervention. L'allusion au droit à l'insurrection se trouve dans le BOLDH, 1909, p. 877-878.
106 Ibid., p. 829.
107 Ibid., p. 821.
108 Ibid., p. 822-823.
109 Ajoutons qu'il y avait encore eu au printemps 1909 comme à l'automne 1898 ou en 1904-1905 un échange épistolaire avec Gabriel Monod paru dans Le Temps.
110 BOLDH, 1909, p. 832.
111 Ibid., p. 878-879.
112 Voir M. Reberioux, La République radicale, op. cit., p. 115.
113 BOLDH, 1909, p. 853.
114 Ibid., p. 856.
115 Ibid., p. 857.
116 Ibid.
117 Ibid., p. 867.
118 Ibid., p. 899.
119 C'est l'expression qu'emploie Francis de Pressensé ; BOLDH, 1909, p. 895.
120 Le texte de la motion est cité tardivement (à la suite d'un oubli) dans le BOLDH Au 15 octobre 1909, p. 1 247-1 248.
121 C'est un des traits qui ont frappé Jean Jaurès et qu'il mentionne dans son discours d'hommage en le mettant en rapport avec un héritage familial, avec la conception qu'avait Edmond de Pressensé du Christianisme et qui l'amenait à critiquer La Vie de Jésus de Renan en disant : « Dans ces balancements, dans ces compromis, dans ces ambiguités éternelles entre l'humain et le divin, je ne reconnais pas mon maître, celui qui a dit dans l'Évangile : “Si c'est oui, dis oui, et si c'est non, dis non.” Eh bien, de cette parole évangélique, ajoutait Jaurès, Francis de Pressensé a fait une parole révolutionnaire. » BOLDH, 1er février 1914, p. 172.
122 Ibid., 15 juin 1913, p. 697.
123 C'est l'expression qu'emploie Aynard dans son intervention au meeting lyonnais du 6 février 1910 en faveur de la RP. « Pour le scrutin libérateur », La Dépêche de Lyon, 7 février 1910.
124 Intervention de « M. de Pressensé », « Pour le scrutin libérateur », La Dépêche de Lyon, 7 février 1910.
125 ADR 3M 1 364, Élections de 1910. La formulation quelque peu embarrassée est celle du fonctionnaire de police qui explique la décision.
126 Ibid., Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 10 octobre 1909, M. de Pressensé... ».
127 Ibid., Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 17 janvier 1910, « Parti unifié, congrès départemental ».
128 Ibid.
129 Ibid., Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 12 janvier 1910, « Fédération socialiste autonome ».
130 « Parti radical et radical-socialiste », Le Progrès, 31 mars 1910.
131 ADR 3M 1 364, Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 2 février 1910, « Élections législatives, candidature Augagneur ».
132 Les ennuis de M. Augagneur ; Le canapé de la résidence ; Réflexion d'un électeur désabusé, Lyon imprimerie Paul Legendre, s.d. (1910) (brochure anonyme, 8 pages).
133 Ibid., p. 4.
134 Ibid., p. 7.
135 L'affiche, conservée aux Archives du Rhône est adressée « Aux honnêtes gens ». Elle est signée « Le groupe du 3e arrdt » Son origine socialiste unifiée semble très probable. ADR 3M 1 364, Élections de 1910.
136 Ibid., Élections de 1910, Commissariat spécial, 15 février 1910. « Copie d'une affiche placardée sur les murs de la ville sans nom d'imprimeur. »
137 Ibid., Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 6 mars 1910, « Élections législatives, 10e circonscription ».
138 Ibid., Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 3 février 1910.
139 « Conférence Augagneur », Lyon républicain, 26 février 1910.
140 Ibidem.
141 Ibid.
142 Ibid.
143 ADR 3M 1 364, Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 23 avril 1910, « Élections législatives, 10e circonscription ».
144 Cité dans L'Avenir socialiste. Organe de ta Fédération du Rhône du Parti Socialiste (SFIO), n° 168, 8-15 mai 1910.
145 Ibidem. Les ennemis lyonnais de Pressensé, moins érudits que Péguy, qui se plaisait à l'appeler « le vidante », se contentent de dénoncer « le baron ».
146 Ibid.
147 Ibid.
148 L'expression est utilisée dans le discours du représentant radical-socialiste Diard au banquet en l'honneur de Berlié, Lyon républicain, 23 mai 1910.
149 ADR 3M 1 364, Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 10 mai 1910, « Au sujet des élections législatives ».
150 « Banquet démocratique », Lyon républicain, 23 mai 1910.
151 Le Progrès, 25 avril 1910.
152 ADR 3M 1 364, Élections de 1910, Rapport Commissariat spécial 23 mai 1910, « Banquet Berlié ».
153 « Banquet Berlié », La Dépêche de Lyon, 28 mai 1910.
154 Le Nouvelliste, 26 avril 1910.
155 « Discours de M. Sembat », BOLDH, 1er février 1914, p. 163.
156 BN N.A.Fr. (manuscrits), 13554, n° 13 (lettre à Reinach, 28 juillet 1910).
157 Ibid., n° 14 (lettre à Reinach, 19 novembre 1912).
158 Nous avons dénombré trente-sept comptes rendus de meetings entre octobre 1910 et octobre 1913 dans le dossier spécifique de Pressensé (Fonds dit du Panthéon). AN F7 15 9931.
159 L'affaire Ferrer date de l'automne 1909. Mais il y a eu par la suite d'autres manifestations ou interventions contre la répression en Espagne. Sur l'affaire Ferrer, où la Ligue a joué un rôle appréciable, consulter : M. Reberioux, « Manifester pour Ferrer, octobre 1909 », dans Parcours engagés dans la France contemporaine, Belin, 1999, p. 99-117.
160 P. Bernus, « Francis de Pressensé », Pro Armenia, 10 février 1914.
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